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Dossier : 2017-3087(GST)G

ENTRE :

HATEM ABDUL AL-RUBAIY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 3 juin 2019, à Ottawa (Ontario)

Devant : L’honorable juge Susan Wong


Comparutions :

Avocate de l’appelant :

Me Marwa Racha Younes

Avocat de l’intimée :

Me Dominik Longchamps

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté en application de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise  à l’encontre de la cotisation, dont l’avis est daté du 6 avril 2016, est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mai 2020.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2020 CCI 34

Date : 20200220

Dossier : 2017-3087(GST)G

ENTRE :

HATEM ABDUL AL-RUBAIY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Wong

Introduction

[1]  L’appelant, le Dr Al-Rubaiy, interjette appel à l’encontre de la cotisation du 6 avril 2016 établie par le ministre du Revenu national qui a rejeté sa demande de remboursement de la TPS/TVH payée par erreur, présentée en application du paragraphe 261(3) de la Loi sur la taxe d’accise (la Loi).

Question en litige

[2]  La question en litige est de savoir si la demande de remboursement de l’appelant a été déposée dans les délais.

[3]  Plus précisément, l’appelant fait valoir que la règle ou le principe de common law concernant le moment où le préjudice aurait pu être découvert s’applique de telle sorte que le délai de deux ans prévu au paragraphe 261(3) n’était pas expiré au moment où la demande de remboursement a été déposée.

Contexte factuel

[4]  Le 11 mai 2011, l’appelant a signé une offre d’achat aux termes de laquelle il s’engageait à acheter 40 % des actifs d’un cabinet dentaire appartenant à un autre dentiste (le vendeur), pour un prix d’achat de 760 000 $ [pièce A-1, onglet 1].

[5]  L’offre indiquait, entre autres, ce qui suit :

  • a) le prix d’achat serait réparti entre les actifs de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Améliorations locatives

8 663 $

Instruments et matériaux, « en l’état »

16 875 $

Équipement dentaire

89 175 $

Achalandage professionnel, fiches des patients, radiographies, modèles et dossiers

645 287 $

PRIX TOTAL

760 000 $

[offre d’achat, page 1]

  • b) le 30 juin 2011 était convenu comme la date de clôture [offre d’achat, page 2];

 

  • c) le vendeur continuerait à pratiquer dans ce cabinet pendant quatre ans après la date de clôture [offre d’achat, page 3];

 

  • d) l’offre était conditionnelle à un examen satisfaisant par les avocats respectifs de l’appelant et du vendeur [offre d’achat, page 3]. En interrogatoire principal, l’appelant a déclaré qu’il avait retenu les services d’un avocat qui a examiné l’offre avec lui.

[6]  En ce qui concerne la TVH/TPS, l’offre indiquait ce qui suit :

[TRADUCTION]

TVH/TAXE SUR LES PRODUITS ET SERVICES

En réalisant l’achat et la vente des actifs :

a.  le vendeur et l’acheteur doivent faire un choix conjoint aux termes du paragraphe 167(1) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) pour qu’aucune TPS/TVH ne soit payable relativement à la vente et à l’achat du reste des biens, et ils doivent faire ce choix dans le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits en application de la LTA;

b.  l’acheteur doit déposer le choix conjoint conformément aux exigences de la LTA.

c.  Si, à la suite d’une nouvelle cotisation ou d’une autre action ou procédure entamée aux termes de la LTA après la clôture, une taxe sur les produits et services, ou des intérêts ou pénalités, deviennent payables en sus de la TPS/TVH payée au vendeur à la clôture, l’acheteur doit, à la demande du vendeur, payer cette taxe et ces intérêts et pénalités au bénéficiaire concerné aux termes de la LTA, et l’acheteur doit indemniser le vendeur et le dégager de toute responsabilité à l’égard de ces taxes, de ces intérêts et de ces pénalités, ainsi que de tous les frais et dépenses qui en découlent raisonnablement. Les dispositions du présent article demeureront en vigueur après la clôture de l’achat et de la vente des actifs et demeureront en vigueur à tout moment par la suite.

d.  À la connaissance du vendeur, la vente de ce cabinet dentaire est exonérée de la TPS/TVH, et un choix doit être rempli et déposé par l’acheteur. Le vendeur n’est pas inscrit à la TPS.

[offre d’achat, page 4]

[7]  Le 27 janvier 2012, les parties ont signé une feuille de modalités modifiant l’offre d’achat qui prévoyait, entre autres, ce qui suit :

  • a) la date de clôture serait le 31 janvier 2012 [pièce A-1, onglet 2, paragraphe 1];

 

  • b) l’appelant paierait la TVH et le vendeur la percevrait comme l’exige la loi [pièce A-1, onglet 2, paragraphe 7];

 

  • c) les actifs seraient transférés le 1er janvier 2012 et l’appelant paierait au vendeur des intérêts sur le prix d’achat du 1er janvier à la clôture [pièce A-1, onglet 2, paragraphes 2 et 5];

 

  • d) l’appelant et le vendeur concluraient un contrat de société [pièce A-1, onglet 2, paragraphe 10];

 

  • e) l’appelant aurait l’option d’acheter la participation du vendeur dans la société en achetant les 60 % restants des actifs [pièce A-1, onglet 2, paragraphe 8].

[8]  Le 29 février 2012, l’appelant a versé au vendeur la somme totale de 788 961,45 $, répartie comme suit sur le reçu [pièce A-1, onglet 5] :

[TRADUCTION

Prix d’achat

685 000,00 $

Intérêts sur le prix d’achat

3 747,95 $

Frais de courtage

15 200,00 $

TVH à payer

85 013,50 $

TOTAL

788 961,45 $

[9]  L’appelant a témoigné que le prix d’achat indiqué sur le reçu était passé de 760 000 $ à 685 000 $ parce que la différence de 75 000 $ avait été traitée comme un prêt du vendeur à son égard. Il a déclaré qu’il avait remboursé ce prêt dans un délai de trois à six mois après l’achat.

[10]  Le montant de 85 013,50 $ au titre de la TVH a été versé en retard par le vendeur au receveur général au début de janvier 2013.

[11]  L’appelant a produit une déclaration de TPS/TVH datée du 26 août 2015 dans laquelle il a déclaré un remboursement de 85 013,50 $, respectivement, pour la période de déclaration du 1er janvier au 31 décembre 2014 [pièce R-1, onglet 7].

[12]  L’appelant a produit une demande générale de remboursement de la TPS/TVH datée du 12 février 2016 dans laquelle il demandait un remboursement de la taxe payée par erreur de 85 013,50 $. Le ministre a reçu cette demande le 5 février 2016 et l’a rejetée au motif qu’elle avait été présentée au-delà du délai de prescription de deux ans prévu au paragraphe 261(3) de la Loi.

[13]  L’appelant a déclaré dans son témoignage qu’il avait retenu les services du comptable du vendeur à partir du moment de l’achat et pendant trois ans par la suite. Il a déclaré qu’il avait fini par trouver élevés les honoraires de ce comptable et qu’il avait donc demandé conseil à son comptable personnel. Il a déclaré que son comptable personnel avait examiné les documents d’achat et lui avait demandé pourquoi il avait payé la TPS/TVH sur l’achat. L’appelant a déclaré que la déclaration de TPS/TVH d’août 2015 avait été préparée et produite en son nom et qu’il savait alors qu’il avait commis une erreur en payant la taxe.

Cadre législatif

[14]  Le paragraphe 261 (1) de la Loi énonce ce qui suit relativement à un montant de taxe payé par erreur :

Remboursement d’un montant payé par erreur 261(1) Dans le cas où une personne paie un montant au titre de la taxe, de la taxe nette, des pénalités, des intérêts ou d’une autre obligation selon la présente partie alors qu’elle n’avait pas à le payer ou à le verser, ou paie un tel montant qui est pris en compte à ce titre, le ministre lui rembourse le montant, indépendamment du fait qu’il ait été payé par erreur ou autrement.

[15]  Le paragraphe 261(3) de la Loi énonce ce qui suit relativement à une demande de remboursement d’un montant de taxe payé par erreur :

Demande de remboursement 261 (3) Le remboursement n’est versé que si la personne en fait la demande dans les deux ans suivant le paiement ou le versement du montant.

[16]  Si on en résume l’effet pratique aux fins de la présente affaire, le ministre verse un remboursement à une personne qui a payé la taxe par erreur si cette personne présente une demande de remboursement dans les deux ans suivant la date à laquelle le montant a été payé ou versé.

Discussion

[17]  Je ne vois pas comment la règle de common law concernant le moment où le préjudice aurait pu être découvert pourrait s’appliquer de manière appropriée à la situation actuelle.

[18]  Dans l’arrêt Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 25, [2013] GSTC 16, au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

Le législateur a prévu que le seul droit de récupérer un trop-payé de TPS est celui que l’on trouve à l’article 261. Le contribuable n’a aucun droit reconnu par la loi à une remise lorsqu’il présente sa demande après l’expiration des délais prescrits, pas plus qu’il n’a droit à une remise pour un montant payé en trop par erreur; il peut toutefois demander, en vertu du paragraphe 23(2), qu’une décision soit prise en sa faveur en vertu du pouvoir discrétionnaire prévu dans cette disposition [de la Loi sur la gestion des finances publiques].

[19]  En ce qui concerne la règle concernant le moment où le préjudice aurait pu être découvert, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Carlson c. Canada, 2002 CAF 145, 2002 DTC 2556, au paragraphe 17 :

Nous estimons donc que le juge suppléant a commis une erreur, dans les circonstances en l’espèce, en se fondant sur cette règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert. Quant à savoir si cette règle s’applique à des cas tombant sous le coup de la Loi, question au sujet de laquelle nous entretenons de sérieux doutes, il ne nous est pas nécessaire d’y répondre aujourd’hui.

[20]  Dans la décision Nagle c. La Reine, 2005 CCI 462, 59 DTC 1093, au paragraphe 12, la Cour a conclu que la règle du moment où le préjudice aurait pu être découvert ne l’emporte pas sur la loi.

[21]  Les décisions Carlson et Nagle portaient toutes deux sur une prorogation du délai de dépôt d’un avis d’opposition aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. À mon avis, ces conclusions s’appliquent également aux délais de prescription prévus par la Loi sur la taxe d’accise.

[22]  Dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, 2005 DTC 5523, au paragraphe 11, la Cour suprême a déclaré ce qui suit au sujet du droit fiscal canadien :

Lorsque le législateur précise les conditions à remplir pour obtenir un résultat donné, on peut raisonnablement supposer qu’il a voulu que le contribuable s’appuie sur ces dispositions pour obtenir le résultat qu’elles prescrivent.

[23]  Dans l’arrêt A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 RCS 217, au paragraphe 16, la Cour suprême a également déclaré ce qui suit au sujet des lois fiscales :

Il est bien établi que la méthode d’interprétation moderne s’applique aux lois fiscales de la même façon qu’aux autres lois, c’est-à-dire qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), [2006] 1 R.C.S. 715, 2006 CSC 20, par. 21; E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Cependant, en raison du degré de précision et des caractéristiques particulières de nombreuses dispositions fiscales, on a souvent insisté sur l’interprétation textuelle dans le cas des lois fiscales : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 R.C.S. 601, 2005 CSC 54, par. 11; Placer Dome, par. 23. Comme la juge McLachlin (plus tard Juge en chef) l’a exposé au nom de la Cour dans Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 43 :

La [LIR] est un texte législatif complexe au moyen duquel le législateur tente d’établir un équilibre entre d’innombrables principes. La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’attribuer au législateur, à l’égard d’une disposition claire de la Loi, une intention non explicite [...]

[24]  En l’espèce, l’appelant a payé la taxe le 29 février 2012, de sorte que le délai de deux ans prévu au paragraphe 261(3) expirerait le 3 mars 2014 parce que le 1er mars 2014 était un samedi. Au moment où le ministre a reçu la demande de remboursement de l’appelant le 5 février 2016, le délai était déjà écoulé et ne pouvait être prorogé : voir la décision Panar c. La Reine, 2001 CanLII 549, 2001 CarswellNat 762, aux paragraphes 12 et 15.

[25]  Aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que le choix conjoint a été fait aux termes du paragraphe 167(1) pour la fourniture détaxée des actifs de l’entreprise du vendeur. Par conséquent, puisqu’aucun choix ne semble avoir été fait, cette opération était assujettie à la TPS/TVH et la taxe en question n’a vraisemblablement pas été payée par erreur.

Conclusion

[26]  L’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de mai 2020.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 34

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-3087(GST)G

INTITULÉ :

HATEM ABDUL AL-RUBAIY c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 juin 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Susan Wong

DATE DU JUGEMENT :

Le 20 février 2020

COMPARUTIONS :

Avocate de l’appelant :

Me Marwa Racha Younes

Avocat de l’intimée :

Me Dominik Longchamps

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Marwa Racha Younes

 

Cabinet :

Younes Law

Pour l’intimée :

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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