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Dossier : 2014-1537(IT)G

 

ENTRE :

AGRACITY LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12 et 13 décembre 2018, les 28, 29, 30 et 31 janvier 2019, le 1er février 2019, les 15, 16 et 17 juillet 2019 à Toronto (Ontario) et les 18, 19 et 20 septembre 2019 à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Justin Kutyan

Me Martin Gentile

Me Kristen Duerhammer

Avocats de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

Me Vincent Bourgeois

Me John Krowina

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2007 et 2008 est accueilli, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 27e jour d’août 2020.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’août 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Dossier : 2014-1526(IT)G

 

ENTRE :

101072498 SASKATCHEWAN LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12 et 13 décembre 2018, les 28, 29, 30 et 31 janvier 2019, le 1er février 2019, les 15, 16 et 17 juillet 2019 à Toronto (Ontario) et les 18, 19 et 20 septembre 2019 à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle

Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Justin Kutyan

Me Martin Gentile

Me Kristen Duerhammer

Avocats de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

Me Vincent Bourgeois

Me John Krowina

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2006 et 2007 est accueilli, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Montréal (Québec), ce 27e jour d’août 2020.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’août 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2020 CCI 91

Date : 20200827

Dossiers : 2014-1537(IT)G

2014-1526(IT)G

ENTRE :

AGRACITY LTD.,

101072498 SASKATCHEWAN LTD.,

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1] Ces deux appels connexes sont interjetés par AgraCity Ltd. (« AgraCity ») et 101072498 Saskatchewan Ltd. (« SaskCo »), deux sociétés liées. Les deux sociétés font partie du groupe de sociétés Farmers of North America (le « groupe FNA »). Les sociétés du groupe FNA sont en fin de compte contrôlées par James Mann ou son frère Jason Mann. AgraCity est une société en propriété exclusive de Jason Mann. SaskCo appartient indirectement et à parts égales à James Mann et à Jason Mann par l’intermédiaire de leurs sociétés de portefeuille.

[2] AgraCity a conclu un contrat de services avec NewAgco Inc., une société commerciale internationale barbadienne ayant un lien de dépendance avec elle (« NewAgco Barbados ») au cours des années visées, dans le cadre de la vente par NewAgco Barbados directement à des agriculteurs canadiens utilisateurs d’un herbicide à base de glyphosate (« ClearOut ») (qui est une version générique du produit RoundUp de Bayer-Monsanto).

[3] Lors de l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard d’AgraCity pour ses années d’imposition 2007 et 2008 [1] , l’Agence du revenu Canada (« Agence ») s’est appuyée sur les règles relatives aux prix de transfert des alinéas 247(2)a) et c) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi » ) et a réattribué au revenu d’AgraCity une somme égale à la totalité des profits de NewAgco Barbados provenant de ces activités de vente.

[4] Dans sa réponse modifiée devant notre Cour, la thèse de l’intimée est la suivante :

[traduction]

1. les dispositions relatives au prix de transfert des alinéas 247(2)a) et c) justifient les nouvelles cotisations, y compris la réattribution de la totalité des profits des ventes au revenu d’AgraCity;

2. les dispositions relatives au prix de transfert des alinéas 247(2)b) et d) permettent de qualifier de nouveau les opérations, car une partie sans lien de dépendance, contrairement à AgraCity, n’aurait pas accordé à NewAgco Barbados le droit de participer aux opérations ou de réaliser les profits;

3. les opérations visées ne sont rien d’autre qu’un trompe-l’œil ou un artifice destiné à amener l’Agence à conclure que c’est NewAgco Barbados, et non AgraCity, qui exerçait l’activité de vente et qui encourait des risques réels.

[5] Au début du procès, l’intimée a indiqué qu’elle estimait initialement qu’il s’agissait d’un artifice.

[6] Après que les éléments de preuve ont été obtenus, l’intimée a précisé dans ses observations écrites que son premier argument subsidiaire serait une nouvelle qualification en application des alinéas 247(2)b) et d) et qu’un redressement du prix de transfert aux termes des alinéas 247(2)a) et c) constituerait son deuxième argument subsidiaire.

[7] Les éléments suivants ont en somme inversé l’ordre de ces trois fondements sur lesquels reposent les nouvelles cotisations d’AgraCity :

1. désormais, la thèse principale de l’intimée porte que les opérations étaient un artifice ou un trompe-l’œil;

2. subsidiairement, les alinéas 247(2)b) et d) s’appliquent pour qualifier de nouveau les opérations;

3. subsidiairement encore, les alinéas 247(2)a) et c) donnent lieu à un redressement du prix de transfert.

[8] On a imposé de nouveau à AgraCity des pénalités relatives aux prix de transfert en application du paragraphe 247(3) concernant les redressements. AgraCity admet qu’elle ne peut pas invoquer une défense de diligence raisonnable à l’égard de cette disposition, car elle n’a pas satisfait au critère préalable de documentation contemporaine pour être en mesure de formuler un tel argument.

[9] En outre, AgraCity s’est vu imposer une pénalité que l’on appelle pénalité pour faute lourde en application du paragraphe 163(2) concernant le même rajustement du revenu pour le motif qu’elle a délibérément sous-estimé son revenu.

[10] SaskCo a fait l’objet de nouvelles cotisations pour ses années d’imposition 2006 et 2007 [2] pour le motif que les profits de sa société étrangère affiliée et contrôlée NewAgco Barbados constituaient un revenu étranger accumulé tiré de biens ou REATB. SaskCo s’est également vu imposer une pénalité pour production tardive en application du paragraphe 162(1). Les nouvelles cotisations à l’égard de SaskCo étaient des nouvelles cotisations protectrices établies par l’intimée comme des cotisations subsidiaires qu’il convenait d’établir si AgraCity obtenait gain de cause en appel. L’intimée a clairement indiqué qu’elle ne cherchait pas à obtenir gain de cause à la fois face à AgraCity et à SaskCo [3] .

[11] Dans les observations écrites de l’intimée qui ont été déposées à la suite de la conclusion de la présentation des éléments de preuve et plusieurs jours avant la plaidoirie, la Cour et les appelantes ont été informées qu’elle reconnaissait le bien-fondé de l’appel interjeté par SaskCo. Le motif invoqué était qu’il n’y avait pas d’élément de preuve capable d’étayer une conclusion selon laquelle NewAgco Barbados avait un lien de dépendance avec ses clients agriculteurs canadiens ou que NewAgco Barbados vendait l’herbicide ClearOut à AgraCity qui, à son tour, le vendait à des utilisateurs agricoles. En conséquence, l’appel interjeté par SaskCo est accueilli, avec dépens [4] .

[12] Dans les motifs ci-après, toute mention de l’appelante est une mention d’AgraCity.

[13] Aucune autre société canadienne appartenant au groupe FNA n’a fait l’objet de nouvelles cotisations pour inclure dans son revenu les profits provenant des ventes de l’herbicide ClearOut ou tout autre montant relatif aux opérations auxquelles NewAgco Barbados a participé aux termes des règles en matière de prix de transfert à l’article 247, ou résultant de l’artifice allégué par l’intimée ou relatif à tout avantage conféré ou reçu, ou autrement.

[14] L’intimée ne s’est pas appuyée sur la règle générale anti-évitement RGAE énoncée à l’article 245 de la Loi, bien que les alinéas 247(2)b) et d) indiquent une règle précise anti-évitement qui est fondée en partie sur des notions quelque peu similaires.

[15] Par l’intermédiaire d’abord des nouvelles cotisations établies par l’intimée, puis dans les actes de procédure des parties, ces dernières ont défini devant notre Cour le litige. Il n’appartient pas à notre Cour de modifier l’objet du litige.

[16] La thèse de l’appelante a consisté à réfuter les hypothèses clés de l’intimée qui sont principalement celles portant sur (i) l’achat et la vente par NewAgco Barbados de l’herbicide ClearOut, (ii) la légitimité du contrat de services, (iii) les risques assumés par NewAgco Barbados dans le cadre des opérations, p. ex. les stocks, la monnaie étrangère et (iv) le fait que NewAgco Barbados est une partie clé qui a participé aux opérations qui ont apporté une valeur réelle, p. ex. l’approvisionnement de l’herbicide ClearOut [5] .

Les principes du droit fiscal et les dispositions pertinentes

1) Artifice ou trompe-l’œil

[17] La question de savoir si la structure de vente constituait un artifice exige que la Cour détermine si AgraCity a conclu des accords et des opérations qui visaient à tromper autrui, principalement l’intimée, afin de lui faire croire que les droits et les obligations entre l’appelante et les parties liées étaient différents de ce qu’ils étaient en réalité. La tromperie peut être évidente lorsque l’on examine la façon dont les opérations ont été conçues et réalisées : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada [1998] 2 RCS 298, au paragraphe 20.

[18] La définition classique d’un trompe-l’œil est exposée dans l’arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd., [1967] 1 All ER. 518. Plus récemment, la notion d’un trompe-l’œil a été indiquée par notre Cour dans les décisions Cameco Corporation c. La Reine, 2018 CCI 195 et Paletta c. La Reine, 2019 CCI 205 [6] . Dans l’appel infructueux interjeté par l’intimée à l’encontre de la décision Cameco auprès de la Cour d’appel fédérale [7] , la décision du juge Owen devant notre Cour, selon laquelle les opérations en question ne constituaient pas un trompe-l’œil, n’a pas été contestée.

[19] Dans la décision Paletta, le juge Hogan a écrit ce qui suit concernant l’acceptation et l’interprétation par la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada de la définition de trompe-l’œil dans l’arrêt Snook applicable en droit fiscal canadien :

[121] Il semble qu'il n'y a pas controverse entre les parties quant au sens du mot « trompe-l’œil ». Elles ont toutes les deux cité l’arrêt Snook v. London & West Riding Investments, Ltd57. Dans l’arrêt Snook, le lord juge Diplock a observé que l’expression « trompe-l’œil » :

[...] signifie des actes faits ou des documents signés par les parties à la « frime », dans l’intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu’ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s’il en est) que les parties ont l’intention de créer. Je crois qu’il y a cependant une chose qui est claire sur le plan des principes juridiques, de la moralité et de la jurisprudence [...] pour qu’un acte ou un document constitue un « trompe-l’œil » – avec les conséquences juridiques qui peuvent en découler – toutes les parties à cet acte ou à ce document doivent avoir l’intention commune de ne pas créer les droits et les obligations qu’ils font croire qu’ils créent. Aucune intention non exprimée de l’auteur d’un « trompe-l’œil » n’a d’effet sur les droits du tiers qu’il a dupé [...]58

[122] La jurisprudence canadienne a retenu la définition de trompe-l’œil consacrée par l’arrêt Snook en 197259. La Cour suprême du Canada a réaffirmé et suivi cette définition de l’expression « trompe-l’œil » dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine60. Dans l’arrêt Stubart, le juge Estey a défini le trompe-l’œil de la façon suivante :

[...] une opération assortie d’un élément de tromperie de manière à créer une illusion destinée à cacher au percepteur le contribuable ou la nature réelle de l’opération, ou un faux-semblant par lequel le contribuable crée une apparence différente de la réalité qu’elle sert à masquer [...]61

[123] Deux décisions plus récentes du juge Noël de la Cour d’appel fédérale discutent le mot « trompe-l’œil ». Dans l’arrêt Antle c. Canada, il a observé, en opinion incidente :

[...] L’intention ou l’état d’esprit requis n’équivaut pas à une intention coupable et ne saurait aller jusqu’à constituer ce qui, en common law, est le délit de dol [...] Il suffit que les parties à une opération la présentent comme différente de la réalité qu’elles connaissent [...]62

[124] Dans l’arrêt 2529-1915 Québec Inc. c. Canada, il a observé :

[59] L’existence d’une frime en droit canadien exige donc en vue des définitions qui précèdent un élément de déception qui se manifeste règle générale par une fausse représentation par les parties de la transaction réelle intervenue entre elles. Dans ces circonstances, les tribunaux retiendront la transaction réelle et mettront de côté celle qui fut représentée comme étant la vraie63.

[125] En matière fiscale, le juge fera un constat de trompe-l’œil lorsque les éléments de preuve montrent que les parties ont fait une présentation erronée de leurs accords dans l’espoir d’obtenir un avantage fiscal qui serait refusé si la nature de leurs accords était dûment divulguée. En matière fiscale, la partie trompée est l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC »).

[126] Dans le cas du trompe-l’œil, le juge doit examiner la réalité objective qui entoure les accords afin de déterminer si les documents relatifs aux opérations reflètent vraiment l’intention des parties. La preuve directe de l’existence d’un trompe-l’œil est rare lorsqu’une affaire est entendue par le juge. En l’absence de la reconnaissance de l’existence d’un trompe-l’œil, le juge doit apprécier la preuve indirecte.

[127] En l’espèce, la preuve se compose principalement des documents relatifs aux opérations eux-mêmes et des témoignages – en particulier le témoignage de MM. Fergus et Nimchuk (les « promoteurs ») et de M. Paletta. Les critères qui sont indicatifs de la réalité objective des accords sont notamment les suivants :

i) les circonstances qui entourent la création de la structure de l’opération;

ii) la diligence raisonnable, l’engagement et le contrôle exercés par les appelants ou l’absence de ceux-ci, lors de l’évaluation des opérations et de la participation à celles-ci;

iii) les pratiques ordinaires commerciales et de placement des appelants;

iv) les objectifs et motifs de conclusion des opérations déclarés par les parties;

v) les obligations et droits légaux tels qu’ils sont définis dans les documents relatifs aux opérations.

[128] Cette liste n’est pas exhaustive. Considérés de concert, ces critères éclairent l’analyse du juge visant à déterminer si les obligations et droits légaux, qui sont exposés dans les documents relatifs aux opérations, sont conformes à l’intention exprimée par les parties.

[129] Je souligne une chose : la recherche de la réalité objective d’une opération n’amalgame pas un trompe-l’œil (c.-à-d. une présentation erronée et une tromperie) et les notions de « réalité économique » ou d’« objectif commercial ». Le droit est bien fixé : une opération ne constitue pas un trompe-l’œil au motif qu'elle est dépourvue d’une réalité économique, d’un objectif commercial ou qu’elle sert un objectif d’évitement fiscal. Je rechercherai plutôt si les parties ont fait une présentation erronée à l’ARC de la nature de leurs accords.

[130] Un dernier point : il convient d'opérer une distinction entre le trompe-l’œil et l'abus. Le trompe-l’œil n’est pas un stratagème global qui est abusif; il est question de parties qui ont fait une présentation erronée de l’effet juridique d’une opération. Par conséquent, je dois indiquer certaines opérations qui font l’objet d’une présentation erronée. La structure de ces appels est complexe, et elle comprend de nombreuses opérations différentes et il est important de ne pas combiner toutes les opérations et les étapes en une seule, de ne pas dépeindre chaque étape comme un trompe-l’œil. Cela reviendrait à faire une interprétation erronée de ce qu’est un trompe-l’œil. Par exemple, l’intimée allègue que le prêt d’un jour consenti à Fintrust est un trompe-l’œil. Je ne suis pas de cet avis. Rien ne tend à prouver que les parties au prêt, dont la RBC, avaient l’intention de faire autre chose que ce qui est indiqué dans les documents – rembourser un prêt de 212 000 000 $ US (dans l’appel concernant la société Six Iron) dans les 24 heures. La circularité du flux de trésorerie n’équivaut pas à un trompe-l’œil dans le cas de ce prêt.

______________________

57 [1967] 1 All ER 518 [arrêt Snook]

58 Arrêt Snook, à la page 528

59 Ministre du Revenu national c. Cameron, [1974] R.C.S. 1062

60 [1984] 1 R.C.S. 536 [arrêt Stubart]

61 Arrêt Stubart, p. 545 et 546

62 2010 CAF 280, par. 20

63 2008 CAF 398, par. 59

[20] Une allégation de trompe-l’œil est grave et requiert des éléments de preuve convaincants pour justifier une conclusion qu’un contribuable canadien a eu un comportement trompeur, selon la prépondérance des probabilités. Souvent, cela peut comprendre des éléments de preuve circonstanciels. On peut s’attendre à ce que cela exige plus que les soupçons de l’intimée.

2) Nouvelle qualification en application des alinéas 247(2)b) et d)

[21] Les dispositions pertinentes sont énoncées à l’annexe 1. Les prétendus redressements du prix de transfert aux fins de nouvelle qualification en application de ces dispositions exige que la Cour examine :

(i) si les opérations des parties n’avaient pas été conclues par des parties hypothétiques sans lien de dépendance;
(ii) si l’on peut raisonnablement considérer que les opérations ont été principalement conclues pour des objets véritables autres que l’obtention d’un avantage fiscal;
(iii) quelles opérations auraient été conclues entre des parties hypothétiques sans lien de dépendance et selon quelles modalités.
Si les alinéas b) et d) s’appliquent, la valeur et la nature des montants de revenus sont déterminées de nouveau en se fondant sur des opérations théoriques remplacées de pleine concurrence, et non sur les opérations conclues par les parties.
Ces dispositions ont été très récemment examinées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cameco où le juge Webb a écrit ce qui suit :

C. Conclusion quant aux alinéas 247(2)b) et d) de la Loi

[81] Le législateur a décidé d’aborder de manière indirecte le cas d’un contribuable canadien qui transférerait des profits à une personne ayant un lien de dépendance dans un autre territoire; pour ce faire, il a mis en œuvre les règles en matière de prix de transfert énoncées dans la Partie XVI.1 de la Loi. Ces règles entraînent le redressement des prix payés pour des marchandises achetées et vendues ainsi que pour des services fournis dans le cadre de transactions entre un contribuable et une personne non-résidente avec laquelle le contribuable a un lien de dépendance, si ces prix ne correspondent pas à un prix de pleine concurrence. Le redressement des prix des marchandises et des services entraîne le redressement des profits réalisés par le contribuable canadien. Toutefois, les règles énoncées aux alinéas 247(2)b) et d) de la Loi ne sont pas aussi générales que le prétend la Couronne. Elles ne permettent pas au ministre de réaffecter simplement tous les profits d’une filiale à l’étranger à sa société mère canadienne en tenant pour acquis que la société canadienne n’aurait conclu aucune opération avec sa filiale à l’étranger si elles n’avaient pas eu de lien de dépendance.

[82] Les alinéas 247(2)b) et d) de la Loi s’appliquent uniquement lorsqu’un contribuable et un non-résident ayant un lien de dépendance ont conclu une opération ou une série d’opérations qui n’aurait pas été conclue entre deux personnes (ou plus) sans lien de dépendance, quelles que soient les modalités. Dans une telle situation, l’opération ou la série d’opérations qui aurait été conclue entre des personnes sans lien de dépendance est remplacée par l’opération ou la série d’opérations en question, avec les modalités qui conviennent. Plus précisément, les alinéas 247(2)b) et d) de la Loi ne peuvent pas servir à réaffecter simplement tous les profits réalisés par CEL à Cameco, sa société mère canadienne, dans les circonstances de l’espèce. Bien évidemment, dans une autre situation où ces alinéas s’appliqueraient, les opérations remplacées pourraient bien donner lieu à des redressements des revenus (et des profits) d’un contribuable canadien.

Redressements en application des alinéas 247(2)a) et c)

[22] Les dispositions pertinentes sont énoncées à l’annexe 2. Les redressements en application de ces dispositions exigent que la Cour examine :

(iv) si les modalités au sujet des opérations conclues entre les parties auraient été acceptées par des parties sans lien de dépendance;
(v) sinon, les modalités que les parties sans lien de dépendance auraient acceptées.

[23] Les modalités qui font l’objet d’un examen au titre des alinéas a) et c) ne se limitent pas à celles qui indiquent un prix, un coût ou un autre montant. Si les alinéas a) et c) s’appliquent, la valeur ou la nature des montants de revenus sont déterminées de nouveau en se fondant sur les opérations des parties qui rendent compte des modalités théoriques de pleine concurrence utilisées en remplacement.

[24] La différence entre les redressements au titre des alinéas a) et c) et ceux au titre des alinéas b) et d) réside dans le fait que les montants de revenus sont déterminés de nouveau quant à la valeur ou la nature au titre de l’alinéa c) par renvoi aux modalités révisées des opérations des parties, tandis qu’au titre de l’alinéa d) la nouvelle détermination est effectuée par renvoi à des opérations théoriques utilisées en remplacement. Cette distinction ressort clairement du libellé des dispositions. La nature ou la valeur des montants de revenus peuvent être déterminées de nouveau en application de l’un ou l’autre ensemble de dispositions.

[25] Ces dispositions ont aussi été plus récemment examinées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cameco qui a précisé que ces dispositions exigent que des redressements soient effectués en tenant compte des modalités des opérations des parties ou d’opérations théoriques de pleine concurrence et qu’elles ne permettent pas de simplement réattribuer des profits à un contribuable, au motif que ce dernier n’aurait pas fait affaire avec sa société affiliée si celle-ci n’avait eu aucun lien de dépendance avec lui.

3) Pénalités

[26] AgraCity s’est vu imposer une pénalité relative au prix de transfert en application du paragraphe 247(3) concernant la somme des profits découlant de la vente de ClearOut ajoutée à son revenu.

[27] Si l’intimée obtient gain de cause en ce qui concerne sa thèse principale de trompe-l’œil, la Cour sera encore tenue de poursuivre et de trancher l’autre thèse de l’intimée afin de déterminer si la pénalité relative au prix de transfert en application du paragraphe 247(3) a été imposée à juste titre.

[28] Une pénalité en application du paragraphe 163(2) a également été imposée à AgraCity pour avoir sciemment sous-estimé son revenu. Si l’appelante n’a pas entièrement gain de cause relativement aux autres thèses de l’intimée, la thèse de l’appelante nécessite que la Cour détermine si des pénalités peuvent être imposées en application des paragraphes 247(3) et 163(2) concernant les mêmes redressements de revenu.

Témoins

[29] La Cour a entendu les témoins suivants :

  1. James Mann :

James Mann est le fondateur de Farmers of North America Inc., une société qui a été remplacée par Farmers and Families of North America Inc. (« FNA ») et son groupe FNA. Il a occupé un poste de directeur général dans les sociétés du groupe FNA. Il détient un baccalauréat en agriculture de l’Université de la Saskatchewan.

  1. Jason Mann :

Jason Mann est le frère cadet de James Mann. Il a fait des études postsecondaires en agriculture et en technologie chimique. Il a grandi dans une ferme en exploitation, est devenu un agriculteur, a commencé à travailler dans le semis et la récolte à forfait au Canada et aux États-Unis, avant de passer à la construction et à l’aménagement immobilier en Colombie-Britannique. Il a repris le travail avec son frère aîné James au sein du groupe FNA au cours des années en question. Il était le président d’AgraCity pendant toute la période. Il est devenu l’administrateur et l’unique propriétaire d’AgraCity lorsque James Mann lui a transféré les actions en décembre 2006.

  1. Jeff Bergen :

M. Bergen est un comptable professionnel agréé (CPA). Il détient un baccalauréat en commerce de l’Université de la Saskatchewan. Il a travaillé chez Ernst & Young Regina, KMPG Saskatoon, au Collège de médecine de l’Université de Saskatoon et dans son service comptable central. Au cours de la période en question, il était le contrôleur du groupe de sociétés FNA et était responsable du grand livre général, des systèmes comptables, de la préparation des états financiers et de la conformité en matière d’impôt de toutes les sociétés contrôlées par James ou Jason Mann.

  1. Spencer Vance :

M. Vance était le président d’Albaugh North America (« Albaugh ») depuis près de 20 ans, notamment au cours des années en question. Il était responsable de toutes les fonctions, commerciales et autres, partout aux États-Unis et au Canada. Les revenus mondiaux d’Albaugh se sont élevés à près de 1 000 000 000 $ US au cours de la période en question et, en Amérique du Nord, la société a généré près de la moitié de ce chiffre. Il détient un baccalauréat ès sciences en science animale et en agriculture de l’Université du Nebraska. Albaugh était le principal fournisseur ou approvisionneur de l’herbicide ClearOut vendu par NewAgco Barbados au cours des années en question.

  1. Lyle Forden :

M. Forden est un agriculteur et un propriétaire d’entreprise. Il est titulaire d’un diplôme en agronomie et en production agricole de l’Université de la Saskatchewan. Il possède et exploite une ferme familiale qui pratique l’agriculture mixte de bétail de race simmental et de cultures. Il a aussi œuvré au sein du groupe FNA, en tant que représentant des services aux membres (« RSM ») et en tant que directeur national des services aux membres pendant les années en question.

  1. Scott Kilbride :

M. Kilbride est un agriculteur qui représente la quatrième génération dans sa famille à pratiquer l’agriculture et il détient un diplôme en phytotechnie de l’Université de Guelph. Au cours des années en question, il exploitait sa ferme familiale par l’intermédiaire de Kildare Acres à Wallaceburg (Ontario). Il était membre du groupe FNA et achetait auprès de NewAgco Barbados l’herbicide ClearOut.

  1. Ashley Skinner :

Pendant la période en question, M. Skinner a effectué du travail à forfait en tant qu’expert-conseil général pour le groupe FNA et AgraCity. Son travail portait sur les questions relatives aux membres et aux adhésions, y compris le bulletin d’information du groupe FNA. Il ne participait pas aux prises de décisions dans la conduite des affaires ou à la gestion des sociétés du groupe FNA [8] .

  1. Angela Spence :

Mme Spence est à l’heure actuelle une technologue en génie de la ville de Courtenay (Colombie-Britannique). Elle a travaillé pour le groupe FNA au cours des années en question, en tant que RSM, et elle a effectué des tâches connexes pour AgraCity.

  1. Mme Karen Dodds :

Pendant les années en question, Mme Dodds était la directrice générale de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (« ARLA ») à Santé Canada qui est responsable de la réglementation des pesticides dans tout le pays. Elle est titulaire d’un baccalauréat ès sciences, d’une maîtrise ès sciences et d’un doctorat en biologie, en chimie et en microbiologie de l’Université de Waterloo et de l’Université de Guelph. Après avoir travaillé à Santé Canada, elle est ensuite devenue la sous-ministre adjointe de la Direction générale des sciences et de la technologie d’Environnement Canada.

  1. Karen McCullagh :

Mme McCullagh était la directrice générale de la division de la conformité et des services de laboratoire de l’ARLA au cours des années en question. Elle était responsable de la conformité à l’échelle du siège social, des régions et des laboratoires, des évaluations en chimie et de l’application de la loi.

  1. Bob Friesen :

M. Friesen était le président de la Fédération canadienne de l’agriculture (« FCA ») au cours des années en question. Il avait auparavant occupé le poste de vice-président au sein de cette fédération. La FCA est une fédération d’organismes agricoles provinciaux et d’organismes de produits de base qui agit en tant que groupe agricole canadien de coordination exerçant des activités de quasi-lobbying et qui collabore avec le gouvernement canadien. Il était membre du Groupe de travail sur le Programme d’importation pour approvisionnement personnel de l’ARLA au cours des années en question. Il est chargé des relations avec le gouvernement pour le groupe FNA.

[30] Tous les témoins importants et les témoins des faits étaient intelligents, instruits et s’exprimaient de manière claire. Ils ont donné des témoignages crédibles. Ils ont fourni des éléments de preuve fiables dans l’ensemble et, lorsque leur compréhension, leur perception ou leurs connaissances quant à des aspects particuliers ou des détails étaient limitées, compte tenu de leur rôle au sein des organismes ou dans le cadre des opérations, ils l’indiquaient clairement. Il y a des contentieux qui opposaient la société des frères Mann et Ashley Skinner ainsi que des allégations qui sont liés à l’appropriation d’occasions d’affaires relativement aux produits promus par le groupe FNA, notamment ClearOut, mais ceux-ci ne sont pas pertinents par rapport à la question que je dois trancher.

[31] En outre, la Cour a entendu les témoins experts suivants :

  1. Sir Trevor Carmichael :

Sir Carmichael est un avocat de la Barbade et un expert en droit des sociétés de la Barbade.

  1. Brad Rolph :

M. Rolph est un associé de Grant Thornton où il travaille en tant qu’économiste spécialisé dans les prix de transfert.

  1. M. Muris Dujsic :

M. Dujsic est un économiste spécialiste en prix de transfert qui a témoigné en tant qu’économiste expert en prix de transfert. Il est un associé et un économiste en chef chez Deloitte. Il détient un baccalauréat en économie, une maîtrise en finance et en comptabilité et un doctorat en science économique de l’Université de Novi Sad (Serbie).

  1. Oliver Rogerson :

L’intimée a assigné comme témoin M. Rogerson, un expert en analyse économique dans le domaine des prix de transfert. M. Rogerson détient une maîtrise en économie de l’Université Wilfrid-Laurier et un baccalauréat en économie du Collège militaire royal. M. Rogerson possède 18 années d’expérience en tant qu’économiste en prix de transfert à l’Agence où il a occupé le poste d’économiste en chef de la Division de l’impôt international pendant 13 ans et celui d’économiste dans cette même division pendant 5 ans. Il était membre du Comité de revue des prix de transfert de l’Agence [9] . Pendant qu’il travaillait à l’Agence, M. Rogerson était le délégué canadien du Groupe de travail no 6 de l’OCDE responsable de la tenue et de la mise à jour des Principes applicables en matière de prix de transfert qui sont le commentaire élargi de l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE qui traite des prix de transfert. Depuis 2016, il travaille au ministère des Finances en tant que directeur de la Division de l’impôt international au sein de sa Division de l’impôt des entreprises (« DIE »). En 2017, il est devenu le directeur de la section Impôt en matière de ressources et d’environnement de la DIE. Lorsqu’il travaillait au ministère des Finances, il a continué d’être un délégué du Groupe de travail no 6 de l’OCDE. Il a été reconnu à titre d’expert en analyse économique dans le domaine des prix de transfert dans la décision Marzen Artistic Aluminium Ltd. c. La Reine, 2014 CCI 194 devant notre Cour en 2014 (confirmée par : 2016 CAF 34). Dans la décision Marzen, son rapport d’expert a été jugé irrecevable, mais la juge Sheridan s’est ensuite appuyée sur son rapport de réfutation.

Groupe FNA des sociétés

[32] Le groupe FNA est décrit par son fondateur James Mann comme une alliance commerciale d’agriculteurs se trouvant partout au Canada et dans certaines régions des États-Unis qui est destinée à changer la manière dont les marchés fonctionnent afin d’accroître la rentabilité des agriculteurs. Selon ses dires, son but était de contrer l’observation selon laquelle les agriculteurs sont les seuls gens d’affaires qui achètent au détail et vendent en gros. La stratégie du groupe FNA est d’atteindre ses objectifs au nom de ses membres en :

  • i) créant une concurrence et en favorisant la négociation;

  • ii) optimisant le rendement sur le marché, en faveur des agriculteurs;

  • iii) progressant ou en régressant dans la chaîne de valeur pour obtenir ces marges;

  • iv) réduisant le risque technologique, par exemple par l’intermédiaire du développement et de la mise en œuvre de systèmes d’information.

[33] Le groupe FNA est un organisme fondé sur la prestation de services d’adhésion à ses membres. Presque la totalité de ses revenus provient de la vente d’adhésions à ses membres. Lorsque le groupe FNA fournit aux membres des biens, des produits de base ou des services, ceux-ci sont promus par le groupe FNA, mais sont fournis par l’intermédiaire de sociétés distinctes du groupe FNA. Il existe un grand nombre de sociétés différentes au sein du groupe FNA, car elles collaborent dans différents marchés avec des fournisseurs et des co-investisseurs différents et propres au produit, au service ou à l’activité qui sont créés.

Réglementation des herbicides à base de glyphosate

[34] Au Canada, les herbicides à base de glyphosate, comme ClearOut, sont soumis à la Loi sur les produits antiparasitaires (« LPA ») qui est administrée par l’ARLA.

[35] Au Canada, la vente, la distribution et l’utilisation de produits réglementés, comme les herbicides à base de glyphosate, notamment ClearOut, ne peut avoir lieu sans l’homologation du produit en question. Comme on pourrait s’y attendre, l’homologation au Canada est un processus long, minutieux et complexe qui nécessite des évaluations chimiques du glyphosate fourni par le demandeur, ainsi que de la formule globale du produit dont il est un ingrédient actif. Il est possible d’écourter quelque peu la durée du processus d’homologation d’un produit réglementé au Canada si celui-ci a déjà été homologué aux États-Unis par la Food and Drug Administration (« FDA »).

[36] Pendant la période en question, ClearOut n’était pas disponible ou offert en vente au Canada comme produit homologué canadien. Le fabricant américain d’origine du produit ClearOut avait demandé et obtenu une homologation au Canada en 2006, mais le groupe FNA ou les frères Mann l’ignoraient à l’époque. L’ARLA a homologué ClearOut en mai 2006, mais ce produit n’a été rendu disponible au Canada conformément à l’homologation et aux conditions de son homologation qu’au courant de 2008, après que la société Albaugh est devenue le propriétaire, le fabricant et le fournisseur du produit. Par la suite, les agriculteurs canadiens ont ainsi été en mesure d’acheter le produit ClearOut directement auprès de fournisseurs canadiens, ce qui a rapidement mis fin au rôle du groupe FNA en tant que promoteur du produit ClearOut, et à l’activité de vente de ce produit aux membres du groupe FNA par NewAgco Barbado, dans le cadre du Programme canadien d’importation pour approvisionnement personnel.

[37] Au cours des années en question, c’était l’homologation du produit ClearOut par la FDA des États-Unis qui a permis au groupe FNA de présenter une demande à l’ARLA, à titre de promoteur, afin que le produit ClearOut soit déclaré admissible à l’achat aux États-Unis par les agriculteurs canadiens, dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel, quel que soit son fournisseur, qu’il soit ou non affilié au groupe FNA, de quelque manière que ce soit, et pour qu’il soit importé au Canada pour leur propre usage.

[38] La LPA prévoit aussi qui peut utiliser le produit homologué, ainsi que l’emplacement, le moment et les fins de toute utilisation.

Le Programme d’importation pour approvisionnement personnel

[39] Le Programme d’importation pour approvisionnement personnel a été établi pour permettre aux utilisateurs canadiens d’importer eux-mêmes des pesticides désignés pour leur propre usage. Il visait à garantir aux producteurs agricoles canadiens un accès à des pesticides à un prix compétitif en leur offrant un accès potentiel à des pesticides étrangers moins coûteux qui sont chimiquement équivalents aux pesticides canadiens, ce qui leur donnait ainsi accès à un plus large éventail de produits homologués que celui proposé à n’importe quel moment sur le marché canadien, dans le secteur agricole. Seuls les produits pour lesquels il pouvait être démontré qu’ils étaient équivalents aux produits déjà homologués au Canada pouvaient être approuvés. Le Programme d’importation pour approvisionnement personnel a depuis été remplacé par le Programme d’importation pour approvisionnement personnel à la demande des agriculteurs (« PIAPDA »).

[40] Le Programme d’importation pour approvisionnement personnel était un processus en deux étapes. Au cours de la première étape, des personnes, un groupe d’utilisateurs ou un groupement de producteurs spécialisés ou un promoteur de ces personnes présentaient une demande d’admission d’un produit étranger dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel. À cette étape, le demandeur devait fournir suffisamment d’analyses chimiques techniques détaillées des produits homologués étrangers et canadiens pour établir leur équivalence chimique, du point de vue de l’ingrédient actif et de la formule. Le demandeur devait faire parvenir la copie d’une « étiquette » du produit étranger homologué et un projet d’« étiquette » pour le produit équivalent canadien homologué. Le terme « étiquette » constitue une fausse appellation. Il s’agit de plaquettes ou de pamphlets exhaustifs approuvés par la FDA ou l’ARLA qui peuvent être apposés sur chaque conteneur de produit, dans des pochettes adhésives. Les étiquettes canadiennes devaient être conformes aux exigences canadiennes en matière d’étiquetage, aux termes des lois fédérales applicables.

[41] Au cours de la deuxième étape, chaque agriculteur devait obtenir une approbation pour chaque importation de l’ARLA. Les utilisateurs ou groupes d’utilisateurs réels faisaient une demande de licences d’importation individuelles afin d’importer au Canada un volume précis du produit pour une utilisation, sur des exploitations agricoles précises et à un moment précis. Une telle licence leur permettait d’importer le produit au Canada en le faisant passer par la douane. Chaque utilisateur devait obtenir une licence d’importation pour chaque importation et le produit à importer devait être emballé, identifié et muni séparément d’une étiquette portant une mention indiquant qu’il appartenait à un utilisateur en particulier et qu’il devait être entièrement conforme aux conditions de la licence.

[42] Les inspecteurs de l’ARLA vérifiaient, auprès des importateurs participant au Programme d’importation pour approvisionnement personnel, les factures, les licences, les stocks et l’utilisation, notamment le moment d’utilisation de ce dernier, afin de veiller à ce qu’ils respectent rigoureusement les licences d’importation. Les représentants de l’ARLA examinaient également les publications du groupe FNA pour s’assurer que ce dernier, en tant que société canadienne, était seulement considéré par l’ARLA comme une société promouvant l’offre à l’importation du produit ClearOut, dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel, et non comme une société promouvant la vente de ce produit.

[43] Même s’il semble que le Programme d’importation pour approvisionnement personnel pourrait avoir initialement prévu que les agriculteurs utiliseraient chacun leur propre véhicule pour acheter et cueillir personnellement leur produit aux États-Unis et qu’en passant par la douane, ils importeraient eux-mêmes le produit au Canada, l’ARLA, dans le cas du produit ClearOut, a autorisé le recours à des entreprises de camionnage indépendantes qui font appel à des courtiers en douane tiers pour cueillir tous les achats individuels effectués par des membres du groupe FNA chaque saison. Ces entreprises cueillent et importent, pour le compte de chaque agriculteur, ses conteneurs séparés et étiquetés individuellement du produit ClearOut et les lui livrent à sa ferme, comme le groupe FNA en a convenu, à titre de mandataire de l’acheteur, avec les fournisseurs américains, les entreprises de camionnage et les courtiers en douane, etc.

[44] Avant l’admission au Programme d’importation pour approvisionnement personnel du produit ClearOut par l’ARLA en février ou mars 2005, seuls quelques produits ont été admis lors de la première étape du processus. Aucun de ces produits n’a franchi la deuxième étape d’une importation effective. Cela s’explique par le fait que les marchés canadiens ont rapidement reconnu le mécanisme de discipline tarifaire imposé par l’admission au Programme d’importation pour approvisionnement personnel. En d’autres termes, les prix au Canada des produits canadiens homologués équivalents chutaient pour être mieux harmonisés avec le prix du produit américain homologué équivalent sur le marché américain qui pouvait ensuite commencer à être importé au Canada, dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel. Cela ne devrait pas être le cas pour le produit ClearOut. L’ARLA a reçu des milliers de demandes de licences d’importation (en cinq exemplaires) de la part d’agriculteurs canadiens. Pratiquement tous étaient des membres du groupe FNA qui faisaient appel à celui-ci en sa qualité de mandataire. Plus de 4 500 demandes ont été reçues en 2005 et 2006. En 2005, plus de 3 000 licences ont été délivrées pour près de six millions de litres de produit ClearOut. La directrice générale de l’ARLA a relaté avoir reçu des boîtes de documents de demande d’équivalence chimique et de demandes d’importation livrées par camion semi-remorque à charge complète, lors des deux étapes du processus. En 2005, le groupe FNA a connu une croissance en passant d’une entreprise ayant un chiffre d’affaire d’un million de dollars à une entreprise ayant un chiffre d’affaire de vingt-sept millions de dollars. Le produit américain ClearOut que le groupe FNA a mis à la disposition de ses membres a permis au groupe FNA d’accroître sa base de membres en conséquence.

Les opérations en question

2005 :

[45] Après l’admission au Programme d’importation pour approvisionnement personnel du produit ClearOut, le groupe FNA a mis en place une structure d’activités commerciales au moyen de laquelle le groupe FNA serait en mesure de promouvoir l’offre du produit ClearOut à ses membres, dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel, et de faciliter leurs achats et importations.

[46] Après leurs consultations poussées et leurs nombreuses réunions avec l’ARLA, les frères Mann et le groupe FNA ont compris que le produit ClearOut et le Programme d’importation pour approvisionnement personnel pourraient être promus par le groupe FNA auprès de ses membres, mais qu’il demeurait interdit à quiconque d’offrir en vente ou de vendre au Canada le produit ClearOut. En outre, ils ont compris, d’après leurs consultations et réunions avec l’ARLA et selon ses documents, que cela signifiait que leurs membres devraient acheter le produit ClearOut auprès d’un fournisseur non canadien, à l’extérieur du Canada. L’organisme de réglementation a expliqué qu’il y avait une distinction subtile entre offrir en vente et promouvoir l’offre. Je conclus, au regard de la preuve, qu’il s’agissait d’une compréhension parfaitement raisonnable de la thèse de l’ARLA et que, dans tous les cas, cela aurait été une décision d’affaires sage à prendre pour éviter toute interprétation défavorable des dispositions de la LPA par l’ARLA ou toute contestation des fournisseurs canadiens de l’herbicide à base de glyphosate qui seraient fortement touchés par la chute des prix ou des ventes entraînée par l’offre du produit ClearOut dans le cadre du Programme d’importation pour approvisionnement personnel (PIAP) [10] .

[47] À cette fin, en 2005, James Mann a fait en sorte qu’une nouvelle société américaine, NewAgco Inc. (« NewAgco US ») soit établie dans l’État du Delaware pour servir à l’achat du produit ClearOut sur les marchés américains, afin de l’entreposer dans ses installations d’entreposage louées dans le Dakota du Nord et pour le vendre aux membres du groupe FNA.

[48] Cette année-là, NewAgco US s’est approvisionnée en produit ClearOut aux États-Unis auprès d’un grand nombre de fournisseurs, à une fraction du prix des herbicides à base de glyphosate en vente au Canada. Ses fournisseurs étaient notamment Chemical Products Technology (« CPT ») qui était alors le fabricant du produit ClearOut (et qui a plus tard vendu à Albaugh ses droits sur ClearOut), ainsi que plusieurs autres distributeurs agricoles partout aux États-Unis qui disposaient du produit ClearOut. La demande formulée par les membres du groupe FNA au Canada auprès de NewAgco US au sujet du produit ClearOut était très importante et a considérablement réduit l’approvisionnement disponible aux États-Unis, de sorte que NewAgco US a travaillé avec acharnement et a tout mis en œuvre pour trouver et obtenir toute la quantité possible de produit ClearOut auprès de sources disponibles.

[49] NewAgco US vendait FAB le produit ClearOut à des membres individuels du groupe FNA pour leur ferme individuelle au Canada. Habituellement, NewAgco US achetait en grandes quantités le produit ClearOut auprès de ses fournisseurs américains, les payait à l’achat, puis faisait en sorte qu’il soit livré par camion à leurs installations d’entreposage américaines. À partir de ces installations, les conteneurs (qui étaient soit des réservoirs portatifs de 1 000 litres, soit des barils de 200 litres) étaient spécialement désignés comme ayant été achetés par des acheteurs canadiens en particulier et les étiquettes canadiennes de chaque acheteur étaient apposées, avec la licence individuelle du PIAP de l’acheteur et les formulaires de douane nécessaires, le tout en plusieurs exemplaires et tout en préservant l’intégrité de l’étiquetage de la FDA des États-Unis. Cela comprenait le numéro de compte d’importations-exportations de l’acheteur provenant de l’Agence qui, en général, était nouvellement obtenu par le groupe FNA, à titre de mandataire d’un agriculteur, lors du premier achat de ce dernier, sauf s’il avait déjà importé au Canada des marchandises à des fins commerciales. NewAgco US faisait les arrangements nécessaires et payait le transport par camion effectué par un tiers à destination des acheteurs au Canada. Après une courte période, NewAgco US faisait intervenir des courtiers en douane tiers au nom de chaque acheteur pour que chaque achat passe la douane et pour que les conteneurs de produit ClearOut de chaque acheteur soient dédouanés. Il s’agissait de camions réservés à cet effet et qui étaient remplis uniquement de quantités du produit ClearOut que les agriculteurs avaient achetées auprès de NewAgco US. Le nombre de charges complètes se comptait en centaines.

[50] NewAgco US faisait appel à AgraCity pour s’occuper des activités logistiques et connexes liées à ses ventes et livraisons offertes à ses acheteurs canadiens. Cela était indiqué dans un contrat de services écrit conclu entre ces deux sociétés. Aux termes de cet accord, AgraCity percevait une somme par litre de produit ClearOut vendu pour fournir ces services. Cette somme a été revue et rajustée à la hausse à deux reprises, entre 2005 et 2007, pour veiller à ce que, dans la pratique, elle soit rentable pour AgraCity et le demeure.

[51] AgraCity et son personnel travaillaient en coordination avec les RSM du groupe FNA et d’autres membres du personnel de ce groupe, une fois une commande de produit ClearOut passée avec le groupe FNA, par l’entremise d’un membre, afin de s’occuper de toute la paperasse liée à l’achat, à l’importation et à la douane, de l’étiquetage, du paiement et de la livraison. Le groupe FNA promouvait l’offre du produit ClearOut à un prix par litre établi par NewAgco US et communiqué au groupe FNA. Le groupe FNA était responsable de toutes ses activités de services aux membres, jusqu’au placement de la commande et jusqu’à l’établissement de ses conditions de paiement, de livraison et d’importation. Le groupe FNA collaborait avec chaque membre pour faciliter et gérer le processus du PIAP, ainsi que pour organiser et gérer la livraison du produit à la ferme du membre. Les membres désignaient par écrit le groupe FNA comme mandataire pour que celui-ci s’occupe des droits de douane au moment de l’importation. AgraCity était ensuite responsable, à titre de sous-traitant de NewAgco US, de toute la logistique nécessaire pour conclure la vente avec l’acheteur et exécuter l’importation et la livraison à celui-ci.

[52] Le groupe FNA et AgraCity partageaient des locaux à bureaux à Saskatoon réservés pour la plupart à l’un ou à l’autre. Chacun avait son propre personnel et son propre service de paie pour leurs activités distinctes. On avait parfois l’habitude d’emprunter le personnel disponible de l’autre, selon les besoins, et de facturer des frais intersociétés en fin d’exercice, en fonction du temps du personnel prêté et de l’estimation des coûts. La hausse soudaine d’activité découlant de la forte demande de services liés au produit ClearOut offerts par le groupe FNA à ses membres nécessitait de tels prêts de personnel entre AgraCity et le groupe FNA et il n’était pas rare que les RSM du groupe FNA, après avoir pris et passé la commande, apportent leur aide à AgraCity pour s’occuper des services de logistique qu’elle offrait, notamment préparer et remplir les documents de douane requis pour l’importation et préparer, signer et apposer chaque copie de chaque étiquette de chaque acheteur. Ces activités étaient consignées et comptabilisées.

[53] Le groupe FNA a mené de vastes consultations auprès de l’ARLA pour s’assurer qu’il respectait le PIAP et les exigences en matière de licence. Sa communication initiale aux membres qui annonçait l’offre du produit ClearOut par l’intermédiaire du PIAP a fait l’objet d’un examen par le personnel de l’ARLA avant d’être transmise. L’une des principales préoccupations de l’ARLA était que le groupe FNA ne promeuve que l’offre du produit ClearOut dans le cadre du PIAP, qu’il offre ses services aux membres relativement à cette promotion uniquement et que le groupe FNA n’offre pas en vente au Canada le produit ClearOut.

[54] En 2005, le groupe FNA a comptabilisé et déclaré au Canada ses revenus tirés des droits d’adhésion et AgraCity a fait de même relativement à ses revenus aux termes du contrat de services conclu avec NewAgco US. Ils ont chacun comptabilisé les paiements liés à l’emprunt d’employés. Aucun élément de preuve ne m’amène à conclure que NewAgco US n’a pas comptabilisé et déclaré les profits provenant de ses ventes du produit ClearOut aux États-Unis. L’Agence n’a pas établi de nouvelle cotisation à l’égard de quiconque concernant les ventes du produit ClearOut en 2005 et les opérations connexes. Il est à noter que les États-Unis sont perçus comme un pays où l’impôt sur les sociétés est élevé et que ce pays a conclu une convention fiscale à part entière avec le Canada.

[55] En décembre 2005, CPT a vendu les droits du produit ClearOut et ses stocks, etc. à Albaugh qui proposait déjà son propre produit à base de glyphosate. C’était la première fois que les frères Mann entendaient parler d’Albaugh. Jason Mann s’est rapidement attelé à convaincre Spencer Vance chez Albaugh de vendre le produit ClearOut à NewAgco Barbados. Dans le cadre des négociations entre Spencer Vance et Jason Mann à la fin de l’année 2005, NewAgco Barbados a conclu un contrat d’approvisionnement exclusif avec Albaugh. Les deux sociétés ont également signé une entente de confidentialité relativement à leurs accords au cours de la première moitié de l’année 2007.

2006 et 2007

[56] La structure mise en place et utilisée en 2005 est demeurée sensiblement la même, sauf que :

  • i) NewAgcoBarbados a été constituée en mars 2006 pour assumer le rôle que NewAgcoUS avait jusqu’alors assumé;

  • ii) les commandes des membres du groupe FNA auprès de NewAgcoUS passées à l’automne 2005 pour le printemps 2006, ses stocks et ses droits du produit ClearOut ont été cédés à NewAgcoBarbados;

  • iii) Albaugh est devenue pratiquement le seul fournisseur du produit ClearOut pour NewAgcoBarbados, aux termes de son contrat d’approvisionnement exclusif, après l’achat par Albaugh des droits et des stocks du produit ClearOut auprès de CPT.

[57] Après la fin de la saison agricole de 2005 et avant le début de la saison agricole de 2006, les frères Mann ont décidé de transférer l’activité de vente du produit ClearOut au Canada de NewAgco US à une nouvelle société devant être constituée à la Barbade. Cette décision a été prise principalement pour réduire au minimum l’impôt américain à payer sur les profits des ventes. Une vente d’actifs a été réalisée dans le cadre de laquelle l’argent, les comptes et les stocks du produit ClearOut ont changé de propriétaire. La société NewAgco Barbados nouvellement constituée a acheté auprès de NewAgco US les actifs de l’entreprise liés au produit ClearOut et a repris ses locaux d’entreposage aux États-Unis.

[58] Jason Mann s’est vu conférer le droit exprès, bien que tacite, de fixer le prix demandé par NewAgco Barbados, dont le directeur était James Mann. Le procès-verbal officiel à cet effet a été rédigé en 2007.

[59] Le groupe FNA recevait les commandes de deux à trois mille agriculteurs chaque année, au cours de cette période, et plusieurs commandes chaque année, par agriculteur. Les commandes liées aux achats par les membres auprès de NewAgco Barbados représentaient entre cinq et sept millions de litres chaque année.

[60] Jason Mann a continué à acheter toute la quantité disponible du produit ClearOut pour NewAgco Barbados, comme il l’avait fait auparavant pour NewAgco US. À l’occasion, Jason Mann a continuait à faire correspondre le prix du produit ClearOut offert aux agriculteurs canadiens pour NewAgco Barbados au prix d’achat auprès d’Albaugh, en plus de percevoir une marge raisonnable pour les dépenses, ainsi que pour le profit.

[61] NewAgco Barbados faisait transférer pratiquement tous ses achats du produit ClearOut auprès d’Albaugh à l’entrepôt dans le Dakota du Nord pour la vente et la livraison aux agriculteurs canadiens.

[62] Les paiements des agriculteurs étaient reçus en dollars canadiens avant la livraison. AgraCity percevait les fonds, puis les transférait périodiquement à NewAgco Barbados.

[63] Pendant les quelques premiers mois, NewAgco US a payé les stocks achetés par NewAgco Barbados, mais ces dépenses lui ont été remboursées par NewAgco Barbados et ont été prises en charge par celle-ci. Après les quelques premiers mois en 2006, NewAgco Barbados a payé Albaugh directement.

[64] Les achats et les ventes du produit ClearOut ont été à juste titre consignés dans les états financiers de NewAgco Barbados.

[65] NewAgco Barbados assumait aussi les factures de fret des entreprises de camionnage tierces. Certaines factures étaient payables en dollars canadiens ou américains.

[66] Les droits d’entreposage liés à l’entrepôt situé dans le Dakota du Nord étaient aussi à la charge de NewAgco Barbados.

[67] Les frais de recyclage des barils et des réservoirs portatifs, pour les conteneurs d’expédition dans lesquels les produits achetés par les agriculteurs étaient livrés, étaient aussi à la charge de NewAgco Barbados.

[68] En 2006, NewAgco a payé au groupe FNA 50 000 $ par mois de frais de gestion concernant les services d’emprunt d’employés relatifs aux activités se rapportant au produit ClearOut. Après que M. Bergen est devenu contrôleur en décembre 2006, il a remplacé ces frais de gestion par le programme de remboursement des frais à l’égard des services d’emprunt d’employés. Il comprenait que le montant des frais de gestion était lui-même fondé sur une estimation des coûts.

2008

[69] L’homologation canadienne par CPT du produit ClearOut n’a été transférée par l’ARLA à Albaugh que très tardivement en 2007.

[70] En 2008, Albaugh a offert en vente au Canada le produit ClearOut canadien homologué, conformément à ses obligations en matière d’homologation canadienne. Au Canada, le vendeur d’un produit canadien homologué est soumis à des obligations de déclaration à l’ARLA qui sont plus importantes aux termes de la LPA que dans le cadre du PIAP. Ce transfert a été effectué par Albaugh lorsque cette dernière a décidé qu’il était alors opportun d’entrer sur le marché canadien de cette façon concernant le produit ClearOut. Le PIAP n’était plus attrayant, même lorsque le produit ClearOut homologué aux États-Unis demeurait admissible à ce programme, et le groupe FNA ne l’a ni promu ni révisé.

[71] Albaugh ne vend pas ses produits à des utilisateurs finaux. Après décembre 2007, le produit ClearOut d’Albaugh a été vendu aux membres du groupe FNA, par l’intermédiaire d’AgraCity Crop and Nutrition, un membre affilié du groupe FNA qui vendait d’autres produits aux membres de ce même groupe. Les ententes quant à la prise de commandes et celles relatives au transfert sont demeurées pratiquement identiques.

Discussion

Le trompe-l’œil

[72] Le paragraphe 19 de la réponse modifiée est rédigé ainsi :

[TRADUCTION]

La série d’opérations conclues par AgraCity équivaut à un trompe-l’œil ou à un artifice conçu pour faire croire au ministre que c’était NewAgco-Barbados, et non AgraCity, qui exploitait une entreprise et qui s’exposait à des risques véritables et, en conséquence, les profits de 2 413 520 $ et de 3 670 478 $ réalisés grâce à cette série d’opérations ont été à juste titre inclus dans le revenu [d’AgraCity] pour ses années d’imposition 2007 et 2008, respectivement, en application des articles 3 et 9 de la Loi [11] .

[73] Dans son argumentation écrite, l’intimée soutient que le contrat de service constitue un trompe-l’œil pour faire croire que les opérations d’AgraCity sont celles de NewAgco Barbados. Cela donnait l’illusion que NewAgco Barbados vendait le produit ClearOut à des agriculteurs canadiens [traduction] « alors qu’il ressort des éléments de preuve que les activités étaient menées par AgraCity ». Les motifs présentés par l’intimée pour appuyer cette argumentation sont les suivants :

  • NewAgcoBarbados était une coquille vide.

  • Le contrat de services est censé être un contrat de prestations logistiques, alors qu’en fait, AgraCity exerçait toutes les fonctions relatives à la vente.

  • Le contrat de services n’a pas été respecté par les parties, car les services excédaient les activités énumérées et comportaient tous les aspects de poursuite d’activités liées au produit ClearOut qui comprenaient l’approvisionnement en produit ClearOut et la vente de celui-ci, ainsi que les négociations avec les fournisseurs.

  • Le contrat de services précise qu’il ne s’agit pas d’une convention de mandat. En revanche, les factures relatives au produit ClearOut envoyées aux agriculteurs indiquaient parfois qu’AgraCity [TRADUCTION] « agissait pour le compte de NewAgcoInc. » ou [TRADUCTION] « en tant que mandataire, pour le compte de NewAgco ».

  • Les frais de services précisés figuraient dans le contrat et ont été établis à dix cents le litre, mais ce chiffre a augmenté en fin d’exercice et n’a été ratifié par le conseil d’administration de NewAgco que plus tard, en 2008.

  • Le contrat de services a été conclu pour faire croire au ministre que les profits ont été réalisés dans un pays à faible taux d’imposition.

  • Les livres de compte et les registres équivoques d’AgraCity et de NewAgcoBarbados avaient pour but de tromper les autorités fiscales dans l’éventualité d’une vérification. Même l’utilisation du groupe FNA et de Farmers of North America visait à créer l’illusion que Farmers of North America Inc. exerçait encore ses activités après le transfert de ses opérations à Farmers and Families of North America.

  • Albaugh envoyait ses factures à NewAgco Barbados, à une adresse aux États-Unis.

  • Certaines factures préparées par Albaugh mentionnaient encore NewAgcoUS.

  • D’autres tiers adressaient leurs factures à de telles entités inexistantes comme « NewAgco Farmers of North America », « Farmers of North America AgraCity Ltd. » et « NEW AG CO ».

  • Les factures adressées à NewAgco Barbados ne mentionnaient pas une adresse à la Barbade, mais soit l’adresse de l’entrepôt dans le Dakota du Nord, soit celle d’AgraCity et du groupe FNA à Saskatoon.

  • Les RSM ne connaissaient pas la structure d’entreprise du groupe FNA ou de ses opérations.

  • Le conseil d’administration de NewAgco Barbados a été mis en place pour donner l’impression que quelque chose se passait à la Barbade, même s’il ne faisait que confirmer les décisions rendues auparavant au Canada.

[74] En outre, dans sa réponse modifiée, l’intimée a formulé plusieurs hypothèses qui étaieraient sa qualification du contrat de services de trompe-l’œil. Ces hypothèses étaient notamment les suivantes :

[traduction]

q) NewAgco-Barbados a été créée pour protéger les profits réalisés par le groupe de sociétés Farmers of North America, plus précisément ceux réalisés par AgraCity, de l’administration fiscale canadienne;

[...]

t) le 29 mars 2006, AgraCity a conclu un contrat de services avec NewAgco-Barbados afin de poursuivre les activités de vente du produit ClearOut aux membres du groupe FFNA;

[...]

w) l’activité de vente du produit ClearOut aux membres du groupe FFNA a été transférée sans frais à NewAgco-Barbados;

[...]

bb) la juste valeur marchande des services rendus par AgraCity à NewAgco-Barbados était [le montant des profits nets réalisés grâce aux ventes de ClearOut consigné par NewAgco Barbados].

cc) En ce qui concerne la vente de ClearOut aux membres du groupe FFNA :

  • i) NewAgco-Barbados ne détenait aucun actif et ne menait aucune activité économique;

ii) NewAgco-Barbados n’exécutait aucune fonction et ne courait aucun risque;

iii) NewAgco-Barbados n’a exécuté aucune fonction apportant une valeur ajoutée;

iv) AgraCity a exécuté toutes les fonctions et couru tous les risques;

dd) NewAgco-Barbados n’avait aucun employé;

[...]

kk) NewAgco-Barbados n’était pas partie à la vente du produit ClearOut aux membres du groupe FFNA et ceux-ci ignoraient son existence;

ll) les fournisseurs de ClearOut n’ont effectué aucune vente de ClearOut à NewAgco-Barbados. ClearOut a plutôt été vendu à AgraCity et à d’autres membres du groupe de sociétés Farmers of North America;

[...]

nn) NewAgco-Barbados n’a pas négocié avec les fournisseurs de ClearOut;

oo) les décisions concernant NewAgco-Barbados ont été prises au Canada par James et Jason Mann;

pp) le conseil d’administration de NewAgco-Barbados a agi en approuvant les décisions déjà prises au Canada par James et Jason Mann;

qq) depuis qu’il a été fondé en 1998, le groupe FFNA a négocié avec les fournisseurs du programme, pour le compte de ses membres. Jason Mann a négocié le prix de ClearOut avec les fournisseurs.

[75] Outre ses hypothèses, l’intimée a déclaré les faits supplémentaires suivants dans sa réponse modifiée :

a) le contrat de services conclu entre [sic] et NewAgco-Barbados ne rendait pas compte du véritable accord conclu par les parties;

b) AgraCity et NewAgco-Barbados ont agi de concert afin de donner l’impression trompeuse que NewAgco poursuivait l’activité de vente du produit ClearOut.

c) AgraCity savait que les profits réalisés grâce à la vente de ClearOut et déclarés par NewAgco-Barbados étaient les profits réalisés par AgraCity;

[76] La réponse modifiée de l’intimée indique également que la série d’opérations qui équivalait à un trompe-l’œil a commencé par la constitution en société de NewAgco Barbados. Elle comprenait la conclusion du contrat de services conclu entre AgraCity et NewAgco Barbados, les services fournis aux termes du contrat, l’achat de ClearOut et sa vente aux membres du groupe FFNA.

[77] Ayant entendu tous les témoignages et examiné tous les éléments de preuve dans leurs documents, je dois conclure qu’ils sont loin d’établir :

  • i) que les parties aux opérations voulaient révéler à quiconque que les obligations et droits légaux des parties différaient de ceux qu’elles connaissaient ou comprenaient;

  • ii) que ces parties tentaient de tromper quiconque au sujet de leur objectif, de leur intention ou de leur motifs quant à la conclusion des opérations.

[78] En d’autres termes, les éléments de preuve et les témoignages présentés n’établissent ni l’existence d’opérations trompe-l’œil ni un artifice trompeur. Les principaux motifs à cela sont les suivants :

  • i) Les opérations de 2006 et de 2007 (auxquelles a participé NewAgcoBarbados au cours de ses exercices 2007 et 2008) à l’égard desquelles des nouvelles cotisations ont été établies sont par ailleurs identiques à celles de l’année civile 2005 auxquelles a participé NewAgcoUS, une société liée qui ne se trouvait pas dans un pays à faible taux d’imposition. La structure initiale mise en place en 2005 comprenant la participation de NewAgcoUS confirme que la structure de base comprenant la participation d’une société non canadienne pour l’approvisionnement en produit ClearOut et la vente de celui-ci a été créée pour des motifs non fiscaux véritables, sans aucun motif ou sans aucune intention de tromper quiconque. En outre, la structure initialement choisie n’a manifestement pas été adoptée pour réduire l’impôt à payer. Elle confirme également que James et Jason Mann et d’autres agents du groupe FNA, ainsi que leurs conseillers admettaient généralement, d’après l’ARLA, qu’une société canadienne ne serait pas autorisée à être responsable de la vente ou de la distribution du produit ClearOut, dans le cadre du PIAP, et qu’elle ne serait pas autorisée à être le vendeur.

  • ii) La structure adoptée en 2005 comprenait la participation d’une nouvelle société non canadienne dont le nom, NewAgcoInc., se distinguait bien de celui d’autres sociétés du groupe FNA. Aucune tentative n’a été faite pour tromper d’autres personnes concernant la structure adoptée, les participants concernés ou son but et ses objectifs. L’intimée a accordé une grande importance au fait que la nouvelle société constituée dans le Delaware, au début de l’année 2005, et celle constituée à la Barbade, au début de l’année 2006, s’appelaient toutes les deux NewAgcoInc. On peut difficilement considérer que ce fait démontre qu’une tromperie a été perpétrée aux dépens des autorités fiscales ou sanitaires canadiennes ou qu’une tentative de camoufler les faits aux autorités canadiennes a eu lieu. La participation d’une société non canadienne préoccupait difficilement les autorités sanitaires canadiennes à l’époque, d’après leurs témoignages présentés à notre Cour. Il n’était même pas possible de confondre la nouvelle dénomination avec celle d’une société canadienne existante du groupe FNA. Ce n’était pas comme s’ils avaient nommé leur nouvelle société américaine AgraCityLtd. et qu’ils avaient ensuite donné ce même nom à leur société de la Barbade.

  • iii) La directrice générale de l’ARLA et la directrice générale de la division de la conformité à l’époque ont fourni à la Cour des témoignages relatifs aux politiques et pratiques de l’ARLA, à son interprétation de la LPA et à la manière dont le PIAP cadrait avec le régime législatif et réglementaire. Leurs témoignages ne pouvaient pas avoir été plus éloquents. Ils concordaient avec le fait que James Mann et le groupe FNA admettaient qu’une entité canadienne ne pouvait pas vendre le produit américain ClearOut aux agriculteurs canadiens, dans le cadre du PIAP. Même si l’opinion de l’ARLA est erronée et qu’une société canadienne aurait pu avoir été le vendeur, le choix d’une société non canadienne pour la vente du produit américain ClearOut depuis les États-Unis serait demeuré une décision stratégique fondée sur la gestion des risques tout à fait raisonnable, compte tenu des préoccupations exprimées par l’ARLA, comme l’indiquent ces mêmes témoignages et ses préoccupations quant au fait que la portée des activités du groupe FNA se limite à informer les membres existants ou potentiels de l’admissibilité du produit ClearOut, dans le cadre du PIAP, et de la capacité du groupe FNA à aider ses membres à effectuer leurs achats. Cette compréhension des frères Mann et du groupe FNA est confirmée par le fait qu’ils ont utilisé au départ une société américaine, pour la première année.

  • iv) C’est manifestement NewAgco Barbados qui a acheté le produit ClearOutpar l’entremise d’Albaugh. Le président d’Albaugh savait que NewAgco Barbados était l’acheteur et que Jason Mann négociait les achats et le contrat d’approvisionnement exclusif au nom de NewAgcoBarbados. De même, NewAgcoBarbados et les frères Mann prévoyaient que NewAgoBarbados soit l’acheteur. Le contrôleur, les agents et le conseil d’administration qui faisaient partie du groupe FNA, savaient que NewAgcoBarbados achetait le produit ClearOut auprès d’Albaugh et qu’elle le vendait aux membres du FNA, dans le cadre du PIAP. Dans son premier communiqué à l’intention des membres [12] , il leur a été clairement indiqué que le groupe FNA était l’unique promoteur et qu’ils pouvaient verser leurs paiements au groupe FNA qui transférerait ensuite ces fonds au fournisseur américain. Certains des agriculteurs qui ont témoigné savaient qu’ils achetaient le produit auprès de NewAgcoBarbados et même certains RSM du groupe FNA avaient connaissance de l’existence de NewAgcoBarbados au sein du groupe FNA. Les achats et les ventes ont été consignés dans les livres de compte de NewAgcoBarbados. Les fonds provenaient des comptes bancaires de NewAgcoBarbados et étaient transférés sur ceux-ci.

  • v) NewAgcoBarbados a reçu des commandes d’agriculteurs canadiens à un prix établi en dollars canadiens par Jason Mann, qui était dûment autorisé par NewAgcoBarbados à le faire, pour son compte. Ces commandes ont été passées par l’intermédiaire du groupe FNA qui promouvait auprès de ses membres l’offre du produit ClearOut dans le cadre du PIAP. NewAgcoBarbados a acheté le produit ClearOut auprès d’Albaugh à un prix en dollar américain négocié lors de chaque achat par M. Vance, pour le compte d’Albaugh et par Jason Mann, dûment autorisé à le faire par NewAgcoBarbados. NewAgcoBarbados se faisait expédier le produit ClearOut à ses entrepôts aux États-Unis qu’elle louait. NewAgcoBarbados prenait des mesures pour faire livrer le produit ClearOut aux agriculteurs canadiens, aux membres du groupe FNA et aux acheteurs et payait la livraison. Les sommes payées par ces acheteurs étaient perçues par AgraCity et étaient versées à NewAgcoBarbados et consignées par cette dernière.

  • vi) NewAgcoBarbados assumait un risque important dans ces opérations. Elle était exposée à un risque de change, car elle vendait en dollars canadiens, mais achetait en dollars américains, payait la location de ses entrepôts en dollars américains et payait le transport commercial en dollars américains. Pendant la période où elle a fonctionné de cette manière, NewAgcoBarbados a réalisé et comptabilisé un gain ou une perte de change qui ont été dûment consignés dans ses états financiers. NewAgcoBarbados possédait des stocks [13] et assumait ainsi certains des risques du marché liés à la baisse de la demande canadienne ou des prix canadiens ou à la hausse des prix américains qui entraînaient un déclin ou une disparition des occasions commerciales. NewAgcoBarbados possédait, vendait et transportait à l’échelle internationale un herbicide chimique utilisé pour les produits alimentaires. Cela représentait un risque potentiel lié à la responsabilité associée au produit et les États-Unis semblaient être le pays propice dans lequel engager une action liée à ce risque. Bien que faible, il s’agissait aussi d’un risque commercial véritable. Le fait que les parties à ces opérations aient pris des mesures afin de réduire au minimum leurs risques concorde avec des pratiques commerciales saines.

  • vii) NewAgcoBarbados avait acquis un atout très précieux pour elle-même et qui était essentiel pour les opérations et les occasions d’affaires dont elle cherchait à tirer parti de manière rentable : le contrat d’approvisionnement exclusif que NewAgcoBarbados avait conclu avec Albaugh concernant le produit américain ClearOut; le seul fabricant de l’unique herbicide à base de glyphosate approuvé dans le cadre du PIAP.

  • viii) Sir Trevor Carmichael a donné un témoignage d’expert irréfutable selon lequel NewAgcoBarbados a tout fait correctement et conformément au droit des sociétés et au droit commercial applicables de la Barbade. Il s’agissait notamment de la validité :

  • 1) de la nomination par son administrateur James Mann de Jason Mann pour que ce dernier participe à sa place aux réunions du conseil d’administration de NewAgco Barbados;

  • 2) de la ratification de 2008 des ventes de ClearOut réalisées par NewAgcoBarbados en 2006 et 2007;

  • 3) de la ratification de 2008 de l’augmentation des frais de services de 2006 et 2007 versés à AgraCity par NewAgcoBarbados, aux termes du contrat de services.

  • ix) Rien n’indiquait de façon sérieuse, d’après les témoignages, que les contrats, les opérations ou les activités n’étaient pas conformes au droit américain ou canadien, le cas échéant. Je ne suis absolument pas en mesure d’examiner sérieusement l’argument désespéré de l’intimée selon lequel la vente de ClearOut était en quelque sorte en violation de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et de son Règlement d’application concernant la LPA. Elle n’a pas fait référence à ces dispositions dans sa réponse modifiée. L’intimée n’a pas posé de question à Mme Dodds, qui était la directrice générale de l’ARLA établie aux termes de la LPA ou à son propre témoin, Mme McCullagh, qui était une directrice générale à l’ARLA, quant à la façon dont les acheteurs, à l’importation et dans le cadre du PIAP, se conformaient à cette autre loi fédérale, même si, d’après le nom du règlement connexe, ce dernier semble concerner la LPA. Mme Dodds a expliqué plus précisément dans son témoignage que la mise en application du PIAP prévu par le Règlement sur la LPA présentait des difficultés, compte tenu du libellé général de la LPA elle-même. Il est prudent de faire preuve de retenue quant à l’interprétation par les organismes de réglementation des lois les habilitant, surtout lorsque, comme en l’espèce, leur interprétation n’a pas été contestée dans les actes de procédure ou au cours de leurs témoignages. L’intimée ayant omis de le faire relativement à ces autres loi et règlements fédéraux ou de demander, avant de présenter son argument, l’autorisation de rappeler l’un ou l’autre de ces témoins pour traiter cette question, il serait à la fois injuste et inapproprié que j’examine cette question. Elle n’a pas été soulevée dans les actes de procédure et aucun fondement probatoire sur lequel cette question pouvait être examinée n’a été fourni à la Cour.

  • x) Le fait que des fournisseurs tiers aient envoyé des factures à une partie décrite de façon erronée, non existante ou liée ou qu’ils les aient envoyées à une adresse du groupe FNA, à Washington, D.C., ou à l’entrepôt dans le Dakota du Nord n’a pas vraiment d’importance, étant donné que NewAgcoBarbados et le groupe FNA exerçaient peu de contrôle sur la façon dont les fournisseurs tenaient ou mettaient leurs comptes internes à jour. Ce qui est important, c’est qu’il n’existe pas d’éléments de preuve laissant même entendre que de tels renseignements erronés ont été utilisés, ou ont continué de l’être, à la demande des frères Mann ou du groupe FNA. Les éléments de preuve démontrent que les fournisseurs étaient payés et que ces paiements étaient assumés par la bonne partie prévue. Les éléments de preuve démontrent aussi que le paiement des factures semblait être imputé sur les comptes transmis par courriel et non par courrier. Les bons de commande eux-mêmes cadraient avec le fait que l’acheteur était NewAgcoBarbados.

  • xi) De même, le fait qu’un accord juridique précise qu’il ne s’agit pas d’une convention de mandat (dans la même disposition qui nie également la création d’une société en nom collectif ou d’une coentreprise), mais que les parties, les personnes liées à elles ou leurs employés aient expliqué qu’ils agissaient en tant que mandataires d’une partie ou pour le compte de celle-ci, n’indique pas en soi que l’accord visait à masquer les faits réels et à tromper des tiers. Il rend peut-être simplement compte de la différence entre les mots employés dans un contrat juridique et ceux utilisés dans d’autres formes de communication.

  • xii) Le contrat de services conclu par AgraCity et NewAgcoBarbados semble être un accord contractuel valide qui indique dans une très large mesure ce qu’AgraCity était chargée d’effectuer et ce qu’elle a, dans les faits, effectué, ainsi que la manière dont AgraCity devait être rémunérée relativement à la prestation de ces services. Il n’y a aucune obligation indiquant qu’un contrat ou un accord de ce type doit être présenté par écrit. Il n’y a aucune exigence non plus voulant que les services de professionnels très bien rémunérés soient retenus pour rédiger un accord de ce type, par souci d’exactitude, même si des millions de dollars sont en jeu. Le fait que deux hommes d’affaires à Saskatoon qui exploitent leurs entreprises qu’ils gèrent eux-mêmes en tant que propriétaires s’inspiraient d’un contrat préalable tiré d’Internet relativement à un contrat de services intersociétés ne devrait surprendre personne et ne devrait pas être, par ailleurs, très préoccupant. Ce contrat décrit les services à fournir comme ceux qui ont été effectivement offerts : promotion et fourniture de services administratifs liés à la vente de ClearOut au Canada qui sont précisément décrits comme la promotion, la facturation, le recouvrement des comptes débiteurs, le paiement des factures de fournisseurs, les services de comptabilité, la logistique, les services frontaliers, la reddition de compte et d’autres services convenus à l’occasion.

  • xiii) Les frais de services indiqués dans le contrat de services étaient de dix cents le litre [traduction] « et pourraient être revus à l’occasion et rajustés, comme convenu mutuellement par les parties ». Le fait que deux parties liées se réunissaient en fin d’exercice et veillaient à ce que les frais de services aient généré un profit raisonnable, supérieur aux coûts du fournisseur de services, ne devrait pas surprendre ou être très préoccupant. Elles l’ont fait à deux reprises, en augmentant une première fois les frais pour qu’ils correspondent à quinze cents pour la première année, puis à vingt cents. Ces augmentations ont été dûment ratifiées par la suite par le conseil d’administration de NewAgcoBarbados. Il est facile pour des parties liées ayant un lien de dépendance de spontanément convenir des prix et des frais, sans être contraintes par les forces du marché libre. C’est précisément pourquoi la Loi exige que ces sommes soient raisonnables et qu’elles traduisent la juste valeur marchande et, dans des circonstances transfrontalières, le véritable motif pour lequel l’intimée s’est appuyée sur les règles en matière de prix de transfert de la Loi lorsqu’elle a établi les nouvelles cotisations et les cotisations subsidiaires devant notre Cour. Ces règles sont abordées séparément ci-dessous. Il n’est pas possible d’interpréter, du moins en l’espèce, le contexte de l’existence d’un lien de dépendance et le rajustement des prix comme des éléments de preuve démontrant un trompe-l’œil, si sa définition juridique est correctement comprise et appliquée. Il n’est pas non plus possible, du moins en l’espèce, d’interpréter cela comme un artifice, si sa définition juridique est correctement comprise et prise en considération.

  • xiv) Un grand nombre d’entreprises canadiennes possèdent des livres de compte et des registres pouvant être qualifiés d’équivoques par l’intimée. La Loi précise la nécessité de la bonne tenue des livres de compte et des registres, mais de trop nombreux appels devant notre Cour démontrent régulièrement que les Canadiens échouent souvent à cet égard. Des registres équivoques, incomplets ou insuffisants créent des difficultés à l’Agence, au moment de la vérification, ainsi qu’aux contribuables et aux juges lorsque le litige est porté devant la Cour. Ils ne constituent pas, à eux seuls, les éléments de preuve d’un trompe-l’œil, sauf s’il peut être démontré que leurs inexactitudes, incohérences ou omissions favorisent notamment des droits, des obligations, des revenus précis qui sont consignés, mais manifestement inexacts, de la partie. Cela n’est pas le cas en l’espèce.

Nouvelle qualification des prix de transfert – Alinéas 247(2)b) et d)

[79] L’une des exigences expresses pour une nouvelle qualification est que les parties ayant un lien de dépendance participent à une opération ou à une série d’opérations qui n’auraient pas été conclues par deux personnes sans lien de dépendance. En d’autres termes, la question préoccupante pour l’administration fiscale n’est pas simplement le prix ou d’autres conditions convenues par les parties, mais le fait que les opérations elles-mêmes convenues et réalisées par les parties « n’aurai[en]t pas été conclue[s] par des personnes sans lien de dépendance ». Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a examiné l’exigence de preuve de ce critère préalable à une nouvelle qualification dans l’arrêt Cameco. Comme je l’ai indiqué précédemment, le juge Webb a rejeté à juste titre l’argument de la Couronne selon lequel cela pourrait être interprété ou appliqué de façon plus large que ce qui est écrit.

[80] Les nouvelles cotisations ayant pris la forme d’un redressement en application des alinéas 247(2)a) et c), il n’est pas surprenant que la réponse modifiée ne comporte aucune hypothèse de fait pour appuyer la thèse de l’intimée selon laquelle des parties sans lien de dépendance n’auraient pas conclu ces opérations (du moins pas des hypothèses qui se distinguent de celles formulées par l’intimée pour étayer les thèses de trompe-l’œil ou de redressement apporté à la valeur). La demande modifiée soulève de surcroît le fait que [traduction] « NewAgco Barbados n’a exercé aucune fonction qu’une partie sans lien de dépendance paierait dans le cadre de la série d’opérations ».

[81] Le rapport d’expert de M. Rogerson présenté par l’intimée n’aborde pas non plus ce fait. Ses deux rapports en contre réfutation ne l’abordent pas non plus clairement en incluant des données, une preuve, des hypothèses ou des conclusions factuelles. Ses rapports continuent de mettre l’accent sur le fait que NewAgco Barbados ne remplit aucune fonction dans le cadre des opérations, même si elle est l’acheteur de ClearOut auprès d’Albaugh et le vendeur de ClearOut auprès des agriculteurs canadiens. Son rapport est entièrement structuré comme une analyse fonctionnelle visant à étayer son opinion selon laquelle des redressements en application des alinéas 247(2)a) et c) sont justifiés.

[82] Effectivement, selon la thèse de l’intimée concernant la nouvelle qualification en application des alinéas 247(2)b) et d), il est évident que des parties commerciales sans lien de dépendance n’accepteraient jamais d’accorder des profits à NewAgco Barbados, si elle n’exerçait aucune fonction dans le cadre des opérations, étant donné qu’elle n’avait aucun actif, aucun employé, aucune ressource, qu’elle n’offrait aucune autre valeur ou qu’elle ne jouait aucun autre rôle pour contribuer à l’activité de réalisation de profit ou générer des profits. L’avocat de l’intimée a reconnu que sa thèse concernant la nouvelle qualification dépendait de la même interprétation ou compréhension des faits et des éléments de preuve et qu’un argument quelque peu similaire a été soulevé relativement à sa thèse principale de trompe-l’œil [14] .

[83] Cette absence d’éléments de preuve présentés à la Cour pour étayer la thèse de l’intimée selon laquelle des parties sans lien de dépendance ne concluraient pas les opérations suffit à elle seule pour rejeter l’autre premier argument, compte tenu des conclusions tirées précédemment selon lesquelles des actifs et des ressources de NewAgco Barbados étaient utilisés dans les opérations et que cette société assumait des risques réels au titre des opérations.

[84] Cependant, après avoir déterminé que l’objet du contrat de services conclu entre NewAgco Barbados et AgraCity était l’opération à l’étude dans ce rapport, M. Rogerson a convenu dans son témoignage que le contrat de services, qui était soumis à une tarification adéquate, était un contrat que des parties sans lien de dépendance signeraient [15] .

[85] Il a poursuivi en expliquant que la tarification adéquate conformément au principe de pleine concurrence ne ferait que rembourser NewAgco Barbados, une société sans lien de dépendance qui ne réaliserait aucun profit, sous quelque forme que ce soit – puisqu’en somme, elle attribuerait la totalité des profits nets réalisés grâce aux ventes de ClearOut à AgraCity – pour les dépenses qu’elle a assumées et qui étaient liées aux coûts du produit, aux frais d’entreposage et de transport, aux frais de comptabilité et aux honoraires d’avocat, aux frais de constitution en société, aux coûts des réunions de son conseil d’administration, etc. Le motif invoqué dans son témoignage était celui indiqué dans son rapport : NewAgco Barbados n’a exercé aucune fonction ayant une valeur quelconque, la qualifiant de [traduction] « titulaire du contrat d’achat-vente » et NewAgco Barbados [traduction] « est une entité dont seule l’existence ajoute de la valeur » [16] . Ce témoignage d’opinion d’expert de M. Rogerson est un autre motif appuyant le rejet de l’autre premier argument de l’intimée sur les prix de transfert, particulièrement vu les conclusions concernant la participation de NewAgco Barbados, ses actifs, ses ressources et son exposition, dans le cadre des opérations de ventes du produit ClearOut et dans la réalisation de profits en question grâce aux ventes de ce produit.

[86] Rien dans les rapports d’expert ou les témoignages de l’appelante ne pouvait appuyer la thèse de l’intimée selon laquelle les opérations en question n’étaient pas des opérations que des parties sans lien de dépendance auraient conclues.

Montants des redressements – Alinéas 247(2)a) et c)

a) Le rapport économique sur les prix de transfert de M. Rogerson

[87] Le rapport économique sur les prix de transfert de M. Rogerson indique son opinion d’expert selon laquelle la valeur créée par les parties aux opérations ne concordait pas avec les montants crédités à AgraCity et à NewAgco Barbados. Cette opinion était fondée sur les hypothèses sur lesquelles l’intimée lui a demandé de se fonder. Selon son opinion d’expert, 100 % des profits nets réalisés par NewAgco Barbados grâce aux ventes du produit ClearOut aux membres du groupe FNA auraient dû être attribués à AgraCity et aucun de ces profits n’aurait appartenu à NewAgco si elles n’avaient eu entre elles aucun lien de dépendance.

[88] L’intimée a fourni à M. Rogerson, aux fins de formulation de son opinion, les hypothèses suivantes, entre autres :

  • 1) Jason Mann a négocié le prix de ClearOut avec les fournisseurs. (Rapport économique sur les prix de transfert de M. Rogerson intitulé [traduction] « Rapport principal », au paragraphe 43.) M. Rogerson s’appuie expressément sur cette hypothèse dans son analyse fonctionnelle, au paragraphe 54(2).

  • 2) Le personnel du groupe FNA établissait le prix du produit ClearOut (Rapport principal, à l’alinéa 44c)). M. Rogerson s’appuie expressément sur cette hypothèse dans son analyse financière, au paragraphe 44(1).

  • 3) NewAgcoBarbados achetait le produit ClearOut auprès d’Albaugh et auprès d’autres fournisseurs étrangers également (Rapport principal, au paragraphe 49).

  • 4) NewAgcoBarbados a vendu le produit ClearOut aux membres du groupe FNA pendant toute la période en question (Rapport principal, au paragraphe 29).

  • 5) NewAgcoBarbados était l’entité :

  • a) qui vendait contractuellement ClearOut aux agriculteurs canadiens (Rapport principal, à l’alinéa 58a));

  • b) qui achetait contractuellement ClearOut (Rapport principal, à l’alinéa 58b));

  • c) qui assurait le paiement du produit ClearOut et de son transport (Rapport principal, à l’alinéa 58c)).

  • 6) Les décisions concernant NewAgco-Barbados ont été prises au Canada par James et Jason Mann (Rapport principal, au paragraphe 59).

  • 7) Jason Mann était le seul à avoir le pouvoir de signature à l’égard du compte bancaire de NewAgcoBarbados et il autorisait tous les paiements effectués par NewAgcoBarbados (Rapport principal, au paragraphe 54).

  • 8) En 2006, AgraCity a conclu le contrat de services avec NewAgcoBarbados pour effectuer la vente du produit ClearOut aux membres du groupe FNA (hypothèse 27, au paragraphe 10 du Rapport principal). M. Rogerson s’est appuyé expressément sur cette hypothèse lorsqu’il a écrit ce qui suit dans son analyse fonctionnelle figurant dans son Rapport principal, au paragraphe 53 : [traduction] « NewAgcoBarbados a conclu un contrat de services avec AgraCity aux termes duquel AgraCityeffectuerait la vente du produit ClearOut aux membres du groupe FNA ».

  • 9) M. Rogerson a ensuite déclaré ce qui suit, dans le cadre de sa compréhension des relations commerciales et financières et de son analyse fonctionnelle :

[TRADUCTION]

« Cependant, NewAgco Barbados n’avait aucun employé et, par conséquent, elle n’était pas capable d’exercer des fonctions » (Rapport principal, au paragraphe 74).

« NewAgco Barbados, en revanche, n’a pas ouvert des débouchés potentiels (les agriculteurs), lancé un produit potentiel (ClearOut) ou fait appel à des fournisseurs qui n’étaient pas déjà connus, et elle n’a pas dispensé AgraCity d’exercer des fonctions en les exerçant à sa place. [...] par conséquent, NewAgco Barbados n’a pas eu la possibilité d’ajouter une plus-value dans le cadre de l’opération ou de tirer parti d’AgraCity » (Rapport principal, au paragraphe 77).

« NewAgco Barbados n’a exercé aucune fonction et elle n’était donc pas en mesure de générer une plus-value ou de tirer parti d’une plus-value dans le contexte d’une analyse des prix de pleine concurrence » (Rapport principal, au paragraphe 78).

« L’analyse fonctionnelle décrit ce que chaque partie à l’opération effectue réellement. Les fonctions exercées, en tenant compte des actifs utilisés et des risques courus dans le cadre de l’exécution de ces fonctions, fournissent des renseignements importants [...] (Rapport principal, au paragraphe 88).

« Bien que NewAgco Barbados soit engagée contractuellement dans les opérations, les fonctions exigées pour effectuer les opérations liées au produit ClearOut sont toutes exercées par d’autres parties liées ou non. Les opérations à tarifer comprenaient les interactions entre NewAgco Barbados et AgraCity et parmi ces deux entités, celle qui est la moins complexe est NewAgco Barbados, car elle n’exécute aucune fonction, n’utilise aucun actif et ne court aucun risque » (Rapport principal, au paragraphe 96).

« Bien que NewAgco Barbados soit engagée contractuellement dans les opérations, les fonctions exigées pour effectuer les opérations liées au produit ClearOut sont toutes exercées par d’autres entités liées ou non » (Rapport principal, au paragraphe 96).

« En l’espèce, NewAgco Barbados achetait contractuellement le produit ClearOut auprès de parties sans lien de dépendance et vendait contractuellement le produit ClearOut à des parties sans lien de dépendance. Cependant, toutes les fonctions nécessaires pour acheter et vendre le produit ClearOut ont été exercées pour d’autres parties que NewAgco Barbados – par AgraCity et le groupe FFNA, ainsi que par NewAgco-US. Étant donné que NewAgco Barbados n’exécutait aucune fonction, nous devons examiner deux éléments de tarification des fonctions dont ils sont contractuellement responsables : 1) premièrement, la valeur ajoutée par les parties qui exécutent véritablement les fonctions et 2) deuxièmement, si NewAgco Barbados est capable d’ajouter de la valeur ou d’en tirer parti en servant d’intermédiaire » (Rapport principal, au paragraphe 99).

« Dans cette situation, NewAgco Barbados ne négocie pas les prix pour acheter ou vendre le produit ClearOut » (Rapport principal, au paragraphe 108).

« La deuxième question porte sur la capacité de NewAgco Barbados, à titre de partie sans lien de dépendance, de générer une plus-value ou de tirer parti de la plus-value générée par les participants aux opérations [...]. NewAgco Barbados n’exerce aucune fonction et n’est pas en mesure de générer une plus-value ou d’en tirer parti, dans le contexte d’une analyse des prix de transfert de pleine concurrence. Cela ramènerait le prix de transfert à zéro, sauf que quelques parties sans lien de dépendance sont payées par l’intermédiaire de NewAgco Barbados » (Rapport principal, au paragraphe 109).

[89] Dans son témoignage devant la Cour, M. Rogerson était d’avis qu’une analyse fonctionnelle de l’OCDE n’impose pas une définition stricte d’une fonction et qu’elle comprenait l’utilisation d’éléments d’actif et la prise en charge des risques [17] .

[90] M. Rogerson a témoigné qu’en formant son opinion, il a compris que le produit ClearOut devait être vendu aux Canadiens par une société non canadienne [18] .

[91] M. Rogerson n’a pas été en mesure d’expliquer à la Cour pourquoi il qualifiait NewAgco Barbados de [traduction] « titulaire du contrat d’achat-vente » dans son rapport. Il a répondu que NewAgco Barbados était [traduction] « l’entité qui détient en réalité le contrat. Son nom y figure donc ». Il n’a pas répondu lorsqu’on lui a demandé s’il considère que NewAgco Barbados exerce une fonction inférieure à celle de l’acheteur et du vendeur du produit américain ClearOut qui possède le produit à titre d’intermédiaire [19] .

[92] M. Rogerson a confirmé que les opérations à l’étude aux fins d’examen des redressements apportés à la valeur des sommes facturées sont celles prévues dans le contrat de services [20] .

[93] M. Rogerson a témoigné que, dans une analyse fonctionnelle des prix de transfert de l’OCDE, il n’attribuerait pas de valeur à une opération de change réelle, à une responsabilité réelle associée aux produits ou à d’autres risques véritablement courus par NewAcgo Barbados en tant qu’acheteur, propriétaire, puis vendeur du produit ClearOut dans le cadre des opérations en question, même si des parties sans lien de dépendance, dans les mêmes circonstances, s’attendaient à payer et à percevoir des frais en contrepartie des risques courus pour l’autre. La raison en était qu’il ne pensait pas qu’une analyse fonctionnelle lui permettait d’attribuer quoi que ce soit à une personne qui, selon lui, n’exerçait aucune fonction. Il a reconnu qu’il comprenait pourquoi la Cour avait du mal à croire qu’une partie théorique à ces opérations entre parties sans lien de dépendance accepterait véritablement de ne pas être payée alors qu’elle court des risques réels, du point de vue juridique. Il a expliqué que [traduction] « s’il existe des risques qui sont dissociés de tout ce qui est accompli, il est alors très difficile d’établir un prix. C’est le problème en l’espèce ». En ce qui concerne la différence entre ses choix binaires limités entre 100 p. 100 et zéro à une analyse fonctionnelle et ce à quoi des parties théoriques sans lien de dépendance dans le monde réel s’attendraient, il a indiqué à la Cour ce qui suit : [traduction] « ce problème est de votre ressort et je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider davantage » [21] .

[94] M. Rogerson a témoigné que, dans son analyse fonctionnelle, il a évalué NewAgco Barbados et non AgraCity, c.-à-d. qu’il a examiné la valeur des fonctions exercées par NewAgco Barbados et ses contributions. La raison à cela était [traduction] qu’« AgraCity exerce beaucoup plus de fonctions » que NewAgCo Barbados [traduction] « et qu’il serait beaucoup plus difficile de trouver des comparables pour tout ce qu’[AgraCity] accomplit que d’en trouver pour ce que NewAgco Barbados accomplit ». Il a poursuivi en affirmant que, s’il avait évalué les fonctions d’AgraCity pour trouver des comparables, il se serait encore attendu à ce que [traduction] « dans une large mesure, tous les profits réalisés grâce à l’opération » soient attribués à AgraCity [22] (non souligné dans l’original).

[95] Dans son interrogatoire principal, M. Rogerson a témoigné au sujet de son Rapport principal :

Il a examiné les opérations conclues par AgraCity et NewAgco Barbados et la fonction exercée par chacune d’elles.

Il comprenait que les fonctions étaient toutes exécutées chez AgraCity et non chez NewAgco Barbados.

Selon lui, NewAgco Barbados n’avait pas le droit de dégager un rendement pour les fonctions exécutées, car elle n’en a exécuté aucune.

Il comprenait que NewAgco Barbados possédait le contrat lui permettant d’acheter le produit ClearOut auprès de fournisseurs sans lien de dépendance avec elle et celui lui permettant de vendre ClearOut à des membres du groupe FNA.

Il a déclaré que le contrat de services rendait AgraCity [traduction] « responsable essentiellement de la fourniture de toutes les fonctions nécessaires pour faire en sorte que l’opération ait véritablement lieu, pour obtenir le produit auprès des fournisseurs sans lien de dépendance et pour l’offrir aux utilisateurs sans lien de dépendance.

Lorsqu’il a examiné NewAgco Barbados, il a indiqué ce qui suit : [traduction] « elle n’a en réalité pas d’employés; elle n’exerce directement aucune fonction ». [traduction] « Évidemment, dans la mesure où elle fait exécuter des choses en son nom qui sont nécessaires pour l’opération, nous devrons tenir compte de cela lors de l’établissement du prix de l’opération conclue entre NewAgco Barbados et AgraCity ».

Il a déclaré que, dans le contrat de services, [traduction] « NewAgco Barbados n’exerce aucune fonction et AgraCity est chargée essentiellement de toutes les fonctions nécessaires à la vente du produit au Canada à des agriculteurs canadiens ».

Selon lui, bien comprendre la façon d’attribuer la plus-value entre les parties nécessite [traduction] « d’examiner les fonctions qui sont exercées, de tenir compte des actifs qui sont nécessaires et des risques qui sont associés à l’utilisation de ces actifs et de ces fonctions ».

D’après lui, NewAgco Barbados ne courait aucun risque associé aux stocks [traduction] « car personne n’achète des stocks en spéculant; on passe toujours une commande [23] ».

Selon lui, NewAgco Barbados ne courait aucun risque associé au prix, car le groupe FNA connaît le coût du produit ClearOut avant d’établir son prix pour les agriculteurs canadiens [24] .

[96] Dans son contre-interrogatoire, l’avocat de l’appelante a présenté à M. Rogerson trois propositions :

  • 1) ni AgraCity, ni le groupe FNA, ni aucune autre entité canadienne ne pouvaient légalement vendre le produit ClearOut aux membres canadiens du groupe FNA, même par l’intermédiaire d’une succursale américaine;

  • 2) en réalité, NewAgcoBarbados s’approvisionnait auprès de la société Albaugh, le fournisseur de ClearOut sans lien de dépendance, et négociait avec cette société;

  • 3) en somme, NewAgcoBarbados avait le monopole sur le produit américain ClearOut, ayant négocié avec Albaugh un contrat d’approvisionnement de 95 % de la production d’Albaugh, et elle rachetait activement d’autres quantités disponibles de produit ClearOut aux États-Unis.

[97] M. Rogerson a convenu que, si ces faits étaient exacts, ils créent de la valeur au sein de NewAgco Barbados et il faudrait examiner cela dans un rapport sur les prix de transfert structuré comme une analyse fonctionnelle [25] .

[98] Lors de son réinterrogatoire, M. Rogerson a ensuite expliqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

« Ce qui est important est qu’elle s’approvisionne maintenant activement auprès de fournisseurs, qu’elle négocie avec eux et qu’ils ont en quelque sorte verrouillé l’approvisionnement sur le marché. Ainsi, si c’est le seul produit qui peut être introduit au moyen du PIAP – et elle a les fournisseurs du produit et elle accomplit le travail pour négocier son prix, alors c’est cette activité qui ajouterait une plus-value. [...] Par conséquent, le fait qu’elle accomplit quelque chose et qu’elle a un monopole lui confère la capacité d’ajouter une plus-value dans le cadre de l’opération » [26] .

[99] Rien dans les rapports d’expert ou les témoignages de l’appelante ne pouvait appuyer la thèse de l’intimée selon laquelle, si NewAgco Barbados et AgraCity étaient des parties sans lien de dépendance, elles auraient conclu un contrat de services selon des modalités attribuant la totalité des profits réalisés grâce aux ventes du produit ClearOut à AgraCity et aucune part sous quelque forme que ce soit de ces profits à NewAgco Barbados. Ces rapports d’expert ou ces témoignages ne fournissaient aucune donnée, aucun renseignement ou aucune aide contribuant à établir que les frais de services payables à AgraCity différaient des frais que des parties sans lien de dépendance devraient prévoir ou qu’ils ne se situaient pas dans la fourchette.

Fardeau de la preuve

[100] Dans l’arrêt House c. Canada, 2011 CAF 234, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté par le contribuable à l’égard de ses pertes devant notre Cour. Ce faisant, le juge Nadon [27] a écrit ce qui suit :

[30] Pour trancher la question dont elle est saisie, il importe que la Cour garde à l’esprit l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (Hickman), dans lequel la juge L’Heureux-Dubé a énoncé, aux paragraphes 92 à 95 de ses motifs, les principes qui régissent le fardeau de la preuve dans le domaine de la fiscalité :

1. Dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités.

2. Le contribuable a la charge initiale de « démolir » les présomptions sur lesquelles le ministre se fonde pour établir sa cotisation.

3. Le contribuable s’acquitte de cette charge initiale lorsqu’il présente une preuve prima facie.

4. Lorsque le contribuable a établi une preuve prima facie, le fardeau de la preuve passe alors au ministre qui doit réfuter cette preuve en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, l’exactitude de ses présomptions (en l’espèce, la présomption que Hunt River détenait à la fin de l’année d’imposition 2002 un placement à long terme de 305 000 $ qu’elle a transféré à l’appelant en 2003).

5. Si le ministre ne présente aucune preuve satisfaisante, le contribuable a gain de cause.

[31] Plus précisément aux paragraphes 92 et 93 de ses motifs dans l’arrêt Hickman, la juge L’Heureux-Dubé a expliqué en termes clairs la charge dont devait s’acquitter le contribuable à l’étape initiale :

92. Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités : Dobieco Ltd. c. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 95, et que, à l’intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve : Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; Pallan c. M.R.N., 90 D.T.C. 1102 (C.C.I.), à la p. 1106. En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions (Bayridge Estates Ltd. c. M.N.R., 59 D.T.C. 1098 (C. de l’É.), à la p. 1101), et la charge initiale de « démolir » les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable (Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486; Kennedy c. M.R.N., 73 D.T.C. 5359 (C.A.F.), à la p. 5361). Le fardeau initial consiste seulement à « démolir » les présomptions exactes qu’a utilisées le ministre, mais rien de plus : First Fund Genesis Corp. c. La Reine, 90 D.T.C. 6337 (C.F. 1re inst.), à la p. 6340.

93 L’appelant s’acquitte de cette charge initiale de « démolir » l’exactitude des présomptions du ministre lorsqu’il présente au moins une preuve prima facie : Kamin c. M.R.N., 93 D.T.C. 62 (C.C.I.); Goodwin c. M.N.R., 82 D.T.C. 1679 (C.R.I.). En l’espèce, l’appelante a produit une preuve qui respecte non seulement la norme prima facie, mais, selon moi, une norme encore plus sévère. À mon avis, l’appelante a « démoli » les présomptions suivantes : a) la présomption de l’existence de « deux entreprises », en produisant une preuve claire de l’existence d’une seule entreprise; b) la présomption qu’il n’y a « aucun revenu », en produisant une preuve claire de l’existence d’un revenu. Il est établi en droit qu’une preuve non contestée ni contredite « démolit » les présomptions du ministre : voir par exemple MacIsaac c. M.R.N., 74 D.T.C. 6380 (C.A.F.), à la p. 6381; Zink c. M.R.N., 87 D.T.C. 652 (C.C.I.) [...]

[101] L’approche de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt House n’a pas été compromise par la majorité dans sa décision ultérieure intitulée Sarmadi c. Canada, 2017 CAF 131. Cependant, dans ses motifs concordants dans l’arrêt Sarmadi, le juge Webb a établi une approche nouvelle et, de mon point de vue, en tant que juge de première instance, préférable, ainsi qu’une interprétation de l’évolution de la jurisprudence qui régit le fardeau de la preuve qui incombe aux parties dans les affaires fiscales. La question du fardeau de la preuve dans les affaires fiscales a été récemment examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eisbrenner c. Canada, 2020 CAF 93, soit l’appel interjeté à l’encontre de la décision Morrison c. La Reine 2018 CCI 220, rendue par le juge Owen de notre Cour.

[102] Dans l’arrêt Eisbrenner, il semble que le juge Webb, en rédigeant les motifs souscrits unanimement, a adopté son approche dissidente dans l’arrêt Sarmadi à l’égard du fardeau de la preuve qui incombe aux parties devant la Cour de l’impôt.

[103] Dans l’arrêt Sarmadi, le juge Stratas avait trouvé les propos du juge Webb à l’égard du fardeau de formulation de « réfléchis, inspirants et intéressants » sur cette question fondamentale, et la juge Woods avait souscrit à ses observations. Il avait ensuite invité les juges de la Cour de l’impôt à faire part de leurs perspectives utiles.

[104] Je félicite tous les juges de la Cour d’appel fédérale qui s’efforcent de voir à ce que le texte législatif, dans ce domaine, soit révisé et à ce qu’il évolue. Quoi qu’il en soit, selon mon expérience, jamais la norme de la prépondérance des probabilités sur laquelle prenaient appui la charge initiale, la preuve prima facie, la charge de démolir les présomptions et le déplacement du fardeau, dans l’arrêt Hickman Motors, ne s’est avérée nécessaire ou particulièrement utile. On peut presque toujours s’attendre à ce que cela suscite plus de passion que de réflexion dans la salle d’audience. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas essayé de me fonder sur cette norme pour aider mon client ou que je ne l’ai pas appliquée lorsque cela pouvait rendre mes motifs plus simples. C’est le droit énoncé par la Cour suprême du Canada et je suis lié par celui-ci. Je félicite tous les efforts déployés pour qu’il soit révisé et je serais favorable à un résultat où la norme de preuve selon la prépondérance des probabilités habituellement appliquée au civil s’applique également devant la Cour de l’impôt de la même manière que cette norme s’applique dans tous les autres procès non criminels, devant les tribunaux canadiens.

[105] Cela dit, je suis conscient que l’approche adoptée dans l’arrêt Hickman Motors est expressément fondée sur des décisions antérieures rendues par la Cour suprême du Canada et que cette dernière n’a jamais clairement et expressément révisé, et encore moins annulé, sa décision dans l’arrêt Hickman Motors. En tant que juge de première instance, je tiens également compte de ma position dans la hiérarchie judiciaire selon le protonotaire Funduk et le juge Bowman [28] . Dans l’arrêt Canada c. Craig, 2012 CSC 43, la Cour suprême du Canada précise unanimement que les cours inférieures n’ont pas le droit d’écarter leur précédent jurisprudentiel ou de manifester l’intention de l’annuler. Seule la Cour suprême a le droit de le faire et on peut s’attendre à ce qu’elle le fasse clairement et expressément : voir les paragraphes 3, 18 à 23, 24 et 25, 26 à 32 des motifs du juge Rothstein dans l’arrêt Craig. Pour ces motifs, je suis le courant jurisprudentiel des arrêts Hickman Motors et House sur la question [29] .

Règlement des appels

[106] Notre Cour a conclu que l’achat et la vente du produit ClearOut, ainsi que les opérations connexes ne constituaient pas un trompe-l’œil et qu’aucune opération individuelle dans la série d’opérations, à partir de la constitution en société de NewAgco Barbados pour l’activité de vente du produit ClearOut, ne constituait un trompe-l’œil. Les opérations qui ont eu lieu et qui ont été documentées étaient les opérations prévues, convenues et déclarées par les parties à des tiers, notamment l’Agence. Toute lacune dans les documents n’est pas révélatrice de l’intention de l’appelante ou de toute autre personne au sein du groupe FNA de tromper l’Agence ou qui que ce soit d’autre.

[107] Notre Cour a conclu ce qui suit :

En 2005, NewAgco US a été sélectionnée pour être l’acheteur et le vendeur du produit ClearOut, car il était généralement admis, par James Mann et par d’autres personnes faisant partie du groupe FNA, qu’une entité non canadienne était requise dans le cadre du PIAP administré par l’ARLA, aux termes de la LPA, et que le groupe FNA ne pouvait que promouvoir auprès de ses membres et de ses membres potentiels l’offre du produit ClearOut, dans le cadre de ce programme. En outre, je considère que, dans les circonstances, leur compréhension était raisonnable. Cette compréhension est demeurée la même lorsque l’activité de NewAgco US a été transférée à NewAgco Barbados au début de 2006.

NewAgco Barbados était l’acheteur et le propriétaire bénéficiaire du produit ClearOut et elle agissait pour son propre compte lors de l’achat du produit et jusqu’à la vente de celui-ci aux agriculteurs canadiens. Elle n’était pas un mandataire titulaire d’un contrat d’achat-vente, une nue-fiduciaire, un prête-nom ou une forme de société désignée ou de titulaire nominale.

NewAgco Barbados a payé ses achats et perçu le produit des ventes pour son propre compte.

NewAgco Barbados avait indiqué toutes les quantités pertinentes de produit ClearOut en provenance des États-Unis qu’elle avait achetées et vendues. Jason Mann l’a effectué pour le compte de NewAgco Barbados qui l’avait dûment autorisé à faire exactement cela. NewAgco Barbados achetait toutes les quantités de produit ClearOut des États-Unis qu’elle pouvait trouver.

NewAgco Barbados a mandaté Jason Mann pour négocier un contrat d’approvisionnement exclusif avec Albaugh qui assurait l’accès de NewAgco Barbados à 95 % des quantités du produit ClearOut des États-Unis fabriqué par la seule entité ayant le droit de fabriquer le produit américain ClearOut.

NewAgco Barbados a couru un véritable risque de change dans le cadre de ses activités de vente du produit ClearOut, car elle achetait et engageait des dépenses connexes en dollars américains et vendait en dollars canadiens. Ce risque de change a pu être réduit au minimum relativement aux coûts d’achat du produit américain ClearOut, mais pas relativement à une partie des coûts liés au transport aux États-Unis pour la livraison du produit ClearOut, une fois vendu aux agriculteurs canadiens, ou aux coûts d’entreposage aux États-Unis et à d’autres dépenses associées à ces activités qui étaient exercées aux États-Unis.

NewAgco Barbados a couru de véritables risques en tant que propriétaire de volumes importants d’un herbicide à base de produits chimiques réglementé et appliqué sur des produits alimentaires et en tant que transporteur international de ce produit pour les agriculteurs canadiens.

Le contrat de services porte sur la bonne opération dont les conditions, droits et obligations doivent être examinés aux fins de l’application des règles en matière de prix de transfert dans la Loi.

[108] Ces conclusions, fondées sur les éléments de preuve de l’appelante et de l’intimée en réponse à celles-ci, présentent manifestement une preuve prima facie qui démontre que les nouvelles cotisations sont erronées et elles démolissent les hypothèses de fait de l’intimée qui étayaient les redressements au titre desquels la totalité des profits nets de près de six millions de dollars, réalisés par NewAgco Barbados grâce aux ventes, était attribuée à l’appelante. Il reste donc à la Cour de trancher quelle somme, inférieure à la totalité des profits nets réalisés par NewAgco Barbados, grâce aux ventes, serait payable par NewAgco Barbados à l’appelante pour les services fournis par AgraCity, aux termes du contrat de services, si elles n’avaient eu entre elles aucun lien de dépendance.

[109] L’appelante avait déclaré près de deux millions de dollars de frais de services (calculés aux tarifs de 15 et de 20 cents le litre) perçus, aux termes du contrat de services, pendant la période en question. C’est ce montant qui, d’après les nouvelles cotisations, est contesté, car beaucoup trop faible pour la valeur des services fournis et bien inférieure au montant sur lequel des parties sans lien de dépendance se seraient entendues.

[110] Les services fournis par AgraCity, aux termes du contrat de services, étaient en grande partie, bien que non exclusivement, de nature logistique. AgraCity les sous-traitait aussi en grande partie à des tiers sans lien de dépendance avec elle, à des tarifs de pleine concurrence, p. ex. le transport, l’entrepôt, les courtiers en douane, le recyclage et l’élimination des conteneurs.

[111] L’intimée a choisi de ne pas présenter à la Cour d’éléments de preuve pour étayer la manière de trancher ce montant ou le fondement sur lequel il doit reposer ou par rapport auquel il doit être évalué. L’intimée soutient plutôt que la totalité des profits nets réalisés grâce aux ventes aurait été payable à AgraCity par une partie sans lien de dépendance avec elle. L’expert de l’intimée n’a pas pu aider la Cour, même après avoir admis que, si NewAgco Barbados était la partie qui s’approvisionnait en réalité en produit américain ClearOut et qu’elle avait obtenu le quasi-monopole sur l’approvisionnement, ces faits signifieraient que NewAgco Barbados n’apportait pas de plus-value aux opérations.

[112] L’expert de l’appelante, Brad Rolph, a fourni un élément de preuve d’expert démontrant que les frais de services mentionnés dans le contrat de services généraient des revenus pour AgraCity qui provenaient des services qu’elle offrait aux termes du contrat de services, et dont les montants se situaient dans la fourchette de pleine concurrence. Il l’a indiqué dans son rapport en contre-preuve pour réfuter le rapport économique sur les prix de transfert de M. Rogerson présenté par l’intimée et il l’a expliqué dans son témoignage. En somme, dans le rapport de M. Rolph, les données accessibles sur les rendements, les marges ou les marges sur les coûts perçus par les sociétés nord-américaines qui sont connues pour fournir des services de logistique globalement semblables ont été étudiées. Plus précisément, il a examiné les grandes sociétés publiques, dont beaucoup étaient situées aux États-Unis et les grandes sociétés canadiennes d’expédition de marchandises, de courtage et d’agences. D’après l’information disponible, ces sociétés réalisaient un rendement compris entre 5 % et 15 % en sus de leurs coûts. La méthode du coût majoré est également reconnue dans les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert et elle devrait être envisagée en l’absence de prix comparables sur le marché libre (PCML) de pleine concurrence [30] .

[113] Dans son rapport en contre-preuve, M. Rolph a établi que le rendement d’AgraCity sur les coûts, sur une base comparable, était d’environ 30 % environ. Dans son témoignage, il a reconnu qu’il serait juste et préférable de l’établir à près de 12 %, car, dans son rapport, il avait calculé le rendement sur les coûts après avoir retiré la somme des coûts qu’AgraCity avait versée au groupe FNA, conformément aux Principes de l’OCDE, tandis que les données accessibles de pleine concurrence auraient été calculées en fonction du total des coûts, notamment ceux encourus par des parties ayant un lien de dépendance [31] .

[114] Pour cette raison, M. Rolph était d’avis que les rendements d’AgraCity se situaient à la limite supérieure de la fourchette de coûts comparables, plus les rendements provenant des données accessibles qu’il a pu obtenir, et que les frais de services d’AgraCity, aux termes du contrat de services, correspondaient à un taux de rendement raisonnable pour ses services qui étaient principalement des services de logistique.

[115] La force probante de ces éléments de preuve est évidemment limitée. M. Rolph les a lui-même qualifiés [traduction] d’« analyses comparatives brutes ». Il s’agit toutefois des seuls éléments de preuve présentés à la Cour par l’une ou l’autre des parties et qui abordent la question ultime à trancher en application des alinéas 247(2)a) et c) qui est de savoir si la somme versée à AgraCity par NewAgco Barbados, en contrepartie de ses services relatifs aux ventes de produit ClearOut, était une somme qui aurait été payable par une personne à une autre personne avec laquelle elle n’a aucun lien de dépendance en contrepartie de ces services.

[116] Les seuls éléments de preuve dont dispose la Cour à ce sujet révèlent que la somme versée à AgraCity a généré un rendement en sus de ses coûts qui était compris dans la fourchette de ce que des parties sans lien de dépendance comparables perçoivent. Ces éléments de preuve concernant ce que des parties théoriques sans lien de dépendance auraient convenu en contrepartie des services fournis par AgraCity étant les seuls disponibles, ils constituent aussi, par définition, les meilleurs éléments de preuve dont dispose la Cour, même si leur force probante est limitée.

[117] Je conclus que l’appelante s’est acquittée de sa charge initiale de « démolir » les hypothèses de l’intimée énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hickman Motors et une nouvelle fois par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt House. L’appelante a fait bien plus que présenter un élément de preuve prima facie. L’intimée n’a présenté aucun élément de preuve satisfaisant provenant de ses propres témoins ou des témoins de l’appelante pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que ses hypothèses pertinentes ou ses autres allégations et thèses étaient exactes. Par conséquent, l’appel du contribuable est accueilli.

[118] Je peux ajouter que, même si l’approche sans doute plus intéressante, juste et équitable du juge Webb à l’égard du fardeau de la preuve qui incombe aux parties et du fardeau de la preuve qui s’applique aux appels en matière fiscale dans les arrêts Sarmadi et Eisbrenner était l’approche requise ou choisie à utiliser, je conclurais toujours en faveur de l’appelante. La contribuable a fourni des témoignages d’experts crédibles, incontestés et irréfutables, fondés sur les données accessibles, qui confirment que la somme déclarée par AgraCity comme le profit qu’elle a réalisé, en plus des coûts liés à ses services offerts à NewAgco Barbados, était bien comprise dans la fourchette quelque peu approximative, mais à mon avis acceptable, de la somme qu’un fournisseur de services sans lien de dépendance aurait pu avoir perçue dans des circonstances similaires qui correspondent, d’après moi, aux opérations conclues entre NewAgco Barbados et AgraCity.

Pénalités

[119] Aucune des pénalités imposées ne peut être étayée.

Dépens

[120] Les dépens sont adjugés aux deux appelantes. Les parties disposent d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi les parties disposeront alors d’un délai de 30 jours pour déposer leurs observations écrites sur les dépens. Chaque partie disposera ensuite de quinze jours supplémentaires pour répondre aux observations. Ces observations ne doivent pas dépasser quinze pages initialement et dix pages pour les réponses aux observations. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et que les appelantes ne présentent aucune observation, le montant des dépens sera déterminé conformément au tarif prévu aux Règles.

Signé à Montréal (Québec), ce 27e jour d’août 2020.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour d’août 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Annexe 1 Nouvelle qualification des prix de transfert

247(2) Redressement – Lorsqu’un contribuable... et une personne non-résidente avec laquelle le contribuable, ... a un lien de dépendance, ... prennent part à une opération ou à une série d’opérations et que, selon le cas:

...

b) les faits suivants se vérifient relativement à l’opération ou à la série :

(i) elle n’aurait pas été conclue entre personnes sans lien de dépendance,

(ii) il est raisonnable de considérer qu’elle n’a pas été principalement conclue pour des objets véritables, si ce n’est l’obtention d’un avantage fiscal,

les montants qui, si ce n’était le présent article et l’article 245, seraient déterminés pour l’application de la présente loi quant au contribuable ... pour une année d’imposition ou un exercice font l’objet d’un redressement de façon qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si :

d) dans le cas où l’alinéa b) s’applique, l’opération ou la série conclue entre les participants avait été celle qui aurait été conclue entre personnes sans lien de dépendance, selon les modalités qui auraient été conclues entre de telles personnes.

247(2) Transfer pricing adjustment- Where a taxpayer ...and a non-resident person with whom the taxpayer does not deal at arm’s length...are participants in a transaction or a series of transaction and

...

(b) the transaction or series

(i) would not have been entered into between persons dealing at arm’s length, and

(ii) can reasonably be considered not to have been entered into primarily for bona fide purposes other than to obtain a tax benefit,

any amounts that, but for this section and section 245, would be determined for the purposes of this Act in respect of the taxpayer or ... for a taxation year or fiscal period shall be adjusted (in this section referred to as an “adjustment”) to the quantum or nature of the amounts that would have been determined if,

(d) where paragraph (b) applies, the transaction or series entered into between the participants had been the transaction or series that would have been entered into between persons dealing at arm’s length, under terms and conditions that would have been made between persons dealing at arm’s length.

Annexe 2 Redressements des prix de transfert

247(2) Redressement – Lorsqu’un contribuable ... et une personne non-résidente avec laquelle le contribuable ... a un lien de dépendance, ou une société de personnes dont la personne non-résidente est un associé, prennent part à une opération ou à une série d’opérations et que, selon le cas :

a) les modalité conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre des participants, à l’opération ou à la série diffèrent de celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance,

les montants qui, si ce n’était le présent article et l’article 245, seraient déterminés pour l’application de la présente loi quant au contribuable ... pour une année d’imposition ou un exercice font l’objet d’un redressement de façon qu’ils correspondent à la valeur ou à la nature des montants qui auraient été déterminés si :

c) dans le cas où l’alinéa a) s’applique les modalités conclues ou imposées, relativement à l’opération ou à la série, entre les participants avaient été celles qui auraient été conclues entre personnes sans lien de dépendance ;

247(2) Transfer pricing adjustment – Where a taxpayer and a non-resident person with whom the taxpayer ... does not deal at arm’s length ... are participants in a transaction or a series of transactions and

(a) the terms or conditions made or imposed, in respect of the transaction or series, between any of the participants in the transaction or series differ from those that would have been made between persons dealing at arm’s length, or

any amounts that, but for this section and section 245, would be determined for the purposes of this Act in respect of the taxpayer ... for a taxation year or fiscal period shall be adjusted (in this section referred to as an “adjustment”) to the quantum or nature of the amounts that would have been determined if,

(c) Where only paragraph (a) applies, the terms and conditions made or imposed, in respect of the transaction or series, between the participants in the transaction or series had been those that would have been made between persons dealing at arm’s length ...


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 91

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2014-1537(IT)G, 2014-1526(IT)G

INTITULÉ :

AGRACITY LTD. et 101072498 SASKATCHEWAN LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEUX DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario) et Montréal (Québec)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12 et 13 décembre 2018, les 28, 29, 30, 31 janvier 2019, le 1er février 2019, les 15, 16 et 17 juillet 2019, les 18, 19 et 20 septembre 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 août 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Justin Kutyan

Me Martin Gentile

Me Kristen Duerhammer

Avocats de l’intimée :

Me Pascal Tétrault

Me Vincent Bourgeois

Me John Krowina

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Justin Kutyan

Me Martin Gentile

Me Kristen Duerhammer

Cabinet :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Exercice se terminant le 31 mars.

[2] Exercice se terminant le 31 décembre.

[3] Cet aspect des nouvelles cotisations établies à l’égard des deux contribuables a fait l’objet d’un contentieux procédural antérieur devant notre Cour et devant la Cour d’appel fédérale (2015 CAF 288).

[4] Bien que l’intimée admette le bien-fondé de l’appel interjeté par Saskco, elle entend le faire sans dépens. Le contrôle de l’adjudication des dépens ne relève pas du contrôle unilatéral de l’intimée.

[5] En relevant les hypothèses qui sont jugées clés, je ne tiens aucunement compte des hypothèses dans la réponse modifiée qui sont des hypothèses de droit et non de fait ou qui sont des conclusions de fait.

[6] Un appel interjeté devant la Cour d’appel fédérale est en instance.

[7] 2020 CAF 112.

[8] Transcription, 31 janvier 2019, page 1155, lignes 1 à 19.

[9] Les opérations en question ont été présentées au Comité de revue des prix de transfert. Cependant, M. Rogerson n’a pas participé aux réunions ou à toute autre activité.

[10] Voir, par exemple, la transcription du témoignage de Mme McCullagh, le 30 janvier 2019, page 1104, lignes 18 à 20, et de la page 1113, ligne 20, à la page 1120, ligne 3.

[11] L’alinéa 15c) de la réponse modifiée est rédigé de la même manière, sauf qu’il se termine en renvoyant aux alinéas 247(2)b) et d), au lieu des articles 3 et 9.

[12] Pièce A-92 – qui a été fournie à l’ARLA aux fins d’examen avant sa publication.

[13] NewAgco Barbados a même acheté les stocks que NewAgco US possédait lorsque NewAgco Barbados a démarré en 2006.

[14] Voir par exemple la transcription du 20 septembre 2019, à la page 54, lignes 3 à 13.

[15] Transcription du 17 juillet 2019, aux pages 233 et 234.

[16] Paragraphe 16 du rapport en contre réfutation de M. Rogerson du rapport de M. Dujsic.

[17] Transcription du 17 juillet 2019, pages 222 à 226.

[18] Transcription du 17 juillet 2019, page 229. Cette affirmation ne figure pas dans ses hypothèses, mais l’intimée, qui fait valoir à présent que cela n’est pas le cas, lui a vraisemblablement dit cela.

[19] Transcription du 17 juillet 2019, pages 230 à 234.

[20] Transcription du 17 juillet 2019, pages 232 à 234. Je suis d’accord avec une telle approche et je considère que l’objet du contrat de services est l’opération à l’étude. Le contrat de services constitue l’accord transfrontalier entre un résident canadien et un non-résident.

[21] Transcription du 17 juillet 2019, pages 245 à 257.

[22] Transcription du 17 juillet 2019, pages 259 et 264.

[23] Cela est incompatible avec le fait que NewAgco Barbados a acheté les stocks de NewAgco US. Les autres achats de NewAgco Barbados n’étaient pas assujettis à une condition de vente, ni effectués parallèlement à celle-ci.

[24] Cela ne tient pas compte d’autres coûts, comme le transport, le recyclage, les courtiers en douane ou le risque de change qui y est associé.

[25] Transcription du 15 juillet 2019, pages 51 à 53.

[26] Transcription du 15 juillet 2019, pages 62 et 63.

[27] Tel était alors, et est toujours, son titre.

[28] Voir l’arrêt Sussex Square Apartments Ltd. c. Canada, [1998] A.C.I. no 1109, (1998) 97-620-ITG, à la note de bas de page 2.

[29] Je suis tout à fait certain qu’AgraCity obtiendrait gain de cause en appel si je devais appliquer l’interprétation adoptée par le juge Webb du droit sur le fardeau de la preuve dans les appels en matière fiscale qui est énoncée aux paragraphes 61 à 63 de ses motifs dans l’arrêt Samardi (dissident sur ce point) et dans l’arrêt Eisbrenner. Je rédigerais toutefois ces motifs quelque peu différemment.

[30] Apparemment, certains experts des prix de transfert qualifieraient cette approche de méthode de la marge nette de transaction ou MMNT et non de PCML, même si les données disponibles ne sont pas, de l’avis de M. Rolph, transactionnelles.

 

[31] Transcription du 16 juillet 2019, pages 177 à 179, 186, 191 à 193, 203, 205, 206, 208 et 209.

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