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Dossier : 2013-2834(IT)G

ENTRE :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête sur dépens présentée par écrit

L’honorable juge Patrick Boyle

Avocats de la requérante :

Me Matthew Williams

Me E. Rebecca Potter

Avocats de l’intimée :

Me Andrew Miller

Me Vincent Bourgeois

 

ORDONNANCE

Après lecture des observations sur les dépens formulées par les parties;

Il est ordonné qu’il soit accordé à la requérante les dépens, au montant de 305 627 $ à l’égard de l’appel, ainsi que les dépens supplémentaires afférents à la présente requête, selon les motifs de l’ordonnance ci-joints.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de janvier 2020.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de Janvier 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2020 CCI 15

Date : 20200123

Dossier : 2013-2834(IT)G

ENTRE :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Boyle

[1] La requérante, Univar Holdco Canada ULC (Univar), a présenté une requête afin que le montant des dépens soit fixé conformément à l’article 147 des Règles. Les parties ont accepté que la décision soit rendue sur la base de leurs observations écrites et des éléments de preuve présentés à l’appui de la présente requête.

[2] L’appel interjeté par Univar devant notre Cour a été rejeté par la juge V. Miller en juin 2016 [1] . Univar a fait appel de cette décision devant la Cour d’appel fédérale en 2017 et a obtenu gain de cause [2] . La Cour d’appel fédérale a accordé à Univar les dépens devant la Cour d’appel et devant notre Cour. La présente décision porte uniquement sur les dépens d’Univar devant notre Cour.

[3] La requérante demande qu’il lui soit adjugé le montant forfaitaire d’environ 450 000 $ au titre des dépens afférents à son appel, cette somme représentant 75 % de ses honoraires d’avocats (y compris la TPS et la TVP). L’intimée soutient pour sa part que le montant de 6 500 $ prévu au tarif est indiqué en l’espèce. La demande de débours de 5 627,17 $ n’est pas controversée.

[4] La requérante demande également que lui soient accordés les dépens, d’environ 30 000 $ relativement à la présente requête, cette somme correspondant elle aussi à une proportion de 75 %, le coût réel estimé étant de 35 000 $ (avant TPS et TVP) [3] . L’intimée invoque les motifs suivants pour justifier sa thèse concernant les dépens afférents à la présente requête : (i) l’intimée a droit aux dépens relativement à la présente requête, étant donné la somme déraisonnablement élevée demandée par Univar; (ii) subsidiairement, aucuns dépens ne doivent être accordés relativement à la présente requête pour la même raison; ou, (iii) subsidiairement encore, la requérante n’a pas droit à plus de 1 150 $, cette somme étant celle prévue au tarif pour ce type de requête.

[5] Le 26 juillet 2013, Univar a déposé devant notre Cour l’avis d’appel que ses avocats avaient commencé à préparer le ou vers le 4 juillet 2013. La cotisation sous-jacente portait sur l’année 2007 et était basée sur la règle générale anti-évitement (RGAE). La cotisation était supérieure à 29 millions de dollars; une cotisation de 10 millions de dollars au titre des intérêts avait aussi été établie.

[6] Les seules requêtes interlocutoires, une par chaque partie, ont été présentées afin d’obtenir une prorogation des délais durant la phase précédant l’instruction.

[7] L’interrogatoire préalable du représentant d’Univar par l’intimée a duré 3,5 heures. L’interrogatoire préalable du mandataire de l’intimée par Univar a duré une heure.

[8] Les parties se sont entendues sur un exposé conjoint partiel des faits et un cahier conjoint d’éléments de preuve documentaires.

[9] L’instruction de l’appel, le 8 juin 2015, a duré 3,5 heures. Le jugement a été rendu le 22 juin 2016.

I. La méthode adoptée par la Cour concernant les dépens

[10] Dans la décision Spruce Credit Union c. La Reine, 2014 CCI 42, j’ai discuté en détail cette question. Dans cette affaire, la Couronne a abandonné son appel devant la Cour d’appel fédérale à l’égard de l’adjudication de dépens. Cette analyse est reproduite dans l’annexe ci-jointe.

[11] Dans la décision Ford du Canada Limitée c. La Reine, 2015 CCI 185, j’ai fait les observations suivantes :

I. La méthode adoptée par la Cour concernant les dépens

[6] Dans l’affaire Spruce Credit Union c. La Reine [1], j’ai décrit de façon exhaustive la méthode adoptée par la Cour et la Cour d’appel fédérale en ce qui concerne l’adjudication des dépens en vertu des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (les « Règles »). Les paragraphes et alinéas pertinents de l’article 147 des Règles sont reproduits en annexe.

[7] Voici un résumé de la méthode qu’il convient d’adopter relativement à l’adjudication des dépens à la Cour canadienne de l’impôt :

1) La Cour a compétence pour adjuger des dépens sur la base procureurclient. En règle générale, les dépens sur la base procureur-client ne sont accordés que dans des cas appropriés, c’est-à-dire s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une partie. Même en de pareilles circonstances, une adjudication de dépens sur la base procureur-client n’est pas systématique, et la décision à cet égard demeure discrétionnaire [2].

2) La Cour dispose d’un large pouvoir discrétionnaire dans la fixation des dépens, à condition que ce pouvoir discrétionnaire soit toujours exercé avec prudence, et non pas de manière arbitraire [3], et selon des principes établis[4] et après audition des parties. Il ne s’agit pas d’une science exacte, ni d’un exercice de comptabilité [5].

3) La méthode adoptée par la Cour pour fixer les dépens devrait être compensatoire et contributive, et non punitive ou extravagante. La question qu’il convient de se poser est la suivante : quelle serait la contribution appropriée de la partie déboutée aux dépens de la partie ayant eu gain de cause dans l’appel où la position de cette dernière l’a emporté [6]?

4) La Cour n’est pas tenue de se conformer au tarif en l’absence de circonstances inhabituelles ou exceptionnelles d’inconduite [7]. La Cour devrait toujours suivre une méthode fondée sur des principes pour établir la contribution appropriée de la partie déboutée aux dépens de la partie ayant eu gain de cause dans les circonstances particulières de l’instance. Il s’agit notamment de prendre en compte et de soupeser tous les facteurs pertinents, y compris ceux énumérés dans les Règles, qui se rapportent aux circonstances particulières de l’affaire.

5) Les actes posés par une partie et les événements antérieurs au commencement de la procédure judiciaire peuvent, dans des circonstances appropriées, être pris en compte dans l’adjudication des dépens. Le montant des dépens adjugés ne peut être supérieur aux frais supportés après le début de la préparation de l’avis d’appel [8].

6) Les frais réels de la partie ayant eu gain de cause peuvent être considérés dans des situations appropriées [9]. Il peut en être de même pour les frais réels, approximatifs ou estimés de la partie déboutée [10].

7) « En général, le degré d’indemnisation que représentent les indemnités partielles varie entre 50 % et 75 % des dépens d’indemnisation substantielle ou taxés sur la base procureur-client », par la juge D. Campbell dans l’affaire Zeller c. La Reine, 2009 CCI 135, après qu’elle ait fait référence à Mark Orkin, The Law of Costs, 2e éd., vol. 1 (Aurora, Canada Law Book, 2008), aux pages 2 et 3. Des références similaires ont été faites dans l’affaire Dickie v. The Queen, 2012 TCC 327 (juge Pizzitelli) (confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2014 CAF 40) et Spruce Credit Union.

Tel que l’a déclaré le juge en chef actuel de la Cour dans l’affaire Velcro, les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles de la Cour constituent les éléments clés dont la Cour doit tenir compte aux fins de l’adjudication des dépens, pour décider si le tarif correspondrait à un montant approprié et pour fixer le montant qu’il convient d’accorder.

________________________________

[1] 2014 CC1 42. La Couronne a retiré son appel devant la Cour d’appel fédérale à l’égard de l’ordonnance d’adjudication de dépens dans la décision Spruce Credit Union.

[2] Voir, par exemple, McGorman v. The Queen, 99 DTC 591, Canderel Limited v. The Queen, 94 DTC 1426, Bruhm v. The Queen, 94 DTC 1400, et la jurisprudence à laquelle il est fait renvoi.

[3] Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 212, Jolly Farmer Products Inc. c. La Reine, 2008 CCI 693.

[4] Canada c. Lau, 2004 CAF 10, et Canada c. Landry, 2010 CAF 135.

[5] Consorzio del prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417.

[6] Voir Consorzio, Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 273 (juge en chef adjoint Rossiter), General Electric Capital Canada Inc. v. R., 2010 TCC 490 (juge Hogan), Sommerer (juge C. Miller), Teelucksingh v. The Queen, 2011 TCC 253 (juge Miller), Jolly Farmer Products Inc. (juge Boyle), Aird c. Country Park Village Property (Mainland) Ltd., 2004 CF 945, [2004] A.C.F. no 1153.

[7] Voir Consorzio, Velcro, General Electric, Sommerer, Blackburn Radio Inc. c. La Reine, 2013 CCI 98 (juge Woods), Daishowa-Marubeni International Ltd. c. La Reine, 2013 CCI 275 (juge C. Miller), Spruce Credit Union, O’Dwyer c. La Reine, 2014 CCI 90 (juge Bocock), Repsol Canada Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 154 (juge C. Miller).

[8] Martin c. La Reine, 2014 CCI 50 (CAF).

[9] Consorzio.

[10] Velcro.

[12] Ces observations ont été citées avec approbation par la juge Campbell dans la décision Invesco Canada Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 92 et, plus récemment, par la juge Lafleur dans MacDonald c. La Reine, 2018 CCI 55. Je les ai également reproduites presque intégralement, en omettant toutefois les notes de bas de page, dans la décision Martin c. La Reine, 2014 CCI 50.

[13] Plus récemment, la juge Lyons a observé dans la décision Promised Land Ministries v. The Queen, 2019 TCC 282 :

[traduction]

I. Principes d’adjudication des dépens

[4] La partie qui obtient gain de cause a généralement droit aux dépens. L’adjudication des dépens doit contribuer à indemniser partiellement la partie ayant obtenu gain de cause de ses coûts liés à la poursuite de l’appel, en fonction de ce qui est approprié dans les circonstances; elle n’est pas censée avoir un caractère punitif pour la partie déboutée[4].

[5] Même si la Cour peut tenir compte des montants des dépens prévus dans le tarif, ils ne sont pas déterminants. Si la Cour juge que ces sommes sont insatisfaisantes, elle a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif; il n’est pas nécessaire qu’il existe des circonstances exceptionnelles pour s’écarter du tarif [5].

[6] Il est bien établi que la Cour canadienne de l’impôt dispose d’un pouvoir discrétionnaire étendu en matière d’adjudication de dépens, comme l’indique le libellé de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles) joint à l’annexe A des présents motifs. Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en respectant les principes établis [6].

[7] Le paragraphe 147(1) des Règles dispose que la Cour peut fixer le montant des dépens de toutes les parties à l’instance, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter. Pour aider la Cour à déterminer si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire aux termes de ce paragraphe, la Cour peut tenir compte des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles. Les sommes en cause et la complexité des questions ne sauraient justifier, à eux seuls, de s’écarter des dépens fixés dans le tarif. [7] Entre autres, le paragraphe 147(5) prescrit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger ou de refuser d’adjuger des dépens à l’égard d’une question ou d’une partie de l’instance particulière, ou d’adjuger un pourcentage des dépens taxés.

[8] Aux termes du paragraphe 147(4) des Règles, la Cour peut fixer les dépens, en tout ou en partie, en se référant ou non au tarif, et elle peut accorder une somme forfaitaire au lieu ou en sus des dépens taxés après avoir examiné les sommes en question, la complexité et l’importance des questions, la charge de travail et le succès d’une partie. [8]

_______________________________

[4] Mariano c. La Reine, 2016 DTC 1146. Dans la décision Martin c. La Reine, 2014 DTC 1072, au paragraphe 14, le juge Boyle mentionne que la question appropriée est de déterminer la contribution appropriée aux dépens de la partie qui a gain de cause dans l’appel où c’est la position de cette dernière qui l’a emporté.

[5] Velcro Canada Inc. c. La Reine, 2012 CCI 273, au paragraphe 10.

[6] Décisions rendues par la Cour d’appel fédérale dans Lau c. La Reine, 2004 GSTC 5, au paragraphe 5 (CAF) et Landry c. La Reine, 2010 DTC 106, aux paragraphes 22 et 54 (CAF).

[7] Jolly Farmer Products Inc. c. La Reine, 2008 CCI 693. La décision Spruce Credit Union c. La Reine, 2014 CCI 42, fournit un aperçu des principes en matière d’adjudication de dépens qui ont fait leur apparition dans la jurisprudence. Voir aussi la décision Ivesco Canada Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 92.

[8] Blackburn Radio Inc. c. La Reine, 2013 CCI 98.

Facteurs en prendre en compte selon le paragraphe 147(3)

A. Le résultat de l’instance

[14] Univar a été déboutée en appel devant notre Cour. Univar a été totalement déboutée, car la seule question en litige était la RGAE et celle-ci appelait une décision du « tout ou rien ». Cette décision a toutefois été infirmée par la Cour d’appel fédérale, qui a accordé les dépens en faveur d’Univar devant cette Cour et devant notre Cour. La Cour d’appel fédérale a toutefois laissé à notre Cour le soin d’établir le montant des dépens devant notre Cour; elle n’a fixé aucune somme calculée selon notre tarif ou autrement. Vu la décision de la Cour d’appel fédérale, la requérante a obtenu entièrement gain de cause dans son appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation.

[15] La Couronne fait valoir que cette Victoire [traduction] « n’a aucune incidence sur l’adjudication des dépens », mais ne produit aucun élément à l’appui. Cette observation n’a toutefois aucun sens, puisque le résultat de l’instance est le premier facteur à prendre en compte selon les Règles de la Cour canadienne de l’impôt.

[16] La Couronne soutient en outre que la requérante a été déboutée devant notre Cour et qu’elle n’a eu gain de cause qu’en appel devant la Cour d’appel fédérale, et donc que [traduction] « le fait que la requérante ait finalement eu gain de cause ne devrait pas être un facteur favorisant l’adjudication, par la Cour canadienne de l’impôt, de dépens supérieurs à ceux établis par le tarif ». Là encore, la Couronne ne cite aucun élément à l’appui. Une telle interprétation du critère « résultat de l’instance » serait absurde. Je ne peux passer outre au fait que la Couronne a, au final, été totalement déboutée. L’adjudication des dépens en l’espèce doit refléter la décision rendue par la Cour d’appel fédérale. Comme cette Cour l’a observé :

[32] Par conséquent, j’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour et devant la juridiction inférieure. J’annulerais le jugement de la Cour de l’impôt et, rendant le jugement que celleci aurait dû rendre, j’accueillerais l’appel que le contribuable a interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation et je renverrais l’affaire au ministre du Revenu national pour qu’il procède à un nouvel examen et établisse une nouvelle cotisation en tenant pour acquis que la RGAE ne s’applique pas aux opérations effectuées en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[17] L’examen du résultat de l’instance dans la présente affaire, laquelle consistait en un jugement « tout ou rien » rendu dans un appel accueilli par la Cour d’appel fédérale et adjugeant à la requérante ses dépens devant notre Cour, a relativement peu d’incidence sur la détermination du montant de ces dépens. Cela dit, cela ne favorise ni n’appuie d’aucune façon l’établissement des dépens selon le tarif de notre Cour. La thèse fondamentale de l’intimée, selon laquelle la question en litige en l’espèce est de déterminer si des facteurs justifient que l’on s’écarte du tarif, est entièrement rejetée pour les motifs énoncés en détail ci-après.

B. Les sommes en cause

[18] Il n’est pas controversé entre les parties que la nouvelle cotisation totalisant près de 40 millions de dollars représente une somme considérable. Cependant, seule la requérante est d’avis que cela devrait favoriser l’adjudication de dépens plus élevés.

[19] La somme en cause est élevée, mais cela ne signifie pas nécessairement en soi qu’il s’agissait d’une affaire complexe ou que celle-ci exigeait une charge de travail ou des efforts supplémentaires. Cela dit, il est tout à fait raisonnable de s’attendre à ce que la préparation, la recherche, les efforts en vue de parvenir à un règlement, etc., exigés pour un appel d’une journée interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation de 40 millions de dollars fondée sur la RGAE, aient peu en commun avec ceux associés à une procédure d’appel générale plus habituelle d’une journée devant notre Cour. Les avocats de la requérante ont présenté des écritures quotidiennes détaillées pour chaque responsable de la comptabilisation du temps.

[20] Dans la décision Cameco Corporation v. The Queen, 2019 TCC 92, le juge Owens a récemment observé à ce sujet (au paragraphe 47) :

[traduction]

[...] Cependant, j’observe que, dans des circonstances qui comportaient des enjeux aussi importants pour l’appelante, l’efficacité et la frugalité ont peut-être cédé le pas à la minutie. À mon avis, indemniser l’appelante à raison de 35 % des honoraires des avocats répond de manière adéquate à cette dernière observation.

[21] La somme en cause n’est qu’un des nombreux facteurs pertinents à prendre en compte. Il est certain que l’importance de la somme en cause va dans le sens d’une augmentation des dépens si d’autres facteurs, tels que e) la charge de travail, f) la complexité des questions en litige et g) une conduite tendant à abréger la durée de l’instance, favorisent eux aussi une telle bonification.

C. L’importance des questions en litige

[22] La requérante fait valoir que cette affaire met en jeu la RGAE, laquelle consiste à déterminer si les opérations en question ont résulté en un évitement fiscal abusif. Cela appelle l’examen de l’objet ou de l’esprit de la RGAE figurant au paragraphe 212.1(4).

[23] Comme l’a observe le juge Hogan dans la décision Alta Energy Luxembourg S.A.R.L. v. The Queen, 2018 TCC 235, au sujet de l’adjudication de dépens en fonction de cette règle :

[traduction]

[21] Une décision quant à l’applicabilité de la RGAE revêt une importance jurisprudentielle, car la RGAE est une disposition de dernier recours dont l’application a souvent une incidence sur une multitude d’opérations. Qui plus est, l’intimée a reconnu l’importance de l’application de la RGAE.

[24] La Couronne reconnaît que la seule question en litige dans le présent appel était une question importante. Elle fait toutefois valoir que, par suite de l’annonce faite dans le budget de mars 2016 – plusieurs années après l’introduction et l’instruction du présent appel, mais avant que la juge V. Miller rende sa décision – cette question n’est désormais importante que pour la requérante. Je rejette ce raisonnement de la Couronne, et ce, pour plusieurs raisons :

1) L’appel interjeté devant notre Cour a été introduit et débattu de façon exhaustive par les parties bien avant que soit annoncée la modification dans le budget de 2016. Cela signifie que tout le travail exigé de la requérante et de ses avocats, et à l’égard duquel la présente adjudication de dépens a été demandée, a été fait à une période où la question revêtait une importance plus générale – un fait reconnu par la Couronne.

2) La modification annoncée dans le budget de 2016 ne devait pas s’appliquer rétroactivement. Cette question demeurait donc importante pour tout autre contribuable ayant effectué des transactions semblables – et une nouvelle cotisation pouvait être établie à l’égard de ce contribuable des années après la date d’entrée en vigueur de la modification apportée en 2016.

3) L’on peut prévoir que la prise en compte des facteurs énoncés à l’article 212.1 dans de nombreux appels, et à ce que l’objet, l’esprit ou l’intention de cet article, demeurent importants à des fins autres que l’application du paragraphe (4) de cet article.

4) Comme je l’ai expliqué dans la décision Spruce Credit, « [l]e ministère des Finances n’a pas l’habitude de proposer des modifications à la Loi qui soient insignifiantes, ce qui est tout à la fois judicieux et sage ».

Ce facteur va dans le sens de l’adjudication de dépens plus élevés.

D. Toute offre de règlement présentée par écrit

[25] Aucune offre n’a été faite ni n’aurait pu l’être, semble-t-il, dans ce contexte de jugement « tout ou rien ».

E. La charge de travail

et

F. La complexité des questions en litige

[26] Les honoraires des avocats d’Univar (y compris deux stagiairest) dans le présent appel (à l’exclusion de la requête visant l’adjudication de dépens) ont totalisé environ 600 000 $ (y compris la TPS et la TVP), somme à l’égard de laquelle des dépens d’environ 450 000 $ sont demandés. Les avocats d’Univar ont présenté un résumé détaillé du temps que les neuf avocats et les stagiaires ont consacré à cette affaire, ainsi que des honoraires y afférents.

[27] La Couronne ne conteste pas les heures de travail des avocats d’Univar ni n’a précisé le nombre d’heures qu’elle-même avait consacrées à ce dossier. J’en déduirai que le nombre d’heures inscrit par la Couronne dans le présent appel était tout au moins de l’ordre des 840 heures inscrites par les avocats de la requérante.

[28] J’ai également à l’esprit les observations de l’ancien juge en chef Bowman de notre Cour dans la décision RMM Canadian Enterprises Inc. and Equilease Corporation v. The Queen, 97 DTC 420, au paragraphe 5, qui ont été citées et approuvées par le juge Hogan dans la décision General Electric Credit Canada v. The Queen, 2010 TCC 490, au paragraphe 31 :

[traduction]

5 [...] Il arrive souvent que, dans les procedures contentieuses, des arguments soient invoqués à l’appui de thèses qui, rétrospectivement, se révèlent inutiles. À moins que ces arguments ne soient carrément frivoles ou indéfendables, je ne crois pas qu’un plaideur doive être pénalisé sur le plan des dépens, simplement parce que son avocat décide de tout mettre en œuvre, pas plus que je ne crois qu’il m’appartienne de mettre en doute le jugement de l’avocat, après l’issue de l’instance, et de dire « Si vous aviez pu prévoir comment j’allais statué sur l’affaire, nous aurions pu gagner beaucoup de temps en limitant l’affaire à l’examen d’une seule question ». De plus, l’une des responsabilités de l’avocat est de constituer un dossier qui permettra à une cour d’appel d’examiner toutes les questions en litige.

[29] Cependant, une importante charge de travail engendrant des coûts élevés pour la partie concernée ne signifie pas nécessairement que la question était complexe ni ne justifie à elle seule l’adjudication de dépens plus élevés. Ce n’est qu’un des facteurs importants à prendre en compte. Il peut arriver souvent que la complexité des questions en litige contribue dans une large mesure à la lourde charge de travail et aux coûts élevés associés au travail des avocats. En l’espèce, les deux parties ont examiné la charge de travail et la complexité des questions en litige conjointement dans leurs observations écrites. Cela me paraît judicieux et je ferai de même.

[30] Univar soutient que les faits et les questions en litige dans le présent appel étaient particulièrement complexes et ont donc nécessité des efforts considérables pour en faire l’exposé pertinent à la Cour. La Couronne fait valoir pour sa part que la charge de travail des avocats d’Univar ne correspond pas au critère de temps habituellement consacré à la production de documents, à la durée des interrogatoires préalables, au nombre de témoins et à la durée de l’appel.

[31] Je sais que la présentation d’un dossier optimisé, pertinent et efficace exige beaucoup de temps, et encore plus lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les deux parties coopèrent afin de faire une présentation conjointe à la Cour. Il me vient à l’esprit ce commentaire apocryphe de l’avocat qui, au moment de déposer un mémoire très épais, dense et volumineux à la Cour, déclare : « Veuillez m’excuser, votre Seigneurie, ce document aurait été beaucoup plus concis si j’avais eu plus de temps ».

[32] La Couronne allègue en outre que la charge de travail « alléguée » [4] par la requérante semble résulter principalement de la complexité des transactions qu’elle-même a effectuées et que l’octroi de dépens plus élevés, justifiés par la charge de travail engendrée par cette complexité, aurait pour effet de punir la Couronne, car cela serait dû à la manière dont la requérante avait structuré ses affaires. Cette thèse n’a guère de sens, voire aucun. Bien qu’il me soit quelque peu difficile d’apprécier, puisque ce n’est pas qui moi qui ai instruit l’affaire, la Couronne n’a pas précisé quels aspects des transactions, s’il en est, étaient inutilement complexes. L’adjudication de dépens ne doit pas avoir pour but, ni pour effet, de punir la partie déboutée; cependant, rien ne me permet de croire qu’Univar aurait conclu les transactions qu’elle a faites pour avoir la possibilité de verser des honoraires d’avocat plus élevés en cas de contestation par l’Agence du revenu du Canada, et encore moins pour pouvoir imposer ces charges à la Couronne si Univar l’emportait.

[33] Je conclus que la charge de travail et la complexité des questions en litige en l’espèce sont deux facteurs qui doivent se refléter dans le montant des dépens alloués et qui vont dans le sens d’une augmentation des dépens.

G. La conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance

et

H. La dénégation d’un fait par une partie ou sa négligence ou son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis

et

I. La question de savoir si une étape de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection

[34] Il convient de féliciter les deux parties pour les efforts déjà signalé qu’elles ont faits afin d’assurer un déroulement si efficace de l’audience. Les juges de notre Cour souhaiteraient qu’il en soit ainsi plus souvent.

[35] Univar soutient que les motifs invoqués par la Cour d’appel fédérale pour accueillir l’appel interjeté par Univar à l’égard de la nouvelle cotisation correspondaient essentiellement à la thèse qu’elle avait déjà soumise à l’Agence du revenu du Canada lors de l’audit, et qu’elle avait de nouveau invoquée lors de l’examen par le comité de la RGAE, à savoir que les autres transactions qui auraient pu être utilisées auraient donné le même résultat. Univar considère que ce fait témoigne d’une conception fondamentalement erronée de la RGAE de la part de la Couronne, qui s’est révélée à la fois coûteuse et inexcusable. Univar soutient essentiellement que, pour ce motif, l’intimée n’aurait pas dû défendre la nouvelle cotisation devant notre Cour. Univar, citant la jurisprudence Jolly Farmer Products Inc. c. La Reine, 2008 CCI 693, soutient que son affaire met également en jeu un argument de l’intimée que l’Agence du revenu du Canada n’aurait tout simplement pas dû retenir.

[36] Les dépens, dans la décision Jolly Farmer, ont été adjugés par moi, mais, là encore, ce n’était pas moi qui avais présidé l’affaire. Le juge en chef Bowman avait siégé à l’instruction de cette affaire, peu avant de prendre sa retraite de notre Cour. Dans les motifs de son jugement rendu dans la décision Jolly Farmer, 2008 CCI 409, le juge en chef Bowman a vivement critiqué la Couronne pour avoir intenté un procès à la contribuable, et cela a expressément influencé mes motifs et ma décision concernant l’adjudication des dépens :

II. Prolongation indue de la durée de l’instruction

[14] Il ressort sans équivoque des motifs du juge siégeant à l’instruction que ce dernier estimait la thèse de l’intimée dénuée de fondement. De fait, il emploie le terme « fallacieux » à deux occasions, tandis que le terme « bêtise » figure dans sa citation allemande, et il reproche au ministre de tenir à une thèse totalement obscure.

À cet égard, la décision Jolly Farmer est quelque peu exceptionnelle, car on ne s’attendrait normalement pas à ce que le bien-fondé de la thèse de la partie déboutée influe considérablement sur la détermination des dépens.

[37] En l’espèce, la juge ayant présidé l’instruction n’a pas formulé d’observations semblables au sujet de la nouvelle cotisation établie par la Couronne à l’égard d’Univar, ce qui n’est guère étonnant puisqu’elle a rejeté l’appel d’Univar. Mais, plus important en l’espèce, en substituant sa décision à celle de la juge ayant siégé à l’instruction, la Cour d’appel fédérale n’a pas formulé d’observations de la sorte, ni ne pouvait-on s’attendre à la formulation de telles observations, puisqu’une juge de notre Cour avait été convaincue par la thèse de la Couronne.

[38] De plus, comme l’a souligné la Couronne dans ses observations écrites, l’avocat de la requérante a écrit dans ses observations, sous la rubrique [traduction] « C. L’importance des questions en litige », que [traduction] « lors de l’audience, une grande incertitude planait quant à la possibilité pour le contribuable d’invoquer la disposition d’allégement prévue au paragraphe 212.1(4) de la Loi. L’appel de la requérante a aidé à dissiper cette incertitude ».

[39] Je rejette l’idée que la défense de l’intimée et sa réponse à l’appel interjeté par Univar vont dans le sens, en l’espèce, d’une augmentation des dépens alloués à la requérante.

Conclusion concernant les dépens afférents à l’appel en matière fiscale

[40] Après avoir dûment tenu compte des observations des parties sur les facteurs pertinents en l’espèce, je conclus que le montant de 6 500 $ ne constituerait pas une contribution satisfaisante de l’intimée aux dépens d’Univar. Je conclus également que la contribution appropriée de l’intimée aux honoraires d’avocat d’Univar dans le présent appel est de 300 000 $. J’en suis arrivé à cette conclusion en appliquant un facteur de 50 % aux honoraires (y compris la TPS et la TVP) des deux avocats associés qui ont comparu devant la Cour, de l’avocat plaidant principal du cabinet qui est intervenu au titre d’avocat-conseil durant l’appel, ainsi que de l’avocat employé à qui est imputée la majeure partie du reste du temps. Tenant compte de certaines répétitions et inefficacités inhérentes résultant de la participation d’un nombre plus élevé d’avocats durant des périodes relativement courtes, je n’accorde aucuns dépens pour les deux autres avocats employés dont le nombre d’heures de travail inscrit correspond dans chaque cas à moins de 5 % de la durée totale. Cette décision ne se veut nullement une réflexion sur ces avocats ou sur leur contribution au succès de leur client. Il ne faut guère de temps pour faire part de révélations soudaines. De même, je n’accorde aucuns dépens pour le nombre d’heures de travail inscrit pour les deux stagiaires en droit. Là encore, cela ne constitue pas un jugement sur eux ou sur les stagiaires en droit en général. Je n’ai tout simplement pas obtenu suffisamment de renseignements pour évaluer leur contribution au gain du client, et je reconnais que les cabinets et la profession apprécient à juste titre les grandes possibilités d’apprentissage et d’observation qu’offrent des contentieux d’une telle importance pour les stagiaires en droit.

[41] Enfin, le débours de 5 627,17 $ est accordé à titre de dépens payables par l’intimée. Ces décisions n’ont pas été contestées par l’intimée en l’espèce.

Dépens afférents à la présente requête

[42] Je ne vois aucune raison d’accorder les dépens demandés par l’intimée.

[43] Bien qu’il puisse arriver souvent que chaque partie assume ses propres frais afférents à une requête en adjudication de dépens, ou que des dépens correspondant au montant par défaut prévu par le tarif, ou s’en rapprochant, soient accordés à la partie qui a gain de cause, je suis d’avis que ni l’une ni l’autre de ces solutions ne constitueraient une contribution satisfaisante de l’intimée aux dépens d’Univar, après avoir pris en compte les facteurs pertinents, y compris ceux énoncés à l’article 147 des Règles, relativement à la présente requête en adjudication de dépens.

[44] La Couronne soutient que sa contribution appropriée aux dépens d’Univar dans le présent appel serait de 6 500 $, ce qui correspond au montant d’argent établi selon le tarif, alors que j’estime que le montant d’argent devrait être de 300 000 $.

[45] Le tarif est le seul motif invoqué, à maintes reprises, par la Couronne pour justifier le montant d’argent qu’elle estime approprié. En effet, dans le premier paragraphe de la rubrique [traduction] « Vue d’ensemble », la Couronne expose sa thèse selon laquelle aucun motif fondé sur les principes établis ne justifie que l’on s’écarte du tarif applicable. La Couronne précise ensuite, au paragraphe 7, que la « question en litige » est de savoir si la requérante a droit à des dépens supérieurs au montant d’argent prévu par le tarif applicable. Par la suite, la Couronne expose essentiellement cette thèse en tant que principe dans dix des paragraphes suivants, ainsi que dans l’un des titres [5] .

[46] Au paragraphe 38, la Couronne soutient que, bien que l’intimée reconnaisse que ce montant [du tarif] est faible lorsqu’on le compare aux honoraires d’avocats engagés par la requérante, notre Cour a récemment réaffirmé, dans la décision CIBC World Markets Inc. v. The Queen, 2019 TCC 201, aux paragraphes 10 et 15, qu’elle ne doit s’écarter du tarif que s’il existe un motif fondé sur les principes établis.

[47] Ces paragraphes de la décision rendue par le juge Bocock dans la décision CIBC World Markets sont ainsi libellés :

[traduction]

[10] Si la Cour ne fait rien, le tarif s’applique. Si la Cour choisit d’exercer son pouvoir discrétionnaire, elle doit le faire en se basant sur les principes établis et en tenant compte, d’une manière non arbitraire, des facteurs pertinents de l’article 147 : Canada c. Lau, 2004 CAF 10, au paragraphe 5; Canada c. Landry, 2010 CAF 135, aux paragraphes 22 et 54.

[...]

IV. ANALYSE FONDÉE SUR LES PRINCIPES ÉTABLIS DES DIVERSES STRUCTURES DE COÛTS

[15] La Cour réitère que son pouvoir discrétionnaire de s’écarter du tarif et d’adjuger des dépens supérieurs à la fourchette prévue doit être exercé selon les principes établis, en tenant compte du fait qu’il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire dont l’emploi doit être en lien avec son objectif fondamental : Canada c. Landry, précité. Dans cette affaire particulière, la Cour fera une analyse des facteurs pertinents de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) qui lui ont été présentés, pour déterminer si des dépens supérieurs au tarif devraient être accordés et, le cas échéant, à combien ils devraient se chiffrer.

[48] Le paragraphe 10 de la décision du juge Bocock est tout à fait exact et est souvent uniformément suivi retenu par notre Cour. Il ne fait aucun doute, à la lecture des paragraphes 9, 10 et 11 de cette décision, ainsi que des paragraphes cités des arrêts Canada c. Lau, 2004 CAF 10, et Canada c. Landry, 2010 CAF 135, de la Cour d’appel fédérale, que le juge ne laisse pas entendre, et encore moins n’affirme, au paragraphe 10 qu’il doit exister un motif fondé sur un principe établi pour qu’un juge n’applique pas le tarif de notre Cour. Le juge dit clairement 1) que le tarif s’applique par défaut si la Cour ne fait rien sinon adjuger les dépens et 2) que la Cour, au moment de fixer les dépens en application de l’article 147, doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’une manière non arbitraire, en se fondant sur les principes établis.

[49] Avec tout le respect que je dois au juge Bocock et à sa belle plume, dans la mesure où celui-ci laisse entendre, au paragraphe 15 de sa décision, que le pouvoir discrétionnaire signalé dans l’arrêt Landry de la Cour d’appel fédérale, auquel il renvoie, consiste à déterminer s’il faut s’écarter du tarif ou s’il faut fixer des dépens distincts de ceux prévus au tarif ou en partie ou totalement fondés sur le tarif, je ne partage pas son avis, ni ne crois que cela correspond à ce que la Cour d’appel fédérale a indiqué aux paragraphes 22 ou 54 de l’arrêt Landry cités par le juge. En toute déférence, la question n’est pas de savoir s’il existe un motif fondé sur les principes établis pour déterminer si la Cour doit s’écarter du tarif de notre Cour. Le tarif défini dans les Règles de notre Cour ne constitue pas un point de départ : il s’agit uniquement d’une option par défaut en l’absence d’une décision fondée sur l’article 147 des Règles, ou d’une option qui s’offre en tout ou en partie au juge, si une décision fondée sur l’article 147 a été rendue. Notre tarif n’est pas le point de départ dans la fixation des dépens. Il s’agit de l’option par défaut si aucune décision n’a été rendue quant aux dépens, qui peut être utilisée, en tout ou en partie, pour fixer le montant des dépens. Rien de plus. Je reconnais que ces quatre phrases extraites de la décision CIBC World Markets sont ambiguës et peuvent appeler une interprétation différente; cependant, compte tenu des renvois qui y sont faits aux arrêts Lau et Landry de la Cour d’appel fédérale, j’estime que l’interprétation faite par la Couronne est erronée et que rien, dans les observations du juge Bocock, n’est contraire à la jurisprudence précitée.

[50] La notion voulant qu’il doive exister un motif fondé sur un principe établi pour que je m’écarte du tarif m’apparaît comme un retour en arrière, à l’époque où le juge Bowman a rendu sa décision dans Continental Bank et où il était souvent enseigné que les dépens correspondant au tarif étaient appropriés à moins de circonstances exceptionnelles. Ainsi qu’il a été signalé précédemment dans les présents motifs et dans la jurisprudence précitée, notamment Velcro Canada Inc., Daishowa-Marubeni, Sommerer, Blackburn Radio Inc., Teeluksingh et Spruce Credit, cette observation était erronée compte tenu de la clarté du libellé de l’article 147 des Règles de notre Cour et elle n’a pas été retenue par notre Cour (y compris par le juge en chef Bowman lui-même), et compte tenu également du fait que notre Cour a reconnu que plusieurs des facteurs énoncés à l’article 147 constituaient des circonstances exceptionnelles. Je ne m’attends pas à un retour à cette approche, à moins que l’article 147 des Règles ou que le tarif ne soient modifiés.

[51] J’estime que l’obstination de la Couronne de s’en tenir à la somme fixée par le tarif, et son opinion erronée selon laquelle la Cour doit démontrer l’existence d’un motif fondé sur un principe établi pour s’écarter du tarif, donnent ouverture aux facteurs énoncés aux alinéas 147(3)g), h) et i) des Règles. Ces facteurs, en plus de ceux énoncés aux alinéas a), b) et e), vont tous dans le sens de l’adjudication de dépens plus élevés eu égard à la présente requête. Dans les circonstances, je conclus que le montant approprié des dépens correspond à 50 % (le même pourcentage) des honoraires d’avocats (y compris la TPS et la TVH) réellement engagés par Univar relativement à la présente requête, en plus de ses débours réels. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur la somme, elles pourront déposer des observations écrites d’au plus quatre pages, dans un délai de 30 jours.

Signé à Toronto (Ontario), ce 23e jour de janvier 2020.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de Janvier 2022.

François Brunet, réviseur


Annexe

1. Dispositions législatives applicables

[16] Selon les Règles, la Cour canadienne de l'impôt n'est même pas tenue de mentionner l'annexe II, tarif B, lorsqu'elle adjuge les dépens. Elle peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et elle peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés. Les Règles ne donnent même pas à penser que la Cour doit suivre le tarif ou y faire référence. Si le comité des règles de la Cour canadienne de l'impôt avait pensé que le tarif était si important, il aurait été facile d'énoncer dans les Règles l'obligation pour la Cour d'appliquer le tarif en tout temps, à moins qu'elle ne soit d'avis contraire. Le comité des règles ne l'a pas fait, loin de là. En fait, il est difficile d'imaginer comment le pouvoir discrétionnaire dont la Cour canadienne de l'impôt jouit en matière d'adjudication des dépens pourrait être plus large, eu égard au libellé des paragraphes 147(1), (3), (4) et (5) des Règles. Ces dispositions de l'article 147 font de la mention du tarif B de l'annexe II une question laissée à l'entière discrétion de la Cour.

[17] J'estime que, dans tous les cas, le juge devrait examiner la question des dépens à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et appliquer ces facteurs en se fondant sur des principes avant même de décider s'il doit se tourner vers le tarif B de l'annexe II. Dans sa sagesse, le comité des règles a mentionné brièvement le tarif, mais seulement après avoir accordé à la Cour canadienne de l'impôt un pouvoir discrétionnaire très large et très important sur toutes les questions relatives aux dépens. Comme l'a expliqué mon collègue le juge Hogan dans la décision Générale électrique :

[TRADUCTION]

[26] [...] à mon avis, le comité des règles savait pertinemment qu'il existe de nombreux facteurs pouvant justifier un écart du tarif et l'adjudication des dépens entre parties sur un fondement différent, y compris l'adjudication d'une somme forfaitaire. Le paragraphe 147(3) des Règles confirme cette réalité en énumérant des facteurs précis, puis en ajoutant l'alinéa j), disposition fourre‐tout qui renvoie à « toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens ». Si l'inconduite était le seul cas où la Cour pouvait s'écarter du tarif, le paragraphe 147(3) serait superflu. Les mots que comporte un texte légal ne sont généralement pas considérés comme des mots superflus. Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans Hills c. Canada (PG), 1988 CanLII 67 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 513 :

[108] [...] en lisant un texte législatif, on doit « présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne “parle pas pour ne rien dire” » (P.‐A. Côté, Interprétation des lois (1982), aux pp. 228 et 229).

[27] Il a été affirmé à maintes reprises que les commentaires qu'a formulés la juge McLachlin dans Young c. Young au sujet de l'inconduite portaient uniquement sur la possibilité d'obtenir des dépens sur la base procureur‐client. Il est vrai qu'« en général, le plaideur qui l'emporte a droit aux frais et dépens entre parties », conformément au tarif. Il est vrai aussi que pour qu'une partie soit tenue de verser des dépens à l'autre partie sur la base procureur‐client, il faut que sa conduite soit dans une certaine mesure répréhensible. Il faut éviter de confondre les deux règles, ce qui rendrait impossible toute solution mitoyenne.

[28] La Loi d'interprétation s'applique à la LIR et aux Règles de la Cour. Selon l'article 12 de la Loi d'interprétation, tout texte « est censé apporter une solution de droit et s'interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ». Il est raisonnable de conclure que l'article 147 des Règles visait à permettre au juge de s'écarter du tarif afin d'accorder un dédommagement juste et raisonnable dans les circonstances, en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II. Une interprétation restrictive de cette disposition qui obligerait le contribuable qui sollicite une indemnité partielle ou une somme forfaitaire au lieu ou en sus des dépens prévus au tarif à satisfaire au même critère qui s'applique à l'obtention de dépens sur la base procureur‐client irait à l'encontre d'au moins un des objets de l'article en question.

[18] Une comparaison du pouvoir discrétionnaire accordé à l'article 147 des Règles avec celui qui est prévu au paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les « Règles des Cours fédérales »), illustre à quel point l'approche des comités des règles peut être différente.

[19] Selon le paragraphe 147(4) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt :

La Cour peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l'annexe II et peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[Non souligné dans l'original.]

Le paragraphe 400(4) des Règles des Cours fédérales est ainsi libellé :

La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[Non souligné dans l'original.]

À mon avis, une différence de taille existe entre ces deux dispositions en ce qui a trait au libellé ainsi qu'à l'importance donnée au tarif. Malgré cette différence, dans l'arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2003] 2 C.F. 451, 2002 CAF 417, la Cour d'appel fédérale a conclu que les Règles des Cours fédérales accordent à la Cour fédérale un pouvoir discrétionnaire en matière d'adjudication des dépens :

[8] Une adjudication de dépens partie‐partie ne constitue pas un exercice exact. Il ne s'agit que d'une estimation du montant que la Cour juge approprié à titre de contribution aux dépens avocat‐client de la partie qui a obtenu gain de cause (ou, de façon inhabituelle, à ceux de la partie déboutée). En vertu de la règle 407, lorsque les parties ne cherchent pas à obtenir des dépens supplémentaires, les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B. Même lorsque l'on demande des dépens supplémentaires, la Cour, à sa discrétion, peut conclure que les dépens adjugés selon la colonne III constituent un dédommagement suffisant quant aux dépens partie‐partie.

[9] Cependant, l'objectif consiste à contribuer d'une manière appropriée aux dépens avocat‐client et non à observer strictement la colonne III du tableau du tarif B qui, en lui‐même, est arbitraire. Le paragraphe 400(1) précise que, suivant le principe premier de l'adjudication des dépens, la Cour a « entière discrétion » quant au montant des dépens. En exerçant son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut fixer les dépens en se fondant sur le tarif B ou en s'en éloignant. La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n'est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B.

[10] Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. En outre, le montant des dépens avocat‐client, bien qu'il ne détermine pas la contribution appropriée des dépens partie‐partie, peut être considéré par la Cour si cette dernière le juge approprié. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec prudence. Toutefois, on doit garder à l'esprit que l'adjudication des dépens est une question de jugement en ce qui concerne les éléments appropriés, et non un exercice comptable.

[Non souligné dans l'original.]

[22] Dans la décision Capital générale électrique du Canada Inc. c. La Reine, 2010 TCC 490, le juge Hogan de la Cour s'est ainsi exprimé (en sus des paragraphes qui ont été reproduits ci-dessus, tels qu'ils ont été cités par le juge en chef adjoint dans la décision Velcro) :

[TRADUCTION]

[17] En général, comme la Cour fédérale l'a déclaré dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [1998] A.C.F. no 1736 (QL), conf. par la Cour d'appel fédérale, [2001] A.C.F. no 37 (QL), il convient de tenir compte du principe suivant pour l'adjudication de dépens :

[7] [...] les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants [...] Un principe important sous‐tend les dépens : l'allocation de dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non-imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe.

[...]

[19] En adjugeant une somme forfaitaire, le juge Rothstein, s'exprimant au nom de la majorité des juges de la Cour d'appel fédérale, a insisté sur l'extrait suivant de l'arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417, [2003] 2 C.F. 451 (C.A.F.) :

[10] Par conséquent, la Cour peut, à sa discrétion, ne pas tenir compte du tarif, particulièrement lorsqu'elle est d'avis qu'une adjudication des dépens conformément au tarif n'est pas satisfaisante. [...]

[...]

[12] L'économie que les parties réalisent en ce qui concerne les dépens, qui autrement seraient engagés dans le processus de la taxation, représente un avantage de l'adjudication de dépens sous forme d'un montant forfaitaire. Cependant, une telle adjudication peut ne pas être appropriée dans tous les cas. [...]

[23] Dans les motifs de la requête relative aux dépens qui ont été prononcés dans l'affaire Sommerer c. La Reine, 2007-2583(IT)G, 14 juillet 2011, le juge Miller de la Cour a examiné la question des circonstances exceptionnelles de la manière suivante :

[TRADUCTION]

[19] Manifestement, le libellé de l'article 147 ne donne pas à entendre qu'il existe un quelconque critère préliminaire : il confère au juge un grand pouvoir discrétionnaire lors de l'examen des éléments énoncés au paragraphe 147(3) des Règles en vue de parvenir à une décision raisonnée et équilibrée.

[20] Je souscris à la position de l'appelant.

[21] Des décisions récentes, telles que la décision Capital générale électrique rendue par le juge Hogan, la décision Campbell, rendue par nulle autre que la juge Campbell, ou encore la décision Jolly Farmer, rendue par le juge Boyle, donnent à entendre qu'il n'existe aucun critère préliminaire, et que le juge a toute liberté de tenir compte des éléments énoncés au paragraphe 147(3) des Règles.

[22] Il est clair que les décisions antérieures ont montré qu'il ne s'agissait pas d'une démarche qui pouvait être entreprise de façon arbitraire.

[23] En outre, les décisions antérieures ont appuyé la thèse selon laquelle on ne devrait envisager d'adjuger le plein montant des dépens procureur‐client que dans les cas qu'il serait possible de qualifier de flagrants. Mais pour l'adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif, et inférieurs aux dépens procureur‐client, il revient aux parties de convaincre le juge que la prise en considération des éléments énoncés au paragraphe 147(3) des Règles devrait, ou ne devrait pas, aboutir à l'adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif.

[24] Cela pourrait bien constituer une prise de distance par rapport aux commentaires que le juge en chef Bowman a formulés dans la décision Banque continentale, lesquels étaient ainsi libellés :

Il faut habituellement respecter le tarif, à moins de circonstances exceptionnelles qui imposent le contraire. Il peut s'agir d'une inconduite de la part de l'une des parties, d'un retard abusif, d'une prolongation inutile de l'instance, de querelles procédurales inutiles, pour n'en citer que quelques‐unes. [...]

[25] Je trouve intéressant que ces exemples donnés par l'ancien juge en chef sont des exemples des éléments mêmes énoncés au paragraphe 147(3) des Règles, à savoir la conduite d'une partie qui aurait prolongé inutilement la durée de l'instance (alinéa 147(3)g)), la question de savoir si une étape de l'instance était inappropriée ou vexatoire (alinéa 147(3)i)), ou le refus par une partie d'admettre un fait, lorsque ce fait aurait dû être admis (alinéa 147(3)h)).

[26] Dans les faits, même dans la décision Banque continentale, je trouve des éléments qui appuient la thèse selon laquelle le juge qui adjuge des dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif, sans adjuger des dépens procureur‐client, se contente d'examiner les éléments énoncés au paragraphe 147(3) des Règles pour établir quel est le montant approprié des dépens supérieurs au tarif qu'il convient d'adjuger.

[27] Contrairement à ce que l'intimée laisse entendre, cette approche ne vise pas l'imposition de sanction. Je ne conviens pas non plus du fait que cela aurait nécessairement un effet dissuasif en matière de litige ou de cotisation.

[...]

[31] Pour résumer, je trouve que les conclusions que le juge Boyle a formulées dans la décision Jolly Farmer sont pertinentes :

[...] Je suis sûr que les juges de la Cour peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, sans que cet exercice soit entravé par ma décision en l'espèce. De fait, en suivant une approche distincte en matière d'adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus au tarif dans les cas opportuns où toutes les parties sont bien représentées, les juges sont en mesure d'écarter les éventuels risques que la menace de dépens élevés incite les Canadiens à ne pas interjeter appel dans les affaires fiscales lorsqu'ils perçoivent une injustice.

[32] Comme l'a souligné Me Sandler, l'adjudication des dépens tient plus de l'art que de la science. Et les Règles ont investi les juges de la Cour du pouvoir de pratiquer leur métier de manière diligente, juste et responsable, en s'appuyant sur des facteurs suggérés, mais sans être entravés par de rigides directives.

[33] Comme le juge Boyle, j'ai confiance dans le fait que les juges de la Cour sont capables de relever ce défi.

[24] Dans la décision Teelucksingh c. La Reine, 2011 TCC 253, le juge Miller s'est exprimé succinctement en ces termes :

[TRADUCTION]

[2] L'intimée fait valoir qu'il n'existe aucune circonstance particulière, notamment quelque inconduite dont elle se serait rendue coupable, qui justifierait l'adjudication de dépens qui excèdent ceux fixés par le tarif. La Cour s'est éloignée de la position consistant à limiter l'adjudication de dépens excédant ceux au tarif aux cas où il y a faute ou inconduite (voir par exemple la décision récente du juge Hogan dans l'affaire Capital générale électrique du Canada Inc. c. La Reine et celle de la juge Campbell dans l'affaire Campbell c. La Reine).

[25] Dans la décision Jolly Farmer Products Inc. c. La Reine, 2008 CCI 693, j'ai entendu une requête en adjudication de dépens relative à un appel qui avait été entendu et tranché par l'ancien juge en chef Bowman, une des dernières décisions qu'il avait rendues avant de prendre sa retraite. Dans la décision Jolly Farmer, je me suis exprimé en ces termes :

[8] La Cour n'a pas à suivre servilement le tarif. Cependant, elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire à la lumière des principes appropriés, comme les éléments énumérés au paragraphe 147(3) des Règles, et non de façon capricieuse. Le simple fait qu'une affaire soit nouvelle, unique, complexe ou difficile ou qu'elle intéresse une importante somme d'argent ne peut suffire à écarter le tarif : voir la décision McGorman et al. v. HMQ, 99 DTC 591, au paragraphe 13, le juge Bowman (tel était alors son titre). De même, le simple fait que les frais de justice réellement engagés par la partie excèdent grandement la somme fixée par le tarif ne justifie pas que la Cour adjuge des dépens en sus de ceux prévus à ce tarif. Dans la décision Continental Bank of Canada et al. v. HMQ, 94 DTC 1858, le juge en chef Bowman s'est exprimé en ces termes :

Il est manifeste que les montants prévus au tarif ne sont nullement censés compenser entièrement une partie des frais juridiques que celle‐ci a engagés dans la poursuite d'un appel. Le fait que les montants prévus au tarif paraissent excessivement bas par rapport aux dépens réels d'une partie n'est pas une raison pour adjuger des dépens supplémentaires à ceux que prévoit le tarif. Je ne crois pas que, chaque fois que la présente Cour est saisie d'une cause de nature fiscale importante et complexe, nous devrions user de notre pouvoir discrétionnaire pour hausser les dépens adjugés à un montant qui corresponde davantage à celui que les avocats des contribuables factureront vraisemblablement. Il doit avoir été évident aux membres des comités de rédaction des règles qui ont fixé le tarif que les dépens entre parties qui peuvent être recouvrés sont de peu d'importance par rapport aux frais réels qu'une partie peut avoir engagés. Nombreuses sont les causes importantes et complexes dont la Cour est saisie. Les litiges de nature fiscale sont un aspect complexe et spécialisé du droit, et les rédacteurs des Règles auxquelles nous sommes soumis devaient le savoir.

Dans le même ordre d'idées, Mme la juge Layden‐Stevenson a tenu des propos analogues dans la décision Aird c. Country Park Village Property (Mainland) Ltd., 2004 CF 945 (CanLII), [2004] A.C.F. no 1153 (QL) :

Les dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. C'est un principe fondamental que l'allocation de dépens représente un compromis entre l'indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‐imposition d'une charge excessive à la partie qui succombe [...]

[...]

[27] Je sais bien que l'une des raisons mises de l'avant pour justifier le tarif relativement modeste de la Cour tient au souci d'éviter à un Canadien qui poursuit, sans succès, son appel en matière d'impôt d'être en plus condamné, sous réserve de circonstances inhabituelles, à des dépens très élevés. On se préoccupe du fait que, si j'accorde en l'espèce des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif, le principe de la symétrie pourrait faire en sorte que, dans d'autres affaires où la Couronne obtient gain de cause, le contribuable débouté soit pareillement exposé au risque d'une adjudication de dépens plus élevés que ceux prévus au tarif. Je suis sûr que les juges de la Cour peuvent exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée, sans que cet exercice soit entravé par ma décision en l'espèce. De fait, en suivant une approche distincte en matière d'adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus au tarif dans les cas opportuns où toutes les parties sont bien représentées, les juges sont en mesure d'écarter les éventuels risques que la menace de dépens élevés incite les Canadiens à ne pas interjeter appel dans les affaires fiscales lorsqu'ils perçoivent une injustice.

[Non souligné dans l'original.]

[26] Dans la décision Blackburn Radio Inc. c. La Reine, 2013 CCI 98, la juge Woods de la Cour s'est ainsi exprimée :

[14] Dans les litiges de nature fiscale, le travail que comportent ces derniers entre de plus en plus en ligne de compte lors de l'adjudication des dépens. Cette question a également été étudiée dans un litige en matière de propriété intellectuelle : Consorzio Del Prosciutto Di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417 (Maple Leaf Meats).

[15] Le ministère public est d'avis que la complexité ne devrait pas entrer en ligne de compte, et il prend appui sur la démarche traditionnellement admise qu'a énoncée le juge Bowman (tel était alors son titre) dans la décision Banque Continentale du Canada c. La Reine, [1994] ACI no 863. Le problème est que la jurisprudence a évolué depuis que la décision Banque Continentale a été rendue, et l'arrêt Maple Leaf Meats de la Cour d'appel fédérale en est un exemple.

[27] Tout récemment, dans la décision Daishowa‐Marubeni International Ltd. c. La Reine, 2013 CCI 275, le juge Miller s'est ainsi exprimé (après avoir reproduit des extraits de la décision Capital générale électrique et Blackburn Radio) :

[4] Une année avant que le juge en chef adjoint ne fasse ses observations à l'occasion de l'affaire Velcro, j'ai adjugé les dépens à l'occasion de l'affaire Peter Sommerer c. Canada et j'ai précisé qu'à mon avis, la Cour s'était écartée de la démarche consistant à limiter les dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif à des situations d'inconduite. Comme je l'ai signalé à ce moment‐là, la démarche appropriée pour la fixation de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif est la prise au compte des facteurs pertinents énoncés au paragraphe 147(3) des Règles en vue d'une solution raisonnée, équilibrée et juste.

[5] L'intimée admet l'existence de cette jurisprudence récente, mais soutient que les règles de droit en matière de dépens sont exposées de manière plus précise dans un arrêt récent rendu par la Cour d'appel fédérale, à savoir The Queen v. Canadian Imperial Bank of Commerce, qui confirme, selon l'intimée, le principe fondamental selon lequel il doit exister des circonstances exceptionnelles qui justifient l'adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif, et que des frais réels largement supérieurs à ceux prévus par le tarif ne constituent pas une circonstance exceptionnelle. L'intimée a également soulevé la mise en garde lancée par la Cour d'appel fédérale, à savoir qu'une fluctuation de l'adjudication des dépens compromettrait le degré d'uniformité et de prévisibilité auquel les justiciables sont en droit d'attendre.

[6] En toute déférence, les justiciables ne doivent pas être en droit de s'attendre à ce que le montant des dépens soit uniformément faible à la Cour, ce qui n'est pas approprié lorsqu'on adopte un point de vue équilibré et fondé sur des principes en ce qui concerne les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles. Il est manifeste que la Cour a de sérieuses réserves en ce qui concerne le caractère inadéquat du tarif qu'elle applique, comme en témoignent les récentes modifications apportées aux règles ainsi que la jurisprudence récente. La cohérence découlera d'une démarche cohérente en ce qui concerne les facteurs énoncés, sur lesquels je me penche à présent.

[Non souligné dans l'original.]

[28] Quand on étudie avec attention les propos que l'ancien juge en chef Bowman a tenus dans la décision Banque continentale, il ressort clairement que ses commentaires ne faisaient pas fi de la manière dont les Règles de la Cour sont libellées, pas davantage qu'ils ne donnaient à entendre que les circonstances dans lesquelles la Cour ne devrait pas se conformer au tarif sont les mêmes que les circonstances susceptibles de justifier l'adjudication de dépens sur une base procureur-client. Parmi les exemples que le juge en chef Bowman a donnés figuraient certaines considérations qui apparaissent au paragraphe 147(3) des Règles. En outre, après avoir rendu la décision Banque continentale, l'ancien juge en chef a souvent continué, dans les affaires qui le justifiaient, d'accorder des dépens calculés autrement que par l'application du tarif après examen des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles; voir par exemple la décision qu'il a rendue à titre de juge de première instance dans l'affaire Lau, ainsi que la décision qu'il a rendue dans l'affaire McGorman c. La Reine, [1999] A.C.I. no 219 (QL) (Alemu), et dans l'affaire Scavuzzo c. La Reine, 2006 CCI 90. Il convient de noter que, dans la décision Scavuzzo, le juge en chef Bowman avait établi un montant forfaitaire au titre des dépens correspondant à environ 50 p. 100 des frais véritablement payés, comme il l'avait fait dans la décision Lau.

[29] Dans la décision Zeller (Succession) c. La Reine, 2009 CCI 135, la juge Campbell de la Cour a fait référence à l'ouvrage de Mark Orkin intitulé « The Law of Costs », et elle a ajouté :

[9] En général, le degré d'indemnisation que représentent les indemnités partielles varie entre 50 % et 75 % des dépens d'indemnisation substantielle ou taxés sur la base procureur-client (Mark Orkin, The Law of Costs, 2e éd., vol. 1 (Aurora : Canada Law Book, 2008), à 2-3).

[30] Dans la décision Dickie c. La Reine, 2012 TCC 327, le juge Pizzitelli de la Cour s'est ainsi exprimé :

[TRADUCTION]

[26] Selon moi, compte tenu du fait que l'appelant a eu gain de cause de manière évidente en l'espèce, du montant considérable de l'impôt en litige, y compris à l'égard d'autres années pour lesquelles la présente affaire a servi de cas type, de l'importance en particulier de la question portant sur le « marché ordinaire », de la complexité de la question en litige compte tenu de la position adoptée par l'intimée malgré les arrêts que la Cour suprême du Canada a rendus dans les affaires Succession Bastien et Dubé, de la somme de travail que la position de l'intimée sur cette question a imposée à l'appelant et de l'importance qu'elle a continué de donner à la question du « marché ordinaire » dont il a été question ci‐dessus, et à laquelle elle aurait dû renoncer avant l'audience afin d'abréger la durée de celle‐ci et de restreindre les questions en litige, il est clair qu'en se fondant sur l'application des éléments énoncés au paragraphe 147(3) des Règles, il existe des circonstances particulières qui justifient l'adjudication à l'appelant de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif.

[27] L'appelant a demandé à se voir adjuger une somme comprise entre 50 p. 100 et 75 p. 100 des dépens sur une base procureur-client plus ses débours, conformément à la fourchette traditionnelle à laquelle l'auteur Mark Orkin a fait référence dans son ouvrage The Law of Costs, 2e éd., vol. 1 (Aurora, Canada Law Book, 2008), à la page 2‐3, comme la juge Campbell l'a cité dans la décision Zeller (Succession), précitée, au paragraphe 9. Les dépens sur une base procureur‐client que l'appelant demande s'élèvent à 133 000 $, auxquels vient s'ajouter une somme de 10 000 $ à titre de débours. Selon moi, l'appelant a droit à 60 % de cette somme, ce qui correspond à une somme de 80 000 $, à laquelle s'ajoutent 10 000 $ à titre de débours, pour un montant total de 90 000 $.

[31] La décision Dickie a fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel fédérale, mais cet appel n'a pas encore été entendu.

[32] Je souscris à tous les principes qui ont été énoncés dans la jurisprudence dont il a été question précédemment. Je voudrais ajouter que la mise en place d'un tarif unique, même s'il compte trois catégories de cas en fonction du montant en litige, crée de véritables difficultés pratiques à une cour nationale. La Cour dispose tant d'une procédure informelle que d'une procédure générale, et, devant elle, même des sommes modiques peuvent faire l'objet de la procédure générale. La compétence de la Cour s'étend jusqu'aux programmes canadiens d'aide sociale qui tiennent à coeur à la population, comme la prestation fiscale canadienne pour enfants, ouverte et accessible à tous les Canadiens qui paient des impôts ou qui reçoivent des avantages fiscaux. La Cour entend régulièrement des appelants de toutes les régions du pays, qui comparaissent en personne, qui sont sous‐représentés ou qui sont bien représentés. Ces appelants, indépendamment de la somme en litige ou de la manière dont ils ont choisi d'être représentés, font toujours face à une intimée qui emploie des avocats bien formés, expérimentés et bien rémunérés, lesquels proviennent du plus grand cabinet d'avocats au Canada : le ministère de la Justice. Les honoraires courants des avocats sont tels que les honoraires qu'il faut payer dans un grand centre pour obtenir l'expertise nécessaire pour certains appels peuvent s'élever au double ou au triple des honoraires ayant cours dans des centres plus petits pour obtenir l'expertise qui est nécessaire dans d'autres appels. Les procédures de consignation, de comptabilité et de facturation de l'intimée diffèrent nécessairement de celles des avocats du secteur privé. Et la Cour entend des affaires dans quelque 70 villes au Canada. Ces réalités peuvent aussi donner lieu à des considérations de principe légitimes dans les affaires qui le justifient quand la Cour est amenée à fixer le montant des dépens en respectant les principes établis, en se fondant sur le paragraphe 147(3) des Règles plutôt que sur le tarif.


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 15

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-2834(IT)G

INTITULÉ :

UNIVAR HOLDCO CANADA ULC c. LA REINE

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 23 janvier 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de la requérante :

Me Matthew Williams

Me E. Rebecca Potter

Avocats de l’intimée :

Me Andrew Miller

Me Vincent Bourgeois

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour la requérante :

Nom :

Me Matthew Williams

Me E. Rebecca Potter

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] 2016 CCI 159.

[2] 2017 CAF 207.

[3] Aucune raison n’a été produite à la Cour pour justifier la présentation d’une estimation aux fins de la présente requête. La majeure partie, sinon la totalité, du travail des avocats relativement à la présente requête écrite a pris fin une fois la rédaction de la requête terminée. Ainsi qu’il est expliqué ci-après, je ne peux tout simplement pas retenir une telle estimation.

[4] Comme la Couronne a déclaré qu’elle ne conteste pas le nombre d’heures de travail indiqué par la requérante, et que la Couronne n’a pas informé la Cour du nombre d’heures de travail de ses avocats, ce choix de mots semble totalement injustifié et inapproprié.

[5] Paragraphe 10, sous le deuxième titre de ses observations, et paragraphes 11, 12, 13, 19, 21, 27, 33, 36, 38 et 39.

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