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Dossier : 2017-1117(IT)G

ENTRE :

JASON FOROGLOU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête tranchée par voie d’observations écrites

Devant : L’honorable juge David E. Graham

Participants :

Avocats de l’appelant :

Me Duane R. Milot

Me Igor Kastelyanets

Avocats de l’intimée :

Me Priya Bains

Me John Chapman

Me Sandra Tsui

 

ORDONNANCE

La requête de l’appelant est rejetée.

Les dépens de 525 $ relatifs à la présente requête sont adjugés à l’intimée et sont payables immédiatement.

Les parties devront fournir à la Cour des dates pour l’achèvement des étapes restantes de leur litige au plus tard le 11 décembre 2020.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d’octobre 2020.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


Référence : 2020 CCI 117

Date : 20201029

Dossier : 2017-1117(IT)G

ENTRE :

JASON FOROGLOU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Graham

[1] Jason Foroglou a demandé des crédits d’impôt pour des dons qu’il affirme avoir faits par l’intermédiaire d’un abri fiscal connu sous le nom de la Global Learning Gifting Initiative (la GLGI). Le ministre du Revenu national a établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Foroglou, dans lesquelles il a refusé ces crédits. Il a interjeté appel de ces refus.

[2] Des dizaines de milliers d’autres contribuables ont également demandé des crédits d’impôt pour des dons prétendument faits à la GLGI. La Couronne a instruit deux décisions principales. M. Foroglou a choisi de ne pas être lié par ces deux décisions principales. Dans la décision Mariano c. La Reine (la décision Mariano) [1] , le juge Pizzitelli a rejeté les appels. Il a conclu, entre autres choses, que les appelants « n’avaient pas l’intention libérale de faire leurs dons, qu’ils n’ont pas possédé ou transféré les biens qui étaient l’objet du don en nature, [...] et que le programme était un trompe-l’œil » [2] .

A. Mesure de redressement demandée

[3] M. Foroglou a déposé une requête demandant la réparation suivante :

  • a) une ordonnance enjoignant à l’intimée de lui verser une provision pour frais de 2 216 636 $, quelle que soit l’issue de la cause;

  • b) subsidiairement, une ordonnance de suspension de son appel jusqu’à ce que le ministre délivre des avis de ratification à tous les contribuables qui ont reçu des nouvelles cotisations en lien avec la GLGI et qui se sont opposés à ces nouvelles cotisations;

  • c) des dépens forfaitaires de 16 950 $ relativement à sa requête.

B. Paiement d’une provision pour frais

[4] M. Foroglou demande une ordonnance enjoignant à l’intimée de lui verser une avance de 2 216 636 $ au titre des frais, quelle que soit l’issue de la cause. C’est ce qu’on appelle une provision pour frais. M. Foroglou demande que ces frais soient établis en application du critère de la common law établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan (arrêt Okanagan) [3] , ou en vertu du pouvoir général de la Cour canadienne de l’impôt d’allouer des frais et dépens conformément au paragraphe 147(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles).

La provision pour frais selon le critère de la common law

[5] Dans l’arrêt Okanagan, la Cour suprême a clairement indiqué qu’une provision pour frais devrait seulement être adjugée dans des « circonstances rares et exceptionnelles » [4] . La Cour a défini les trois critères suivants qui doivent être remplis pour justifier l’octroi d’une provision pour frais [5] :

1. La partie qui demande une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d’aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal – bref, elle serait incapable d’agir en justice sans l’ordonnance.

2. La demande vaut prima facie d’être instruite, c’est-à-dire qu’elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu’il n’en a pas les moyens financiers.

3. Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées.

[6] La Cour suprême du Canada a réexaminé la question de l’attribution d’une provision pour frais dans l’arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu) [6] . La majorité a souligné que la décision de la Cour dans l’arrêt Okanagan « ne s’applique qu’aux rares cas où un tribunal contribuerait à une injustice – envers le plaideur personnellement et envers le public en général – s’il n’accordait pas la provision pour frais requise pour que le plaideur puisse aller de l’avant » [7] .

[7] La Cour canadienne de l’impôt a été invitée à examiner les décisions relatives aux provisions pour frais dans le contexte de deux appels antérieurs [8] . Les deux appels portaient sur la Loi sur les Indiens. Dans les deux cas, la Cour a conclu que les circonstances n’étaient ni rares ni exceptionnelles.

[8] L’intimée reconnaît que la Cour canadienne de l’impôt a le pouvoir d’accorder des provisions pour frais dans une circonstance « rare et exceptionnelle » qui répond aux critères de l’arrêt Okanagan. M. Foroglou soutient que son appel répond aux critères de l’arrêt Okanagan. Je ne suis pas d’accord. Je vais concentrer mon analyse sur le troisième critère énoncé dans l’arrêt Okanagan.

[9] Je ne vois pas l’importance publique de l’appel de M. Foroglou. Je reconnais qu’il y a encore environ 17 000 contribuables dont les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI n’ont pas été réglées. Bien qu’il s’agisse d’un nombre important de contribuables, la Cour n’est pas appelée à décider si les questions en litige visées par l’appel touchent un nombre important de personnes ou même si elles sont importantes pour un nombre important de personnes; il s’agit plutôt de savoir si elles sont d’importance publique.

[10] Les questions en litige soulevées dans l’appel de M. Foroglou peuvent difficilement être décrites comme étant d’importance publique, et encore moins comme étant si importantes que le fait de ne pas forcer l’intimée à financer le litige entraînerait la participation de la Cour à une injustice. Pour être franc, les questions en litige portent sur l’efficacité d’un système d’évitement fiscal mis en place par des particuliers qui cherchaient à profiter de remboursements d’impôt à la suite de « dons » qu’ils auraient faits à diverses organisations caritatives [9] . En somme, l’intimée affirme que M. Foroglou a payé 72 500 $ de sa propre poche, pour lesquels il a obtenu des reçus officiels de dons accusant réception de 485 001 $ [10] . Les questions soulevées dans l’appel de M. Foroglou sont des questions financières personnelles résultant de ses choix financiers personnels. Il ne s’agit pas de questions d’importance publique.

[11] En outre, ce litige concerne des questions qui ont déjà été réglées auparavant. Le programme de la GLGI a déjà été examiné par notre Cour dans la décision Mariano. Le juge Pizzitelli a condamné les contribuables pour quatre motifs distincts. En outre, le programme de dons de charité examiné dans la décision Mariano n’est pas le premier à avoir été examiné par les tribunaux. Des systèmes similaires, par lesquels les contribuables « donnent » une petite somme d’argent ou un bien en échange d’un remboursement d’impôt beaucoup plus important, sont portés devant les tribunaux depuis des décennies [11] .

[12] M. Foroglou a le droit d’essayer de convaincre un juge qui préside que son cas est différent de ceux dont il était question dans l’affaire Mariano. Le juge dans la décision Mariano a seulement examiné le programme de la GLGI tel qu’il était structuré en 2004 et en 2005. M. Foroglou a participé au programme de 2005 à 2011. En conséquence, la plupart des années où il a participé au programme n’ont pas été prises en compte par la Cour. M. Foroglou aura toutes les possibilités de présenter au juge au procès qui entendra finalement son appel des faits qui n’ont pas été pris en compte auparavant ou des questions qui n’ont pas déjà été soulevées. Il n’y a cependant aucune question d’importance publique qui obligerait le public canadien à financer l’action de M. Foroglou.

[13] M. Foroglou fait valoir que les tribunaux ont reconnu que les provisions pour frais [traduction] « protègent les plaideurs défavorisés contre leurs adversaires mieux financés » en [traduction] « uniformisant les règles du jeu ». Il cite des décisions en droit de la famille, comme la décision Green v. Whyte [12] , pour démontrer la manière dont les tribunaux de la famille ont uniformisé les règles du jeu. Les types de provisions pour frais adjugés dans la décision Green v. Whyte ont été spécifiquement prévus par les Règles en matière de droit de la famille (Ontario) [13] . Ces règles disposent que « [l]e tribunal peut rendre une ordonnance exigeant qu’une partie paie une somme à une autre partie pour couvrir tout ou partie des dépenses engagées pour conduire la cause, y compris les honoraires d’un avocat [14] ». Cette règle a été interprétée comme modifiant le troisième volet du critère établi dans l’arrêt Okanagan dans les litiges matrimoniaux afin d’uniformiser les règles du jeu entre les conjoints et d’assurer l’égalité des conjoints dans la préparation et la participation au procès [15] . À mon avis, cette règle issue du droit de la famille n’est pas utile en l’espèce pour trois raisons. Premièrement, aucune disposition de ce type n’existe dans les Règles. Deuxièmement, les critères d’équité qui se posent dans un litige entre époux n’existent pas dans le contexte fiscal. Troisièmement, la Couronne aura toujours des ressources financières supérieures au contribuable. L’adoption d’une telle règle rendrait le troisième critère de l’arrêt Okanagan inutile dans tout appel fiscal [16] .

[14] Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que M. Foroglou ne satisfait pas au troisième critère de l’arrêt Okanagan. L’intimée a soulevé de nombreuses préoccupations concernant les premier et deuxième critères de l’arrêt Okanagan et l’exigence générale de circonstances « rares et exceptionnelles ». Compte tenu de ma conclusion quant au troisième critère, il n’est pas nécessaire que j’aborde ces préoccupations.

Provisions pour frais aux termes du paragraphe 147(1)

[15] M. Foroglou soutient que, si je ne conclus pas qu’il y a lieu d’accorder une provision pour frais aux termes des critères de l’arrêt Okanagan, je devrais néanmoins user du large pouvoir discrétionnaire qui m’est dévolu par le paragraphe 147(1) des Règles pour accorder une telle provision. À mon avis, le paragraphe 147(1) ne me donne pas ce pouvoir discrétionnaire.

[16] Rien dans la Loi de l’impôt sur le revenu, la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt ou les Règles ne prescrit explicitement que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire d’accorder une provision pour frais. Ce n’est pas parce que le législateur ne s’est pas penché sur la question du financement public des litiges en matière d’impôt des particuliers. La Loi sur la Cour canadienne de l’impôt prescrit expressément que la Couronne doive payer les frais découlant des appels en matière fiscale, quelle que soit l’issue de ces appels, dans deux circonstances précises. La première est lorsque le ministre demande de transférer un appel de la procédure informelle à la procédure générale [17] . La deuxième est lorsque la Couronne interjette appel d’une décision rendue sous le régime de la procédure informelle devant la Cour d’appel fédérale [18] . Outre ces circonstances spécifiques, le pouvoir de la Cour d’accorder une provision pour frais découle de son pouvoir général d’adjuger des frais et dépens. Il s’agit d’un vaste pouvoir. Il ne permet cependant pas à la Cour de faire fi des principes de common law établis par la Cour suprême du Canada.

[17] Même si j’ai tort et que je dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder une provision pour frais dans une situation où les critères de l’arrêt Okanagan ne sont pas remplis, je ne suis pas disposé à exercer ce pouvoir discrétionnaire. En termes simples, M. Foroglou me demande d’ordonner au public canadien de payer pour son litige personnel. Il a demandé 2 216 636 $ à titre de provision pour frais pour lui permettre de contester un peu moins de 200 000 $ en impôt fédéral et provincial [19] . Aucun contribuable rationnel n’accepterait de payer plus de onze fois le montant de l’impôt en litige pour poursuivre un appel à caractère spécifique. Un contribuable rationnel examinerait ses chances de gagner et déterminerait le montant d’argent maximum qu’il serait économiquement raisonnable de payer pour mener sa contestation judiciaire. Le contribuable ferait ainsi certaines concessions ou abandonnerait certains arguments si cela était nécessaire à la poursuite de son litige à l’intérieur de ce budget. S’il lui était impossible de mener le litige dans les limites de ce budget, il chercherait un règlement ou abandonnerait l’appel. M. Foroglou demande non seulement à la Couronne de payer les frais occasionnés par un litige qu’aucun contribuable rationnel ne poursuivrait, mais il demande à la Couronne de le faire, qu’il gagne ou qu’il perde. Il mène un appel dans un contexte où tout indique qu’il est confronté à une bataille très difficile, mais il s’attend à ce que le public en paie le prix. Des dépens de 491 137 $ ont été accordés à la Couronne lorsqu’elle a obtenu gain de cause dans la décision Mariano [20] . Or, M. Foroglou veut que je lui alloue des frais et dépens plus de quatre fois supérieurs à cette somme, qu’il gagne ou qu’il perde. Je ne vois pas pourquoi j’ordonnerais une telle provision.

[18] Si M. Foroglou obtient gain de cause en appel, il peut utiliser les critères énoncés au paragraphe 147(1) pour convaincre le juge qui préside le procès de lui allouer les frais et dépens à ce moment-là. Dans l’intervalle, il devra financer son propre litige.

[19] Compte tenu de tout ce qui précède, je rejette la demande de M. Foroglou visant à obtenir une provision pour frais.

C. Suspension de l’appel en attendant la ratification des oppositions

[20] Environ 17 000 contribuables ont reçu une nouvelle cotisation en lien avec la GLGI, se sont opposés à cette nouvelle cotisation, n’ont pas accepté d’être liés par le résultat de la décision Mariano et n’ont pas encore obtenu de ratification de leurs oppositions de la part du ministre du Revenu national [21] . J’appellerai ces oppositions les « oppositions en lien avec la GLGI » et les nouvelles cotisations qui les sous-tendent les « nouvelles cotisations en lien avec la GLGI ».

[21] M. Foroglou ne veut pas donner suite à ses appels tant que le ministre n’aura pas ratifié toutes les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI. Il reconnaît que je n’ai pas le pouvoir d’ordonner au ministre de ratifier les nouvelles cotisations. En conséquence, il souhaite que je maintienne son appel en suspens jusqu’à ce que le ministre le fasse. Il soutient que le fait de le forcer à donner suite à ses appels avant que les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI soient ratifiées lui serait extrêmement préjudiciable.

[22] Je peux comprendre pourquoi M. Foroglou veut que le ministre ratifie les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI. Il aimerait disposer d’un bassin d’autres contribuables qu’il pourrait éventuellement recruter pour travailler avec lui et répartir ses frais. Il ne connaît pas les noms des contribuables qui ont déposé des oppositions en lien avec la GLGI et n’a aucun moyen de découvrir ces noms [22] . Ce n’est que lorsque les contribuables auront déposé des appels devant la Cour que M. Foroglou pourra essayer de les recruter pour sa cause.

[23] L’alinéa 169(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet à un contribuable qui a déposé un avis d’opposition d’interjeter appel directement devant notre Cour si 90 jours se sont écoulés et que le ministre n’a ni ratifié son opposition ni établi une nouvelle cotisation. L’intimée soutient que les contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI n’ont pas tiré parti de cette disposition parce qu’ils ne veulent pas que leurs oppositions progressent. M. Foroglou soutient que ces contribuables n’ont pas utilisé cette option parce qu’ils ne savent pas qu’elle est disponible. Je pense que les deux parties ont raison.

[24] Il est probable que de nombreux contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI ne connaissent pas la possibilité d’interjeter appel directement devant la Cour ou, s’ils la connaissent, ne la comprennent pas entièrement. Toutefois, il est tout aussi probable que les autres contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI savent qu’ils peuvent interjeter appel, mais qu’ils sont tout à fait heureux de voir leurs oppositions stagner à la Division des appels de l’Agence du revenu du Canada (Agence). Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation.

[25] Les contribuables peuvent ne pas être pressés de résoudre leurs oppositions en lien avec la GLGI parce qu’ils veulent éviter les risques financiers d’un appel. Un contribuable qui interjette appel devant la Cour canadienne de l’impôt et qui perd peut se voir attribuer des dépens. Si, au contraire, il laisse son opposition en suspens à la Division des appels de l’Agence, il peut demander à quelqu’un d’autre de présenter des arguments en son nom sans frais supplémentaires. Même si un contribuable ayant une opposition en attente à la Division des appels de l’Agence accepte d’être lié par une cause type, il pourrait ne pas être responsable des dépens si la cause type échoue. Lorsque le juge Pizzitelli a accordé des dépens dans la décision Mariano, il a réparti ces dépens entre les contribuables ayant interjeté appel et acceptés d’être liés par l’issue de la cause. Il n’a cependant pas tenu compte dans sa répartition des contribuables qui n’avaient pas encore interjeté appel devant la Cour, mais qui acceptaient tout de même d’être liés.

[26] Les contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI peuvent également avoir d’autres raisons financières de ne pas interjeter appel. Le paragraphe 225.1(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu empêche généralement le ministre de percevoir tout impôt ou intérêt issu d’une nouvelle cotisation tant qu’une opposition à cette nouvelle cotisation reste en suspens, et pendant les 90 jours qui suivent. Les intérêts continuent à s’accumuler sur la dette aux taux prescrits, mais aucune mesure de perception ne peut être prise. En raison de cette restriction, il peut parfois être financièrement intéressant de laisser une opposition languir pendant des années à la Division des appels de l’Agence. Si un contribuable pense qu’il va ultimement avoir gain de cause, il ne se soucie pas de l’accumulation des intérêts. Il n’y a alors aucun coût lié au report du problème. Par contre, si un contribuable pense qu’il va ultimement perdre, il peut avoir d’autres préoccupations financières plus pressantes et être tout à fait satisfait d’empêcher le ministre de percevoir des impôts aussi longtemps que possible.

[27] Les contribuables ayant déposé des avis d’opposition en lien avec la GLGI attendent peut-être qu’une autre offre de règlement leur soit faite. Le ministre a antérieurement fait des offres de règlement aux contribuables qui s’étaient opposés aux cotisations en lien avec la GLGI. De nombreux contribuables ont accepté ces offres, mais aucun des 17 000 contribuables restants ne l’a fait. D’après les avis d’appel qui ont été déposés depuis lors par certains contribuables qui n’ont pas accepté l’offre, il est clair qu’au moins certains d’entre eux estiment maintenant qu’ils auraient dû accepter l’offre du ministre et qu’ils seraient prêts à régler leur dossier si le ministre leur faisait de nouveau la même offre [23] .

[28] Tout ce qui précède démontre qu’il existe plusieurs raisons différentes pour lesquelles un contribuable donné ayant une opposition en lien avec la GLGI peut ne pas avoir fait usage de son droit d’interjeter appel directement devant notre Cour. Ces contribuables ne peuvent en aucun cas être décrits comme étant un groupe unifié ou un groupe ayant des objectifs communs.

[29] En somme, peu importe que les contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI ne veuillent pas interjeter appel ou qu’ils ignorent qu’ils peuvent le faire, le résultat est le même. Ils n’ont pas interjeté appel et il semble qu’ils ne le feront pas jusqu’à ce que le ministre les y oblige en ratifiant leurs nouvelles cotisations.

[30] M. Foroglou fait valoir, en résumé, que si le ministre peut s’asseoir et attendre et que les autres contribuables peuvent s’asseoir et attendre, il devrait lui aussi être autorisé à faire de même. Il ne devrait pas être obligé de faire avancer son appel tant que le ministre ou les autres contribuables n’ont pas fait avancer les oppositions en lien avec la GLGI.

[31] L’intimée soutient que le ministre n’est pas simplement en train d’attendre l’avancement des dossiers. Je suis du même avis. Le ministre fait quelque chose. C’est juste qu’il le fait remarquablement lentement.

[32] Le ministre a ratifié 170 des nouvelles cotisations en lien avec la GLGI entre le 25 juin et le 12 septembre 2019 [24] . Rien n’indique que de nouvelles cotisations supplémentaires aient été ratifiées entre le 13 septembre 2019 et le 30 janvier 2020. Par conséquent, en l’espace d’environ sept mois, le ministre a seulement ratifié 1 % des nouvelles cotisations en lien avec la GLGI toujours en suspens. À ce rythme, le ministre ratifiera encore des nouvelles cotisations en lien avec la GLGI dans 58 ans [25] . Dans des observations écrites déposées en janvier, l’intimée a indiqué que le ministre avait l’intention [traduction] « d’examiner les oppositions d’environ 300 contribuables dans les mois à venir » [26] . Même si le ministre ratifiait 300 nouvelles cotisations en lien avec la GLGI tous les trois mois, il lui faudrait encore 14 ans pour toutes les ratifier [27] .

[33] La Division des appels de l’Agence s’occupe du traitement des oppositions. Toutes les oppositions prennent du temps à traiter, mais celles qui portent sur une question qui a déjà été tranchée par notre Cour dans une cause type devraient être plus faciles à traiter. Le traitement d’un grand nombre d’oppositions pratiquement identiques devrait permettre de réaliser des économies d’échelle [28] . Le ministre pensait clairement que les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI découlaient de [traduction] « transactions ou d’événements ou de séries de transactions ou d’événements substantiellement similaires », sinon, il n’aurait pas tenté de lier M. Foroglou et les 17 000 autres contribuables aux oppositions en lien avec la GLGI au moyen d’une demande aux termes de l’article 174 de la Loi. Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les oppositions en lien avec la GLGI restent en suspens parce que le ministre a fait le choix de les traiter à un rythme très lent.

[34] M. Foroglou soutient que le ministre agit de cette manière parce qu’il essaie d’avoir l’appelant à l’usure. Il affirme que le ministre choisit de ratifier les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI au compte-gouttes afin de s’assurer que chaque nouveau contribuable se retrouve dans la même situation financière précaire que celle dans laquelle se trouve M. Foroglou, c’est-à-dire incapable de financer un grand litige sans le soutien d’une masse critique d’autres appelants qui n’existent pas encore. M. Foroglou affirme en outre que le ministre essaie de faire en sorte que cette masse critique ne soit jamais atteinte en allant à procès le plus rapidement possible en ce qui concerne tous les appels qui se retrouvent devant notre Cour, dans l’espoir que les appelants, dont les ressources financières sont limitées, abandonneront leurs appels ou, comme cela a été le cas pour tous les appels en lien avec la GLGI entendus après la décision Mariano, agiront pour leur propre compte [29] .

[35] Je suis tout à fait d’accord qu’il doit y avoir une raison pour laquelle le ministre choisit de ne pas donner suite aux oppositions en lien avec la GLGI. Il ne voudrait pas laisser en suspens indéfiniment les oppositions en lien avec la GLGI. Ultimement, l’objectif de l’établissement de nouvelles cotisations à l’égard des contribuables est de recouvrir les impôts établis dans les nouvelles cotisations. Tant que le ministre n’aura pas ratifié les oppositions en lien avec la GLGI, il ne peut pas recouvrer ces sommes, car le paragraphe 225.1(2) l’en empêche.

[36] Il se peut, comme l’allègue M. Foroglou, que le ministre ratifie au compte-gouttes les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI et qu’il fasse ensuite pression pour qu’elles passent rapidement au procès afin d’obtenir un avantage stratégique contre les contribuables qui sont déjà devant notre Cour. Il est certainement plus facile de mener de nombreux petits procès contre des contribuables non préparés et sous-financés que de gagner un ou plusieurs procès plus importants contre des groupes d’appelants organisés. Cela dit, le ministre a déjà obtenu gain de cause dans un procès contre un groupe d’appelants bien financés et organisés dans la décision Mariano. Il ne doute probablement pas de sa capacité à le faire de nouveau.

[37] Il se peut également que le ministre soit submergé par la possibilité d’avoir à traiter 17 000 appels et qu’il retarde la ratification des oppositions dans l’espoir de trouver un autre moyen de régler ces dossiers. Le ministre a certainement tenté, bien qu’imprudemment, de régler les 17 000 oppositions en même temps en utilisant une demande en application de l’article 174.

[38] Ultimement, la motivation du ministre pour ne pas ratifier les oppositions en lien avec la GLGI importe peu. Même si le ministre adopte une stratégie de litige par attrition, je ne suis pas disposé à accéder à la requête de M. Foroglou et à mettre ses appels en suspens. Comme je l’ai mentionné précédemment, la Cour s’est déjà penchée sur le programme de la GLGI dans la décision Mariano. Le juge Pizzitelli l’a examiné en profondeur et a conclu à l’existence de nombreuses failles. M. Foroglou aurait pu accepter d’être lié par l’issue dans la décision Mariano. Il aurait pu accepter l’offre de règlement faite par le ministre, une offre qui l’aurait laissé en meilleure posture que les appelants dans la décision Mariano. Il a choisi de ne faire aucune de ces choses. En faisant ce choix, il a pris le risque de se retrouver exactement dans la situation dans laquelle il se trouve aujourd’hui. En réalité, il se trouve dans la même position que tout autre contribuable devant notre Cour. À l’instar de tous les autres contribuables, il doit financer son propre litige. Le coût éventuel de son litige est certes plus élevé que celui de la plupart des appels, mais il en est ainsi parce qu’il a choisi de participer à un abri fiscal très complexe et de ne pas prendre part à la cause type qui le défendait.

[39] Je serais bien plus compatissant à l’égard de M. Foroglou s’il n’y avait pas déjà eu une décision portant sur une cause type. En l’absence d’une telle décision, j’aurais pu conclure que le maintien de l’appel de M. Foroglou en suspens en attendant que la cause type fût tranchée aurait été une issue appropriée.

[40] Compte tenu de tout ce qui précède, je rejette la demande de M. Foroglou visant la suspension de son appel.

D. Dépens de la requête

[41] Les dépens de la présente requête sont adjugés à l’intimée. L’intimée demande des dépens conformément au tarif établi pour un appel de la catégorie B. Cela semble raisonnable dans les circonstances. Les questions en litige dans la requête n’étaient ni complexes ni inédites. Les deux parties se sont conduites de manière efficace. Les dépens de 525 $ sont attribués à l’intimée et sont payables immédiatement.

E. Retards inutiles dans le litige

[42] Lors d’une conférence téléphonique de gestion de l’instance tenue en décembre 2019, j’ai exprimé ma préoccupation quant au fait que l’intimée n’avait pas été franche avec M. Foroglou sur le rythme auquel le ministre prévoyait ratifier les nouvelles cotisations en lien avec la GLGI. J’ai déclaré qu’il me semblait que l’appel de M. Foroglou avait été inutilement retardé en raison des actions de l’intimée. Si l’intimée avait été franche lorsque cette question a été soulevée pour la première fois en juin 2019, M. Foroglou aurait pu présenter ses requêtes à ce moment-là, au lieu d’attendre jusqu’en février 2020.

[43] J’ai indiqué à l’appelant que, s’il voulait demander les dépens relatifs au retard, il devrait le faire au moment de présenter ses requêtes. M. Foroglou n’a pas demandé de tels frais lorsqu’il a présenté ses requêtes. Mon rôle n’est pas d’allouer des frais et dépens qu’une partie ne demande pas [30] . En conséquence, je n’accorderai pas de dépens relativement à cette question. M. Foroglou est libre de réclamer ces frais au juge du procès qui finira par entendre ses appels.

F. Prochaines étapes

[44] Compte tenu de tout ce qui précède, je ne vois pas pourquoi les appels de M. Foroglou ne devraient pas aller de l’avant sans tarder. Les parties sont chacune tenues de fournir à la Cour des dates pour l’achèvement des étapes restantes de leur litige respectif au plus tard le 11 décembre 2020.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d’octobre 2020.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de juin 2021.

Mario Lagacé, jurilinguiste


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 117

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-1117(IT)G

INTITULÉ :

JASON FOROGLOU c. LA REINE

DATE DE L’AUDIENCE :

Requête tranchée par voie d’observations écrites

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 29 octobre 2020

PARTICIPANTS :

Avocats de l’appelant :

Me Duane R. Milot

Me Igor Kastelyanets

Avocats de l’intimée :

Me Priya Bains

Me John Chapman

Me Sandra Tsui

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Duane R. Milot

Me Igor Kastelyanets

 

Cabinet :

Milot Law

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] 2015 CCI 244.

[2] Décision Mariano, au paragraphe 146.

[3] 2003 CSC 71.

[4] Arrêt Okanagan, au paragraphe 1.

[5] Arrêt Okanagan, au paragraphe 40.

[6] 2007 CSC 2 (arrêt Little Sisters).

[7] Arrêt Little Sisters, au paragraphe 5.

[8] Roberts c. The Queen, 2011 CCI 205 et Robertson c. La Reine, 2011 CCI 83.

[9] Voir la décision Mariano, au paragraphe 49.

[10] Réplique à l’avis d’appel de M. Foroglou, paragraphe 14, et affidavit de Li Hua Huang, daté du 29 juillet 2020, paragraphe 7.

[11] Voir par exemple Langlois c. La Reine, 2000 CarswellNat 3241 (CAF); Canada c. Malette, 2004 CAF 187; Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386; Klotz c. Canada, 2005 CAF 158; Nguyen c. La Reine, 2008 CCI 401; Russell c. La Reine, 2009 CCI 548; Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287 (autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 2011 CarswellNat 1911 [2011] 2 RCS viii); Kossow c. Canada, 2013 CAF 283; Bandi c. La Reine, 2013 CCI 230; Canada c. Berg, 2014 CAF 25; Canada c. Castro, 2015 CAF 225, autorisation d’interjeter appel à la CSC refusée, 2016 CarswellNat 1067, [2016] 1 RCS vii; Glover c. La Reine, 2015 CCI 199; Cassan c. La Reine, 2017 CCI 174; Miller v. The Queen, 2019 TCC 204; Markou c. Canada, 2019 CAF 299 (autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, 2020 CarswellNat 1486); Roher c. Canada, 2019 CAF 313, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, 2020 CarswellNat 1394; et Eisbrenner v. Canada, 2020 FCA 93.

[12] 2017 ONSC 4760.

[13] Règles en matière de droit de la famille, Règles de l’Ontario 114/99.

[14] Cette règle se trouvait au paragraphe 24(12) lorsque la décision Green v. Whyte a été rendue, mais elle a depuis été déplacée au paragraphe 24(18).

[15] Agresti v. Hatcher, 2004 CanLII 8311 (CS ON), aux paragraphes 17 et 18.

[16] Le juge Tardif a formulé une observation similaire dans la décision Robertson c. La Reine, au paragraphe 46.

[17] Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, paragraphe 18.11(6).

[18] Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, article 18.25.

[19] Affidavit de Li Hua Huang daté du 29 juillet 2020, paragraphe 7.

[20] Mariano c. La Reine, 2016 CCI 161.

[21] Observations écrites de l’intimée datées du 30 janvier 2020, au paragraphe 6.

[22] Morrison c. Canada, 2016 CAF 256.

[23] Je remarque que, vu la décision Mariano, le principe du règlement pourrait empêcher le ministre de formuler des offres de régler aux contribuables suivant les mêmes modalités qu’il pourrait avoir offertes auparavant.

[24] Observations écrites de l’intimée datées du 30 janvier 2020, au paragraphe 20.

[25] 170 oppositions en 7 mois = 24,28571 oppositions par mois. À ce rythme, il faudra 700 mois pour traiter l’ensemble des 17 000 oppositions.

[26] Observations écrites de l’intimée datées du 30 janvier 2020, au paragraphe 29.

[27] 300 oppositions en 3 mois = 100 oppositions par mois. À ce rythme, il faudra 170 mois pour traiter l’ensemble des 17 000 oppositions.

[28] Je reconnais que certains contribuables ayant des oppositions en lien avec la GLGI peuvent également s’opposer à d’autres éléments et que ces oppositions peuvent prendre plus de temps à traiter, mais les contestations de ces oppositions découlent d’autres éléments que les questions en litige en lien avec la GLGI.

[29] Des appels ont été abandonnés ou ont fait l’objet de désistement dans les décisions Prastawa (2017-453(IT)I et 2017-454(IT)I), Patel (2017-449(IT)I), Lee (2016-921(IT)I, Mathuik (2018-3779(IT)I) et Campbell (2015-2722(IT)I). Les appels ont été rejetés dans les décisions DiLena (2019 CCI 260), Wiegers (2019 CCI 260), Jourdine-Tapper (2016-1402(IT)I), Girmay (2019 CCI 288), Forester (2016-1289(IT)I) et Tudora (2020 CCI 11).

[30] Kibalian c. Canada, 2019 CAF 160.

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