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Dossier : 2016-4286(GST)G

ENTRE :

FRANK-FORT CONSTRUCTION INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 23 et 24 mai et le 5 septembre 2019,
à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions les 23 et 24 mai 2019:

Avocats de l’appelante :

Me Laurent Tessier

Me Catherine L’Espérance

Avocat de l’intimée :

Me Jean-Philippe Verreau

Comparutions le 5 septembre 2019:

Avocat de l’appelante :

Me Laurent Tessier

Avocat de l’intimée :

Me Olivier Charbonneau-Saulnier

 

JUGEMENT

  L’appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 27 octobre 2015, pour la période s’étendant du 1er août 2011 au 31 mai 2014 est accueilli, avec frais en faveur de l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de janvier 2020.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


Référence : 2020 CCI 6

Date : 20200121

Dossier : 2016-4286(GST)G

ENTRE :

FRANK-FORT CONSTRUCTION INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D’Auray

I. Contexte

[1]  Durant les périodes en litige, soit du 1er août 2011 au 31 mai 2014, la principale activité de Frank-Fort Construction inc. (« Frank-Fort ») est la construction d’immeubles d’habitation neufs (« immeubles »).

[2]  Dans sa déclaration de TPS, Frank-Fort a omis de déclarer et de remettre la TPS relativement à deux ventes d’immeubles effectuées en novembre 2011.

[3]  Frank-Fort ne conteste pas qu’elle devait déclarer et remettre la TPS relative aux ventes de ces immeubles en novembre 2011. Cependant, elle conteste la pénalité qui a été imposée en vertu de l’article 285 de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA ») [1] .

[4]  Frank-Fort fait valoir que les exigences de l’article 285 de la LTA ne sont pas satisfaites, car les omissions n’ont pas été faites sciemment ou dans des circonstances équivalent à une faute lourde. Pour sa part, l’intimée fait valoir que la cotisation est valide et qu’elle a établi qu’il y avait eu ignorance volontaire de la part de Frank-Fort et/ou faute lourde.

II. Question en litige

[5]  Est-ce que le ministre du Revenu du Québec (le « ministre »), pour le compte du ministre du Revenu national, était justifié d’imposer la pénalité selon l’article 285 de la LTA?

III. Faits

[6]  M. Fernandes est le seul employé, actionnaire et administrateur de Frank‑Fort.

[7]  Alors qu’il est à l’emploi de Bombardier inc., M. Fernandes commence à acheter des terrains vacants. Il obtient également une licence d’entrepreneur auprès de la Régie du bâtiment du Québec.

[8]  En 2006, soit à l’âge de 25 ans, M. Fernandes incorpore Frank-Fort. À cette époque, la principale activité de Frank-Fort est la construction d’immeubles. M. Fernandes n’avait jamais travaillé dans le domaine de la construction.

[9]  Avec le profit de la vente d’immeubles, M. Fernandes achète d’autres terrains. Durant la période du 1er mai 2008 au 31 mai 2014, Frank-Fort a vendu 86 immeubles. Frank-Fort n’a jamais eu d’employés, toute la construction des immeubles est donnée par Frank-Fort en sous-traitance.

[10]  M. Fernandes a témoigné qu’il détient un diplôme d’études secondaires et qu’il n’a aucune connaissance ni aucune expérience relative à la comptabilité ou à la fiscalité. Pour pallier à cette situation, M. Fernandes retient les services de Centria Commerce (« Centria ») et d’un cabinet de comptables professionnels agréés (« CPA »).

[11]  Centria gère toute la facturation relative à la construction des immeubles. Les fonds prêtés à Frank-Fort par la Banque Laurentienne sont déposés par cette dernière dans un compte bancaire. Seule Centria a accès à ce compte bancaire. Centria s’occupe de payer les factures reçues des sous-traitants dans un délai prédéterminé. En utilisant Centria, les sous-traitants sont assurés d’être payés, ce qui élimine la possibilité que les immeubles construits pas Frank-Fort soient grevés par des hypothèques légales. La majorité des transactions pour les opérations de Frank-Fort est donc comptabilisée par Centria.

[12]  M. Fernandes décide d’utiliser un cabinet de CPA. À cet effet, dès la constitution de Frank-Fort en 2006, M. Fernandes mandate le cabinet Campeau Vinet [2] , plus particulièrement M. Laurent Campeau, CPA. Le mandat de M. Campeau est d’effectuer toute la comptabilité de Frank-Fort, soit la tenue de livres, incluant les conciliations bancaires, l’inscription des transactions dans le grand livre, la préparation des déclarations de TPS mensuelles ou trimestrielles et des déclarations de revenus ainsi que la préparation des états financiers-mission d’examen.

[13]  M. Fernandes a témoigné qu’il a décidé « de donner toute la comptabilité de A à Z à des CPA ». Frank-Fort aurait pu embaucher un teneur de livres à l’interne, cependant, M. Fernandes a indiqué qu’il a préféré mandater un cabinet de CPA afin de s’assurer que la comptabilité et les déclarations (TPS et revenus) de Frank-Fort soient faites en bonne et due forme et conformément aux lois fiscales. N’ayant aucune notion comptable, il a indiqué qu’il faisait entièrement confiance à l’équipe de professionnels du cabinet de CPA, Campeau Vinet.

[14]  M. Fernandes a indiqué qu’en choisissant de payer Centria pour la gestion de la facturation et un CPA, il s’assurait que la comptabilité de Frank-Fort soit conforme à la loi. Ainsi, M. Fernandes pouvait se concentrer sur son domaine d’expertise, soit la supervision des chantiers de construction.

[15]  Au cours des années, Frank-Fort fait l’objet de plusieurs vérifications. La vérification 50 révèle que Frank-Fort a omis de déclarer deux ventes d’immeubles durant la période du 01-08-2009 au 31-10-2009. Deux omissions de vente d’immeubles sont aussi constatées lors de la vérification 60 relativement à la période du 01-11-2009 au 31‑07‑2010. La troisième vérification, soit la vérification 80 couvrant la période du 01-02-2008 au 31-07-2011 révèle que Frank-Fort a omis de déclarer dix ventes d’immeubles. Il est à noter que Frank‑Fort n’a jamais été imposée pour des pénalités en vertu de la LTA. Les pénalités qui ont été imposées sont celles relatives à la TVQ, soit l’article 59.2 de la Loi sur l’administration fiscale (« LAF ») [3] .

[16]  La vérification relative à l’appel en l’espèce est la vérification 130. Cette vérification couvre la période du 01-08-2011 au 31-05-2014. Cette dernière révèle que Frank-Fort a omis de déclarer et de remettre la TPS et la TVQ à l’égard de deux ventes d’immeubles. L’adresse civique de ces immeubles est le 56-56A, rue Rodrigue, Ste-Sophie et le 451, Montée de l’Église, Saint‑Colomban. La TPS non déclarée et non remise est de 9 880,90 $ et de 11 537,89 $ respectivement. À cet égard, les avis de cotisation sont en date du mois d’octobre 2015.

[17]  Il ressort de la preuve que de 2006 à ce jour, Frank-Fort a mandaté trois cabinets de CPA. Le mandat donné aux différents CPA était toujours le même; tenue de livres complète, comptabilité, déclarations de TPS et de revenus et préparation des états financiers-mission d’examen.

[18]  Laurent Campeau, CPA chez Campeau Vinet, est responsable du dossier de Frank-Fort dès sa constitution en 2006 jusqu’à environ avril 2011. À la lumière de la vérification 80 où plusieurs omissions ont été constatées, Frank‑Fort mandate Gilles Charest, également CPA. Cependant, M. Charest a de la difficulté à obtenir les documents du cabinet Campeau Vinet. À cette époque, la vérification 80 était en cours; il était sûrement difficile pour M. Charest d’expliquer pourquoi des omissions avaient eu lieu sous la gouverne de M. Campeau.

[19]  M. Fernandes a témoigné qu’à l’époque Luc Vinet, CPA, également du cabinet Campeau Vinet, l’a convaincu de le mandater. Par conséquent, le mandat de M. Charest a été court, soit environ du mois d’avril 2011 au mois de novembre 2011. M. Vinet est mandaté par M. Fernandes en novembre 2011.

[20]  Selon M. Fernandes, M. Vinet se faisait très rassurant à l’égard de la vérification 80. De plus, selon M. Fernandes, M. Vinet s’était engagé à donner une attention particulière aux affaires de Frank-Fort. Bien qu’un avis d’opposition ait été présenté au ministre en ce qui a trait à la vérification 80 à l’égard de la TVQ, Frank-Fort n’a pas porté la décision en appel. Selon M. Fernandes, il était préférable de payer les pénalités selon l’article 59.2 de la LAF, car les montants n’étaient pas élevés. De plus, cette période correspondait à une période très occupée en construction, il valait mieux passer du temps sur les chantiers de construction. En février 2013, Frank-Fort voulait prendre une nouvelle direction. M. Fernandes a décidé qu’il était dans l’intérêt de Frank-Fort de quitter Campeau Vinet et de mandater Antoine Crochetière, CPA. Depuis que Frank-Fort est sous la gouverne de M. Crochetière, il n’y a eu aucune omission dans les ventes d’immeubles.

[21]  Les omissions relatives à l’appel en l’espèce, soit pour les deux ventes d’immeubles effectuées par Frank-Fort en novembre 2011, ont eu lieu sous la gouverne du cabinet Campeau Vinet, M. Vinet étant le CPA responsable du dossier Frank-Fort. La déclaration de TPS de Frank-Fort a été déposée en retard soit le 14 juin 2012.

[22]  M. Fernandes a témoigné qu’il assistait M. Vinet en préparant un dossier qu’il apportait au cabinet comptable. Ce dossier incluait le bordereau de chèque de la vente de l’immeuble d’habitation, la copie originale de l’acte de vente de l’immeuble, l’état des déboursés préparés par le notaire, les relevés bancaires (pour permettre la conciliation bancaire). De plus, M. Fernandes a témoigné qu’il préparait un document indiquant les ventes mensuelles ou les ventes trimestrielles, dépendamment si les déclarations de TPS devaient être produites mensuellement ou trimestriellement. De plus, le cabinet comptable avait accès aux données de Centria. Selon M. Fernandes, les actes notariés pour les ventes d’immeubles de novembre 2011 ont été remis au cabinet comptable.

[23]  Pour sa part, M. Vinet a témoigné que lors de la préparation des déclarations de TPS en 2012, les ventes effectuées par Frank-Fort en novembre 2011 n’avaient pas été déclarées, car selon lui « il n’avait pas eu ou pas vu les actes notariés ».

[24]  Mme Bourque est la directrice principale, Gestion administrative et suivi des prêts immobiliers chez Sierra Financement Privé, qui opérait auparavant sous le nom de Centria Commerce. Lors de son témoignage, elle a expliqué le fonctionnement de Centria avec l’institution financière prêteuse et les sous‑traitants. Mme Bourque a indiqué que l’institution financière, en l’espèce la Banque Laurentienne, confiait l’entièreté de la gestion du prêt à Centria. À mesure que les factures étaient reçues des sous-traitants et des fournisseurs, Centria les payait. Seulement Centria avait accès au compte bancaire.

[25]  Mme Bourque a aussi expliqué que Centria tenait un historique à jour spécifique de chaque immeuble construit par Frank-Fort. L’historique affichait toutes les avances effectuées par l’institution financière et toutes les factures payées aux sous-traitants. Les données de Centria affichaient également la date de la vente de l’immeuble, le nom de l’acheteur et le montant payé par l’acheteur pour l’immeuble.

IV. Analyse

[26]  En l’espèce, l’appelante fait valoir qu’elle a mis tout en œuvre afin que des omissions dans les ventes d’immeubles ne se produisent pas. Sachant qu’elle n’avait aucune connaissance en comptabilité ou en fiscalité, elle a mandaté un CPA pour que sa comptabilité, ses états financiers et ses déclarations de TPS, TVQ et de revenus soient faits conformément aux lois fiscales. À cet effet, elle remettait à l’équipe de M. Vinet un dossier contenant toute l’information nécessaire, soit l’acte de vente notarié, les comptes de déboursés préparés par le notaire, les relevés bancaires et une feuille sommaire décrivant les transactions de ventes. M. Fernandes a indiqué avoir remis les actes notariés à l’équipe comptable. De plus, M. Vinet et son équipe avaient un accès informatique à toutes les données inscrites par Centria, incluant les ventes d’immeubles. Ainsi, Frank‑Fort fait valoir qu’elle ne pouvait faire davantage, et qu’elle ne devrait pas être pénalisée pour la négligence de son comptable.

[27]  Pour sa part, M. Vinet fait valoir que si les actes notariés avaient été remis à son équipe chargée de la tenue de livres, les ventes auraient été déclarées.

[28]  Les témoignages de M. Fernandes et M. Vinet quant à la remise des actes de vente notariés sont contradictoires. Je retiens la version de M. Fernandes. Lors de l’audience, le témoignage de M. Fernandes était crédible et sa version des faits constante. Quant à M. Vinet, il évitait de répondre aux questions, il était hostile et il a admis du bout des lèvres que les écritures comptables faites dans le dossier de Frank-Fort ne cadraient pas avec les faits. Par exemple, il aurait été facile de constater que les ventes des deux immeubles avaient eu lieu en novembre 2011. Ces ventes étaient facilement repérables dans les données de Centria, si effectivement les actes notariés n’étaient pas au dossier. Lors du dépôt de la déclaration de TPS en juin 2012, M. Vinet et son équipe avaient accès aux données informatiques de Centria. Les registres de Centria qui ont été déposés en preuve indiquent les ventes d’immeubles effectuées par Frank-Fort en novembre 2011.

[29]  Il ressort de la preuve que le travail de tenue de livres de Frank-Fort était effectué par Mme Marylise Turcotte. Cette dernière était responsable d’inscrire les transactions dans les registres comptables. Mme Turcotte était aussi responsable de la conciliation bancaire et de la préparation des déclarations de TPS. Lors de son témoignage, M. Vinet a noté qu’il y avait des dépôts en novembre 2011, avec la notation DGA (dépôt guichet automatique) au compte Desjardins de Frank-Fort. Malgré la notation DGA, les dépôts, qui représentaient les profits des deux immeubles vendus en novembre 2011, ont été inscrits dans les livres comptables de Frank-Fort à titre d’avance hypothécaire. Difficile de comprendre pourquoi. Premièrement, des avances hypothécaires ne sont pas déposées par une institution financière par voie de guichet automatique. De plus, en l’espèce, les avances hypothécaires étaient gérées par Centria. Également, les prêts hypothécaires provenaient de la Banque Laurentienne et non pas de Desjardins.

[30]  Les écritures comptables étant erronées; les ventes des deux immeubles en litige n’ont pas été déclarées et la TPS sur ces immeubles n’a pas été remise. Les déclarations de TPS étaient préparées et signées par Mme Turcotte. Les déclarations de TPS ont été transmises aux autorités fiscales par le cabinet comptable Campeau Vinet.

[31]  En 2013, M. Vinet s’est aperçu qu’il y avait des erreurs dans les écritures comptables et qu’elles devaient être modifiées. À cette époque, il aurait pu modifier la déclaration de TPS afin de refléter les ventes non déclarées, mais M. Vinet a choisi de renverser l’écriture et mettre à zéro les travaux en cours et l’avance hypothécaire. D’ailleurs, à cet effet, il a témoigné que les écritures comptables n’avaient pas été faites correctement :

M. VINET : La dette reste au passif. Les coûts accumulés pour le projet font partie de l’ensemble des travaux en cours aux états financiers. Donc c’est un actif - c’est des stocks qui sont là.

On sort l’état financier l’année subséquente. On passe les travaux en cours. Si l’administrateur me dit : “Non, non. Cette maison-là, c’est réglé. T’as pu d’affaire à avoir de solde.” Ben on va le sortir comme ça.

Je vous dis pas que ç’a été fait correctement. Il aurait fallu comptabiliser la vente...

ME TESSIER : Non, mais...

M. VINET : ... mais selon moi elle a pas été comptabilisée…

ME TESSIER : maintenant. Donc moi ma question - je vais la reposer. C’est à partir du moment que vous vous rendez compte qu’elle aurait dû être comptabilisée en 2012, pourquoi est-ce que vous avez pas modifié l’exercice financier 2012 correctement?

M. VINET : Parce que si on n’a pas vu l’acte de vente, on peut pas le comptabiliser comme vente. Je vous dis pas que c’est correct.

[Mes soulignements.]

[32]  M. Vinet n’a pas avisé M. Fernandes à propos de ces écritures comptables et de la correction qu’il a faite en 2013. M. Fernandes a appris qu’il y avait eu des omissions relativement à deux ventes effectuées en novembre 2011 par Frank-Fort, lors de la vérification fiscale 130 en 2015.

[33]  En l’espèce, l’intimée doit établir, selon la prépondérance des probabilités, les faits qui justifient l’imposition de la pénalité en vertu de l’article 285 de la LTA. Frank-Fort a admis l’omission, l’intimée doit établir que cette omission a été faite par Frank-Fort sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

[34]  Dans la décision Bradshaw c La Reine [4] , j’ai fait référence à la décision de la Cour d’appel fédérale dans Wynter c La Reine [5] . La décision Wynter nous enseigne comment interpréter le paragraphe 163(2) de Loi de l’impôt sur le revenu (« LIR »). Tout comme l’article 285 de la LTA qui s’applique en l’espèce, le paragraphe 163(2) permet au ministre d’imposer des pénalités. Le langage utilisé dans les deux dispositions est le même. Ainsi, les interprétations données relatives au paragraphe 163(2) de la LIR par la Cour d’appel fédérale servent également à interpréter l’article 285 de LTA. À cet effet, dans Bradshaw, j’ai énoncé ce qui suit :

[40] Dans l’arrêt Wynter c la Reine, le juge Rennie, dans une décision unanime de la Cour d’appel fédérale, a déclaré ce qui suit sur le sens à donner aux termes « sciemment » et « faute lourde » utilisés au paragraphe 163(2) de la Loi : 

[11] Lorsque le législateur utilise d’autres termes, il est présumé avoir eu l’intention de prêter des sens différents à ces termes. En d’autres mots, le législateur ne se répète pas : voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law Inc., 2016), à la page 43. L’article 163 permet l’imposition de pénalités dans les cas où le contribuable a connaissance des faits ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. L’article n’est pas conjonctif, et ces deux termes sont présumés avoir un sens et une teneur différents. 

[12] La distinction entre la faute lourde — établie par une appréciation objective du comportement du contribuable — et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») — établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable — ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction. 

[41] Le juge Rennie explique que l’on considère qu’un contribuable a agi « sciemment » non seulement lorsqu’il a réellement l’intention de faire un faux énoncé, mais également lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Dans ces circonstances, le principe de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : 

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII), aux paragraphes 23 et 24, [2010] 1 R.C.S. 411 (Briscoe); Sansregret, au paragraphe 24. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : Briscoe, au paragraphe 21. L’ignorance volontaire est la doctrine ou le mécanisme par lequel l’élément de connaissance requis aux termes du paragraphe 163(2) est établi.

[...] 

[16] En somme, le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commandent de se renseigner sur sa situation fiscale, décide de ne pas le faire. L’élément de connaissance est établi par la décision du contribuable de ne pas se renseigner, et non par la conclusion d’une intention de tromper.

[17] Bien que la preuve, par exemple, de l’intention réelle de faire un faux énoncé suffirait à satisfaire à l’exigence que la personne doit avoir agi « sciemment » aux termes du paragraphe 163(2), l’exigence que l’intention de tromper soit prouvée pour établir l’ignorance volontaire ne trouve pas appui dans la jurisprudence bien établie selon laquelle l’ignorance volontaire repose sur la conclusion selon laquelle le contribuable a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante. L’élément factuel essentiel consiste en une conclusion d’« ignorance délibérée », étant donné que cette expression « suggère l’idée d’[traduction] “un processus réel de suppression des soupçons” » : Briscoe, au paragraphe 24. J’ajouterais que, dans le contexte du paragraphe 163(2), les renvois à l’« intention de tromper » créent une distraction. L’élément essentiel de l’infraction visée au paragraphe 163(2) consiste à faire un faux énoncé, sachant (réellement ou implicitement, c’est-à-dire par ignorance volontaire) qu’il est faux. 

[42] Comme l’affirme le juge Rennie dans l’arrêt Wynter, le critère de la « faute lourde » se distingue de celui de « l’ignorance volontaire ». La faute lourde se manifeste lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre d’un contribuable raisonnable. En termes simples, alors que le contribuable agissant par ignorance volontaire savait qu’il devait faire mieux, le contribuable coupable d’une faute lourde aurait dû le savoir.

[35]  Les parties ont aussi cité plusieurs décisions dans lesquelles les contribuables ont soulevé la faute du comptable relativement à l’omission ou à la fausse représentation. Je ne vais pas analyser individuellement toutes ces décisions. Il ressort de ces décisions que la faute d’un comptable n’exonérera pas automatiquement un contribuable de l’imposition des pénalités en vertu de l’article 285 de la LTA. Chaque dossier doit être analysé en vertu de sa propre trame factuelle. Le comportement du contribuable doit nécessairement être pris en compte.

[36]  Je suis d’avis que Frank-Fort ne savait pas et ne pouvait pas savoir qu’il y avait eu des omissions dans sa déclaration de TPS. Il n’est pas question en l’espèce d’ignorance volontaire. M. Fernandes connaissait ses limites. Ce dernier a indiqué ne rien connaître à la comptabilité et à la fiscalité, son expertise était la supervision de chantiers. Il avait choisi de payer Centria. Cette dernière gérait les avances hypothécaires et effectuait les paiements à l’égard des sous-traitants. Ainsi, Frank-Fort n’avait pas à se soucier d’effectuer les paiements aux sous‑traitants, tout était en bonne et due forme. De plus, les institutions financières aimaient cette façon de procéder, car cela évitait que des immeubles soient grevés d’hypothèques légales. M. Fernandes consultait Centria sur une base régulière. La base de données lui permettait de constater les paiements effectués aux sous-traitants par Centria.

[37]  M. Fernandes a aussi embauché, dès la constitution de Frank-Fort, un cabinet de CPA, Campeau Vinet. À cet effet, Centria facilitait grandement le travail de tenue de livres que devait effectuer le cabinet Campeau Vinet. À la suite des omissions relativement à la vente de maisons dans les déclarations de TPS précédentes, M. Fernandes a décidé de changer de cabinet de comptables, mais il a été convaincu par M. Vinet de mandater à nouveau Campeau Vinet. M. Vinet l’avait assuré que ce dernier agirait autrement et qu’il donnerait une attention particulière aux affaires de Frank-Fort.

[38]  Cela étant dit, M. Fernandes ne s’est pas seulement contenté de mandater M. Vinet. Il a tout mis en œuvre pour que ses déclarations de TPS soient conformes à la LTA. M. Vinet avait un accès informatique à toutes les données de Centria, dont les ventes effectuées par Frank-Fort. De plus, M. Fernandes remettait à M. Vinet ou à Mme Turcotte, dans un dossier, tous les documents nécessaires pour que sa tenue de livres et ses déclarations de TPS soient conformes aux lois fiscales. Ces documents incluaient notamment, les actes de vente notariés, les déboursés du notaire, les comptes bancaires, ainsi qu’un document affichant les transactions. Tel que je l’ai déjà énoncé, je n’ai aucune raison de mettre en doute le témoignage de M. Fernandes.

[39]  De plus, M. Vinet s’est aperçu en 2013 que les écritures comptables ne cadraient pas avec les faits, dont les ventes. Il n’a pas avisé M. Fernandes, il ne lui a pas posé de questions et ne semble pas avoir consulté les données de Centria. Il a plutôt décidé de mettre à zéro les avances hypothécaires et les travaux en cours. Quand l’avocat de l’intimée a demandé à M. Vinet, si M. Fernandes aurait pu faire quelque chose qui aurait permis à Frank-Fort d’éviter les omissions, ce dernier a répondu par la négative. De plus, les déclarations de TPS étaient préparées et signées par Mme Turcotte de Campeau Vinet. Les déclarations de TPS étaient transmises directement aux autorités fiscales. M. Fernandes a appris lors de la vérification en 2015, que deux ventes d’immeubles n’avaient pas été déclarées.

[40]  En l’espèce, les circonstances ne sont pas celles décrites dans les décisions Wynter ou Bradshaw où les contribuables réclamaient des pertes d’entreprise fictives, alors qu’ils n’opéraient pas d’entreprises. M. Fernandes pour Frank-Fort n’a pas fait preuve d’ignorance volontaire, il n’a pas refusé de connaître la vérité. Eu égard à son éducation, son manque de connaissance de la fiscalité, il a tout mis en œuvre pour que ses déclarations de TPS soient conformes à la LTA.

[41]  Je suis aussi d’avis que les circonstances en l’espèce ne démontrent pas qu’il y a eu négligence correspondant à une faute lourde. Alors que l’ignorance volontaire est un critère subjectif, la norme de la faute lourde est un critère objectif. Pour établir qu’il y a eu faute lourde, il faut tenir compte de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Par conséquent, les qualités personnelles du contribuable ne doivent pas être prises en compte.

[42]  La décision de principe sur ce qu’est la faute lourde est la décision de la Cour fédérale Venne c Canada [6] . Le juge Strayer a décrit ce en quoi consiste la faute lourde dans les termes suivants :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[43]  Il ressort du témoignage de M. Fernandes qu’il a tout mis en œuvre pour que les obligations fiscales de Frank-Fort soient satisfaites. À mon avis, c’est le comportement d’une personne qui agit raisonnablement.

[44]  Cela étant dit, M. Fernandes savait qu’il y avait eu des omissions relativement à des ventes d’immeubles dans les périodes de déclaration de TPS précédentes. À cet effet, le ministre a établi des cotisations en vertu de l’article 59.2 de la LAF; ces cotisations auraient dû soulever des drapeaux rouges. Cependant, l’intimée n’a pas expliqué les circonstances entourant les omissions dans les dossiers de vérification antérieures. De plus, il ressort de la preuve que M. Vinet a minimisé l’impact de ces cotisations auprès de M. Fernandes. Les pénalités en vertu de l’article 59.2 de la LAF ne sont pas équivalentes aux pénalités de l’article 285 de la LTA. De plus, M. Vinet a rassuré M. Fernandes qu’il allait s’occuper des affaires comptables de Frank-Fort. M. Fernandes avait non seulement retenu les services de Centria et de M. Vinet, il s’était assuré de mettre en œuvre un système qui permettait de comptabiliser les ventes effectuées par Frank-Fort en donnant toutes les informations nécessaires à son comptable. De plus, M. Fernandes avait donné accès à M. Vinet et à son équipe aux données informatiques de Centria, lesquelles comprenaient les ventes. M. Vinet avait toutes les informations nécessaires pour préparer les déclarations de TPS conformément aux lois fiscales.

[45]  Il est clair que la pénalité selon l’article 285 de la LTA ne sera maintenue que dans les cas les plus clairs. En l’espèce, les déclarations de TPS ont été préparées et signées par Mme Turcotte et semblent avoir été transmises aux autorités fiscales sans que ces déclarations soient révisées par M. Fernandes. La preuve n’a pas révélé si c’est M. Vinet ou M. Fernandes qui en avait décidé ainsi. Je ne peux donc pas assumer que M. Fernandes a été négligent de manière flagrante.

[46]  De plus, il est clair que Frank-Fort n’avait aucun motif justifiant de ne pas transmettre les informations relatives à ces deux ventes d’immeubles. Ces ventes sont publiques et ont été dûment authentifiées par un notaire et publiées au Registre foncier du Québec.

[47]  Par conséquent, à la lumière de la preuve, je suis d’avis que l’intimée n’a pas établi que Frank-Fort a commis « un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi ».

V. Disposition

[48]  L’appel de Frank-Fort est accueilli avec frais en faveur de l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de janvier 2020.

« Johanne D’Auray »

Juge D’Auray


ANNEXE

Loi sur la taxe d’accise

Faux énoncés ou omissions

285 Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, une demande, un formulaire, un certificat, un état, une facture ou une réponse — appelés « déclaration » au présent article — établi pour une période de déclaration ou une opération, ou y participe, y consent ou y acquiesce, est passible d’une pénalité de 250 $ ou, s’il est plus élevé, d’un montant égal à 25 % de la somme des montants suivants :

a) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul de la taxe nette de la personne pour une période de déclaration, le montant obtenu par la formule suivante :

A - B

où :

A représente la taxe nette de la personne pour la période,

B le montant qui correspondrait à la taxe nette de la personne pour la période si elle était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

b) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul de la taxe payable par la personne, l’excédent éventuel de cette taxe sur le montant qui correspondrait à cette taxe si elle était déterminée d’après les renseignements indiqués dans la déclaration;

c) si le faux énoncé ou l’omission a trait au calcul d’un remboursement prévu par la présente partie, l’excédent éventuel du remboursement qui serait payable à la personne s’il était déterminé d’après les renseignements indiqués dans la déclaration sur le remboursement payable à la personne.

Loi sur l’administration fiscale

59.2. Quiconque omet de déduire, de retenir ou de percevoir un montant qu’il devait déduire, retenir ou percevoir en vertu d’une loi fiscale, encourt une pénalité de 15% de ce montant.

Quiconque omet, dans le délai prévu par la loi ou par une ordonnance du ministre, de payer ou de remettre un montant qu’il devait payer ou remettre en vertu d’une loi fiscale, encourt une pénalité égale à:

a 7% de ce montant, dans le cas où le retard n’excède pas sept jours;

b 11% de ce montant, dans le cas où le retard n’excède pas 14 jours;

c 15% de ce montant, dans les autres cas.

Toutefois, cette pénalité ne s’applique pas dans le cas d’un montant qui devait être payé en vertu du chapitre III du titre III du livre IX de la partie I de la Loi sur les impôts (chapitre I-3) ou de l’article 1185.1 de cette loi.

Malgré le deuxième alinéa, quiconque contrevient à l’article 512 de la Loi sur la taxe de vente du Québec (chapitre T-0.1) encourt une pénalité égale à deux fois le montant de la taxe.

Malgré le deuxième alinéa, une société visée au sixième alinéa ne peut encourir, en vertu du présent article, à l’égard d’un montant qu’elle est tenue de remettre, au cours d’une année d’imposition, en vertu du paragraphe a du premier alinéa de l’article 34.0.0.0.1 de la Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec (chapitre R-5), une pénalité plus élevée que celle qu’elle encourrait, à l’égard de ce montant, si elle était une société admissible pour l’année, pour l’application du titre VII.2.4 du livre IV de la partie I de la Loi sur les impôts.

Une société à laquelle réfère le cinquième alinéa est une société qui n’est pas une société admissible pour l’année, pour l’application du titre VII.2.4 du livre IV de la partie I de la Loi sur les impôts, et qui remplit l’une des conditions suivantes:

a elle serait une telle société admissible pour l’année, en l’absence de l’article 737.18.23 de la Loi sur les impôts;

b elle était une telle société admissible pour l’année d’imposition précédente et elle serait une telle société admissible pour l’année, en l’absence de l’article 737.18.23 de la Loi sur les impôts et si la définition de cette expression prévue au premier alinéa de l’article 737.18.18 de cette loi se lisait sans son paragraphe c.


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 6

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-4286(GST)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

FRANK-FORT CONSTRUCTION INC. c SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 23 et 24 mai et le 5 septembre 2019

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Catherine L’Espérance

Me Laurent Tessier

Avocat de l’intimée :

Me Jean-Philippe Verreau

Me Christian Lemay

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante:

Nom :

Me Laurent Tessier

Cabinet :

Ravinsky Ryan Lemoine, s.e.n.c.r.l.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   J’ai joint le texte de l’article 285 de la LTA en annexe de ces motifs.

[2]   Le cabinet a aussi opéré sous la dénomination SPG-Pagett. Cela n’a aucune pertinence pour les fins de l’appel en l’espèce.

[3]   J’ai joint le texte de l’article 59.2 de la LAF en annexe de ces motifs.

[4]   Bradshaw c La Reine, 2019 CCI 1.

[5]   Wynter c Canada, 2017 CAF 195.

[6]   Venne c. Canada (ministre du Revenu national-MNR), [1984] ACF no 314.

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