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Dossier : 2018-4329(IT)I

ENTRE :

PIERRE JUNEAU RÉNOVATIONS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 8 octobre 2019, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable Rommel G. Masse, juge suppléant


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Sylvain Huet

Avocat de l’intimée :

Me Julien Dubé-Senécal

 

JUGEMENT

  L’appel des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2012 et 2013 est rejeté.

Signé à Kingston, Ontario, ce 23e jour de juillet 2020.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


Référence : 2020 CCI 54

Date : 20200723

Dossier : 2018-4329(IT)I

ENTRE :

PIERRE JUNEAU RÉNOVATIONS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Masse

[1]  L’appelante (ou la « société ») est une personne morale qui a été constituée le 7 juin 2010. L’exercice financier de la société se termine le 31 décembre. M. Pierre Juneau est l’unique actionnaire de la société. L’entreprise de la société consiste à offrir des services de rénovation. Le présent litige porte sur les années d’imposition 2012 et 2013.

[2]  En produisant ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2012 et 2013, l’appelante a déclaré les montants suivants :

Tableau no 1

REVENUS/DÉPENSES

2012

2013

Revenus d’entreprise

489 341 $

131 919 $

Dépenses d’entreprise

489 341 $

179 876 $

Revenus d’entreprises nets (pertes nettes)

0 $

(47 957 $)

[3]  Le ministre du Revenu national (ci-après, le « ministre ») a établi une cotisation initiale en date du 25 avril 2013 envers l’appelante pour l’année 2012. Le 6 mars 2014, le ministre a établi une cotisation initiale envers l’appelante pour l’année 2013.

[4]  En 2016, l’Agence du revenu du Canada (« l’Agence ») a effectué une vérification auprès de l’appelante. À la suite de cette vérification, le ministre a établi des avis de nouvelle cotisation en date du 17 janvier 2017 à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition afin d’apporter certains redressements aux déclarations de revenus. Le ou vers le 7 février 2017, l’appelante a signifié son opposition à l’encontre des nouvelles cotisations établies le 17 janvier 2017. Le 4 octobre 2018, en réponse à l’opposition, le ministre a confirmé la cotisation datée du 17 janvier 2017 à l’égard de l’année d’imposition 2013. Le 3 octobre 2018, le ministre a établi un avis de nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2012. Le tableau suivant indique les redressements effectués par les nouvelles cotisations.

Tableau no 2

REVENUS/DÉPENSES

2012

2013

Revenus non déclarés ajoutés

17 123 $

20 320 $

Dépenses refusées (accordées)

 

 

Coût des ventes

121 312 $

101 813 $

Frais juridiques et comptables

400 $

5 312 $

Publicité

3 006 $

(21 $)

Assurances

2 106 $

2 804 $

Frais de repas et de représentation

2 313 $

0 $

Frais de bureau

898 $

0 $

Loyer

0 $

898 $

Papeterie et fournitures de bureau

1 101 $

(75 $)

Petits outils

3 788 $

2 580 $

Téléphone et télécommunications

1 623 $

1 487 $

Frais de véhicule

20 341 $

7 952 $

Total des dépenses refusées (accordées)

156 887 $

122 750 $

Montants assujettis à la pénalité 163 (2)

17 123 $

20 320 $

Pénalité 163(2)

942 $

1 118 $

[5]  L’appelante se pourvoit en appel à l’encontre de ces nouvelles cotisations.

I. Contexte factuel

[6]  Je commence avec la preuve de l’intimée afin d’expliquer comment le ministre en est arrivé à ses conclusions. Vu l’état lamentable de la comptabilité de l’appelante, l’Agence a dû procéder par une vérification indirecte des revenus et dépenses de l’appelante. Il s’agit d’une vérification factuelle et bancaire pour concilier les revenus et les dépenses d’entreprise de l’appelante.

[7]  Madame Alina Ionela Patrascu est agente de renseignements d’entreprise, présentement à l’emploi de l’Agence. Elle est comptable par formation et expérience. Elle a une expérience de 20 ans en comptabilité et fiscalité. Elle travaille à l’Agence depuis 2015. C’est elle qui a effectué la vérification d’impôt de l’appelante. Elle a préparé un rapport très détaillé qui est devant la Cour comme pièce sous la côte I-2. La pièce I-1 est un cahier de documents incluant toutes les feuilles de travail dont elle s’est servie dans la préparation de son rapport. Madame Patrascu nous a décrit sa méthodologie et les calculs qu’elle a effectués lors de sa vérification. Un résumé de son témoignage suit.

[8]  Madame Patrascu a témoigné qu’au début, elle a obtenu de l’appelante seulement les rapports trimestriels que M. Pierre Juneau avait préparés à la main en format papier pour les réclamations de taxe TPS/TVQ avec les détails relatifs aux revenus et aux dépenses. Les rapports trimestriels étaient les seuls documents servant comme livres et registres de l’appelante. Il n’y avait pas d’autres livres et registres en bonne et due forme, ni en format papier ni en format électronique. Il est évident que la comptabilité de l’appelante laisse beaucoup à désirer. L’état des livres et registres de l’appelante était incomplet et inadéquat. Ces rapports trimestriels se trouvent à l’onglet 27 de la pièce I-1.

[9]  Madame Patrascu a, par la suite, obtenu et examiné les relevés bancaires de l’appelante, des factures de vente et des pièces justificatives fournies par l’appelante à l’appui des dépenses selon le rapport trimestriel pour les taxes.

II. Revenus non déclarés

[10]  Madame Patrascu a procédé à une analyse des dépôts bancaires [1] et des registres comptables afin de concilier les revenus gagnés avec les revenus déclarés. L’analyse des dépôts bancaires consiste en une comparaison entre le total des dépôts effectués dans les comptes bancaires de l’appelante et les revenus déclarés. Elle a pris en compte des corrections effectuées par la banque, des corrections attribuables à la TPS/TVQ et autres ajustements. Par exemple, un prêt fait par M. Juneau à la société. Madame Patrascu a constaté que le total des dépôts était supérieur au total des ventes déclarées. Donc, elle a identifié des écarts importants durant les années d’imposition.

[11]  La méthodologie et les calculs de madame Patrascu sont détaillés dans une feuille de travail [2] qu’elle a préparée. Elle explique et résume son travail comme suit. Elle a identifié des dépôts bancaires inexpliqués et non identifiés dans les ventes totalisant 65 954 $ en 2012 et 68 225 $ en 2013. Parmi ces dépôts inexpliqués, elle a conclu que des montants respectifs de 48 831 $ pour 2012 et de 48 605 $ pour 2013 correspondaient à des ventes déclarées par l’appelante, mais qu’elle ne pouvait pas identifier dans le compte bancaire; possiblement parce que ces ventes ont été payées en espèces. En résumé, elle a identifié les dépôts bancaires totaux. Ensuite, elle a enlevé les dépôts bancaires reliés aux ventes. Par la suite, elle a exclu les autres dépôts qui ne sont pas imposables. De cette façon, elle est arrivée à un montant de dépôts bancaires non identifiés dans les ventes.

[12]  Madame Patrascu ne pouvait vérifier aucune pièce justificative qu’elle pouvait rattacher à ces dépôts inexpliqués. Elle a conclu que ces montants ne constituaient pas des revenus non déclarés. Par conséquent les écarts entre ces montants, soit 17 123 $ pour 2012 (65 954 $ - 48 831 $) et 20 320 $ pour 2013 (68 925 $ - 48 605 $), constituaient des revenus non déclarés.

III. Coût des ventes refusées

[13]  Le ministre a refusé le montant de 121 312 $ pour 2012 et le montant de 101 813 $ pour 2013, réclamés par l’appelante comme dépenses d’entreprise à titre de « coût des ventes ».

[14]  Madame Patrascu explique que le « coût des ventes » consiste en deux composantes : 1) les « achats/coût des matériaux de construction » et 2) les dépenses pour « sous-traitants ». Au début de la vérification, madame Patrascu a constaté des écarts importants de conciliation sur ces deux postes dans le sens que les achats dans les états financiers étaient supérieurs aux montants indiqués dans les pièces justificatives mises à sa disposition. En ce qui concerne les dépenses de sous‑traitance, les montants selon les états financiers étaient inférieurs aux montants des pièces justificatives. Elle s’explique ainsi dans son témoignage et son rapport.

Achats/coût des matériaux [3]

[15]  Madame Patrascu a constaté des écarts de 212 836 $ pour l’année d’imposition 2012 et de 100 691 $ pour l’année d’imposition 2013, entre les montants réclamés par l’appelante et les dépenses inscrites dans les rapports trimestriels fournis par l’appelante [4] . Elle a constaté des factures totalisant 14 189 $ réclamées en 2012 étaient attribuables à des dépenses encourues durant l’année d’imposition 2010. Donc, ces factures ont été éliminées en considération de ce fait. Également, elle a identifié des factures d’achat pour lesquelles aucune facture de vente n’était reliée aux adresses des travaux. Elle a identifié des erreurs de calcul, des dépenses pour lesquelles les pièces justificatives sont manquantes et des factures pour lesquelles l’acquéreur est une personne autre que l’appelante. Cependant, en ce qui concerne ce dernier type de facture, elle a tenu compte du projet indiqué sur la facture d’achat et elle a accordé la dépense respective si le projet était relié à la vente. Elle a refusé seulement les dépenses pour lesquelles l’acquéreur n’était pas l’appelante et aucun projet (adresse des travaux) n’était indiqué sur les factures. Elle a conclu qu’il était impossible de déterminer si ces dépenses ont été engagées dans le but de gagner un revenu d’entreprise.

[16]  En résumé, elle a conclu que ces dépenses n’ont pas été engagées par la société pour deux raisons : 1) ces dépenses ne se retrouvaient pas dans le registre, et 2) l’appelante n’a fourni aucune pièce justificative au soutien de ces dépenses.

[17]  La vérificatrice a aussi refusé des montants respectifs de 20 460 $ pour 2012 et de 6 009 $ pour 2013, puisque l’appelante n’a fourni aucune pièce justificative au soutien de ces dépenses. En sommaire, madame Patrascu a conclu que les montants respectifs de 233 296 $ (212 836 $ + 20 460 $) et de 106 700 $ (100 691 $ + 6 009 $) réclamés par l’appelante pour les années d’imposition 2012 et 2013 à titre de dépenses d’entreprise pour « Achats/coût des matériaux » n’ont pas été engagées par l’appelante dans le cadre des activités de son entreprise. Donc, ces dépenses ont été refusées.

Contrats de sous-traitance [5]

[18]  Lors de l’analyse du poste « contrats de sous-traitance », madame Patrascu a identifié certaines problématiques. Le plus gros sous-traitant de l’appelante était Robert Rousseau rénovation enr. Le total des factures de ce sous-traitant s’élève à 263 410 $ en 2012 et à 33 300 $ en 2013. Mais, ces paiements n’ont pas tous été retracés. Les factures ne sont pas accompagnées de devis ou autre détail et certaines d’entre elles ne spécifient pas l’adresse des travaux. De plus, l’hôtel Westin, le plus gros client en 2012, s’est aperçu d’une surfacturation en lien avec les factures de sous-traitants. Certains sous-traitants ont émis des factures au nom de l’actionnaire, M. Juneau. De plus, l’adresse des travaux était manquante sur certaines factures. De ce fait, il était impossible de déterminer si la dépense avait été engagée aux fins de l’entreprise. Des factures dont l’acquéreur n’était pas la société, mais le plus gros sous-traitant, Robert Rousseau rénovation enr., ont aussi été trouvées. Les paiements de ces factures n’ont pas été retracés. Il était impossible de déterminer si les dépenses respectives ont réellement été engagées par la société. En l’absence des détails sur les factures de Robert Rousseau rénovation enr., elle n’a pas pu établir avec certitude que les dépenses en cause n’ont pas été réclamées en double. Il y avait aussi d’autres factures dont l’adresse des travaux n’a pas été identifiée dans les ventes. Elle a donc considéré que la dépense respective n’est pas déductible, car non engagée dans le but de gagner un revenu.

[19]  En examinant le seul registre fourni pas l’appelante, les rapports trimestriels, madame Patrascu a constaté que les montants des dépenses pour sous-traitants enregistrés par l’appelante dans son registre étaient supérieurs à ceux réclamés dans ses déclarations de revenus. Elle a constaté des écarts négatifs de 184 435 $ pour 2012 et de 87 687 $ pour 2013 entre les montants réclamés et les dépenses inscrites dans les rapports trimestriels fournis par l’appelante. Par contre, parmi les montants apparaissant uniquement au registre de l’appelante, des montants respectifs de 73 350 $ et de 82 800 $ ont été refusés pour les années d’imposition 2012 et 2013, puisque l’appelante n’a fourni aucune pièce justificative à l’appui.

[20]  En faisant les calculs nécessaires, la vérificatrice a accordé des montants supplémentaires de 111 085 $ (184 435 $ – 73 350 $) et de 4 887 $ (87 687 $ - 82 800 $) à l’appelante pour les années d’imposition 2012 et 2013 respectivement, à titre de dépenses d’entreprise pour « contrats de sous-traitance ».

[21]  Alors, les redressements suivants ont été effectués :

Coût des ventes = achats/coût des matériaux + sous-traitance

  1. pour 2012 : 233 296 $ + (-111 085 $) = 122 211 $ [6]

  2. pour 2013 : 106 700 $ + (-4 887 $) = 101 813 $

Autres dépenses refusées

[22]  Madame Patrascu a refusé plusieurs petits montants réclamés à titre de dépenses d’entreprise par l’appelante dans différents postes. J’ai dressé une liste de ces dépenses au Tableau no 3, indiquant à la pièce I-1 les feuilles de travail de madame Patrascu pour chacune des dépenses refusées.

Tableau no 3

 

2012

2013

Feuilles de travail, pièce I‑1

Frais légaux et comptables

400 $

5 312 $

Onglet 13

Publicité

3 006 $

(21 $)

Onglet 17

Assurance

2 106 $

2 804 $

Onglet 6

Frais de repas et de représentation

2 313 $

---

Onglet 11

Frais de bureau

898 $

---

Onglet 10

Loyer

---

898 $

Onglet 14

Papeterie et fournitures de bureau

1 101 $

(75 $)

Onglet 15

Petits outils

3 788 $

2 580 $

Onglet 16

Téléphone et télécommunications

1 623 $

1 487 $

Onglet 20

Frais de véhicule

20 341 $

5 925 $

Onglet 12, page 5

[23]  Il incombe au contribuable de tenir des livres et registres adéquats et de garder toutes les pièces justificatives qui supportent les dépenses réclamées. L’appelante n’a produit aucune pièce justificative faisant état de la validité des dépenses réclamées. Ces dépenses ont été refusées en raison du fait que l’appelante n’a fourni aucune pièce justificative au soutien de ces dépenses. Certaines de ces dépenses ont été refusées puisqu’elle ne se retrouvaient pas dans le registre où les dépenses de l’appelante sont supposément enregistrées. En l’absence de pièces justificatives prouvant que l’appelante a en fait engagé ces dépenses dans le but de gagner un revenu d’entreprise, ces dépenses sont refusées. Par contre, madame Patrascu a accordé à l’appelante une somme raisonnable pour frais de véhicule malgré le fait que l’appelante n’a produit aucun registre de kilométrage ou de factures pour l’essence, l’huile, les immatriculations, les assurances, les réparations, etc.

[24]  M. Pierre Juneau, l’unique actionnaire de l’appelante, a témoigné. Ce que je retiens de son témoignage se résume comme suit.

[25]  M. Juneau a témoigné que M. Robert Rousseau et lui étaient les meilleurs amis pendant plusieurs années. Il considérait M. Rousseau comme un membre de sa famille. Il a même hébergé M. Rousseau quand ce dernier avait des problèmes de couple. Il a été associé avec M. Rousseau dans le domaine de la construction pendant une quinzaine d’années.

[26]  M. Juneau a témoigné que M. Rousseau avait un réseau de contacts parmi des gens d’influence. En 2012, l’hôtel Westin au centre-ville de Montréal a subi de graves dégâts à cause d’une inondation. Donc, l’hôtel avait besoin d’entreprendre des projets majeurs de réparations et de rénovations qui valaient des centaines de milliers de dollars. M. Rousseau, avec tous ses contacts, a réussi à négocier un contrat important pour les rénovations et réparations nécessaires à l’hôtel. Par contre, M. Rousseau ne détenait aucun permis d’entrepreneur donc, il ne pouvait pas accepter ni se faire accorder un contrat à son nom. M. Juneau n’a pas expliqué dans son témoignage pourquoi M. Rousseau n’avait pas les permis nécessaires. M. Rousseau a donc eu recours à M. Juneau, car l’appelante détenait les permis nécessaires permettant d’entreprendre le projet Westin. Alors, il fut convenu entre M. Rousseau et M. Juneau que l’appelante accepterait le contrat et agirait à titre d’entrepreneur principal du projet. M. Rousseau serait son sous‑traitant. L’appelante a effectivement travaillé sur diverses phases du contrat, mais, selon M. Juneau, l’appelante a agi surtout à titre d’intermédiaire entre l’hôtel Westin et M. Rousseau.

[27]  L’appelante remettait à l’hôtel Westin des factures pour le travail effectué à l’hôtel. Ensuite, M. Rousseau remettait des factures à l’appelante pour le travail qu’il avait fait en sous-traitance. M. Juneau explique que M. Rousseau n’avait pas de compte de banque et donc ne pouvait pas encaisser de chèques. Donc, M. Juneau payait M. Rousseau en argent comptant. Pour ainsi faire, M. Juneau tirait des chèques sur le compte de banque de l’appelante payable à « cash ». Ensuite, il encaissait ces chèques et donnait l’argent directement à M. Rousseau. M. Juneau a témoigné qu’il payait à M. Rousseau des petits montants à titre d’avances sur les contrats et une fois les contrats complétés, il payait la balance de l’argent qu’il lui devait. Ces dernières sommes étaient parfois importantes. Dans son témoignage, M. Juneau n’explique pas pourquoi M. Rousseau, un homme d’affaires et entrepreneur chevronné, n’avait pas de compte de banque. De plus, M. Rousseau n’est pas venu témoigner afin d’expliquer le caractère exceptionnel d’un entrepreneur qui ne possède pas de compte de banque. Pour ma part, je ne peux pas concevoir qu’un homme d’affaires puisse exercer des activités commerciales se chiffrant en centaines de milliers de dollars, complètement en espèces, sans détenir un compte de banque.

[28]  M. Juneau se réfère au relevé de compte bancaire de la société pour les années 2012 et 2013. La pièce A-3 [7] consiste en des copies de certains chèques tirés sur le compte bancaire de l’appelante pour l’année 2012.

[29]  Selon M. Juneau, le tableau suivant indique les chèques qui représentent soit des avances ou soit des paiements contractuels finaux remis à M. Rousseau en contrepartie du travail que M. Rousseau a effectué pour l’appelante en sous‑traitance :

Tableau no 4

Chèque

Date

Payer à

Montant

Note explicative

 172

2 février 2012

Cash

1 500 $

Donné à Rousseau

 173

8 mars 2012

Cash

5 000$

Donné à Rousseau

 176

3 avril 2012

Cash

1 500$

Donné à Rousseau

 181

3 mai 2012

Cash

5 238.47$

Donné à Rousseau

 182

4 mai 2012

Cash

1 500$

Donné à Rousseau

 184

14 mai 2012

Marcel Desroches

1 060 $

Payer le loyer de Rousseau

 190

4 juin 2012

Cash

1 500$

Donné à Rousseau

 197

29 juin 2012

Robert Ayotte

24 000 $

Paiement pour l’achat d’un terrain par Rousseau

 203

6 juillet 2012

Cash

1 000 

Donné à Rousseau

 201

5 juillet 2012

Robert Rousseau

300 $

Déposé dans le compte des Entreprises Michaud

 200

4 juillet 2012

Robert Rousseau

200 $

Déposé dans le compte des Entreprises Michaud

 202

6 juillet 2012

Richard Rousseau

13 530,84 $

Solde des contrats payé au frère de Robert Rousseau

 198

29 juin 2012

Saint-Donat Marine

3 980 $

Payé pour l’achat de la motomarine à Rousseau

 224

7 août 2012

Marcel Desroches

1 100 $

Payer le loyer de Rousseau

 223

7 août 2012

Plomberie Westmount

1 850 $

Réparation à la plomberie où Rousseau était locataire

 236

15 septembre 2012

Cash

2 450$

Donné à Rousseau comme avance

 235

14 septembre 2012

Richard Rousseau

22 995 $

Payer la balance du contrat

 250

5 septembre 2012

Cash

3 000 

Donné à Rousseau comme avance

 252

7 octobre 2012

Pierre Juneau

20 000 $

Le paiement d’un prêt

 254

19 octobre 2012

Cash

3 000$

Donné à Rousseau comme avance

 260

2 novembre 2012

9261 8479 Québec inc.

6 668,55 $

Paiement à la société incorporée de M. Robert Rousseau

[30]  En résumé, ces chèques totalisent environ 124 000 $. Le chèque payable à M. Juneau au montant de 20 000 $ représente le remboursement d’une somme d’argent que M. Juneau avait prêtée à la société. M. Juneau affirme que le reste des chèques ont tous été émis à M. Rousseau ou au nom de M. Rousseau pour des services fournis à l’appelante par M. Rousseau en sous-traitance. Le total des chèques payable à « cash » se chiffre à 25 700 $, environ. Je constate que tous les chèques payables à « cash » n’indiquent aucunement la raison pour laquelle ils ont été remis à M. Rousseau. Il n’y a aucune preuve documentaire rattachant ces chèques à des factures ou contrats de sous-traitance. Il n’y a pas de note explicative inscrite sur le chèque, ni de reçus, ni de contrats, ni de factures, ni de lettres, ni de notes de service, ni de corroboration provenant de M. Rousseau ou d’autres témoins.

[31]  Selon M. Juneau, les chèques payables à Marcel Desroches s’appliquent au loyer de M. Rousseau. Le chèque payable à Robert Ayotte correspond à l’achat d’un terrain pour M. Rousseau. Le chèque payable à Saint-Donat Marine correspond à l’achat d’une motomarine pour M. Rousseau. M. Juneau soutient que ces sommes ont été payées au nom de M. Rousseau en contrepartie des services rendus par M. Rousseau en sous-traitance. Mais encore, l’appelante n’a produit aucune pièce justificative à l’appui de cette prétention, et M. Rousseau n’est pas venu témoigner pour expliquer pourquoi l’appelante lui aurait payé son loyer, l’achat d’un terrain et l’achat d’une motomarine. Il n’y a aucune preuve documentaire rattachant ces chèques à quelque facture que ce soit ou à des contrats de sous-traitance. La preuve documentaire nécessaire à faire le lien est inexistante. Les chèques nos 202 et 235 payables à Richard Rousseau, le frère de Robert, sont prétendument pour payer la balance due sur un contrat de sous-traitance. Madame Patrascu a accordé à l’appelante ces montants comme dépenses d’entreprise.

[32]  Le même exercice a été fait pour l’année 2013. Le tableau suivant en dresse un sommaire.

Tableau no 5

Chèque

Date

Payé à

Montant

Note explicative

288

17 janvier 2013

9261 8429 Québec inc.

75 324,18 $

Payé à la compagnie de Rousseau

289

17 janvier 2013

9261 8429 Québec Inc.

53 358,25 $

Payé à la compagnie de Rousseau

312

20 juin 2013

9261 8429 Québec Inc.

25 989,79 $

Payé à la compagnie de Rousseau

330

18 octobre 2013

Sylvie Ménard

24 761,86 $

Travaux faits par Rousseau chez des amis et payés par l’assurance. R ne pouvait pas prendre le contrat.

337

6 novembre 2013

Benoit Beauséjour

6 750 $

Travaux faits par Rousseau au nom de la société

[33]  Selon M. Juneau, les chèques nos 288, 289 et 312 ont été payés à la société incorporée par M. Rousseau. Ce sont des montants importants qui, selon lui, représentent des paiements pour de la sous-traitance à l’égard de travaux effectués à l’hôtel Westin.

[34]  M. Juneau explique qu’afin de rendre service à des amis de M. Rousseau, M. Juneau a encaissé des chèques dans certains dossiers d’assurance pour que les amis de M. Rousseau obtiennent plus d’argent de leur assureur. L’entreprise de M. Juneau n’a pas effectué de travaux alors des chèques ont été émis aux amis de M. Rousseau afin de leur verser les montants reçus des compagnies d’assurance. C’est la situation à l’égard du chèque no 330 au montant de 24 761,86 $ payable au nom de Sylvie Ménard et le chèque no 337 au montant de 6 750 $ payable au nom de Benoît Beauséjour. Par contre, M. Juneau n’a produit aucun document, comme des lettres provenant des compagnies d’assurance, ni de talons de chèque, ni de factures ou réclamations d’assurance, ni de contrats, faisant état du fait qu’il a reçu ces sommes d’argent des compagnies d’assurance. De plus, ni Robert Rousseau, ni Sylvie Ménard, ni Benoit Beauséjour n’ont témoigné afin de confirmer ces propos. En toute honnêteté, j’ai beaucoup de difficulté à comprendre l’explication donnée par M. Juneau.

[35]  En ce qui a trait aux chèques nos 202, 224, 235, 260, 288, 289, et 312, madame Patrascu s’est déjà penchée sur cette question et la quasi-totalité de ces montants a déjà été accordée à l’appelante [8] .

[36]  M. Juneau a produit les pièces A-6 et A-7 pour les années 2012 et 2013 respectivement. Ces deux pièces consistent en des factures en liasse. M. Juneau nous dit que toutes ces factures ont été payées. Par contre, ces factures ne sont pas rattachées à des paiements, soit en espèces ou par chèques. Madame Patrascu, dans son rapport et ses feuilles de travail, a déjà considéré ces factures et les a refusées pour les raisons qu’elle a déjà expliquées [9] .

[37]  En contre-interrogatoire, M. Juneau nous dit que lui et M. Rousseau tenaient une petite comptabilité entre eux, mais une fois le travail terminé, il a jeté la comptabilité. Donc, il n’a conservé aucun document faisant état de la comptabilité qui existait entre lui et M. Rousseau.

[38]  En ce qui a trait aux autres dépenses refusées, comme les frais de véhicule, l’appelante n’a conservé aucune facture ou autres pièces justificatives à l’appui de ces dépenses. M. Juneau ne sait pas ce qui est arrivé aux factures de dépenses. Le fardeau d’établir la validité des dépenses réclamées incombe à l’appelante. Sans pièces justificatives, il est impossible de justifier ces dépenses. Les sommes réclamées, par exemple, à titre de frais de véhicule sont importantes : 20 341 $ en 2012 et 7 952 $ en 2013. Par contre, aucun véhicule n’est immatriculé au nom de l’appelante en 2012, il y en a seulement en 2013. M. Juneau soutient que la totalité des dépenses réclamées est attribuable aux dépenses de véhicule et a été engagée dans le but de gagner un revenu. L’appelante n’a fourni aucun document ou registre au soutien de ces dépenses. Malgré tout, madame Patrascu a accordé un montant estimatif de dépenses à titre de frais de véhicule. Ses présomptions et calculs sont détaillés dans son rapport et feuilles de travail [10] . D’après moi, les calculs effectués par madame Patrascu sont raisonnables.

IV. Analyse

[39]  Madame Patrascu m’a beaucoup impressionné. J’accepte son témoignage comme étant véridique et fiable. Elle a fait un travail extraordinaire et complet, considérant qu’elle n’a reçu que très peu de documentation de l’appelante et qu’elle était obligée d’obtenir elle-même les relevés de compte bancaire de l’appelante. La vérification indirecte des revenus et dépenses qu’elle a effectuée était nécessaire parce que l’appelante a négligé de conserver des registres et des livres de compte permettant d’établir le montant des impôts payables. La tenue de livres démontrée par l’appelante était lamentable. Sa comptabilité est presque inexistante. Par contre, le travail de madame Patrascu est efficace, complet, détaillé et méthodique. Madame Patrascu a agi de façon juste et équitable envers l’appelante. Elle a accordé des dépenses à l’appelante lorsqu’elle était satisfaite de la validité de ces dépenses et elle a refusé les dépenses lorsqu’elle jugeait que la preuve à l’appui de ces dépenses était insuffisante. J’accorde beaucoup de foi au témoignage et au rapport de madame Patrascu.

[40]  Par contre, le témoignage de M. Juneau est problématique. Son témoignage est incomplet et manque de preuve corroborante. Mon analyse de son témoignage est présentée en quatre volets :

  1. Le fardeau de la preuve;

  2. L’obligation de conserver tout document pertinent;

  3. L’absence de témoins importants corroborants;

  4. Les transactions commerciales en argent comptant.

Le fardeau de la preuve

[41]  L’affaire Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, nous enseigne que le ministre se fonde sur des présomptions pour établir une cotisation et que la charge initiale de démolir ces présomptions est imposée au contribuable. Le contribuable s’acquitte de ce fardeau s’il présente au moins une preuve prima facie réfutant l’exactitude de ces présomptions. Une preuve prima facie est une preuve suffisante pour établir un fait jusqu’à preuve du contraire. Dans Stewart c. M.N.R., [2000] A.C.I. no 53, le juge Cain nous instruit qu’« [u]ne preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l’accepter si elle y ajoute foi, à moins qu’elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé. » Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale est venue préciser à cet égard, dans l’arrêt Orly Inc. c. Canada, 2005 CAF 425, au paragraphe 20, que « le fardeau de la preuve imposé au contribuable ne doit pas être renversé à la légère ou arbitrairement » considérant « qu’il s’agit de l’entreprise du contribuable ». La Cour a aussi précisé que c’est le contribuable « qui sait comment et pourquoi son entreprise fonctionne comme elle le fait et pas autrement. [. . .] Il possède des renseignements qui sont à sa portée et sur lesquels il exerce un contrôle ». Donc, il incombe au contribuable de produire des témoignages sous serment ou affirmation ainsi que des pièces justificatives à l’appui de ses propos.

[42]  L’intimée soutient que l’appelante ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombe. Je suis d’accord. Il incombe à l’appelante de démontrer par une preuve fiable que les hypothèses de fait et les présomptions du ministre sont erronées et que l’appelante a surement engagé toutes les dépenses réclamées. Ce que l’appelante n’a pas réussi à faire. Elle n’a fourni aucune preuve que ce soit à part du témoignage verbal de M. Juneau. Une preuve verbale à l’égard de la comptabilité sans référence à tous les documents pertinents que l’appelante avait le devoir de conserver a peu de force probante.

L’obligation de conserver tout document pertinent

[43]  Dans un système d’autocotisation comme nous avons au Canada, il est absolument essentiel que les contribuables conservent des livres et registres ainsi que des pièces justificatives permettant de vérifier la nature des dépenses réclamées.

[44]  La tenue de livres et registres en bonne et due forme est très importante. Le paragraphe 230 (1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), (la « Loi ») stipule :

230 (1) Quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir des impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes (y compris un inventaire annuel, selon les modalités réglementaires) à son lieu d’affaire ou de résidence au Canada ou à tout autre lieu que le ministre peut désigner, dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi, ou des impôts ou autres sommes qui auraient dû être déduites, retenues ou perçues.

[45]  Comme l’a dit le juge Sarchuk dans l’affaire R. c. Watts, 2005 CCI 651, dans le contexte de frais de véhicule :

[8] Je ne crois pas que ce soit une tâche particulièrement onéreuse pour un particulier qui réclame la déduction des frais afférents à un véhicule à moteur ou des dépenses d’emploi de tenir un registre de ses déplacements d’affaires et du nombre de kilomètres parcourus, ainsi que de garder des reçus ou un carnet de route. Les articles pertinents de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») sont explicites et énoncent la formule qui doit être employée par les contribuables qui souhaitent demander la déduction de tels frais. Et, très franchement, lorsque cette formule n’est pas respectée, il est évidemment difficile pour un contribuable de se souvenir du nombre de kilomètres parcourus au cours de ses déplacements d’affaires et du nombre de fois que l’automobile a servi à d’autres fins, ainsi que de fournir à la Cour une ventilation qui repose sur un élément de preuve quelconque. L’appelant n’a pas pris ces mesures, et la preuve qui m’est présentée, même si j’adoptais une attitude ouverte et libérale, ne me permet pas de trancher en sa faveur. L’appelant a affirmé que la seule manière dont il pouvait répondre à la question au sujet de l’usage de l’automobile était [traduction] « de vous donner ma parole que les dépenses ont été engagées à de telles fins. Je ne dispose pas de preuves documentaires. » Ceci est insuffisant.

[9] Quant à l’absence de preuves documentaires à l’appui de la cause de l’appelant, la Cour a renvoyé à plusieurs reprises au paragraphe 230 (1) de la Loi, qui stipule :

230 (1) quiconque exploite une entreprise et quiconque est obligé, par ou selon la présente loi, de payer ou de percevoir les impôts ou autres montants doit tenir des registres et des livres de comptes [. . .] dans la forme et renfermant les renseignements qui permettent d’établir le montant des impôts payables en vertu de la présente loi [. . .]

Le non-respect de cette disposition ne constitue pas un motif suffisant pour rejeter un appel, mais il est susceptible de nuire à la capacité de l’appelant de s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe, c’est-à-dire d’établir que, selon la prépondérance de la preuve, la nouvelle cotisation est erronée. Il en est ainsi en particulier dans le cas des frais afférents à un véhicule à moteur, puisque la Loi comprend nombre de dispositions portant sur différents usages, sur ce qui est nécessaire et ce qui ne l’est pas, [. . .] Les articles en question font partie de la Loi et ils établissent clairement les obligations du contribuable. Si le contribuable décide de ne pas observer le paragraphe 230(1) de la Loi et, subséquemment, s’appuie uniquement sur sa mémoire pour déterminer dans quelle proportion l’automobile a servi à des fins commerciales, c’est insuffisant. Ça n’a jamais été suffisant et ça ne changera pas. Si un contribuable ne tient pas compte des exigences de la Loi, il se retrouvera dans la même position que M. Watts aujourd’hui. La seule conclusion à laquelle on puisse arriver et que la preuve à l’égard des deux points en litige est loin d’être adéquate et ne permet pas d’établir le droit de l’appelant aux déductions qu’il réclame.

[Mon emphase.]

[46]  La documentation joue un rôle très important lorsqu’il est question de contester une cotisation établie par une méthode de vérification indirecte. Il suffit parfois d’avoir en sa possession des registres ou autres documents permettant de faire une présentation crédible et cohérente soutenant le bien-fondé des prétentions de l’appelante. S’acquitter du fardeau de la preuve en l’absence de documents, tels que registres et pièces justificatives est donc un défi difficile pour un contribuable et souvent insurmontable. En l’espèce, M. Juneau a tenté de s’acquitter du fardeau de la preuve en s’appuyant principalement sur son témoignage. Même s’il a fait mention de M. Robert Rousseau, ce dernier n’a pas témoigné à l’égard d’un aspect très important de la preuve. En l’espèce, l’appelante n’a fait aucun effort pour conserver les pièces justificatives pouvant faire état des revenus et des dépenses d’entreprise que l’appelante réclame. Sans pièces justificatives corroborantes, il est difficile, sinon impossible, d’accorder foi au témoignage verbal de M. Juneau, surtout lorsqu’on parle d’évènements qui se sont passés il y a six ou sept ans.

L’absence de témoins importants corroborants

[47]  Pierre Juneau et Robert Rousseau étaient de très grands amis pendant une vingtaine d’années. Le témoignage de Robert Rousseau est de nature très importante qui pourrait corroborer le témoignage de M. Juneau selon lequel M. Rousseau se faisait payer en espèces pour le travail qu’il avait effectué et que l’appelante a payé son loyer, lui a acheté un terrain et lui a payé une motomarine en contrepartie de services rendus en sous-traitance. Mais, M. Rousseau n’a pas témoigné. L’explication proférée par l’appelante est que M. Rousseau est introuvable. Par contre, il y a un manque de preuve à l’égard des efforts de l’appelante afin de trouver M. Rousseau. Compte tenu du fait que le représentant de l’appelante, M. Sylvain Huet, était aussi le comptable de M. Rousseau durant plusieurs années, il est difficile d’accepter que M. Rousseau fût vraiment introuvable. De plus, il y a d’autres témoins qui auraient pu expliquer et corroborer le témoignage de M. Juneau en ce qui concerne les paiements de loyer, l’achat d’un terrain, l’achat d’une motomarine et les contrats d’assurance pour les réparations effectuées chez les amis de M. Rousseau. Tous ces paiements sont certainement inhabituels et de prime abord, ces paiements ne semblent pas être encourus dans le but de gagner un revenu. Il faut de la preuve et des explications supplémentaires avant que la Cour puisse accepter ce genre de paiements comme étant engagés dans le but de gagner un revenu. La Cour peut tirer une inférence négative de l’absence de Robert Rousseau et des autres témoins à l’audition. Comme l’a dit le juge McArthur dans l’affaire Schafer c. La Reine, no. 95-1730 (GST) G, 16 novembre 1998, au paragraphe 27 :

27.  Il existe une règle bien établie selon laquelle l’omission d’une partie ou d’un témoin de témoigner alors qu’il est en mesure de le faire et grâce à qui les faits auraient pu être élucidés autorise un tribunal à inférer que le témoignage de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à qui l’on attribue l’omission. [. . .]

[48]  Donc, j’infère que le témoignage de Robert Rousseau aurait été défavorable à l’appelante.

Les transactions commerciales en argent comptant

[49]  Dans l’affaire Garage Gilles Gingras c. La Reine, 2010 CCI 343, la Cour a statué ainsi :

[74] L’utilisation d’argent comptant est quelque chose de légal et de légitime. Il s’agit cependant d’une partie qui soulève, avouons-le, un certain scepticisme du fait qu’il s’agit d’une pratique courante dans le cadre du travail au noir, de l’évitement fiscal et ainsi de suite. L’argent comptant ne laisse pas de traces ou en laisse si peu que l’on peut toujours fournir une explication vraisemblable selon le contexte.

[75] La pratique de la comptabilité de caisse n’est pas illégale et elle ne mène pas nécessairement à une conclusion d’évitement fiscal. Il peut y avoir plusieurs raisons de s’y adonner, notamment des raisons pratiques, un souci d’efficacité, des avantages comme des escomptes, étant donné que les opérations au comptant ne comportent pas de frais de transaction comme les opérations effectuées par carte de crédit ou par chèque qui souvent requiert des délais ou des frais.

[76] Toutefois, il peut s’agir de moyens de se soustraire à ses obligations fiscales que ce soit l’impôt sur le revenu ou les taxes de vente.

[77] Lors d’une vérification fiscale, cette pratique peut soulever un certain nombre de question obligeant le contribuable concerné à fournir des explications claires, précises, cohérentes et crédibles sous peine que celles-ci soient rejetées ou occultées de l’analyse. Or, de telles réponses non-validées par une preuve documentaire peuvent se voir qualifiées de moins fiables, sinon discutables.

[78] En d’autres termes, une mémoire exceptionnelle sera requise et des explications claires et cohérentes, mais aussi raisonnables et crédibles devront être fournies ; l’écoulement du temps et ses effets sur la mémoire ne peuvent être invoqués comme excuse valable ; [. . .]

[79] Compte tenu de cette réalité, la prudence et la vigilance sont de mise pour tout contribuable qui a recours aux opérations au comptant de manière courante.

[Mon emphase.]

[50]  Il n’est pas contesté que l’utilisation d’argent comptant laisse généralement moins de pistes. C’est le contribuable qui doit, lorsqu’il exploite une entreprise, tenir des livres et registres appropriés. C’est une obligation imposée par la Loi : Succession Ronald McCullogh c. La Reine, 2003 CCI 268 au paragraphe 3. En l’espèce, il n’y a aucun livre, il n’y a aucun registre, il n’y a aucune pièce justificative.

[51]  L’appelante ne m’a pas convaincu par une preuve et des explications claires, cohérentes, raisonnables et crédibles que les chèques payables à « cash » s’appliquait aux contrats de sous-traitance.

Pénalités pour faute lourde

[52]  Le ministre a établi des pénalités pour faute lourde à l’appelante aux montants de 942 $ et 1 118 $ pour les années d’imposition 2012 et 2013 respectivement, relativement aux revenus non déclarés, en vertu des paragraphes 163(2) et (3) de la Loi qui stipulent :

163(2). Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration [. . .] rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [. . .]

163(3)  Dans tout appel interjeté, en vertu de la présente loi, au sujet d’une pénalité imposée par le ministre en vertu du présent article ou de l’article 163.2, le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité.

[53]  Le juge Strayer dans la décision Venne c. La Reine, [1984] ACF no 314 (QL) (C.R. 1re inst.), nous explique la notion de « faute lourde » à la page 10 :

[. . .] La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi [. . .]

[54]  À mon avis, l’appelante a démontré une indifférence au respect de la Loi et a négligé de s’acquitter de ses devoirs et responsabilités envers la Loi. Elle a démontré une négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable d’un tel degré équivalant à une faute lourde. Je souligne les éléments suivants comme preuve de faute lourde :

  1. Les livres et registres de la société étaient complètement inadéquats. Le seul registre que l’appelante fourni à la vérificatrice est imprécis et manifestement incomplet en ce qui a trait au revenu. Le système de comptabilité était rudimentaire et presque inexistant.

  2. M. Juneau a admis, lors de son témoignage, qu’il ne conservait pas de registres ou pièces justificatives. En fait, il ne sait pas ce que sont devenus ces documents. En l’espèce, l’appelante n’a mis en place aucun système adéquat de comptabilité et n’a fait aucun effort pour s’assurer de respecter l’obligation de déclarer l’ensemble de ses revenus qui lui est imposée par la Loi.

  3. Les montants de revenus non déclarés sont importants, soit de 17 123 $ pour 2012 et de 20 320 $ pour 2013.

  4. Les omissions se sont répétées sur deux années consécutives.

  5. M. Pierre Juneau savait ou aurait dû savoir que les revenus de l’appelante étaient sous-estimés. Il ne pouvait pas plaider l’ignorance, car c’est lui qui était « l’homme à tout faire » pour l’appelante. C’est lui qui contrôlait non seulement les opérations quotidiennes de l’appelante, mais il s’occupait de toutes les opérations bancaires et financières de la société.

[55]  En omettant de déclarer la totalité de ses revenus et en négligeant de tenir les registres qui lui auraient permis de déclarer ses revenus adéquatement, l’appelante a démontré une indifférence par rapport au respect de la Loi équivalente à une faute lourde. Donc, j’arrive à la conclusion que l’intimée s’est acquittée du fardeau de justifier l’imposition de la pénalité pour faute lourde.

V. Conclusion

[56]  Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté.

Signé à Kingston, Ontario, ce 23e jour de juillet 2020.

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 54

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-4329(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PIERRE JUNEAU RÉNOVATIONS INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 octobre 2019

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable Rommel G. Masse, juge suppléant

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Sylvain Huet

Avocat de l’intimée :

Me Julien Dubé-Senécal

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante:

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1]   Les relevés bancaires se trouvent à la pièce I-1, à l’onglet 28 pour l’année 2012 et à l’onglet 29 pour l’année 2013.

[2]   La feuille de travail se trouve à l’onglet 21 de la pièce I-1.

[3]   La méthodologie et les calculs concernant le poste « achats/coûts des matériaux » sont détaillés dans la feuille de travail de madame Patrascu qui se trouve à la pièce I-1, onglet 2.

[4]   Voir la pièce I-1, onglet 27.

[5]   La méthodologie et les calculs concernant le poste « contrats de sous-traitance » sont détaillés dans la feuille de travail de madame Patrascu qui se trouve à la pièce I-1, onglet 19.

[6]   Mon calcul diffère de celui de Madame Patrascu par seulement 1 $.

Il est à noter que suite à l’opposition de l’appelante pour l’année d’imposition 2012, un montant supplémentaire de 900 $ lui a été accordé comme dépense d’entreprise à titre de « coût des ventes ». Ceci explique l’écart entre le montant de 122 212 $ calculé par madame Patrascu et le montant de 121 312 $ que le ministre a refusé.

[7]   Voir aussi l’onglet 28 de la pièce I-1.

[8]   Voir la pièce I-1, onglet 19, pages 3 à 13.

[9]   Voir la pièce A-5 qui est la feuille de travail avant les représentations de l’appelante et la pièce I-1, onglet 12, qui est la feuille de travail révisée après les représentations de l’appelante.

[10]   Voir les pièces I-1 et I-2.

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