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Dossier : 2018-3416(IT)G

ENTRE :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 2 septembre 2020, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Robert J. Hogan


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Justin Kutyan

Me Kristen Duerhammer

Avocates de l’intimée :

Me Diana Aird

Me Anne Shirley LeBel

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des avis de cotisation établis par le ministre du Revenu national en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 de l’appelante est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2020.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2020 CCI 109

Date : 20201102

Dossier : 2018-3416(IT)G

ENTRE :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Hogan

I. Aperçu

[1] L’appelante, la fiducie St. Benedict Catholic Secondary School (la « fiducie St. Benedict ») interjette appel de nouvelles cotisations de l’impôt sur le revenu établies pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

[2] L’appelante est une fiducie dont l’unique bénéficiaire est le conseil scolaire de l’établissement Waterloo Catholic District School. Les années d’imposition de l’appelante se terminent le 31 décembre. En remplissant ses déclarations de revenus pour les années d’imposition de 1997 à 2003, l’appelante a demandé des déductions pour amortissement (les « DPA ») pour des biens amortissables de catégorie 13 (les « biens de catégorie 13 »). Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a émis des avis selon lesquels aucun impôt n’était à payer (les « cotisations portant qu’aucun impôt n’était à payer ») pour les années d’imposition de 1997 à 2003 de l’appelante. L’appelante avait déclaré des pertes autres qu’en capital (les « PAC ») pour chacune de ces années d’imposition (les « PAC de 1997 à 2003 »).

[3] En remplissant ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016, l’appelante a demandé la déduction du solde des PAC de 1997 à 2003. Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante au motif que les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 se situaient au-delà du délai pendant lequel il était possible de reporter les pertes. L’appelante admet que les PAC de 1997 à 2003 soient arrivées à échéance. Toutefois, elle affirme à présent avoir subi une perte en 2017 qu’elle est en mesure de reporter de manière rétroactive, afin de compenser l’impôt sur le revenu supplémentaire établi dans les cotisations pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

[4] En 2017, l’appelante a cédé les biens de catégorie 13, à savoir ses droits sur l’établissement St. Benedict Catholic Secondary School et son terrain avoisinant, pour un produit de disposition de 1 $. L’appelante affirme avoir subi une perte finale de 3 491 899 $ découlant de la cession de ces biens. Les PAC que l’appelante souhaite à présent reporter rétroactivement découlent intégralement de la perte finale déclarée par l’appelante.

[5] L’appelante a calculé la perte finale en litige au moyen du solde ajusté d’une fraction non amortie du coût en capital (la « FNACC ») de 3 491 900 $. Le ministre allègue que le solde de la FNACC des biens de catégorie 13 était de 679 683 $ seulement à l’époque pertinente, au motif que l’appelante avait déclaré des DPA de 5 664 069 $ au total pour ces biens de catégorie 13 dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition de 1997 à 2003 (la « demande de DPA initiale »).

[6] L’appelante ne nie pas avoir présenté la demande de DPA initiale. Au lieu de cela, elle soutient avoir le droit de réduire unilatéralement sa demande de DPA initiale de 2 812 217 $ (l’« ajustement »), au motif que le ministre avait établi des cotisations portant qu’aucun impôt n’était à payer pour toutes les années d’imposition pertinentes.

II. Exposé conjoint des faits

[7] Les faits ne sont pas controversés dans le présent appel. Je reproduis ci-dessous l’exposé conjoint des faits des parties, pour en simplifier la consultation.


 

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

Les parties admettent, uniquement aux seules fins du présent appel, la véracité des faits qui suivent :

  1. La fiducie St. Benedict Catholic Secondary School (la « fiducie St. Benedict ») est une fiducie dont l’unique bénéficiaire est le conseil scolaire de l’établissement Waterloo Catholic District School.

  2. Les années d’imposition de la fiducie St. Benedict se terminent le 31 décembre.

A. Les demandes de déduction pour amortissement initiales de la fiducie St. Benedict

  1. Dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition de 1997 à 2016, la fiducie St. Benedict a déclaré des déductions pour amortissement (les « DPA ») et elle a déclaré le solde d’une fraction non amortie du coût en capital (la « FNACC ») de biens amortissables de catégorie 13, à savoir l’établissement St. Benedict Catholic Secondary School et son terrain avoisinant, comme suit :

Année d’imposition

Demande de DPA

Solde de la FNACC – final

1997

226 643 $

17 898 372 $

1998

906 628 $

16 991 744 $

1999

905 794 $

16 085 950 $

2000

906 251 $

15 179 699 $

2001

906 251 $

14 273 448 $

2002

906 251 $

13 367 197 $

2003

906 251 $

12 460 946 $

2004

906 251 $

11 554 695 $

2005

906 251 $

10 648 444 $

2006

906 251 $

9 742 193 $

2007

906 251 $

8 835 942 $

2008

906 251 $

7 929 691 $

2009

906 251 $

7 023 440 $

2010

906 251 $

6 117 189 $

2011

906 251 $

5 210 938 $

2012

906 251 $

4 304 687 $

2013

906 251 $

3 398 436 $

2014

906 251 $

2 492 185 $

2015

906 251 $

1 585 934 $

2016

906 251 $

679 683 $

  1. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a émis des avis portant qu’aucun impôt n’était à payer pour les années d’imposition de 1997 à 2013 de la fiducie St. Benedict.

  2. En calculant ses revenus pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 (les « années d’imposition »), la fiducie St. Benedict a déclaré des pertes autres qu’en capital de 2 504 746 $, 1 960 962 $ et 1 301 191 $, respectivement. Ces pertes autres qu’en capital comprenaient des sommes que la fiducie St. Benedict souhaitait reporter des années d’imposition de 1996 à 2007.

B. Les nouvelles cotisations et les oppositions avec ajustement des déductions pour amortissement

  1. Dans des avis datés du 12 avril 2017, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de la fiducie St. Benedict pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016 (les « nouvelles cotisations »), dans lesquelles il rejette les pertes autres qu’en capital déclarées, dans leur intégralité, au motif que le délai prévu pour reporter ces pertes avait expiré. Les nouvelles cotisations prévoient des impôts dus pour chacune des années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

  2. La fiducie St. Benedict a signifié son opposition aux nouvelles cotisations en juillet 2017.

  3. Dans ses objections, la fiducie St. Benedict ne déclare plus de pertes à reporter sur les années d’imposition 2014, 2015 et 2016. Au lieu de cela, elle soutient avoir des pertes autres qu’en capital de 2 662 080 $ découlant de l’année d’imposition 2017 qu’elle serait en droit de reporter sur les années d’imposition.

  4. La fiducie St. Benedict a calculé les pertes autres qu’en capital en litige au moyen du solde d’une FNACC de 3 491 900 $ datant de la fin de l’année d’imposition 2016 (le « solde ajusté de la FNACC »), au lieu du solde d’une FNACC de 679 683 $ (le « solde initial de la FNACC »). La fiducie St. Benedict a calculé le solde ajusté de la FNACC en utilisant des montants de DPA qui ne correspondent pas à ceux qu’elle avait déduites dans ses déclarations de revenus pour les années d’imposition de 1997 à 2003 et 2010.

  5. Voici le calcul du solde ajusté de la FNACC réalisé par la fiducie St. Benedict :

Année d’imposition

Déclaration des DPA (initiale)

Déclaration des DPA (demandée)

Modification des DPA déclarées

Solde ajusté de la FNACC

1997

226 643 $

-

-226 643 $

18 125 015 $

1998

906 628 $

-

-906 628 $

18 125 01 $

1999

905 794 $

426 349 $

-479 445 $

17 698 666 $

2000

906 251 $

469 559 $

-436 692 $

17 229 107 $

2001

906 251 $

517 621 $

-88 630 $

16 711 486 $

2002

906 251 $

656 677 $

-249 574 $

16 054 809 $

2003

906 251 $

792 036 $

-114 215 $

15 262 773 $

2004

906 251 $

906 251 $

-

14 356 522 $

2005

906 251 $

906 251 $

-

13 450 271 $

2006

906 251 $

906 251 $

-

12 544 020 $

2007

906 251 $

906 251 $

-

11 637 769 $

2008

906 251 $

906 251 $

-

10 731 518 $

2009

906 251 $

906 251 $

-

9 875 267 $

2010

906 251 $

895 861 $

-10 390 $

8 929 406 $

2011

906 251 $

906 251 $

-

8 023 155 $

2012

906 251 $

906 251 $

-

7 116 904 $

2013

906 251 $

906 251 $

-

6 210 653 $

2014

906 251 $

906 251 $

-

5 304 402 $

2015

906 251 $

906 251 $

-

4 398 151 $

2016

906 251 $

906 251 $

-

3 491 900 $

Modification du solde de la FNACC découlant de la modification des déclarations de DPA

2 812 217 $

  1. Le ministre a confirmé les nouvelles cotisations dans un avis daté du 7 juin 2018.

C. Les conséquences de l’application de l’ajustement des DPA déclarées

  1. L’ajustement des DPA déclarées et du solde de la FNACC n’aurait aucune répercussion sur l’impôt dû par la fiducie St. Benedict pour les années d’imposition de 1997 à 2013. L’impôt dû en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour ces années-là demeurerait nul.

  2. En 2017, la fiducie St. Benedict a cédé des biens amortissables de catégorie 13 pour un produit de disposition de 1 $.

  3. En appliquant le solde ajusté de la FNACC, on obtiendrait une perte finale de 3 491 899 $ pour l’année d’imposition 2017 de la fiducie St. Benedict; voici le calcul réalisé :

a) le produit de disposition de 1 $,

b) moins le solde ajusté de la FNACC de 3 491 900 $ à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017.

  1. Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2017, la fiducie St. Benedict a déclaré un revenu total de 1 237 077 $.

  2. Si le solde ajusté de la FNACC est exact, la fiducie St. Benedict a subi une perte autre qu’en capital de 2 662 080 $ pour l’année d’imposition 2017, qu’elle est en droit de reporter rétroactivement sur les années d’imposition. Si le solde initial de la FNACC est exact, la fiducie St. Benedict n’a aucune perte autre qu’en capital à reporter rétroactivement.

  3. La fiducie St. Benedict a déposé un avis d’opposition à l’encontre de la cotisation la plus récente pour l’année d’imposition 2017.

III. Question en litige

[8] La question en litige dans le présent appel est de savoir si l’appelante peut décider unilatéralement de réduire sa demande de DPA initiale afin d’augmenter le montant de sa perte finale pour l’année d’imposition 2017. Si l’appelante a le droit de procéder à cet ajustement, je devrai accueillir son appel. Dans le cas contraire, je devrai rejeter son appel.

IV. Thèses des parties

A. Les observations de l’appelante

1) L’appelante fait remarquer que le contribuable peut choisir de déduire tout ou partie des DPA qu’il possède pour une année d’imposition, sous réserve de respecter les sommes maximales qu’il est en droit de déclarer. L’appelante allègue que les règles qui régissent le régime des DPA ont été formulées de manière à offrir la plus grande flexibilité possible. Les règles sont conçues pour offrir au contribuable la possibilité d’ajuster sa demande de DPA initiale dans les circonstances décrites précédemment.

2) L’appelante fait remarquer qu’il est bien établi qu’une cotisation portant qu’aucun impôt n’est à payer ne fige pas les composantes du calcul du revenu ou du revenu imposable du contribuable. Par conséquent, le contribuable n’est pas lié par les DPA qu’il a déclarées dans sa déclaration de revenus pour une année d’imposition concernée par une cotisation portant qu’aucun impôt n’était à payer. Selon l’appelante, seules une cotisation ou la détermination d’une perte peuvent figer le montant des DPA déclarées.

B. La thèse de l’intimée

1) Bien entendu, l’intimée défend la thèse contraire. Selon l’intimée, la formule prévue par la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour calculer une perte finale exige que le contribuable prenne en compte toutes les DPA qu’il a déclarées pour les années d’imposition antérieures. Cette exigence est imposée par la définition de l’expression « amortissement total », à savoir « le total des montants dont chacun représente une déduction […] prise par le contribuable par application de l’alinéa 20(1)a) […] dans le calcul du revenu du contribuable pour les années d’imposition se terminant avant ce moment ».

V. Discussion

[9] Pour les motifs qui suivent, je rejette la thèse de l’appelante.

[10] La définition du terme « FNACC » est centrale dans le régime des DPA. Cette définition repose sur une formule prévue pour calculer le solde de la FNACC de biens amortissables d’une catégorie donnée à un moment précis.

[11] Cette formule tient compte des facteurs qui ont des répercussions sur la détermination du solde de la FNACC à un moment précis. En résumé, le solde de la FNACC correspond à l’excédent du coût en capital pour les biens amortissables de la catégorie par rapport i) aux DPA demandées pour les années d’imposition antérieures et ii) au produit de la disposition des biens, dans la limite de leur coût en capital initial [1] .

[12] Le solde de la FNACC permet de définir le montant maximal des DPA que le contribuable peut demander concernant les biens pour une année d’imposition donnée. Puisque le contribuable détermine le montant des DPA déduites chaque année, la formule permettant de calculer le solde de la FNACC dépend des sommes déduites par le contribuable en application de l’alinéa 20(1)a) avant ce moment. À cet égard, la variable E de la formule désigne « l’amortissement total accordé au contribuable […] avant ce moment ». L’expression « amortissement total », quant à elle, est définie comme « le total des montants dont chacun représente une déduction pour amortissement prise par le contribuable par application de l’alinéa 20(1)a) […] dans le calcul du revenu du contribuable » pour l’année.

[13] L’annexe 8 permet d’assurer le suivi des DPA que le contribuable a déduites, ainsi que le solde de la FNACC. Le contribuable doit présenter cette annexe 8 avec sa déclaration de revenus annuelle afin d’assurer le suivi des DPA déduites pour l’année.

[14] Une fois que le contribuable a déclaré une DPA en application de l’alinéa 20(1)a), la variable E de la formule opère de manière purement mécanique. Le montant des DPA déduites par le contribuable à sa discrétion est automatiquement soustrait au solde de la FNACC à la fin l’année d’imposition concernée.

[15] On calcule une perte finale en tenant compte des mêmes facteurs que ceux permettant de calculer le solde d’une FNACC pour des biens amortissables à un moment donné. En résumé, il y a perte finale lorsque le total des DPA déclarées par le contribuable est inférieur à la baisse de valeur réelle de tous les biens de la catégorie; on la calcule après la vente du dernier bien de cette catégorie.

[16] Aux termes du régime des DPA, le législateur a conféré à l’appelante le pouvoir discrétionnaire de fixer le montant de sa demande de DPA initiale. L’appelante a exercé ce pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle a présenté ses déclarations de revenus pour les années d’imposition de 1997 à 2003. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique la prise de risques en vue d’obtenir des avantages. Je suppose que l’appelante avait pesé les avantages et les inconvénients de cette méthode lorsqu’elle a fait sa demande de DPA initiale. L’appelante a choisi de déclarer, pour la plupart des années d’imposition en cause, le montant maximal de DPA à sa disposition, vraisemblablement au motif qu’elle prévoyait d’utiliser les PAC de 1997 à 2003 au cours de la période de report des pertes. L’appelante aurait bénéficié ce faisant d’un avantage dans le temps.

[17] Les événements ne se sont pas déroulés comme prévu. Le choix de l’appelante lui a porté préjudice, car les PAC de 1997 à 2003 ont expiré avant qu’elle ait pu les utiliser intégralement. Elle souhaite à présent ajuster sa demande de DPA initiale après les faits. Le législateur n’avait pas pour intention de produire un tel résultat. La demande de la contribuable constitue à mes yeux une planification fiscale unilatérale et rétroactive.

[18] L’appelante affirme que le scénario présenté précédemment ne résultera en aucune perte fiscale, que le régime des DPA fonctionne comme le législateur l’avait prévu et que l’appelante tire les mêmes avantages des DPA que si elle les avait conservées dans sa réserve de DPA dès le départ. Cette affirmation est fausse, car elle ignore les répercussions des restrictions appliquées aux reports des pertes. Lorsqu’une perte expire, elle est perdue. Dans un tel cas, le contribuable perd les avantages découlant de toutes les dépenses, discrétionnaires ou non, qui composaient son solde de PAC expirées.

[19] L’interprétation du droit faite par l’appelante, si elle était saine, aurait de vastes implications aux termes de la Loi. La Loi prévoit plusieurs régimes spéciaux permettant d’accumuler et de déduire des dépenses de la même manière que pour les DPA [2] . Comme pour les DPA, le contribuable accumule ces dépenses dans une réserve et il les déduit de manière discrétionnaire. Il peut les reporter pendant une durée indéfinie, sous réserve de respecter les restrictions en matière de changement de contrôle. En vertu de ces régimes, le contribuable jouit d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de réguler ses revenus. Comme pour le régime des DPA, une fois que le contribuable choisit de déduire une dépense dans le calcul de son revenu, la somme est soustraite au solde des dépenses que le contribuable pourra déduire à l’avenir. Dans tous ces cas, le ministre est informé de la somme que le contribuable a choisi de déduire, à la fois dans la déclaration de revenus et dans l’annexe correspondante que le contribuable présente pour l’année concernée.

[20] Selon la thèse de l’appelante, le contribuable pourrait demander chaque année le montant maximal de toutes les déductions discrétionnaires contenues dans une réserve, afin de maximiser le montant des pertes qu’il pourra reporter [3] . Lorsque la période de report arrive à échéance, le contribuable peut choisir précisément les déductions discrétionnaires à abaisser de manière à éviter les répercussions de cette règle. Dans un tel cas, l’on peut supposer que le contribuable cherchera à rétablir les déductions qui seront par la suite déductibles le plus tôt possible. Les déductions pour activités de recherche scientifique et de développement expérimental seront alors idéales, car le montant de ces dépenses rétablies dans la réserve sera intégralement déductible l’année suivante. Ce résultat complexifierait à l’extrême les audits de l’Agence du revenu du Canada. Du point de vue de l’efficacité de l’administration fiscale dans notre système d’autocotisation, il m’est difficile de concevoir qu’il était dans l’intention du législateur de produire un tel résultat.

[21] L’appelante invoque la jurisprudence à l’appui de sa thèse. Il s’agit d’examiner systématiquement les faits de chaque affaire.

[22] Dans le jugement Aallcann [4] , la Cour a reconnu que le contribuable pouvait contester la nature d’un revenu reçu pertinent pour déterminer une perte reportée d’une année d’imposition antérieure. Voici ce que le juge Bowman a conclu sur ce point :

[traduction] Dans la mesure où la perte n’a pas été déterminée de manière contraignante en application du paragraphe 152(1.1), il est loisible au contribuable de contester le calcul du ministre pour une année donnée dans un appel concernant une autre année, lorsque le montant du revenu imposable est touché par celui de la perte que le contribuable pourrait reporter en application de l’article 111 [5] .

[Non souligné dans l’original.]

[23] En ce qui concerne l’affaire Aallcann, était en cause le produit reçu de la vente d’un contrat. Le contribuable avait déclaré avoir reçu ce produit au titre de son capital. Le ministre avait établi la cotisation en tenant pour acquis qu’il s’agissait d’un revenu reçu.

[24] La détermination de la nature d’un gain est une question mélangée de fait et de droit. En langage courant, une fois que les faits sont établis, on analyse le reçu selon le droit.

[25] Les deux parties reconnaissent que l’appelante avait correctement calculé le montant de sa demande de DPA initiale. Le ministre a pris connaissance du choix de l’appelante à cet égard lorsque l’appelante avait présenté sa déclaration de revenus pour les années d’imposition pertinentes. La seule question qui demeure en l’espèce est de savoir si l’appelante peut ou non ajuster unilatéralement sa demande de DPA initiale afin d’augmenter sa perte finale.

[26] L’appelante se fonde également sur l’arrêt Clibetre Exploration Ltd. c. Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 16. L’appelante soutient que les faits de cette affaire sont semblables à ceux de la présente espèce.

[27] Dans cette affaire, la société Clibetre demandait à ce que les dépenses qu’elle avait déduites à titre de dépenses ordinaires soient traitées comme des frais d’exploration au Canada (les « FEC »).

[28] L’année d’imposition en cause était l’année 1996. La contribuable avait déduit les dépenses en déterminant le montant de pertes dont le report était soumis à un délai de sept ans. La société Clibetre ne pouvait pas utiliser ces pertes pour compenser son revenu imposable de 1996. Si les dépenses étaient traitées comme des FEC, elles seraient ajoutées à la réserve de FEC, ce qui permettrait d’augmenter les sommes déductibles à tout moment. Le juge de la Cour de l’impôt a décidé que la société Clibetre ne pouvait pas traiter les dépenses comme des FEC, au motif que, pour ce faire, il aurait fallu établir une nouvelle cotisation pour les années d’imposition au cours desquelles les dépenses avaient eu lieu. Ces années d’imposition n’entraient plus dans le délai normal de prescription.

[29] En appel, la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») en a décidé autrement, au motif que [traduction] « le revenu imposable et, par conséquent, l’impôt dû pour chacune de ces années serait nul, indépendamment du fait que la contribuable a déclaré les dépenses en tant que déductions dans le calcul d’une perte autre qu’en capital ou a traité les dépenses comme des frais d’exploration au Canada ». D’un point de vue procédural, la CAF a décidé que la Loi ne faisait nullement obstacle à l’assimilation des dépenses à des FEC.

[30] Bien que cela ne soit pas précisé directement, il découle implicitement des motifs de la CAF que la question de savoir si les dépenses étaient ou non admissibles à titre de FEC constituait une question mélangée de fait et de droit. Une fois que les faits sont établis, il s’agit simplement d’interpréter la Loi pour décider si la dépense appartient à la catégorie examinée. Le fait que la contribuable avait traité les dépenses comme des dépenses ordinaires n’avait aucune incidence sur cette décision. En d’autres termes, les dépenses constituaient ou non des FEC selon qu’elles satisfaisaient ou non à la définition du terme « FEC » prévue dans la Loi. Le cas échéant, elles étaient ajoutées à la réserve des FEC et la contribuable pouvait les déduire à sa discrétion. La jurisprudence Clibetre enseigne que ni les contribuables ni le ministère ne sont liés par une erreur de traitement fiscal d’une dépense.

[31] Pour terminer au sujet de cette jurisprudence, j’estime que l’issue aurait été différente si la contribuable avait inclus à juste titre les dépenses dans la réserve de FEC dès le départ et demandé ensuite une déduction en puisant dans cette réserve. Elle ne l’avait pas fait. Contrairement à la présente affaire, il ressortait clairement des faits que la contribuable n’avait pas traité les dépenses de la sorte.

[32] Pour conclure, après examen, je suis d’avis que toute la jurisprudence citée par l’appelante porte sur des faits distincts et non pertinents en l’espèce.

[33] En dernier lieu, l’intimée fait observer que la Loi prévoit que le contribuable ne peut pas annuler ou modifier unilatéralement ses choix fiscaux. La Loi comprend des dispositions précises prévoyant les cas dans lesquels cela est permis et les modalités pour ce faire. L’appelante soutient que la Loi demeure, tout au plus, muette au sujet des conditions dans lesquelles il est possible de modifier des déductions discrétionnaires telles que des DPA et que, par conséquent, il faut en conclure qu’il est loisible au contribuable d’apporter de telles modifications, sous réserve qu’il n’y ait aucune répercussion sur le montant de l’impôt sur le revenu dû par le contribuable pour une année antérieure. Vu ma lecture des dispositions pertinentes de la Loi et du régime des DPA dans leur ensemble, je ne saurais conclure en ce sens.

VI. Conclusion

[34] Pour tous ces motifs, l’appel de l’appelante est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 2e jour de novembre 2020.

« Robert J. Hogan »

Le juge Hogan

Traduction certifiée conforme

ce 27e jour de juillet 2022.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 109

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-3416(IT)G

INTITULÉ :

FIDUCIE ST. BENEDICT CATHOLIC SECONDARY SCHOOL c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 septembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Robert J. Hogan

DATE DU JUGEMENT :

Le 2 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelante :

Me Justin Kutyan

Me Kristen Duerhammer

Avocates de l’intimée :

Me Diana Aird

Me Anne Shirley LeBel

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Justin Kutyan

Me Kristen Duerhammer

 

Cabinet :

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Pour l’intimée

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Une fois la récupération déclenchée, on remet le solde à zéro.

[2] Voir par exemple : Activités de recherche scientifique et de développement expérimental, au paragraphe 37(1); Frais à l’égard de biens canadiens relatifs au pétrole et au gaz, au paragraphe 66.4(5); Frais cumulatifs d’exploration au Canada, au paragraphe 66.1(6); frais cumulatifs d’aménagement au Canada, au paragraphe 66.2(5) de la Loi. Dans tous ces cas, le contribuable doit présenter une annexe et un formulaire distincts permettant d’assurer le suivi du solde de la réserve après la déclaration d’une déduction dans le calcul du revenu. Après qu’une dépense a été correctement ajoutée à une réserve en application de la Loi, elle perd toutes ses particularités. Dans de nombreux cas, une réserve de dépenses accumulées comprend à la fois des dépenses en capital et des dépenses de nature courante. La somme déclarée par le contribuable au cours d’une année donnée dépend du solde de la réserve correspondante que le contribuable a constituée au fil du temps. On ne la détermine ni selon la nature de la dépense (capital ou revenu) ni selon la période précise à laquelle le contribuable a ajouté cette dépense à la réserve, contrairement aux cas dans lesquels on applique l’une ou l’autre des méthodes « dernier entré, premier sorti » ou « premier entré, premier sorti ». Il s’agit d’une méthode très différente de celle utilisée pour traiter les dépenses ordinaires d’une entreprise en application de la Loi.

[3] Lorsqu’une perte arrive à échéance, le ministre délivre des cotisations portant qu’aucun impôt n’est à payer, comme cela a été le cas en l’espèce.

[4] Aallcann Wood Suppliers Inc. c. La Reine, [1994] 94 D.T.C. 1475 (CCI).

[5] Aallcann Wood Suppliers Inc c. La Reine, 94 D.T.C. 1475 (CCI), au par. 1476.

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