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Dossier : 2018-2091(IT)I

ENTRE :

JODI GARDNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 septembre 2020, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Philip Varmuza

Avocat de l’intimée :

Me Mike Chen

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2015 de l’appelante, établie le 16 février 2016 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (la Loi), est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre du Revenu national en vue d’un réexamen et de l’établissement d’une nouvelle cotisation au motif que l’appelante a droit à des dépenses d’emploi de 12 868 $ aux termes du sous-alinéa 8(1)h.1)(ii) de la Loi, les dépens accordés à l’appelante étant fixés à 1 000 $, payables dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement dans le cadre du présent appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de septembre 2020.

« B. Russell »

Le juge Russell


Référence : 2020 CCI 108

Date : 20200930

Dossier : 2018-2091(IT)I

ENTRE :

JODI GARDNER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

I. Introduction :

[1]  L’appelante, Mme Jodi Gardner, interjette appel à l’encontre de la nouvelle cotisation établie le 16 février 2016 en application de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (la Loi) pour son année d’imposition 2015. La nouvelle cotisation a rejeté les frais de déplacement en véhicule à moteur qu’elle avait réclamés pour ses déplacements entre son bureau à domicile, situé à Pickering, et le principal établissement de son employeur, situé à Oakville, une distance aller seulement de 72 kilomètres. Elle soutient que les frais de déplacement de 12 868 $ réclamés en cause sont déductibles en tant que dépenses d’emploi, conformément au sous-alinéa 8(1)h.1)(ii) de la Loi. Cette disposition est ainsi rédigée :

8(1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

[...]

h.1) dans le cas où le contribuable, au cours de l’année,

[...]

a été tenu, aux termes de son contrat d’emploi, d’acquitter les frais afférents à un véhicule à moteur qu’il a engagés dans l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi,

les sommes qu’il a dépensées au cours de l’année au titre des frais afférents à un véhicule à moteur pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi, sauf s’il a, selon le cas :

[...]

[2]  La question, selon le libellé du sous-alinéa 8(1)h.1)(ii), est celle de savoir si les dépenses réclamées en cause « [...] ont été engagées pour se déplacer dans l’exercice [...] des fonctions de son emploi [...] ». L’appelante affirme que le déplacement en cause est un déplacement professionnel, car il s’agit d’un déplacement entre deux lieux de travail, dont l’un étant son bureau à domicile. L’intimée indique que l’appelante se déplace dans un véhicule à moteur entre l’établissement commercial de son employeur à Oakville et son domicile, et qu’il s’agit d’un déplacement personnel et non d’un déplacement professionnel.

II. Preuve :

[3]  L’appelante a été le seul témoin dans la présente affaire. En résumé, elle a déclaré qu’au cours de l’année 2015, elle était employée par Coty Canada Inc. (CCI), qui avait des bureaux au Canada et des sociétés affiliées aux États-Unis et à l’étranger. CCI fait partie d’une société mondiale de produits de beauté qui produit et vend des cosmétiques notamment. CCI a rempli, pour le compte de l’appelante, un formulaire T2200 « Déclaration des conditions de travail » conformément au paragraphe 8(10) de la Loi pour cette année-là. Dans ce document, signé par le directeur financier de CCI, on indique que le poste de l’appelante « représentante commerciale ». Il indique également que le contrat de travail de l’appelante l’obligeait à utiliser une partie de son domicile pour travailler et que le pourcentage de ses tâches effectuées à son domicile était de 90 %. Le formulaire T2200 indique également que l’appelante, en tant qu’employée, avait droit de recevoir une allocation pour frais de véhicule à moteur, ce dont elle s’est prévalue, et qu’elle n’avait pas l’usage d’un véhicule de fonction.

[4]  Elle a également établi en preuve qu’elle travaillait quotidiennement depuis son bureau à domicile, parlant avec des clients et des clients potentiels ainsi qu’avec les membres de son équipe de vente. Cela expliquerait les 90 % de son travail à domicile dont il est question dans le formulaire T2200. Elle rencontrait également des clients, etc., de temps en temps, en se rendant en voiture aux endroits où se trouvaient ces personnes, à partir de son bureau à domicile de Pickering.

[5]  En dehors de ces fonctions, elle était amenée de temps en temps, peut-être une ou deux fois par semaine en moyenne, à se rendre à l’établissement commercial de CCI à Oakville. Ces déplacements avaient généralement lieu pour des réunions « en tête-à-tête » avec son patron, des réunions avec l’ensemble de l’équipe de marketing et pour assister à des séances de discussion ouverte organisées par CCI pour tous ses employés à l’échelle du pays et ailleurs. Elle n’avait pas son propre bureau ou poste de travail à Oakville. Lorsqu’elle avait besoin d’un endroit où travailler, généralement avant ou après la tâche particulière qui l’y obligeait, elle utilisait la salle de réunion si elle était inoccupée, ou le bureau de son patron si celui-ci était libre. Il y avait quelques bureaux à cloison, c’est-à-dire des postes de travail qui pouvaient être utilisés temporairement par n’importe qui. Ses déplacements obligatoires au bureau local d’Oakville pour CCI étaient plus fréquents pendant les périodes de « planification du printemps » et de « planification de l’automne » pour l’introduction de nouveaux produits de beauté sur le marché ontarien de CCI. L’appelante a également témoigné qu’elle n’a jamais travaillé au bureau d’Oakville de « 9 à 5 » (9 h à 17 h), mais qu’elle s’y rendait de manière sporadique et pour des visites d’une ou deux heures, notamment pour les différents types de réunions, etc. comme il est mentionné ci-dessus.

III. Question en litige :

[6]  La question qui se pose en l’espèce est uniquement celle de savoir si les déplacements en voiture entre le bureau à domicile de l’appelante à Pickering et l’établissement commercial de CCI à Oakville étaient des déplacements professionnels et donc déductibles au titre des dépenses d’emploi conformément au sous-alinéa 8(1)h.1)(ii) de la Loi. J’ai cru comprendre que les parties n’avaient aucune objection à ce que la somme de 12 868 $ soit prise en compte dans la présente instance.

IV. Discussion :

[7]  L’appelante cite la décision Campbell et al. c. La Reine, 2003 CCI 160 à l’appui de sa thèse selon laquelle le déplacement en question en véhicule à moteur se faisait entre deux lieux liés à l’emploi et que, par conséquent, le déplacement n’est pas personnel, mais est plutôt déductible en tant que déplacement en véhicule à moteur lié à l’emploi. La décision Campbell est une décision rendue à l’issue d’une procédure informelle par le juge T. Margeson en 2003. (Par coïncidence, je suis intervenu dans cette affaire il y a 17 ans à titre d’avocat des appelants.) La décision a établi que lorsque les circonstances d’emploi exigent raisonnablement que le travailleur dispose d’un bureau, et qu’un bureau n’est pas fourni par l’employeur, alors le travailleur peut situer le bureau requis quelque part, y compris à son domicile, et le faire considérer comme un lieu de travail. En d’autres termes, les déplacements entre le bureau à domicile, où une grande partie du travail est effectuée, et le lieu de travail de l’employeur pour assister notamment aux réunions, puis le retour au bureau à domicile, constituent un déplacement professionnel et non un déplacement personnel.

[8]  L’année suivante, la Cour d’appel fédérale a renvoyé à la décision Campbell, avec l’approbation apparente de celle-ci, dans l’arrêt Daniels c. Canada (Procureur général), 2004 DTC 6276 (CAF), au paragraphe 9, de la façon suivante :

L’affaire Campbell [...] invoquée par le demandeur, peut faire l’objet d’une distinction fondée sur les faits. Dans la décision Campbell, des admissions ont été faites au départ que les appelants occupaient une charge pour le conseil scolaire, que leur résidence constituait leur établissement principal à partir duquel ils accomplissaient leurs fonctions et que c’était, par conséquent, un lieu de travail régulier, que l’immeuble du conseil scolaire constituait également un lieu de travail régulier et que d’assister à des réunions régulières à l’immeuble du conseil scolaire faisait normalement partie de leurs fonctions habituelles. La Cour canadienne de l’impôt a décidé que les appelants avaient deux lieux de travail et que les voyages qui avaient donné lieu aux déductions de dépenses se faisaient d’un lieu de travail à l’autre. [Non souligné dans l’original.]

[9]  En 2006, la décision Campbell a également été approuvée avec enthousiasme par le juge Bowman dans la décision Toutov v. The Queen, 2006 CCI 187 (procédure informelle). Le juge en chef de la Cour a écrit aux paragraphes 2 et 3 de ses motifs que « [...] la règle générale est que les frais de déplacement engagés entre le domicile d’un contribuable et son lieu de travail ne constituent pas une dépense déductible [...] La règle générale n’est pas inflexible, et il est possible d’y faire exception dans certaines circonstances ».

[10]  Au paragraphe 6 de la décision Toutov, le juge en chef a cité avec approbation le juge Margeson dans la décision Campbell (au paragraphe 13) ainsi :

La preuve a établi sans le moindre doute qu’en quittant leurs bureaux situés dans leurs maisons pour aller exercer ailleurs d’autres fonctions, et en retournant à leurs bureaux à domicile, ils se déplaçaient d’un lieu de travail à un autre. La Cour n’accorde pas d’importance au fait qu’ils aient pu, une fois de retour à la maison, aller se coucher, regarder la télévision, manger un sandwich ou faire une razzia sur le réfrigérateur, selon la situation. Ces activités ne contredisent pas la conclusion selon laquelle ils étaient engagés, sur le chemin du retour à leur domicile, dans des activités liées à leurs fonctions. [Non souligné dans l’original.]

[11]  En l’espèce, l’intimée a cité plusieurs décisions, en grande partie pour appuyer la « règle générale » susmentionnée, antérieures à la décision Campbell de 2003, ou ne traitant pas particulièrement de la décision Campbell – pour des circonstances analogues. Elle a également cité la décision McCreath c. La Reine, 2008 CCI 595 (procédure générale), dans laquelle l’appelant s’était appuyé sur la décision Campbell. Le juge Campbell de la Cour a refusé d’appliquer la décision Campbell dans la décision McCreath parce que, dans cette cause, l’appelant disposait bien d’un bureau sur son lieu de travail, mais il a néanmoins choisi de travailler à partir de son bureau à domicile (où il effectuait également d’autres tâches sans rapport avec son travail) et a ensuite réclamé ses frais de déplacement entre son bureau à domicile et le lieu de travail (où il se rendait pour assister à des réunions, etc.) et son retour à son domicile. La raison pour laquelle le juge Campbell n’a pas appliqué la décision Campbell était que, dans la décision McCreath, l’appelant disposait d’installations de bureau sur son lieu de travail, mais qu’il avait personnellement choisi de travailler depuis son bureau à domicile plutôt qu’au bureau mis à sa disposition sur son lieu de travail.

[12]  Ce n’est toutefois pas le cas en l’espèce. Dans l’affaire qui nous intéresse, le formulaire T2200 de l’appelante indique clairement que son employeur, CCI, lui a demandé de travailler à partir d’un bureau à domicile et a précisé que 90 % de son travail serait effectué à partir de ce bureau. En outre, les éléments de preuve montrent clairement que l’appelante ne disposait pas d’installations de bureau appropriées dans les locaux de CCI à Oakville.

V. Conclusion :

[13]  Par conséquent, je conclus que l’appelante s’inscrit bien dans le type de situation dépeint par la décision Campbell. L’appel interjeté par l’appelante sera par conséquent accueilli, avec dépens fixés à 1 000 $, payables dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement dans le cadre du présent appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 30e jour de septembre 2020.

« B. Russell »

Le juge Russell


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 108

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-2091(IT)I

INTITULÉ :

JODI GARDNER c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 30 septembre 2020

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Philip Varmuza

Avocat de l’intimée :

Me Mike Chen

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s. o.

 

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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