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Dossier : 2012-2683(IT)G

ENTRE :

BURLINGTON RESOURCES FINANCE COMPANY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 31 octobre 2019, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Andrew Boyd

Me Alexander Cobb

Avocates de l’intimée :

Me Alexandra Humphrey

Me Erin Strashin

 

ORDONNANCE

  VU l’avis de requête modifié déposé par l’intimée en vue de modifier l’acte de procédure daté du 27 septembre 2019, afin d’obtenir les mesures suivantes :

  1. une ordonnance de la Cour accordant à l’intimée l’autorisation de déposer :

    1. le projet de réponse modifiée modifiée à l’avis d’appel;

    2. le projet de nouvelle réponse modifiée à l’avis d’appel, qui est simplement le produit cumulé des différentes séries de modifications apportées à la réponse;

  2. toute autre mesure que l’avocat pourrait demander et que la Cour pourrait autoriser.

ET APRÈS avoir entendu les observations des parties;

LA COUR ORDONNE :

La requête de l’intimée est accueillie. Par conséquent, l’intimée est autorisée à déposer sa réponse modifiée modifiée et sa nouvelle réponse modifiée.

La requête de l’appelante en vue d’obtenir le remboursement des dépens engagés inutilement est rejetée.

Les dépens afférents à la présente requête suivront l’issue de l’instance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2020.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2020.

François Brunet, réviseur


Dossier : 2013-2595(IT)G

ENTRE :

CONOCO FUNDING COMPANY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête entendue le 31 octobre 2019, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Andrew Boyd

Me Alexander Cobb

Avocates de l’intimée :

Me Alexandra Humphrey

Me Erin Strashin

 

ORDONNANCE

  ATTENDU QUE la présente requête a été inscrite au rôle pour être entendue le 31 octobre 2019 en même temps que la requête de l’intimée dans la décision Burlington Resources Finance Company v. The Queen, dossier 2012-2683(IT)G, par laquelle l’appelante a demandé que notre Cour rende une ordonnance de dépens inutiles en sa faveur, en raison de la renonciation par l’intimée du moyen tiré des prix de transfert;

  ATTENDU QUE les parties ont informé la Cour, le 14 novembre 2019, qu’elles n’avaient pas d’objection à ce que l’intimée soit autorisée à déposer la réponse modifiée et la nouvelle réponse modifiée, sans porter atteinte aux positions et observations respectives des parties sur la question de savoir si des dépens inutiles devraient être adjugés comme condition de cette autorisation;

 

  ATTENDU QUE notre Cour a rendu une ordonnance, datée du 27 novembre 2019, par laquelle elle a accordé à l’intimée l’autorisation de déposer la réponse modifiée et la nouvelle réponse modifiée;

  LA COUR ORDONNE que l’appelante n’ait pas droit au remboursement des dépens engagés inutilement;

  Les dépens afférents à la présente requête suivront l’issue de l’instance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2020.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2020.

François Brunet, réviseur


Référence : 2020 CCI 32

Date : 20200220

Dossier : 2012-2683(IT)G

ENTRE :

BURLINGTON RESOURCES FINANCE COMPANY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Dossier : 2013-2595(IT)G

ET ENTRE :

CONOCO FUNDING COMPANY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

La juge D’Auray

I. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

[1]  L’intimée a déposé une requête demandant à la Cour de lui accorder l’autorisation de déposer :

  1. le projet de réponse modifiée modifiée à l’avis d’appel de Burlington Resources Finance Company (Burlington), qui a été déposé à la Cour le 31 octobre 2019;

  2. le projet de nouvelle réponse modifiée à l’avis d’appel de Burlington, qui a également été déposé à la Cour le 31 octobre 2019.

[2]  À l’audition de la requête, l’avocat de Conoco Funding Company (Conoco) et de Burlington a déclaré qu’il consentait au dépôt et à la signification de la réponse modifiée concernant l’appel de Conoco. Par conséquent, j’ai rendu une ordonnance datée du 27 novembre 2019 accordant à l’intimée l’autorisation de déposer la réponse modifiée.

[3]  Les modifications proposées à la réponse, en ce qui concerne l’appel de Burlington, portent sur l’application de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), et sur la question de savoir si les sommes que doit verser Burlington à sa société mère Burlington Resources Inc. (BRI) comme [traduction] « commissions de garantie » sont visées par l’alinéa 20(1)e.1), et si les conventions de commissions de garantie sont sans effet juridique.

[4]  L’intimée a également renoncé au moyen tiré des prix de transfert dans son projet de réponse modifiée modifiée. Par conséquent, elle ne s’appuie plus sur la disposition portant sur les prix de transfert, soit l’article 247 de la Loi.

[5]  Burlington soutient que la Cour ne doit pas autoriser l’intimée à déposer une réponse modifiée modifiée, puisque les modifications proposées lui porteraient atteinte.

[6]  Ni Burlington ni Conoco ne s’oppose à la renonciation par l’intimée au moyen tiré des prix de transfert. Toutefois, elles allèguent avoir droit aux dépens inutiles, pour les heures et les efforts consacrés inutilement à la question relative aux prix de transfert jusqu’ici.

II. FAITS ET PROCÉDURES

[7]  L’appel de Burlington a un long historique procédural qui a commencé en 2012. Cet historique a un lien avec la présente requête, puisque les parties contestent le bien-fondé du moment choisi pour le dépôt de cette requête et ses répercussions sur une adjudication potentielle des dépens. Dans cet historique procédural, je fais uniquement référence aux faits pertinents relativement à la requête de l’intimée en vue d’obtenir l’autorisation de modifier sa nouvelle réponse modifiée dans l’appel de Burlington, et à la requête présentée par Burlington et Conoco relativement à l’adjudication des dépens engagés inutilement.

[8]  Burlington, une société à responsabilité illimitée de la Nouvelle-Écosse, a emprunté environ trois milliards de dollars américains en 2001 et en 2002, en émettant sept obligations (les billets à ordre ou billets) garanties par BRI, sa société mère non résidente.

[9]  Le ministre du Revenu national (le ministre) a établi une nouvelle cotisation à l’égard de Burlington pour les années d’imposition 2002 à 2005, par laquelle il a refusé les déductions relatives aux paiements annuels versés par Burlington à BRI pour la garantie sans condition des billets, conformément aux règles relatives aux prix de transfert des alinéas 247(2)a) et c) de la Loi. Le ministre a également refusé les déductions pour les frais de financement engagés par Burlington pour l’émission des billets (les frais de financement) et a imposé des pénalités relatives aux prix de transfert.

Les actes de procédure initiaux

[10]  Le 26 juin 2012, Burlington a déposé et signifié son avis d’appel.

[11]  Le 9 octobre 2012, l’intimée a déposé sa réponse avec le consentement de Burlington à une prorogation du délai pour ce faire. Dans sa réponse initiale, l’intimée a inclus des arguments additionnels à l’appui de la nouvelle cotisation établie par le ministre. Dans sa réponse initiale, l’intimée a également indiqué que les commissions de garantie annuelles versées étaient des « frais ». Elle s’appuyait sur les dispositions suivantes de la Loi, en plus des alinéas 247(2)a) et c) de la Loi : 18(1)a) et b), 20(1)e) et e.1), 67, 152(9), 169(2.1), 212, 215, 227, 247a), b), c) et d), 248 et 251.

[12]  L’intimée, au paragraphe 13 de sa réponse initiale, a défendu la nouvelle cotisation établie par le ministre, en s'exprimant sur les alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi de la manière suivante :

[traduction]

13. Il [le procureur général du Canada] soutient qu’aucune déduction ne doit être autorisée concernant les frais, puisqu’ils n’ont pas été engagés en vue de tirer un revenu de l’entreprise, conformément aux alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi :

a) les frais ont été engagés dans le but d’obtenir un avantage fiscal pour [Burlington];

b) les frais étaient inutiles et redondants, en raison du statut [de Burlington] en tant que société à responsabilité illimitée. 

[13]  L’intimée s’est également appuyée sur les dispositions relatives aux prix de transfert, soit les alinéas 247a), b), c) et d) de la Loi. Comme ces dispositions ne sont plus en cause, j’ai conclu qu'il était inutile de reproduire la position de l’intimée concernant ces dispositions, puisqu’elle a renoncé au moyen tiré des prix de transfert.

Demande de précisions de Burlington

[14]  Le 14 novembre 2012, Burlington a signifié une demande de précisions à l’intimée.

[15]  Burlington s’est dite insatisfaite des précisions produites par l’intimée et, le 28 mars 2013, Burlington a déposé un avis de requête afin d’obtenir :

[traduction]

1.  une ordonnance annulant la réponse déposée par l’intimée le 9 octobre 2012, avec autorisation de déposer une réponse modifiée dans les 15 jours suivant l’ordonnance de la Cour, sauf en ce qui concerne les frais de financement (conformément à l’avis d’appel);

2.  à titre subsidiaire, une ordonnance :

a.  demandant à l’intimée de produire des précisions dans les 30 jours de l’ordonnance de la Cour en réponse à la demande de précisions [de Burlington] signifiée à l’intimée le 14 novembre 2012;

b.  prolongeant le délai de signification et de dépôt d’une réponse jusqu’à 15 jours suivant l’ordonnance visant la communication de précisions.

[16]  Le 10 avril 2013, Burlington a déposé un avis de requête modifié, par lequel elle a demandé une mesure additionnelle consistant en une ordonnance radiant la réponse dans sa totalité, au motif qu’aucun des arguments plaidés n’avait une chance raisonnable de succès; elle a aussi demandé que l’appel soit accueilli avec dépens.

Première modification proposée de l’intimée

[17]  Le 19 avril 2013, l’intimée a signifié à Burlington un projet de réponse modifiée intitulé [traduction] « Réponse modifiée ».

[18]  Dans cette réponse, l’intimée renonçait au moyen tiré des frais de financement, et n’invoquait plus l’article 67 de la Loi. L’intimée s’appuyait toujours sur le paragraphe 9(1), et les alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi, comme elle l’a fait dans sa réponse initiale.

[19]  Burlington a proposé d’accepter le dépôt de la réponse modifiée, à condition que : (i) sa requête à venir en vue d’obtenir l’annulation de la réponse soit plutôt appliquée à la réponse modifiée; et que (ii) l’intimée paie des dépens de 5 000 $. L’intimée a rejeté cette proposition.

[20]  Le 22 avril 2013, l’intimée a déposé un avis de requête sollicitant une ordonnance l’autorisant à déposer la réponse modifiée.

Requête en radiation de Burlington et première requête de l’intimée en autorisation de déposer une réponse modifiée

[21]  Le 30 avril 2013, le juge Hogan a entendu les requêtes de Burlington ainsi que celles de l’intimée.

[22]  Le 17 juillet 2013, le juge Hogan a accueilli la requête de Burlington en radiation de la réponse modifiée. Toutefois, le juge Hogan a également accordé à l’intimée l’autorisation de signifier et de déposer une nouvelle réponse modifiée, afin de corriger les lacunes relevées dans la réponse modifiée.

[23]  En radiant la réponse modifiée, le juge Hogan a retenu la thèse de Burlington portant que, vu les faiblesses de rédaction, l’intimée n’a pas formulé adéquatement ses arguments en ce qui a trait à la question des prix de transfert, notamment les arguments fondés sur les alinéas 247(2)a) et c). Le juge Hogan a conclu que la formulation par l’intimée des questions à trancher concernant les alinéas 247(2)a) et c) était « manifestement incorrecte ». Dans sa réponse modifiée, l’intimée a ainsi formulé la question à trancher : [traduction] « savoir si les modalités conclues ou imposées relativement aux charges diffèrent de celles sur lesquelles se seraient entendues des personnes sans lien de dépendance ». Au paragraphe 29 de son ordonnance, le juge Hogan a indiqué que la vraie question était « de savoir si les modalités imposées en ce qui a trait à la garantie elle-même, non les modalités des commissions de garantie, diffèrent de celles sur lesquelles se seraient entendues des personnes sans lien de dépendance ». Le juge Hogan a observé que l’intimée ne pouvait contester le prix d’une garantie si elle n’admettait pas l’existence de cette garantie. Le juge Hogan a également noté dans ses motifs que l’intimée devait prendre clairement position concernant les faits, à savoir les faits portant sur la question des prix de transfert. Enfin, le juge Hogan a observé que Burlington ne devrait pas avoir à consacrer inutilement des ressources pour tenter de déterminer la position de l’intimée sur plusieurs faits essentiels en cause.

[24]  Toutefois, le juge Hogan a rejeté l’argument de Burlington, selon lequel l’appel devait être accueilli parce qu’aucun des arguments avancés par l’intimée ne pouvait raisonnablement être retenu. Il a affirmé ce qui suit au paragraphe 40 de ses motifs :

[...] Dans la réponse modifiée, l’intimée souligne que l’appelante était une SARINE. Selon l’article 135 de la Companies Act, les actionnaires actuels et certains anciens actionnaires d’une SARINE sont responsables des dettes de celle-ci lorsqu’elle est liquidée et qu’elle n’a pas suffisamment d’éléments d’actifs. Cela veut dire que BRI serait responsable des dettes de l’appelante si celle-ci était liquidée sans qu’elle ait suffisamment d’actifs. Je suis d’accord avec l’intimée sur le fait qu’il est légitime de poser la question de savoir si une personne sans lien de dépendance se trouvant à la place de l’appelante aurait été disposée à payer les commissions de garantie relativement à la garantie explicite de BRI tout en sachant que BRI pouvait être responsable des dettes de l’appelante, même en l’absence de la garantie.

Nouvelle réponse modifiée

[25]  Le 13 septembre 2013, conformément à l’ordonnance du juge Hogan, l’intimée a signifié et déposé à la Cour une réponse modifiée intitulée [traduction] « Nouvelle réponse modifiée ». Dans sa nouvelle réponse modifiée, l’intimée a remplacé le mot [traduction] « frais » par le terme [traduction« commissions de garantie », comme l’avait demandé le juge Hogan. L’intimée continue de s’appuyer sur l’application des alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1), comme elle l’avait fait dans sa réponse initiale, de même que sur les dispositions relatives aux prix de transfert. Sa position était la suivante :

13.  Il affirme qu’aucune déduction ne devrait être autorisée concernant les commissions de garantie, puisqu’elles n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu de l’entreprise, conformément aux alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi :

[traduction]

a) les frais commissions de garantie ont été engagées dans le but d’obtenir un avantage fiscal pour [Burlington];

b) les frais commissions de garantie étaient inutiles et redondantes, en raison du statut [de Burlington] en tant que société à responsabilité illimitée.

Réponse de Burlington

[26]  Le 12 novembre 2013, Burlington a déposé sa réponse à la nouvelle réponse modifiée.

Échange de listes de documents et interrogatoires préalables

[27]  Le 12 mars 2014, chacune des parties a signifié et déposé ses listes de documents.

[28]  Le 15 avril 2014, Burlington a demandé que le délai pour terminer les interrogatoires préalables soit prolongé jusqu’au 31 juillet 2014. La demande a été accueillie, et la juge Campbell a ordonné un échéancier modifié le 12 juin 2014.

[29]  Le 3 juin 2014, l’intimée a déposé une liste additionnelle de documents.

[30]  Burlington a interrogé la représentante de l’intimée, Mme Fawcett, durant six journées, entre juin et novembre 2014.

[31]  En juillet 2014, l’intimée a interrogé le représentant de Burlington, M. Delk, durant quatre journées, ainsi que durant deux autres journées en décembre 2014.

Requête de Burlington en vue d’obtenir des réponses aux questions de l’interrogatoire préalable

[32]  Le 1er décembre 2014, Burlington a déposé un avis de requête visant à obtenir une ordonnance pour obliger la représentante de l’intimée, Mme Fawcett, à répondre aux questions demeurées sans réponse lors de l’interrogatoire préalable.

[33]  Le 20 mars 2015, la juge Campbell a ordonné à Mme Fawcett de se présenter encore une fois à un interrogatoire préalable afin de répondre aux questions auxquelles l’intimée avait précédemment refusé de répondre, ou de fournir des réponses plus complètes. Il faut noter que l’intimée a informé la juge Campbell qu’elle ne se fonderait plus sur les alinéas 247(2)b) et d) pour soutenir qu’aucune déduction ne doit être autorisée concernant les commissions de garantie. La juge Campbell a indiqué qu’aucune modification n’avait été apportée aux actes de procédure, et qu’aucune mesure n’avait été prise pour les modifier depuis la date de l’audition de la requête en décembre 2014 [1] .

[34]  Le 30 mars 2015, l’intimée a déposé à la Cour d’appel fédérale un avis d’appel visant l’ordonnance de la juge Campbell.

[35]  Le 21 avril 2015, la juge Campbell a ordonné à Burlington de fournir à l’intimée les réponses aux questions demeurées sans réponse lors de l’interrogatoire préalable, de même que des réponses à jour aux engagements, avant le 19 juin 2015.

[36]  Le 17 mai 2016, l’intimée s’est désistée de son appel à la Cour d’appel fédérale visant l’ordonnance de la juge Campbell.

Requête de l’intimée en vue d’obtenir des réponses aux questions de l’interrogatoire préalable

[37]  Le 14 décembre 2015, l’intimée a déposé un avis de requête afin d’obtenir une ordonnance obligeant le représentant de Burlington, M. Delk, à répondre aux questions demeurées sans réponse lors de l’interrogatoire préalable.

[38]  Le 5 janvier 2016, l’intimée a déposé un avis de requête modifié afin d’ajouter parmi les mesures demandées, des ordonnances subsidiaires obligeant Burlington à répondre à toutes les questions controversées, par écrit, et à produire tous les documents demandés par l’intimée dans les 90 jours et, dans l’éventualité où Burlington ne se conformerait pas à l’ordonnance rendue, une ordonnance rejetant l’appel.

[39]  Les parties étaient prêtes à comparaître devant le juge Woods le 11 janvier 2016, lequel devait entendre sur quatre journées et demie les observations concernant la requête présentée par l’intimée. Toutefois, l’audience a été reportée après une journée, afin d’accorder à Burlington plus de temps pour fournir à l’intimée et à la Cour une réponse écrite à la requête présentée par l’intimée en vue d’obtenir des réponses aux questions de l’interrogatoire préalable.

[40]  Le 12 février 2016, Burlington a déposé ses observations écrites concernant la requête présentée par l’intimée en vue d’obtenir des réponses aux questions de l’interrogatoire préalable.

[41]  J’ai entendu la requête de l’intimée le 3 août 2017, et j’ai rendu une ordonnance obligeant Burlington à répondre à certaines des questions controversées de l’interrogatoire préalable. Dans mon ordonnance, j’ai résumé la position de l’intimée. Au paragraphe 5 de mes motifs, j’ai résumé la position de l’intimée à laquelle se rapporte la requête en l’espèce :

5.  [...]

16.  Dans sa réponse modifiée à l’avis d’appel, l’intimée s’est également fondée sur les alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi. Le moyen tiré de l’alinéa 18(1)a) relève de la théorie du double emploi, à savoir que les commissions de garantie n’ont pas été versées pour que les investisseurs extérieurs puissent être remboursés, compte tenu du fait que Burlington était une [société à responsabilité illimitée de la Nouvelle-Écosse] et en raison des instruments de montages financiers hybrides qui avaient effectués. Par conséquent, les commissions de garantie n’ont pas été versées en vue pas [sic] de tirer un revenu d’une entreprise, mais plutôt pour obtenir un avantage fiscal.

17.  En ce qui concerne l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi, l’intimée avance la thèse selon laquelle les commissions de garantie n’ont pas été versées dans le but d’emprunter des fonds, car BRI avait fourni la garantie à Burlington avant qu’elle soit tenue de payer une commission de garantie et qu’elle l’ait effectivement payée. Par conséquent, les commissions de garantie n’ont pas été versées dans le but d’emprunter des fonds que Burlington devait utiliser en vue de gagner un revenu d’une entreprise, mais plutôt afin d’obtenir un avantage fiscal.

18.  Dans sa réponse modifiée, l’intimée s’est également fondée sur les alinéas 247(2)b) et d) de la Loi pour refuser la déduction des commissions de garantie. Cependant, l’intimée a avisé la Cour qu’elle renonçait à invoquer l’argument selon lequel les garanties n’ont pas été conclues pour des objectifs véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal pour Burlington, aux termes des alinéas 247(2)b) et d) de la Loi.

[42]  En réponse à la requête présentée par l’intimée afin d’obliger M. Delk a répondre aux questions de l’interrogatoire préalable, Burlington a fait valoir que la portée du différend au fond s’était passablement circonscrite, en raison des aveux faits dans ses réponses et des commentaires de la représentante de l’intimée à l’interrogatoire préalable. Burlington a maintenu que son appel doit être accueilli parce que : (1) l’intimée n’invoque plus les alinéas 247(2)b) et d) de la Loi; et que (2) les aveux faits par Burlington relativement à certaines des hypothèses du ministre concernant les alinéas 247a) et c) de la Loi rendaient la thèse de l’intimée théorique quant à la question des prix de transfert.

[43]  Autrement dit, Burlington a repris les mêmes arguments que ceux invoqués sans succès devant le juge Hogan. Plus précisément, Burlington a fait valoir que la thèse retenue par l’intimée concernant les prix de transfert ne pouvait plus tenir, à la lumière des hypothèses avancées par le ministre. Comme je l’ai observé dans les motifs de mon ordonnance datée du 3 août 2017, la thèse de Burlington était fondée sur une interprétation inexacte de l’hypothèse avancée par le ministre, qui faisait référence au prix que demanderait une partie sans lien de dépendance pour garantir la dette de Burlington, si Burlington était une société autonome. J’ai conclu dans cette ordonnance que la controverse concernant la question du prix de transfert était toujours d'actualité.

Requête additionnelle de l’intimée en vue d’obtenir des réponses

[44]  Lors d’une conférence de gestion de l’instance à l’été 2018, l’intimée a affirmé que les réponses données par Burlington et Conoco à la suite de mon ordonnance n’étaient pas éclairantes.

[45]  Le 30 novembre 2018, l’intimée a déposé un avis de requête afin d’obtenir une ordonnance obligeant Burlington à fournir des réponses éclairantes et des documents pertinents, en lien avec mon ordonnance du 3 août 2017.

[46]  Le 8 avril 2019, j’ai rendu une ordonnance demandant à Burlington de répondre à certaines des questions restées sans réponse, mais pas à toutes, et j’ai discuté la question concernant les documents confidentiels.

III. MODIFICATIONS DEMANDÉES

La présente requête en modification présentée par l’intimée

[47]  Après que l’intimée eut terminé l’interrogatoire préalable du représentant de Burlington, comme Burlington ne consentait pas à ce que l’intimée dépose le projet de réponse modifiée modifiée, l’intimée a déposé une requête en autorisation de déposer ladite réponse devant notre Cour. Le projet de réponse modifiée modifiée est daté du 13 août 2019. Dans ce projet de réponse modifiée modifiée, l’intimée a concédé la question relative aux prix de transfert, mais a ramené l’article 67 de la Loi, qu’elle avait précédemment enlevé.

[48]  Dans la version de la réponse du 13 août 2019, l’intimée continue d’invoquer les alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi. En ce qui a trait à l’alinéa 20(1)e.1), l’intimée défend la position portant que les sommes versées par Burlington à BRI n’étaient pas des commissions de garantie, au sens de l’alinéa 20(1)e.1). Elle soutient, à titre subsidiaire, que si ces sommes constituaient des « commissions de garantie », elles n’ont pas été engagées par Burlington dans le but d’emprunter des fonds au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi. Elle soutient également que les conventions concernant les billets à ordre étaient sans effet juridique.

[49]  Le 23 septembre 2019, l’intimée a déposé des documents de requête modifiés, y compris une nouvelle réponse modifiée modifiée.

[50]  Le 30 octobre 2019, soit une journée avant l’audition prévue de la requête en modification, l’intimée a remis à la Cour et à Burlington un autre projet de réponse modifiée modifiée. Dans cette réponse, l’intimée renonce au moyen tiré de l’article 67 de la Loi, mais en ce qui concerne les arguments portant sur les alinéas 20(1)e.1) et l’absence d’effet juridique des conventions de commissions de garantie, elle conserve la même position que celle exposée dans les projets de réponse modifiée modifiée des 13 août 2019 et 23 septembre 2019.

[51]  Le 31 octobre 2019, le matin de l’audition prévue de la requête en l’espèce, l’intimée a remis à la Cour et à Burlington un autre projet de réponse modifiée modifiée, qui contenait certaines corrections de nature typographique, mais pas de modifications de fond.

[52]  L’intimée demande à notre Cour l’autorisation de déposer le projet de réponse modifiée modifiée daté du 30 octobre 2019 et présenté à la Cour le même jour que l’audition prévue de la requête, soit le 31 octobre 2019. Cette réponse est ainsi formulée :

[traduction]
12. Il [le procureur général du Canada] se fonde sur les alinéas 18(1)a) et b) et 20(1)e.1), les paragraphes 152(9) et 169(2.1), et l’article 248 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c. 1 (5e suppl.), avec les modifications (la Loi), et sur l’article 135 de la Companies Act, RSNS 1989, c 81, avec les modifications.

12.1 Il [le procureur général du Canada] soutient qu’aucune déduction ne devrait être autorisée relativement aux sommes que l’appelante devait verser à BRI, selon ses dires, aux termes des conventions, parce que :

a) l’appelante n’était redevable d’aucune somme à BRI à titre de « commissions de garantie » durant les années en cause, au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi;

b) à titre subsidiaire, si la Cour devait conclure que l’appelante était redevable de ces sommes à BRI à titre de « commissions de garantie », ces sommes n’ont pas été engagées par l’appelante dans le but d’emprunter des fonds, au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi.

12.2 Même si l’appelante avait besoin d’une garantie sans condition de BRI pour emprunter de l’argent sur le marché public grâce à l’émission de billets à ordre, elle n’avait pas besoin d’accepter, et n’a pas accepté, de verser une commission à BRI pour obtenir cette garantie, ou en guise de contrepartie pour cette garantie. Dans la mesure où les conventions étaient censées obliger l’appelante à fournir à BRI une commission, en guise de contrepartie parce que BRI avait accepté de garantir pleinement et sans condition les billets à ordre, ou parce que BRI s’était acquittée de ses obligations aux termes d’un arrangement antérieur de garantir pleinement et sans condition les billets à ordre, ces conventions sont par conséquent sans effet juridique.

13. Il [le procureur général du Canada] affirme qu’aucune déduction ne devrait être autorisée concernant ces sommes, puisqu’elles n’ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d’une entreprise, mais plutôt pour obtenir un avantage fiscal pour l’appelante, en contravention de l’article 9 et de l’alinéa 18(1)a) de la Loi. En outre, les sommes étaient inutiles et redondantes en raison du statut de l’appelante à titre de société à responsabilité illimitée et en raison des instruments de montages financiers hybrides qui ont été effectués.

14. Il [le procureur général du Canada] demande que l’appel soit accueilli en ce qui concerne les dépens et les pénalités relatives aux prix de transfert uniquement, et rejeté sur tous les autres aspects, avec dépens en faveur de l’intimée.

[53]  Les appels doivent être entendus à partir du 11 mai 2020, pour une période de trois semaines, pour ce qui est de l’appel de Conoco et à partir du 25 mai 2020, pour une période de trois semaines, pour ce qui est de l’appel de Burlington.

[54]  Les modifications proposées portent sur la qualification des commissions de garantie et sur l’absence d’effet juridique des conventions.

IV. POSITION DES PARTIES

[55]  L’intimée soutient que, étant donné qu’elle a renoncé au moyen tiré des prix de transfert, la portée de l’appel a été réduite. Quant aux modifications proposées, elle soutient qu’elles ne font que préciser la position déjà formulée par l’intimée, selon laquelle les déductions demandées ne constituaient pas des commissions de garantie et que les conventions portant sur les commissions étaient sans effet juridique. Par conséquent, les sommes déclarées par Burlington ne sont pas déductibles aux termes de l’article 9 et des alinéas 18(1)a) et 20(1)e.1) de la Loi.

[56]  L’intimée soutient qu’elle a toujours maintenu que les sommes en cause ne constituaient pas des « commissions de garantie » au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi, et a toujours contesté l'argument de Burlington, portant que les sommes versées aux termes des « conventions de commissions de garantie » l’ont été en contrepartie de la garantie offerte par BRI. L’intimée soutient que sa thèse concernant l’alinéa 20(1)e.1) a été plaidée dans sa réponse initiale, que Burlington a exposé sa position sur l’alinéa 20(1)e.1) lors des interrogatoires préalables, et qu’elle n’a jamais admis que les sommes versées constituaient des commissions de garantie, au sens de l’alinéa 20(1)e.1).

[57]  L’intimée soutient également que l’ordonnance du juge Hogan portait uniquement sur la question relative aux prix de transfert. Conformément à l’ordonnance du juge Hogan, elle a indiqué dans sa nouvelle réponse modifiée que les sommes versées constituaient des commissions de garantie uniquement pour l’application des dispositions relatives à la détermination du prix de transfert. Cela dit, l’intimée soutient qu’elle n’a jamais admis que les sommes versées constituaient des commissions de garantie au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi. Elle soutient de plus que cela ressort assez clairement des interrogatoires préalables menés après la reddition de l’ordonnance par le juge Hogan.

[58]  Sur la question de l’absence d’effet juridique des conventions sur les commissions, l’intimée affirme qu’il ne s’agit pas d’une question nouvelle, mais qu’elle s'inscrit dans la question plus générale de savoir si les sommes versées par Burlington à BRI l’ont été en contrepartie de la garantie offerte par BRI. L’intimée soutient que, même s'il n'est pas controversé entre les parties que les paiements ont été faits aux termes des quatre conventions, les parties ont toujours divergé concernant la qualification juridique de ces sommes aux fins de la loi fiscale. De plus, l’intimée soutient qu’elle n’a jamais fait quelque admission que ce soit au sujet de l’un ou l’autre de ces points. Toutefois, si la Cour devait conclure qu’elle l’a fait, l’intimée soutient que la présente requête constitue une requête en retrait d'aveux.

[59]  Sur la question du moment choisi pour le dépôt de la présente requête, l’intimée soutient qu’elle a attendu de terminer l’interrogatoire préalable de M. Delk avant de modifier sa nouvelle réponse modifiée, parce qu’elle ne voulait pas procéder à des modifications à la pièce. L’intimée soutient qu’elle a agi de manière raisonnable, puisqu’elle a déposé une requête en autorisation de déposer sa réponse modifiée modifiée deux mois après la fin des interrogatoires préalables.

[60]  Par conséquent, l’intimée soutient qu’elle répond aux conditions pour obtenir une autorisation de modifier ses actes de procédure, conditions consacrées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canderel Ltée c. Canada [2] [Canderel] et par la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Continental Bank Leasing Corp. c. Canada [3] [Continental]. Ainsi, l’intimée soutient que notre Cour doit lui accorder l’autorisation de déposer et de signifier la réponse modifiée datée du 30 octobre 2019.

[61]  Burlington prend acte de la renonciation par l’intimée au moyen tiré des prix de transfert et ce qu’elle invoque l’alinéa 20(1)e.1), puisque celle-ci a toujours invoqué ce texte. Toutefois, Burlington soutient que notre Cour ne doit pas accorder à l’intimée l’autorisation de déposer le projet de réponse modifiée modifiée, daté du 30 octobre 2019, puisque ce dernier vise la rétractation :

  • a) des aveux selon lesquels Burlington a accepté de payer à BRI des commissions en échange du service de garantie offert en 2001 et 2002;

  • b) des aveux selon lesquels les sommes en cause étaient payables, à titre de commissions de garantie;

  • c) de l’aveu connexe selon lequel la convention de commissions de garantie n’était pas sans effet juridique.

[62]  Burlington soutient également que l’intimée n'a pas explicitement demandé la permission de rétracter les aveux indiqués ci-dessus, et qu'il n'a pas justifié cette mesure. De plus, accorder à l’intimée l’autorisation de déposer la réponse modifiée modifiée porterait atteinte à Burlington, puisque les modifications proposées et les prétendues rétractations soulèveraient de nouvelles questions de fait à propos de ce qui s’est passé il y a près de 20 ans, en 2001. Avec le passage du temps, certains documents ne sont plus disponibles et les employés sont passés à autre chose.

[63]  Burlington et Conoco soutiennent avoir droit aux dépens inutiles, puisque tout le travail et les dépens relatifs à la question relative aux prix de transfert ont été inutiles, parce que l’intimée a renoncé à ce moyen à cette étape de l'instance.

[64]  L’intimée soutient que l'adjudication des dépens inutiles n’est pas approprié en l’espèce, puisque la décision de l’intimée de renoncer au moyen tiré des prix de transfert ne rend pas inutiles les dépens engagés par Burlington ou Conoco. L’intimée soutient plutôt que ces dépens ont permis la résolution rapide d’une question complexe. De plus, l’intimée soutient qu’elle ne s’est pas comportée de manière répréhensible, scandaleuse ou choquante, condition nécessaire à l’adjudication des dépens  inutiles.

V. QUESTIONS EN LITIGE

[65]  La Cour doit-elle accorder à l’intimée l’autorisation de modifier, de déposer et de signifier le projet de réponse modifiée modifiée, daté du 30 octobre 2019?

[66]  Les dépens inutiles doivent-ils être adjugés à Burlington et à Conoco, en raison de la renonciation par l’intimée au moyen tiré des prix de transfert?

VI. DISCUSSION

[67]  Je me pencherai d’abord sur les modifications proposées, et je discuterai ensuite la question de savoir si les dépens inutiles doivent être adjugés à Burlington et à Conoco.

A. Modifications proposées

[68]  L’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles) prévoit qu’une partie peut modifier son acte de procédure. L’article 54 des Règles est ainsi libellé :

Une partie peut modifier son acte de procédure, en tout temps avant la clôture des actes de procédure, et subséquemment en déposant le consentement de toutes les autres parties, ou avec l’autorisation de la Cour, et la Cour en accordant l’autorisation peut imposer les conditions qui lui paraissent appropriées.

[69]  L’article 54 des Règles doit être lu de concert avec l’article 4, selon lequel les Règles « doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse ».

[70]  En général, notre Cour a autorisé des modifications proposées des actes de procédure, lorsqu’il était dans l’intérêt de la justice de le faire, et lorsque les modifications proposées ne causaient pas de tort à une partie, que les dépens ne pouvaient réparer.

Prétendue rétractation de l’aveu fait par l’intimée selon lequel « les sommes versées constituaient des commissions de garantie ».

[71]  Burlington soutient que l’intimée a omis de demander explicitement l’autorisation de rétracter ses aveux, ou de faire état d'un motif de rétractation de ces aveux. Pour étayer son argument, Burlington se fonde sur l'enseignement de la Cour d’appel fédérale professé par l’arrêt Canderel, selon lequel une requête en autorisation de rétracter un aveu était une condition préalable à l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire pour autoriser la rétractation d’aveux antérieurs, en application de l’article 132 des Règles. De plus, Burlington se fonde sur une jurisprudence de notre Cour, Kondur c. La Reine [4] (Kondur), selon laquelle la partie doit faire état de motifs suffisants concernant la rétraction d’un aveu, faute de quoi doit être rejetés une telle requête en autorisation.

[72]  Cet argument avancé par Burlington n’est pertinent que si je devais conclure que les modifications proposées résultent en la rétractation des aveux de l’intimée. Compte tenu des éléments de preuve, je rejette la thèse portant que l’intimée a fait des aveux, au regard de l’article 132 des Règles.

[73]  La disposition portant sur la rétraction d’aveux est l’article 132 des Règles. Il est ainsi formulé :

Avec le consentement des parties ou l’autorisation de la Cour, une partie peut rétracter soit un aveu contenu dans une réponse à une demande d’aveux, soit un aveu présumé ou un aveu figurant dans un acte de procédure d’une partie.

[74]  L’article 132 des Règles ne vise que les aveux de fait présentés dans une demande d’aveux ou un acte de procédure, que l’on appelle un « aveu formel ». L’article 132 des Règles ne vise pas les aveux faits dans le cadre d’un interrogatoire préalable, que l’on appelle les « aveux informels ». Une réponse donnée durant un interrogatoire préalable peut être corrigée sans autorisation de la Cour. Le paragraphe 98(1) des Règles porte sur les aveux faits durant un interrogatoire préalable; il dispose :

98 (1) La partie interrogée au préalable, ou la personne qui l’est au nom, à la place ou en plus de cette partie, qui découvre ultérieurement qu’une réponse à une question de l’interrogatoire :

a) était inexacte ou incomplète;

b) n’est plus exacte et complète,

doit fournir immédiatement ce renseignement par écrit à toutes les autres parties.

[75]  De plus, contrairement à l’argument avancé par Burlington, la jurisprudence a retenu une approche quelque peu flexible en matière de rétraction d’aveux. Dans la décision Andersen Consulting c. Canada [5] , la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une requête en autorisation de rétracter des aveux n’avait pas à être présentée à part. Dans cette décision, le juge Strayer a observé : 

7.  À notre avis, [le juge des requêtes] a conclu à tort qu’une requête distincte en autorisation de rétracter des aveux était nécessaire en sus de la requête de l’appelante en modification de ses plaidoiries, laquelle modification, soutient l’intimée, comporte des rétractations d’aveux. Nous ne voyons aucune raison logique ou doctrinale de prescrire une requête à part. Une requête en modification des plaidoiries, même si elle propose des changements qui pourraient être considérés comme des rétractations d’aveux, est toujours une requête régulière en modification des plaidoiries au sens de la Règle 420. S’il y a quelque raison légitime de s’opposer à une rétractation de ce genre, elle peut être invoquée dans l’instance même où d’autres modifications sont examinées.

[76]  Dans la décision Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc. [6] , le juge Hughes de la Cour fédérale explique la distinction entre un aveu fait dans un acte de procédure et un aveu fait lors d’un interrogatoire préalable. Il opine qu’il n’est pas nécessaire d’obtenir une autorisation pour rétracter un aveu fait lors d’un interrogatoire préalable. Comme les règles de la Cour fédérale sont semblables à celles de notre Cour, ses observations sont pertinentes quant à la présente requête. Dans cette décision, il conclut :

[20]  Il semble que notre Cour ait élargi la gamme de situations dans lesquelles il est possible de faire un aveu « formel » en y ajoutant certains types d’aveux faits par les avocats lors de l’interrogatoire préalable, comme l’illustre la décision de la juge Tremblay-Lamer Archambault c Ministre du Revenu national, [1998] ACF no 635, 189 FTR 37 (confirmée sans analyse de cette question à 264 NR 171). On ne trouve pas dans les motifs qui ont été publiés les propos qui ont effectivement été tenus au cours de l’interrogatoire préalable, mais il semble que ces propos auraient été expressément tenus en vue du procès, si l’on considère que le paragraphe 6 des motifs, qui renvoie à une autre affaire, est donné pour illustrer le type de propos tenus. Au paragraphe 5, la juge Tremblay-Lamer affirme qu’à défaut de consentement de la partie adverse, l’aveu « formel » ne peut être retiré sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de la Cour :

5  La jurisprudence est claire sur la question de la rétraction des aveux : une partie ne peut retirer un « aveu formel » (“formal admission” ou “judicial admission”) sans obtenir au préalable l’autorisation de la Cour ou le consentement de la partie adverse.

[21]  En revanche, notre Cour a qualifié d’aveux « informels » les réponses données lors de l’interrogatoire préalable qui peuvent être nuancées, élaborées ou même contredites avec préavis à la partie adverse. Le protonotaire Lafrenière écrit ce qui suit, au paragraphe 37 de la décision Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2009] ACF no 177, 343 FTR 41 :

37  Quoique les réponses fournies par les représentants de GSK au cours des interrogatoires préalables soient considérées comme des aveux informels, elles peuvent être nuancées, développées, ou même contredites avec préavis à la partie adverse. La possibilité de remédier à une réponse inexacte ou incomplète est expressément prévue à l’article 245 des Règles selon lequel la personne interrogée au préalable qui se rend compte par la suite que la réponse qu’elle a donnée à une question n’est plus exacte ou complète, fournit sans délai, par écrit, les renseignements exacts ou complets.

[22]  Dans Marchand c Public General Hospital Society of Chatham, [2000] OJ No 4428, 51 OR (3d) 97, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée précisément sur la question de la rectification d’une réponse donnée lors de l’interrogatoire préalable lorsque cette rectification a lieu au cours du procès lui-même. La Cour a établi une distinction entre les réponses données lors de l’interrogatoire préalable et les aveux « formels ». Les réponses données lors de l’interrogatoire préalable peuvent être corrigées et c’est au juge du procès qu’il appartient de déterminer les conséquences de la rectification. Il est instructif de consulter au complet l’analyse à laquelle la Cour s’est livrée au sujet de cette question aux paragraphes 70 à 86. Je ne reproduis ici que les paragraphes 77 et 80 :

[traduction]
77  En premier lieu, la réponse que M. Asher a d’abord donnée lors de l’interrogatoire préalable ne constitue pas un aveu formel. Ainsi, il lui était toujours loisible d’expliquer dans son témoignage la réponse qu’il avait donnée lors de l’interrogatoire préalable. Dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 3e éd. (Toronto, Butterworths, 1999), aux pages 1051 à 1053, les auteurs Sopinka, Lederman et Bryant établissent une distinction entre les aveux formels et les aveux informels. L’aveu formel règle de façon péremptoire les questions faisant l’objet de l’aveu et il ne peut être retiré qu’avec l’autorisation de la Cour ou le consentement de la partie en faveur de laquelle il a été fait. Aux pages 1051 et 1052, les auteurs expliquent que l’aveu formel peut être fait au moyen :

1)  d’une déclaration faite dans un acte de procédure ou par suite de l’omission de déposer des actes de procédure;

2)  d’un énoncé conjoint des faits déposé au procès;

3)  d’une déclaration verbale faite par l’avocat lors du procès, voire par suite du silence de l’avocat à l’égard des déclarations faites par l’avocat de la partie adverse dans le but que le juge se fonde sur ces déclarations;

4)  d’une lettre adressée à l’avocat d’une partie avant le procès;

5)  d’une réponse ou par suite de l’omission de répondre à une demande d’aveu sur une question de fait.

En revanche, l’aveu informel ne lie pas la partie qui l’a fait s’il est supplanté par une autre preuve. Autrement dit, la partie qui a fait un aveu informel peut toujours produire une preuve pour révéler les circonstances dans lesquelles l’aveu a été fait en vue d’en réduire les effets préjudiciables.

[...]

80  Holmested et Watson expliquent dans leur ouvrage, précité, à 31 paragraphe 25, l’obligation faite par l’article 31.09 des Règles de rectifier et de compléter les réponses qui ont été données. En principe, il est loisible aux parties de rectifier les réponses qu’elles ont données lors de l’interrogatoire préalable. Il appartient au juge du procès de trancher la question des conséquences des rectifications et le juge du procès a le droit d’examiner les réponses originales et les réponses modifiées (Machado c. Pratt & Whitney Canada Inc. (1993), 17 C.P.C. (3d) 340 (protonotaire Ont.); Capital Distributing Company c. Blakey (1997), 33 O.R. (3d) 58 (Div. gén.).

[77]  Lors de l’interrogatoire préalable de la représentante de l’intimée mené par Burlington en 2014, l’intimée a clairement exprimé sa position. À de nombreuses reprises, l’avocate de l’intimée a affirmé que la position de l’intimée était qu’aucune somme n’était payable à titre de commission de garantie. Par exemple, Mme Goldstein a répondu de la façon suivante à la question posée par l’avocate de Burlington :

[traduction]
21.   MME MacDONALD : Q. J’aimerais commencer en posant quelques questions à propos de l’alinéa 20(1)e.1). [...]

[...]

22.  MME MacDONALD : Q. [...] Donc, si l’on examine le paragraphe 20(1), on lit : Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition celles des sommes suivantes [...] Le voyez-vous?

MME GOLDSTEIN : Oui.

23.  MME MacDONALD : Q. Ensuite, l’alinéa e.1) est assez long, mais il y a seulement quelques expressions tirées de l’alinéa e.1) que j’aimerais examiner. On y lit : un montant payable par le contribuable [...] puis après une longue parenthèse, il est écrit : [...] à titre de [...] frais de garantie [...] voyez-vous ces mots?

MME GOLDSTEIN : Oui.

24.  MME MacDONALD : Q. La position de l’intimée est qu’aucune somme n’était payable par le contribuable à titre de commission de garantie?

MME GOLDSTEIN : Oui.

25.   MME MacDONALD : Q. Donc, la somme en cause qui a été refusée dans ces nouvelles cotisations ne constituait pas, selon la position de l’intimée, une commission de garantie?

MME GOLDSTEIN : Exact.

28.  MME MacDONALD : Q. Je pose la question à propos de la position de l’intimée, parce que je comprends, vous m’avez dit que la position de l’intimée était qu’il n’y avait aucune somme payable à titre de commission de garantie, donc cet accord que je vous ai montré [...] [...]

36.  MME MacDONALD : Q. Donc, quelle est la position de la Couronne?

MME GOLDSTEIN : Je pense que je le répète pour la troisième fois. La position de la Couronne est que la commission de garantie alléguée n’a pas été payée à titre de commission de garantie, elle a été payée pour obtenir un avantage fiscal.

75.  MME MacDONALD : Q. [...] ensuite, l'expression suivante de la disposition dit « et que le contribuable engage ». Donc, je comprends qu’il y a une controverse quant à la question de savoir si les sommes versées à titre de commissions de garantie constituaient des commissions de garantie, mais y a-t-il controverse quant à la question de savoir si les sommes qui ont été refusées en l’espèce ont bien été engagées par le contribuable?

[78]  En plus des réponses données lors de l’interrogatoire préalable, la position de l’intimée, selon laquelle les sommes versées ne constituaient pas des commissions de garantie, est également réaffirmée dans l’ordonnance rendue par la juge Campbell dans la décision Burlington en 2015 [7] .

[79]  À mon avis, le seul aveu potentiel se trouve au paragraphe 4 de la réponse initiale et de la nouvelle réponse modifiée, qui est ainsi formulée :

[traduction]

Voici le paragraphe 13 de l’avis d’appel :

13.  Les montants des commissions de garantie payables par l’appelante à BRI durant les années d’imposition se terminant le 31 décembre 2002, le 31 décembre 2003, le 31 décembre 2004, et le 31 décembre 2005 (les années d’imposition 2002 à 2005) étaient les suivants (ensemble, les commissions de garantie) :

Année d’imposition

Commissions de garantie

31 décembre 2002

23 156 153 $

31 décembre 2003

21 952 025 $

31 décembre 2004

19 590 771 $

31 décembre 2005

18 118 688 $

Le paragraphe 4 de la réponse indique ce qui suit :

En ce qui concerne le paragraphe 13 de l’avis d’appel, il reconnaît que les montants des commissions de garantie payables par l’appelante sont ceux indiqués (les frais).

Le paragraphe 4 de la nouvelle réponse modifiée indique ce qui suit :

En ce qui concerne le paragraphe 13 de l’avis d’appel, il reconnaît que les montants des commissions de garantie payables par l’appelante sont ceux indiqués (les commissions de garantie) [8] .

[80]  Compte tenu de la position défendue par l’intimée lors des interrogatoires préalables en 2014, et de l’ordonnance de la juge Campbell rendue en 2015 [9] , je suis d’avis que l’intimée n’a pas concédé, de façon claire et délibérée, que les sommes versées à BRI constituaient des commissions de garantie.

[81]  Je suis également d’avis que la question de savoir si certaines sommes versées constituent des commissions de garantie au sens de l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi est une question de fait et une question mélangée de fait et de droit. Par conséquent, les déclarations de l’intimée lors des interrogatoires préalables ne peuvent être assimilés à des aveux. De plus, le rejet par l’intimée des paragraphes 11 et 12 de l’avis d’appel tend à confirmer ma conclusion. Comme l’a observé le juge Bowman dans la décision Continental [10]  :

[traduction]

Le système judiciaire au Canada perdrait de sa crédibilité si les tribunaux étaient limités, dans leur examen du fond d’une affaire, par un aveu irréfléchi qui est incompatible avec une autre thèse avancée, en particulier si on tente de rétracter un tel aveu au début d’une instance. Cela tient également, que ce soit le contribuable ou la Couronne qui tente de modifier sa thèse.

[82]  Quoi qu’il en soit, si j’avais jugé que l’intimée a fait un aveu au paragraphe 4 de la réponse concernant les « commissions de garantie », j’aurais quand même autorisé la rétractation de l’aveu, puisqu’à mon avis, il y a un point justiciable, lequel doit être déféré au juge dans l’intérêt de la justice. Sur cette question, la Cour d’appel fédérale conclut ce qui suit dans l'arrêt Andersen Consulting [11]  :

11.  Par contraste, elle-même a déposé devant le juge des requêtes une volumineuse documentation pour contester les modifications et soutenir que celles-ci visaient à rétracter des aveux. Il est intéressant de noter que l’appelante s’est fondée sur la documentation même déposée par l’intimée pour démontrer que les modifications demandées ne visaient qu’à clarifier et à expliciter ses plaidoiries initiales.

12.  Différents critères de rigueur inégale ont été appliqués par les différentes juridictions à travers le Canada en matière de rétractation d’aveu. À une extrémité, la jurisprudence ontarienne, en ce qui a trait à l’interprétation de la Règle 51.05 des Règles de procédure civile, impose trois conditions à la partie qui demande l’autorisation de rétracter un aveu :

(1) la modification proposée doit faire valoir un point jugeable;

(2) l’aveu a été fait par inadvertance ou par suite de mauvaises instructions; et

(3) la rétractation ne doit causer aucun préjudice qui ne soit réparable par dommages-intérêts.

13.  À l’autre extrémité, les juridictions de Colombie-Britannique, adoptant une conception plus souple, ne posent pas pour condition essentielle de rétractation que l’aveu contenu dans la défense ait été fait par inadvertance ou de façon hâtive. Le critère qu’elles observent pose que dans toutes les circonstances de la cause, il doit y avoir un point jugeable, qui devrait passer en jugement dans l’intérêt de la justice et qui ne devrait pas se résoudre par une admission de fait. Selon ce critère, l’inadvertance, l’erreur, la précipitation, l’ignorance des faits, la découverte de faits nouveaux, et l’introduction en temps opportun de la requête sont autant de facteurs à prendre en considération pour examiner s’il ressort des circonstances qu’il y a un point jugeable, lequel devrait passer en jugement dans l’intérêt de la justice.

14.  Nous préférons la voie empruntée par les tribunaux de Colombie-Britannique, qui assure à la juridiction saisie d’une requête en modification des plaidoiries, même lorsque la modification vise à rétracter un ou des aveux, la souplesse nécessaire pour faire en sorte que les points jugeables passent en jugement, sans que les parties n’aient à subir d’injustice.

[83]  Dans la présente requête, les modifications proposées soulèvent des questions justiciables. De plus, la prétendue rétractation ne cause aucune injustice à Burlington, puisqu’elle est courant de la position de l’intimée au moins depuis l’interrogatoire préalable de la représentante de l’intimée en 2014. En outre, cet interrogatoire préalable n’était pas terminé au moment du dépôt de la présente requête. Burlington pouvait poser davantage de questions sur ce point si elle le souhaitait.

Prétendue rétraction de l’aveu de l’intimée selon lequel les conventions de commissions étaient sans effet juridique

[84]  En ce qui concerne les modifications portant sur la position de l’intimée selon laquelle les conventions de commissions étaient sans effet juridique, l’intimée n’a pas besoin de l’autorisation de la Cour pour rétracter ou corriger une réponse donnée durant l’interrogatoire préalable. Quoi qu’il en soit, je rejette la thèse de Burlington portant que l’intimée a reconnu durant l’interrogatoire préalable qu’elle renonçait à [traduction] « l’argument d’absence d’effet juridique ». Par conséquent, je rejette la thèse portant que les modifications proposées restaurent un argument qui aurait précédemment fait l'objet d'une renonciation. Il ressort de l'analyse rigoureuse des réponses produites à l’interrogatoire préalable et de l’ordonnance rendue par la juge Campbell dans la décision Burlington Resources Finance Company c. La Reine [12] que l’intimée n’a pas renoncé à l’argument selon lequel les conventions étaient sans effet juridique. Au paragraphe 124 de son ordonnance, la juge Campbell a affirmé que l’intimée avait défendu la « position déclarée portant que les conventions de commissions de garantie n’avaient pas d’effet juridique ».

Application des critères consacrés par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canderel et Continental aux modifications proposées

[85]  En ce qui concerne l’affaire Canderel [13] , la Couronne a déposé une requête en modification de sa réponse le cinquième jour du procès. Le juge de première instance n’a pas autorisé la Couronne à modifier sa réponse. La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance. Il est manifeste, d’après les observations du juge Decary de la Cour d’appel fédérale, que le dépôt tardif de la requête a constitué un facteur déterminant de rejet des modifications dans l’arrêt Canderel. Aux paragraphes 14 et 15, le juge Decary affirme ce qui suit :

14.  Même s’il est exact que l’autorisation de faire une modification peut être recherchée à toute hauteur de la procédure, on peut dire sans risque d’erreur que plus tardive est la demande, plus difficile il sera pour le requérant de surmonter le double obstacle que représentent pour lui l’injustice causée à la partie adverse et les intérêts de la justice. Nous notons que dans toutes les affaires fiscales mentionnées par l’avocat de l’appelante, la requête en modification avait été faite avant le procès, ou elle avait été faite au procès mais l’avocat de la partie adverse pouvait s’y attendre au cours du procès. [...]

15.  En l’espèce, la véritable question en litige (la question temps) était connue des deux parties, et elles en avaient convenu longtemps avant le début du procès. Les faits permettant à l’avocat de l’appelante de tenter d’imputer les paiements au capital étaient déposés en preuve bien avant le début du procès. Même lorsque les prétendus faits non révélés ont été portés à la connaissance de l’avocat de l’appelante juste avant le début du procès, il n’a pas demandé l’autorisation d’apporter une modification, et il a attendu jusqu’à 22 heures le soir du quatrième jour du procès avant de soulever la question auprès de l’avocat de l’intimée. À ce stade, évidemment, les témoins, y compris les témoins experts, avaient déjà déposé, et les interrogatoires préliminaires avaient eu lieu. Le juge de première instance était d’avis que la modification “pourrait obliger les parties à rappeler tous les témoins et les experts à témoigner en tenant compte de la modification projetée D.A., à la p. 60.”.

[86]  Toutefois, le juge Decary a réitéré, dans l’arrêt Canderel [14] , la règle générale portant que les modifications doivent être autorisées à toute étape de l’instance, afin que soient déterminées les véritables questions controversées entre les parties, pourvu que cette autorisation serve l’intérêt de la justice et ne cause pas à l’autre partie une injustice que les dépens ne pourraient réparer.

[87]  Dans la décision Continental [15] , le juge en chef Bowman de notre Cour (tel était alors son titre), a accueilli la requête présentée par le ministre en modification des réponses, en ajoutant certains paragraphes et en rétractant des aveux. Dans son examen de l’application des articles 4, 54 et 132 des Règles, le juge Bowman a conclu que ces [traduction] « dispositions confèrent à la Cour un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la modification d’actes de procédure et la rétractation d’aveux, lorsqu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire ».

[88]  En ce qui concerne le critère que doit appliquer le juge pour déterminer si une modification doit être autorisée, le juge Bowman a conclu que le juge doit répondre à la question suivante : [traduction] « les intérêts de la justice seraient-ils mieux servis si la demande de modification ou de rétraction était approuvée ou rejetée? » De plus, le juge Bowman a souligné les critères à prendre en compte pour déterminer si les modifications sont conformes à l’intérêt de la justice. Toutefois, il a clairement observé qu’il n’existe aucun facteur prédominant ou déterminant, et que l’on doit plutôt accorder à chacun des facteurs le poids qui lui revient dans le cadre de l’affaire donnée. Ces facteurs sont les suivants :

  • a) le délai de présentation de la requête en modification ou en retrait;

  • b) la mesure dans laquelle les modifications proposées retarderont l’instruction expéditive de l’affaire;

  • c) la mesure dans laquelle la thèse défendue à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre, dans le contentieux, une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier;

  • d) la mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend.

[89]  La doctrine professée par le juge Bowman dans la décision Continental a été citée et approuvée par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canderel Ltée c. Canada, [1993] 2 CTC 213 [Canderel], Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488 [Merck & Co], et Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 242 [AbbVie Corp].

[90]  J’appliquerai maintenant les facteurs consacrés par la jurisprudence Continental en l’espèce.

a)  Délai de présentation de la requête en modification ou en retrait

[91]  L’intimée a déposé sa requête en modification deux mois après la fin de l’interrogatoire préalable.

[92]  En 2014, l’intimée a informé la Cour et Burlington qu’elle n’invoquerait plus les alinéas 247b) et 247d) de la Loi. Toujours en 2014, durant l’interrogatoire préalable, elle a exposé dans ses grandes lignes sa position concernant la question de savoir si les sommes versées constituaient des commissions de garantie, et si les conventions de commissions étaient sans effet juridique. De plus, la position défendue par l’intimée dans le projet de réponse modifiée modifiée est bien résumée par la juge Campbell dans l’ordonnance qu’elle a rendue en 2015. Burlington a par conséquent été informée de la position de l’intimée.

[93]  À l’audition de la requête, l’intimée a affirmé qu’elle avait attendu la fin du processus d’interrogatoire préalable pour modifier sa nouvelle réponse modifiée. Ce n’est pas nouveau, puisque l’intimée a défendu la même position devant la juge Campbell en décembre 2014 [16]  :

[traduction]

Nous avons appris hier et ce matin que, par nos réponses aux engagements, l’intimée a dit que nous laisserons tomber les alinéas 247b) et 247d). Nous voulons simplement faire savoir à la Cour que nous n’avons pas encore modifié notre réponse parce que nous n’avons pas encore terminé nos interrogatoires préalables du représentant de l’appelante. Nous pourrions souhaiter modifier d’autres éléments à l’issue de ces interrogatoires. Afin d’éviter le dépôt de multiples actes de procédure modifiés, nous voulons attendre la fin des interrogatoires préalables, puis apporter des modifications en fonction de notre position à ce moment.

[94]  À mon avis, cette façon de procéder est raisonnable. Par conséquent, l’intimée a satisfait au facteur du délai de présentation de la requête.

b)  Mesure dans laquelle les modifications proposées retarderaient l’instruction expéditive de l’affaire

[95]  Étant donné que l’intimée renonce au moyen tiré des prix de transfert, le procès sera écourté. De plus, Burlington sera en mesure de continuer l’interrogatoire préalable de la représentante de l’intimée. Ainsi, les modifications en cause ne retarderont pas l’instruction de l’affaire et ce facteur est donc satisfait.

c)  Mesure dans laquelle la thèse défendue à l’origine par une partie a amené une autre partie à suivre, dans le contentieux, une ligne de conduite qu’il serait difficile, voire impossible, de modifier

[96]  En ce qui concerne les modifications proposées, l’intimée a communiqué sa position à Burlington durant l’interrogatoire préalable, et plus tard devant la juge Campbell et moi-même [17] . En outre, durant l’interrogatoire préalable de la représentante de l’intimée, Burlington a posé des questions sur les points qui sont maintenant inclus dans les modifications proposées. De plus, puisque j’avais déjà ordonné la poursuite du processus d’interrogatoire préalable, Burlington est en mesure de poser d’autres questions à la représentante de l’intimée, si elle souhaite le faire. Ce facteur est satisfait.

d)  Mesure dans laquelle les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour du véritable fond du différend

[97]  À mon avis, ce critère est également satisfait. Les modifications demandées faciliteront l’examen par la Cour. L’intimée s’est toujours appuyée sur l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi. Les modifications proposées permettent d’expliquer à la Cour quel est l’enjeu en ce qui a trait à l’alinéa 20(1)e.1). Il est important pour la Cour de comprendre les arguments de l’intimée. Même si l’appel interjeté par Burlington porte sur les années d’imposition 2002, 2003, 2004 et 2005, l’issue de l’instance vaudra aussi pour les années d’imposition ultérieures, soit de 2006 à 2031. Il faut que la Cour se penche sur le véritable fond du différend. De plus, comme l’a observé le juge Bowman dans la décision Continental, au paragraphe 23, les appels en matière d’impôt sur le revenu mettent en jeu l’intérêt public :

[traduction]

[...] Bien que je ne mette pas en doute le pouvoir du procureur général du Canada de reconnaître certains faits comme avérés dans une procédure contentieuse à laquelle la Couronne est partie, il ne faut pas oublier que les appels en matière d’impôt sur le revenu mettent en jeu l’intérêt public, et la Cour doit être en mesure de statuer en se fondant sur des faits exacts et sur des questions dûment définies (voir The Clarkson Co. v. The Queen, [1979] C.T.C. 96, 79 D.T.C. 5150 (C.A.F.), page 97 (D.T.C. 5151), note de bas de page 3). Le système judiciaire au Canada perdrait de sa crédibilité si les juges étaient limités, dans leur examen du fond d’une affaire, par un aveu irréfléchi qui est incompatible avec une autre thèse avancée, en particulier si on tente de rétracter un tel aveu au début d’une instance. Cela vaut aussi, que ce soit le contribuable ou la Couronne qui tente de modifier sa thèse.

[98]  Tous les facteurs qui précèdent sont satisfaits; je conclus que les modifications proposées servent l’intérêt de la justice.

[99]  Enfin, comme la Cour l’a affirmé dans l’arrêt Canderel, avant d’autoriser une partie à modifier son acte de procédure, la Cour doit s’assurer que la modification ne cause pas une injustice à laquelle que les dépens ne pourraient remédier.

Préjudice auquel les dépens ne pourraient remédier

[100]  Burlington soutient que les modifications proposées lui causeraient un préjudice, puisque l’interrogatoire préalable de Mme Fawcett est terminé et qu’elle a depuis pris sa retraite. Plus précisément, Burlington soutient que la portée de l’interrogatoire initial se limitait à la thèse alors défendue, laquelle ne portait pas sur la question de savoir si les sommes versées constituaient des commissions de garantie. Elle soutient également que le temps écoulé depuis le début de la procédure contentieuse en 2012 a compromis sa capacité de rassembler des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de l’intimée, selon laquelle les sommes versées ne constituaient pas des commissions de garantie.

[101]  Toutefois, l’avocat de Burlington a admis que, dans la mesure où il existait des documents que Burlington aurait voulu rassembler, il est probable qu’une bonne partie de ces documents ait été perdue avant 2012 et que Burlington ait déjà été en contact avec deux anciens employés informés des questions faisant l’objet de l’appel. De plus, contrairement à ce qui a été affirmé, Burlington a eu la possibilité de questionner la représentante du ministre sur la question relative à l’alinéa 20(1)e.1) de la Loi.

[102]  Enfin, comme je l’ai déjà observé, Burlington n’a pas encore terminé son interrogatoire préalable de la représentante de l’intimée. Burlington peut demander à Mme Fawcett de se présenter à nouveau à un interrogatoire préalable portant sur ces questions avant le procès.

[103]  Pour les motifs indiqués ci-dessus, Burlington n’a pas fait la preuve que les modifications proposées lui causeront du tort.

[104]  Par conséquent, la requête de l’intimée en autorisation de déposer et de signifier la réponse modifiée modifiée et la nouvelle réponse modifiée est accueillie.

B. Dépens inutiles

[105]  Comme il est souligné dans l’historique procédural des présents motifs, la nouvelle cotisation établie par le ministre était fondée sur les dispositions relatives aux prix de transfert, soit les alinéas 247(1)a) et 247(1)c) et le paragraphe 247(3) de la Loi. Au cours de l’appel, l’intimée a ajouté puis retiré certains arguments à l’appui de la nouvelle cotisation établie par le ministre. Avec le temps, l’intimée a concédé le moyen tiré de la question des prix de transfert et a renoncé aux arguments fondés sur l’article 67 et les alinéas 20(1)e) et 247a), b), c) et d) de la Loi.

[106]  L’intimée a remis à la Cour et à Burlington quatre projets de réponse modifiée modifiée, les 13 août 2019, 23 septembre 2019 et 30 octobre 2019, ainsi que le matin du 31 octobre 2019, jour de l’audition prévue de la requête [18] . Le retrait du moyen tiré des prix de transfert était exposé dans la version de la réponse datée du 13 août 2019, qui constituait le premier projet de réponse modifiée modifiée suivant la fin de l’interrogatoire préalable du représentant de Burlington mené par l’intimée. Aucune modification importante n’a été apportée dans la réponse du 31 octobre 2019; il s’agissait seulement de corriger des erreurs typographiques.

[107]  Burlington soutient que même si l’intimée a reconnu qu’il était nécessaire pour Burlington d’obtenir une garantie pour pouvoir emprunter des fonds, l’intimée a maintenu que le coût de cette garantie était nul. Burlington soutient que l’intimée, en reconnaissant que Burlington avait besoin d’une garantie pour emprunter des fonds, a défendu une position agressive et vigoureuse dans le présent appel.

[108]  Autrement dit, Burlington affirme qu’elle a droit aux dépens inutiles, parce que la position de l’intimée concernant les prix de transfert a toujours été voué à l'échec. Toutefois, Burlington a affirmé qu’elle ne soutient pas que l’avocate de l’intimée a agi de manière inappropriée, répréhensible, choquante ou scandaleuse. Burlington soutient plutôt qu’il n’est pas nécessaire de conclure qu’une des parties a eu une conduite inappropriée pour adjuger des dépens inutiles.

[109]  Burlington a engagé des sommes et des efforts importants pour répondre aux allégations de l’intimée concernant les prix de transfert, et a notamment répondu à des milliers de questions en rapport avec ces allégations durant et après l’interrogatoire préalable de son représentant. Burlington soutient que la décision de l’intimée d’abandonner les arguments fondés sur les dispositions relatives aux prix de transfert rend tous ses efforts sur la question des prix de transfert inutiles.

[110]  Burlington a affirmé à l’audition de la requête qu’elle n’avait pas précisé ces coûts parce qu’il est long et complexe pour les deux parties de déterminer quels dépens ont été inutiles. Burlington soutient qu’elle demande une décision [traduction] « de principe » par laquelle ses dépens lui seraient adjugés. Les parties pourraient déterminer le montant de ces dépens par la suite. En cas de désaccord, les parties pourront soumettre le différend sur le montant des dépens à la Cour, qui statuera. Si la Cour devait décider de ne pas adjuger de dépens inutiles, Burlington n’aurait pas déployé inutilement des efforts et des ressources pour en déterminer le montant.

[111]  Burlington affirme que compte tenu des circonstances uniques du présent appel, la Cour doit adjuger des dépens inutiles raisonnables comme condition pour permettre à l’intimée de modifier sa réponse.

[112]  L’intimée soutient que l’adjudication des dépens inutiles n’est pas appropriée pour plusieurs raisons :

  • a) selon une jurisprudence constante, les dépens ne sont pas inutiles lorsqu’une partie choisit de ne pas discuter une question au procès après avoir obtenu communication intégrale de tous les renseignements sur cette question;

  • b) adjuger des dépens inutiles dans les circonstances serait contraire à l’objectif de l’interrogatoire préalable, et dissuaderait les parties de préciser les questions avant le procès ou d’éliminer des questions, de crainte de devoir payer les dépens de l’autre partie;

  • c) les dépens avocat-client ne sont que lorsqu’une partie a eu une conduite répréhensible, ce qui est rare. La décision de l’intimée, après les interrogatoires préalables, de ne plus invoquer l’article 247 ne constitue pas une conduite répréhensible et ne justifie pas l’adjudication de dépens avocat-client.

[113]  De plus, l’intimée soutient qu’elle n’a pas ralenti le processus. Elle a pris la décision de renoncer au moyen tiré des prix de transfert après que Burlington eut accepté de produire ses réponses finales aux engagements en juin 2019, c’est-à-dire neuf mois avant la date du procès. La responsabilité de ce retard ne doit pas lui être imputée, puisqu’il a fallu cinq ans et trois requêtes avant que Burlington ne se conforme à ses obligations en matière de communication préalable. L’intimée soutient également que le maintien vigoureux de sa position ne justifie pas l’adjudication de dépens.

[114]  L’intimée affirme en outre que, selon la jurisprudence, pour pouvoir accorder des dépens inutiles, la Cour doit non seulement conclure que les dépens ont été inutiles, mais également préciser quels dépens ont été inutiles. Burlington a eu suffisamment de temps pour préciser quels dépens ont été inutiles selon elle, mais elle ne l’a pas fait.

[115]  Devant le juge Hogan, Burlington a affirmé que l’appel doit être accueilli, parce que la nouvelle cotisation n’était pas justifiée vu certaines des hypothèses émises par le ministre concernant la question des prix de transfert. Le juge Hogan a rejeté cet argument et a affirmé qu’il était légitime pour l’intimée de poser la question de savoir si une personne sans lien de dépendance se trouvant à la place de Burlington aurait été disposée à payer les commissions de garantie relativement à la garantie explicite de BRI tout en sachant que BRI pouvait être responsable des dettes de Burlington, même sans garantie. J’en suis arrivée à la même conclusion dans mon ordonnance rendue le 3 août 2017.

[116]  En outre, comme l’a observé le juge Owen dans la décision Cameco Corporation c. La Reine [19] , aux paragraphes 12 et 34 de ses motifs, l’objectif des dépens n’est pas de punir la partie déboutée, et une partie a droit de défendre vigoureusement sa position :

[traduction]

12. [...] l’objectif des dépens n’est pas de punir la partie déboutée en fonction d’une analyse ex post facto du bien-fondé relatif des thèses avancées.

34.  Je rejette l’avis de l’appelante selon lequel la décision de l’intimée de faire vigoureusement valoir son argument du trompe-l’œil est pertinente en application de ce facteur. L’intimée a produit une preuve abondante pour étayer son argument du trompe-l’œil. J'ai tout simplement rejeté la position de l’intimée selon laquelle cette preuve allait dans le sens d'une constatation de l’existence d’un trompe-l’œil fondée sur mes conclusions de fait et sur le critère juridique relatif au trompe-l’œil consacré par la jurisprudence.

[117]  Je suis d’avis que l’intimée ne peut être pénalisée, et que Burlington ne peut avoir droit aux dépens inutiles, en raison de la position défendue par l’intimée concernant la question des prix de transfert. Rien n’indique que l’intimée a agi de manière répréhensible, scandaleuse ou choquante. On s’attend à ce que les avocats défendent vigoureusement les intérêts de leurs clients, surtout dans les dossiers complexes, où les enjeux sont grands.

[118]  De plus, contrairement aux affirmations de Burlington, l’intimée ne peut être l’unique responsable du délai qu'il a fallu avant que l’appel de Burlington puisse être entendu. Comme l’intimée l’a affirmé à juste titre, il a fallu trois requêtes avant qu’elle puisse terminer l’interrogatoire préalable du représentant de Burlington. Burlington n’est pas non plus l’unique responsable des délais causés par les requêtes. Jusqu’ici, les requêtes déposées par les deux parties ne se sont pas révélées frivoles.

[119]  La question des dépens inutiles a fait l'objet d'une abondante jurisprudence.

[120]  Dans la décision Teva Canada Limited c. Pfizer Canada Inc. [20] , le juge Zinn de la Cour fédérale a observé au paragraphe 3 de ses motifs :

3.  Les frais engagés inutilement sont décrits au paragraphe 8 de la décision Caldwell v Caldwell, 2015 ONSC 7715, comme [traduction] « les frais engagés inutilement par une partie pour la préparation de l’instruction, qui devra être recommencée à la suite de l’ajournement de l’instruction ».

[121]  De plus, au paragraphe 6 de ses motifs, le juge Zinn observe :

6.  Je suis d’accord avec les observations de Teva selon lesquelles les décisions de tribunaux ontariens invoquées par Pfizer pour étayer sa demande d’indemnisation complète me sont peu utiles pour trancher la question en l’espèce. L’adjudication de ces dépens ne relève pas de la jurisprudence de la Cour. J’estime que les actes de Teva qui ont mené à l’ajournement de l’audition antérieure ne se rapprochent pas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou choquante qui pourrait justifier l’octroi d’une indemnisation complète : voir Blackmore c. Canada, 2011 CAF 335, au paragraphe 3. Ce n’est qu’après que Teva a omis d’informer la Cour et Pfizer des directives qu’elle avait reçues pour ce qui est de demander l’autorisation d’interjeter appel du jugement de la Cour d’appel fédérale auprès de la Cour suprême du Canada que Pfizer s’est vue adjuger des dépens relativement aux frais qu’elle a engagés inutilement.

[122]  Dans la décision Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems (Canada) Inc. [21] , les dépens inutiles sont définis au paragraphe 7 de la façon suivante :

Les dépens inutiles sont ceux qui sont consacrés à des activités rendues inutiles par suite de l’amendement recherché, parce qu’une question a été retirée, abandonnée ou autrement rendue théorique. L’expression est bien illustrée par l’exemple suivant, qu’a donné le juge Bouck dans Cominco Limited v. Westinghouse Canada Limited et al :

[traduction] Par exemple, il se peut qu’en plein milieu d’une instance, le demandeur modifie complètement sa cause fondée sur la négligence pour la fonder sur l’abus de confiance. Pour répondre à cette nouvelle allégation, il se peut que le défendeur ait à réviser entièrement sa défense et à procéder à de nouveaux interrogatoires préalables. Il se peut que l’ancienne défense et l’ancien examen préalables soient devenus inutiles; le défendeur aura alors droit aux frais de ces procédures parce qu’il a dû engager des dépenses pour se défendre contre des allégations de négligence que le demandeur a subséquemment abandonnées et remplacées par des allégations d’abus de confiance. C’est comme si la cause en négligence du demandeur avait été rejetée ou interrompue et qu’une nouvelle action en abus de confiance avait été introduite.

Mais certains amendements n’établissent pas une demande entièrement nouvelle. Il arrive souvent qu’après que le demandeur a modifié sa déclaration, le défendeur n’ait pas besoin de modifier sa défense. S’il est nécessaire de procéder à un nouvel examen préalable, ce ne peut être que pour une fin limitée, et la majeure partie sinon la totalité de l’examen préalable antérieur peut encore être utile. En ce sens, les frais de l’examen préalable antérieur n’auraient pas été complètement “ inutiles ”. Seule une partie de ceux-ci auraient été perdus.

[123]  Dans la décision Milliken, les dépens inutiles ont été refusés parce qu'il ne être reproché à la défenderesse les irrégularités en cause. Il en était de même en ce qui concerne la décision Teva. Les dépens inutiles n’ont pas été accordés, puisque les actes de Teva qui ont mené à l’ajournement de l’audition antérieure ne se rapprochaient pas d’une conduite répréhensible, scandaleuse ou choquante qui pourrait justifier l’adjudication d’une indemnisation complète. 

[124]  Dans la décision Bradley Holdings [22] , notre Cour a adjugé à l’appelante les dépens inutiles sur la base avocat-client. Dans cette affaire, l’intimée avait précédemment modifié sa réponse et demandait à apporter d’autres changements pour que les modifications soient compréhensibles, à un moment où elle avait déjà indiqué que l’affaire était sur le point d’être entendue et que la date d’audience avait été fixée. Sur la question des dépens, la Cour a ainsi conclu, au paragraphe 20 :

[...] une partie qui agit d’une façon raisonnable peut être obligée de modifier ses actes de procédure si l’enquête effectuée au cours de la phase de préparation de l’affaire ou si les réponses données lors des interrogatoires préalables font voir l’affaire sous un nouveau jour. De telles modifications sont selon moi normales et habituelles. Toutefois, dans ce cas-ci, rien de la sorte n’est invoqué dans l’affidavit qui a été déposé à l’appui de la requête. Quant à moi, il semble que la modification soit nécessaire simplement parce que l’intimée a omis d’analyser sa preuve d’une façon appropriée en temps opportun. Tout cela aurait dû être fait bien avant le dépôt de la présente demande de modification. À mon avis, les circonstances de l’espèce satisfont au critère préliminaire de la conduite scandaleuse et outrageante qui s’applique à l’adjudication des frais et dépens sur la base avocat-client. Les frais de la présente requête et les frais inutilement engagés seront adjugés sur cette base.

[Non souligné dans l’original]

[125]  Dans l’arrêt Blackmore c. Canada [23] , la Cour d’appel fédérale a infirmé à l’unanimité une décision dans laquelle notre Cour avait adjugé à l’intimée les dépens engagés inutilement. Dans cet arrêt, le juge Nadon décide que l’adjudication de dépens inutiles constitue clairement une adjudication de dépens sur une base avocat-client; pour que ce type de dépens soient adjugés, l’autre partie doit avoir eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou choquante. Il observe :

[2]  Nous sommes tous d’avis que le juge a commis une erreur de principe en acceptant d’adjuger la somme de 50 000 $ à l’intimée au titre des « dépens engagés inutilement » en raison de l’ajournement du procès par suite de la présentation tardive d’une requête de l’appelant, qui demandait une interdiction de publication ainsi qu’une ordonnance interdisant que les dépositions de ses témoins soient utilisées dans de futures poursuites pénales.

[3]  Il ne fait pas de doute que la somme de 50 000 $ – qui représente les horaires d’avocat de l’intimée pour la préparation du procès suivant un tarif horaire – constitue une adjudication de dépens sur une base avocat / client qui ne repose pas, à notre humble avis, sur le dossier qui nous est soumis. Le juge n’a pas considéré que l’appelant, en présentant la requête, avait eu une conduite répréhensible, scandaleuse ou choquante.

[126]  Cette jurisprudence [24] enseigne que les dépens inutiles sur une base avocat-client ne sont adjugé que dans les cas où la Cour conclut que la conduite des parties a été répréhensible, scandaleuse ou choquante. Quoi qu’il en soit, je suis liée par la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Blackmore.

[127]  Dans la présente requête, l’intimée a renoncé au moyen tiré des prix de transfert deux mois après la fin des interrogatoires préalables. Il s’agit à mon avis d’un délai raisonnable pour réexaminer ses arguments après les interrogatoires préalables. En outre, concéder un point après la fin des interrogatoires préalables est, à mon avis, une manière acceptable et raisonnable d’agir.

[128]  Qui plus est, l’un des objectifs de l’interrogatoire préalable est d’éliminer ou de circonscrire les questions en litige [25] . Comme l’a observé le juge Favreau dans la décision Thompson c. La Reine [26] , en général, le retrait des questions a lieu une fois le processus des interrogatoires préalables terminé. Il observe, au paragraphe 41 :

La requête de l’intimée afin de faire modifier ses actes de procédure est présentée au bon moment, soit immédiatement après les interrogatoires préalables ayant mis les faits en lumière pour la Couronne. Lors des interrogatoires préalables, l’intimée cherchait à approfondir sa connaissance de l’affaire et était à la recherche des faits. Or, il s’agit là de l’objet principal d’un interrogatoire préalable, et l’avocat des appelants n’a à aucun moment soulevé d’objection.

[129]  Burlington n’a pas établi que la conduite de l’intimée était répréhensible, scandaleuse ou choquante. Par conséquent, je suis d’avis que les facteurs permettant l’adjudication des dépens  inutiles n’ont pas été satisfaits, de telle sorte que je ne peux accorder cette mesure exceptionnelle ni à Burlington ni à Conoco.

[130]  La requête de l’intimée est accueillie. Par conséquent, l’intimée est autorisée à déposer sa réponse modifiée modifiée et sa nouvelle réponse modifiée.

[131]  Les dépens afférents à la présente requête suivront l’issue de l’instance.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de février 2020.

« Johanne D’Auray »

La juge D’Auray

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 32

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-2683(IT)G

2013-2595(IT)G

INTITULÉ :

BURLINGTON RESOURCES FINANCE COMPANY c. LA REINE

CONOCO FUNDING COMPANY c. LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 octobre 2019

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge Johanne D’Auray

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 20 février 2020

COMPARUTIONS :

Avocats des appelantes :

Me Andrew Boyd

Me Alexander Cobb

Avocates de l’intimée :

Me Alexandra Humphrey

Me Erin Strashin

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelantes :

Nom :

Me Alexander Cobb

Me Andrew Boyd

Me Al Meghji

Me Jacyk David

Cabinet :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2015 CCI 71, au paragraphe 20.

[2]   Canderel Ltée c. Canada , [1993] 2 CTC 213 [Canderel].

[3]   Continental Bank Leasing Corp. c. Canada , [1993] 1 CTC 2306 [Continental].

[4]   Kondur c. La Reine, 2015 CCI 318.

[5]   Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 CF 605 (CAF).

[6]   Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc., 2012 CF 559; conf. par 2013 CAF 77.

[7]   Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2015 CCI 71, au paragraphe 57.

[8]   La modification quant à la terminologie a été faite conformément à l’ordonnance du juge Hogan, dans laquelle il a ordonné que l’intimée fournisse des éclaircissements quant à la nature de sa position concernant les prix de transfert. Elle n’avait rien à voir avec la position de l’intimée concernant l’alinéa 20(1)e.1).

[9]   Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2015 CCI 71.

[10]   Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1993] 1 CTC 2306, au paragraphe 22.

[11]   Andersen Consulting c. Canada, [1997] ACF no 1433, aux paragraphes 11 à 14.

[12]   Voir la transcription de l’instance, aux pages 59 à 62, ordonnance rendue par la juge Campbell dans la décision Burlington Resources Company c. La Reine, 2015 CCI 71, pages 20 et 21.

[13]   Canderel Ltée c. Canada , [1993] 2 CTC 213.

[14]   Canderel Ltée c. Canada , [1993] 2 CTC 213.

[15]   Continental Bank Leasing Corp, c. Canada , [1993] 1 CTC 2306.

[16]   Transcription de la requête portant sur les refus, dossier de requête de l’appelante, onglet R.

[17]   Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2015 CCI 71, et Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2017 CCI 144.

[18]   Les seules réponses déposées à la Cour étaient la réponse initiale datée du 9 octobre 2012 et la nouvelle réponse modifiée datée du 13 septembre 2013.

[19]   Cameco Corporation c. La Reine, 2018 CCI 195.

[20]   Teva Canada Limited c. Pfizer Canada Inc., 2017 CF 610.

[21]   Milliken & Co. c. Interface Flooring Systems ( Canada ) Inc., [1998] A.C.F. no 541.

[22]   Bradley Holdings Limited v. The Queen, 2004 CCI 221.

[23]   Blackmore c. Canada, 2011 CAF 335.

[24]   Voir également la décision Bradley Holdings Ltd v R, 2004 CCI 221.

[25]   Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, au paragraphe 6.

[26]   Thompson c. La Reine, 2018 CCI 167.

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