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Dossier : 2019-2877(EI)

2019-2878(CPP)

ENTRE :

INSTITUT D’ASSURANCE DE L’ONTARIO,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 30 janvier 2020, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Graham


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Mark Tonkovich

Avocat de l’intimé :

Me Michael Ding

 

JUGEMENT

Les appels sont accueillis et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national pour réexamen pour le motif que Peter Barlow était un entrepreneur indépendant du 1er janvier 2015 au 31 mars 2018.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juillet 2020.

« David E. Graham »

Le juge Graham


Référence : 2020 CCI 69

Date : 20200724

Dossier : 2019-2877(EI)

2019-2878(CPP)

ENTRE :

INSTITUT D’ASSURANCE DE L’ONTARIO,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Graham

[1]  L’Institut de l’assurance de l’Ontario est un organisme à but non lucratif qui offre de la formation professionnelle et continue aux membres du secteur de l’assurance en Ontario, entre autres choses. Peter Barlow a travaillé à l’Institut en tant qu’instructeur du 1er janvier 2015 au 31 mars 2018. Il a donné des cours à des personnes qui souhaitaient obtenir leur titre de professionnel d’assurance agréé.

[2]  L’Institut a conclu une série de contrats avec M. Barlow. Ces contrats stipulaient clairement que l’Institut et M. Barlow avaient tous deux l’intention que M. Barlow soit un entrepreneur indépendant. Le ministre du Revenu national n’est pas d’accord avec cette définition. Le ministre a conclu que M. Barlow était un employé et a rendu une décision en ce sens. L’Institut a interjeté appel de cette décision.

[3]  L’interprétation et l’application correctes du critère établi par la Cour d’appel fédérale en 2013 dans l’arrêt 1392644 Ontario Inc. (Connor Homes) c. Canada (Revenu national) (« Connor Homes ») [1] , une question laissée en suspens depuis des années, est au cœur de ces appels.

A.  Questions en litige

[4]  Voici les trois questions en litige dans les présents appels :

  • a) Comment appliquer le critère défini dans l’arrêt Connor Homes lorsqu’un payeur et un travailleur ont une intention commune quant à la nature de leur relation?

  • b) Les facteurs à prendre en considération pour l’application de ce critère comprennent-ils ce que l’on appelle le « critère de l’intégration »?

c)  Selon le critère qui doit être appliqué, M. Barlow était-il un employé ou un entrepreneur indépendant?

B.  Interprétation de l’arrêt Connor Homes

[5]  Les parties conviennent que la question de savoir si M. Barlow était un employé ou un entrepreneur indépendant doit être résolue conformément au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc. (« Sagaz »). Ce test consiste à déterminer si M. Barlow fournissait des services « en tant que personne travaillant à son compte [2]  ».

[6]  Les parties conviennent également qu’il faut répondre à cette question centrale conformément au critère en deux étapes établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connor Homes. Toutefois, les parties ne sont pas d’accord sur la manière dont ce critère en deux étapes doit être appliqué.

Le critère en deux étapes

[7]  La première étape du critère établi dans l’arrêt Connor Homes consiste à établir l’intention subjective de chacune des parties à la relation. « On peut le faire soit d’après le contrat écrit qu’elles ont passé, soit d’après le comportement effectif de chacune d’elles, par exemple en examinant les factures des services rendus, et les points de savoir si la personne physique intéressée s’est enregistrée aux fins de la TPS et produit des déclarations d’impôt en tant que travailleur autonome [3] . »

[8]  La deuxième étape du critère Connor Homes consiste « à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties [4] ». Il convient de tenir compte des facteurs énoncés dans la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R. (« Wiebe Door ») [5] [traduction] « pour déterminer si les faits sont conformes à l’intention exprimée par les parties [6]  ».

[9]  Les parties ne sont pas d’accord sur la manière dont cette deuxième étape du critère doit être appliquée.

Les thèses des parties

[10]  L’intimé soutient que la deuxième étape consiste simplement à appliquer les critères Wiebe Door et Sagaz pour déterminer si le travailleur est un employé ou un entrepreneur indépendant. Il affirme que la deuxième étape est entièrement indépendante des résultats de la première étape. L’intimé estime que le critère à appliquer lors de la deuxième étape reste le même, et ce, que la première étape indique que les parties avaient une intention commune ou non.

[11]  L’Institut soutient que, pour que la première étape ait un sens, les résultats de la première étape doivent influencer l’application de la deuxième étape. Si le résultat de la première étape indique que les parties n’ont pas une intention commune, alors la deuxième étape consistera simplement à appliquer systématiquement les facteurs Wiebe Door et Sagaz. Toutefois, si le résultat de la première étape indique que les parties avaient une intention commune, la deuxième étape doit comporter autre chose qu’une application routinière de ces facteurs.

Analyse de Connor Homes

[12]  Le désaccord des parties sur ce point est compréhensible. En toute déférence, la deuxième étape du critère Connor Homes n’est pas toujours facile à appliquer. Le critère est facile à appliquer lorsque les parties n’ont pas une intention commune. Il est également facile à appliquer lorsque les parties ont une intention commune et que les facteurs Wiebe Door et Sagaz soit soutiennent cette intention, soit la contredisent fortement. Toutefois, on ne sait pas très bien comment appliquer le critère dans les situations où, à l’instar de l’espèce, ces facteurs mènent à un résultat différent des intentions des parties, mais pas de manière significative.

[13]  Dans un seul paragraphe, la Cour d’appel fédérale appuie résolument la position de l’Institut et celle du défendeur. Le paragraphe 40 est rédigé comme suit :

La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. Comme le rappelait la juge Sharlow au paragraphe 9 de l’arrêt TBT Personnel Services Inc. c. Canada, 2011 CAF 256, 422 N.R.366, « il est également nécessaire d’examiner les facteurs exposés dans Wiebe Door afin de déterminer si les faits concordent avec l’intention déclarée des parties. » Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leurs rapports. Ainsi qu’il est expliqué au paragraphe 64 de l’arrêt Royal Winnipeg Ballet, les facteurs applicables doivent être examinés « à la lumière de » l’intention des parties. Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère des arrêts Wiebe Door et de Sagaz est, ou non, rempli, c’est-à-dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

[14]  Les phrases suivantes de ce paragraphe appuient la prétention de l’Institut selon laquelle la deuxième étape doit être appliquée différemment s’il y a une intention commune :

  • a) « À cette seconde étape, on peut aussi prendre en considération l’intention des parties, ainsi que les modalités du contrat, puisqu’elles influent sur leurs rapports. »

  • b) « [...] les facteurs applicables doivent être examinés “à la lumière de” l’intention des parties. »

[15]  Toutefois, la phrase suivante du paragraphe 40 appuie la position de l’intimé selon laquelle la deuxième étape est simplement une application routinière des facteurs Wiebe Door et Sagaz sans tenir compte des intentions des parties :

Cela dit, cependant, la seconde étape est une analyse des faits pertinents aux fins d’établir si le critère des arrêts Wiebe Door et de Sagaz est, ou non, rempli, c’est-à-dire si la relation qu’ont nouée les parties est, sur le plan juridique, une relation de client à entrepreneur indépendant ou d’employeur à employé.

[16]  Enfin, les phrases suivantes du paragraphe 40 pourraient soutenir l’une ou l’autre interprétation :

  • a) « La seconde étape consiste à établir si la réalité objective confirme l’intention subjective des parties. »

  • b) « L’étape suivante consiste à prendre en considération les facteurs établis dans l’arrêt Wiebe Door pour déterminer si les faits corroborent l’intention exprimée par les parties. »

  • c) « Autrement dit, l’intention subjective des parties ne peut l’emporter sur la réalité de la relation telle qu’établie par les faits objectifs. »

[17]  En toute déférence, les autres paragraphes de l’arrêt Connor Homes font qu’ajouter à l’incertitude. La Cour d’appel fédérale semble soutenir la position de l’intimé lorsqu’elle déclare que « [l]a question centrale à trancher reste celle de savoir si la personne recrutée pour assurer les services le fait, concrètement, en tant que personne travaillant à son compte [7]  ». Pourtant, dans le paragraphe suivant, la Cour semble appuyer la position de l’Institut. La Cour explique que « [l]a première étape de l’analyse doit toujours être de déterminer l’intention des parties puis, en deuxième lieu, d’examiner sous le prisme de cette intention la question de savoir si leurs rapports, concrètement, révèle des rapports d’employeur à employé ou de client à entrepreneur indépendant [8]  ». Ensuite, en appliquant le critère aux faits de l’affaire, la Cour semble une fois de plus soutenir l’interprétation de l’intimé lorsqu’elle déclare que « [l]a question que devait trancher le juge de la Cour de l’impôt était donc de savoir si cette intention contractuelle était confirmée par la réalité, c’est-à-dire si l’effet juridique du contrat était, effectivement, une relation de client à entrepreneur indépendant, ou plutôt une relation d’employeur à employé [9]  ».

[18]  Compte tenu de tout ce qui précède, je préfère l’interprétation de l’Institut de la deuxième étape du critère Connor Homes. Je conclus que les résultats de la première étape influencent l’application de la deuxième étape du critère. En toute déférence, l’interprétation proposée par l’intimé de la deuxième étape est illogique. Si le résultat de la première étape n’avait aucune incidence sur la seconde, à quoi servirait-elle alors? Si la seule question à trancher est celle de déterminer la relation à la lumière des facteurs Wiebe Door et Sagaz, alors pourquoi se donner la peine d’examiner la relation du point de vue des parties? Pour que la première étape ait un sens, le résultat de la première étape doit avoir une incidence sur l’application de la deuxième étape du critère.

[19]  Ayant conclu que la deuxième étape doit être appliquée différemment si les parties avaient une intention commune, je dois ensuite déterminer comment le critère doit être appliqué. Quelles sont les directives de la Cour d’appel fédérale aux juges de première instance lorsqu’elle nous enjoint d’examiner les facteurs Wiebe Door et Sagaz à travers le « prisme » des intentions des parties? Comment les intentions des partis devraient-elles « influencer » la façon dont nous évaluons ces facteurs?

[20]  L’Institut soutient que l’intention des parties doit être plus qu’un simple bris d’égalité. Il soutient que si la Cour d’appel fédérale avait souhaité que l’intention commune joue simplement un rôle de départage, elle l’aurait dit tel quel. Je suis du même avis. Si la Cour d’appel fédérale avait voulu que l’intention soit un simple critère de départage, elle aurait placé les facteurs Wiebe Door et Sagaz au premier rang et aurait ensuite fait de l’intention des parties une deuxième étape à utiliser uniquement en cas d’égalité. Il s’agit exactement de la démarche décrite par le juge au procès dans l’arrêt Connor Homes, qui a été précisément rejetée par la Cour d’appel fédérale.

[21]  Tout comme l’arrêt Connor Homes précise que l’intention n’est pas un facteur déterminant, la décision indique également que l’intention ne doit pas être le seul facteur déterminant. Si la Cour d’appel fédérale avait voulu que l’intention soit le seul facteur déterminant, il n’aurait pas été nécessaire d’examiner la réalité objective de la relation. Il n’y aurait pas de deuxième étape.

[22]  Donc, si le critère est plus qu’un critère de départage et moins que le seul facteur déterminant, de quoi s’agit-il? L’Institut soutient que, dans les circonstances, pour que la deuxième étape ait un sens, le critère à appliquer lorsque les intentions communes des parties sont claires doit comporter une sorte de norme inférieure. Je suis du même avis.

[23]  Si l’intention est plus qu’un critère de départage, elle doit s’appliquer dans une situation où il n’y a pas d’égalité. En d’autres termes, l’intention doit être prise en compte les situations où les facteurs Wiebe Door et Sagaz définissent la relation d’une telle façon, mais que les parties avaient l’intention contraire. De plus, puisque la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que l’intention n’était pas de déterminante, elle ne doit pas s’appliquer dans une situation où les facteurs Wiebe Door et Sagaz établissement fortement la nature d’une relation, mais que les parties avaient des intentions différentes. Considérant ce qui précède, je conclus que l’intention doit être pertinente lorsque les facteurs Wiebe Door et Sagaz établissement la nature d’une relation d’une certaine façon, mais que les parties avaient l’intention qu’elle soit une autre chose et que leur relation réelle est similaire à leur intention.

[24]  Ce raisonnement est étayé par la conclusion de la Cour canadienne de l’impôt dans la décision Porotti c. M.R.N. (« Porotti ») [10] . Cette affaire portait sur une travailleuse qui mettait en place un nouveau système d’évaluation informatisé dans une maison de retraite. La juge Woods, tel était alors son titre, avait appliqué le critère Connor Homes. Elle a d’abord conclu que les parties avaient une intention commune, à savoir que le travailleur est un entrepreneur indépendant. Elle a ensuite appliqué la deuxième étape du critère de Connor Homes. Ce faisant, le juge Woods s’est demandé si la travailleuse avait une possibilité de profit. Elle a constaté que la travailleuse était payée à l’heure, mais qu’elle « excellait dans l’art de mettre en valeur ses aptitudes en matière d’administration » [11] et qu’elle « demandait qu’on lui attribue des tâches connexes et elle acceptait de réaliser ces tâches connexes lorsqu’on lui en attribuait [12]  », ce qui lui permettait d’augmenter le nombre d’heures travaillées. La Cour d’appel fédérale a été claire dans l’affaire City Water International Inc. c. Canada (« City Water ») [13]  : les travailleurs payés à l’heure n’ont aucune possibilité de faire des profits même s’ils ont la possibilité d’augmenter le nombre d’heures qu’ils travaillent. Pourtant, le juge Woods a néanmoins estimé que le facteur chance de profit « [...] milite généralement en faveur de l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant, la vision entrepreneuriale [de la travailleuse] à l’égard de la relation ayant conduit à l’élargissement des tâches qu’elle effectuait pour le compte de [la résidence] [14] ». Il semble que, sans le dire expressément, le juge Woods ait conclu que, parce que les parties avaient une intention commune et que le travailleur a agi de manière entrepreneuriale, comme on peut l’attendre d’un entrepreneur indépendant, le travailleur avait une possibilité de réaliser des profits même si City Water a indiqué que ce n’était pas le cas.

[25]  La décision Porotti a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale. La Cour a conclu que le juge Woods « a arrêté le bon critère juridique, soit celui énoncé par notre Cour dans l’arrêt [Connor Homes] et n’a commis aucune erreur manifeste et dominante en appliquant ce critère aux faits de l’espèce [15]  ». Cette adoption du raisonnement de la juge Woods appuie fortement l’idée selon laquelle lorsque les parties ont une intention commune, la deuxième étape du critère Connor Homes devrait se concentrer sur la question de savoir si les facteurs Wiebe Door et Sagaz révèlent une relation similaire à celle que l’on pourrait attendre de la relation que les parties ont voulu établir.

[26]  Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la deuxième étape du critère Connor Homes doit être appliquée comme suit :

  • a) Lorsque le payeur et le travailleur n’ont pas une intention commune, leur relation sera celle indiquée par les facteurs Wiebe Door et Sagaz.

  • b) Lorsque le payeur et le travailleur ont une intention commune :

  1. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz correspondent à cette intention commune, alors leur relation sera celle qu’ils ont voulue;

  2. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz sont totalement incompatibles avec cette intention commune, alors leur relation sera celle indiquée par ces facteurs;

  3. si les facteurs Wiebe Door et Sagaz sont incompatibles avec cette intention commune, mais que les parties agissent et poursuivent néanmoins leur relation d’une manière similaire à ce que l’on attendrait de leurs intentions, alors leur relation sera celle qu’elles ont voulue.

C.  Critère de l’intégration

[27]  Le critère de l’intégration porte à savoir si les services du travailleur font partie intégrante de l’entreprise du payeur. L’intimé soutient que le critère de l’intégration est un facteur qui devrait être pris en compte à la deuxième étape du critère Connor Homes. Il fait valoir que l’Institut ne pouvait pas offrir de cours sans instructeurs. Il ne s’agit pas un facteur pertinent.

[28]  Le critère de l’intégration est essentiellement disparu depuis plus de 30 ans. Je ne comprends pas pourquoi, de temps en temps, la Couronne continue de l’invoquer comme facteur dans les affaires concernant les employés et les entrepreneurs indépendants.

[29]  Dans l’arrêt Wiebe Door, la Cour d’appel fédérale a rejeté le critère de l’intégration pour le motif que, du point de vue du payeur, le critère tendait à fausser artificiellement la détermination vers une conclusion selon laquelle le travailleur était un employé. La Cour a reformulé le critère en posant la question générale [traduction] « À qui appartient l’entreprise? [16]  » La Cour a ensuite adopté, comme caractérisation plus appropriée du même critère, le critère énoncé dans la décision Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security [17] , à savoir : [traduction« la personne qui s’est engagée à fournir ces services les fournit-elle en tant que personne exerçant une activité commerciale pour son propre compte? » [18] Ce faisant, la Cour a effectivement éliminé le critère de l’intégration. Le raisonnement de la Cour d’appel fédérale a été repris par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sagaz.

[30]  Compte tenu de tout ce qui précède, il n’y a aucune situation dans laquelle j’aurais besoin d’examiner si les services de M. Barlow faisaient partie intégrante des activités de l’Institut.

D.  Application du critère Connor Homes

[31]  Après avoir déterminé le critère applicable à l’espèce, je maintenant procéder à l’application de critère aux faits du présent appel.

[32]  Il y avait deux témoins au procès : M. Barlow et Peter Hohman. M. Hohman est le directeur général de l’Institut et le chef de direction de l’Institut d’assurance du Canada. M. Barlow et M. Hohman étaient, selon moi, des témoins crédibles. Cela dit, M. Hohman et M. Barlow souhaitaient tous deux que l’appel aboutisse au même résultat; toutefois, j’estime que le témoignage de M. Hohman était plus intéressé que celui de M. Barlow. En cas de conflit entre leurs témoignages, j’ai préféré celui de M. Barlow.

Intention commune

[33]  Les parties conviennent que l’Institut et M. Barlow ont une intention commune, à savoir que M. Barlow est un entrepreneur indépendant. Cette intention a été démontrée à la fois dans les contrats signés par l’Institut et M. Barlow et dans les témoignages qui m’ont été présentés. Nul n’a suggéré que M. Barlow avait été contraint de signer les contrats ou qu’il ne comprenait pas ce que signifiait le fait d’accepter de travailler comme entrepreneur indépendant.

[34]  Compte tenu de cette intention commune, je dois maintenant déterminer dans quelle mesure les facteurs Wiebe Door et Sagaz sont conformes à cette définition.

Contrôle

[35]  Comme susmentionné, M. Barlow donne les cours proposés par l’Institut. Les étudiants suivent les cours pour se préparer à une série d’examens nationaux qu’ils doivent passer s’ils veulent obtenir le titre de professionnel d’assurance agréé. Les cours ne sont pas obligatoires, mais les examens le sont. Certains étudiants se préparent aux examens de manière autonome, et d’autres font usage des cours offerts par l’Institut ou l’un de ses concurrents.

[36]  M. Barlow est lui-même un professionnel d’assurance agréé et travaille dans le secteur des assurances. Il donne des cours pour l’Institut le soir et la fin de semaine.

[37]  Au cours de la période en question, M. Barlow a donné deux cours différents. Un cours a été dispensé en ligne et l’autre en classe. Le cours en ligne était donné un soir de semaine pendant onze ou douze semaines à raison de trois heures par soir et était proposé trois fois par an. Le cours en classe était dispensé sur deux fins de semaine consécutives. Il était aussi offert trois fois par an.

[38]  M. Barlow concluait un nouveau contrat avec l’Institut pour chaque cours qu’il donnait. L’Institut établissait le calendrier des cours qu’il souhaitait offrir chaque trimestre et cherchait ensuite des instructeurs pour ces cours. Au début, M. Barlow aurait eu à examiner le calendrier proposé et sélectionner les cours auxquels il souhaitait soumettre sa candidature d’instructeur en fonction de ce calendrier. Toutefois, à mesure que M. Barlow gagnait en expérience et en réputation, l’Institut a commencé à prendre en compte sa disponibilité dans le cadre du processus de fixation du calendrier. Je pense qu’il serait juste de dire qu’au moment où la période en question est arrivée, l’Institut a offert les deux cours donnés par M. Barlow à des moments où il savait que M. Barlow était disponible, et M. Barlow avait une attente raisonnable d’être retenu pour les donner. Cela dit, il est clair que l’Institut ne pouvait pas obliger M. Barlow à donner un cours donné ou à donner à un moment donné. S’il décidait de refuser le travail, cela pourrait avoir une incidence sur ses possibilités de travail ultérieures, mais le choix lui revenait.

[39]  Les heures des cours aient été établies par le contrat, mais M. Barlow avait la possibilité de les modifier légèrement en fonction des circonstances. Il pouvait, par exemple, commencer un cours tôt ou tard un soir pour répondre à ses besoins ou à ceux de ses élèves. Il n’avait pas besoin de demander l’autorisation de l’Institut avant de le faire.

[40]  Le contenu des cours était dicté par l’examen en question auquel les étudiants se préparaient. L’Institut est une section provinciale de l’Institut d’assurance du Canada (l’« Institut national »). L’Institut national fixait les examens et fournissait un manuel et un guide de ressources pour les étudiants pour chaque examen. Cela permettait aux étudiants qui n’ont pas suivi de cours par l’intermédiaire de l’Institut ou d’autres prestataires de se préparer aux examens par eux-mêmes. Comme les examens étaient fondés sur les manuels scolaires et que l’objectif des cours dispensés par M. Barlow était de préparer les étudiants aux examens, le contenu des cours était effectivement fixé par le contenu du manuel pédagogique concerné. Selon moi, le fait que l’Institut ait engagé M. Barlow pour donner un cours portant sur un certain sujet n’est pas plus une indication de contrôle que le fait que l’embauche d’un plombier pour installer un évier donné dans une pièce précise de ma maison. Le contenu du cours, à l’instar du type et de l’emplacement de l’évier, figure simplement parmi les paramètres du travail.

[41]  M. Barlow avait un contrôle total sur la façon dont il enseignait le programme. L’Institut n’a ni révisé ses plans de cours ni contrôlé son enseignement. Il a préparé l’examen de mi-parcours et les éventuels questionnaires, exercices en classe et devoirs écrits. Ce niveau de contrôle est courant chez les professionnels et, en particulier, chez les enseignants, de sorte qu’il ne s'agit pas selon moi d’un indicateur important de la partie qui exerce le contrôle.

[42]  L’Institut a toutefois exercé un certain contrôle sur le système de notation utilisé par M. Barlow. Le contrat exigeait que l’examen de mi-session représente 60 % de la note du cours et qu’il couvre au moins 50 % du manuel. Le contrat ne précisait pas la partie du manuel qui devait être couverte. M. Barlow décidait de la répartition des 40 % de la note restants. L’intimé met beaucoup l’accent sur ces restrictions. Elles ne sont pas significatives à mon avis. Pour moi, il ne s’agit guère plus que d’établir les paramètres de l’emploi. Ma conclusion est la même relativement à l’obligation de présenter les notes des examens de mi-session et des cours à certaines dates.

[43]  Les contrats entre l’Institut et M. Barlow autorisaient l’une ou l’autre des parties à mettre fin à leur relation pour quelque raison que ce soit moyennant un préavis écrit de 14 jours. L’Institut pouvait mettre fin à la relation pour violation des dispositions des contrats. Je ne sais pas trop quoi penser de ces dispositions de résiliation, car curieusement, les contrats ne précisaient pas si M. Barlow devait être payé en cas de résiliation et, dans l’affirmative, comment cette rémunération devait être calculée. Sans cette information clé, je ne peux pas dire si les dispositions de résiliation ressemblent à celles d’un employé ou d’un entrepreneur indépendant.

[44]  Selon ces contrats, il était interdit à M. Barlow de faire des enregistrements vidéo ou audio de ses cours sans l’accord écrit de l’Institut. Cette disposition avait pour but de garantir qu’un instructeur ne puisse pas prendre un travail qu’il a été payé par l’Institut et le mettre ensuite à la disposition d’autres personnes contre rémunération. M. Barlow est libre de donner ailleurs et d’utiliser ses leçons ailleurs, mais il ne peut pas enregistrer le travail qu’il fait pour l’Institut et ensuite vendre ce produit ailleurs. Je ne considère pas cette restriction comme une preuve de contrôle de la part de l’Institut. Je considère plutôt cela comme une preuve que l’Institut essayait de s’assurer qu’il ne payait pas indirectement M. Barlow pour entrer en concurrence avec lui. On peut supposer que l’Institut voudrait se protéger de cette manière, peu importe la relation qu’il entretient avec M. Barlow, qu’il s’agisse d’une relation d’emploi ou d’une relation avec un entrepreneur indépendant. En tout état de cause, M. Barlow a indiqué qu’il enregistrait de temps en temps ses cours en ligne à l’avance et les mettait à la disposition de ses élèves. Il l’a fait dans des situations où il savait qu’il serait incapable de donner une leçon précise à l’heure prévue. M. Barlow a témoigné qu’il n’avait pas obtenu d’autorisation préalable.

[45]  L’intimé souligne que, conformément aux contrats, l’Institut avait le droit de vérifier et de voir les cours de M. Barlow. L’intimé soutient que cela montre un fort élément de contrôle. Je ne suis pas de cet avis. La disposition en question n’entre en jeu que si l’Institut a d’abord reçu une plainte écrite officielle d’un étudiant au sujet de M. Barlow et a décidé d’enquêter sur cette plainte. Cela indique que, dans toutes les autres circonstances, l’Institut n’avait pas le droit de vérifier ou de voir les cours de M. Barlow. En exposant les circonstances inhabituelles dans lesquelles l’Institut avait ce droit, les parties ont en fait montré que, dans des circonstances normales, l’Institut n’exerçait pas de contrôle sur la classe.

[46]  Je suis troublé par certaines parties des contrats entre l’Institut et M. Barlow qui ressemblent davantage à un manuel de l’employé qu’à un contrat avec un entrepreneur indépendant. Les comportements interdits sont notamment de ne pas manger en classe, de ne pas faire de commérages sur l’Institut, de ne pas donner sous l’influence de drogues ou d’alcool, de ne pas faire de remarques discriminatoires, de ne pas se livrer à du harcèlement, de ne pas blesser physiquement les étudiants, de ne pas avoir de relations sexuelles avec les étudiants, de ne pas accepter de pots-de-vin des étudiants, de ne pas tromper intentionnellement les étudiants et de ne pas diffamer l’Institut, le programme d’agrément des professionnels d’assurance ou le secteur des assurances. Prises dans leur ensemble, ces restrictions se résument à une seule règle : agir de manière professionnelle. Si le contrat avait simplement stipulé que M. Barlow devait agir à tout moment de manière professionnelle, je n’aurais pas estimé que cela avait une quelconque importance. Toutefois, le fait que l’Institut ait jugé nécessaire d’expliciter ces termes suggère un désir de la part de l’Institut de maintenir un niveau de contrôle plus élevé sur les actions de M. Barlow. Cette liste est constituée en grande partie de comportements qu’on verrait rarement figurer dans un contrat avec un entrepreneur indépendant. Lorsque j’engage un plombier pour réparer mon évier, je ne me demande pas s’il faut inclure dans notre accord une disposition stipulant que le plombier ne doit pas agresser physiquement les membres de mon ménage ou être sous l’emprise de la cocaïne lorsqu’il effectue son travail. Il est évident que si le plombier ne se comporte pas de manière professionnelle, je résilierai notre contrat. Je suis particulièrement troublé par le fait que les contrats de l’Institut stipulent que l’instructeur ne doit pas [traduction] « contrevenir à d’autres règles qui pourraient être mises en place par l’Institut de manière ponctuelle [19]  ». Cette disposition d’une durée indéterminée suggère une volonté importante de la part de l’Institut de maintenir le contrôle.

[47]  M. Barlow était payé à la fin de chaque cours [20] . Cela indique fortement qu’il existe une relation d’entrepreneur indépendant. Les employés n’acceptent généralement pas d’être payés une fois tous les trois mois.

[48]  Je devrais également mentionner les éléments de contrôle qui étaient absents de la relation. Il n’y a pas eu d’examen annuel du rendement de M. Barlow. Il n’a pas assisté aux réunions du personnel. Il avait le loisir d’utiliser une banque de ressources grâce à laquelle différents instructeurs pouvaient échanger des idées de cours; toutefois, il n’était pas tenu d’y contribuer ni d’utiliser ces ressources.

[49]  Dans l’ensemble, je trouve que le facteur de contrôle ne favorise ni une relation d’employé ni une relation d’entrepreneur indépendant. Bien que je sois préoccupé par le degré de contrôle que l’Institut semble avoir essayé d’exercer au moyen de ses interdictions détaillées, il n’en demeure pas moins que la majeure partie de ces dispositions équivalaient ni plus ni moins à une exigence de professionnalisme normal. Je conclus que ce degré de contrôle accru est contrebalancé par le fait que M. Barlow était seulement payé tous les quelques mois et qu’il avait la possibilité de refuser de travailler.

Propriété des instruments de travail

[50]  Comme susmentionné, une grande partie de l’enseignement de M. Barlow se faisait en ligne. Lorsqu’il enseignait en ligne, M. Barlow travaillait dans un coin de son sous-sol réservé à cette activité. Il se connectait à Internet à l’aide de son ordinateur portable et d’une connexion Internet et parlait aux étudiants au moyen d’un casque acquis spécialement à cette fin.

[51]  M. Barlow a utilisé son ordinateur portable, son imprimante et son numériseur pour préparer ses cours en ligne et en classe. Il a préparé et conservé la propriété de toutes les diapositives, les documents, les feuilles de travail et les exercices qu’il a utilisés dans ses leçons. Comme il donnait les mêmes cours session après session, il réutilisait régulièrement ce matériel.

[52]  L’Institut a fourni le manuel et le guide de ressources pour les étudiants pour les cours. Afin de protéger l’intégrité du processus d’examen de mi-session, l’Institut a insisté pour que M. Barlow lui accorde la propriété de toutes les questions d’examen de mi-session qu’il a préparées. Cela n’a toutefois pas empêché M. Barlow de réutiliser ces questions dans de futurs examens.

[53]  L’Institut a fourni les installations dans lesquelles les cours ont été dispensés. Les cours ont été dispensés dans une salle de classe prévue à cet effet dans les bureaux locaux de l’Institut. Les leçons en ligne ont été coordonnées par l’intermédiaire du site Web de l’Institut.

[54]  Dans l’ensemble, je trouve que le facteur sur la propriété des outils est neutre, ne favorisant ni une relation de travail ni une relation d’entrepreneur indépendant. Les deux parties fournissent les principaux outils nécessaires à l’exercice de la fonction.

Possibilité de profit

[55]  D’après mon expérience, le facteur de la possibilité de profit est souvent celui où les difficultés d’application du critère Connor Homes sont les plus évidentes et où elles risquent le plus d’influencer le résultat.

[56]  M. Barlow percevait une somme fondée sur le nombre d’étudiants inscrits à chaque cours. Il y avait une échelle mobile. M. Barlow recevait 1 680 $ pour des groupes de 9 à 22 étudiants, 1 735 $ pour des groupes de 23 à 30 étudiants et 1 935 $ pour des groupes de 31 étudiants ou plus. Ces tarifs couvraient le temps d’enseignement de M. Barlow ainsi que son temps de préparation et de notation. Le barème des paiements représente le fait que les classes comptant un plus grand nombre d’étudiants nécessitent plus de temps pour la notation.

[57]  Les contrats décrivent les frais comme des « honoraires ». Le témoin de l’Institut, Peter Hohman, a également utilisé ce terme. Il a décrit les instructeurs comme des [traduction] « volontaires » qui enseignaient parce qu’ils voulaient redonner à l’industrie et donner aux gens qui leur succéderaient. Je n’accepte pas cette explication [21] . Il ne s’agit pas de professionnels qui ont donné de leur temps pour faire une présentation lors d’une conférence de l’industrie ou pour encadrer de jeunes professionnels dans leur domaine. Il s’agissait de travailleurs qui recevaient ce qui semble avoir été une somme raisonnable pour l’enseignement. Les sommes versées étaient peut-être inférieures à ce que les instructeurs gagnaient dans le cadre de leur emploi à plein temps dans le secteur des assurances, mais elles ne pouvaient en aucun cas être considérées comme une simple marque d’appréciation.

[58]  On a avancé que M. Barlow aurait pu engager un assistant pour l’aider à corriger les examens de mi-session; il semble peu probable qu’il l’ait fait. De même, s’il était techniquement possible pour M. Barlow de sous-traiter le travail à un autre instructeur, dans les rares cas où cela s’est produit, il s’agissait plus d’un échange de postes entre deux travailleurs que d’une véritable sous-traitance. L’instructeur remplaçant a reçu exactement la même somme d’argent que celle que M. Barlow aurait reçue. La transaction ne comportait aucun élément de profit. Il n’a certainement pas été suggéré que M. Barlow aurait pu conclure des contrats pour donner dix cours différents et ensuite sous-traiter ces cours à d’autres instructeurs à un taux réduit et tirer un profit de leur travail.

[59]  Dans l’ensemble, je trouve que M. Barlow n’a pas eu une véritable possibilité de profit. Comme ses dépenses étaient minimes, la seule véritable façon pour M. Barlow de faire plus de profit était d’augmenter ses revenus. Il n’avait aucun contrôle sur le nombre d’étudiants qui s’inscrivaient à ses cours. Il n’était pas autorisé à faire de la publicité pour ses cours ou à encourager les étudiants d’un cours à s’inscrire à un autre cours qu’il allait donner. La seule façon pour lui d’augmenter ses revenus était de donner plus de cours. La possibilité de travailler davantage n’est pas une véritable possibilité de profit.

[60]  Il s’agit d’un excellent exemple de la difficulté d’appliquer le critère Connor Homes dans la pratique. Si j’examinais ce facteur d’un point de vue purement objectif, je conclurais qu’il penche en faveur de l’existence d’une relation d’emploi. Toutefois, comme je dois appliquer une norme inférieure, je dois déterminer si l’Institut et M. Barlow ont agi et ont poursuivi leur relation d’une manière similaire à celle qui existerait avec un entrepreneur indépendant.

[61]  M. Barlow travaille avec l’Institut depuis 2008. Au début, il donnait divers cours, mais il a fini par acquérir l’expérience et la réputation nécessaires pour donner des cours qui étaient proposés chaque trimestre et qui attiraient régulièrement un grand nombre d’étudiants. Ce faisant, il a maximisé la fréquence de ses contrats et le montant de ses revenus. Une fois qu’il s’est établi comme instructeur pour ces cours privilégiés, il a travaillé fort pour préparer des contenus de cours qui lui permettraient de maximiser son taux horaire final. Il s’agit exactement du comportement auquel on attend de la part d’un entrepreneur indépendant. Comme M. Barlow enseigne désormais les mêmes cours session après session, ses heures de préparation sont relativement faibles par rapport à ses heures d’enseignement. Cependant, elles le sont seulement, car il y a des années, lorsqu’il a commencé à donner ces cours, il a investi un temps considérable dans l’élaboration de ses plans de cours et la préparation de chaque leçon individuelle. Cet investissement initial a été payant. Étant donné que M. Barlow était payé par cours et non à l’heure, le salaire horaire résultat lorsqu’il a donné son premier cours était probablement inférieur au salaire minimum. Pourtant, des années plus tard, son investissement lui a permis de gagner un taux horaire équivalant à deux ou trois fois cette somme. Il s’agit d’une situation semblable à celle d’un avocat qui se constitue une banque de gabarits afin de pouvoir gagner un taux horaire effectif plus élevé en travaillant plus efficacement. En s’appuyant sur ses contenus, il peut préparer un contrat de 1 000 dollars en une heure au lieu de trois.

[62]  Lorsque l’Institut national modifiait le manuel d’un de ses cours ou que le gouvernement changeait les règles d’assurance applicables, M. Barlow devait mettre à jour ses leçons en conséquence. Cependant, le temps supplémentaire qu’il y a consacré a continué à lui profiter dans ses futurs cours. Ce risque de voir son taux horaire final diminuer à court terme est le même que celui auquel est confronté un avocat qui, après avoir accepté de préparer un contrat de 1 000 dollars, découvre par la suite que son client a besoin d’une disposition unique et compliquée qui ne figure pas dans ses gabarits de l’avocat. Le taux horaire final de l’avocat sera inférieur pour ce contrat, mais son système de gabarits s’enrichira et il pourra être plus efficace la prochaine fois que le problème se posera.

[63]  M. Barlow n’a pas augmenté ses profits en prenant d’autres clients ou d’autres cours parce qu’il avait une famille et un emploi à plein temps. M. Barlow a travaillé dur pour gagner le plus d’argent possible pendant le temps qu’il devait consacrer à son enseignement. L’absence de croissance de ses profits n’est pas attribuable à un manque d’esprit d’entreprise ou à une restriction de sa capacité à chercher du travail auprès de concurrents de l’Institut.

[64]  En résumé, bien que M. Barlow n’avait pas une réelle possibilité de profit, je conclus qu’il avait la possibilité d’augmenter ses revenus réels par un investissement initial et des gains d’efficacité d’une manière similaire à celle d’un entrepreneur indépendant. Il avait également la possibilité d’offrir ses services à des concurrents et de négocier un taux de rémunération plus élevé. Pour ces motifs, en appliquant ce que je comprends comme étant le critère Connor Homes, je conclus que ce facteur penche en faveur de l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant.

Risque de pertes

[65]  M. Barlow n’a pas été confronté à un risque réel de perte financière. Les dépenses qu’il a engagées pour les outils qu’il a fournis étaient principalement des dépenses qu’il aurait engagées dans sa vie personnelle de toute façon. Il a également utilisé son ordinateur portable, son imprimante, son numériseur et sa connexion Internet à des fins personnelles. Il aurait pu risquer de subir des pertes financières s’il achetait un nouvel ordinateur portable et apprenait finalement que l’Institut ne souhaitait plus travailler avec lui, mais à mon avis, le risque était relativement faible, surtout si l’on examine cet élément à long terme.

[66]  Il s’agit d’un autre excellent exemple de la difficulté d’appliquer le critère Connor Homes dans la pratique. Si j’examinais ce facteur d’un point de vue purement objectif, je conclurais qu’il penche en faveur de l’existence d’une relation d’emploi. M. Barlow a fait le même travail pour l’Institut pendant plus de dix ans. Ses contrats étaient renouvelés régulièrement, ses dépenses étaient faibles et, par conséquent, il courait seulement un faible risque réel de perte. Toutefois, comme je dois appliquer une norme inférieure, je dois déterminer si l’Institut et M. Barlow ont agi et ont poursuivi leur relation d’une manière similaire à celle qui existerait avec un entrepreneur indépendant.

[67]  Je conclus que le risque relativement mineur de perte financière auquel M. Barlow a été confronté est néanmoins conforme à l’intention des parties de faire de lui un entrepreneur indépendant. M. Barlow n’a pas été payé pour les cours annulés malgré le temps qu’il a passé à les préparer. Si M. Barlow s’est préparé pour un cours qui a été annulé à la dernière minute parce que trop peu d’élèves se sont inscrits ou pour toute autre raison, il a non seulement perdu son temps, mais il a également perdu la possibilité de conclure un contrat pour donner d’autres cours à sa place. M. Barlow était rémunéré en fonction du nombre d’étudiants inscrits dans ses classes. Si le nombre d’étudiants inscrits est inférieur à celui prévu, il gagne moins d’argent. Bien que M. Barlow ait bénéficié d’un travail régulier avec l’Institut, celui-ci n’était pas obligé de continuer à travailler avec lui. Bien qu’aucun de ces éléments ne constitue un véritable risque de perte financière, ils représentent potentiellement une perte de temps pour M. Barlow, un paiement insuffisant pour ses services ou une perte totale de revenus. Ces éléments s’apparentent à un risque de perte. Pour ces motifs, en appliquant ce que je comprends être le critère Connor Homes, je conclus que ce facteur penche en faveur de l’existence d’une relation d’entrepreneur indépendant.

E.  Conclusion

[68]  La question générale à laquelle je dois répondre est la suivante : M. Barlow exerçait-il une activité pour son propre compte? Si j’appliquais simplement les facteurs Wiebe Door et Sagaz aux faits qui m’ont été présentés, je conclurais que M. Barlow n’exerçait pas d’activités pour son propre compte. Ces facteurs, appliqués objectivement, indiquent qu’il était un employé. Les facteurs de contrôle et de propriété des outils sont neutres, mais M. Barlow n’avait aucun risque réel de perte et aucune réelle possibilité de profit.

[69]  Toutefois, pour que le critère en deux étapes établi dans l’arrêt Connor Homes ait un sens, il faut appliquer un critère différent lorsque le travailleur et le payeur ont une intention commune. Je conclus que, puisque M. Barlow et l’Institut avaient une intention commune, je dois appliquer une norme moindre et examiner si l’Institut et M. Barlow ont agi et poursuivi leur relation d’une manière similaire à celle d’un entrepreneur indépendant. Je conclus que c’est ce qu’ils ont fait. Le degré de contrôle de M. Barlow, la propriété des outils, le risque de perte et la possibilité de profit sont semblables à ce que l’on attendrait d’un entrepreneur indépendant. Il a mené ses affaires de manière entrepreneuriale et professionnelle.

[70]  Compte tenu de tout ce qui précède, l’appel est accueilli et la question est renvoyée au ministre au motif que M. Barlow était un entrepreneur indépendant durant les périodes en question.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juillet 2020.

« David E. Graham »

Le juge Graham


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 69

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2019-2877(EI)
2019-2878(CPP)

INTITULÉ :

INSTITUT D’ASSURANCE DE L’ONTARIO c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 janvier 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 juillet 2020

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Mark Tonkovich

Avocat de l’intimé :

Me Michael Ding

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Mark Tonkovich

 

Cabinet :

Blake, Cassels & Graydon LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1]   2013 CAF 85.

[2]   2001 CSC 59, paragraphe 47.

[3]   Connor Homes au paragraphe 39.

[4]   Connor Homes au paragraphe 40.

[5]   1986 CarswellNat 366.

[6]   Connor Homes au paragraphe 40.

[7]   Connor Homes au paragraphe 41.

[8]   Connor Homes au paragraphe 42.

[9]   Connor Homes au paragraphe 43.

[10]   2014 CCI 267.

[11]   Porotti (CCI) au paragraphe 15.

[12]   Porotti (CCI) au paragraphe 15.

[13]   2006 CAF 350, au paragraphe 24.

[14]   Porotti (CCI) au paragraphe 23.

[15]   Porotti c. Canada, 2016 CAF 29, au paragraphe 2.

[16]   Wiebe Door, au paragraphe 16.

[17]   [1968] 3 All E.R. 732 à 737-738.

[18]   Wiebe Door, au paragraphe 17.

[19]   Pièce A-1, paragraphe 5.1.

[20]   Il n’y a pas eu de témoignage verbal sur ce point et le ministre n’a pas formulé d’hypothèse de fait sur la fréquence des paiements. Le contrat entre l’Institut et M. Barlow est étrangement silencieux sur ce point. La seule preuve que j’ai est la réponse de M. Barlow à une question d’un questionnaire de l’ARC qui a été produit en preuve (pièce A-2). M. Barlow a signé ce questionnaire lorsqu’il l’a rempli. Il a confirmé que ses réponses étaient exactes en interrogatoire en chef. Aucune de ces réponses n’a été contestée au cours du contre-interrogatoire. Dans ces circonstances, c’est la meilleure preuve que j’ai de la date à laquelle il est payé.

[21]   Je constate que M. Barlow n’a adopté aucune de ces expressions.

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