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Dossier : 2016-967(IT)G

ENTRE :

DANIEL RATTAI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Cynthia Rattai, 2016-968(IT)G, les 27, 28 et 29 mai 2019, à Calgary (Alberta)

Devant : L’honorable juge K. Lyons


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Duane R. Milot

Me Anna Malazhavaya

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 est accueilli, et la cotisation est annulée.

Les dépens sont adjugés à l’appelant conformément au tarif établi.

Signé à Nanaimo (Colombie-Britannique), ce 17e jour de juillet 2020.

« K. Lyons »

La juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de mai 2021.

François Brunet, réviseur


Dossier : 2016-968(IT)G

ENTRE :

CYNTHIA RATTAI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de Daniel Rattai, 2016-967(IT)G, les 27, 28 et 29 mai 2019, à Calgary (Alberta)

Devant : L’honorable juge K. Lyons

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me James Rhodes

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2010 est accueilli, et la cotisation est annulée.

Les dépens sont adjugés à l’appelante conformément au tarif établi.

Signé à Nanaimo (Colombie-Britannique), ce 17e jour de juillet 2020.

« K. Lyons »

La juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de mai 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2020 CCI 55

Date : 20200717

Dossier : 2016-967(IT)G

ENTRE :

DANIEL RATTAI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Dossier : 2016-968(IT)G

ET ENTRE :

CYNTHIA RATTAI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lyons

[1] Daniel Rattai et Cynthia Rattai interjettent appel des pénalités que le ministre du Revenu national (le ministre) leur a imposées aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Ces pénalités concernent les pertes d’entreprise et les pertes en capital fictives (les pertes) déduites dans les déclarations de revenus des appelants pour l’année d’imposition 2010 (les déclarations), lesquelles déclarations ont été préparées et produites par la société DeMara Consulting Inc. (DeMara). Les pertes d’entreprise fictives ont donné lieu à des demandes de remboursement pour l’année d’imposition 2010 (2010) et à des demandes de report rétrospectif de ces pertes aux trois années d’imposition précédentes, lesquels reports auraient résulté en des remboursements pour ces années d’imposition. Les pertes en capital fictives auraient résulté en des pertes en capital nettes.

[2] Les appelants soutiennent qu’ils n’ont pas examiné, approuvé ni signé les déclarations de 2010 produites par DeMara et qu’ils ignoraient que la société avait déduit des pertes fictives dans les déclarations. À ce titre, ils soutiennent qu’ils n’ont pas délibérément, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans leurs déclarations et que le ministre n’aurait pas dû leur imposer des pénalités.

[3] Les pertes sont assimilables à celles réclamées par un groupe plus important de particuliers dont les déclarations de revenus ont également été préparées et produites par DeMara, au nom de ses clients.

I. QUESTION EN LITIGE

[4] La question en litige consiste à déterminer si chaque appelant est passible d’une pénalité (les pénalités) aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi. Par conséquent, je dois rechercher si les appelants ont délibérément, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans les déclarations produites par DeMara, ou s’ils ont participé, consenti ou acquiescé à ces faux énoncés.

[5] Les appels ont été entendus sur preuve commune, et les appelants ont témoigné pour leur propre compte. M. Robert Larkin, un agent des appels de l’Agence du revenu du Canada, qui était chargé d’examiner les oppositions des appelants, a témoigné pour le compte de l’intimée. Voici les motifs communs des jugements rendus sur les deux appels. J’indiquerai dans les présents motifs les faits et les circonstances qui diffèrent entre M. Rattai et Mme Rattai.

II. FAITS

[6] Les appelants ont terminé leurs études secondaires en 1980. Ils se sont mariés en 1986, ils ont eu quatre enfants puis ils se sont séparés en 2015.

[7] M. Rattai a exercé les fonctions de mécanicien de centrale pendant 20 ans. Mme Rattai a travaillé comme réceptionniste et commis-comptable pendant sept ans, à compter de 1985. Entre 2005 et 2012, elle a exercé les fonctions d'administratrice de services financiers.

[8] Vers 1987, les appelants ont commencé à faire l’acquisition de propriétés locatives résidentielles à Medecine Hat, en Alberta, afin de gagner des revenus locatifs. Entre 2010 et 2013, ils ont fait l’acquisition de 16 propriétés. Ils en possédaient quatre à titre personnel, alors que les autres étaient la propriété des sociétés qu’ils avaient constituées en 2002 [1] . Les appelants étaient actionnaires en parts égales de la société Dancin Holdings Incorporated (Holdings). À cette époque, Holdings était constituée en société et détenait des actions de deux autres sociétés [2] . M. Rattai était président de Holdings, et les appelants siégeaient au conseil d’administration des trois sociétés.

Préparation et traitement des déclarations par d’anciens comptables

[9] Au fil des ans, différents comptables ont préparé les déclarations de revenus des appelants. À l’exception de l’un d’entre eux, ils exerçaient tous leurs activités à Medicine Hat. Chaque année, M. Rattai rassemblait les documents qui se trouvaient dans son bureau et les transmettait au comptable aux fins de préparation des déclarations [3] . Les dépenses étaient réglées avec des cartes de crédit dont les appelants étaient titulaires à titre personnel. Avec chacun de leurs anciens comptables, ils avaient pour habitude de rencontrer le comptable lorsque leurs déclarations étaient prêtes, afin d’en discuter, de les examiner et de les signer, de signer l’autorisation de produire les déclarations auprès de l’Agence et de payer les honoraires du comptable avant qu’il ne produise leurs déclarations auprès de l’Agence (la pratique courante). M. Rattai a affirmé qu’au moment de la signature, il vérifiait, aux mieux de ses connaissances, que les déclarations indiquaient le revenu exact de l’année en question.

[10] Entre 1992 et 2002, Mme Michelle Winger, une comptable en management accréditée qui préparait principalement des déclarations de revenus personnelles et faisait un peu de comptabilité, a préparé les déclarations de revenus personnelles des appelants. Mme Rattai travaillait avec Mme Winger à l’occasion, mais elle ne voulait pas préparer ses propres déclarations de revenus ni celles de son mari. Les appelants rencontraient Mme Winger, qui leur expliquait les déclarations. La pratique courante était suivie.

[11] Jusqu’en 2007, les appelants ont participé, à Calgary, aux rencontres mensuelles d’un groupe de réseautage en matière d’investissement immobilier composé d’investisseurs aux vues similaires, où ils se sont initiés à la propriété locative et où ils ont entendu parler de Mme Merrilyn Reid, comptable générale accréditée. En 2002, les appelants ont retenu les services de Mme Reid. Elle les a aidés à constituer la société et elle a préparé leurs déclarations de revenus personnelles et des sociétés ainsi que leurs états financiers pour les années d’imposition 2002 à 2007 [4] . Ils remettaient les documents à la commis-comptable de Mme Reid, qui les organisait afin de permettre à Mme Reid de préparer les déclarations de revenus. Mme Rattai vérifiait les déclarations remplies pour s’assurer de leur exactitude et elle rencontrait Mme Reid. Elle prenait environ 2 000 $ pour chaque déclaration de revenus des sociétés. Leurs comptables accrédités subséquents, du cabinet comptable Schwab & Company (Schwab), prenaient plus de 2 000 $. Chaque comptable demandait entre 200 $ et 300 $ pour la préparation de chacune de leurs déclarations de revenus personnelles.

Déclarations de 2010 préparées par Schwab, mais non produites

[12] Schwab a préparé les déclarations de revenus personnelles et des sociétés des appelants et les a produites auprès de l’Agence pour les années d’imposition 2008 et 2009. Ce cabinet a également préparé les déclarations de revenus personnelles et des sociétés des appelants pour l’année d’imposition 2010, mais il a produit uniquement les déclarations de revenus des sociétés et non les déclarations de revenus personnelles (déclarations non produites). M. Rattai avait relu sa déclaration non produite, mais pas Mme Rattai. Elle avait présumé que les déclarations non produites avaient été préparées au début de 2011. Toutefois, M. Rattai a affirmé qu’ils avaient transmis les renseignements tardivement. Les déclarations non produites sont datées du 16 novembre 2011.

DeMara

[13] DeMara faisait la promotion du programme « The Remedy » (le programme d’allègement) auprès de ses clients (membres), lequel visait à réduire l’impôt payable à zéro. La société préparait et produisait les déclarations de revenus des membres et de leurs conjoints. Tous les membres étaient assujettis au même processus. Pour que l’adhésion soit acceptée, il fallait écouter des appels enregistrés et répondre à des appels de questions et de réponses en direct. Si les membres acceptaient de fournir les renseignements demandés lors des appels, ils recevaient une trousse de membre (la trousse) composée de divers documents à remplir. Les membres remplissaient la fiche de renseignements du membre (la fiche) en y indiquant leurs coordonnées ainsi que des renseignements personnels détaillés, pour ensuite remettre cette fiche à DeMara. Cette fiche autorisait cette dernière à préparer les déclarations de revenus des membres et de leur conjoint au moyen de ces renseignements [5] . Les membres concluaient une entente de confidentialité et de non-divulgation avec DeMara. Une fois que les membres avaient rempli les documents contenus dans la trousse, ils signaient le formulaire T1013, Demander ou annuler l’autorisation d’un représentant, autorisant DeMara à intervenir à titre de représentante auprès de l’Agence (autorisation T1013).

[14] D’autres renseignements nécessaires à l’adhésion au programme d’allègement provenaient des membres. Ils devaient fournir à DeMara des copies des documents précisés sur la liste de documents nécessaires au programme d’allègement (la liste). Ces documents concernaient les frais de subsistance et les obligations en matière de dette et de financement sur le plan personnel, lesquels ont, au final, fait l’objet de demandes de déduction dans leurs déclarations de revenus. Au moyen d’un numéro d’entreprise obtenu auprès de l’Agence, DeMara a émis des feuillets T5 et T5008 pour lesdites dépenses et obligations de financement.

Les appelants ont autorisé DeMara à préparer leurs déclarations de revenus de 2010

[15] Lors de son contre-interrogatoire, M. Rattai a admis qu’il avait écouté la séance d’information préenregistrée de DeMara, et qu’il savait que son contenu était [traduction] « de nature privée et confidentielle et qu’il ne pouvait le communiquer à toute autre personne sans le consentement exprès de DeMara ». Il était question de ce qui précède dans le courriel qu’il a reçu de DeMara le 5 août 2011, lequel indique également qu’il s’agit de la première étape du programme d’allègement.

[16] Le 31 août 2011, après avoir écouté cette séance d’information, M. Rattai a informé DeMara de ce qui suit : [traduction] « [...] Je souhaite devenir membre, veuillez m’envoyer une trousse » [6] . Au procès, M. Rattai a reconnu que la trousse constituait la deuxième étape de sa participation au programme de DeMara, mais a toutefois allégué qu’il n’avait pas souvenir ni connaissance du contenu de cette trousse. Son courriel à DeMara en date du 4 mars 2012 porte la mention suivante : « Réception de la trousse no 2 ». Avant ce courriel, DeMara lui avait envoyé deux courriels en 2011, lesquels indiquaient qu’une trousse était jointe à chaque courriel.

[17] La fiche envoyée à M. Rattai a servi à autoriser DeMara à préparer les déclarations de revenus des appelants, comme l’illustre le passage suivant de la fiche [7] :

[traduction]

J’autorise DeMara Consulting Inc. à préparer ma déclaration de revenus (y compris celle de mon conjoint et des membres de ma famille, le cas échéant) en se fondant sur les renseignements que je lui ai fournis dans la présente demande d’adhésion. Je comprends qu’il est possible que la préparation de ma déclaration de revenus donne ouverture à une vérification complète de l’Agence du revenu du Canada, et j’atteste que les renseignements fournis sont à jour et exacts au mieux de ma connaissance.

[18] Mme Rattai a expliqué qu’entre le début et le milieu de l’année 2011, les appelants avaient consenti à ce que DeMara prépare leurs déclarations de revenus personnelles de 2010. Ils ont retenu les services de DeMara et l’ont désignée comme leur représentante (selon la fiche) en 2012. M. Rattai a recommandé à sa conjointe qu’elle retienne les services DeMara pour la représenter. Lorsque l’intimée a indiqué à M. Rattai qu’il s’était entretenu avec un représentant de DeMara au début de 2011, mais qu’il n’avait retenu les services de la société qu’en 2012, il a d’abord répondu qu’il ne s’en souvenait pas. Par la suite, il a admis que c’était vrai. Les déclarations produites en mars 2013 indiquent que DeMara est intervenue à titre de [traduction] « spécialiste en déclarations de revenus ». Les appelants [traduction] « faisaient encore affaire » avec DeMara à titre de [traduction] « fournisseur de services fiscaux » en juillet 2014, moment où ils ont retenu les services de Mme Beilstein [8] .

DeMara est autorisée à produire les déclarations

[19] Au procès, les appelants se sont opposés à la demande de l’intimée de déposer plusieurs documents en preuve. J’ai différé mes décisions uniquement en ce qui concerne les imprimés produits par ordinateur de l’Agence intitulés [traduction] « Système client de l’autre partie », [traduction] « Système d’extraction des renseignements sur le représentant autorisé et du numéro d’entreprise » et [traduction] « Extraction de l’historique des avis » (collectivement, les imprimés de l’Agence); ces derniers concernent l’autorisation d’un représentant et la demande d’un numéro d’entreprise, respectivement [9] .

[20] Les appelants ont soutenu que les imprimés de l’Agence ne doivent pas être déposés en preuve, puisqu’ils ne comprennent aucun document ou formulaire signé ni aucune correspondance ayant circulé entre DeMara et eux ou entre DeMara et l’Agence dont il ressort que les appelants avaient autorisé DeMara à les représenter ou qu’ils ont demandé des numéros d’entreprise à l’Agence. Ils soutiennent que les imprimés sont insuffisants et qu’ils démontrent simplement que DeMara a déposé des autorisations et que des numéros d’entreprise ont été délivrés. Mme Rattai a soutenu que l’autorisation T1013 devait être produite pour prouver sa signature. Ils affirment que l’effet préjudiciable de l’acceptation ou de l’examen par la Cour des imprimés de l’Agence l’emporterait sur leur valeur probante.

[21] Plus tôt au cours de l’instance, les appelants avaient affirmé ne pas se souvenir d’avoir examiné ou signé une autorisation T1013. Toutefois, lorsque l’intimée a demandé à M. Rattai s’il avait autorisé DeMara à le représenter auprès de l’Agence en 2012, il a initialement répondu que c’était effectivement possible. Lorsqu’il lui a été demandé si cette autorisation nécessitait qu’il remplisse l’autorisation T1013, il a répondu qu’il ne s’en souvenait pas.

[22] M. Larkin était embrouillé dans son témoignage, ayant dit que l’autorisation T1013 avait été mise à jour dans les dossiers de l’Agence le 10 janvier 2012 (con pouvait en inférer que M. Rattai avait signé une telle autorisation). Lors du contre-interrogatoire, il a été établi que le formulaire d’autorisation qu’il a indiqué avoir examiné était un formulaire RC59 autorisant le dépôt de formulaires T5008, et non une autorisation T1013.

[23] Mme Rattai a dit qu’en 2012, elle n’a signé aucune demande visant l’obtention d’un numéro d’entreprise ni présenté une demande par l’intermédiaire de DeMara. Lorsqu’on a interrogé M. Rattai à propos du formulaire [traduction] « sollicitant un numéro d’entreprise (renseignements nécessaires pour le numéro d’entreprise) » et qu’on lui a demandé s’il s’agissait du formulaire dont il était question dans le courriel du 4 mars 2012, il a répondu qu’il n’avait jamais rempli ce formulaire. Lorsqu’on lui a reposé la question, il a répondu qu’il ignorait si tel était le cas. Plus tard, il lui a été signalé qu’un numéro d’entreprise avait été enregistré à son nom auprès de l’Agence en 2012, ce à quoi il a répondu qu’il n’en avait pas connaissance.

[24] Compte tenu des oublis des appelants, des réponses de M. Rattai, de la confusion et de l’observation erronée concernant l’absence de correspondance relative à la demande visant à obtenir un numéro d’entreprise, les imprimés de l’Agence, de concert avec d’autres éléments de preuve, constituent des éléments de nature à établir les faits en litige dans les appels. Ils aideront la Cour à peser les facteurs et à se prononcer sur les questions de crédibilité. Tout bien pesé, leur valeur probante l’emporte sur leur effet préjudiciable. Les imprimés de l’Agence sont admis en preuve comme pièces R24, R25, R27 et R28.

[25] M. Larkin a expliqué que, lorsque l’Agence reçoit des demandes, des divisions distinctes sont chargées des demandes d’autorisation T1013 concernant un représentant et des demandes visant l’obtention d’un numéro d’entreprise. Du point de vue de l’Agence, DeMara intervenait au nom des appelants et, par conséquent, une telle autorisation n’était pas en cause. Lorsqu’on présente une demande visant l’obtention d’un numéro d’entreprise, la division concernée délivre le numéro. Au moyen du numéro d’assurance sociale, cette division saisit les renseignements du compte dans le système, notamment les dates; elle peut alors produire un imprimé. Les imprimés relatifs aux autorisations montrent la date à laquelle l’Agence a reçu la demande et à laquelle elle l’a acceptée.

[26] Peu avant l’audience, M. Larkin avait examiné les dossiers du système de l’Agence et il les a comparés aux imprimés de l’Agence afin de déterminer si les renseignements étaient cohérents; il a confirmé qu’il n’y avait aucune divergence. Bien qu’il n’ait pas été en mesure de dire qui avait signé ou présenté les demandes, les imprimés de l’Agence respectifs indiquent que DeMara a été autorisée à représenter les appelants et que des numéros d’entreprise ont été délivrés au nom des appelants aux dates indiquées ci-dessous :

M. Rattai

Représentant autorisé

Le 4 avril 2012

[en blanc]

Numéro d’entreprise

Le 6 avril 2012

Mme Rattai

Représentant autorisé

Le 22 février 2012

[en blanc]

Numéro d’entreprise

Le 22 février 2012

[en blanc]

Numéro d’entreprise

Le 2 mars 2012

[27] Il ressort clairement de l’échange de courriels entre M. Rattai et DeMara en mars 2012, lequel a précédé la délivrance du numéro d’entreprise le 6 avril 2012, que DeMara a participé à la demande visant l’obtention du numéro d’entreprise de l’appelant, lequel numéro a été délivré deux jours après que l’Agence eut autorisé DeMara à le représenter. Je conclus que les appelants avaient autorisé DeMara à les représenter auprès de l’Agence et que DeMara est intervenue au nom des appelants en présentant directement les demandes visant l’obtention des numéros d’entreprise ou qu’elle les a aidés à les obtenir. Les dates d’acceptation et de délivrance, respectivement, sont indiquées au paragraphe 26 des présents motifs. Le paiement que M. Rattai a versé en mars 2013, indiqué au paragraphe 45 des présents motifs, sert à confirmer ces autorisations, conformément aux admissions contenues dans les actes de procédure des appelants portant que DeMara était leur représentante au moment de la production des déclarations [10] .

DeMara a déposé les feuillets T5 et T5008 Sommaires ainsi que les feuillets de renseignements auprès de l’Agence

[28] Désignée comme représentante des appelants sur le feuillet T5SUM Déclaration des revenus de placements et le feuillet T5008SUM Déclaration des opérations sur titres (les sommaires) de chaque appelant, DeMara a préparé et produit lesdits sommaires auprès du bureau de l’Agence de la région de la capitale nationale le 14 septembre 2012, accompagnés des feuillets T5, État des revenus de placements, et des feuillets T5008, État des opérations sur titres (les feuillets de renseignements). M. Larkin a dit que, lorsque l’Agence reçoit des feuillets de renseignements, ils sont saisis dans le système de l’Agence et dans un écran à options. Les affidavits déposés par les appelants montrent qu’un employé de la salle du courrier du bureau de l’Agence de la région de la capitale nationale a timbré le feuillet T5008 pour en accuser réception, comme M. Larkin l’a confirmé dans son témoignage [11] .

[29] Lors de son examen, M. Larkin s’est penché sur les sommaires et les feuillets de renseignements qui ont été produits plusieurs mois avant les déclarations. Cela ne lui a pas semblé inhabituel, puisque l’émetteur de feuillets de renseignements est légalement tenu de les envoyer à l’Agence avant une certaine date d’échéance. En y regardant de plus près, il a observé que les sommaires étaient inusités en ce sens que des reçus personnels étaient utilisés pour créer des feuillets de renseignements.

DeMara a produit les déclarations en y indiquant des pertes fictives

[30] Le 15 mars 2013, DeMara, à titre de représentante autorisée des appelants, a expédié les déclarations à l’Agence aux fins de production. Selon les actes de procédure des appelants, DeMara a indiqué les revenus et les pertes suivantes dans les déclarations [12] :

[en blanc]

M. Rattai

Mme Rattai

Revenu total

(371 628 $)

(512 758 $)

Pertes d’entreprise nettes

482 258 $

580 941 $

Pertes en capital

481 858 $

580 539 $ [13]

[31] Le revenu total comprend des revenus d’emploi de 84 011 $ et de 63 183 $, respectivement. Lorsqu’il a examiné les déclarations de 2010, M. Larkin a noté que le revenu total de chaque appelant était d’un montant négatif et que des remboursements de 25 674 $ et de 13 172 $ avaient été demandés pour M. et Mme Rattai, respectivement.

[32] M. Larkin a expliqué que les pertes d’entreprise sont déclarées dans le formulaire T2125, État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale (l’état des résultats), produit avec chaque déclaration. Ces pertes consistent en l’intérêt payé de 481 858 $ et de 580 941,06 $ (l’intérêt) par M. et Mme Rattai, respectivement, et en un montant supplémentaire de 400 $ (pour chaque appelant) à titre de frais juridiques et comptables et d’autres honoraires professionnels. Chaque état des résultats indique l’exploitation d’une entreprise de [traduction] « services-conseils » n’ayant gagné aucun revenu.

[33] M. Larkin a relevé les formulaires Demande de report rétrospectif d’une perte, au nom des appelants et joints aux déclarations, lesquels ont été préparés pour chaque appelant de façon à ce que les pertes d’entreprise soient reportées aux années d’imposition 2007, 2008 et 2009 dans le but de réduire l’impôt à payer pour ces années (les demandes); il les a examinés lors de sa vérification [14] . Dans les présents motifs, tout renvoi aux déclarations comprendra lesdites demandes, sauf indication contraire.

[34] Lors de sa vérification, M. Larkin a examiné les sommaires T5 et T5008, chacun portant le timbre [traduction] « copie de l’Agence », ainsi que les feuillets de renseignements connexes, et il a compris que ces derniers consistaient en des déclarations d’opérations (les sommaires timbrés comme des copies de l’Agence et les feuillets de renseignements connexes). Il n’était pas certain si ces feuillets étaient compris dans les déclarations ou s’ils avaient été produits plus tard.

[35] M. Larkin a compris que les appelants, à titre de clients de DeMara, ont fourni à cette dernière tous les reçus qu’ils détenaient, notamment ceux relatifs à des dépenses personnelles (les reçus). DeMara a ensuite créé les feuillets de renseignements comme s’il s’agissait de dépenses d’entreprise. Les feuillets T5 totalisaient 481 858,36 $ et 580 541 $ (sur les sommaires T5) pour M. et Mme Rattai, respectivement. Ces montants sont censés être des intérêts versés par les appelants, à titre de payeurs, à des tiers, à titre de bénéficiaires [15] .

[36] L’annexe 3, laquelle a servi à déclarer les pertes en capital, était également jointe à chaque déclaration. M. Larkin a cru comprendre que les appelants avaient déclaré ces pertes découlant de la vente de titres dans les feuillets T5008, lesquels visaient à désigner les appelants comme bénéficiaires de montants d’argent relatifs à la vente de titres concernant les mêmes tierces parties sur les feuillets T5 [16] . Lors de son contre-interrogatoire, il lui a été posé des questions à propos d’un feuillet T5008 produit auprès de l’Agence. Selon sa compréhension, ce feuillet signifiait que M. Rattai avait versé un montant d’argent à l’Agence en 2010 au titre d’une dépense. De même, l’Agence est désignée comme bénéficiaire sur le feuillet T5, lequel indique qu’elle a reçu un revenu de placement de M. Rattai. Il a reconnu que, lors de leur réception, les feuillets T5 ne contenaient pas les données habituelles.

[37] M. Larkin a comparé l’annexe 3 à l’état des résultats, qui indique de l’intérêt pour le même montant, plus 400 $ en frais juridiques et comptables et autres honoraires professionnels correspondant à la perte d’entreprise [17] . Par conséquent, les montants indiqués sur les feuillets T5 et T5008 produits ne correspondent pas à des intérêts payés dans une entreprise ni au produit d’une vente de titres, respectivement.

[38] En 2010, M. Rattai détenait des cartes de crédit Visa Desjardins, ATB et possiblement CitiFinancière. Mme Rattai détenait quant à elle des cartes de la Compagnie de la Baie d’Hudson, de CIBC, de TD Canada Trust et de Sears, mais elle ne se rappelle pas avoir fait affaire avec la Banque Nationale du Canada. Elle avait un compte de chèques et une marge de crédit avec CIBC, ainsi qu’un compte bancaire et des prêts hypothécaires avec TD Canada Trust. Les appelants détenaient un compte de chèques d’entreprise de la Banque HSBC Canada et des comptes de prêts hypothécaires de MCAP – Centre de service hypothécaire et Merix Financial. Les numéros de ces comptes figurent sur les feuillets de renseignements joints aux affidavits ainsi que sur les copies de l’Agence jointes aux déclarations.

[39] Les appelants ont admis qu’ils n’avaient jamais exploité une entreprise de services-conseils et que, par conséquent, ils n’avaient pas subi de pertes d’entreprise. Comme ils n’ont pas vendu de titres, ils n’ont pas subi de pertes en capital.

Courriel de DeMara du 11 mars 2013 et pièces jointes

[40] M. Rattai allègue qu’il n’a pas souvenir ni connaissance d’un courriel qu’il aurait reçu de DeMara le 11 mars 2013 (courriel de 2013) ni de pièces jointes qui lui auraient été transmises concernant [traduction] « Daniel et Cindy Rattai – Trousse d’allègement fiscal 2010 » [18] . Il n’a pas vu ces documents avant le processus d’interrogatoire préalable. Je rejette le témoignage de M. Rattai portant qu’il n’a pas reçu ni examiné le courriel de 2013 et les pièces jointes. M. Rattai a lui-même produit le courriel de 2013 et d’autres courriels échangés entre DeMara et lui, afin de satisfaire aux engagements qu’il avait pris lors du processus d’interrogatoire préalable.

[41] Dans le courriel de 2013, sous la rubrique [traduction] « Feuille sommaire du T1 (allègement) » pour chaque appelant, sont en surbrillance des parties du contenu des déclarations que DeMara prévoyait produire auprès de l’Agence, une fois qu’elle aurait reçu la [traduction] « demande de traitement de la contribution » (en d’autres termes, le paiement) des appelants. Une partie du courriel est rédigée ainsi :

[traduction]

Bonjour Daniel et Cindy,

Veuillez trouver ci-joints les documents suivants concernant l’allègement de 2010 :

1. Feuille sommaire du T1 (allègement) pour Daniel :

Remboursement :

• Le montant du remboursement surligné indique le remboursement estimatif que vous devriez recevoir de l’Agence, s’il s’agissait de la première déclaration produite pour l’année d’imposition 2010.

• N’oubliez pas que si vous avez déjà reçu un remboursement de l’Agence, le montant indiqué dans le présent formulaire sera réduit du montant reçu précédemment.

• Si vous avez déjà effectué des paiements à l’Agence pour un solde dû, ce montant devrait vous être remboursé et il n’est pas compris dans le montant indiqué dans le présent formulaire.

[...]

2. Demande de report rétrospectif/prospectif d’une perte – années d’imposition 2007, 2008 et 2009

• Les années surlignées en jaune concernent les reports rétrospectifs, lesquels représentent les crédits excédentaires découlant de l’allègement demandé. Les crédits peuvent être utilisés rétroactivement sur trois ans et, s’ils sont suffisants, ils peuvent servir à réduire votre revenu imposable à zéro.

• Vous pourriez recevoir un remboursement pour l’impôt déjà payé à l’Agence pour ces années.

• Le montant surligné en vert représente les crédits pouvant être reportés prospectivement aux années d’allègement suivantes.

3. Feuille sommaire du T1 (allègement) pour Cindy :

Remboursement :

[...]

4. Demande de report rétrospectif/prospectif d’une perte – années d’imposition 2007, 2008 et 2009

[...]

5. Demande de traitement de la contribution pour 2010

• Une fois que nous aurons reçu cette demande, nous produirons votre demande d’allègement auprès de l’Agence.

• Une fois que nous aurons produit les déclarations auprès de l’Agence, nous ne serons pas en mesure de suivre les étapes de son traitement, et l’Agence ne communique pas volontairement de mises à jour. Si l’Agence ne vous a pas envoyé d’avis de cotisation ou de nouvelle cotisation dans les cinq mois suivant la date où nous avons produit vos déclarations, veuillez communiquer avec nous et nous demanderons un suivi à l’Agence.

[42] Deux des pièces jointes consistent en un sommaire des déclarations de revenus de 2010 et en une demande de report rétrospectif préparés par DeMara pour chaque appelant; chacun des documents porte la mention [traduction] « COPIE CLIENT » (pièces jointes). Les pièces jointes comprennent les documents dont DeMara a proposé la production, tel qu’il est indiqué dans les déclarations.

[43] Le sommaire des déclarations de revenus de 2010 [19] préparé par DeMara indique une perte d’entreprise nette de 482 258,36 $, et un remboursement de 25 674,17 $ est surligné. Le courriel de 2013 contient le passage suivant : [traduction] « Le montant du remboursement surligné indique le remboursement estimatif que vous devriez recevoir de l’Agence, s’il s’agissait de la première déclaration produite pour l’année d’imposition 2010. »

[44] La demande de report rétrospectif est pratiquement identique à celle incluse dans la déclaration [20] .

Paiement

[45] Une facture a été préparée à la même date que le courriel de 2013 (facture); elle était adressée à [traduction] « Membre : Dan et Cindy Rattai » pour le [traduction] « traitement de la contribution et des modifications fiscales concernant l’année d’imposition 2010 – pour Daniel » et elle était [traduction] « payable à DeMara » [21] . M. Rattai a indiqué qu’il ne se souvenait pas de la facture ni d’avoir payé DeMara. Toutefois, Mme Rattai a déclaré sans équivoque que son mari avait payé une somme de 400 $ pour chacun d’eux; elle ne se rappelait toutefois pas à quel moment il l’avait fait.

[46] Un reçu délivré le 13 mars 2013 portait la mention suivante : [traduction] « Contribution reçue » des deux appelants concernant le numéro : M/C – Allègements 2010 (le reçu). Il s’agit du traitement du paiement de la contribution mentionné au paragraphe 5 du courriel de 2013, comme constituant la dernière étape du processus avant la production des déclarations. Cela cadre avec la condition de DeMara figurant dans la fiche voulant qu’il fallait procéder au paiement avant la production des déclarations. Le montant de 400 $ figure dans l’état des résultats produit avec chaque déclaration ainsi que dans le courriel de DeMara du 1er novembre 2011 comme constituant le montant à payer pour la production de la demande d’allègement auprès de l’Agence [22] .

[47] Lors des débats, les appelants ont soutenu que la facture ou le reçu pouvait avoir été préparé à une autre fin que celle du paiement pour la préparation et la production des déclarations. Les éléments de preuve ne corroborent pas cette thèse. La facture a été produite. Ensuite, M. Rattai a payé DeMara (comme sa femme l’a confirmé) aux termes de la dernière étape du processus avant la production des déclarations et conformément à la condition énoncée par DeMara portant qu’elle devait recevoir le paiement avant la production des déclarations. La date du reçu indique qu’il a été délivré deux jours avant que DeMara ne produise les déclarations auprès de l’Agence. Je conclus que la facture concerne la préparation et la production des déclarations et que le reçu – lequel, je présume, comprenait le montant de 400 $ pour les honoraires relatifs à la préparation et à la production de la déclaration de chaque appelant – constitue manifestement une reconnaissance du paiement de la facture. Le paiement avant la production des déclarations est également conforme, dans une certaine mesure, à la pratique courante des appelants.

Autres courriels échangés entre M. Rattai et DeMara

[48] Lors du contre-interrogatoire de M. Rattai, il lui a été posé des questions à propos de l’échange de courriels suivant entre DeMara et lui.

[49] Le 1er septembre 2011, le jour après que M. Rattai eut informé DeMara qu’il souhaitait adhérer à son programme, cette dernière lui a envoyé un courriel qui contenait le passage suivant :

[traduction]

[...]

Vous trouverez ci-joint notre plus récente trousse du membre contenant les formulaires que vous devez remplir pour l’ouverture d’un dossier auprès de DeMara Consulting Inc. Vous pouvez nous faire parvenir les formulaires par télécopieur ou par la poste ou encore les déposer à nos bureaux, conjointement avec tous les documents et reçus.

Si un couple souhaite devenir membre, le particulier ayant le revenu le plus élevé peut remplir les formulaires nécessaires au processus; toutefois, nous pourrions avoir besoin que l’autre conjoint remplisse certains formulaires également [23] .

[50] M. Rattai a nié qu’une trousse était jointe au courriel. Le libellé du second courriel daté du 1er novembre 2011 est semblable à celui du courriel susmentionné. Lors de son témoignage, M. Rattai a indiqué qu’il n’avait pas écouté l’enregistrement visant à aider les membres à remplir les documents joints à la trousse contenue dans le second courriel, et qu’il ne se souvenait pas d’avoir examiné ou rempli les documents. Il ne se souvient pas d’avoir examiné ou rempli le formulaire d’autorisation de l’entreprise ni d’avoir passé en revue le formulaire d’autorisation de communiquer des renseignements fiscaux personnels à un tiers et les foires aux questions.

[51] DeMara lui avait signalé ce qui suit : [traduction] « Lorsque nous demandons un numéro d’entreprise, nous indiquons que l’entreprise œuvre dans le secteur des «services-conseils». Il vous suffit de nous indiquer la catégorie des services-conseils voulue; elle est habituellement fondée sur la nature des activités que vous exercez ou avez exercées [...] ». Bien que M. Rattai n’ait peut-être pas rempli de documents, il ressort clairement du courriel qu’il a envoyé à DeMara le 4 mars 2012 qu’il avait passé en revue le document portant sur le numéro d’entreprise et qu’il savait que cette dernière prévoyait le remplir, puisque le courriel porte sur le document intitulé [traduction] « Demande de numéro d’entreprise – RENSEIGNEMENTS REQUIS ». C’est ce qui est énoncé dans le courriel qu’il a envoyé à DeMara le 4 mars 2012, lequel contient le passage suivant :

[traduction]

Bonjour Manda,

Lorsque nous vous avons envoyé nos documents, nous y avons joint nos déclarations de revenus de 2010, lesquelles avaient été remplies, mais n’avaient pas été produites. Les renseignements contenus dans ces déclarations sont-ils suffisants ou devons-nous vous transmettre également les relevés des prêts hypothécaires et les factures des services publics, entre autres choses? De plus, vous m’avez envoyé un document intitulé « Demande de numéro d’entreprise – RENSEIGNEMENTS REQUIS », où il est indiqué de confirmer la catégorie des services-conseils, laquelle correspondrait à des services-conseils en marketing immobilier ou simplement à des services-conseils en marketing, selon ce qui convient le mieux. [...] [24]

[52] M. Rattai n’a pas été en mesure d’expliquer la signification des commentaires qu’il a formulés dans ce courriel au moment de choisir la catégorie d’entreprise à préciser dans la demande de numéro d’entreprise, même si les appelants n’exploitaient pas d’entreprise de services-conseils, comme ils l’ont eux-mêmes admis.

[53] Il ressort clairement de la réponse de DeMara à M. Rattai en date du 5 mars 2012 que ce dernier n’aurait pas été en mesure de compléter son adhésion visant à autoriser DeMara à préparer leurs déclarations de revenus s’il n’avait pas passé en revue les documents contenus dans la trousse, s’il n’avait pas communiqué les renseignements demandés à DeMara et s’il n’avait pas satisfait aux exigences et au processus de cette dernière. Lors du traitement de la demande initiale de M. Ratttai, DeMara lui a répondu qu’elle avait toujours besoin de tous les documents indiqués dans la liste, non seulement aux fins de calcul, mais également comme soutien à la demande d’allègement. Les documents de la liste qu’un membre doit produire comprennent les documents relatifs à ses dépenses personnelles, lesquelles sont déduites à titre de dépenses d’entreprise dans sa déclaration de revenus et déclarées dans des feuillets T5 créés par DeMara, afin de pouvoir remplir la demande d’allègement. Je conclus que les réponses fournies par M. Rattai lors de son témoignage sur ce sujet et sur d’autres points étaient évasives.

L’Agence du revenu du Canada

[54] Les déclarations ont été sélectionnées aux fins d’examen, au moyen d’une vérification effectuée par l’Agence. Chaque appelant a reçu une lettre de l’Agence datée du 2 octobre 2013 (les lettres d’octobre 2013), laquelle indiquait que l’Agence procédait à la vérification des déductions pour pertes contenues dans les déclarations et que les demandeurs étaient tenus de remplir le questionnaire en pièce jointe, puisque l’Agence cherchait à obtenir des pièces justificatives [25] . Les appelants n’ont présenté aucun renseignement à l’Agence. Cinq mois plus tard, l’Agence a présenté une lettre de proposition aux appelants, laquelle concernait le refus des pertes et l’imposition de pénalités fédérales en application du paragraphe 163(2). M. Rattai a dit qu’il ne se rappelait pas avoir reçu les lettres de proposition, mais que c’était possible qu’il les ait reçues [26] .

[55] En l’absence de réponse des appelants, le ministre a établi des cotisations à leur égard conformément aux lettres de proposition, afin de refuser les pertes déduites dans les déclarations. Des pénalités fédérales ont également été imposées aux appelants, soit une somme de 99 217,00 $ pour M. Rattai et de 120 271,60 $ pour Mme Rattai. M. Larkin a indiqué que les imprimés de l’option C montrent que les déclarations ont été produites le 19 mars 2013 et que les cotisations ont été établies le 30 mai 2014. Il avait vérifié le système de l’Agence pour s’assurer que les imprimés étaient exacts à cet égard [27] .

[56] Après avoir tenté en vain de communiquer avec DeMara concernant les lettres d’octobre 2013, les appelants ont retenu les services de Mme Irene Beilstein de l’entreprise Evident Tax Alternatives vers le mois de juillet 2014 qui leur avait été recommandée par Marcel. Les appelants ont accepté la proposition de Mme Beilstein de demander à l’Agence d’annuler les déclarations d’impôt. Le 30 juin 2014, elle a produit des avis d’opposition auprès de l’Agence [28] . Le jour suivant, elle a déposé des demandes de redressement d’une T1 (redressements des T1), dans lesquelles elle a demandé à l’Agence de ne pas tenir compte des déclarations produites afin que les redressements des T1 constituent les nouvelles déclarations.

[57] Concernant les redressements des T1, M. Larkin a dit que la colonne intitulée « Montant précédent » reflétait les montants indiqués dans les déclarations produites par DeMara et les nouveaux montants que Mme Beilstein avait déclarés. Ces documents ont permis de demander que les pertes soient réduites à zéro et que le revenu total passe de (371 628 $) à 110 155 $ et de (512 758 $) à 67 707 $ pour M. et Mme Rattai, respectivement [29] .

[58] M. Larkin a examiné les oppositions des appelants, les copies des déclarations, les documents connexes contenus dans son dossier et les redressements des T1, afin de déterminer si les appelants avaient sciemment fait de fausses déclarations ou commis une faute lourde dans leurs déclarations.

[59] Lors de l’interrogatoire principal, M. Larkin a relevé les déclarations aux noms des appelants produites par DeMara et a confirmé qu’il les avaient examinées en sa qualité d’agent des appels, puisqu’elles faisaient partie du dossier qu’il avait reçu. Le processus habituel de l’Agence concernant les déclarations produites tardivement a été respecté. Un cachet a été apposé sur la première page (« CFW ») et la dernière page (cachet apposé le 19 mars 2013, avec une pénalité) de chaque déclaration. Satisfaite de l’explication fournie, étant donné que, dans leurs actes de procédure, les appelants ont admis que DeMara avait produit de fausses déclarations, et constatant la présence d’éléments inhabituels, j’ai accepté que ces documents soient déposés en preuve [30] .

[60] Lorsqu’on a demandé à M. Larkin, lors de son contre-interrogatoire, si la déclaration au nom de M. Rattai avait été désassemblée et si des documents y avaient possiblement été insérés, il a répondu qu’il ne le savait pas. Il a indiqué qu’il travaillait toujours à partir de la copie de la déclaration de revenus contenue dans le dossier qui lui était remis, et c’est ce qu’il a fait. M. Larkin était, selon moi, un témoin crédible.

[61] M. Larkin a reconnu les éléments suivants :

  • a) Le libellé de l’encadré relatif à l’attestation, à la page 5 de la déclaration, énonce que les renseignements fournis dans la déclaration et dans tous les documents joints sont exacts, complets et révèlent la totalité des revenus du contribuable.

  • b) Il y a un libellé semblable dans la demande ainsi que dans le sommaire T5008.

  • c) M. Rattai n’a pas signé ou paraphé la déclaration ni les documents joints.

  • d) Une étiquette d’expédition indique que DeMara a envoyé une trousse au centre fiscal de Winnipeg de l’Agence le 15 mars 2013.

[62] Toutes les références aux dispositions qui suivent s’appliquent à la Loi.

III. DISCUSSION

Le droit applicable

[63] Aux termes du paragraphe 163(3), le ministre a la charge d’établir les faits qui justifient l’imposition de la pénalité contre un contribuable en application du paragraphe 163(2).

[64] La partie pertinente du paragraphe 163(2) est rédigée ainsi :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé [...] dans une déclaration, un formulaire, un certificat [ou] un état [...] (appelé « déclaration » [...]) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...].

[65] La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Wynter c. Canada, 2017 CAF 195, 2017 CarswellNat 5049 [Wynter], a discuté la distinction entre une connaissance et une faute lourde et de l’interaction de ces exigences relatives à l’aveuglement volontaire au sens du paragraphe 163(2) [31] . Les principes directeurs sont résumés ci-dessous.

L’exigence de la connaissance

[66] La connaissance d’un faux énoncé dans une déclaration peut être réelle, découler d’une intention de tromper ou être imputée au contribuable s'il est conclu qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire en choisissant de ne pas se renseigner [32] .

[67] L’aveuglement volontaire repose sur la conclusion selon laquelle le contribuable a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante et que, par conséquent, il est délibérément resté dans l’ignorance [33] . La Cour signale que l’ignorance délibérée connote l’idée d’un processus de suppression des soupçons. La Cour formule le critère de l’aveuglement volontaire de la manière suivante :

[13] Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : [...]. Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : [...] [34]

[68] L’aveuglement volontaire appelle une détermination subjective. C’est pourquoi le juge peut examiner les qualités personnelles (la conviction subjective ou les caractéristiques personnelles) du contribuable pour déterminer s’il fait preuve d’aveuglement volontaire. Si le juge conclut que le contribuable a fait preuve d’aveuglement volontaire, le droit impute une connaissance au contribuable, satisfaisant ainsi à l’exigence de la connaissance aux termes du paragraphe 163(2) [35] .

La faute lourde

[69] Le paragraphe 163(2) s’applique également lorsqu’un contribuable fait une fausse déclaration dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[70] Dans la décision Venne c. Sa Majesté la Reine, [1984] C.T.C. 223, 84 DTC 6247, le juge Strayer a défini la faute lourde au paragraphe 37 :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi.

[71] Un constat de faute lourde appelle la preuve d’un degré élevé de négligence. Ainsi, elle se manifeste « [...] lorsque la conduite d’un contribuable se situe considérablement en deçà de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre de la part d’un contribuable raisonnable » et elle « nécessite un plus haut degré de négligence que la simple absence de diligence raisonnable » [36] ou elle correspond à un écart marqué ou important par rapport à la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre.

[72] Qu’un degré élevé de négligence existe ou non, la faute lourde appelle une détermination objective, de sorte que les qualités personnelles du contribuable ne doivent pas être prises en compte dans l’analyse [37] . Dans le jugement Peck c. La Reine, 2018 CCI 52, 2018 CarswellNat 970 [Peck], le juge Owen observe : « la norme objective qui s’applique à la conduite d[u] [contribuable] [...] est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que le [contribuable] » contre qui la pénalité est imposée [38] . La seule exception à cette norme joue lorsque le contribuable est incapable de comprendre son devoir de ne pas faire un faux énoncé ou une omission dans sa déclaration de revenus.

L’aveuglement volontaire peut mener à une faute lourde

[73] Bien qu’il s’agisse de concepts distincts, la faute lourde et l’aveuglement volontaire peuvent se recouper dans une certaine mesure lorsqu’ils sont appliqués, de sorte que la faute lourde peut résulter en l’aveuglement volontaire de la part d’un contribuable [39] . Le contraire n’est toutefois pas forcément vrai. Le contribuable qui commet une faute lourde n’est pas nécessairement volontairement ignorant [40] .

Question préliminaire

[74] Je discuterai d’abord la question préliminaire soulevée par les appelants. Ils ont soutenu que le critère à deux éléments relatif au paragraphe 163(2), consacré par la jurisprudence, doit être remplacé par un critère à trois éléments. En supposant que je comprenne la formulation du critère défendu par les appelants, voici ce qu’ils soutiennent : [traduction]

  • a) Les appelants ont-ils fait un faux énoncé?

  • b) Les appelants ont-ils fait un faux énoncé sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde?

  • c) Les appelants ont-ils participé à la présentation du faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde, sciemment ou par aveuglement volontaire?

[75] Je rejette cet argument. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Strachan c. Canada, 2015 CAF 60, 2015 DTC 5044 [Strachan], a récemment confirmé le critère à deux éléments consacré par le jugement Torres c. La Reine, 2013 CCI 380, 2014 DTC 1028 [Torres] [41] . La distinction défendue par les appelants à l’alinéa c) dans l’expression [traduction] « sciemment ou par aveuglement volontaire » est contraire aux principes directeurs exposés dans l’arrêt Wynter, puisqu’en présence d’aveuglement volontaire, une connaissance est imputée au contribuable. Par ailleurs, le critère proposé n’englobe pas complètement le libellé du texte législatif. Par exemple, les mots « y acquiesce » et « déclaration » sont exclus.

[76] Aux termes du paragraphe 163(2), il faut réunir deux éléments pour conclure qu’une pénalité est justifiée :

  • a) le contribuable doit avoir fait un faux énoncé (ou une omission) dans une déclaration; et

  • b) le contribuable doit avoir, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait ce faux énoncé (ou cette omission) dans une déclaration, ou y avoir participé, consenti ou acquiescé.

[77] L’intimée soutient que les renseignements contenus dans les déclarations sont faux, que les faits démontrent que les appelants ont choisi de faire fi des signaux d’alarme et que, par conséquent, ils ont fait preuve d’aveuglement volontaire. À titre subsidiaire, ils ont commis une faute lourde.

[78] En tenant compte du critère et des principes qui précèdent, je rechercherai maintenant si l’intimée a démontré, premièrement, que les appelants ont fait un faux énoncé dans chacune des déclarations et, deuxièmement, qu’ils en avaient connaissance ou qu’ils ont commis une faute lourde.

A. Faux énoncés

[79] Concernant le premier élément du paragraphe 163(2), les appelants ont affirmé qu’ils n’avaient pas autorisé la préparation de leurs déclarations, qu’ils n’y avaient pas consenti ou participé, qu’ils n’avaient pas fait de faux énoncés dans ces déclarations, notamment en ce qui concerne les déductions pour pertes, et qu’ils n’avaient pas autorisé DeMara à produire les déclarations ou n’avaient pas consenti à ce qu’elle le fasse. En outre, ils n’ont pas produit les déclarations, n’y ont pas participé, consenti ou acquiescé; par conséquent, ils n’ont pas contribué à la présentation de faux énoncés.

[80] Je dois d’abord rechercher si l’intimée a démontré que chacune des déclarations contenait un faux énoncé.

[81] Il est ressorti du contre-interrogatoire de M. Larkin que la copie de la déclaration au nom de M. Rattai, présentée pour démontrer les faux énoncés (laquelle a initialement été considérée comme une copie de la déclaration produite par DeMara), était incomplète et ne constituait pas une copie de la déclaration produite par DeMara. Lorsqu’il a été interrogé à propos des pages manquantes, M. Larkin a indiqué qu’il ne se rappelait pas si les deux pages étaient absentes de la déclaration lorsqu’il a examiné le dossier qui lui avait été confié, et qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu des notes dans le dossier des vérificateurs concernant les pages manquantes. Lorsqu’il lui a été demandé s’il reconnaissait qu’il n’y avait aucun moyen de savoir si les pages manquantes avaient été produites initialement, il a exprimé son désaccord et a dit que les champs des imprimés comportaient des données, ce qui signifiait que les pages manquantes avaient été produites avec la déclaration. Il a ensuite dit qu’il n’y avait aucun moyen de vérifier si les données se trouvaient dans la déclaration produite par DeMara. Il a expliqué que l’une des pages manquantes présentait toutes les catégories de revenu. Je conclus que le problème fondamental réside dans ce que la déclaration est incomplète et qu’elle n’est pas la copie conforme de la déclaration produite par DeMara; par conséquent, l’intimée ne peut l’invoquer pour appuyer sa thèse, puisqu’elle remet en question les éléments que DeMara a produits.

[82] Je note que la page manquante présente les totaux pour chaque catégorie de revenu, lesquels sont ensuite additionnés pour obtenir le revenu total. Habituellement, pour chaque catégorie de revenu, d’autres documents connexes sont insérés dans la déclaration de revenus. Par exemple, le revenu d’entreprise net aurait été déclaré à la ligne 135 de l’une des pages manquantes et il aurait été indiqué (de manière plus détaillée) dans l’état des résultats [42] . Habituellement, ces deux montants correspondent, mais compte tenu du montant déclaré, il n’est pas possible de vérifier la correspondance sans la page manquante, ce qui pose un défi de taille à l’intimée, qui cherche à étayer l’application du premier élément du paragraphe 163(2).

[83] Il n’est guère rassurant de ne pas être en mesure de confirmer le revenu déclaré sur l’une des pages manquantes, même lorsque l’état des résultats est inclus dans la déclaration et qu’il présente des renseignements sur les pertes, comme c’est le cas en l’espèce. En outre, bien que les appelants aient admis dans leurs actes de procédure que DeMara avait déclaré les pertes, ils ont également allégué qu’ils n’étaient pas au courant de la préparation des déclarations, qu’ils n’y avaient pas participé, qu’ils ne les reconnaissaient pas et qu’ils les ont vues pour la première fois lors du processus d’interrogatoire préalable. L’admission était-elle fondée sur la déclaration avec ou sans les pages manquantes ou sur un autre document? Compte tenu de la nature de la controverse (les données contenues dans la déclaration préparée par DeMara), une copie conforme de la déclaration produite par DeMara doit être déposée, particulièrement lorsque des pénalités peuvent en découler et qu’elles sont calculées en fonction du montant déclaré.

[84] Habituellement, une copie conforme de la version originale d’un document est suffisante à des fins probantes. Une copie d’une déclaration de revenus où des pages sont manquantes ou une « copie d’une copie » ne constitue pas une copie conforme. M. Larkin n’a fait qu’émettre des hypothèses à partir de la copie de la copie, lesquelles étaient fondées sur ce qu’il a qualifié d'annotations à la première page.

[85] Concernant les marques (traits et zéros) que M. Larkin a relevées sur la déclaration, il a dit qu’il n’appose jamais de marques sur les déclarations et il a supposé, sans en être certain, que les marques faisaient partie du processus de réception initial. Selon lui, les marques sont une façon rapide de refuser lesdits montants. En l’absence d’explication satisfaisante concernant ces marques, il me semble qu’elles constituent un obstacle à l’identification des documents réellement produits par un contribuable. M. Larkin a reconnu que les sommaires portent le cachet [traduction] « Copie de l’Agence ». Il ne savait pas si ces documents faisaient partie de la déclaration produite par DeMara, qui avait apposé ce cachet (c’est-à-dire l’Agence ou une autre entité), ni à quelle date les copies avaient été faites. Il était peut-être habituel que le cachet apposé sur la première page de la déclaration indique [traduction] « Copie de l’Agence ».

[86] En dépit de ma conclusion selon laquelle l’intimée n’est pas en mesure de satisfaire au premier élément à l’égard de M. Rattai, j’examinerai toutefois à quelles conclusions je serais parvenue concernant M. Rattai en supposant que la déclaration à son nom eût été complète et concordante avec les autres renseignements contenus la déclaration, notamment l’état des résultats, et je le ferai en me prononçant sur Mme Rattai, puisqu’il ne manque aucune page à sa déclaration.

[87] Je suis d’avis qu’il ne fait aucun doute que les pertes déduites dans les deux déclarations constituent de faux énoncés.

[88] Le fait est que DeMara était la représentante autorisée des appelants. La déclaration de Mme Rattai que DeMara a préparée et produite fait état, par exemple, tel qu’il est indiqué à la ligne 135 de la page 3, d'un revenu d’entreprise net fictif de [traduction] « (580 941,06 $) », même si l’appelante n’exploitait aucune entreprise. D’autres sommes et catégories de pertes sont mentionnées au paragraphe 30 des présents motifs concernant les deux appelants [43] . Les mêmes observations valent à l’égard de M. Rattai, sauf que la somme déclarée est différente [44] . La production des redressements des T1 réaffirme et réitère que DeMara a fait de faux énoncés (pertes) dans les déclarations [45] .

[89] Avant que DeMara ne produise les déclarations, elle a demandé des numéros d’entreprise pour les appelants et elle a indiqué ces numéros dans les sommaires. M. Rattai avait remis à DeMara les reçus dont elle s’est servie pour calculer les pertes déduites.

[90] Le paiement de la facture, dont M. Rattai était au courant, autorisait DeMara à produire les déclarations auprès de l’Agence. Je conclus que le paiement versé à DeMara indiquait non seulement que les appelants autorisaient cette dernière à les représenter, mais également qu’ils donnaient leur accord et leur consentement aux déclarations que DeMara proposait de produire, lesquelles figurent et sont reproduites dans le courriel de 2013 et les pièces jointes envoyés à M. Rattai. Après le paiement de la facture, DeMara a produit les déclarations selon le processus convenu entre les appelants et elle, afin d’obtenir l’allègement. Le fait que Mme Rattai ait permis à DeMara, avec son accord et son consentement (par le biais du paiement) de produire les déclarations contenant les pertes non fondées satisfait au premier élément portant que sa déclaration présentait de faux énoncés. N'eût été du vice entachant la déclaration de M. Rattai, je parviendrais à la même conclusion concernant sa situation.

[91] Je rechercherai maintenant si, selon la prépondérance des probabilités, l’intimée a démontré que les appelants ont délibérément choisi de faire fi des faux énoncés, sans se renseigner davantage, parce qu’ils soupçonnaient fortement qu’en se renseignant, ils auraient découvert que les énoncés étaient faux. Une fois de plus, relativement à M. Rattai, je discuterai la question en recherchant quelles conclusions j'aurais tirée n'eût été du vice entachant sa déclaration.

La connaissance

[92] Concernant le deuxième élément du paragraphe 163(2), il sera rempli uniquement si les appelants ont fait de faux énoncés (ou une omission) dans une déclaration sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde. Ainsi, une pénalité peut être imposée lorsqu'il est conclu que la connaissance existait ou qu’une faute lourde a été commise.

[93] La thèse principale des appelants dans l’ensemble porte qu’ils n’avaient pas connaissance et qu’ils n’ont pas commis de faute lourde, puisqu’ils n’ont ni vu, ni examiné, ni signé les déclarations.

i. Connaissance réelle

[94] L’examen du courriel de 2013 et des pièces jointes – lesquels reflètent le contenu des déclarations produites par DeMara – est assimilable à une connaissance réelle des faux énoncés contenus dans les déclarations, une fois produites. Toutefois, M. Rattai allègue qu’il ne se rappelle pas du courriel, et qu’il n’a pas pris connaissance du contenu de celui-ci. Sur cette base, je rechercherai s’il a fait preuve d’aveuglement volontaire. Comme aucun élément de preuve n’a été présenté tendant à établir une connaissance réelle à l’égard de Mme Rattai, je rechercherai si elle a fait preuve d’aveuglement volontaire.

ii. Connaissance imputée

[95] Comme je l’ai déjà signalé, une connaissance est imputée lorsque les circonstances portent à croire que le contribuable aurait dû se renseigner, mais qu’il ne l’a pas fait afin d’éviter de découvrir la vérité ou parce qu’il ne voulait pas la connaître, ce qui connote l’idée d’un processus de suppression des soupçons.

[96] Dans l’arrêt Strachan, la Cour d’appel fédérale a retenu la doctrine du jugement Torres dans lequel le juge C. Miller a consacré divers principes à appliquer pour déterminer si le contribuable fait preuve d’aveuglement volontaire, lesquels peuvent être résumés ainsi :

[...]

  • c) Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

  • d) Pour conclure à un aveuglement volontaire, il doit y avoir eu nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité.

  • e) Il ressort des circonstances qu'il est nécessaire de s’informer avant la production d’une déclaration, ou faisant apparaître « des feux rouges clairs » [...] compren[ant] ce qui suit :

  • f) [...] le contribuable ne s’enquiert pas auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus, ni ne s’enquiert aucunement auprès d’un tiers, ou auprès de l’ARC elle-même.

[97] La thèse de l’intimée veut que les appelants aient fait preuve d’aveuglement volontaire conformément aux critères consacrés par la jurisprudence Torres.

[98] En réponse, la thèse principale des appelants porte que ces critères ne s’appliquent pas à eux, puisqu’ils n’ont pas examiné, approuvé ni signé les déclarations en cause. Plus précisément, comme ils n’ont pas signé ces déclarations et qu’ils n’ont pas lu le courriel de 2013 ni les pièces jointes, ces critères ne peuvent s’appliquer. En outre, ils ont soutenu que le recours à ces facteurs pour conclure à un aveuglement volontaire de leur part, alors qu’ils n’ont pas pris de mesures positives pour faire un faux énoncé, abaisserait le seuil à franchir pour satisfaire au critère, lequel exige un degré de probabilité supérieur. Par conséquent, le critère consacré par la jurisprudence Torres concernant « des feux rouge clair » ne s’applique pas à leur situation [46] .

[99] Selon les appelants, même si ce critère s’appliquait, il ne ressort pas des faits qu’ils ont fait preuve d’aveuglement volontaire, et chaque « feu rouge clair » peut être interprété de deux manières. De plus, les faits de l’affaire Torres appellent des distinctions en l’espèce. Mme Rattai a formulé les mêmes observations et elle a ajouté qu’elle ne savait pas ce qui s’était passé, qu’elle faisait confiance à son mari et qu’elle avait elle-même agi avec diligence raisonnable.

L’occasion de procéder à un examen

[100] M. Rattai a soutenu qu’il n’avait pas examiné le travail de DeMara et qu’il n’avait pas eu l’occasion de passer les déclarations en revue. S’il avait vu les déclarations, il les aurait remises en question. Aucun élément de preuve ne tend à établir qu’il a examiné et, par conséquent, approuvé le contenu de la déclaration présentée dans le courriel de 2013 et les pièces jointes. Selon lui, comme il n’a pas vu la déclaration ni le courriel, le bénéfice du doute doit lui être accordé.

[101] Le fait est qu’il a reçu le courriel de 2013 et les pièces jointes quatre jours avant que DeMara ne produise les déclarations auprès de l’Agence; ces documents reflétaient les pertes déduites dans les déclarations que DeMara avait l’intention de produire auprès de l’Agence. Conformément à la liste de DeMara, M. Rattai lui avait remis les reçus relatifs aux dépenses personnelles, dont elle s’est finalement servie pour calculer les pertes déduites dans les déclarations. Dans son témoignage, Mme Rattai a indiqué n’avoir fourni aucun document indiqué sur la liste, mais que son mari avait remis à DeMara tous les documents dont cette dernière avait besoin. Il a aussi choisi la catégorie d’entreprise de services-conseils, [traduction] « soit des services-conseils en marketing immobilier, soit des services-conseils en marketing, selon ce qui convenait le mieux », malgré l’absence d’une telle entreprise. Il est manifeste qu’il savait depuis le début que DeMara prévoyait indiquer qu’il exploitait une entreprise. Son témoignage n’était pas crédible.

[102] Je suis d’avis que M. Rattai a eu l’occasion d’examiner les déclarations lorsqu’il a reçu le courriel de 2013 et les pièces jointes, lesquels faisaient clairement état de la proposition DeMara quant à la production des déclarations, puisqu’elle était reproduite dans ces dernières. Concernant l’envoi de ces documents, je déduis que les appelants et DeMara avaient conclu que cette dernière leur offrirait l’occasion d’examiner la proposition avant de produire les déclarations. DeMara a reçu le paiement deux jours après que M. Rattai a reçu le courriel de 2013 et deux jours avant qu’elle ne produise les déclarations auprès de l’Agence.

[103] J’ai moins de difficulté avec l’observation de Mme Rattai voulant qu’elle n’ait jamais eu l’occasion d’examiner la déclaration à son nom. Il semble qu’elle n’ait pas participé aux communications avec DeMara, et aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer qu’elle avait vu le courriel de 2013 et les pièces jointes, ce qui, par conséquent, est conforme à son témoignage portant qu’elle n’a jamais vu de document préparé par DeMara.

Déclarations non signées

[104] Les appelants ont soutenu que la signature d’une déclaration de revenus est un acte essentiel qui permet au contribuable de vérifier les renseignements contenus dans sa déclaration. Par conséquent, ils soutiennent que, vu que leurs signatures ne figurent pas dans les déclarations, il en ressort qu’ils n’ont pas autorisé DeMara à produire ces documents.

[105] Je conviens que la signature d’une déclaration de revenus constitue la norme et qu’il s’agit d’une confirmation des renseignements contenus dans la déclaration. J'abonde aussi dans le sens des parties selon lesquelles la présente espèce n’est pas une situation habituelle concernant la production normale de déclarations de revenus ordinaires.

[106] Comme les appelants le signalent, l’authenticité des signatures est un élément central pour déterminer si des pénalités doivent être confirmées aux termes du paragraphe 163(2). En ce qui concerne l’affaire Boateng v. Her Majesty the Queen, 2017 CarswellNat 7260 [Boateng], le juge D’Arcy a examiné les signatures apposées dans les déclarations et les formulaires et il les a comparées à celles contenues dans certains documents [47] . Cet examen, combiné à la crédibilité globale du contribuable, a amené le juge à conclure que les signatures avaient vraisemblablement été falsifiées. Il convient de noter que l’authenticité des signatures n’a pas été examinée isolément.

[107] En l’espèce, le problème découle de l’absence de signatures dans les déclarations, et non d'une falsification de signatures. En outre, la crédibilité de M. Rattai est en cause. Pour ces seuls motifs, la présente espèce se distingue des faits de l’affaire Boateng.

[108] Dans le jugement Mahdi c. La Reine, 2018 CCI 149, [2018] 6 CTC 2156 [Mahdi], le juge Bocock a conclu que les signatures des deux contribuables avaient été falsifiées ou qu’elles ne figuraient pas dans leurs déclarations et qu’il était important d’examiner les signatures de concert avec d’autres facteurs conformément au critère consacré par la jurisprudence Torres [48] .

[109] Par conséquent, il convient d’adopter une approche globale lors de l’examen de signatures posant problème ou de leur absence, de concert avec d’autres facteurs. Bien que les problèmes découlant de la signature du contribuable soient révélateurs, ils ne permettent pas de déterminer s'il est passible d’une pénalité.

[110] Qu’arriverait-il si une personne décidait, pour une raison ou une autre, de ne pas signer sa déclaration et qu’elle la produisait ainsi ou qu’elle demandait à quelqu’un d’autre de la produire en son nom? M. Larkin a reconnu qu’aucune des déclarations n’était signée. Ensuite, il a signalé que chaque fois que l'Agence voyait un dossier préparé par DeMara, les documents n’étaient jamais signés.

[111] Dans les présents appels, les documents non signés ont constitué le thème dominant. Il semble que l’absence de signatures dans les documents faisait partie de la stratégie lorsque l’on participait au processus de DeMara en vue d’obtenir l’allègement. Le paiement était la dernière étape du processus avant la production des déclarations, comme l’indique le paragraphe 5 du courriel de 2013 [49] . Il n’y a aucune mention concernant la signature des déclarations ou la manière d’obtenir les signatures avant la production des déclarations. Je suppose qu’une partie de l’accord entre M. Rattai et DeMara portait qu’il n’était pas nécessaire de signer les déclarations et que le courriel de 2013 et les pièces jointes, de même que la stratégie de production proposée, lui permettraient d’examiner au préalable le contenu des déclarations qui seraient produites.

[112] L’enchaînement du courriel de 2013, de la facture, du paiement, de la délivrance du reçu et de la production des déclarations est très resserré. DeMara a acheminé les déclarations directement de son bureau de Vernon, en Colombie-Britannique, au centre fiscal de Winnipeg de l’Agence, alors que les appelants se trouvaient en Alberta. Il semble que M. Rattai n’ait pas jugé nécessaire de suivre sa pratique courante pour traiter avec DeMara, puisqu’il a effectué le paiement sans avoir examiné ni signé les déclarations de revenus. Je conclus que le paiement versé à DeMara témoigne de l’autorisation des appelants et de la confirmation de la stratégie de production, comme s’ils avaient signé les déclarations dans le cours normal des choses, et qu’ils ont, par conséquent, autorisé DeMara à produire les déclarations, tel qu’il est indiqué dans le courriel et les pièces jointes.

[113] Je constate que le courriel que DeMara a envoyé à M. Rattai le 1er novembre 2011 indique que la somme de 400 $ est exigée pour la production, si le membre choisit de ne pas signer la fiche. Les appelants ont payé 400 $ chacun. En outre, ni les appelants ni Mme Beilstein n’ont signé les redressements des T1 déposés auprès de l’Agence, malgré la confirmation demandée dans ce document concernant l’exactitude et l’exhaustivité des renseignements.

[114] Quant à l’observation des appelants selon laquelle l’affaire Torres diffère de la présente espèce, le constat d’aveuglement volontaire appelle un examen méticuleux des faits propres à la situation de chaque contribuable [50] . Les appelants ne peuvent utilement soutenir que l’ampleur de la pénalité pourrait constituer une distinction pertinente entre les différentes affaires. Le montant de la pénalité est établi en fonction du pourcentage du montant indûment réclamé. Je suis aussi d’avis que chercher à rectifier la situation a posteriori en produisant des redressements des T1 pour annuler les actes de DeMara n’est pas pertinent dans de telles circonstances.

[115] Je discuterai maintenant la première considération dans l’application du critère consacré par la jurisprudence Torres. Pour savoir s’il y a eu ou non aveuglement volontaire, il faut tenir compte du niveau d’instruction et d’expérience du contribuable.

B. Niveau d’instruction et expérience

[116] Les appelants font valoir qu’ils sont profanes en matière fiscale et qu’ils sont peu instruits; M. Rattai est titulaire d’un premier diplôme universitaire et Mme Rattai a occupé des postes de réceptionniste, de préposée au nettoyage et de commis-comptable.

[117] Dans l jugement Manhue, le juge Sommerfeldt a observé que, lorsque des contribuables ont déclaré des pertes d’entreprise fictives, le critère de l’instruction et de l’expérience n'est pas très exigeant.

[118] Après l’école secondaire, M. Rattai s’est inscrit à un cours de deux ans, comportant quatre niveaux, offert au Medicine Hat College. En 1984, il a obtenu un diplôme en technique des centrales électriques et il est titulaire d’un permis de mécanicien de centrale. En 1985, il a été au service de Alberta Gas Chemicals (AGC) pendant un an, puis il a été mis à pied. Sauf pendant un arrêt de la centrale entre la deuxième moitié de 2001 et le début de 2002, AGC l’a réembauché de 1987 à 2003, cette fois à titre de mécanicien de centrale, et il était chargé d’analyser et de traiter l’eau, d’entretenir l’outillage et de faire fonctionner la centrale [51] . Entre 2003 et 2008, il gérait ses propriétés locatives ainsi que celles de sa conjointe. Ensuite, il est retourné sur le marché du travail à l’emploi de Goodyear Canada, où il a occupé un poste de mécanicien de centrale pendant deux ans, jusqu’en novembre 2010; puis, comme mécanicien de troisième classe, il a été au service de Methanex (anciennement AGC).

[119] En 1983, Mme Rattai a obtenu un certificat en administration des affaires du Medicine Hat College après avoir suivi des cours en comptabilité de base, en marketing, en communications, en informatique et en initiation aux déclarations fiscales. De 1983 à 1985, elle a fréquenté l’université afin d’obtenir un diplôme de premier cycle en commerce, mais elle n’a pas terminé le cursus; elle a suivi plusieurs cours en gestion et en comptabilité [52] .

[120] En 1985, Mme Rattai travaillait pour l’entreprise Allwest Compressor Services, où elle effectuait les fonctions de réceptionniste, de classement de documents et de nettoyage. M. Rattai a confirmé que, en raison de son niveau d’instruction, elle a exercé les fonctions de commis-comptable. L’année suivante, elle vendait des vêtements lors de séances de vente au détail à domicile. Entre 1992 et 1998, elle a exercé les fonctions de réceptionniste, de classement de documents et de préparation de factures pour Mme Winger. Mme Rattai aidait également les techniciens en comptabilité en triant et en additionnant les reçus des agriculteurs, et elle leur donnait un coup de pouce pour la préparation des déclarations de revenus. Elle est tombée enceinte, puis elle a travaillé au service du catalogue de Sears. À titre de secrétaire et de trésorière de leurs sociétés, et lorsqu’elle n’était pas occupée à travailler et à élever les enfants, son travail se résumait à recueillir des renseignements pour son mari concernant les propriétés locatives.

[121] Entre 1999 et 2002, Mme Rattai a travaillé à temps plein à la société d’habitation de Medecine Hat, où elle aidait les clients, calculait les loyers, percevait les paiements, effectuait les dépôts bancaires et procédait au rapprochement des comptes bancaires [53] . Entre 2002 et 2005, elle a élevé leurs enfants et a effectué des tâches relatives à leurs propriétés locatives. En 2005, elle est entrée au service de la Cypress View Foundation en tant qu’administratrice de services financiers [54] . Vers 2012, elle a été promue au poste de directrice des finances, et elle était chargée d’établir le budget, de procéder au rapprochement des comptes bancaires et de remplir et mettre à jour les formulaires gouvernementaux [55] .

[122] À l’exception d’une période de cinq ans pendant laquelle il s’est occupé du fonctionnement de leurs propriétés locatives avec sa femme, M. Rattai est sur le marché du travail depuis les années 1980. Entre 2010 et 2013, il s’est occupé des finances familiales (payer les factures et effectuer les opérations bancaires) et de celles de leurs propriétés locatives; il s’occupait des prêts, des sept prêts hypothécaires, de l’assurance, des annonces, de la location, de l’entretien, de la perception des loyers, de la production des documents et de la tenue de livres, et ce, depuis le bureau à domicile.

[123] Les deux appelants avaient produit des déclarations de revenus depuis les années 1980. Au début, M. Rattai confiait la préparation de ses déclarations de revenus personnelles à H&R Block et Mme Rattai, à sa mère. Sinon, les appelants ont fait affaire avec des professionnels en déclarations de revenus pendant de nombreuses années. Ensemble, ils examinaient leurs déclarations de revenus des sociétés avec les comptables.

[124] Les appelants avaient déjà eu des problèmes avec l’Agence et le système fiscal à l’égard de déclarations de revenus précédentes concernant des dons de bienfaisance et le refus d’une dépense d’entreprise pour M. Rattai. Il a participé au programme de dons de médicaments de la Canadian Organization for International Philanthropy (COIP), puisqu’il connaissait un participant à ce programme et que lui et son épouse souhaitaient offrir à des Africains l’accès à des médicaments à prix abordables. Le ministre a établi une nouvelle cotisation à son égard pour les années d’imposition de 2006 à 2009, et la déduction des sommes suivantes dans ses déclarations lui a été refusée :

  1. en 2008, une perte d’entreprise nette de 92 808 $ par l’intermédiaire de Synergy et la perte autre qu’en capital en découlant reportées rétrospectivement aux années 2007 et 2006 d’un montant de 44 556 $ et de 30 718 $, respectivement, et dont il ne se souvenait pas;

  2. en 2009, un don de bienfaisance de 30 000 $ à COIP, lequel visait à aider des personnes atteintes du sida en Afrique, selon ses dires.

[125] Lorsque l’intimée a demandé à Mme Rattai si elle avait fait l’objet de nouvelles cotisations lui refusant des dons de bienfaisance de 30 216 $ et de 11 900 $ versés à COIP qui étaient inclus dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2009 et 2008, respectivement, elle a d’abord été incapable de se souvenir des chiffres. Après avoir tenté d’esquiver les questions concernant l’année d’imposition 2009, elle a finalement admis à l’intimée que ce montant lui avait été refusé par un avis de nouvelle cotisation et, même si elle ne se souvenait pas exactement d’avoir reçu un avis de nouvelle cotisation lui refusant un don de bienfaisance de 11 900 $ versé à COIP en 2008, elle a convenu que le montant correspondait plus ou moins à son souvenir.

[126] En réponse à une question posée subséquemment par son avocat, elle a signalé qu’après avoir assisté à une conférence au Medicine Hat Lodge, elle et son époux se sont inscrits au programme parce qu’ils avaient décidé d’aider; ils ont versé les dons, déclaré les montants d’argent dans leurs déclarations de revenus et en ont conclu que ce programme devait être régulier puisqu’ils avaient reçu un remboursement. Elle se rappelle avoir reçu des lettres de l’Agence indiquant que les montants d’argent relatifs au programme de la COIP n’étaient pas admissibles, mais elle ne se souvient pas si l’Agence a demandé le retour du remboursement; par conséquent, elle présume que l’[traduction] « enquête » de l’Agence est toujours en cours. Comme l’état de ces affaires datant d’années précédentes a soulevé des questions, je n’accorderai aucun poids à cet élément de preuve.

[127] Mme Rattai était suffisamment avisée pour répondre aux questions posées par les comptables. Elle connaissait les désignations comptables, les catégories de revenus et de dépenses et les lignes de la déclaration de revenus où les montants sont inscrits. M. Rattai annotait les reçus concernant leurs activités de location.

[128] Je suis d’avis qu’ils possédaient un certain niveau de connaissances. Leur niveau de scolarité, leur expérience de travail, le succès qu’ils ont connu dans la cadre de leurs activités de location, leur connaissance des aspects fiscaux et leur intelligence portent à croire qu’ils étaient tout à fait en mesure de comprendre la stratégie promue par DeMara. De toute manières, il ne ressort d'aucun élément de preuve qu’ils ont demandé des précisions. Ils savaient pertinemment qu’ils ne pouvaient pas déduire des pertes d’entreprise, puisqu’ils n’exploitaient pas d’entreprise. Il est manifeste qu’ils comprenaient le devoir de produire des déclarations de revenus véridiques et exactes.

C. Nécessité de s’informer, ou soupçon d’une telle nécessité

[129] Après avoir reçu, en plus des pièces jointes, le courriel de 2013 résumant les demandes de report rétrospectif des pertes aux années d’imposition 2007, 2008 et 2009 et les remboursements, dont les augmentations étaient importantes, M. Rattai aurait dû se renseigner à propos de ces documents, d’autant plus que les deux appelants ont témoigné qu’il n’existait aucun fondement aux pertes.

[130] Il ressort de la comparaison entre la déclaration non produite de M. Rattai préparée par Schwab, laquelle il a passé en revue, et le sommaire de la déclaration de revenus de 2010 préparé par DeMara – incluse en pièce jointe au courriel de 2013 – que les deux firmes ont déclaré le même montant de revenu d’emploi pour M. Rattai; or, seule la pièce jointe indique un [traduction] « revenu de travail indépendant » de (482 258,36 $). En outre, sa déclaration non produite fait état d'un revenu total déclaré de 110 629 $, alors que la pièce jointe de DeMara indique un revenu total déclaré de (371 628 $). Ces éléments auraient dû inciter M. Rattai à se renseigner sur les écarts importants.

[131] Mme Rattai savait que M. Rattai avait payé DeMara, mais elle n’avait vu aucun document préparé par DeMara, contrairement à leur pratique courante. Mme Rattai aurait dû y voir un signal d’alarme.

[132] Je rechercherai maintenant s’il existait d’autres signaux d’alarme qui auraient dû inciter les appelants à se renseigner davantage.

D. Les facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer avant la production d’une déclaration

i. Ampleur de l’avantage

[133] Les appelants ont soutenu que l’ampleur de l’avantage ne constituait pas un facteur pertinent, puisqu’ils n’ont pas vu, examiné, confirmé ni signé les déclarations, qu’ils n’en ont pas discuté et qu’ils n’ont pas participé à leur préparation.

[134] M. Rattai n’est pas crédible. Il a tenté de minimiser sa participation au programme de DeMara et de se dissocier de ses tractations avec cette dernière. Il est arrivé fréquemment qu’il ne se souvienne plus de certains renseignements ou documents ou qu’il affirme qu’il ne les avait pas vus. Par moment, ses réponses étaient alambiquées, évasives et contradictoires, et certains éléments ne concordaient tout simplement pas. Une fois de plus, il a reçu le courriel, mais allègue qu’il ne s’en souvient pas et qu’il n’a pas ouvert le courriel de 2013, lequel contenait les déclarations proposées, alors que s’il l’avait ouvert, il aurait eu la possibilité d’examiner son contenu avant la production de la déclaration. Il a plutôt choisi de ne pas ouvrir le courriel et, par conséquent, il en a délibérément fait fi.

[135] Par moments, Mme Rattai avait tendance à se présenter comme plus naïve et moins expérimentée qu’elle ne l’est, à mon avis. Elle a parfois essayé de brouiller les cartes, son témoignage comportait des lacunes et elle a tenté de se laver les mains de la situation. Cela dit, ses réponses étaient habituellement plus franches.

[136] Dans son courriel du 4 mars 2012, M. Rattai a informé DeMara que son choix quant à la catégorie d’entreprise serait soit des services-conseils en marketing immobilier, soit simplement des services-conseils en marketing, [traduction] « selon ce qui convenait le mieux ». L’état des résultats de chaque déclaration indiquait des services-conseils. Lors de son témoignage, il a dit qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il avait voulu dire dans son courriel et qu’il n’en était pas certain.

[137] Bien que les appelants aient déclaré que, jusqu’à l’automne 2013, ils ignoraient que DeMara avait produit leurs déclarations, ils ont été incapables, lors de l’audience, de présenter une justification cohérente concernant leur suivi auprès de DeMara. M. Rattai a affirmé qu’il ne s’était rien passé pendant un long moment et qu’il avait communiqué avec DeMara pour obtenir un suivi concernant leurs déclarations de revenus. La personne à qui il a parlé lui a répondu qu’ils étaient très occupés et elle l’a assuré qu’il n’y avait aucun problème avec leurs déclarations de revenus de 2010. Lorsqu’il leur a été demandé des précisions, les appelants ont alors répondu qu’ils avaient été occupés, qu’ils n’avaient pas éprouvé d’inquiétudes, qu’ils avaient oublié et qu’ils avaient toujours reçu des remboursements. Initialement, M. Rattai a allégué [traduction] « avoir été pris ». Puis, il a mentionné qu’il n’avait pas d’impôt à payer et qu’il ne s’était pas inquiété outre mesure. Mme Rattai a dit qu’il ne s’agissait pas d’un point [traduction] « très important » sur sa liste de priorités, comme elle travaillait à temps plein, élevait les enfants, faisait confiance à son mari et qu’elle n’y avait plus pensé; puis, elle a soutenu qu’ils avaient toujours reçu des remboursements.

[138] J’écarte leurs explications. Même s’ils étaient pris, les appelants n’avaient pas besoin de beaucoup de temps pour s’acquitter de leur obligation de déclarer leurs revenus, surtout que leurs déclarations non produites étaient prêtes depuis novembre 2011. Il semble également que M. Rattai ait produit la plupart de ses précédentes déclarations en temps utile, sauf pour les années d’imposition 2000 à 2002, 2006 et 2008, et que ces déclarations produites aient résulté en des cotisations débitrices et portant remboursement.

[139] Le fait est que la date de production était dépassée depuis longtemps. Le courriel de 2013 coïncide avec la facture; le paiement a suivi et, deux jours après la date du reçu, DeMara a produit les déclarations auprès de l’Agence. Cet enchaînement peut difficilement être un hasard. Il est plus plausible que les appelants aient été au courant que DeMara avait produit les déclarations en mars 2013, qu’ils aient payé ses services avant cette production, qu’ils aient examiné le contenu du courriel de 2013 ou les déclarations et qu’ils en aient discuté. Cela description cadre avec leur pratique courante, longue de 20 ans, consistant à payer les services seulement après ces étapes effectuées, mais avant la production des déclarations.

[140] Les pertes déduites dans les déclarations étaient importantes et démesurées par rapport au revenu total déclaré de M. Rattai, consistant principalement en un revenu d’emploi, lequel était imposable dans le passé. Pourtant, en 2010, un remboursement élevé a été réclamé. D’ailleurs, la demande de report rétrospectif des pertes d’entreprise aux trois années précédentes aurait également résulté en des remboursements. Un tel écart aurait dû l’inciter à s’interroger sur le contenu de la déclaration. Même s’il ne connaissait pas le contenu précis de la déclaration, l’ampleur de l’avantage conféré par les pertes et les montants indiqués dans le courriel de 2013 ainsi que dans les pièces jointes auraient dû, à mon avis, l’inciter à mettre en doute la demande d’allègement de DeMara.

[141] Comme M. Rattai ne se souvient pas du courriel de 2013 et des pièces jointes et qu’il n’a pas pris connaissance de ceux-ci, il est peu probable que Mme Rattai l’ait fait. La question ne lui a pas été posée lors de son contre-interrogatoire, et il ne ressort d'aucun élément de preuve qu’elle a vu ces documents, puisqu’ils ont été envoyés directement à son mari.

ii. Caractère flagrant des faux énoncés – facilement détectables

[142] Comme les appelants n’exploitaient pas d’entreprise de services-conseils, M. Rattai aurait dû voir les pièces jointes au courriel de 2013 comme des feux rouges clairs, puisqu’il déclarait habituellement un revenu d’emploi en grande partie. Compte tenu de l’expérience qu’il avait acquise sur plusieurs décennies, il aurait dû lui sembler évident que les pertes et les remboursements indiqués dans la pièce jointe relative à la demande (qui reproduisait la demande contenue dans la déclaration) consistaient en de faux énoncés. Le courriel de 2013 contenait suffisamment de feux rouge clair pour l’inciter à se renseigner sur le programme d’allègement de DeMara, avant de la payer.

[143] Les précédentes observations relativement au courriel de 2013 ne valent pas pour Mme Rattai.

iii. Le spécialiste en déclarations de revenus ne reconnaît pas avoir préparé les déclarations

[144] Ce facteur ne joue pas en l’espèce, puisque DeMara s’identifie comme la spécialiste en déclarations de revenus, elle indique ses coordonnées dans les déclarations et elle présente d’autres documents attestant de la préparation des déclarations.

iv. Demandes inhabituelles de la part du spécialiste en déclarations de revenus

[145] DeMara a présenté plusieurs demandes inhabituelles à M. Rattai. Elle lui a demandé d’écouter des messages préenregistrés, de préserver la nature privée et confidentielle du programme d’allègement, de choisir une catégorie d’entreprise et de fournir les renseignements [traduction] « nécessaires » à une demande de numéro d’entreprise. Les appelants ont admis qu’aucun ancien spécialiste en déclarations de revenus n’avait demandé à M. Rattai d’écouter des messages préenregistrés ou ne lui avait imposé de telles restrictions.

[146] La trousse envoyée à M. Rattai en novembre 2011 contenait un formulaire d’autorisation de l’entreprise à remplir pour compléter son adhésion au programme. Parmi les autres formulaires inhabituels figurent le tableau spécialisé des taux d’imposition, les documents exigés pour l’allègement et le formulaire relatif au lien de confiance entre la société et le membre. Tous comportaient un caractère inhabituel et auraient appelé un examen plus poussé.

[147] Mme Rattai n’a pas assisté à la séance préenregistrée et elle a présumé qu’il s’agissait d’une caractéristique du service de planification fiscale de DeMara.

v. Spécialiste en déclarations de revenus précédemment inconnu du contribuable

[148] Avant de retenir les services de DeMara, les appelants avaient eu recours à des comptables et à des professionnels en déclarations de revenus pour la préparation et la production de leurs déclarations de revenus personnelles; tous, sauf un, se trouvaient à Medicine Hat.

[149] Les appelants ne connaissaient pas DeMara jusqu’à ce qu’ils parlent avec Marcel, mécanicien de centrale, opérateur, superviseur de M. Rattai et fidèle ami de celui-ci depuis 25 ans. C’est Marcel qui a présenté DeMara à l’appelant au printemps 2011. Marcel a décrit DeMara aux appelants comme une société experte en planification fiscale composée de comptables professionnels, notamment d’anciens fonctionnaires de l’Agence, qui connaissaient la loi fiscale et qui offraient des services à une clientèle privilégiée. Ils ont donné suite à la recommandation de Marcel, même s’il n’avait pas d’expérience en comptabilité ou en fiscalité, et ils ne sont pas renseignés auprès d’un comptable, d’un conseiller financier ou d’un fiscaliste.

[150] Un représentant de DeMara a communiqué avec M. Rattai et il lui a expliqué comment la société pouvait aider les appelants. M. Rattai a discuté avec lui de l’examen de leurs déclarations de revenus de 2010, puisqu’il savait que les services de DeMara comprenaient la préparation de déclarations de revenus.

vi. Explication inintelligible de la part du spécialiste en déclarations de revenus

[151] Les appelants ont fait valoir qu’ils se sont intéressés à DeMara aux fins de planification fiscale, puisque les autres professionnels n’offraient pas ce service. Or, ils n’ont pas été en mesure d’expliquer les services offerts par DeMara ni d’indiquer à la Cour la teneur de l’explication que DeMara leur avait fournie concernant la soi-disant planification fiscale.

[152] Même leurs compréhensions individuelles de ce que le service comportait se contredisaient. Initialement, M. Rattai a affirmé que le service de planification fiscale signifiait que DeMara examinerait leurs dépenses de 2010 pour s’assurer que Schwab n’avait pas oublié certaines déductions. Plus tard, lorsque ses avocats lui ont posé la question suivante : [traduction] « Quelle aide pensez-vous que DeMara pouvait offrir à vos sociétés sur le plan de la planification fiscale? », il a répondu [traduction] « juste faire mieux et planifier l’aspect fiscal de la retraite ». À un autre moment, il a affirmé qu’il pensait que le programme d’allègement signifiait simplement que DeMara offrait des services de planification fiscale. Mme Rattai avait compris que la [traduction] « planification fiscale pour l’avenir » signifiait la planification successorale pour leurs enfants et la gestion de Holdings, puisqu’elle ne comprenait pas pourquoi la société ne détenait aucune propriété.

[153] Les appelants ont retenu les services de DeMara pour la préparation de leurs déclarations de revenus de 2010, plutôt que pour une planification fiscale. Je ne vois pas comment cela peut être assimilé à des possibilités de planification fiscale pour l’avenir concernant Holdings et la planification successorale. Ce n’est pas logique. J’écarte leur témoignage portant qu’ils avaient retenu les services de DeMara afin d’obtenir une planification fiscale pour l’avenir. Je conclus qu’il est plus plausible qu’ils aient retenu les services de DeMara pour les remboursements qu’ils obtiendraient pendant quatre ans.

vii. Les autres ne le font pas ou le contribuable a été mis en garde ou le contribuable craint d’en parler à d’autres

[154] Ce facteur ne joue pas. Les appelants se sont fiés aux promesses de Marcel.

E. Le contribuable ne se renseigne pas auprès du spécialiste en déclarations de revenus afin de comprendre la déclaration

[155] Lorsqu’il a reçu le courriel de 2013, M. Rattai a choisi d’en faire fi (bien qu’il ait indiqué qu’il attendait le retour de DeMara concernant l’état de leurs déclarations de revenus). Il n’a posé aucune question à DeMara concernant les déclarations qu’elle proposait de produire, et il n’a pris aucune mesure pour vérifier l’exhaustivité et l’exactitude des renseignements.

[156] Outre la recommandation de Marcel aux appelants concernant la soi-disant expertise de DeMara, ses recherches en ligne ou sa revue des commentaires, M. Rattai a reconnu qu’il n’avait pas demandé à un conseiller fiscal d’examiner la trousse, qu’il n’avait pas transmis le courriel de 2013 à quiconque aurait pu examiner les renseignements et qu’il n’avait pas communiqué avec l’Agence.

Résumé

[157] M. Rattai s’est présenté comme un particulier prudent qui allègue avoir fait des recherches et posé des questions à propos de DeMara avant de retenir ses services et avoir respecté la pratique courante de longue date qu’il adopte lorsqu’il fait affaire avec des spécialistes en déclarations de revenus. Compte tenu de ce qui précède, il est difficile de voir comment il peut ensuite alléguer n’avoir aucunement participé à l’examen et à la confirmation de la déclaration et avoir payé DeMara sans recevoir quoi que ce soit en échange.

[158] N’eût été du vice entachant la déclaration de M. Rattai, je conclurais qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire. Bien que quelques-uns des signaux d’alarme évoqués dans le jugement Torres soient absents en l’espèce – les points iii) et vii) – de nombreux autres auraient dû inciter M. Rattai à se renseigner. Par exemple, le courriel de 2013 et les pièces jointes indiquaient les pertes et les remboursements importants pour 2010 et les trois années précédentes, lesquels reflétaient la stratégie de déclaration proposée reproduite dans la déclaration à produire. Les remboursements constituaient des avantages d’une ampleur importante qui étaient flagrants et facilement détectables, même à première vue, et qui appelaient donc à se renseigner. M. Rattai a expliqué qu’il avait tendance à parcourir certains de ses courriels, mais pas tous. Soit il n’a pas voulu connaître la vérité, soit il l’a évitée en ce qui concerne la stratégie de production qui indiquait les pertes à déduire. Il aurait pu ouvrir le courriel de 2013 s’il l’avait voulu. Il a plutôt délibérément fait fi du contenu de ce courriel et il a payé DeMara, ce dont il allègue ne pas se souvenir, sans ouvrir le courriel de 2013, dont il ne se souvenait pas non plus, pas plus qu’il se rappelait l’avoir examiné. Cela signifie, contrairement à sa pratique courante, qu’il a payé sans recevoir quoi que ce soit en échange. Normalement, il aurait examiné et signé les déclarations, puis il aurait payé pour les services rendus. En bref, il a délibérément choisi de ne pas se renseigner, ce qui constitue un aveuglement volontaire, de sorte qu’il se verrait imputer la connaissance des faux énoncés contenus dans la déclaration.

[159] Bien que j’aie quelques réserves concernant certains aspects du témoignage de Mme Rattai, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas en mesure de conclure clairement qu’elle a fait preuve d’aveuglement volontaire concernant la déclaration de 2010. La plupart des signaux d’alarme ne jouent pas. Elle s’est fiée aux renseignements que son mari avait obtenus et qu’il lui avait communiqués, elle avait confiance en lui et en son jugement et elle a beaucoup discuté avec lui et avec Marcel. Périodiquement, elle demandait à son mari si les déclarations étaient prêtes ou à quel moment elles le seraient. Elle a signalé qu’il lui répondait qu’elles étaient en cours de préparation. Elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « Puis, je me retrouvais très occupée et j’oubliais. À l’occasion, je demandais à mon mari ce qui se passait avec les déclarations de revenus de 2010. Il me répondait alors qu’il comptait appeler DeMara. »

[160] La principale difficulté réside dans le fait qu’aucun élément de preuve n’a été présenté pour démontrer que Mme Rattai avait vu le courriel de 2013 et les pièces jointes ou qu’elle était au courant de leur existence, lesquels avaient été envoyés directement à son mari et contenaient la stratégie de déclaration proposée; elle n’a pas non plus été contre-interrogée à ce sujet. M. Rattai faisait directement affaire avec DeMara, puisqu’il en était membre. Mme Rattai n’a jamais remis de documents de la liste à DeMara. Elle n’avait vu aucun des documents préparés par DeMara, et elle ne savait pas ce qui s’était passé. Elle semble avoir été réellement étonnée de recevoir le courriel de l’Agence en octobre 2013.

La faute lourde

[161] Comme je l’ai signalé, le paragraphe 163(2) peut aussi jouer lorsque le contribuable fait une fausse déclaration dans des circonstances équivalant à faute lourde. La faute lourde implique un degré important de négligence qui correspond à une action délibérée ou à une indifférence au respect de la loi.

[162] Comme l’a réaffirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wynter, le « contribuable qui ferme les yeux sur la véracité et l’exactitude des renseignements fournis dans sa déclaration de revenus est volontairement ignorant et commet également une faute lourde ».

[163] Dans le jugement Manhue c. La Reine, 2018 CCI 71, 2018 DTC 1062 [Manhue], le juge Sommerfeldt observe qu’en droit fiscal, compte tenu du système fiscal canadien fondé sur l’autodéclaration et l’autocotisation, l’analyse de la faute lourde comprend également l’examen de l'obligation du contribuable de s’assurer que ses revenus et ses dépenses sont déclarés correctement et honnêtement [56] .

[164] De même, les appelants étaient assujettis au devoir de déclarer leurs revenus selon ces critères.

[165] N’eût été du vice entachant la déclaration de M. Rattai, je conclurais qu’il a commis une faute lourde, puisqu’il a reçu le courriel de 2013 contenant la stratégie de déclaration proposée, mais n’a pris aucune mesure, si ce n’est que de payer la facture. Je conclurais que sa conduite ne satisfait pas à la norme de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que lui et qu’elle équivaut à un écart marqué et important par rapport à la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances.

[166] La personne raisonnable aurait :

  • a) pris des mesures pour ouvrir et examiner le courriel de 2013 et les pièces jointes, afin de vérifier la rectitude des renseignements concernant la stratégie de déclaration proposée, reproduite dans la déclaration à produire;

  • b) posé des questions sur la description du revenu et des dépenses aboutissant aux pertes déduites et aux remboursements demandés;

  • c) demandé pourquoi des pertes d’entreprise figuraient dans la déclaration, alors qu’il n’existait aucune entreprise.

[167] Par conséquent, il ne s’est pas acquitté de son obligation de vérifier que son revenu et ses dépenses étaient correctement déclarés.

[168] Je conclurais que M. Rattai a fait de faux énoncés dans sa déclaration de 2010 dans des circonstances équivalant à faute lourde aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve concernant le courriel.

[169] Je ne considère pas que Mme Rattai a fait de faux énoncés dans sa déclaration de 2010 dans des circonstances équivalant à faute lourde aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi.

IV. CONCLUSION

[170] Compte tenu des motifs qui précèdent, je conclus qu’il n’a pas été démontré que les conditions relatives à la connaissance et à la faute lourde prescrites au paragraphe 163(2) de la Loi jouaient quant aux appelants.

[171] Les appels interjetés par les appelants à l’égard de l’année d’imposition 2010 sont accueillis. Les dépens sont adjugés à chaque appelant conformément au tarif établi.

Signé à Nanaimo (Colombie-Britannique), ce 17e jour de juillet 2020.

« K. Lyons »

La juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de mai 2021.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 55

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-967(IT)G et 2016-968(IT)G

INTITULÉ :

DANIEL RATTAI c. SA MAJESTÉ LA REINE; CYNTHIA RATTAI c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 27, 28 et 29 mai 2019

MOTIFS DU JUGEMENT

L’honorable juge K. Lyons

DATE DU JUGEMENT :

Le 17 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant

Daniel Rattai :

Me Duane R. Milot et

Me Anna Malazhavaya

Avocat de l’appelante

Cynthia Rattai :

Me James Rhodes

Avocat de l’intimée :

Me E. Ian Wiebe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant Daniel Rattai :

Nom :

Me Duane R. Milot

Me Anna Malazhavaya

Cabinet :

Milot Law

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante Cynthia Rattai :

Nom :

Me James Rhodes

Cabinet :

Taxation Lawyers

Kitchener (Ontario)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Les quatre propriétés sont situées aux adresses suivantes : 424, rue Dundee; 609, avenue Clay; 819, 3rd Street; et 1126, rue Elm.

[2] Comme les appelants avaient contracté sept prêts hypothécaires à titre personnel, leur institution financière a exprimé des réserves et leur avocat a recommandé qu’ils constituent une société en raison de questions relatives à la responsabilité. À cette époque, Dancin Ventures Incorporated possédait dix propriétés et Jortay Ventures Incorporated en possédait deux.

[3] Il s’agissait habituellement de feuillets T4, d’autres feuillets de renseignements fiscaux, de renseignements sur son revenu, de reçus pour les dépenses de location, de relevés (prêts hypothécaires, services d’utilité publique, comptes bancaires personnels, assurance concernant les propriétés locatives et le bureau à domicile) et de reçus pour dons de bienfaisance.

[4] À l’exception de la déclaration de revenus de 2007 de Mme Rattai, qui a été préparée par Liberty Tax Group.

[5] Pièce R20.

[6] Courriel à DeMara, Chiara Perina, en date du 31 août 2011, pièce R2.

[7] Liste d’autres documents contenus dans la trousse : un tableau spécialisé des taux d’imposition; des notions sur l’allègement fiscal spécialisé; une fiche d’instructions sur la manière de remplir les formulaires; un formulaire de paiement par carte de crédit; une demande de numéro d’entreprise – entreprise individuelle; un formulaire sur la catégorie des services-conseils; un formulaire d’autorisation de l’entreprise (RC59); un formulaire d’autorisation de communiquer des renseignements à un tiers; et des foires aux questions (FAQ). Pièce A1, onglet 7.

[8] Pièce R18, lettre datée du 26 septembre 2015 à l’intention de l’Agence.

[9] Onglets 27, 28, 31 et 32.

[10] Les actes de procédure des appelants indiquant que DeMara les représentait coïncident avec le moment où les déclarations ont été produites.

[11] Pièces A2 et A3, page 0009. Un affidavit a été déposé pour chaque appelant sur consentement.

[12] Copie de la déclaration de revenus T1 générale, pièce R15 pour Mme Rattai. Nouveaux avis d’appel, paragraphes 17 et 19, respectivement.

[13] Les pertes en capital fictives auraient résulté en des pertes en capital nettes de 240 929 $ et de 290 269,50 $, respectivement.

[14] Nouveaux avis d’appel modifiés, paragraphes 17 et 19, respectivement.

[15] Tierces parties de M. Rattai : Agence du revenu du Canada, Visa Desjardins, ATB Financial, Medicine HatThe Gas City, Banque HSBC Canada, CitiFinancière Canada, MCAP – Centre de service hypothécaire, Merix Financial. Tierces parties de Mme Rattai : Agence du revenu du Canada, Sears Canada Inc., TD Canada Trust, CIBC, Compagnie de la Baie d’Hudson, Banque HSBC Canada, Banque Nationale du Canada. Fait important, les totaux déclarés sur les feuillets T5008 correspondent au montant de l’intérêt indiqué dans l’état des résultats; le montant figurant à l’annexe 3 diffère quelque peu.

[16] Pièces R13 et R14.

[17] L’annexe 3 concernant Mme Rattai indique un écart de 2 $.

[18] Pièces R6 et R7, engagements nos 12, 13, 15, 16, 17, 23, 25 et 28.

[19] Pièce A1, onglet 1 et pièce R6 – Sommaires des déclarations de revenus de 2010. Le titre de ce document est identique à celui du document préparé par Schwab (à la page 1) dans les déclarations non produites. Bien que la présentation et le contenu de chaque sommaire de la déclaration de revenus de 2010 soient similaires à certains égards, le contenu diffère à d’autres égards.

[20] Cette pièce jointe comporte une note manuscrite intitulée [traduction] « Crédits » et, dans le coin supérieur gauche, on trouve la mention suivante : [traduction] « Client – Daniel Rattai [...] Impression le 24 janvier 2013, à 19 h 3 ». La version contenue dans la déclaration porte la mention suivante : [traduction] « Agence – Daniel Rattai [...] Impression le 24 janvier 2013, à 19 h 3 ». Il semblerait que DeMara, à titre de spécialiste en déclarations de revenus, ait imprimé ces documents de manière à ce que la version précédente soit jointe au courriel à titre de copie client et que la dernière version soit jointe à la déclaration aux fins de production auprès de l’Agence.

[21] Pièce R7, facture du 11 mars 2013, numéro : 2010 – Daniel, portant la mention [traduction] « Copie client ».

[22] D’autres frais font l’objet d’une explication. Voir également le tableau spécialisé des taux d’imposition.

[23] Pièce R11.

[24] Pièce R4, courriel de M. Rattai à DeMara en date du 4 mars 2012, Mme Perina.

[25] Pièces R8 et R12.

[26] Pièce R9. Lettres de l’Agence datées du 4 mars 2014.

[27] Pièces R23 et R26.

[28] Pièce R10 et onglet 17.

[29] Pièces R14 et R16.

[30] Pièces R13 et R15, copies des déclarations de revenus T1 générales pour l’année d’imposition 2010. Les appelants s’y étaient opposés.

[31] Paragraphes 12 à 20. La Cour observe que la faute lourde s’établit selon un critère objectif, alors que l’aveuglement volontaire s’établit à partir de facteurs subjectifs. Voir également Peck c. La Reine, 2018 CCI 52, 2018 CarswellNat 970.

[32] La Cour a insisté sur ce que le constat d’une intention de tromper ne permet pas de conclure que le contribuable a fait preuve d’aveuglement volontaire.

[33] Wynter, aux paragraphes 13 à 17.

[34] La Cour a cité l’arrêt R. c. Briscoe, 2010 CSC 13, [2010] 1 R.C.S. 411 (CSC), aux paragraphes 21, 23 et 24, et l’arrêt Sansregret c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 570, au paragraphe 24.

[35] Wynter, aux paragraphes 13 à 16.

[36] Melman c. Canada, 2017 CAF 83, [2017] DTC 5053 [Melman].

[37] Wynter, aux paragraphes 18 et 19. La Cour a cité Zsoldos c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 338, au paragraphe 21, lequel renvoie à Venne c. Sa Majesté la Reine, 84 DTC 6247 (C.F. 1re inst., à la page 6256). Voir également Melman, au paragraphe 4.

[38] Paragraphes 55 et 51.

[39] Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Villeneuve, 2004 CAF 20. Voir aussi Manhue, au paragraphe 63, concernant le chevauchement des deux concepts.

[40] Wynter c. La Reine, 2016 CCI 103, confirmée par Wynter c. Canada, 2017 CAF 195, au paragraphe 20.

[41] Torres, au paragraphe 58. Mon interprétation de la jurisprudence Boateng ne me permet pas de conclure qu’elle va dans le sens du critère à trois volets défendu par les appelants. Dans le jugement Saunders c. La Reine, 2019 CCI 39, 2019 DTC 1038, au paragraphe 36 [Saunders], le juge D’Arcy évoque seulement deux conditions.

[42] Aux termes du paragraphe 163(2), une déclaration peut comprendre un formulaire, un certificat ou un état.

[43] Nouvel avis d’appel, au paragraphe 19.

[44] Nouvel avis d’appel, au paragraphe 17.

[45] Pièces R14 et R16.

[46] 2013 CCI 380. Peck et Saunders. Il est vrai que ces arrêts ne renvoient pas au jugement Torres, comme les appelants l’ont signalé. Toutefois, rien dans cette jurisprudence n’indique que les facteurs ne peuvent s’appliquer.

[47] Boateng, aux paragraphes 24 et 33 à 37. Les comparaisons ont révélé un manque d’uniformité entre les signatures apposées sur différents documents et des fautes d’orthographe dans les signatures du nom de famille du contribuable. La question en litige consistait à déterminer si le document en question était une copie du document que le contribuable avait réellement signé.

[48] Paragraphes 59, 62, 67 et 68. En dépit de la question de l’authenticité des signatures et, dans certaines affaires, de l’absence de signatures dans les déclarations, il a été jugé qu’un particulier avait fait preuve d’aveuglement volontaire.

[49] L’exigence du paiement avant la production des déclarations se trouve aussi dans la fiche et elle est conforme à la pratique courante des appelants.

[50] L’affaire Torres portait sur le programme de la société Fiscal Arbitrators comportant des pénalités moins importantes, mais les contribuables avaient assisté à des conférences, avaient reçu des dépliants et s’étaient livrés à des activités inhabituelles, notamment le rachat du numéro d’assurance sociale et l’emploi du terme [traduction] « par » dans la demande de report rétrospectif. Comme dans l’affaire Torres, M. Rattai a écouté une conférence préenregistrée, il a reçu des dépliants et il a demandé et reçu une trousse.

[51] Après la fermeture de la centrale, il a travaillé à la base militaire de Suffield pendant six mois, où il occupait un poste d’opérateur responsable de la vérification des chaudières de chauffage dans les bâtiments sur le site.

[52] Universités de Lethbridge et du Montana. Cours : psychologie, sociologie, marketing et statistique.

[53] La société comptait 500 logements sociaux et plusieurs résidences pour personnes âgées.

[54] Elle était chargée des comptes fournisseurs, de la paie, de la saisie de renseignements (les heures sur les feuilles de temps des employés et sur les factures des fournisseurs) dans QuickBooks. Le logiciel générait des chèques à mettre à la poste et des feuillets T4, et elle aidait son patron à préparer les états financiers.

[55] Un organisme sans but lucratif offrant des logements à 250 personnes âgées.

[56] Le juge Sommerfeldt discute le concept de l'obligation en droit des délits et en droit fiscal et il s’appuie sur une jurisprudence de la Cour suprême du Canada, R. c. Jarvis, 2002 CSC 73, [2002] 3 RCS 757, aux paragraphes 49 et 51.

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