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Dossier : 2017-3837(IT)G

ENTRE :

NATIONAL R & D INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu du 2 au 4 octobre 2019, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jonathan N. Garbutt

Avocat de l’intimée :

Me Angelica Buggie

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2011 par avis daté du 3 novembre 2014 est rejeté, avec dépens en faveur de l’intimée, conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Montréal, Québec, ce 7e jour de juillet 2020.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'octobre 2020.

François Brunet, réviseur 


Référence : 2020 CCI 47

Date : 20200707

Dossier : 2017-3837(IT)G

ENTRE :

NATIONAL R & D INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

A. INTRODUCTION

[1]  National Research & Development Inc. (« National ») est une société privée sous contrôle canadien et constituée le 1er janvier 2011. Elle fournissait à ses clients des services de conseil en génie et en technologie de l’information, et sur les crédits d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental et les crédits d’impôt pour les médias numériques interactifs de l’Ontario. Elle a interjeté appel devant notre Cour d’une cotisation établie aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), et dont l’avis est daté du 3 novembre 2014, pour son année d’imposition 2011, qui s’est terminée le 31 juillet 2011 (l’« année d’imposition 2011 »).

[2]  Dans le cadre de cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a estimé que les activités entreprises par National Research en ce qui concerne le développement d’un projet appelé [traduction] « Système de suivi de projet » (le « projet de SSP ») ne répondaient pas aux critères de la définition de la recherche scientifique et du développement expérimental (« RS&DE ») consacrée par le paragraphe 248(1) de la Loi. Par conséquent, le ministre a rejeté les dépenses engagées par National Research dans le cadre du projet de SSP, totalisant 68 029 $, et réclamées à titre de dépenses de RS&DE aux termes de la Loi. Le ministre a refusé la déduction desdites dépenses ainsi que le crédit d’impôt à l’investissement (« CII ») de 23 810 $ demandé relativement à ces dépenses.

[3]  Au cours de l’année d’imposition 2011, l’unique actionnaire et président de National Research était M. Amit Saini. M. Saini était le seul témoin à l’audience. Il a directement participé au projet de SSP puisqu’il a mené les activités en question lui-même, avec l’aide d’un étudiant. M. Saini a été admis par la Cour à titre de « partie experte » (Kaul c. La Reine, 2017 CCI 55, au paragraphe 32).

[4]  M. Saini a obtenu un baccalauréat en génie de l’Université McMaster en 2003 et a obtenu son permis d’exercice professionnel d’ingénieur en 2007. Il a également obtenu une maîtrise en administration des affaires (MBA) de l’Université Wilfrid Laurier en 2010, un titre de comptable en management accrédité (CMA) en 2011 et un titre de comptable professionnel agréé (CPA) en 2012. Avant de fonder National Research, il a été employé par Meyers Norris Penny d’avril 2010 à mars 2011 chargé de la RS&DE. De juillet 2006 à avril 2010, il a été employé par ATS Automation Tooling Systems en tant que spécialiste principal de la RS&DE. Auparavant, il avait exercé les fonctions d'ingénieur de fabrication et chef de produit chez Precision Resource Inc. et, à ce titre, il était chargé de l’identification et du suivi des projets de RS&DE, et avait développé un système d’inventaire fondé sur le Web utilisant les services ASP et SQL Server 2000.

[5]  Je n’ai pas admis M. Dowd, l’expert engagé par National Research pour les besoins du présent appel, à titre de témoin expert à l’audience. L’intimée n’a cité aucun témoin.

[6]  Dans les présents motifs, toute mention d’une disposition législative renvoie aux dispositions de la Loi, sauf indication contraire.

B. QUESTION EN LITIGE

[7]  La seule question est de savoir si les activités entreprises par National Research dans le cadre du développement du projet de SSP au cours de l’année d’imposition 2011 constituent de la RS&DE au sens du paragraphe 248(1).

[8]  À l’audience, les parties ont déposé un exposé conjoint et final des faits (pièce AR2) dans lequel elles ont déclaré que, si la Cour devait conclure que les activités entreprises par National Research dans le cadre du développement du projet de SSP constituaient des activités de RS&DE au sens de la Loi, les dépenses courantes de RS&DE engagées par National Research s’élevaient à 42 284,54 $.

C. THÈSES DES PARTIES

[9]  National Research soutient que ses activités constituaient de la RS&DE au sens du paragraphe 248(1), car ils s’agissaient d’activités de développement expérimental. Plus précisément, National Research soutient que le projet de SSP a été entrepris dans un but de progrès technologique. National Research soutient qu’une diligence raisonnable suffisante a été exercée et que des éléments de preuve suffisants ont été produits concernant l’état de la technique en 2011 pour montrer qu’il y avait une incertitude technique quant à l’atteinte de ses objectifs. National Research a formulé des hypothèses pour la réduction ou l’élimination des incertitudes technologiques, a suivi la méthode scientifique et a tenu des registres détaillés des hypothèses et des essais effectués au cours de son élaboration du projet de SSP.

[10]  L’intimée soutient que les activités de National Research ne constituaient pas des activités de RS&DE au sens du paragraphe 248(1). Plus précisément, l’intimée estime que National Research ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les activités de National Research relatives au projet de SSP comportaient une incertitude technologique et un progrès technologique. De plus, selon l’intimée, National Research ne peut pas non plus démontrer qu’une investigation systématique a été menée conformément à la méthode scientifique. Selon l’intimée, National Research a effectué très peu de recherches sur l’état de la technique, que ce soit avant ou pendant le projet, et des processus courants d’ingénierie auraient pu être utilisés pour résoudre les problèmes qui se sont manifestés. En outre, l’intimée fait également valoir que les documents fournis par National Research n’ont pas été préparés en même temps que le développement du projet de SSP. Enfin, l’intimée soutient que M. Saini n’était pas crédible en tant que témoin en raison des incohérences de son témoignage et qu’il convient d’accorder très peu de poids à sa déposition.

D. TEXTE LÉGISLATIF ET JURISPRUDENCE

[11]  Le paragraphe 248(1) de la Loi définit les activités de RS&DE comme suit :

activités de recherche scientifique et de développement expérimental Investigation ou recherche systématique d’ordre scientifique ou technologique, effectuée par voie d’expérimentation ou d’analyse, c’est-à-dire :

a) la recherche pure, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science sans aucune application pratique en vue;

b) la recherche appliquée, à savoir les travaux entrepris pour l’avancement de la science avec application pratique en vue;

c) le développement expérimental, à savoir les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent.

Pour l’application de la présente définition à un contribuable, sont compris parmi les activités de recherche scientifique et de développement expérimental :

d) les travaux entrepris par le contribuable ou pour son compte relativement aux travaux de génie, à la conception, à la recherche opérationnelle, à l’analyse mathématique, à la programmation informatique, à la collecte de données, aux essais et à la recherche psychologique, lorsque ces travaux sont proportionnels aux besoins des travaux visés aux alinéas a), b) ou c) qui sont entrepris au Canada par le contribuable ou pour son compte et servent à les appuyer directement.

Ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental les travaux relatifs aux activités suivantes :

e) l’étude du marché et la promotion des ventes;

f) le contrôle de la qualité ou la mise à l’essai normale des matériaux, dispositifs, produits ou procédés;

g) la recherche dans les sciences sociales ou humaines;

h) la prospection, l’exploration et le forage fait en vue de la découverte de minéraux, de pétrole ou de gaz naturel et leur production;

i) la production commerciale d’un matériau, d’un dispositif ou d’un produit nouveau ou amélioré, et l’utilisation commerciale d’un procédé nouveau ou amélioré;

j) les modifications de style;

k) la collecte normale de données.

[12]  A l'alinéa c) de cette définition, le « développement expérimental » est défini comme « [...] les travaux entrepris dans l’intérêt du progrès technologique en vue de la création de nouveaux matériaux, dispositifs, produits ou procédés ou de l’amélioration, même légère, de ceux qui existent ».

[13]  Il faut donc répondre aux questions suivantes (Abeilles service de conditionnement inc. c. La Reine, 2014 CCI 313, au paragraphe 140 [Abeilles]) :

  • i) Les activités du projet de SSP ont-elles été entreprises par NationalResearch dans le but de réaliser des progrès technologiques?

  • ii) Les activités ont-elles été entreprises dans le but de créer de nouveaux produits ou procédés, y compris des améliorations supplémentaires de ceux-ci?

[14]  En outre, compte tenu de la première partie de la définition de la RS&DE, il faut démontrer qu’une enquête ou une recherche systématique a été effectuée au moyen d’une expérience ou d’une analyse.

[15]  La jurisprudence a consacré cinq critères pour déterminer si une activité donnée peut être qualifiée de RS&DE. Ces critères ont été consacrés par le juge Bowman, tel était alors son titre, dans la décision Northwest Hydraulic Consultants Ltd. c. La Reine. ([1998] 3 C.T.C. 2520 [CCI], au paragraphe 16[Northwest Hydraulic]). Pour formuler ces critères, le juge Bowman a examiné la Circulaire d’information 86-4R3 du 24 mai 1994 (la « circulaire ») et a déclaré qu’il s’agissait d’un guide généralement utile et fiable (Northwest Hydraulic, au paragraphe 15).

[16]  En ce qui concerne l’application de ces critères, le juge Bowman a également observé que « [l]es stimulants fiscaux accordés à ceux qui se livrent à la RS & DE visent à encourager la recherche scientifique au Canada. [...] la législation concernant pareils stimulants s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet » (Northwest Hydraulic, paragraphe 11).

[17]  Ces mêmes critères ont ensuite été avalisés par la Cour d’appel fédérale dans deux arrêts ultérieurs, RIS-Christie Ltd. c. La Reine. ([1999] 1 C.T.C. 132 [CAF], au paragraphe 10 [RIS-Christie]) et C.W. Agencies Inc. c. Canada, 2001 CAF 393, au paragraphe 17 (C.W. Agencies).

[18]  La Cour d’appel fédérale a résumé ces critères dans l’arrêt C.W. Agencies au paragraphe 17, comme suit :

1. Existait-il un risque ou une incertitude technologique qui ne pouvait être éliminé par les procédures habituelles ou les études techniques courantes?

2. La personne qui prétend se livrer à de la RS & DE a-t-elle formulé des hypothèses visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique?

3. La procédure adoptée était-elle complètement conforme à la discipline de la méthode scientifique, notamment dans la formulation, la vérification et la modification des hypothèses?

4. Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique?

5. Un compte rendu détaillé des hypothèses vérifiées et des résultats a-t-il été fait au fur et à mesure de l’avancement des travaux?

E. LE PROJET DE SSP

[19]  Le projet de SSP est un programme informatique que National Research a conçu pour automatiser certaines parties du dépôt des demandes de RS&DE auprès de l’Agence du revenu du Canada (« Agence »). L’objectif du projet de SSP était de mettre au point un cadre de travail fondé sur le Web, multi-plate-forme et comptant plusieurs navigateurs pour suivre les projets de RS&DE dont les dépenses pourraient être déductibles pour les clients de National. M. Saini voulait que le projet de SSP permette aux utilisateurs de saisir des données de RS&DE au moyen d’un navigateur Web, puis de stocker toutes les données de tous les utilisateurs dans un dépôt central, de trier efficacement toutes ces données pour produire uniquement les entrées précises appartenant à des clients précis, et enfin de permettre au client d’accéder aux données pertinentes au moyen de son navigateur Web.

[20]  De plus, M. Saini voulait que le projet de SSP soit très sécurisé. Le projet de SSP appelait une configuration que M. Saini a qualifiée d’architecture à plusieurs niveaux afin de satisfaire aux exigences de sécurité de National Research. La configuration précise de l’architecture à plusieurs niveaux choisie par M. Saini utilisait ADO, Classic ASP, COM+ et Microsoft SQL Server 2000 (l’« APN »). M. Saini a témoigné qu’il connaissait les différentes composantes de l’APN et qu’il s'en était servi au fil des ans.

[21]  M. Saini a témoigné que deux contraintes importantes ont été imposées au processus de conception du projet de SSP. La première était une contrainte financière; plus précisément, les outils qui devaient être utilisés étaient limités à ceux qui appartenaient déjà à National. La deuxième contrainte portait sur le savoir-faire des employés de National, et limitait les technologies utilisées à celles avec lesquelles ses employés avaient une expérience.

[22]  La première phase du projet STP, qui a été réalisée au cours de l’année d’imposition 2011, consistait à mettre en place un système de suivi du temps efficace et concis, et comportait trois sous-objectifs (ci-après dénommés collectivement les « objectifs ») :

  1. Concevoir des techniques de pagination, de tri et d’indexation des ensembles de fichiers compatibles avec l’APN (« objectif 1 »);

  2. Concevoir un mécanisme pour l’initialisation en mémoire des ensembles de fichiers communs tels que les « sorties de type pivot » (« objectif 2 »);

  3. Concevoir des méthodes de contrôle déterministe et de l’état du côté du client (« objectif 3 »).

[23]  Des travaux ont été réalisés dans le cadre de l’objectif 1 afin de mettre au point des techniques de pagination, de tri et d’indexation des ensembles de documents compatibles avec ADO, Classic ASP, Com+ et Microsoft SQL Server 2000. Selon M. Saini, il était nécessaire de trier efficacement les données, de les faire passer progressivement de SQL Server 2000 au navigateur par l’APN, puis d’afficher très rapidement seulement les données pertinentes pour un client particulier. Les travaux entrepris pour atteindre cet objectif ont consisté à essayer de surmonter les limites de pagination de SQL Server 2000 en utilisant « DataGrid » et « GridView » en ASP. M. Saini a également témoigné qu’il avait essayé d’utiliser le tampon de réponse ASP pour pousser progressivement les données vers le navigateur, mais que cette méthode n’a pas fonctionné. Parmi les autres techniques essayées par M. Saini et qui ont échoué, on peut nommer l’utilisation de « GetRows » dans ADO et l’utilisation de tableaux temporaires pour obtenir la pagination. Enfin, les travaux entrepris ont abouti à la création de ce que M. Saini a appelé le « Stitching Mechanism », une partie de code qui permettait de construire des instructions SQL de manière dynamique et d’effectuer des requêtes simples qui utilisaient un tri sur une seule colonne pour renvoyer les résultats. Cette technique a été peaufinée, puis a connu un certain succès à cet égard. Selon M. Saini, le mécanisme d’assemblage qui utilise le SQL dynamique est une invention de National Research, mais cette dernière a seulement partiellement réussi à obtenir les résultats souhaités dans le cadre de l’objectif 1.

[24]  Des travaux ont été réalisés dans le cadre de l’objectif 2 pour mettre au point un mécanisme, tel qu’une « sortie de type pivot » pour l’initialisation en mémoire des ensembles de fichiers communs. L’objectif était d’émuler les tableaux croisés dynamiques, un mécanisme de rapports dans Microsoft Excel qui agrège et résume les données, mais de le faire dans un programme fondé sur le Web. M. Saini a témoigné qu’il savait que SQL Server 2005 comportait une commande PIVOT, mais qu’elle n’était pas assez avancée pour répondre aux objectifs de National Research. Cependant, National Research a quand même essayé de reprendre la fonctionnalité de la commande PIVOT dans SQL Server 2000. National Research a subi de nombreux problèmes et n’a pas pu reproduire efficacement la commande PIVOT dans SQL Server 2000. Après avoir essayé d’autres méthodes qui ont également échoué et dans une dernière tentative pour atteindre l’objectif 2, National Research a essayé d’intégrer les services de rapport SQL Server 2000, mais cette méthode a rencontré des problèmes de compatibilité avec certaines parties de l’APN et n’a pas fonctionné. En fin de compte, cet objectif n’a pas été atteint et n’a jamais été réalisé.

[25]  Des travaux ont été réalisés dans le cadre de l’objectif 3 pour concevoir des méthodes de contrôle déterministe et de l’état du côté du client. National Research essayait de mettre au point la capacité de transmettre des renseignements de SQL Server 2000 à l’APN, puis au navigateur de manière à faire croire aux utilisateurs que tous les aperçus de leurs choix étaient générés instantanément, alors qu’en fait les données n’étaient pas transmises de SQL Server 2000 au navigateur par l’intermédiaire de l’APN jusqu’à ce que le choix réel soit fait. National Research a essayé plusieurs méthodes afin de réaliser cet objectif. M. Saini a témoigné qu’ils ont d’abord tenté d’utiliser des variables de section et des témoins pour stocker les renseignements et donner l’illusion que le processus est instantané, mais que cette méthode n’a pas fonctionné. La deuxième méthode tentée consistait à stocker temporairement les données dans le navigateur et à les cacher à l’utilisateur. Le navigateur n’étant pas en mesure de stocker la quantité de données requise, cette méthode n’a pas fonctionné. Enfin, National Research a mis au point la méthode du « handout »; il s’agit d’un modèle hybride entre ASP et JavaScript permettant d’effectuer des envois récursifs vers le serveur. La méthode du « handout » a connu un certain succès.

[26]  Le projet de SSP n’a jamais atteint tous les objectifs, bien que, selon M. Saini, il y ait eu un certain degré de succès dans chacun des trois sous-objectifs.

F. DISCUSSION

[27]  Il incombe à National Research de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les activités entreprises par National Research dans le cadre du développement du projet STP au cours de l’année d’imposition 2011 constituent de la RS&DE.

[28]  Avant d’examiner chacun des critères pertinents pour déterminer si une activité précise est admissible en tant que RS&DE, je tiens à souligner que ces critères doivent être appliqués dans le contexte de l’environnement commercial de National Research (paragraphe 2.11 de la Circulaire).

[29]  Le témoignage de M. Saini était clair : le projet de SSP devait être développé par l’intermédiaire d’une APN. L’APN était composée d’ADO, d’ASP classique, de COM+ et de SQL Server 2000. M. Saini avait déterminé que SQL Server 2000 serait utilisé à cette fin et non SQL Server 2005. En outre, le cadre du projet de SSP devait être fondé sur le Web et être compatible avec toutes les plates-formes et tous les navigateurs. L’existence du serveur SQL 2005 et le fait qu’il comprenait une commande PIVOT à l’époque ne sont pas des éléments pertinents pour déterminer si les activités entreprises par National Research constituent de la RS&DE.

[30]  Cependant, même en tenant compte du contexte de l’environnement commercial de National, pour les motifs qui suivent, je conclus que les activités entreprises par National Research dans le développement du projet de SSP ne constituent pas de la RS&DE.

1)  Existait-il un risque ou une incertitude technologique qui ne pouvait être éliminé par les procédures habituelles ou les études techniques courantes?

[31]  En ce qui a trait au premier critère, celui de l’incertitude technologique, le juge Bowman a observé dans la décision Northwest Hydraulic (au paragraphe 16), que le risque ou l’incertitude technologique doit être tel qu’il « ne peut pas être [éliminé] par les études techniques courantes ou par les procédures habituelles » et que si « la résolution du problème est raisonnablement prévisible à l’aide de la procédure habituelle ou des études techniques courantes, il n’y a pas d’incertitude technologique ». L’expression « procédure habituelle » ferait référence « aux techniques, aux procédures et aux données qui sont généralement accessibles aux spécialistes compétents dans le domaine ».

[32]  Pour que le projet de SSP remplisse ce critère, l’activité générale entreprise par National Research doit contenir des incertitudes technologiques. Il faut en outre conclure que la solution à ces incertitudes ne peut être obtenue par l’utilisation des connaissances technologiques et de l’expérience disponibles. Ce critère est rempli si les incertitudes ne peuvent pas être levées par les études techniques courantes ou les procédures habituelles, que l’activité soit une réussite ou non. Comme le prévoit le paragraphe 2.11 de la Circulaire, [traduction] « les activités entreprises pour résoudre des incertitudes techniques sont admissibles si le contribuable ne peut pas obtenir les solutions au moyen des sources de connaissances et d’expérience communément disponibles dans le contexte commercial de l’entreprise ».

[33]  M. Saini a témoigné des incertitudes technologiques du projet de SSP. En 2011, il n’existait pas de programme en ligne permettant de suivre le temps consacré aux projets de RS&DE. Un programme appelé QuickBooks Online peut être utilisé de nos jours, mais M. Saini a déclaré qu’en 2011, ce programme n’en était qu’à ses débuts et que ses fonctionnalités étaient limitées. Un autre programme que M. Saini a déclaré avoir examiné s’appelait Kashoo. Selon M. Saini, aucun des deux programmes ne comportait à l’époque un élément efficace de suivi du temps. Pourtant, un autre programme examiné par M. Saini était R&D Manager. Or, M. Saini a témoigné que ce programme était trop rudimentaire pour répondre aux besoins de National Research.

[34]  Dans un premier temps ou au fur et à mesure de l’avancement des travaux, M. Saini a examiné divers articles techniques, dont les copies ont été présentées en preuve, afin de déterminer s’il était possible d’atteindre les objectifs du projet de SSP dans le cadre de l’APN.

[35]  M. Saini a témoigné avoir effectué des recherches sur Internet quant à l’objectif 1. Il a alors consulté trois articles, à savoir « Efficient Paging Through Large Result Sets In SQL Server 2000 » (pièce A-4, p. 41), « SQL Server 2000 Paging and Sorting Using ROWCOUNT And SQL_VARIANT » (pièce A-4, p. 46), et « Efficient Paging of Recordsets : SQL Server 2000 » (pièce A-4, p. 53).

[36]  M. Saini a témoigné que les solutions exposées dans ces articles ne fonctionneraient pas dans le cadre de l’APN pour diverses raisons. Certaines des méthodes exposées dans ces articles n’ont pas donné de résultats fiables ou efficaces. En outre, l’une des méthodes exposées fonctionnait uniquement dans des environnements statiques (l’environnement du projet de SSP devait être dynamique). Après avoir examiné les articles susmentionnés, M. Saini a conclu qu’il n’y avait aucune méthode existante qu’il pouvait utiliser au sein de l’APN et qui remplissait tous les critères de National Research.

[37]  En ce qui concerne l’objectif 2, M. Saini a témoigné qu’il a également effectué des recherches sur Internet et a fait référence à un article intitulé : « Pivot and Un-Pivot data in SQL » (pièce A-4, p. 82). Selon M. Saini, la méthode exposée dans cet article fonctionne uniquement dans un environnement statique, et n’était pas adaptée aux besoins de National Research. M. Saini a témoigné qu’à cette époque, les tableaux croisés dynamiques n’étaient pas disponibles dans une application accessible par un navigateur Web et que les tableaux croisés dynamiques n’avaient certainement pas été utilisés en combinaison avec quelque chose de similaire à l’APN. M. Saini a également fait des recherches sur la commande PIVOT disponible dans SQL Server 2005 et a conclu qu’elle ne résoudrait pas les problèmes subis par National Research. M. Saini a témoigné que la commande PIVOT était seulement disponible dans SQL Server 2005, et non dans SQL Server 2000, qui est une version du programme différente de celle que National Research utilisait. En outre, la commande PIVOT fonctionnait uniquement dans SQL Server 2005, et n’était pas nécessairement compatible avec les autres composants de l’APN. Enfin, National Research avait déjà acheté SQL Server 2000 et n’avait pas les moyens d’acheter SQL Server 2005. En outre, M. Saini ne pense pas que la commande PIVOT dans SQL Server 2005 puisse même atteindre les objectifs de National Research.

[38]  En ce qui concerne l’objectif 3, M. Saini a témoigné que rien n’était disponible dans le domaine public qui permettrait à National Research d’obtenir les résultats souhaités. Il a fait référence à un article intitulé : « What’s the difference between stateful and stateless? », mais aucune copie de cet article n’a été présentée en tant qu’élément de preuve. En outre, M. Saini a déclaré qu’il avait effectué des recherches sur Internet pour voir s’il existait déjà une solution au problème posé par l’objectif 3, mais qu’il n’en avait pas trouvé.

[39]  M. Saini a témoigné au sujet des incertitudes technologiques du projet de SSP et du fait qu’aucun programme similaire n’existait déjà. Selon M. Saini, les incertitudes technologiques étaient les suivantes :

  • i) Pour l’objectif 1 : comment réaliser la pagination, le tri et l’indexation de grands ensembles de données dans le cadre de l’APN avec un temps de réponse maximal de 5 secondes;

  • ii) Pour l’objectif 2 : comment concevoir un tableau croisé dynamique dans un environnement multi-plate-forme et comportant plusieurs navigateurs;

  • iii) Pour l’objectif 3 : comment parvenir à un [traduction] « contrôle déterministe et de l’état du côté du client ».

[40]  Le ministre a formulé l’hypothèse selon laquelle il n’y avait aucune incertitude technologique quant à aucun des objectifs et les activités entreprises par National Research auraient pu être réalisées par l’application de techniques informatiques existantes bien connues. L’intimée a soutenu que la commande PIVOT dans SQL Server 2005 aurait permis d’atteindre l’objectif 2, et qu’il s’agissait d’une méthode généralement acceptée, utilisée par les professionnels du secteur au moment où les activités relatives au projet de SSP ont été entreprises par National Research.

[41]  Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il y avait des incertitudes technologiques dans la réalisation des objectifs du projet de SSP et que ces incertitudes technologiques ne pouvaient pas être résolues par l'utilisation des procédés techniques courants ou des procédures normales.

[42]  L’incertitude technologique peut se manifester de deux manières : [traduction] « [...] il n’est pas certain que les objectifs puissent être tout simplement atteints; ou le contribuable peut être assez confiant que les objectifs peuvent être atteints, mais il peut être incertain des différents moyens (c.-à-d., les mécanismes, les itinéraires, les approches, les configurations d’équipement, les architectures de système, les techniques de circuit, etc.) qui fonctionneront, ou pas, ou s’il sera possible de satisfaire aux spécifications ou aux cibles budgétaires voulues, ou à ces deux éléments » (Circulaire, au paragraphe 2.10.2).

[43]  Je conclus que les objectifs sont très précis et qu’il y avait des incertitudes technologiques quant à leur réalisation étant donné les contraintes auxquelles National Research était soumis au moment où les activités ont été entreprises. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, M. Saini a montré qu’il n’était pas certain de savoir laquelle des différentes possibilités fonctionnerait ou répondrait de manière réaliste aux spécifications souhaitées du projet de SSP. Il faut tenir compte de l’APN, qui était le cadre dans lequel le projet de SSP était conçu, ainsi que du fait que National Research avait accès à SQL Server 2000 et non à SQL Server 2005 pendant l’année d’imposition 2011.

[44]  En ce qui concerne l’objectif 2, je conclus également que les facteurs économiques ont imposé une certaine incertitude. Cet élément a été démontré par M. Saini dans son témoignage ainsi que dans les documents produits à titre d’éléments de preuve à l’audience. Les contraintes commerciales et le contexte commercial du contribuable qui demande la déduction et le crédit pour la RS&DE sont des facteurs pertinents à prendre en compte lors de l’examen du critère de l’incertitude technologique. En l’espèce, bien que la preuve démontre que la commande PIVOT existait dans SQL Server 2005 en 2011 et qu’elle était une méthode généralement acceptée utilisée par les professionnels du domaine à l’époque, je ne suis pas convaincu qu’elle aurait atteint les objectifs de National Research ou qu’elle aurait été compatible avec l’APN. Je conclus également que l’existence de la commande PIVOT dans le logiciel SQL Server 2005 n’est pas pertinente, car National Research ne travaillait pas avec ce logiciel pour concevoir le projet de SSP en 2011. En conséquence, je conclus que la résolution des incertitudes relatives aux objectifs n’était pas raisonnablement prévisible.

2)  National Research a-t-elle formulé une hypothèse visant expressément à réduire ou à éliminer cette incertitude technologique?

[45]  Comme l’a observé le juge Bowman dans la décision Northwest Hydraulic (au paragraphe 16), le deuxième critère, à savoir la formulation d’hypothèses visant à réduire les incertitudes technologiques, comporte un processus en cinq étapes :

  • i) l’observation de l’objet du problème;

  • ii) la formulation d’un objectif clair;

  • iii) la détermination et la formulation de l’incertitude technologique;

  • iv) la formulation d’une hypothèse destinée à réduire ou à éliminer l’incertitude;

  • v) la vérification méthodique et systématique de la ou des hypothèses.

[46]  M. Saini a témoigné qu’il avait formulé des hypothèses visant à réduire les incertitudes technologiques. En outre, il ressort des éléments de preuve produits à l’audience, plus précisément de la lettre datée du 12 mai 2012 adressée à l’Agence (pièce A-10, la « lettre ») et du calendrier du projet (pièce A-4), que des hypothèses ont été formulées pour chacun des objectifs.

[47]  Compte tenu du témoignage de M. Saini et des documents mentionnés ci-dessus et présentés en preuve lors de l’audience, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que National Research a bien formulé des hypothèses visant précisément à réduire ou à éliminer les incertitudes technologiques soulevées par le projet de SSP. Toutefois, comme je l’ai signalé dans mon analyse du troisième critère ci-dessous, M. Saini n’est pas parvenu à me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que National Research a procédé à une vérification méthodique et systématique des hypothèses. Par conséquent, le deuxième critère n’est pas rempli, car il exige la vérification méthodique et systématique des hypothèses.

3)  La procédure adoptée était-elle complètement conforme à la discipline de la méthode scientifique, notamment dans la formulation, la vérification et la modification des hypothèses?

[48]  Pour le troisième critère, soit l’adoption de la méthode scientifique, le juge Bowman à l'occasion de l’affaire Northwest Hydraulic (au paragraphe 16) a précisé que l’important était l’adoption de la méthode scientifique dans son ensemble pour éliminer une incertitude technologique par la formulation et la vérification d’hypothèses novatrices et non vérifiées.

[49]  En outre, la Cour d’appel fédérale a observé dans l’arrêt RIS-Christie que le contribuable doit établir que les tests ont été effectués et réalisés de manière systématique. La Cour a également signalé que [traduction] « [...] bien que les éléments de preuve documentaire et de vive voix soient, la seule façon de s’assurer qu’une étude scientifique ait été réalisée d’une manière systématique est de produire des éléments de preuve documentaire révélant la progression logique entre chaque essai » (au paragraphe 14). Comme l’a observé le juge Bowman dans la décision Northwest Hydraulic, il faut répondre à la question suivante : [traduction] « les procédures retenues étaient-elles conformes aux principes établis et objectifs de la méthode scientifique, qui se caractérise par l’observation, la mesure et l’essai systématique et la formulation, la mise à l’épreuve et la modification d’hypothèses? » (au paragraphe 16).

[50]  M. Saini a produit divers documents à titre d’éléments de preuve, dont il ressort, selon lui, que la méthode scientifique a été suivie dans le développement du projet de SSP. Ces documents sont le calendrier du projet, la lettre, un document intitulé [traduction] « Essais pour réaliser le tri et la pagination avec des contraintes définies » (pièce A-7) et divers segments de code source pour des parties du projet de SSP.

[51]  Selon M. Saini, le calendrier du projet contient les détails des activités entreprises et le temps passé sur chacune d’entre elles et a été rempli au fur et à mesure des travaux. M. Saini a également témoigné qu’il représente les hypothèses que National Research mettait à l’épreuve au moment où le codage était en cours d’achèvement.

[52]  Toutefois, après avoir examiné le calendrier du projet, je ne suis pas du même avis que M. Saini. Le calendrier du projet contient des descriptions vagues des travaux en cours et de certains des problèmes précis que National Research essayait de surmonter, ainsi qu’une entrée de temps correspondante. J’ai constaté qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour conclure à l’existence d’hypothèses; cependant, ce document ne démontre pas la formulation, la vérification et la modification de ces hypothèses. En outre, il ne semble pas y avoir de progression logique entre les différentes entrées du document. Le calendrier du projet n’indique pas la façon dont les hypothèses ont été mises à l’épreuve et ne mentionne aucune expérience ni aucun résultat d’expérience. En outre, rien dans ce document n’indique que des hypothèses aient été modifiées à la suite d’une expérience.

[53]  La lettre est plus étoffée que le calendrier du projet. Pour l’objectif 1, la lettre précise que des hypothèses ont été formulées; que plus de 50 expériences ont été menées; et que les hypothèses se sont finalement avérées correctes. La lettre fait également référence au document intitulé [traduction] « Essais pour réaliser le tri et la pagination avec des contraintes fixes » (pièce A-7), soit un tableau présentant 50 expériences et leurs résultats. Je ne trouve pas ce tableau très utile. Plusieurs des expériences sont regroupées; ce qui est testé n’est pas clair; la manière dont les tests sont menés n’est pas claire non plus; et les résultats énumérés sont vagues. En outre, il ne semble pas y avoir de référence à la vérification ou à la modification des hypothèses. Aucun document similaire n’a été produit à titre d’éléments de preuve en ce qui concerne les objectifs 2 et 3.

[54]  Pour l’objectif 2, la lettre indique seulement que plusieurs expériences ont été réalisées, mais ne donne pas beaucoup de détails sur le nombre d’expériences menées, la manière dont elles ont été menées ou les résultats de celles-ci. En outre, la lettre ne précise pas comment les hypothèses ont été mises à l’épreuve, ni si ou comment les hypothèses ont été modifiées à la suite des essais. Tout ce que la lettre indique, c’est que les hypothèses étaient incorrectes.

[55]  Pour l’objectif 3, la lettre indique que des hypothèses ont été faites et explique vaguement comment l’objectif a été atteint. Toutefois, la lettre n’explique pas quelles expériences ont été menées, combien d’expériences ont été menées, ni comment elles ont été menées, et n’en présente pas les résultats en détail. En outre, la lettre ne précise ni comment les hypothèses ont été mises à l’épreuve ni si elles ont été modifiées à la suite de ces tests.

[56]  Enfin, les éléments de preuve produits par National Research comprennent un certain code source. Les segments de code source suivants ont été produits à titre d’éléments de preuve : « PTS.ASP » (pièce A-4, p. 54), « GRIDTIMEENTRIES.ASP » (pièce A-4, p. 69), « cursor_to_update_identity_seed.sql » (pièce A-4, p. 80), « Gridtimentries.asp with ADO iteration » (pièce A-7, p. 159), « RDTracker.ASP (Initial iteration) » (pièce A-7, p. 169), « PTS_Report1.ASP » (pièce A-4, p. 91), « PTS_Report2 .ASP » (pièce A-4, p. 95) et « PTS_AddTimeEntries.asp » (pièce A-4, p. 98).

[57]  Je ne suis pas en mesure de déterminer en examinant ces segments de code source s’il s’agit de versions préliminaires du code source, ou du produit final. M. Saini a témoigné qu’il avait différentes versions du code source sauvegardées sur un serveur à la maison, mais ces versions n’ont pas été produites à titre d’éléments de preuve. Il convient de souligner que les segments « GRIDTIMEENTRIES.ASP » et « Gridtimentries.asp with ADO iteration » semblent à première vue être liés. Cependant, aucun élément de preuve n’a été produit pour démontrer si ces deux codes sont liés ou comment ils le sont. En outre, il n’y a aucune explication quant à savoir si l’expérience a été menée afin de passer d’une version à l’autre et quelle est la dernière version, ou la façon dont celle-ci aurait été réalisée. De plus, aucun élément de preuve ne porte sur le déroulement, ou non, de l’expérience selon la méthode scientifique. En ce qui concerne les autres éléments du code source, je ne suis pas en mesure de déduire une tendance à partir d’un seul point de données et je ne vois aucun élément de preuve d’un progrès dans le code source ni aucun élément indiquant si celui-ci a progressé ou non conformément à la méthode scientifique. Je n’ai qu’une seule version de la majeure partie du code source, et rien n’indique si ou comment les deux autres segments du code source sont liés; ainsi, il n’y a tout simplement pas assez d’éléments de preuve au dossier pour tirer une conclusion sur ce point.

[58]  Par conséquent, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que National Research a suivi la méthode scientifique lors de l’exécution des activités relatives au projet de SSP. Je conclus donc que ce critère n’est pas rempli.

4)  Le processus a-t-il abouti à un progrès technologique?

[59]  En ce qui concerne le quatrième critère — à savoir si le processus a abouti à un progrès technologique — le juge Bowman dans la décision Northwest Hydraulic (au paragraphe 16) a observé qu’il s’agissait d’un « progrès en ce qui concerne la compréhension générale [...] [pour] les personnes qui s’y connaissent dans le domaine ». Le juge Bowman a rajouté : « [l]e rejet, après l’essai d’une hypothèse, constitue néanmoins un progrès en ce sens qu’il élimine une hypothèse jusque là non vérifiée », ajoutant que l’échec peut renforcer « le degré d’incertitude technologique »

[60]  Selon la Circulaire, les activités [traduction] « [...] doivent générer des renseignements qui font progresser notre compréhension des relations scientifiques ou des technologies. Dans un contexte commercial, cela signifie que lorsqu’un produit ou un procédé nouveau ou amélioré est créé, il doit représenter un progrès scientifique ou technologique pour être admissible » (au paragraphe 2.10.1). En outre, les activités doivent [traduction] « [...] chercher à faire progresser la base de connaissances technologiques du contribuable » (Circulaire, au paragraphe 2.13). En outre, il suffit que le progrès technologique réalisé soit minime pour être qualifié comme tel.

[61]  De plus, il est bien établi que la réalisation d’un progrès technologique [traduction] « [...] nécessiterait la suppression de l’élément d’incertitude technologique par un processus d’enquête systématique » (Circulaire, paragraphe 2.13).

[62]  M. Saini a témoigné qu’il y avait eu un progrès technologique par rapport aux objectifs du projet de SSP. Il a notamment déclaré que National Research avait inventé le langage « Dynamic SQL ». En outre, de nombreuses mesures ont été prises en vue d’atteindre chaque objectif, même si elles n’ont pas toutes été couronnées de succès.

[63]  Plus précisément, en ce qui concerne l’objectif 1, M. Saini a témoigné que le progrès technologique avait été le développement du mécanisme dit « Stiching Mechanism » qui a permis d’atteindre cet objectif. En ce qui concerne l’objectif 2, M. Saini a déclaré que les expériences menées n’ont pas donné les résultats escomptés, car National Research n’a pas réussi à atteindre l’objectif. Enfin, en ce qui concerne l’objectif 3, National Research a pu proposer une solution viable en utilisant JavaScript.

[64]  Je conclus que le témoignage de M. Saini est crédible sur ce point. En conséquence, je conclus qu’il y a eu un certain progrès technologique par rapport aux objectifs du projet de SSP, mais pas au sens de la définition de la RS&DE. Comme je l’ai déjà expliqué plus haut, pour conclure à la réalisation d’un progrès technologique, il faudrait d’abord que je tire la conclusion portant que les incertitudes technologiques ont été levées par un processus d’investigation systématique, ce qui n’est pas le cas. Comme j’ai conclu que National Research n’avait pas mené d’investigation systématique pour lever les incertitudes technologiques, je ne peux pas conclure que ce critère est rempli.

5)  Un compte rendu détaillé des hypothèses vérifiées et des résultats a-t-il été fait au fur et à mesure de l’avancement des travaux?

[65]  Le dernier critère, le relevé détaillé des hypothèses testées et des résultats, n’est pas explicitement requis par la Loi ou les règlements. Toutefois, la jurisprudence enseigne qu’il est implicite à la notion de « méthode scientifique » et considérant que l’expression « investigation systématique » figure dans les premiers mots de la définition de la RS&DE.

[66]  Dans la décision Northwest Hydraulic (paragraphe 16), le juge Bowman a précisé qu’« un compte rendu détaillé des hypothèses, des essais et des résultats, doi[t] être fait, et ce, au fur et à mesure de l’avancement des travaux » Toutefois, comme l’a observé notre Cour dans les décisions Formadrain Inc. c. La Reine (2017 CCI 42, paragraphe 118) et Abeilles (paragraphe 94) ainsi que la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt RIS-Christie (paragraphes 14 et 15), il n’est pas obligatoire de produire des éléments de preuve documentaires; un témoignage peut être produit. Il existe des risques découlant de l'absence de documentation adéquate quant à une étape d’un projet de RS&DE; toutefois les témoignages sont recevables.

[67]  M. Saini a dit qu’il avait pris des notes pendant le codage du projet de SSP. Dans son témoignage, il fait référence à plusieurs documents qui montreraient qu’un registre détaillé a été tenu à l’époque. Les documents auxquels il fait référence sont le calendrier du projet, les segments de code source qui ont été produits à l’audience, un document qui contient une ventilation du temps passé sur chaque tâche (pièce A-5, pp. 114-120), et le document intitulé [traduction] « Essais pour réaliser le tri et la pagination avec des contraintes fixes ».

[68]  Comme je l’ai conclu précédemment, le calendrier du projet ne montre pas la formulation, la vérification ou la modification d’une hypothèse. En outre, le calendrier du projet n’indique pas comment les tests ont été effectués et ne fait référence à aucune expérience ni à aucun résultat d’expérience. Le calendrier du projet n’est pas un registre des hypothèses mises à l’épreuve ou des résultats de ces tests. Il s’agit simplement d’un relevé du temps consacré aux différentes tâches.

[69]  Le document qui contient une ventilation du temps passé sur chaque tâche est similaire au calendrier du projet en ce sens qu’il suit le temps consacré par différentes personnes à différentes tâches. Ce document ne présente aucun test ou résultat de test. Par conséquent, je ne pense pas qu’ils soutiennent l’affirmation selon laquelle un registre contemporain des tests et des résultats eut été conservé.

[70]  Comme je l’ai signalé précédemment, les éléments de preuve comprennent quelques segments de code source. Si National Research avait produit l'historique des modifications ou des nombreuses versions d’un même segment de code, ce qu’elle n’a pas fait, il aurait pu être possible d’en extraire les tests réalisés et les résultats de ceux-ci. Toutefois, tel n’est pas le cas : aucune explication de progrès concernant le code n’a été produite à titre d’élément de preuve, et je ne peux conclure que les éléments de preuve produits constituent le compte rendu détaillé des tests et des résultats.

[71]  Le document intitulé [traduction] « Essais pour réaliser le tri et la pagination avec des contraintes fixes » est un tableau présentant 50 expériences qui auraient été menées dans le cadre de l’objectif 1, ainsi que leurs résultats. Comme je l’ai signalé précédemment, je ne trouve pas ce document très utile. Plusieurs expériences sont regroupées; ce qui est testé n’est pas clair; la manière dont les tests sont menés n’est pas claire non plus; et les résultats indiqués sont vagues. En outre, en contre-interrogatoire, M. Saini a admis que ce document précis avait été créé après coup pour l’Agence, mais il a déclaré qu’il avait créé une version plus élémentaire du document au fur et à mesure du processus. Cependant, cette autre version n’a pas été produite à titre d’élément de preuve. Il n’existe pas de documents similaires pour les objectifs 2 et 3.

[72]  Par conséquent, je ne peux pas conclure que les documents produits par National Research peuvent être considérés comme le registre contemporain décrivant les tests et les résultats de ceux-ci.

[73]  Il n’est pas obligatoire de produire un élément de preuve documentaire. Les témoignages sont recevables, mais je conclus que le témoignage de M. Saini ne suffit pas pour compenser l’insuffisance des éléments de preuve documentaire. M. Saini n’a pas décrit en détail la méthodologie des tests, le nombre de tests effectués par rapport à chaque objectif (autre que l’objectif 1), la manière dont les tests différaient des autres tests effectués ou les résultats de tous ces tests. Il a témoigné au sujet de certains des problèmes auxquels a fait face National Research pour chacun des objectifs, mais les explications concernant les tests effectués étaient, au mieux, vagues et il n’y a pas eu de discussion sur les résultats précis mesurables. D’après les explications produites par M. Saini, je ne puis conclure qu’il y a eu une « progression logique entre chaque essai ». Je ne peux donc pas conclure que National Research a mené une investigation systématique en ce qui concerne le projet de SSP. Je conclus que ce critère n’est pas rempli.

G. CONCLUSION

[74]  National Research n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la procédure adoptée pour le développement du projet de SSP était conforme à la discipline entière de la méthode scientifique, y compris la formulation, la vérification et la modification des hypothèses, et que ce processus a abouti à un progrès technologique. En outre, National Research n’a pas été en mesure de démontrer qu’un registre détaillé des hypothèses testées et des résultats a été conservé au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Par conséquent, les activités entreprises par National Research dans le cadre du développement du projet de SSP ne constituent pas de la RS&DE.

[75]  Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimée.

Signé à Montréal, Québec, ce 7e jour de juillet 2020.

« Dominique Lafleur »

La juge Lafleur

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour d'octobre 2020.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 47

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-3837(IT)G

INTITULÉ :

NATIONAL R & D INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 2 au 4 octobre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Jonathan N. Garbutt

Avocat de l’intimée :

Me Angelica Buggie

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Jonathan N. Garbutt

 

Cabinet :

Dominion Tax Law

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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