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Dossier : 2018-1555(CPP)

ENTRE :

2321184 ONTARIO LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 octobre 2019, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Susan Wong


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Sivakumar Kanagasabai

Avocat de l’intimé :

Me Kevin Hong

 

JUGEMENT

L’appel interjeté en application du paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada est rejeté et la décision rendue par le ministre du Revenu national le 13 février 2018 est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong


Référence : 2020 CCI 52

Date : 20200716

Dossier : 2018-1555(CPP)

ENTRE :

2321184 ONTARIO LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Wong

Introduction

[1]  L’appelante interjette appel de la décision rendue le 13 février 2018 par le ministre du Revenu national de confirmer les cotisations établies à l’égard de retenues à la source sur les salaires non versées relativement aux exercices 2015, 2016 et 2017.

[2]  Aux fins du présent appel, les cotisations au Régime de pensions du Canada (RPC) sont les seules retenues à la source en cause.

[3]  Sivakumar Kanagasabai (président et actionnaire de l’appelante) et Kamalachchandran Somasuntharam (comptable de l’appelante) ont témoigné au nom de l’appelante. L’intimé a convoqué Ramani Tharumalingam (épouse de M. Kanagasabai et autre actionnaire de l’appelante) comme témoin de la partie adverse.

Questions en litige

[4]  Le ministre a établi des cotisations à l’égard de l’appelante relativement à des cotisations au RPC non versées, qui ont été calculées en tenant compte des éléments suivants :

a)  Gains totaux ouvrant droit à pension versés à M. Kanagasabai et à Mme Tharumalingam de 42 100 $ et 48 020 $, respectivement;

b)  Gains totaux ouvrant droit à pension versés à M. Kanagasabai et à Mme Tharumalingam de 33 000 $ et 32 800 $, respectivement;

  • c) Cotisations au RPC insuffisantes et non versées de 1 817,46 $ relativement aux mois de janvier et février 2017.

[5]  La question en litige est celle de savoir si le ministre a correctement établi les cotisations à l’égard de cotisations au RPC que l’appelante a omis de déduire et de verser relativement aux exercices 2015, 2016 et 2017. Plus précisément, la Cour doit décider si les gains ouvrant droit à pension sur lesquels le ministre s’est fondé pour calculer les cotisations au RPC sont exacts.

[6]  L’appelante fait valoir que les gains ouvrant droit à pension, calculés par le ministre pour les exercices 2015, 2016 et 2017 sont trop élevés pour les raisons suivantes :

a)  les montants d’argent incluent le remboursement de frais aux deux actionnaires;

  • b) les montants d’argent versés aux deux actionnaires comprenaient à la fois salaire et dividendes; or, ces derniers n’ouvrent pas droit à pension.

Cadre législatif

[7]  Selon l’article 12 du Régime de pensions du Canada, les traitement et salaire cotisables d’une personne pour une année sont son revenu provenant d’un emploi ouvrant droit à pension, calculés en conformité avec la Loi de l’impôt sur le revenu. Aux fins de ce calcul, les déductions fiscales sont réintégrées au revenu. Aucune des exceptions prévues, relatives à l’âge et à l’invalidité et au clergé, ne s’applique en l’espèce.

[8]  Les articles 8 et 9 du RPC énoncent la méthode de calcul des cotisations respectives de l’employé et de l’employeur.

[9]  Selon le paragraphe 21(1) du RPC, tout employeur est tenu de déduire de la rémunération payée à un employé la fraction correspondant aux cotisations de l’employé au RPC, puis de remettre au receveur général, à la date prescrite, les cotisations de l’employé et celles de l’employeur.

[10]  L’article 5 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada énonce la méthode de calcul du montant que l’employeur est tenu de déduire de la rémunération de l’employé à titre de cotisation d’employé.

[11]  Le montant que doit remettre l’employeur, à titre de cotisation de l’employeur, est égal au montant de la cotisation de l’employé qui est retenu à l’égard de la rémunération : voir l’article 7 du Règlement.

[12]  En général, l’employeur doit remettre les cotisations de l’employé et de l’employeur au plus tard le 15e jour du mois qui suit celui au cours duquel la rémunération a été payée (au paragraphe 8(1) du Règlement).

[13]  L’employeur qui ne déduit ni ne remet les cotisations au RPC, en conformité avec les dispositions pertinentes, est tenu de payer le montant global qui aurait dû être déduit et remis (voir le paragraphe 21(2) du RPC).

Contexte factuel

[14]  L’appelante a été constituée en société le 20 mars 2012 et son exercice prend fin le 28 février (documents de constitution en société, pièce A-6).

[15]  M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam sont les administrateurs et dirigeants de l’appelante. Ils sont chacun actionnaires de l’appelante à 50 % (documents de constitution en société, pièce A-6; réponse à l’avis d’appel à l’alinéa 13d)).

[16]  Lors de son témoignage, M. Kanagasabai a déclaré que l’appelante concevait des systèmes de sécurité pour des entreprises, et que lui-même concevait, installait et vendait ces systèmes.

[17]  Dans son témoignage, Mme Tharumalingam, épouse de M. Kanagasabai, a affirmé qu’elle a effectué des tâches administratives pour l’appelante dès sa constitution en société et qu’elle avait continué jusqu’au jour où elle a été blessée dans un accident de voiture, en janvier 2016. Elle a affirmé qu’elle était notamment responsable du classement des dossiers, de la préparation des factures ainsi que des appels téléphoniques.

[18]  M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam ont tous les deux déclaré qu’ils ont été les deux seuls employés de l’appelante jusqu’à l’accident de Mme Tharumalingam, après quoi un sous-traitant a été embauché. Mme Tharumalingam a précisé qu’elle travaillait environ 40 heures par semaine pour l’appelante avant son accident et que son salaire lui était versé en espèces, toutes les deux semaines.

[19]  Lors du contre-interrogatoire, M. Kanagasabai a déclaré qu’il travaillait à temps partiel au centre de traitement du courrier de Postes Canada depuis les vingt dernières années. À titre d’employé à temps partiel, il travaillait environ 25 heures par semaine; cependant, du mois d’août 2015 au mois de janvier 2018 environ, il a pris un congé pour prendre soin de sa mère âgée.

[20]  Les états financiers non vérifiés de l’appelante ont été préparés par le cabinet de M. Somasuntharam et signés par ce dernier (pièce A‑2, pages 39 à 50). Voici ce qui figure notamment sur ces états financiers :

Exercice 2015 :

a)  Les recettes de l’appelante ont été de 83 840 $.

b)  L’appelante a réalisé un bénéfice net de 30 093 $.

c)  Les principales dépenses d’exploitation engagées au cours de l’exercice l’ont été dans les postes suivants : usage d’un véhicule automobile (10 741 $), taxe d’affaires et droits de permis (9 236 $), frais de gestion (7 800 $), charges locatives (4 800 $) et frais de repas et de représentation (4 338 $).

  • d) Une créance de 10 307 $ des deux actionnaires constituait la majeure partie de l’actif de l’appelante.

  • h) Une créance de 17 400 $ des deux actionnaires constituait la majeure partie de l’actif de l’appelante.

  • l) Une créance de 24 247 $ des deux actionnaires constituait la majeure partie de l’actif de l’appelante.

Exercice 2016 :

e)  Les recettes de l’appelante ont été de 81 960 $.

f)  L’appelante a réalisé un bénéfice net de 2 784 $.

g)  Les principales dépenses d’exploitation engagées au cours de cet exercice l’ont été dans les postes suivants : usage d’un véhicule automobile (12 816 $), taxe d’affaires et droits de permis (13 020 $), frais de gestion (27 809 $), charges locatives (4 800 $) et frais de repas et de représentation (4 071 $).

Exercice 2017 :

i)  Les recettes de l’appelante ont été de 88 045 $.

j)  L’appelante a réalisé un bénéfice net de 13 071 $.

k)  Les principales dépenses d’exploitation engagées au cours de l’exercice l’ont été dans les postes suivants : usage d’un véhicule automobile (19 372 $), taxe d’affaires et droits de permis (16 470 $), charges locatives (9 600 $), frais de repas et de représentation (4 750 $) et sous-traitant (15 600 $).

[21]  Dans son témoignage, M. Somasuntharam a affirmé qu’il est devenu le comptable de l’appelante en 2015, mais qu’il ne s’occupait pas de la tenue des livres.

[22]  Aucun document-source n’a été produit en preuve lors de l’audience, mais M. Somasuntharam a déclaré que l’examinateur des fiducies pouvait examiner ces documents, s’il le souhaite.

[23]  Il a ajouté qu’il avait préparé deux tableurs résumant les décaissements de l’appelante sur une base mensuelle durant les exercices 2016 et 2017 (pièce A‑2, pages 5 et 6). Il a affirmé s’être servi des comptes de frais mensuels établis par M. Kanagasabai pour préparer ces débours en espèces (pièce A-2, pages 7 à 30).

[24]  Voici un résumé des deux tableurs attestant des débours en espèces :

Exercice 2016 :

a)  Un total de 100 274,51 $ a été versé par l’appelante aux actionnaires au moyen de retraits en espèces, de transferts électroniques et de paiements par carte de crédit.

b)  Les principales dépenses engagées par l’appelante l’ont été aux postes suivants : frais de gestion (28 500,48 $), droits de permis (14 712,45 $), essence (6 098,14 $), charges locatives (4 800 $), frais de repas et de représentation (4 600,23 $), téléphone cellulaire (3 480,40 $), paiements de location d’une Audi (2 917,02 $), frais de taxi (3 260,05 $), frais de bureau (3 229,67 $) et publicité (3 243,01 $).

c)  Les dépenses ont totalisé 93 181,51 $.

d)  M. Somasuntharam a expliqué que la différence entre les deux montants d’argent de 100 274,51 $ et de 93 181,51 $ (soit 7 093 $) correspondait à un prêt aux actionnaires consenti par l’appelante à M. Kanagasabai.

e)  En ce qui a trait aux frais de gestion, lors de son témoignage, M. Somasuntharam a déclaré que ce montant d’argent aurait dû être inscrit comme un salaire versé à Mme Tharumalingam.

Exercice 2017 :

f)  Un montant total de 92 129,20 $ a été versé par l’appelante aux actionnaires au moyen de retraits en espèces, de transferts électroniques, de paiements par carte de crédit et de retraits au guichet automatique.

g)  Les principales dépenses engagées par l’appelante l’ont été aux postes suivants : droits de permis (16 469,92 $), sous-traitant (15 600 $), charges locatives (9 600 $), paiements de location d’une Audi (8 268,24 $), essence (6 938,49 $), dépôt de garantie (6 900 $), frais de repas et de représentation (5 322,42 $) et assurance automobile (3 457,68 $).

h)  Les dépenses se sont élevées à 85 459,20 $.

i)  M. Somasuntharam a expliqué que la différence entre les deux montants de 92 129,20 $ et de 85 459,20 $ (soit 6 670 $) correspondait à un prêt aux actionnaires consenti par l’appelante à M. Kanagasabai.

j)  Au sujet des dépenses du sous-traitant, M. Kanagasabai a déclaré que cette personne travaillait de 10 à 15 heures par semaine, alors que M. Kanagasabai travaillait de 60 à 70 heures par semaine, y compris les fins de semaine, après l’accident de Mme Tharumalingam. Il a ajouté qu’un salaire mensuel de 1 300 $ était versé au sous-traitant et qu’il communiquait principalement avec cette personne par courriel et par téléphone.

(Pièce A‑2, aux pages 5 et 6)

[25]  Au sujet des comptes de frais mensuels sur lesquels sont fondés les résumés des débours en espèces, M. Kanagasabai a déclaré ce qui suit :

  • a) Comme l’appelante ne détenait pas de carte de crédit professionnelle, M. Kanagasabai se servait de sa carte de crédit personnelle pour payer l’essence.

  • b) Les « charges locatives » s’entendent des frais associés à son bureau à domicile.

  • c) Sa maison est d’une superficie d’environ 2 600 à 2 650 pieds carrés, son bureau à domicile occupant environ 400 à 450 pieds carrés de cette superficie.

  • d) Une partie de l’entrée de son domicile a aussi été incluse dans son calcul du pourcentage de la maison dont l’appelant se servait pour les activités, car c’est à cet endroit que la voiture de fonction était stationnée.

  • e) M. Kanagasabai a appliqué des taux de 25 % et 35 % pour calculer la part des dépenses du ménage associées aux services publics et à Internet, respectivement, qui était imputable aux activités de l’appelante.

  • f) Il arrivait parfois que M. Kanagasabai prenne un taxi au lieu de sa voiture de fonction pour se rendre au centre-ville et obtenir des permis à l’hôtel de ville, car cela était moins coûteux.

  • g) Il engageait des frais de repas et de réception lorsqu’il invitait des clients au restaurant pour le déjeuner ou achetait son propre dîner après le travail, dans la région du Grand Toronto.

(Pièce A‑2, pages 7 à 30)

[26]  Les copies de deux registres de kilométrage de déplacements d’affaires, présentées par l’appelante, font notamment état de ce qui suit :

a)  Ces registres couvrent les mois de juillet à décembre. L’année n’est pas précisée, mais M. Kanagasabai a indiqué qu’ils portaient sur les exercices 2015 ou 2016.

b)  La voiture de fonction y est décrite comme étant une Honda Accord 2016. Les résumés sur les débours en espèces font toutefois état de paiements de location d’une Audi au cours des exercices 2016 et 2017. M. Kanagasabai a déclaré que la voiture de fonction était auparavant une Honda, mais que l’appelante loue une Audi depuis février 2016 (pièce A‑2, aux pages 5 et 6).

c)  La majorité des déplacements inscrits ont été faits pour se rendre au 2400, avenue Skymark, à Mississauga. M. Kanagasabai a déclaré que cette adresse était celle du consultant principal en sécurité par l’intermédiaire duquel il offrait des contrats en sous-traitance. Durant le contre-interrogatoire, M. Kanagasabai a indiqué qu’il concevait des systèmes de sécurité pour eux et qu’il pouvait accéder à un bureau dans les locaux du consultant. Il a ajouté qu’il allait habituellement tous les jours aux bureaux du consultant et qu’il y passait la moitié de la journée, puis il rapportait son travail à la maison. Il a également précisé que tous ses clients se trouvaient à Mississauga et à Vaughan.

(Pièces A-3 et A-4)

[27]  Les éléments de preuve sur la nature des montants d’argent reçus par M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam peuvent être résumés ainsi :

a)  Durant son interrogatoire principal, M. Kanagasabai a déclaré qu’il avait reçu, en 2015, des paiements sous la forme de dividendes, mais aussi de remboursements.

b)  Il a aussi précisé que seuls des dividendes leur ont été versés durant les trois premières années d’exploitation de l’appelante et que des salaires ont commencé à leur être versés en 2015.

c)  Il a ajouté qu’il a été le seul à recevoir un salaire de la part de l’appelante après l’accident de Mme Tharumalingam, en janvier 2016.

d)  Toujours durant son interrogatoire principal, M. Kanagasabai a précisé que, sur les quelque 80 000 $ que l’appelante leur avait versés, à lui et à Mme Tharumalingam, 20 000 $ correspondaient au remboursement de frais. Il a précisé que l’appelante n’avait remis les cotisations au RPC sur le solde de 60 000 $ que tous les six mois environ, car l’appelante n’avait pas d’argent.

e)  En contre-interrogatoire, M. Kanagasabai a déclaré que l’appelante lui avait versé des dividendes de 15 000 $ en 2015 et que seule Mme Tharumalingam avait reçu un salaire de la part de l’appelante cette année-là.

f)  À cette occasion, il a ajouté que l’appelante lui avait payé des dividendes, mais ne lui avait versé aucun salaire, en 2016, et qu’il a commencé à toucher un salaire en 2017.

g)  Plus tard, lors du contre-interrogatoire, il a mentionné que l’appelante lui avait versé un salaire dès 2016 et que des cotisations au RPC avaient été payées en son nom pour l’exercice 2016.

h)  Il a aussi mentionné, plus tard lors d’un contre-interrogatoire, qu’il n’était pas tout à fait certain des années touchées. Il a déclaré avoir commencé à percevoir un salaire de la part de l’appelante en 2017 et que l’appelante lui avait versé des dividendes de 15 000 $ en 2015 et en 2016.

i)  Le comptable de l’appelante, M. Somasuntharam, a déclaré dans son interrogatoire principal que M. Kanagasabai ne connaissait pas la terminologie comptable et qu’il ne comprenait donc pas la différence entre un salaire et des dividendes.

j)  M. Somasuntharam a ajouté que M. Kanagasabai n’avait reçu que des dividendes de la part de l’appelante durant l’exercice  2016.

k)  Lors de l’interrogatoire principal, M. Somasuntharam a indiqué qu’il avait préparé un feuillet T4 pour l’année 2015, relativement aux gains de Mme Tharumalingam, mais que le versement exigible de 5 878,40 $, indiqué dans la case 86, n’avait pas été fait (pièce A-2, à la page 33).

l)  Lors du contre-interrogatoire, Mme Tharumalingam a dit avoir reçu des dividendes de 15 000 $ de la part de l’appelante en 2013 et en 2014.

  • m) Elle a aussi mentionné que le ménage comptait deux enfants. Enfin, elle a déclaré que les indemnités d’assurance et des cartes de crédit avaient été utilisées pour payer les dépenses du ménage après son accident, et qu’elle n’avait effectué que le paiement minimum exigé pour régler le solde des cartes de crédit.

Discussion

[28]  En l’espèce, il est très difficile de faire la distinction entre les aspects qui sont les plus crédibles et ceux qui le sont moins.

[29]  Selon les éléments de preuve dont j’ai été saisi et la prépondérance des probabilités, je crois que l’appelante a vraisemblablement été constituée en société en 2012 pour permettre à M. Kanagasabai d’offrir ses services de sécurité en sous-traitance à des clients, dont les principaux étaient offerts au 2400, avenue Skymark, à Mississauga. Durant son contre-interrogatoire, M. Kanagasabai a indiqué qu’il effectuait du travail en sous-traitance avec un consultant principal en sécurité dont les bureaux étaient situés à cette adresse, et le registre de kilométrage de l’entreprise faisait état d’environ 117 déplacements à cette adresse, par rapport à environ 24 déplacements à d’autres adresses, sur une période de six mois (pièces A-3 et A-4).

[30]  Selon les états financiers non vérifiés, le chiffre d’affaires brut de l’appelante est demeuré relativement stable durant les exercices 2015 (83 840 $), 2016 (81 960 $) et 2017 (88 045 $) (pièce A-2, aux pages 39 à 50). En contre-interrogatoire, M. Kanagasabai a déclaré que, lorsqu’il travaillait à Postes Canada, il effectuait environ 25 heures par semaine à un taux horaire d’environ 27 $, ce qui représentait un salaire brut de 30 000 $ ou 40 000 $ par année. Selon mes calculs, sur une année de 52 semaines, 25 heures de travail par semaine à un taux horaire de 27 $ représentent 35 100 $.

[31]  L’emploi au sein de Postes Canada n’était pas une source de revenus pour M. Kanagasabai lorsque celui-ci a pris un congé pour prendre soin d’une personne âgée d’août 2015 à janvier 2018, soit la majeure partie de la période visée par le présent appel. Je crois que le revenu du ménage a probablement diminué lorsque M. Kanagasabai a demandé un congé alors qu’il occupait un emploi durable à Postes Canada.

[32]  M. Somasuntharam a déclaré qu’il est devenu le comptable de l’appelante en 2015, et je crois qu’il a aidé M. Kanagasabai à examiner plus en détail les dépenses qui pouvaient être considérées comme des dépenses d’entreprise de l’appelante.

[33]  Lors de son témoignage, M. Kanagasabai a invité la Cour à demander à son comptable des réponses aux questions portant notamment sur le versement des retenues à la source, le T4 Sommaire de l’appelante pour l’exercice 2015 (pièce A-1), le montant de la rémunération qui lui a été versée durant les années visées par l’appel et l’existence ou non d’une résolution des administrateurs autorisant la déclaration des dividendes.

[34]  M. Somasuntharam a expliqué que M. Kanagasabai ne connaissait pas la terminologie comptable et qu’il ne comprenait donc pas la différence entre un salaire et des dividendes. Cependant, j’estime que ces termes font aussi partie de la terminologie commerciale; je m’attendrais donc à ce que M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam les comprennent, à titre d’administrateurs et de dirigeants de l’appelante.

[35]  Comme le revenu ouvrant droit à pension est calculé conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, le paragraphe 230(1) de la Loi, rédigé comme suit, s’avère pertinent :

Livres de comptes et registres [de l’entreprise]
230 (1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d’affaires ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

[36]  Durant l’audience, plusieurs témoignages quant aux moments où les actionnaires ont reçu des dividendes à la place d’un salaire étaient contradictoires. Je crois que ces incohérences sont vraisemblablement dues au fait que M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam ne considéraient pas l’appelante comme une entreprise commerciale avant les années visées par l’appel. Par conséquent, ils n’ont pas tenu de registres adéquats et complets, notamment pour faire le suivi des remboursements qui auraient pu leur être dus ou aux fins de versements au titre des cotisations au RPC.

[37]  L’appelante n’a pas produit de document-source en preuve, et d’après la teneur des résumés et registres à disposition, ces documents ont été préparés après coup et ne comprennent pas tous les renseignements nécessaires. Voici quelques exemples à l’appui :

a)  Les résumés des débours en espèces pour les exercices 2016 et 2017 font état de la location, par l’appelante, d’une Audi comme voiture de fonction (pièce A-2, aux pages 5 et 6). M. Kanagasabai a déclaré que, jusqu’en février 2016, la voiture de fonction de l’appelante était une Honda Accord. L’appelante a ensuite loué une Audi. Cependant, les registres de kilométrage font état d’une Honda Accord 2016 et M. Kanagasabai n’a pas pu confirmer si les registres étaient ceux de l’année 2015 ou 2016.

b)  Pour les exercices 2015 et 2016, les registres de kilométrage (pièces A-3 et A-4) couvrent une période de six mois, de juillet à décembre, et des kilomètres effectués y sont consignés presque tous les jours, sauf durant certaines fins de semaine et certains jours fériés. Selon les données inscrites dans le registre de kilométrage en date du 6 octobre, on s’est servi de la voiture de fonction pour se rendre au 2400, avenue Skymark. Cependant, lorsqu’on compare ces écritures aux comptes de frais mensuels de M. Kanagasabai, on remarque que ces comptes font état de frais de taxi de 30 $ inscrits le 6 octobre 2015 et de frais de déplacement de 17 $, inscrits le 6 octobre 2016 (pièce A-2, aux pages 7 à 30). Il convient de préciser que la colonne réservée à l’inscription des frais de taxi dans les comptes de frais mensuels a été remplacée par une colonne [traduction] « frais de déplacement » en mars 2016.

c)  Le résumé des débours en espèces pour l’exercice 2016 fait état de frais de taxi totalisant 3 260,05 $. D’après le résumé des débours en espèces pour l’exercice 2017, la catégorie des frais de taxi a été remplacée par la catégorie des frais de déplacement, et des frais de déplacement de 1 940 $ y sont inscrits. Or, comme l’appelante avait une voiture de fonction et que les déplacements se faisaient la plupart du temps jusqu’à des bureaux situés au 2400, avenue Skymark, les frais de taxi et de déplacement sont soit déraisonnables, soit invraisemblables.

d)  Durant chacune des années visées par l’appel, les frais de repas et de réception sont l’un des principaux postes de dépenses. M. Kanagasabai a déclaré qu’il avait engagé ces dépenses pour inviter des clients au restaurant pour le déjeuner ou acheter son propre dîner après le travail, dans la région du Grand Toronto. Les montants de ces dépenses vont de 9 $ le 15 octobre 2015 à 315,53 $ le 12 décembre 2015. Étant donné que M. Kanagasabai n’aurait pas dû déduire les frais associés à ses propres dîners lorsqu’il travaillait dans la région du Grand Toronto (là où il vit), et que l’appelante était essentiellement au service d’un seul client (au 2400, avenue Skymark), le montant d’argent demandé au titre des repas et des dépenses est soit déraisonnable, soit invraisemblable.

e)  Les droits de permis (c.-à-d. les permis municipaux délivrés par l’hôtel de ville de Toronto) représentent le deuxième plus important poste de dépenses durant l’exercice 2016 et le poste le plus important durant l’exercice 2017. Je pense toutefois que cette catégorie représente plutôt des débours (c.-à-d. des frais recouvrables auprès des clients de l’appelante) et qu’il ne s’agit pas de dépenses d’entreprise de l’appelante.

  • f) Le chiffre d’affaires brut de l’appelante durant chacun des exercices est demeuré relativement stable, peu importe le temps, l’énergie ou les ressources consacrés par M. Kanagasabai et Mme Tharumalingam (états financiers non vérifiés, pièce A-2, aux pages 39 à 50).

[38]  Dans l’arrêt VanNieuwkerk c. La Reine, 2003 CCI 670, le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre) s’est exprimé ainsi, au paragraphe 6 :

Cette cour a eu maintes fois l’occasion de dire que les écritures comptables ne créent pas la réalité. Elles ne font que refléter la réalité. Il doit y avoir une réalité sous-jacente pouvant exister indépendamment des écritures comptables.

[39]  À ma connaissance, aucune réalité sous-jacente n’étaye les documents comptables que l’appelante a déposés à la Cour. D’après les éléments de preuve dont j’ai été saisi, il m’est tout particulièrement impossible de conclure que les hypothèses de fait formulées par le ministre dans sa réponse à l’avis d’appel ont été réfutées.

Conclusion

[40]  L’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juillet 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 52

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1555(CPP)

INTITULÉ :

2321184 ONTARIO LTD. c. M.R.N.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Susan Wong

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Sivakumar Kanagasabai

Avocat de l’intimé :

Me Kevin Hong

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

S.O.

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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