Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossiers : 2019-780(EI)

2019-781(EI)

ENTRE :

ENTREPRISE AGOSTINO INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune le 8 octobre 2019,

à Montréal (Québec)

Devant : L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

 

Avocate de l'appelante :

Me Kathy Kupracz

Avocat de l'intimé :

Me Julien Dubé-Senécal

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté en vertu du paragraphe 103(1) de la Loi sur l’assurance‑emploi (la « Loi ») est accueilli au motif que le travail de Stéphane Agostino, pour l’appelante, du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, et que le travail de Fabio Agostino, pour l’appelante, du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, n’occupaient pas des emplois assurables aux termes de la Loi.

Signé à Kingston, Ontario, ce 14e jour de janvier 2020.

 

« Rommel G. Masse »

juge suppléant Masse

 


Référence : 2020 CCI 3

Date : 20200114

Dossier : 2019-780(EI)

ENTRE :

ENTREPRISE AGOSTINO INC.,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

[1]  En l’espèce, il s’agit d’appels interjetés par l’appelante, Entreprise Agostino inc. (ci-après « la société »), à l’encontre des décisions du ministre du Revenu national (ci-après le « ministre ») datées du 30 novembre 2018, confirmant les déterminations datées du 20 avril 2018, en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996 ch. 23, modifiée (ci-après la « Loi »). À l’issue de ces déterminations, il fut conclu que :

a.  Stéphane Agostino (dossier 2019-780(EI), exerçait un emploi assurable au sein de la société durant la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, et

b.  Fabio Agostino (dossier 2019-781(EI) exerçait un emploi assurable au sein de la société durant la période allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016.

[2]  Les deux dossiers ont été entendus sur preuve commune. Dorénavant, Stéphane et Fabio sont désignés comme « les travailleurs » ou les « cousins ».

Question en litige

[3]   Il n’est pas contesté qu’il y avait un contrat d’emploi entre les travailleurs et la société. Également, il n’est pas contesté qu’il y a un lien de dépendance entre la société et les travailleurs. La seule question en litige est de savoir si les travailleurs occupaient un emploi assurable auprès de la société durant les périodes en litige. Pour en décider, il s’agit de déterminer s’il était raisonnable pour le ministre de conclure pour chacun des travailleurs qu’un contrat de travail semblable aurait été conclu avec les travailleurs sans lien de dépendance, en tenant compte de toutes les circonstances y compris la rétribution versée, des modalités d’emploi ainsi que de la durée, de la nature et de l’importance du travail, et qu’en conséquence, les travailleurs sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance avec la société aux termes de l’alinéa 5(3)b) de la Loi.

Dispositions législatives

[4]  Les dispositions pertinentes de l’article 5 de la Loi énoncent ce qui suit :

5(1) sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière ;

Restriction

5(2) N’est pas un emploi assurable :

[…]

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

5(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[5]  Les dispositions pertinentes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), disposent ce qui suit :

Lien de dépendance

251(1) Pour l’application de la présente loi :

  • a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance;

  • b) un contribuable et une fiducie personnelle (sauf une fiducie visée à l’un des alinéas a) à e.1) de la définition de « fiducie » au paragraphe 108(1)) sont réputés avoir entre eux un lien de dépendance dans le cas où le contribuable, ou une personne avec laquelle il a un tel lien, aurait un droit de bénéficiaire dans la fiducie si le paragraphe 248(25) s’appliquait compte non tenu de ses subdivisions b)(iii)(A)(II) à (IV);

  • c) dans les autres cas, la question de savoir si des personnes non liées entre elles n’ont aucun lien de dépendance à un moment donné est une question de fait.

Contexte factuel

[6]  La société est une personne morale ayant son siège social au 3020, boulevard Lévesque Est, Laval au Québec. La société exploite une entreprise de gestion et de location d’immeubles résidentiels et commerciaux. Les actionnaires de la société sont les frères Miguel, Sebastiano et Vincenzo Agostino ainsi que la Fiducie familiale Agostino (ci-après la « Fiducie »). Miguel et Sebastiano Agostino sont les administrateurs et dirigeants de la société. Le travailleur Stéphane est le fils de Miguel et le neveu de Sebastiano. Le travailleur Fabio est le fils de Vincenzo et le neveu de Miguel et Sebastiano. Stéphane et Fabio sont deux des bénéficiaires de la Fiducie.

[7]  M. Miguel Agostino a témoigné. Il était un témoin crédible. Il réside à Duvernay Laval au Québec. Il possède une formation d’ingénieur civil et il a obtenu une maîtrise en gestion de projets en 1975. Je retiens ce qui suit de son témoignage.

[8]  Depuis 1990, il s’occupe uniquement de la gestion de l’entreprise familiale, qui est aujourd’hui la société. L’entreprise familiale fut établie par ses parents au début des années ’80. Son père travaillait dans la construction et pendant les années ’80 l’entreprise familiale s’est acquis de vieux immeubles dans le but de les rénover pour ensuite les louer. En 2011, l’entreprise familiale a été constituée en société incorporée. C’était à ce moment que la Fiducie a aussi été constituée et est devenue actionnaire de la société. Aujourd’hui, la société est propriétaire de cinq immeubles résidentiels comprenant environ 1000 portes, ainsi que trois petits immeubles commerciaux. La société emploie environ une trentaine d’employés, comprenant des employés directs ainsi que des sous-traitants.

[9]  La société est strictement une entreprise familiale qui est destinée à demeurer entre les mains des membres de la famille. Les actionnaires désirent préserver le caractère familial de la société et ils désirent aussi assurer le bien-être et l’avenir de leurs enfants. À mon avis, il s’agit du patrimoine familial. Donc, la Fiducie a été constituée dans le but de bénéficier aux enfants de la famille et de les préparer afin de prendre la relève quand les dirigeants, Miguel et Sebastiano, décident de prendre leur retraite.

[10]  Il existe un lien de confiance important entre les travailleurs et les actionnaires vu les liens familiaux qui les unissent. Alors, la Fiducie a été mise en place afin d’intégrer les travailleurs dans l’entreprise. Les travailleurs sont deux des bénéficiaires de la Fiducie et ils seront appelés à devenir actionnaires, dirigeants et administrateurs de la société dans l’avenir. L’intégration des travailleurs à l’entreprise a été effectuée en vue de ce but.

[11]  Stéphane et Fabio sont gestionnaires d’immeuble. Ils sont chacun responsable d’un immeuble. Stéphane est gestionnaire d’un immeuble de 300 logements et Fabio d’un immeuble de 206 logements. Les travailleurs sont doués de discrétion et autonomie presque absolues en ce qui a trait à la gestion de leur immeuble. C’est à eux de négocier tous les baux, de voir à la collection des loyers, de plaider des cas devant la Régie du logement, et cetera. C’est eux qui embauchent tous les employés et sous-traitants comme les plombiers et les électriciens. C’est eux qui décident quand un travail est nécessaire; par exemple, les rénovations. Les travailleurs ne se réfèrent qu’exceptionnellement aux dirigeants de la société. C’est eux qui prennent environ 90% de toutes les décisions qui touchent à la gestion de leur immeuble. Les dirigeants interviennent seulement lorsqu’il s’agit de négociations de refinancement – ce qui est rare. La dernière fois qu’il y a eu un refinancement était dix ans passés.

[12]  Les travailleurs ne sont pas supervisés et ne reçoivent aucune directive dans l’exécution de leurs fonctions et ils jouissent d’une grande autonomie. Cette autonomie est certainement supérieure à celle d’un gestionnaire d’immeuble ordinaire, employé de la société, qui n’est pas membre de la famille. Les dirigeants laissent l’entière discrétion aux travailleurs. Comme exemple d’autonomie, Miguel a décrit un grand projet concernant l’immeuble de Stéphane — remplacer les ascenseurs ; un projet coûtant environ 600 000 $. C’est Stéphane qui a entrepris toutes les négociations et les démarches dans la réalisation de ce projet sans ingérence des dirigeants. Il en va de même pour les projets de rénovations chez l’immeuble de Fabio. Il n’y a pas de limites de dépenses pour les travailleurs, mais on s’attend, raisonnablement, qu’il y ait des discussions avec les actionnaires lorsqu’il s’agit de grands projets coûteux.

[13]  Les travailleurs et Miguel se rencontrent quotidiennement tous les soirs au souper à un restaurant. Il y a des discussions et les travailleurs participent activement aux prises de décisions de gestion relative à la société de concert avec les dirigeants de la société. Toutes décisions sont rendues par consensus.

[14]  Miguel ignore les horaires de travail des travailleurs. C’est eux-mêmes qui fixent leur propre horaire. Ils prennent congé à leur gré pour la période qu’ils veulent. Ils ne conservent pas de registre des heures travaillées. D’après Miguel, les deux cousins travaillent entre 30 à 50 heures par semaine. Par contre, ils doivent être disponibles 24 heures sur 24, et ceci 7 jours par semaine. Il y a toujours des urgences, comme des alarmes de feux, ou des fuites d’eau ou des pannes d’électricité ou de mécanique, et cetera, qui nécessitent qu’ils travaillent les soirs, les fins de semaine ou même pendant les vacances — peu importe qu’ils soient hors du pays. Ils doivent rester à la tâche jusqu’à ce que l’urgence soit résolue. Alors, ils doivent travailler de très longues heures en fonction des besoins de la société. Ils ne sont pas payés pour les heures de travail supplémentaires.

[15]  Les deux ont à peu près quatre semaines de vacances. Ils ne demandent pas de permission pour prendre leurs vacances ; ils doivent seulement aviser Miguel quand ils seront absents en vacances.

[16]  Les travailleurs gagnent le même salaire, lequel est déterminé par Miguel. Le salaire augmente plus que la normale dès que les travailleurs acquièrent plus d’expérience et de responsabilité. Ils ont gagné des hausses de salaire importantes, souvent dans la gamme de 10 % chaque année ; plus que les autres employés. Il nous dit que leur salaire est à peu près le double du salaire de la personne qui gérait les immeubles avant eux ; cette personne était plus ou moins une secrétaire et n’exerçait pas de discrétion comme le font les travailleurs. La société n’assume aucuns frais reliés à la formation des travailleurs, mais elle le ferait probablement, à la demande des travailleurs. Les travailleurs ont accès à toutes informations financières de la société s’ils le veulent. Ils occupent des postes clefs dans la société et le lien de confiance est très important. Selon Miguel, il est d’une importance extrême qu’il y ait quelqu’un de la famille dans chaque immeuble pour assurer l’efficacité de l’entreprise. Il n’y a pas de question qu’une personne autre qu’un membre de la famille s’occupe d’un poste important tel que celui des travailleurs.

[17]  En contre-interrogatoire, Miguel nous explique que les travailleurs embauchent tous les employés, comme les secrétaires, les concierges, les nettoyeurs, les peintres, les plâtriers, les électriciens, et cetera, associés à leur immeuble. Il y a d’autres membres de la famille qui travaillent au sein de la société ; donc, l’aspect familial est très important. Miguel est d’accord que la société a émis des feuillets T-4 aux travailleurs pour l’année d’imposition 2016 du montant de 55 000 $. C’est un montant qui permet les cousins de vivre correctement. Ce salaire est plus important que celui d’une personne qui occuperait le même poste. Selon Miguel, une autre personne, avec beaucoup d’expérience, se ferait payer 35 000 $ ou 40 000 $. Aujourd’hui, les travailleurs gagnent environ 66 000 $ par année. Ils se font payer un bon salaire parce qu’ils font partie de la famille. Il est d’accord que certains employés ont reçu des feuillets T-4 dans la gamme de 52 000 $, mais ceci était pour un couple qui agissait à titre de concierge résidant dans un logement d’un immeuble. Les cousins doivent se rendre à l’immeuble qu’ils gèrent tous les jours. Les cousins ne signent pas les chèques de dépense quoique c’est eux qui négocient les grosses dépenses et approuvent les factures. Les travailleurs s’occupent complètement des projets de 20 000 $ à 30 000 $. Les grands projets, comme le projet des ascenseurs coûtant 600 000 $, ne se produisent pas souvent. Pourtant, Stéphane jouissait d’une grande autonomie à l’égard de ce projet. Pour des projets de telle envergure, les travailleurs en discutent avec Miguel et Sebastiano — il est certainement raisonnable d’en discuter avec les dirigeants. Lorsqu’il y a des discussions de famille à l’égard de la société, les décisions sont prises par consensus. Bien que Miguel et Sebastiano aient le droit de veto, ils ne l’exercent pas.

[18]  Fabio Agostino a témoigné. Il était un témoin crédible. Il a reçu sa formation en commerce, se spécialisant en finance. Il détient un baccalauréat de l’Université Concordia obtenu en 2001. Il a décrit son cheminement professionnel avant de commencer à travailler pour la société en 2015. Il a témoigné que c’est lui qui détermine son horaire journalier. Il n’y a personne qui lui dirige dans ses responsabilités et il n’y a personne qui supervise son travail. C’est à lui qu’appartiennent les décisions touchant la gérance de l’immeuble dont il est responsable. Il jouit d’une autonomie très large lorsqu’il entreprend de grands projets de rénovation ou réparation de son immeuble coûtant des milliers de dollars ; par exemple, le changement de la tuyauterie de l’immeuble qui coûtait dans la gamme de 20 000 $ à 30 000 $. Il n’est pas nécessaire de demander la permission de ses oncles. Il n’était aucunement obligé d’obtenir l’approbation de ses oncles avant d’entamer de tels projets. Les décisions de la société sont toutes prises par la famille en discutant des problèmes et en arrivant à un consensus. Ses oncles, Miguel et Sebastiano n’ont vraiment pas de véto. Son horaire de travail est variable et c’est lui qui décide quand il devrait travailler. Il n’a pas d’heures fixes. Durant la période en litige, il travaillait environ 40 à 50 heures par semaine. Cependant, il devait être disponible 24 heures sur 24, 7 jours par semaine afin de répondre aux urgences. Il n’est pas payé pour les heures supplémentaires.

[19]  Il a un cellulaire, ce qui est nécessaire pour effectuer son travail. La société paie les frais de cellulaire. Il a quatre semaines de vacances et il les prend quand il veut. Il doit seulement aviser ses cousins quand il les prend. Il n’est pas obligé de demander l’approbation de qui que ce soit pour s’absenter de son travail, mais la prudence exige qu’il en avise ses cousins. En 2015, il gagnait un salaire de 47 000 $ et aujourd’hui il est rendu à 71 500 $. Il peut avoir accès aux informations financières de la société en tout temps.

[20]  En contre-interrogatoire, il indique qu’il reçoit des appels d’urgence à n’importe quelle heure. Dans un tel cas, il s’occupe de l’urgence même s’il est en vacances hors du pays – parce qu’il s’agit d’une entreprise familiale. Depuis 2015, c’est lui qui embauche tout son personnel, soit à plein temps ou à temps partiel, comme les secrétaires ou les nettoyeurs. Il embauche aussi tous les sous-traitants lorsqu’il s’agit de rénovations ou réparations de l’immeuble. De même, il met ses employés à la porte quand il est nécessaire. Même si c’est la société qui paie les employés, c’est lui qui négocie les salaires ou contrats de rémunération.

[21]  Stéphane Agostino a aussi témoigné. Il était un témoin crédible. Il est ingénieur électrique de formation ayant obtenu son baccalauréat à l’Université Concordia en 2015. Il a commencé à travailler pour l’entreprise familiale en septembre 2007. Il occupe le poste de gestionnaire d’immeubles depuis 2015. Il exerce essentiellement le même travail que Fabio. Comme Fabio, il est bénéficiaire de la Fiducie. Il dit qu’un jour, les travailleurs vont continuer l’entreprise lorsque les oncles ne sont plus capables de le faire. La société est vraiment une entreprise familiale.

[22]  Il connaît à fond l’immeuble dont il est responsable et il sait exactement ce qu’il faut faire pour assurer la bonne gestion de cet immeuble. Il exerce une autonomie presque absolue dans la gestion de cet immeuble. C’est lui qui négocie les augmentations de loyer pour son immeuble. C’est lui, en général, qui s’occupe des cas de Régie du logement pour la société. C’est lui qui négocie tous les contrats de rénovation ou de réparation. Il n’est aucunement tenu d’obtenir l’approbation de qui que ce soit avant d’entreprendre de grands projets de rénovation ou de réparation. Il a déjà géré un très grand projet de rénovation soit remplacer les ascenseurs de l’immeuble, lequel projet coûtait environ 600 000 $. Bien entendu, il en a discuté avec son père et son oncle, ce qu’il était prudent de faire. Mais, toutes les décisions à l’égard du projet étaient les siennes. En général, les décisions à l’égard de la gestion de la société sont arrivées par consensus parmi les membres de la famille.

[23]  Stéphane n’a vraiment pas d’horaire de travail. Il travaille quand il veut selon les besoins de son poste. Il estime travailler entre 40 à 60 heures par semaine, mais il est évident qu’il ne conserve pas de registre d’heures travaillées. Comme Fabio, il doit être disponible 24 heures sur 24 et 7 jours par semaine pour répondre à des situations d’urgence. Il ne se fait pas payer pour les heures supplémentaires. Même s’il est en vacances à l’extérieur du pays, il doit gérer les affaires de l’immeuble.

[24]  En ce qui a trait à son salaire, ceci n’est pas important à lui. Il était entendu qu’il travaillerait pour la société et qu’il aurait un salaire. Il gagne le même salaire que Fabio. Assez souvent, il paie de sa propre poche les petites dépenses comme pour une prise d’électricité, car il sait que ça appartient à la famille. Il ne demande pas de remboursement bien qu’il ait le droit de le faire. Il ne reçoit pas de formation payée par la société. Il a accès aux informations financières de la société s’il le veut. Il nous dit que les autres employés ne sont pas autorisés de prendre des décisions importantes comme le peuvent les travailleurs. Stéphane n’accepterait pas de travailler selon les mêmes paramètres pour un autre employeur. Il ne calcule pas les heures supplémentaires qu’il travaille, car il travaille pour la famille. Les travailleurs s’entraident au nécessaire si l’autre n’est pas disponible.

[25]  Un seul témoin a témoigné de la part de l’intimé. Mathieu Cooper est agent des droits d’accise pour l’Agence de revenu du Canada. Dans le temps, il était agent de décision. Il recevait des demandes d’assurabilité et son rôle était de prendre connaissance du dossier et de rendre une décision à savoir si l’emploi est assurable.

[26]  Le 8 février 2018, il a reçu une demande concernant Fabio. Il a communiqué avec les parties et il a recueilli les informations qu’il jugeait nécessaires. Il a ensuite préparé un rapport qui se trouve à l’onglet 10 de la pièce I-1. En déterminant si l’emploi était assurable malgré le lien de dépendance, il a considéré les quatre critères statutaires afin de déterminer si l’emploi de Fabio était assurable. Il s’agit de : 1) la rémunération, 2) les modalités et les conditions d’emploi, 3) la durée du travail accompli, et 4) la nature et l’importance du travail.

Revenu

[27]  M. Cooper affirme que Fabio travaillait du lundi au vendredi, environ 40 heures par semaine. Son salaire était 55 000 $ en 2016. Toutes les années, il recevait une augmentation de salaire d’environ 8 %. Il a reçu une hausse de 10 000 $ pour 2017, qui représente une hausse de 18,18 %. M. Cooper est d’avis que les augmentations sont similaires aux autres employés. Miguel, Stéphane et Fabio ne sont pas d’accord avec cette prétention. D’après M. Cooper, le salaire versé est comparable à celui exercé sur le marché. Selon le site internet d’Emploi-Québec, les individus exerçant la profession d’agent de gestion immobilière gagnaient un revenu entre 15,00 $ à 32,22 $ par l’heure entre 2015 et 2017. Présumant que Fabio travaillait à la moyenne 40 heures par semaine, il gagnait l’équivalent de 31,25 $ par l’heure. Donc, selon M. Cooper, son revenu se trouve dans la gamme, mais certainement au plus haut échelon de la gamme. M. Cooper est d’avis qu’il est raisonnable de conclure que le payeur aurait offert des conditions de rémunération similaire à un employé sans lien de dépendance – Miguel, Stéphane et Fabio ne sont pas d’accord.

Modalités et conditions d’emploi

[28]  Dans son rapport, M. Cooper indique que Fabio avait un horaire de travail du lundi au vendredi et qu’il travaillait environ 40 heures par semaine selon les heures d’ouverture de l’immeuble où il travaille. Selon Miguel, Stéphane et Fabio, ceci n’est pas exact ; Fabio ne travaillait pas selon les heures d’ouverture. Fabio avait droit à trois semaines de vacances par année. Il n’avait droit à aucun bonus et il n’avait aucun bénéfice social. Il n’était pas impliqué financièrement dans la société et il ne rendait pas de service sans rémunération. M. Cooper a déterminé que les modalités d’emploi correspondent à ce que l’on retrouve chez un employeur non lié : c’est-à-dire, travail effectué sur les lieux du payeur durant les heures d’opération de la société. De plus, les responsabilités du travailleur sont proportionnelles à l’expérience acquise au fil des ans. Alors, il était raisonnable de conclure que le payeur aurait offert des conditions d’emploi similaire à un employé sans lien de dépendance. Miguel, Stéphane et Fabio ne sont pas d’accord.

La durée du travail accompli

[29]  La période d’emploi du travailleur correspondait aux besoins opérationnels du payeur. M. Cooper a déterminé que la durée du travail était raisonnable.

La nature et l’importance du travail

[30]  Les tâches et la nature du travail sont comparables à celles des autres employés de l’entreprise ; mais, je souligne que les autres gestionnaires d’immeuble à l’emploi de la société sont aussi des cousins. M. Cooper est d’avis que l’emploi du travailleur ainsi que le temps qu’il y consacre sont essentiels à la bonne marche de l’entreprise. L’emploi du travailleur existe depuis longtemps et si le travailleur ne pouvait s’acquitter de ses tâches le payeur aurait dû embaucher quelqu’un d’autre pour le remplacer. Mais, selon Miguel, la famille Agostino ne voulait que des membres de la famille et non une personne non liée dans un tel poste, car il était d’une extrême importance que la gérance des immeubles reste entre les mains de la famille. M. Cooper est d’avis que la nature du travail exécuté fait partie intégrante des activités du payeur. La nature et l’importance du travail accompli sont raisonnables.

[31]  À la suite de l’analyse de ces quatre critères, M. Cooper a déterminé que le travailleur et la société auraient conclu un contrat de travail similaire s’il n’y avait pas eu de lien de dépendance. Donc, M. Cooper a conclu que le travail était assurable en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi.

[32]  Dans le cas de Stéphane, la même analyse a été effectuée avec le même résultat. M. Harvey de l’Agence s’est occupé du dossier de Stéphane. Le rapport de M. Harvey se trouve à l’onglet 5 de la pièce I-1.

[33]  Le rapport de M. Harvey indique que Stéphane travaillait du lundi au vendredi environ 40 heures par semaine, mais pouvait au besoin être appelé à se déplacer pour des appels de service en tout temps. En 2015, Stéphane gagnait 52 000 $ et en 2016 il gagnait 55 000 $. Comme Fabio, Stéphane a reçu une hausse de salaire de 10 000 $ pour gagner 65 000 $ en 2017. Selon le Guichet‑Emploi du gouvernement du Canada, des individus exerçant la profession de directeur de l’immobilier obtenaient un salaire horaire variant entre 12,00 $ et 23,00 $ par heure ou entre 26 000 $ et 28 000 $ par année en moyenne au Québec. Stéphane est à l’emploi de la société depuis l’été 2007. Les heures d’opération sont entre 9 h et 17 h, mais il s’agit des heures du bureau administratif. Les heures de travail sont certainement différentes pour les responsables d’immeuble comme Stéphane. Stéphane n’a pas d’horaire fixe de travail. M. Harvey indique que Stéphane devrait être sur lieux de 8 h à 16 h ou 17 h, mais cela peut varier. L’horaire et en fonction des besoins du moment. Le travailleur est toujours « sur appel », car il doit être disponible en dehors de ces heures pour répondre aux urgences. Le travailleur n’est supervisé d’aucune façon. Personne ne lui donne de directives sur le travail ou les tâches à faire ; c’est lui qui prend toutes les décisions pour l’exécution du travail. Il n’a pas de comptes à rendre ou de rapports à faire aux dirigeants. Le payeur ne fait pas d’évaluation du travail de Stéphane. Stéphane peut s’absenter quand il le désire sans en informer l’entreprise et sans besoin d’être remplacé. S’il devait être absent pendant plusieurs semaines ou durant de gros travaux, l’entreprise n’engagerait pas une autre personne. Ce sont les autres responsables d’immeuble qui se partageraient le temps nécessaire pour s’occuper de son immeuble.

[34]  M. Harvey indique dans son rapport que le salaire de Stéphane est supérieur à la moyenne, mais n’est pas le maximum versé sur le marché au Québec. Durant les périodes visées, Stéphane était le mieux payé de l’entreprise à égalité avec Fabio. Stéphane avait une très grande liberté en ce qui a trait à son horaire et dans l’exécution de ces tâches et sa méthode de travail. Stéphane et Fabio recevaient des augmentations de salaire arbitraires élevées toutes les années d’environ 8 %. D’ailleurs, en 2017 ils ont reçu 18 % d’augmentation de salaire, soit 10 000 $ de plus qu’en 2016 alors que les autres ont eu leur augmentation habituelle. M. Harvey a déterminé que les modalités d’emploi ne correspondent pas à ce que l’on retrouve chez un employé non lié : c’est-à-dire que l’employé non lié serait supervisé d’une façon plus directe, soit un rapport d’activité ou suivi des dépenses, il aurait un salaire plus bas que celui du travailleur. Il n’y aurait aucune augmentation de salaire importante sans que son travail le justifie. En dépit de tout ceci, M. Harvey a déterminé que Stéphane avait un emploi assurable.

[35]  M. Cooper nous dit que le contexte familial a été pris en considération, mais, en étudiant son rapport et celui de M. Harvey, il est évident qu’ils ont pris connaissance du contexte familial, mais ils y ont accordé peu de poids. Ils se sont fiés principalement aux quatre facteurs statutaires en arrivant à leurs conclusions.

Analyse

[36]  Je commence mon analyse en déclarant premièrement que j’accepte les témoignages de Miguel, Stéphane et Fabio Agostino. Bien que M. Cooper était aussi un témoin crédible, lorsqu’il a fait sa détermination il n’avait pas à considérer l’ampleur de tous les témoignages sous serment que j’ai entendus. 

[37]  Dans l’arrêt Légaré c. Canada (M.R.N.) [1999] A.C.F. no 878 (QL), la Cour d’appel fédérale nous décrit les rôles respectifs du ministre et de la Cour canadienne de l’impôt en ce qui a trait à la question de l’assurabilité d’un travailleur ayant un lien de dépendance avec son employeur. La Cour nous instruit comme suit :

[4] La Loi confie au ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[38]  Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt a été bien expliqué par le juge en chef Richard dans l’affaire Denis c. Canada (MRN), 2004 CAF 26, où il a statué au paragraphe 5 de son jugement :

Le rôle du juge de la Cour canadienne de l’impôt dans un appel d’une détermination du ministre sur les dispositions d’exclusion contenues aux paragraphes 5 (2) et (3) de la Loi est de s’enquérir de tous les faits auprès des parties et des témoins appelés pour la première fois à s’expliquer sous serment et de se demander si la conclusion du ministre paraît toujours raisonnable. Toutefois, le juge ne doit pas substituer sa propre opinion à celle du ministre lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus.

[39]  Mon collègue, le juge Tardif reprend ce principe aux paragraphes 4 à 7 de ses motifs du jugement dans l’affaire F. Ménard inc. c. MRN, 2009 CCI 208, où il explique :

[4]  Ainsi, en présence d’un lien de dépendance, le ministre doit faire une analyse beaucoup plus complète que la simple vérification de la présence des conditions classiques, à savoir la rémunération, la prestation de travail et le lien de subordination.

[5]  En effet, il doit décider si le lien de dépendance a influencé l’exécution du travail ; en d’autres termes, l’analyse doit examiner si le travail en litige a été ou non effectué d’une manière semblable et à des conditions comparables à ce qui aurait existé dans le cas de personnes sans lien de dépendance avec l’employeur.

[6]  Il s’agit là d’affaires particulières également sous un autre aspect, puisque la jurisprudence a établi que la Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour réviser une telle décision lorsque le pouvoir discrétionnaire a été exercé correctement et légalement.

[7]  En d’autres termes, lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire s’est fait d’une manière responsable et judicieuse, que tous les faits pertinents ont été pris en compte et que la conclusion s’avère raisonnable, la Cour canadienne de l’impôt ne peut pas modifier la décision, même si la Cour ne souscrit pas nécessairement à la conclusion retenue.

[40]  Le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire. Dans un tel cas, la Cour canadienne de l’impôt doit faire preuve de retenue judiciaire à l’égard de la décision du ministre. La personne qui souhaite contester la décision du ministre devra donc démontrer que ce pouvoir fut exercé d’une manière déraisonnable : Pérusse c. Canada [2000] CanLII 15136 (C.A.F.). Selon la Cour d’appel fédérale, la Cour canadienne de l’impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en examinant le bien-fondé de cette décision lorsqu’il est établi, selon le cas, que le ministre (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobil illicite ; (ii) n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, ou (iii) a tenu compte d’un facteur non pertinent : voir Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. (C.A.), [1997] A.C.F. no 876 (QL).

[41]  C’est avec ces principes à l’esprit que j’aborde la question de l’assurabilité des travailleurs.

[42]  L’appelante soutient que les emplois des travailleurs sont exclus des emplois assurables en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi et que l’alinéa 5(3)b) de la Loi ne s’applique pas. L’appelante soutient que ;

a.  le ministre a mal perçu certains faits, en s’appuyant sur des facteurs non pertinents, inexacts ou ambigus ; et

b.  le ministre a omis de considérer des faits pertinents, notamment tout le contexte de l’historique familial.

[43]  L’appelante affirme que le ministre a mal perçu certains faits présumés dans la Réponse à l’avis d’appel en arrivant à ses déterminations. Me Kupracz, de la part de l’Appelante, a dressé une liste de fait erronée dans la Réponse lesquels sont énumérés dans son Plan d’Argumentation :

a.  Par. 15b « Les heures d’ouverture de l’appelante étaient du lundi au vendredi, de 8 h à 16 h » -- en réalité, les travailleurs n’avaient aucun horaire fixe et ils travaillaient quand et comme ils voulaient ;

b.  Par. 15e « Miguel et Sebastiano prenaient les décisions importantes pour l’appelante » -- en réalité toutes les décisions prises par la société étaient le résultat de consensus. Je conclus que les travailleurs participaient activement dans toutes les décisions prises par la société. Bien que Miguel et Sebastiano aient droit de veto, ils ne l’exerçaient pas.

c.  Par 15k pour Stéphane et Par. 15l pour Fabio « le travailleur a reçu une formation payée par l’Appelante » -- les témoignages de Miguel Stéphane et Fabio indiquent le contraire

d.  « l’horaire du travailleur était du lundi au vendredi, de 8 h à 16 heures (pour Stéphane) et de 7 h 30 à 16 h (pour Fabio) » (Par. 15k pour Stéphane et Par. 15l pour Fabio) -- les travailleurs n’avaient aucun horaire de travail. Leur travail se faisait en fonction des besoins la société et de l’immeuble pour lequel ils étaient responsables.

e.  « Le travailleur devait consulter et obtenir la permission de l’appelante lorsqu’il s’agissait de projets de grande envergure » (Par. 15x pour Stéphane et Par.15y pour Fabio) -- bien qu’il y avait des discussions parmi les membres de la famille, les travailleurs n’avaient pas besoin de permission avant d’entamer de grands projets. Le changement des ascenseurs, ce qui coûtait environ 600 000 $ dans l’immeuble de Stéphane, et la rénovation ou réparation de la tuyauterie dans l’immeuble de Fabio, ce qui coûtait entre 20 000 $ et 30 000 $ sont des exemples

f.  « le travailleur devait aviser l’appelante en cas d’absence » (Par. 15y pour Stéphane et Par. 15z pour Fabio) -- les témoignages de Miguel, Stéphane et Fabio indiquent le contraire

g.  « il n’y a pas de différence majeure dans les conditions de travail des autres employés de l’appelante faisant un travail similaire à celui du travailleur » (Par. 15dd pour Stéphane et Par. 15ee pour Fabio) -- les autres employés de l’appelante faisant un travail similaire ne jouissent pas de la même autonomie que les travailleurs. De plus, il y a beaucoup d’autres différences entre les modalités de travail des travailleurs des autres employés que j’ai déjà discutés.

[44]  Ces erreurs ne sont pas les plus sérieuses. Cependant, l’effet cumulatif des erreurs porte atteint au caractère raisonnable des décisions du ministre.

[45]  De plus, je conclus que le ministre n’a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes et a mal perçu certains faits en considérant les critères prévus à l’alinéa 5(3)b) de la Loi. En ce qui a trait aux critères statutaires, je souligne les observations suivantes.

[46]  Le salaire versé par la société aux travailleurs est un bon salaire. Mais il ne tient pas compte de la disponibilité constante des travailleurs ; 24 heures sur 24 et 7 jours par semaine, même en vacances. Les nombreuses heures supplémentaires travaillées par les travailleurs ne sont pas comptabilisées ni rémunérées. Selon la société, sans le lien de dépendance la société ne paierait pas un si bon salaire. Sans le lien de dépendance, les travailleurs ne dévoueraient pas leurs heures de loisir, leurs fins de semaine et leurs vacances à l’entreprise. De ceci, Miguel, Stéphane et Fabio en sont certains.

[47]  Les travailleurs travaillent au sein de la société depuis 2015. Ils ont décidé de se dévouer à l’entreprise familiale et donc, ils jouissent d’une sécurité d’emploi extraordinaire à cause du lien familial. Ils sont certains de travailler pour la société longtemps, possiblement jusqu’à leur retraite, car ils prendront la relève de Miguel et Sebastiano. Il exerce leurs fonctions en toute autonomie et ne consulte pas les actionnaires. Ils jouissent d’une entière discrétion dans l’exécution des travaux entrepris dans la gestion de leur immeuble et leurs locataires. Ils n’ont aucun compte à rendre à la société et ils n’ont aucun horaire fixe. Les travailleurs participent activement aux décisions prises par la société, de même que les actionnaires. Ils ont accès aux informations financières de la société –  ce qu’un employé sans lien n’aurait jamais à moins qu’il soit comptable. La rentabilité de l’entreprise de la société est au cœur des préoccupations des travailleurs du fait qu’ils sont bénéficiaires de la Fiducie et qu’ils sont destinés à prendre la direction de l’entreprise familiale au moment de la retraite des dirigeants et administrateurs.

[48]  En réalité, le contrat d’emploi a été conclu en raison de l’existence du lien familial qui les unit et pour cette seule raison. La société accorde une très grande confiance aux travailleurs ce qu’elle ne ferait pas avec une personne non liée. Selon Miguel, la société accorde une importance extrême au fait qu’un membre de la famille soit gérant d’immeubles et il est évident que seulement un membre de la famille puisse devenir gérant d’immeubles.

[49]  Ayant considéré l’ensemble de la preuve ainsi que les quatre critères statutaires, j’arrive à la conclusion que l’intimé est tombé en erreur en faisant abstraction presque complète du contexte familial entourant l’emploi des travailleurs. Le contexte familial est un facteur extrêmement important pour la société et pour les travailleurs. Le ministre a accordé très peu de poids à ce facteur. Les liens familiaux sont la raison pour laquelle les travailleurs ont été embauchés et ont été accordés une si grande autonomie. La société existe pour la famille et le travail des travailleurs, ainsi que leurs intérêts financiers, sont inextricablement liés aux intérêts financiers de la société. À la page six de son rapport, M. Harvey indique le suivant :

Le payeur indique qu’une personne non liée n’aurait pas les mêmes conditions que le travailleur. La personne serait supervisée d’une certaine façon, soit un rapport d’activité ou un suivi des dépenses. Il aurait un salaire plus bas que celui du travailleur, possiblement plus bas que les autres responsables d’immeubles. Il serait surement payé un salaire horaire. Il n’aurait surement pas d’augmentation de salaire importantes sans que son travail le justifie.

Donc il est clairement évident que la société n’aurait jamais conclu un contrat d’emploi similaire avec une personne non liée.

[50]  Dans l’affaire Dumais c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 301, le juge Létourneau de la Cour d’appel fédérale nous explique le but de l’alinéa 5(2) i) de la Loi au paragraphe 25 de ses motifs du jugement :

Un des objectifs, indéniable et certes louable, de la disposition est donc d’offrir au système d’assurance-emploi une protection contre des demandes de paiement de prestations fondées sur des artifices, des contrats d’emploi fictifs ou des contrats d’emploi réel, mais aux conditions fictives ou farfelues : […] C’est dans cette perspective que se situe la problématique du travail qu’on allègue être bénévole et qui est accompli alors que son auteur reçoit des prestations d’assurance-emploi.

[51]  En l’espèce, il n’y a pas question que les travailleurs présentent une demande de paiement de prestations fondées sur des artifices, des contrats d’emploi fictifs ou des contrats d’emploi réel, mais aux conditions fictives ou farfelues. En vérité, c’est le contraire. Les travailleurs occupent un emploi réel et à plein temps. Ils ont une sécurité d’emploi extraordinaire au sein de l’entreprise familiale et il n’y a aucun risque de se faire congédier ou mis à la porte. J’anticipe qu’ils ne vont jamais se trouver dans une situation où ils auront le besoin de faire une demande de prestations, car ils sont bénéficiaires de la Fiducie et, à ce titre, ils sont destinés à devenir les actionnaires et dirigeants de la société. Un travailleur sans lien de dépendance n’aurait aucun espoir de devenir un actionnaire à moins qu’il investisse une somme capitale importante dans l’entreprise.

[52]  Je conclus que le ministre a complètement ignoré ce fait très important. Ayant considéré les actes de procédure, l’ensemble de la preuve ainsi que les représentations faites par les parties, je suis d’avis que les décisions du ministre ne sont pas raisonnables en l’espèce. Je suis d’avis qu’en décidant comme il a fait, le ministre a mal perçu certains faits et il a également omis de tenir compte de faits pertinents. À la lumière de toute la preuve versée au dossier, le ministre n’aurait dû pas rendre les décisions qu’il a rendues. Ces décisions ne sont pas raisonnables, eu égard à toutes les circonstances. Par conséquent, les décisions prises par le ministre déclarant assurables les emplois de Stéphane Agostino et Fabio Agostino sont annulées. Je déclare que les emplois de ces derniers ne sont pas des emplois assurables.

[53]  Les appels sont donc accueillis.

Signé à Kingston, Ontario, ce 14e jour de janvier 2020.

« Rommel G. Masse »

juge suppléant Masse

 


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 3

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-780(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ENTREPRISE AGOSTINO INC. ET M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 8 octobre 2019

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable Rommel G. Masse, juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 janvier 2020

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelant :

Me Kathy Kupracz

Avocat de l'intimé :

Me Julien Dubé-Senécal

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant:

Nom :

Me Kathy Kupracz

Cabinet :

Cain Lamarre

Montréal (Québec)

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.