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Dossier : 2017-1876(IT)G

ENTRE :

NEJIB ABBA BIYA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 12 et 13 août 2020, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Ronald MacPhee


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Jeremie D. Beitel

Avocat de l’intimée :

Me Dominik Longchamps

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2013 de l’appelant est rejeté avec dépens payables par l’appelant à l’intimée.

Les parties ont jusqu’au 16 novembre 2020 pour déterminer le montant des dépens payables par l’appelant à l’intimée. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, elles peuvent fournir au soussigné des observations ne dépassant pas cinq pages à l’appui de leur position concernant les dépens.

Signé à Ottawa (Canada), ce 13e jour d’octobre 2020.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2020 CCI 113

Date : 20201013

Dossier : 2017-1876(IT)G

ENTRE :

NEJIB ABBA BIYA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge MacPhee

[1] La Cour est saisie de l’appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) pour l’année d’imposition 2013 afin d’inclure un revenu total de 230 828 $. La cotisation est fondée sur la conclusion du ministre selon laquelle Nejib Abba Biya (l’appelant) était résident canadien au cours de l’année d’imposition 2013 et, de ce fait, son revenu de 230 828 $ était imposable au Canada.

I. CONTEXTE

[2] L’appelant est né en Éthiopie en 1958. En raison des dangers que posait l’agitation politique en Éthiopie en 1979, l’appelant a fui le pays pour trouver refuge dans un camp de réfugiés dans le pays voisin, à Djibouti. C’est là qu’il a rencontré sa future épouse, Nekiya Abba Biya. Ils se sont mariés en juin 1981. Elle était également originaire d’Éthiopie.

[3] Le couple a eu trois fils, tous nés au Canada. L’année de leur naissance était 1984 (Beka), 1989 (Moti) et 1993 (Aboma).

[4] L’appelant a immigré au Canada comme résident permanent en décembre 1981. En 1985, il est devenu citoyen canadien. Au milieu des années 1980, l’appelant a fréquenté l’Université de Toronto, où il a obtenu un baccalauréat en commerce en 1989.

[5] L’appelant a exploité sa propre entreprise au Canada de 1996 à 2004. Il a vendu l’entreprise en 2004, mais a été au service des nouveaux propriétaires pendant deux ans après la vente.

[6] L’appelant a déclaré lors de son témoignage qu’après un voyage en Éthiopie en 2006 avec sa mère, encouragé par des amis et des membres de sa famille éthiopiens, il a décidé de contribuer à l’économie éthiopienne en vue d’améliorer le sort de la population, du moins en partie. Il a choisi de se concentrer sur le secteur minier, où il a vu beaucoup de potentiel.

[7] L’appelant et son épouse se sont séparés en 2006 et ont divorcé en 2016. Après la séparation, l’appelant a été au service de deux entreprises, Aberdeen International et Avion Gold, en Éthiopie, de 2006 à 2008, comme gestionnaire national. Ces deux entreprises avaient leur siège social à Toronto et exerçaient des activités en Éthiopie.

[8] En 2008, l’appelant est entré au service d’Allana Potash (Allana) comme gestionnaire national de l’Éthiopie. Il a occupé ce poste jusqu’en 2015. Le siège social d’Allana Potash était situé à Toronto. Les éléments de preuve n’étaient pas clairs sur ce point au procès, cependant, je crois comprendre que l’appelant avait un droit à titre de propriétaire dans Allana et faisait partie de la haute direction de l’entreprise.

[9] L’appelant ne nie pas qu’à compter de 2017, il était de nouveau résident canadien. Il déclare que l’instabilité politique en Éthiopie l’a incité à revenir au Canada.

II. QUESTION EN LITIGE

[10] La question dont la Cour est saisie est de savoir si l’appelant était « résident habituel » du Canada au cours de l’année d’imposition 2013.

[11] L’appelant soulève également la question de savoir si les lacunes dans l’avis de réponse empêchent l’intimée de soutenir que l’appelant était « résident habituel ». Plus précisément, l’intimée n’a pas utilisé l’expression « résident habituel » dans son acte de procédure. L’avocat de l’appelant fait également valoir que l’intimée n’avait pas avancé suffisamment d’hypothèses ou invoqué suffisamment de faits pour défendre sa thèse au procès.

III. ANALYSE

[12] Deux témoins ont été appelés à la barre au procès. Il s’agissait de l’appelant et de son fils Moti. Tous deux ont rendu un témoignage crédible sur la vie de l’appelant en Éthiopie entre 2006 et 2017, la rupture du mariage de l’appelant et ses conditions de vie au Canada lors de ses visites, lesquelles étaient fréquentes.

[13] Il s’agit d’une cause difficile. De nombreux faits ont été déposés en preuve par les parties. Pratiquement tous ces faits étaient pertinents quant aux arguments avancés par chaque partie.

[14] Les faits, dans la majorité des cas, n’étaient pas controversés et avaient, pour la plupart, fait l’objet d’une entente avant le procès. Les témoignages des témoins entendus à l’audience n’ont pas été sérieusement mis en doute.

[15] Plusieurs faits supplémentaires et pertinents ont été présentés au procès; ils sont exposés ci-dessous, sous les intitulés « Thèse de l’intimée » et « Thèse de l’appelant ».

[16] Ne me posent nul problème l’insuffisance des hypothèses avancées par le ministre dans la réponse et l’absence de faits substantiels dans la réponse. L’exposé conjoint des faits partiel et les documents déposés en preuve en l’espèce donnent ce qui semble être une description très exhaustive des faits et des éléments de preuve en cause. Les deux parties ont veillé à ce que les faits nécessaires soient correctement déposés en preuve et ont toutes deux très habilement défendu leur thèse au nom de leurs clients [1] .

A. Thèse de l’intimée

[17] Selon l’intimée, l’appelant avait suffisamment de liens avec le Canada au cours de l’année d’imposition 2013 pour étayer le constat de fait selon lequel il était, concrètement, résident du Canada. Pour défendre cette thèse, l’avocat de l’intimée s’est appuyé sur les faits suivants :

  1. L’appelant a conservé sa carte de l’Assurance-santé de l’Ontario et son permis de conduire de l’Ontario pendant qu’il était à l’extérieur du pays. Il possédait également une voiture qu’il pouvait utiliser lors de ses séjours à Toronto;

  2. L’appelant était titulaire d’un passeport canadien qu’il utilisait pour ses déplacements. Il n’avait pas d’autres passeports;

  3. L’appelant n’a payé aucun impôt sur le revenu dans aucun autre territoire;

  4. En janvier et en février 2013, l’appelant a payé le loyer (1 815 $ par mois) d’un appartement situé sur la rue St Mary’s, à Toronto [2] . Son fils Moti y résidait. En février, l’appelant a renoncé à l’appartement de la rue St Mary et a aidé Moti à verser une mise de fonds sur un immeuble d’habitation en copropriété sur la rue John à Toronto. Cet immeuble était détenu au nom de Moti. L’appelant séjournait souvent chez son fils lors de ses visites au Canada. L’intimée soutient qu’il avait une résidence qu’il pouvait utiliser chaque fois qu’il était en visite. Il séjournait également à l’occasion dans un hôtel lors de ses visites [3] , et parfois chez sa mère;

  5. L’appelant possédait un immeuble locatif sur la rue Dundas à Toronto qu’il louait principalement à des étudiants. Cet immeuble comportait également un dépanneur. Il avait une hypothèque à payer de plus de 200 000 $ au début de 2013 sur cet immeuble de placement. L’appelant a effectué des paiements sur la dette hypothécaire tout au long de l’année 2013;

  6. En 2013, l’immeuble locatif de la rue Dundas a généré un revenu de 63 000 $;

  7. L’appelant a reçu un revenu d’emploi de 202 500 $ d’Allana Potash, une société canadienne. Le salaire était versé en dollars canadiens et déposé dans son compte bancaire canadien;

  8. L’appelant possédait une part des actions d’Allana Potash et faisait partie de la haute direction de l’entreprise;

  9. L’appelant avait de nombreuses relations personnelles au Canada. Son fils Beka, qui a étudié la médecine à Cuba, revenait au Canada lorsqu’il avait une pause dans ses études;

  10. Son fils Moti étudiait à l’Université de Toronto pendant l’année en cause;

  11. Son fils Aboma étudiait à l’Université de Miami dans l’Ohio. Il revenait généralement au Canada pendant ses vacances d’été;

  12. Son ex-femme Nekiya vivait à Toronto sans interruption depuis qu’elle avait épousé l’appelant. L’appelant lui a versé une pension alimentaire de 3 000 $ à 4 000 $ par mois en 2013. Le montant de cette dernière était établi en fonction de ses besoins, sans entente écrite;

  13. L’appelant conservait un compte REER auprès de ScotiaMcLeod, d’un peu moins de 222 000 $ à la fin de l’année d’imposition 2013;

  14. L’appelant détenait un deuxième compte REER auprès de la Banque Scotia d’un peu plus de 18 000 $ au cours de l’année d’imposition 2013;

  15. L’appelant a versé des cotisations d’environ 16 000 $ à un REER en 2013;

  16. L’appelant avait également un compte d’épargne actif à la Banque Scotia à Toronto;

  17. L’appelant avait un compte d’entreprise à la Banque Scotia dont le solde était de 18 966 $ en janvier 2013. À la fin de l’année, le montant de ce compte s’élevait à 196 958 $;

  18. L’appelant avait un certificat de placement garanti auprès de la Banque Scotia d’un peu plus de 100 000 $ au cours de l’année d’imposition 2013;

  19. L’appelant avait une carte MasterCard de la Banque de Montréal qui était utilisée de façon très active. Des transactions totalisant plus de 179 000 $ ont été effectuées sur ce compte au cours de l’année d’imposition 2013. Bon nombre de ces transactions ont été effectuées pour le bien-être des fils de l’appelant. Il a déclaré qu’il laissait souvent la carte à son fils Moti afin qu’il puisse l’utiliser comme bon lui semblait;

  20. Pour tous ses comptes bancaires et comptes de placement, l’appelant a utilisé une adresse à Toronto dans ses coordonnées;

  21. En 2013, l’appelant se trouvait matériellement aux endroits suivants :

PAYS

JOURS

Trimestre 1 (de janvier à mars)

Trimestre 2 (d’avril à juin)

Trimestre 3

(de juillet à septembre)

Trimestre 4

(d’octobre à décembre)

Nombre total
de jours

 

Éthiopie

28

44

26

24

122

Canada

40

19

27

24

110

Émirats arabes unis

9

13

14

13

49

États-Unis

0

0

18

6

24

Autres pays (p. ex. Allemagne, Djibouti)

13

0

3

0

16

Inconnu

0

15

4

25

44

B. Thèse de l’appelant

[18] L’avocat de l’appelant demande à la Cour de retenir une approche plus nuancée. Il reconnaît que l’appelant maintient encore divers liens avec le Canada [4] , mais a souligné que ces liens existent uniquement parce que l’appelant a de la famille au Canada. Il soutient que l’appelant a produit des explications crédibles quant à l’utilisation de sa carte de crédit, à ses comptes bancaires et à la raison pour laquelle il possédait des biens au Canada. Ces liens n’ont aucune incidence sur son intention de résider habituellement à l’extérieur du Canada. L’appelant soutient que, lorsqu’on examine l’ensemble de la preuve, son client ne résidait qu’en Éthiopie.

[19] À son avis, le fait qu’il rendait visite fréquemment à sa famille au Canada qu’il l’aidait financièrement ne signifie pas qu’il était résident du Canada.

[20] Pour ce qui est de l’utilisation d’une carte de crédit canadienne, l’appelant a soutenu que les cartes de crédit ne sont pas disponibles en Éthiopie. Par conséquent, elles étaient d’une utilité nécessaire dans ses déplacements [5] .

[21] L’appelant a également déclaré lors de son témoignage qu’il utilisait son passeport canadien parce qu’il facilitait beaucoup ses déplacements depuis l’Éthiopie et partout dans le monde. L’appelant a ajouté que, peu importe son argument selon lequel il n’est pas un résident du Canada, cela ne l’empêche pas de conserver sa citoyenneté canadienne. À cet égard, l’avocat de l’appelant a demandé de ne pas confondre les droits de l’appelant comme citoyen canadien avec l’analyse visant à déterminer s’il était résident du Canada en 2013.

[22] L’appelant déclare que ses liens avec le Canada sur lesquels s’appuie l’intimée en l’espèce ne sont que des commodités que l’appelant avait au Canada, qu’il a maintenues pour faciliter sa résidence en Éthiopie.

[23] L’appelant a également soulevé au cours des débats ce qu’il qualifie de lacunes dans l’avis de réponse. Il soutient qu’il n’y a pas d’hypothèses ou de faits allégués sur lesquels je peux m’appuyer dans ma décision. Bien que je reconnaisse que le ministre n’a formulé pratiquement aucune hypothèse, il existe de nombreux faits convenus déposés en preuve en l’espèce qui doivent être analysés pour trancher la question dont la Cour est saisie.

[24] L’appelant s’appuie sur deux critères clés qui, selon lui, doivent guider mon jugement. Premièrement, le fait que plusieurs années se sont écoulées depuis que l’appelant a quitté le Canada l’emporte sur tout argument selon lequel il est toujours résident canadien.

[25] Deuxièmement, il invoque le fait qu’il louait une maison en Éthiopie de 2006 jusqu’au milieu de l’année 2013. L’appelant a ensuite acheté la maison en 2013. En 2013 et les années subséquentes, l’appelant nie avoir eu accès à une maison au Canada.

[26] De plus, l’appelant soutient que le ministre confond les visites de l’appelant au Canada pour trancher la question de la résidence. L’appelant soutient que, lors de ces visites, il ne faisait que séjourner et que ces visites ne s’assimilaient pas au statut de résident.

[27] L’appelant s’est appuyé sur d’autres faits qui comprennent notamment les suivants :

  1. L’appelant est né en Éthiopie et a un lien émotionnel profond avec ce pays;

  2. L’appelant a été à l’extérieur du Canada pendant plusieurs années;

  3. Le mariage de l’appelant était terminé lorsqu’il est parti pour l’Éthiopie;

  4. L’appelant avait vendu son entreprise en 2004;

  5. L’appelant a déménagé en Éthiopie en 2006 et y a travaillé de 2006 à 2017;

  6. L’appelant était titulaire d’une carte d’identité attestant l’origine éthiopienne qui lui permettait d’entrer en Éthiopie, d’y travailler et d’y séjourner;

  7. L’appelant avait également le statut de résident aux Émirats arabes unis;

  8. L’appelant détenait un compte bancaire auprès de la Oromia International Bank en Éthiopie avec 812 127 birrs (44 243 $ CA) en date du 23 janvier 2013. À la fin de l’année, le solde du compte était de 1 042 790 birrs (57 908 $ CA);

  9. L’appelant louait une résidence à Addis-Abeba, dans la banlieue Bole, Kebele 13. En 2013, l’appelant a payé un loyer de 4 300 $ par mois. En novembre 2013, l’appelant a acheté cette maison pour 300 000 dollars canadiens;

  10. L’appelant avait à la fois une femme de ménage et un chauffeur en Éthiopie;

  11. L’appelant avait également une petite amie et un chien qui résidaient avec lui en Éthiopie;

(1) Analyse

[28] Dans son argument sur cette question, l’avocat de l’appelant demande à juste titre que j’examine les questions qui consistent à savoir si les visites de l’appelant au Canada en 2013 et vers 2013 vont dans le sens d’une résidence continue. À titre subsidiaire, ces visites pourraient être mieux être qualifiées de séjours.

[29] Dans le cadre de la présente analyse, je retiens la thèse de l’appelant portant que ne plus être un résident du Canada ne signifie pas que vous ne pouvez plus y venir en visite.

[30] Toutefois, je ne puis affirmer que c’est tout ce qui se passait dans ce cas.

[31] L’arrêt de la Cour suprême du Canada Thompson v. Minister of National Revenue, souvent cité, donne un cadre crucial à mon analyse. Dans cet arrêt, il a été conclu que le mot résidant

[traduction] ne correspond pas à des éléments invariables qui doivent tous être présents dans chaque cas donné [...] la résidence selon le mode de vie habituel de la personne visée en opposition avec une résidence particulière, occasionnelle ou temporaire [...] Il faut uniquement déterminer les limites géographiques dans lesquelles il passe sa vie ou auxquelles sa vie ordinaire ou quotidienne est liée. La meilleure façon d’apprécier la résidence habituelle est d’en examiner l’antithèse, la résidence occasionnelle, temporaire ou extraordinaire. Cette dernière semble manifestement être non pas seulement temporaire et exceptionnelle quant à ses circonstances, mais également accompagnée d’une notion de caractère provisoire et de retour [6] .

[32] Je trouve également très utile l’analyse semblable suivante du juge Rip (tel était alors son titre) :

18 Une personne peut être résidente de plus d’un pays à des fins fiscales. La nature de la vie d’une personne et la fréquence à laquelle elle vient au Canada sont des facteurs importants à prendre en compte pour décider du lieu de sa résidence. Les termes « résidait habituellement » employés au paragraphe 250(3) renvoient au lieu où, dans sa vie de tous les jours, la personne habite d’une manière normale ou habituelle. L’intention d’un contribuable, même si elle est manifestement pertinente pour déterminer quelle est sa « vie de tous les jours », ne permet pas à elle seule de trancher l’affaire. L’absence temporaire d’une personne du Canada n’entraîne pas nécessairement la perte de la résidence canadienne si le ménage familial demeure au Canada ou même, éventuellement, si des liens personnels ou commerciaux étroits sont maintenus au Canada [7] .

[33] La Loi ne définit pas le mot « résident » autrement qu’en disant qu’il s’agit d’une personne qui « résidait habituellement au Canada ».

[34] Je fais remarquer qu’en réponse à l’argument de l’appelant selon lequel la portée de l’argument de l’intimée doit être limitée, en raison des lacunes de l’avis de réponse, la réponse remet en cause [traduction] « si l’appelant était un résident du Canada au cours de l’année d’imposition 2013 ». Comme je l’ai signalé ci-dessus, la loi dit clairement que le mot « résident » vise la personne qui « résidait habituellement au Canada ».

[35] Par conséquent, pour trancher cette question, je suis prêt à entendre l’argument de l’intimé quant à savoir si l’appelant était un résident habituel du Canada en 2013.

[36] En matière de de résidence personnelle, on compte trois grandes catégories :

A. une personne jusque-là résidente habituelle du Canada s’en va, prend résidence ailleurs et allègue qu’elle a rompu ses liens avec le Canada si bien qu’elle ne réside plus ici;

B. une personne résidant habituellement dans un autre pays acquiert une résidence au Canada et y noue d’autres liens. La question est alors de savoir si cette personne est devenue « résidente habituelle » du Canada;

C. un résident canadien quitte le Canada, rompt ses liens avec notre pays si bien qu’il n’est plus résident canadien, puis renoue des liens avec le Canada. La question est alors de savoir si cette personne est de nouveau résidente canadienne [8] .

[37] La présente affaire est la plus difficile au regard des sous-groupes énumérés ci-dessus, en ce sens qu’est en cause une personne qui était auparavant un résident habituel (qui, en fait, le redevient en 2017) et qui soutient avoir rompu ses liens avec le Canada.

[38] La jurisprudence sur cette question a souligné qu’il n’est pas facile de cesser d’être un résident au Canada [9] .

[39] La question à laquelle je dois répondre est, en grande partie, jusqu’à quel point l’appelant aurait dû rompre les liens avec le Canada. Malheureusement, aucun critère objectif définitif ne peut être élaboré pour répondre à cette question. Une analyse de ce genre est étroitement tributaire des faits.

[40] Nul doute que les facteurs consacrés par l’arrêt Reeder (qui expliquent les facteurs que la Cour peut prendre en compte pour déterminer la résidence de l’intéressé) sont utiles pour déterminer si l’appelant a nettement rompu avec le Canada en ce qui concerne sa résidence :

[41] Bien que cette liste ne vise pas à être exhaustive, les facteurs importants sont, notamment :

  1. le genre de vie passé ou présent;

  2. la régularité et la durée des séjours dans le ressort affirmant la résidence;

  3. les liens dans le ressort de cette juridiction;

  4. les liens en d’autres lieux;

  5. le caractère permanent ou autre des séjours à l’étranger [10] .

[42] En appliquant cette liste, je garde à l’esprit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Certains faits peuvent être plus pertinents que d’autres. Dans une affaire de ce genre, aucun facteur ne prédomine. Certains peuvent être neutres, d’autres peuvent faire pencher la balance en faveur d’une conclusion contraire. C’est le tableau général qui se dégage de l’ensemble de la preuve qui est finalement déterminant. Une simple énumération de points peut être un démarche utile, mais elle ne peut pas être déterminante [11] .

(a) Le genre de vie passé ou présent

[43] En l’espèce, j’ai l’impression que le mode de vie de l’appelant a bel et bien changé lorsqu’il a vendu son entreprise en 2004. Il a ensuite, par choix, commencé à diriger sa carrière de sorte que l’Éthiopie tire profit de son travail, et il a passé du temps en Éthiopie. En 2013, l’appelant a passé au moins 122 jours en Éthiopie. Il passait des journées à travailler dans ce pays durant cette période; il ne fait donc aucun doute que son mode de vie passé avait changé. Dans le cadre de sa vie professionnelle antérieure (avant 2006), l’appelant se concentrait chaque jour sur le Canada.

[44] Je conclus qu’en examinant ce facteur, il ne prédomine pas dans l’analyse. L’appelant a été au service d’une entreprise canadienne pendant son séjour en Éthiopie, dont il avait des actions, et a demandé que sa paie soit déposée dans son compte bancaire au Canada. De plus, le temps passé en Éthiopie en 2013 était très semblable à celui passé au Canada (110 jours). Je conclus que ce facteur va un peu dans le sens de l’argument de l’appelant.

(b) La régularité et la durée des séjours dans le ressort affirmant la résidence

[45] Il ressort des éléments de preuve que l’appelant a passé continuellement beaucoup de temps au Canada. Comme je l’ai fait remarquer précédemment, en 2013, il a passé 110 jours au Canada. Vu le nombre de voyages dans le monde que l’appelant a entrepris en 2013, notamment de nombreux jours en Arabie saoudite, le temps passé au Canada est considérable. Cette composante va un peu dans le sens de la thèse de l’intimée.

(c) Les liens dans le ressort canadien

[46] C’est ce facteur qui domine l’analyse et qui penche le plus en faveur de l’intimée en l’espèce. L’appelant avait de nombreux liens qu’il entretenait au Canada. Plus particulièrement, ses comptes bancaires très actifs, le fait qu’il était payé au Canada par son employeur canadien, la propriété de ses REER, auxquels il a cotisé en 2013, son investissement immobilier à Toronto, le maintien de son adhésion au régime d’Assurance-santé de l’Ontario et son permis de conduire canadien. Ces facteurs militent très largement en faveur de l’argument de l’intimée.

[47] L’appelant avait également une famille nombreuse au Canada, en plus de son ex-femme et de ses trois fils. Il a déclaré que la raison pour laquelle il passait autant de temps au Canada était pour rendre visite à ces personnes. C’est aussi un facteur que je prends en considération pour conclure qu’il résidait au Canada.

[48] Dans l’ensemble, c’est cette analyse particulière qui me permet de conclure que l’appelant, au cours de l’année d’imposition 2013, considérait ses séjours au Canada comme son mode de vie routinier établi. Tant sur le plan financier que sur le plan familial, les éléments les plus importants de la vie de l’appelant se sont déroulés au Canada au cours de l’année d’imposition 2013.

(d) Les liens en d’autres lieux et le caractère permanent ou autre des séjours à l’étranger

[49] Je combinerai ces facteurs dans mon analyse. L’appelant a été propriétaire d’une maison en Éthiopie pendant une partie de 2013 et pendant plusieurs années par la suite. Il y a également passé plusieurs de ses journées de travail. Son fils Moti a déclaré lors de son témoignage que l’appelant était considéré localement en Éthiopie comme un homme tenu en estime. Il avait un chauffeur, un jardinier, une compagne et un animal de compagnie avec lui en Éthiopie. Ces facteurs étayent le fait qu’il a peut-être également résidé en Éthiopie en 2013.

[50] Le fait qu’un particulier soit un résident d’un autre pays ne signifie pas qu’il ne peut pas également être considéré comme résident du Canada (une double résidence). La jurisprudence enseigne clairement qu’une partie peut être résidente à deux endroits en même temps. Cela dit, je ne pense pas qu’il soit nécessaire que je tranche la question de savoir si l’appelant résidait en Éthiopie pour arriver à une décision définitive sur cette question.

[51] Le facteur déterminant de ma décision est que je conclus, en me fondant sur l’analyse ci-dessus, que l’appelant était résident du Canada en 2013. Si les critères étaient mutuellement exclusifs et que j’étais appelé à déterminer si l’appelant résidait en Éthiopie ou au Canada, je conclurais également que les éléments de preuve tendent davantage à étayer le fait que sa résidence était au Canada, et non en Éthiopie.

[52] Dans l’ensemble, les éléments de preuve étayent le fait que la vie de l’appelant était demeurée profondément enracinée au Canada et, bien que dans une moindre mesure par rapport à 2004, il avait une vie bien établie au Canada en 2013. Les éléments de preuve indiquent plus qu’un simple lien résiduel avec le Canada.

[53] L’appel est rejeté avec dépens payables par l’appelant à l’intimée.

[54] Les parties ont jusqu’au 16 novembre 2020 pour déterminer le montant des dépens payables par l’appelant à l’intimée. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles peuvent fournir au soussigné des observations ne dépassant pas cinq pages pour appuyer leur position concernant les dépens.

Signé à Ottawa (Canada), ce 13e jour d’octobre 2020.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2022.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 113

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-1876(IT)G

INTITULÉ :

NEJIB ABBA BIYA ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 12 et 13 août 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Ronald MacPhee

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 octobre 2020

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Jeremie D. Beitel

Avocat de l’intimée :

Me Dominik Longchamps

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Jeremie D. Beitel

 

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Me Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Dans l’arrêt Trudel-Leblanc c. Canada (2004), [2005] 1 C.T.C. 154, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’un juge de première instance peut maintenir une cotisation sur les éléments de preuve présentés au procès, même si ces éléments de preuve vont au-delà des faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour établir la cotisation, pourvu que les éléments de preuve se rapportent à la même transaction. Voir le paragraphe 2 qui énonce ce qui suit :

Contrairement à l’affaire Pedwell c. Canada [2000] 4 CF 616 (C.A.F), le juge de la Cour canadienne de l’impôt ne s’en est pas remis à une transaction différente de celle invoquée par le ministre pour émettre ses cotisations. Il a précisé dans sa décision que le motif retenu par le ministre n’était pas en soi concluant, mais qu’il le devenait lorsqu’il était considéré avec les autres éléments de preuve présentés en grande partie par l’appelante elle-même.

[2] Le paragraphe 25 de l’avis d’appel indique que cet appartement a été loué afin que l’appelant puisse avoir un logement lors de ses séjours au Canada. Le paragraphe 29 précise qu’après 2012, il n’a jamais eu de résidence permanente à sa disposition au Canada. Les faits convenus indiquent que le bail de l’appartement n’a pris fin qu’en février 2013.

[3] Un seul cas de ce genre a été porté à mon attention en preuve. Une note de carte de crédit pour mars 2013 indiquait que l’appelant avait séjourné à l’hôtel Park Hyatt à Toronto.

[4] Pour défendre sa thèse, l’appelant a invoqué, en partie, la décision Nicholson c. La Reine, 2003 CCI 862, par. 22.

[5] Je présume qu’il n’a laissé sa carte de crédit que sporadiquement à son fils Moti afin qu’il puisse s’en servir, car l’appelant l’utilisait également lors de ses déplacements.

[6] Thompson v. Minister of National Revenue [1946] S.C.R. 209, pp. 224 et 225.

[7] Snow c. La Reine, 2004 CCI 381 (C.C.I. [Procédure informelle]), par. 18.

 

[8] Malcolm Fisher v. Her Majesty the Queen, 2011 D.T.C. 840, par. 33.

[9] Mullen v. R., 2008 D.T.C 3892, paragraphe 17.

[10] R. v. Reeder, [1975] C.T.C. 256 (C.F., 1ère inst.)

[11] Fisher, par. 25.

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