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Dossier : 2016-4952(IT)G

ENTRE :

LOCKWOOD FINANCIAL LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 13 et 14 février 2020 à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire


Comparutions :

 

Avocats de l’appelante :

Jean-François Poulin

Sofia Guedez

Avocat de l’intimée :

Alain Gareau

 

JUGEMENT

  L'appel de la détermination d'une perte par le ministre du Revenu national en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant l'année d'imposition de l’appelante se terminant le 31 octobre 2012 est rejeté, avec dépens, conformément aux motifs du jugement ci-joint.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de novembre 2020.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


Référence : 2020 CCI 128

Date : 20201118

Dossier : 2016-4952(IT)G

ENTRE :

LOCKWOOD FINANCIAL LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

  1. Introduction

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté contre une détermination de pertes faite en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu [1] . Par avis de détermination en date du 22 janvier 2015, la ministre du Revenu national (ministre) a établi la perte autre qu’en capital et la perte en capital de l’appelante pour son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012 à 266 533 $ et à 70 848 $ respectivement.

[2]  L’entreprise de l’appelante, Lockwood Financial Ltd. (Lockwood), consiste dans la négociation d’opérations de financement et autres pour des émetteurs assujettis, notamment des petites sociétés dans l’industrie des ressources. En contrepartie de ses services, Lockwood reçoit des commissions d’intermédiaire payables soit en argent comptant, soit en actions de ses sociétés clientes, ou à la fois en argent comptant et en actions.

[3]  Lockwood a aidé à négocier un accord d’affermage entre sa cliente Lion Energy Corp. (LEO) et Africa Oil Corp. (AOI) [2] . Aux termes de l’accord d’affermage, LEO recevait, en contrepartie de dépenses d’au moins 26 208 000 $ qu’elle devait effectuer pour la mise en valeur des propriétés, des droits sur un intérêt dans des blocs pétroliers situés au Kenya et en Somalie. La Bourse de croissance TSX a approuvé l’accord d’affermage le 15 mars 2010.

[4]  Bien que l’appel soulève des questions quant à l’exactitude de la détermination des pertes, le litige porte en fait sur la qualification appropriée (comme revenu d’entreprise ou comme gain en capital) de différentes parties des paiements qu’a reçus Lockwood à titre de commission d’intermédiaire pour l’accord d’affermage négocié entre LEO et AOI, ainsi que sur l’année d’imposition dans laquelle ces montants doivent être inclus dans le revenu.

  1. Fardeau de la preuve et preuve produite à l’audience

[5]  Il est bien établi que, dans les appels en matière fiscale, le fardeau initial de réfuter les hypothèses de fait de la ministre incombe à l’appelant. Dans l’arrêt La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., la Cour d’appel fédérale a reformulé succinctement le principe dans les termes suivants : « Il est bien établi en droit que, sauf exception, le fardeau de preuve initial à l’égard des hypothèses de fait retenues par le ministre lorsqu’il a établi l’obligation fiscale du contribuable et le montant à payer incombe au contribuable. » [3]

[6]  Monsieur Kevin Torudag est l’unique actionnaire et administrateur de Lockwood. Il n’a pas témoigné à l’audience. Avant l’audience [4] , l’appelante a demandé un ajournement parce que M. Torudag était en voyage d’affaires en Afrique. L’appelante affirmait dans sa demande d’ajournement : « M. Torudag était le seul témoin d’importance prévu pour l’audition des 13 et 14 février prochain [sic]. […] Si la présente demande devait être refusée, l’Appelante en subirait un préjudice irréparable ». La Cour a refusé l’ajournement et l’appelante n’a pas pris de dispositions pour que M. Torudag se présente pour témoigner à l’audience, que ce soit en personne ou autrement.

[7]  À l’audience, l’avocat de l’appelante a signalé qu’il était prêt à aller de l’avant sans le témoignage de M. Torudag. Selon l’avocat, la Cour disposerait de suffisamment de faits sur lesquels les parties s’étaient entendues et de suffisamment de preuves documentaires pour qu’elle puisse trancher les questions en litige. Étant donné, toutefois, que l’appelante ne produisait aucun témoin, l’avocat de l’intimée s’est opposé à l’introduction en preuve de certains documents, dont l’entente sur la répartition de la commission d’intermédiaire en date du 20 avril 2010. Après discussion, les parties sont convenues de la production d’une partie seulement de l’entente sur la répartition de la commission d’intermédiaire [5] . L’accord d’affermage conclu entre LEO et AOI n’a pas été présenté à la Cour et l’entente sur la commission d’intermédiaire ne l’a pas été non plus. Je fais remarquer qu’ils ne figuraient pas parmi les documents fournis à l’Agence du revenu du Canada durant la vérification [6] .

[8]  En présentant ses arguments, l’avocat de l’appelante a semblé contrarié de se trouver dans une situation où l’intimée aurait su que l’appelante était désavantagée en raison du manque de preuves [7] . Or, je conclus que l’appelante est seule fautive s’il existe des lacunes quant à la preuve nécessaire pour appuyer sa position.

[9]  L’avocat de l’intimée a fait valoir qu’aucun élément de preuve ne démontrait que les hypothèses de l’intimée étaient fausses, et il a soutenu que cela suffisait pour fonder le rejet de l’appel.

[10]  Quoique l’appelante n’ait pas accepté certaines hypothèses de fait de la ministre, son avocat a dit que l’appelante fondait sa contestation de la cotisation non pas sur les hypothèses elles-mêmes, mais sur les conséquences de ces hypothèses [8] . S’appuyant sur la décision Pillsbury Canada Ltd. v. MNR, l’avocat de l’appelante a soutenu que, [TRADUCTION] « même si les hypothèses étaient justifiées, elles n’étayent pas en elles-mêmes la cotisation. » [9] Je fais remarquer que, dans la décision Pillsbury, le juge Cattanach a déclaré qu’il existe trois voies pour contester les hypothèses du ministre; l’appelant recourt principalement à la troisième :

[TRADUCTION]

[…] Devant l’assertion du ministre selon laquelle il avait, en établissant la cotisation à l’égard de l’intimée, tenu pour avérés les faits énoncés au paragraphe 6 de l’avis d’appel, l’intimée aurait pu :

a)  contester l’allégation du ministre selon laquelle il avait effectivement tenu pour avérés ces faits,

b)  assumer le fardeau de démontrer qu’une ou plusieurs des hypothèses étaient erronées,

c)  faire valoir que, même si les hypothèses étaient justifiées, elles n’étayent pas en elles-mêmes la cotisation. [10]

[11]  Compte tenu des principes énoncés ci-dessus, il incombe à l’appelante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les faits tenus pour avérés par la ministre sont erronés ou que les hypothèses, même si elles sont justifiées, n’appuient pas la cotisation.

[12]  Puisque l’appelante a soutenu que le revenu d’entreprise tiré de la négociation de l’accord d’affermage doit être inclus dans ses revenus en 2010 (et non en 2012, comme il l’a été dans sa déclaration de revenus pour cette année d’imposition), j’ajouterais que l’appelante a le fardeau de prouver les faits sur lesquels elle se fonde pour appuyer ce point de vue [11] .

[13]  Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que l’appelante n’a pas su s’acquitter de son fardeau de la preuve.

  1. Les faits relatifs à la répartition de la commission d’intermédiaire et le traitement fiscal de cette commission par les parties

[14]  En contrepartie de son aide à négocier l’accord d’affermage entre LEO et AOI, Lockwood devait recevoir une commission d’intermédiaire. Les parties conviennent que l’appelante devait être payée pour ses services de la manière suivante :

  • i) Sur finalisation de l’accord d’affermage, un premier paiement de 150 000 $ en argent comptant et l’émission de 444 444 actions ordinaires de LEO ayant une juste valeur marchande de 100 000 $; [première partie de la commission d’intermédiaire]

  • ii) L’émission de temps à autre d’un maximum de 833 333 actions ordinaires de LEO ayant une valeur réputée de 0,30 $ par action. [deuxième partie de la commission d’intermédiaire] [12]

[Les commentaires sont les miens.]

[15]  Lockwood a déclaré la première partie de la commission d’intermédiaire, s’élevant à 250 000 $, dans son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2010 (l’année d’imposition 2010).

[16]  Bien qu’aucune preuve directe n’ait été présentée là-dessus, il semble que la deuxième partie de la commission d’intermédiaire devait être payée sur atteinte de certains chiffres de référence en ce qui concerne les dépenses que LEO devait engager [13] . Il semble que la commission d’intermédiaire à payer à Lockwood était susceptible de réduction si LEO n’atteignait pas sa cible d’au moins 26 208 000 $ de dépenses, mais, à l’audience, l’appelante n’a produit aucune preuve sur ce point.

[17]  LEO a fini par atteindre le chiffre cible de 26 208 000 $ en dépenses et, en conséquence, Lockwood a eu droit au versement intégral du paiement final consistant en 833 333 actions de LEO. Lockwood n’a toutefois pas reçu ce paiement sous la forme d’actions de LEO parce que, en juin 2011, un arrangement est intervenu entre LEO et AOI selon lequel AOI acquérait la totalité des actions en circulation de LEO en échange d’actions d’AOI, de sorte que LEO est devenue une filiale à 100 % de celle-ci. LEO n’était donc plus en mesure de tenir son engagement de payer en actions de LEO la deuxième partie de la commission d’intermédiaire.

[18]  En exécution du plan d’arrangement, il y a eu un échange d’actions selon un ratio de 0.20 action d’AOI pour chaque action de LEO. Les 833 333 actions ordinaires de LEO représentaient, par conséquent, 166 666 actions ordinaires d’AOI.

[19]  Lockwood a intenté des poursuites contre AOI et, le 15 juin 2012, les parties en sont venues à une entente qui prévoyait l’émission de 95 000 actions ordinaires d’AOI [TRADUCTION] « en règlement intégral et définitif de toutes les obligations d’AOI et de LEO envers Lockwood aux termes de l’entente sur la répartition. » [14] À l’époque, les actions d’AOI avaient une juste valeur marchande (JVM) de 7,84 $ l’action, c’est-à-dire une valeur totale de 744 800 $ pour les 95 000 actions.

[20]  Lockwood a disposé de la totalité de ses 95 000 actions d’AOI entre le 15 juin 2012 et le 31 octobre 2012 pour un produit de disposition de 821 828 $.

[21]  En déclarant le produit de disposition de ses actions d’AOI, Lockwood a déclaré comme suit ses revenus pour son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012:

  • revenu d’entreprise de 250 000 $;

  • gain en capital de 571 828 $ calculé de la manière suivante :

    • o produit de disposition des actions d’AOI : 821 828 $

    • o prix de base rajusté des actions d’AOI : 250 000 $

    • o gain en capital : 821 828 $ - 250 000 $ = 571 828 $.

[22]  En déterminant les pertes de Lockwood pour son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012, la ministre a traité comme suit le produit de disposition des actions d’AOI reçues par Lockwood :

  • revenu d’entreprise de 744 800 $ calculé de la manière suivante :

    • o JVM des actions d’AOI le 15 juin 2012 : 7,84 $ l’action

    • o JVM de 95 000 actions d’AOI : 95 000 X 7,84 $ = 744 800 $

  • gain en capital de 77 028 $ calculé de la manière suivante :

    • o produit de disposition des actions d’AOI : 821 828 $

    • o prix de base rajusté des actions d’AOI : 744 800 $

    • o gain en capital : 821 828 $ - 744 800 $ = 77 028 $.

  1. Questions en litige

[23]  La question centrale en l’espèce concerne la qualification appropriée d’une partie de la somme de 821 828 $ reçue comme produit de disposition des 95 000 actions d’AOI évaluées à 774 800 $ au moment de leur émission en faveur de Lockwood en 2012. Plus précisément, la question est de savoir si Lockwood a reçu un revenu d’entreprise de 774 800 $, le solde de 77 028 $ du produit étant un gain en capital, ou si elle a reçu un revenu d’entreprise de 250 000 $ et réalisé un gain en capital de 571 828 $.

[24]  À l’audience, Lockwood a soulevé en outre la question du moment de l’inclusion de différentes parties de la somme reçue sous la forme d’actions d’AOI et, plus particulièrement, la question de savoir si le revenu d’entreprise devrait être inclus dans l’année d’imposition se terminant en 2010 ou dans celle se terminant en 2012.

[25]  Je note qu’en déterminant les pertes de Lockwood, la ministre a refusé la déduction de frais judiciaires et de frais de stationnement. À l’audience, l’appelante s’est désistée de son appel relativement à la déductibilité de ces dépenses; par conséquent, elles ne sont plus en litige en l’espèce.

  1. Résumé de la position des parties

Position de l’appelante

[26]  Seule la deuxième partie de la commission d’intermédiaire de Lockwood, payée en actions d’AOI, est en litige dans la présente instance. Lockwood soutient, en ce qui concerne les premiers 250 000 $ du produit de disposition des actions d’AOI, qu’elle a reçu cette somme pour services rendus et qu’elle représente donc un revenu d’entreprise. Bien que Lockwood ait déclaré un revenu d’entreprise de 250 000 $ dans son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012 (l’année d’imposition 2012), elle prétend maintenant que ce montant était imposable dans son année d’imposition 2010 et non dans son année d’imposition 2012. Lockwood fonde cette position sur le fait qu’elle avait rendu tous ses services en 2010, de sorte que la deuxième partie, de 250 000 $, de la commission d’intermédiaire était une somme à recevoir qu’elle était tenue d’inclure dans ses revenus pour son année d’imposition 2010 conformément à l’alinéa 12(1)b) de la Loi. L’appelante fait valoir en outre que son droit au paiement pour les services rendus était déterminable avec précision en 2010, si bien que les 250 000 $ constituent une somme à recevoir au sens de l’alinéa  12(1)b) de la Loi [15] .

[27]  Lockwood demande à la Cour d’annuler l’inclusion de la somme de 250 000 $ comme revenu d’entreprise dans ses revenus pour l’année d’imposition 2012. Lockwood soutient que l’Agence du revenu du Canada a ratifié son erreur et que la Cour ne devrait pas analyser les conséquences d’une conclusion selon laquelle la somme en question était imposable en 2010 et qu’il est peut-être trop tard pour établir une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 2010.

[28]  Lockwood soutient que le solde du produit de disposition, soit 571 828 $, est un gain en capital parce qu’elle a disposé d’une immobilisation ayant un prix de base rajusté de 250 000 $, la valeur des services rendus étant le coût des actions d’AOI.

Position de l’intimée

[29]  D’après l’intimée, c’est en 2012 que Lockwood a eu droit au paiement de la deuxième partie de la commission pour les services qu’elle avait rendus en négociant l’accord d’affermage. L’intimée soutient que Lockwood a reçu, le 15 juin 2012, des actions d’AOI ayant une JVM de 744 800 $ et que cette somme constitue un revenu d’entreprise à inclure dans les revenus dans l’année d’imposition 2012 de Lockwood. Le montant de 744 800 $ est le prix de base rajusté des actions d’AOI et la différence entre ce montant et le produit de disposition total de 821 828 $ est à inclure comme gain en capital dans les revenus de Lockwood pour son année d’imposition 2012.

[30]  Le point de vue de l’intimée est que l’alinéa 12(1)(b) de la Loi ne s’applique pas dans les circonstances parce que Lockwood n’avait pas un droit absolu à la deuxième partie de la commission d’intermédiaire. Elle fait valoir que le paiement intégral à Lockwood du montant maximum de la commission d’intermédiaire était conditionnel à l’atteinte par LEO d’un chiffre cible de dépenses et à l’obtention, de l’organisme de réglementation des valeurs mobilières, de l’approbation requise. L’intimée soutient qu’on n’a produit à l’audience aucune preuve relative à la question de savoir si les montants étaient exigibles [16] . De plus, l’intimée soutient que le montant payable à Lockwood était incertain en ce qu’il dépendait de l’atteinte du chiffre cible de dépenses, et la valeur des actions fluctuait avec le temps [17] .

  1. Analyse

[31]  L’appelante soulève la question du moment de l’inclusion dans ses revenus d’une somme de 250 000 $ qu’elle avait reçue, selon elle, pour des services rendus. Elle soulève également la question de la qualification du solde de la somme qu’elle avait reçue sous la forme des actions d’AOI valant 744 800 $. Les deux parties s’entendent pour dire qu’un montant de 250 000 $ constitue un revenu d’entreprise, mais elles ne sont pas d’accord sur l’année dans laquelle il est à inclure dans les revenus. Les deux parties conviennent en outre que la différence de 77 028 $ entre le produit de disposition de 821 828 $ et la JVM des actions d’AOI en juin 2012 est un gain en capital à inclure dans les revenus de Lockwood pour l’année d’imposition 2012. Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la totalité du montant de 744 800 $, soit la JVM des actions d’AOI en juin 2012, est un revenu d’entreprise.

i. Hypothèses et faits admis

[32]  Pour l’analyse de la qualification appropriée des paiements qu’a reçus Lockwood, il faut prendre comme point de départ les hypothèses de la ministre formulées au paragraphe 18e) de la réponse, paragraphe dont il a été fait mention précédemment dans les présents motifs et qui, par souci de commodité, est reproduit ci-dessous. À l’audience, l’avocat de l’appelante a accepté ces hypothèses comme véridiques. Le paragraphe 18e) est ainsi rédigé :

[TRADUCTION]

18. […]

e) L’appelante devait être payée pour ses services de la manière suivante :

Sur finalisation de l’accord d’affermage, un premier paiement de 150 000 $ en argent comptant et l’émission de 444 444 actions ordinaires de LEO ayant une juste valeur marchande de 100 000 $. [première partie de la commission d’intermédiaire]

L’émission de temps à autre d’un maximum de 833 333 actions ordinaires de LEO ayant une valeur réputée de 0,30 $ par action. [deuxième partie de la commission d’intermédiaire]

[Les commentaires sont les miens.]

[33]  Dans l’entente sur le paiement évoquée ci-dessus, il est question [TRADUCTION] « [d’]actions ordinaires de LEO ayant une valeur réputée de 0,30 $ par action ». Cette valeur ne représente pas la juste valeur marchande des actions de LEO, laquelle, selon le paragraphe 18e)i), ci-dessus, semble avoir été de 0,225 $ l’action au moment de la conclusion de l’entente sur la répartition. Je fais remarquer qu’à l’audience on n’a produit aucune preuve relative à la juste valeur marchande des actions de LEO à l’époque pertinente. Qui plus est, aucun élément de preuve concernant ce sur quoi était fondé le choix de 0,30 $ comme valeur réputée des actions d’AOI n’a été présenté.

[34]  Il est utile aussi de reproduire d’autres hypothèses de fait qui sont formulées au paragraphe 18 de la réponse et dont l’avocat de l’appelante a reconnu l’exactitude à l’audience :

[TRADUCTION]

g)  En juin 2011, LEO et AOI ont conclu un arrangement suivant lequel AOI acquérait toutes les actions en circulation de LEO en échangeant des actions d’AOI contre des actions de LEO selon un ratio de 0,20 $  [sic] [18] action d’AOI pour chaque action de LEO.

i)  LEO ne pouvait remplir son obligation étant donné qu’AOI détenait maintenant la totalité de ses actions.

j)  Suivant le plan d’arrangement de juin 2011, 833 333 actions ordinaires de LEO représentent 166,666 actions ordinaires d’AOI.

k)  Le 15 juin 2012, AOI et l’appelante ont conclu une entente en vertu de laquelle 95 000 actions ordinaires d’AOI ont été émises en faveur de l’appelante en règlement intégral et définitif de toutes les obligations d’AOI et de LEO envers l’appelante.

l)  Au 15 juin 2012, la juste valeur marchande des actions ordinaires d’AOI était de 7,84 $ l’action.

n)  Au cours de son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012, l’appelante a disposé de ses 95 000 actions ordinaires pour un produit de disposition total de 821 828 $.

[35]  À la lumière des hypothèses de la ministre qui sont reproduites aux paragraphes 32 et 34 ci-dessus et dont l’avocat de l’appelante a admis l’exactitude [19] , je conclus que la deuxième partie de la commission d’intermédiaire payable à Lockwood sous la forme d’actions de LEO a été remplacée par un paiement sous la forme de 95 000 actions d’AOI ayant une JVM de 744 800 $.

[36]  Aux paragraphes 18h) et m) de la réponse, la ministre a formulé les hypothèses suivantes :

[TRADUCTION]

h)  Durant son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012, l’appelante a acquis le droit de recevoir de LEO son deuxième paiement, soit l’émission de 833 333 actions ordinaires de LEO.

m)  Le 15 juin 2012, l’appelante a reçu, pour les services qu’elle avait rendus en négociant l’accord d’affermage entre AOI et LEO, un paiement sous la forme d’actions ordinaires d’AOI valant 744 800 $.

À l’audience, l’avocat de l’appelante a contesté l’utilisation du mot [TRADUCTION] « droit » (entitled) au paragraphe 18h) et a fait valoir que, même si le montant était « payable » en 2012, Lockwood avait droit au paiement en 2010. De plus, l’avocat de l’appelante a admis que celle-ci avait reçu des actions d’AOI ayant une JVM de 744 800 $, mais il a nié qu’une somme de 744 800 $ avait été payée pour services rendus. C’était plutôt le cas, selon l’appelante, que seulement 250 000 $ avaient été payés pour services rendus.

[37]  Dans son avis d’appel, l’appelante a dit, aux paragraphes 17 et 18 :

[TRADUCTION]

17.   Le chiffre cible de 26 208 000 $ de dépenses a fini par être atteint à un moment donné en 2011 ou en 2012. [Au paragraphe 7 de la réponse, la ministre a admis que le chiffre cible a été atteint, mais a indiqué qu’il ignorait à quel moment cela s’est produit et qu’il ne faisait aucune admission à cet égard.]

18.   L’appelante était dès lors en droit de recevoir la totalité du paiement final consistant en 833 333 actions de LEO. [Admis au paragraphe 8 de la réponse.]

[Les commentaires sont les miens.]

ii. Année de l’inclusion et l’application du paragraphe 12(1)b)

[38]  Quoique les deux parties conviennent que le chiffre cible de 26 208 000 $ de dépenses a fini par être atteint, on n’a produit, lors de l’audience, aucune preuve quant à la date à laquelle cela s’est produit.

[39]  À l’audience, l’avocat de l’appelante a fait valoir que Lockwood avait acquis en 2010 le « droit » de recevoir de LEO son deuxième paiement consistant en 833 333 actions ordinaires de LEO, contrairement à l’hypothèse de fait de la ministre formulée au paragraphe 18h) de la réponse et contrairement aux déclarations de l’appelante elle-même aux paragraphes 17 et 18 de l’avis d’appel. L’appelante a soutenu qu’elle était en droit de recevoir une somme de 500 000 $ de LEO et, de plus, que ce droit était déterminable avec précision en 2010 [20] , de telle sorte que la somme était « à recevoir » en 2010 bien qu’elle fût « payable » en 2012 [21] .

[40]  À l’appui de la position de l’appelante, l’avocat de celle-ci a invoqué l’alinéa 12(1)b) de la Loi, qui est ainsi rédigé :

12 (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d’une entreprise ou d’un bien, au cours d’une année d’imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables :

[…]

b) les sommes à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l’année, dans le cours des activités d’une entreprise, même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu’au cours d’une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée pour l’application de la présente partie ne l’oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition les sommes à recevoir qui n’ont pas été effectivement reçues au cours de l’année; pour l’application du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cours des activités de l’entreprise à compter du premier en date des jours suivants :

(i) le jour où a été remis le compte à l’égard des services,

(ii) le jour où aurait été remis ce compte si la remise n’avait pas subi un retard indu.

[41]  La Loi ne contient pas de définition de l’expression « sommes à recevoir » et son utilisation à l’alinéa 12(1)b) n’a été examinée que dans relativement peu de décisions, dont aucune ne porte directement sur le point en litige.

[42]  Constatant l’absence dans la Loi d’une définition du terme anglais « receivable » (à l’époque « recevable » dans la version française, maintenant « à recevoir »), le juge Kearney de la Cour de l’Échiquier, dans la décision MNR v. John Colford Contracting Company Ltd. [22] , affirmait que l’on doit essayer de trouver le sens ordinaire du mot « receivable » (« recevable », « à recevoir »), mais, selon lui, la définition tirée du dictionnaire Shorter Oxford n’était [TRADUCTION] « pas d’une grande utilité » et il a poursuivi en disant :

[TRADUCTION]

À défaut d’une définition contraire dans la Loi, je pense qu’il ne suffit pas que le soi-disant bénéficiaire ait un droit précaire de recevoir la somme en question, mais il doit avoir un droit certain de la recevoir, même si elle n’est pas nécessairement immédiatement exigible. [23]

[43]  Dans la jurisprudence moins récente, le critère semble avoir été appliqué dans des décisions en matière d’impôt sur le revenu se rapportant à l’expropriation, mais il a été adopté et appliqué aussi dans plusieurs autres décisions, dont Maple Leaf Mills Ltd. c. MRN [24] , Commonwealth Construction Co. c. La Reine [25] et La Reine c. Huang & Danczkay Ltd. [26]

[44]  Dans l’arrêt Maple Leaf Mills [27] , la Cour suprême du Canada a dit accepter sans aucune hésitation le critère formulé dans la décision Colford et a écrit :

Ce critère est celui que cette Cour a appliqué aux affaires fiscales découlant d’expropriations; pour qu’un montant soit considéré comme une somme à recevoir au cours d’une année d’imposition, il y a deux conditions à remplir :

(1)  un droit à l’indemnité;

(2)  un accord obligatoire entre les parties ou un jugement fixant le montant.

Le principe est énoncé dans Le ministre du Revenu national c. Benaby Realties Limited [[1968] R.C.S. 12] et dans Vaughan Construction Company Limited c. Le ministre du Revenu national [[1971] R.C.S. 55]. Mais nous sommes aux prises ici avec des faits très différents. Toutefois, en ce qui a trait au revenu minimum garanti, les conditions prescrites étaient remplies : le droit au revenu minimum n’est pas contesté et l’accord obligatoire entre les parties stipule le montant de ce revenu. [28]

[Je souligne.]

[45]  En appliquant aux circonstances de la présente espèce le critère énoncé dans la décision Colford et approuvé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Maple Leaf Mills, il faut déterminer si et à quel moment 1) Lockwood avait droit à une indemnité payée par LEO et 2) il y avait un accord obligatoire fixant le montant que Lockwood devait recevoir de LEO.

Droit à l’indemnité

[46]  Comme je l’ai fait remarquer précédemment, dans la décision Colford, la Cour de l’Échiquier a conclu que, pour qu’une somme soit à recevoir, le bénéficiaire doit avoir [TRADUCTION] « un droit certain de la recevoir, même si elle n’est pas nécessairement immédiatement exigible. » [29]

[47]  L’une des questions en litige dans l’affaire Colford était de savoir quand devaient être incluses dans les revenus des retenues de garantie payables à l’entreprise dès que l’architecte ou l’ingénieur (selon ce qui était stipulé au contrat) du propriétaire avait remis un certificat d’achèvement de tous les travaux de construction. Le juge Kearney a conclu que les retenues de garantie ne devenaient des sommes à recevoir que sur acceptation des travaux par l’architecte [30] . La condition préalable, a conclu le juge Kearney, cessait d’exister à la date du certificat de l’architecte et les retenues de garantie devenaient à cette même date des sommes à recevoir. Ces retenues devaient être incluses dans les revenus dans l’année d’imposition dans laquelle elles sont devenues des sommes à recevoir et non dans l’année suivante, où elles ont effectivement été reçues [31] .

[48]  Dans l’arrêt Commonwealth Construction, la société appelante soutenait que les sommes en cause ne devaient pas être incluses dans ses revenus pour les années 1974 et 1975, soit les années dans lesquelles elle les avaient reçues, parce qu’elle n’avait pas un droit absolu auxdites sommes en raison d’un appel en cours qui a finalement été réglé en 1977. Le juge Urie de la Cour d’appel fédérale a conclu que les droits de l’appelante sur « les montants qui lui avaient été payés en 1974 et 1975 étaient "absolus et sans aucune restriction, contractuelle ou autre, quant à [leur] disposition, [leur] usage ou [leur] jouissance". Ils n’étaient assujettis à aucune condition précise et non exécutée. » [32] Le juge Urie a reconnu que les sommes, ou une partie de celles-ci, pouvaient devoir être rendues si l’appel était accueilli; il s’agissait toutefois là d’une condition résolutoire qui n’avait aucune incidence sur le droit illimité d’utiliser les fonds en attendant que le jugement en appel fasse naître une telle obligation.

[49]  En ce qui concerne l’effet que peuvent avoir des conditions sur la comptabilisation comme revenu, le juge Urie a ajouté :

Quant à la différence entre les effets d’une condition suspensive et ceux d’une condition résolutoire sur la question de la comptabilisation d’un revenu, le savant juge de première instance s’est appuyé sur une citation tirée de l’affaire Meteor Homes Ltd. v. Minister of National Revenue 61 DTC 1001, p. 1007 et 1008 qui justifie l’opinion que j’ai formulée plus haut :

... Mertens, Law of Federal Income Taxation, vol 2, chap. 12, p. 127, examine « le problème du moment où les montants constituent ... des déductions pour le contribuable dans une comptabilité d’exercices ». Il en a parlé à la p 132 dans les termes suivants :

Ce ne sont pas toutes les conditions qui empêchent la comptabilisation du revenu; l’éventualité doit être réelle et valable. Une condition qui suspend la création d’un droit légal de demander paiement exclut effectivement la comptabilisation du revenu jusqu’à ce que la condition se soit réalisée, mais la réalisation possible d’une condition résolutoire ( qui entraîne la résolution d’une obligation) ne peut donner lieu à la remise à plus tard de la comptabilisation. [33]

[Je souligne.]

[50]  Par conséquent, une somme est comptabilisée comme revenu du contribuable dès que sont remplies les conditions préalables et, inversement, n’est pas comptabilisée comme revenu et n’est pas à recevoir tant que des conditions préalables restent à être remplies.

[51]  La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Huang, s’est penchée sur le sens de l’expression « à recevoir » et, après avoir dit que le critère avait été adopté sans être remis en question dans l’arrêt Maple Leaf Mills, a écrit ce qui suit : « [s]uivant l’affaire Colford il n’est pas nécessaire pour qu’un montant soit une somme à recevoir qu’il existe un droit immédiat de recevoir le montant. » [34] Dans l’arrêt Huang, la Cour a conclu que le droit de la société contribuable de recevoir les montants des billets à ordre et des hypothèques procédait du fait que les sociétés en commandite avaient établi et signé les billets à ordre et les actes d’hypothèque, et « [d]ès que ces billets et hypothèques ont été signés, le droit de recevoir les montants en question devenait absolu. » [35]

[52]  Les circonstances de l’appel en l’espèce diffèrent de celles dans l’affaire Huang, où le droit de recevoir les sommes en cause devenait absolu dès la signature des billets à ordre et des actes d’hypothèque et où le droit à la compensation ne changeait pas ces obligations absolues en obligations éventuelles [36] . De plus, contrairement à ce qu’il en était dans l’affaire Commonwealth Construction, les sommes à payer par LEO n’étaient pas absolues ni n’étaient soumises à aucune restriction; elles étaient plutôt assujetties à une condition préalable.

[53]  Selon la partie de l’entente sur la répartition qui a été produite en preuve, Lockwood ne jouissait pas d’un droit incontesté au paiement de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire, son droit étant conditionnel à l’atteinte par LEO de la cible de dépenses de 26 208 000 $. Comme il est mentionné plus haut, on n’a produit à l’audience aucune preuve à l’appui du point de vue de l’appelante selon lequel cette condition préalable avait été remplie en 2010. L’appelante n’a donc pu réussir à réfuter la position de la ministre voulant que la condition eût été remplie en 2012. Je conclus que Lockwood n’avait pas en 2010 « un droit à l’indemnité », c’est-à-dire à une indemnité sous la forme de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire. En effet, on ne saurait dire de son droit à cette indemnité qu’il était absolu et n’était assujetti à aucune restriction.

Un accord obligatoire fixant le montant

[54]  Dans l’arrêt Maple Leaf Mills, la Cour suprême du Canada a dit explicitement que, pour qu’une somme soit à recevoir, il faut que soient remplies deux conditions, dont la deuxième exige l’existence d’un accord obligatoire entre les parties (ou d’un jugement) fixant la somme.

[55]  La société appelante dans l’affaire Maple Leaf Mills avait acheté un navire qui était affrété par une autre société. Les venderesses s’étaient engagées à rembourser Maple Leaf Mills Ltd. si les revenus provenant de la société affréteuse s’avéraient insuffisants. La Cour suprême du Canada avait à se prononcer sur l’année d’imposition dans laquelle il convenait d’inclure les montants résultant « [d’]accords d’indemnisation [qui] garantissaient un revenu minimum déterminé ». À la différence de la situation dans l’arrêt Maple Leaf Mills, il n’y avait en l’espèce aucun montant de revenu garanti. Il y avait un maximum, mais aucun minimum. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, on n’a produit durant l’audience aucune preuve concernant le moment où LEO a atteint le chiffre cible de 26 208 000 $ de dépenses ni aucune preuve établissant quelle incidence le fait de ne pas atteindre certains chiffres de référence aurait eu sur le versement de la commission d’intermédiaire.

[56]  Dans l’arrêt Commonwealth Construction, la Cour d’appel fédérale s’est penchée elle aussi sur la question de l’année dans laquelle il y avait lieu d’inclure certaines sommes dans le revenu. Elle a cité l’arrêt MNR v. Benaby Realties Limited [37] , dans lequel la Cour suprême du Canada a dit [TRADUCTION] « [qu’]en l’absence d’un accord exécutoire entre les parties, ou d’un jugement fixant l’indemnité, le propriétaire n’avait pas plus qu’un droit de réclamer l’indemnité, et rien ne peut être pris en compte à titre de montant exigible en raison de l’expropriation » et que la Loi [TRADUCTION] « exige qu’il soit tenu compte des bénéfices ou que ceux-ci soient évalués dans l’année au cours de laquelle le montant est déterminé » et qu’il ne pouvait pas y avoir de sommes à recevoir [TRADUCTION] « avant que le montant n’en ait été fixé par arbitrage ou par convention. » [38]

[57]  Dans l’arrêt West Kootenay Power and Light Co. c. La Reine, [39] la Cour d’appel fédérale a conclu que des revenus non facturés, i.e., des revenus provenant d’électricité fournie mais non facturée et relativement à laquelle le paiement n’était pas encore « dû », étaient des montants « à recevoir » parce que West Kootenay Power avait un droit certain au paiement et que les montants étaient déterminables avec assez de certitude, même si elle ne saurait le montant exact dû par un client qu’à la fin du cycle de facturation de ce client l’année suivante. Je note que l’analyse dans l’arrêt West Kootenay Power repose sur la méthode comptable appropriée, c’est-à-dire celle qui donne la meilleure correspondance entre les produits et les charges de West Kootenay Power et qui donne une image plus fidèle de ses revenus. La Cour a conclu que la comptabilité d’exercice donnait la meilleure correspondance et que l’alinéa 12(1)b) de la Loi ne venait pas empêcher l’utilisation de la comptabilité d’exercice puisque les montants non facturés pouvaient raisonnablement être estimés.

[58]  Lockwood, à la différence de West Kootenay Power, ne pouvait déterminer avec assez de certitude la somme qu’elle recevrait comme deuxième partie du paiement de la commission d’intermédiaire en 2010 parce qu’elle ne savait pas si ni quand LEO atteindrait les chiffres de référence pour ce qui est des dépenses.

Conclusion sur l’application de l’alinéa 12(1)b) de la Loi

[59]  Quoique les deux parties conviennent que le chiffre cible de 26 208 000 $ de dépenses a fini par être atteint, à l’audience, aucune preuve n’a été présentée quant à la date à laquelle cela s’est produit. La deuxième partie de la commission d’intermédiaire n’était pas « à recevoir » en 2010, contrairement à ce qu’a soutenu l’appelante, car Lockwood n’avait droit au paiement de sa commission que si LEO atteignait un chiffre minimum de dépenses et parce que l’entente sur la répartition ne fixait pas le montant que Lockwood pourrait finalement recevoir. L’appelante n’a pas démoli l’hypothèse de la ministre selon laquelle c’est au cours de son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012 que Lockwood a eu droit au paiement de la deuxième partie de la somme que LEO devait lui verser. Je conclus en conséquence que la deuxième partie de la commission d’intermédiaire n’était pas à recevoir, au sens de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, en 2010.

iii. Qualification du paiement reçu sous la forme d’actions d’AOI

[60]  La conclusion ci-dessus ne règle toutefois pas la question de la qualification appropriée de la différence entre la somme de 250 000 $ (la valeur réputée des actions de LEO que Lockwood pouvait recevoir au titre de la deuxième partie du paiement de la commission d’intermédiaire si à un moment donné le chiffre cible de dépenses était atteint) et celle de 744 800 $ (la valeur des actions d’AOI que Lockwood a reçues en 2012). Les parties ne s’entendent pas sur le chiffre approprié à utiliser comme prix de base rajusté des actions d’AOI aux fins du calcul du gain en capital.

[61]  Lockwood a soutenu avoir reçu en 2010 la somme de 250 000 $ comme deuxième partie du paiement pour « services rendus ». Selon l’argument de Lockwood, quand elle a reçu les actions d’AOI, qui remplaçaient celles de LEO spécifiées comme étant la forme que devait prendre la deuxième partie du paiement à effectuer aux termes de l’entente sur la répartition, elle a reçu une immobilisation. L’avocat de l’appelante s’est appuyé sur la définition à l’article 54 de la Loi, qui prévoit que le « prix de base rajusté » d’une immobilisation est le « coût » du bien pour le contribuable et elle a fait valoir que le coût des actions d’AOI était de 250 000 $, soit la somme qu’avait reçue Lockwood pour services rendus. Selon Lockwood, l’augmentation de la valeur des actions reçues n’a rien à voir avec les services rendus. Cela étant, l’augmentation de leur valeur ne saurait être qualifiée de revenu d’entreprise.

[62]  L’avocat de l’intimée a fait valoir que, quand Lockwood a acquis le droit au versement de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire en 2012, elle a reçu « pour services rendus » des actions d’AOI ayant une JVM de 744 800 $. La somme de 744 800 $ constitue donc un revenu d’entreprise et cette somme est le prix de base rajusté des actions d’AOI, de sorte que la seule somme imposable à titre de gain en capital est la différence de 77 028 $ entre le produit de disposition des actions et le prix de base rajusté.

[63]  De toute évidence, les 95 000 actions d’AOI données en paiement conformément à l’entente de règlement entre Lockwood et AOI étaient destinées à remplacer le paiement de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire, lequel paiement devait se faire en actions de LEO [40] . Par conséquent, pour déterminer comment qualifier le paiement reçu sous la forme actions d’AOI, la Cour doit décider de la façon dont il convient de qualifier le paiement à effectuer en actions de LEO aux termes de l’entente sur la répartition.

[64]  Pour quoi payait-on Lockwood en actions de LEO conformément à l’entente sur la répartition ? Répondant à cette question, je conclus que l’on payait Lockwood pour les services qu’elle avait rendus en négociant l’accord d’affermage. On payait à Lockwood sa commission d’intermédiaire. Bien qu’il y ait eu de l’incertitude quant au montant de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire à recevoir en vertu de l’entente sur la répartition et quant au moment de son paiement, Lockwood savait que, si et au moment que LEO atteignait sa cible en ce qui concerne les dépenses, elle pourrait avoir droit à un paiement sous la forme de 833 333 actions de LEO pour ses services. Je conclus que ce paiement sous la forme des 833 333 actions de LEO aurait été un paiement à Lockwood pour services rendus. Il s’agit donc d’un revenu d’entreprise.

[65]  L’appelante n’a pas convaincu la Cour que l’objet du paiement sous la forme de 833 333 actions de LEO aurait changé si la valeur des actions changeait, ce qui était pourtant une conséquence prévisible compte tenu de la nature de l’entente sur la répartition. Les actions de LEO, que leur valeur au moment de leur émission en faveur de Lockwood soit fixée à un montant plus élevé ou moins élevé que 250 000 $, auraient été reçues comme paiement pour services rendus. Il s’ensuit que, comme les 95 000 actions d’AOI remplaçaient les 833 333 actions de LEO, les actions d’AOI évaluées à 744 800 $ ont été reçues pour services rendus. Par conséquent, le montant de 744 800 $ est imposable à titre de revenu d’entreprise dans l’année d’imposition de Lockwood se terminant le 31 octobre 2012.

[66]  L’article 54 de la Loi prévoit que le prix de base rajusté d’une immobilisation est le « coût » du bien pour le contribuable. La Loi ne contient pas de définition de « coût », mais les tribunaux ont dit que « coût » signifie « le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question » [41] . La somme de 744 800 $ reçue pour les services rendus devient donc le prix de base rajusté des actions d’AOI reçues en 2012. C’est cette somme que la contribuable a accepté de payer pour acquérir les actions. Puisque, au 31 octobre 2012, Lockwood avait disposé de toutes ses actions d’AOI pour un produit de disposition de 821 828 $, la différence de 77 028 $ entre ce produit et le prix de base rajusté des actions d’AOI est imposable comme gain en capital dans son année d’imposition se terminant le 31 octobre 2012.

V.  Conclusion

[67]  Je conclus que la somme de 744 800 $ payée sous la forme d’actions d’AOI en 2012 a été reçue par Lockwood pour services rendus et est imposable à titre de revenu d’entreprise. Le solde du produit de disposition, s’élevant à 77 028 $, est imposable comme gain en capital. Les deux montants sont imposables dans l’année d’imposition de Lockwood se terminant le 31 octobre 2012.

[68]  L’appel est rejeté et les dépens sont adjugés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de novembre 2020.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 128

NO DU DOSSIER :

2016-4952(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LOCKWOOD FINANCIAL LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Québec

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 13 et 14 février 2020

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

DATE DU JUGEMENT:

Le 18 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelante :

Jean-François Poulin

Sofia Guedez

Avocat de l’intimée :

Alain Gareau

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Jean-François Poulin

Sofia Guedez

 

Cabinet :

Ravinsky Ryan Lemoine, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e supp.) (la Loi).

[2] Lockwood a partagé la commission d’intermédiaire avec Peninsula Merchant Syndications Corp., une société qui a participé à la négociation de la transaction.

[3] La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2007 CAF 188 au paragraphe 35. La Cour d’appel fédérale a de nouveau reformulé ce principe dans l’arrêt House c. La Reine, 2011 CAF 234 au paragraphe 30.

[4] L’appelante a demandé un ajournement le 4 février 2020. Je note que l’appel avait été inscrit au rôle le 4 mars 2019.

[5] Pièce A-1, onglet 6, entente sur la répartition de la commission d’intermédiaire, produite en partie seulement [parfois appelée, dans les présents motifs, l’entente sur la répartition].

[6] Pièce A-2, Rapport du vérificateur, daté du 19 juin 2014 (Marina Makhles, vérificatrice).

[7] L’avocat de l’appelante a décrit l’absence du témoin de celle-ci comme un « handicap ». Voir la transcription de l’audience, 14 février 2020 (volume 2), page 53, ligne 22 à page 54, ligne 3.

[8] Voir la transcription de l’audience, 14 février 2020 (volume 2), page 56.

[9] Pillsbury Canada Ltd. v. MNR (1964), [1965] 1 RCÉ 676 à la page 686 [Pillsbury].

[10] Ibid. Voir aussi La Reine c. Loewen, 2004 CAF 146 au paragraphe 8: « Les hypothèses de fait du ministre qui sont énoncées dans les actes de procédure de Sa Majesté sont tenues pour avérées à moins qu'elles ne soient réfutées ou qu'il ne soit démontré que le ministre n'a pas formulé les hypothèses qu'on lui impute. Il incombe au contribuable de démontrer que les hypothèses du ministre sont fausses ou encore que celui-ci ne les a jamais formulées. Il est par ailleurs loisible au contribuable d'invoquer des arguments pour tenter d'établir que, même si les faits présumés sont véridiques, ils ne justifient pas en droit la cotisation qui a été établie (Johnston v. Minister of National Revenue, [1948] S.C.R. 486, [1948] C.T.C. 195, 3 D.T.C. 1182 (S.C.C.); Minister of National Revenue v. Pillsbury Holdings Ltd. (1964), [1965] 1 Ex. C.R. 676, [1964] C.T.C. 294, 64 D.T.C. 5184 (Can. Ex. Ct.)). »

[11] Voir Eisbrenner c. La Reine, 2020 CAF 93 au paragraphe 47, autorisation de pourvoi à la CSC demandée: [TRADUCTION] « Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada, la règle bien établie en matière civile veut que la personne qui allègue doit faire la preuve de ce qu’elle allègue. »

[12] Telle est la teneur de l’hypothèse de fait de la ministre formulée au paragraphe 18e) de la réponse. Cette hypothèse reflète la partie de l’entente sur la répartition de la commission d’intermédiaire qui a été admise en preuve et, à l’audience, l’appelante a reconnu l’exactitude de l’hypothèse de la ministre. Cette hypothèse reflète également en partie le paragraphe 13 de l’avis d’appel. À l’audience, cependant, l’avocat de l’appelante a cherché à modifier le paragraphe 13 de l’avis d’appel afin qu’il indique que la commission était payable par l’émission de 833 333 actions ordinaires de LEO ou [TRADUCTION] « d’autres actions similaires ». L’avocat de l’intimée a soutenu que la modification était un peu tardive, mais il ne s’y est pas opposé si ce n’est pour insister sur le fait que c’était à l’appelante qu’incombait le fardeau de prouver le paragraphe 13. La modification a été autorisée. Je fais remarquer qu’au paragraphe 5 de la réponse, l’intimée déclare qu’elle ignore les faits allégués au paragraphe 13 et ne les admet pas.

[13] Le paragraphe 13 de l’avis d’appel traite en partie de la façon dont les paiements en actions devaient être répartis en fonction de certains chiffres de référence quant aux dépenses, mais aucune preuve n’a été présentée là-dessus à l’audience.

[14] Pièce A-1, onglet 8, entente de règlement. Dans une lettre en date du 12 juin 2012 produite en preuve à l’onglet 8 avec l’entente de règlement, il est fait mention d’une feuille de calcul de la répartition jointe à la lettre, mais l’appelante n’a pas introduit en preuve cette feuille de calcul.

[15] Voir la transcription de l’audience, 13 février 2020 (volume 1), page 132, lignes 23 à 26 : « déterminable avec précision en 2010 ».

[16] Transcription de l’audience, 14 février 2020 (volume 2), page 30, lignes 11 à 16. Je note que l’alinéa 12(1)(b) vise à inclure une somme qui était « à recevoir », même si cette somme pouvait n’être due qu’au cours d’une année postérieure.

[17] Transcription de l’audience, 14 février 2020 (volume 2), pages 31 et 37. À l’appui de sa position selon laquelle les sommes payables à Lockwood par LEO étaient incertaines, l’intimée a donné les exemples suivants tirés de l’avis d’appel : i) l’appelante a écrit que [TRADUCTION] « [e]n raison de l’incertitude quant à la partie non encore payée de la commission d’intermédiaire, l’appelante a inscrit une provision relativement à ce montant pour ses années d’imposition se terminant le 31 octobre 2010 et le 31 octobre 2011 » (au paragraphe 16); ii) l’appelante a dit qu’elle [TRADUCTION] « n’avait aucun droit de contraindre AOI à payer » (au paragraphe 21); et (iii) l’appelante a déclaré que [TRADUCTION] « [l]e chiffre cible de 26 208 000 $ de dépenses a fini par être atteint à un moment donné en 2011 ou en 2012 » (au paragraphe 17). En ce qui concerne le paragraphe 16 de l’avis d’appel, je fais remarquer que Mme Marina Makhles, la vérificatrice de l’ARC, a témoigné que, pendant la vérification, les représentants de Lockwood lui avaient dit que Lockwood avait déclaré 250 000 $ au titre de la deuxième partie de la commission d’intermédiaire en 2010, mais qu’elle avait déduit le même montant comme provision, compte tenu de l’incertitude quant à savoir si le montant serait effectivement reçu. À l’audience, l’avocat de l’appelante a reconnu qu’aucune provision n’avait en fait été déduite. L’avocat de l’appelante a reconnu en outre l’absence de preuves à l’appui d’un argument relatif à la question de savoir si c’était un cas où il convenait de déduire une provision visée à l’article 20 de la Loi, et il a dit qu’il ne présenterait pas d’arguments sur cette question. Voir la transcription de l’audience, 14 février 2020 (volume 2), pages 21 et 22.

[18] Quoique le paragraphe 18g) dise [TRADUCTION] « 0,20 $ », à l’audience, l’intimée a indiqué avoir voulu écrire 0,20.

[19] Transcription de l’audience, 13 février 2020 (volume 1), pages 36 à 41.

[20] Transcription de l’audience, 13 février 2020 (volume 1), page 132. S’étant référé à l’entente sur la répartition, qui prévoit que [TRADUCTION] « LEO paiera à Lockwood la somme de 500 000 $ », l’avocat de l’appelante a dit : « ce montant, non seulement était déterminable, mais il était déterminable avec précision en 2010. » Je fais observer que l’entente sur la répartition prévoit en fait que [TRADUCTION] « LEO paiera à Lockwood la somme de 500 000 $, sous réserve des rajustements indiqués ci-dessus »; toutefois, la partie de l’entente produite en preuve ne contient pas tous les éléments « indiqués ci-dessus ».

[21] Transcription de l’audience, 13 février 2020 (volume 1), page 38.

[22] MNR v. John Colford Contracting Company Ltd., [1960] RCÉ 433 (appel rejeté sans motifs [1962] RCS viii) [Colford].

[23] Ibid. à la page 441.

[24] Maple Leaf Mills Ltd. c. MRN, [1977] 1 RCS 558 [Maple Leaf Mills].

[25] Commonwealth Construction Co. c. La Reine, A-302-82, jugement rendu le 18 mai 1984, [1984] CTC 338, 56 NR 309 (CAF) [Commonwealth Construction].

[26] La Reine c. Huang & Danczkay Ltd., A-500-98, jugement rendu le 19 septembre 2000, [2000] 4 CTC 219, 2000 DTC 6549 (CAF) au paragraphe 14 [Huang].

[27] Maple Leaf Mills, précité note 24.

[28] Ibid. aux pages 566 et 567.

[29] Colford, précitée note 22 à la page 441.

[30] Ibid. aux pages 443 et 444.

[31] Ibid. à la page 444.

[32] Commonwealth Construction, précité note 25 à la page 342 CTC, paragraphe 22 NR.

[33] Ibid. aux pages 10 et 11 (page 342 CTC, paragraphe 23 NR).

[34] Huang, précité note 26, au paragraphe 14.

[35] Ibid. au paragraphe 20.

[36] Ibid. aux paragraphes 20 et 22.

[37] MNR v. Benaby Realties Limited, [1968] RCS 12.

[38] Commonwealth Construction, précité note 25, à la page 341 CTC, paragraphes 18 et 19 NR.

[39] West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 CF 732 (CAF) [West Kootenay Power].

[40] Pour une discussion du principe de la substitution, voir Tsiaprailis c. R., 2005 CSC 8.

[41] Voir La Reine c. Stirling, [1985] 1 CTC 275 à la page 276, [1985] 1 CF 342 (CAF) à la page 343, où la Cour a conclu que le mot « coût » signifie « le prix que le contribuable a accepté de payer pour obtenir le bien en question ». La Cour d’appel fédérale a approuvé cette définition dans l’arrêt Coast Capital Savings Credit Union c. La Reine, 2016 CAF 181 au paragraphe 31. Voir aussi Vern Krishna, Fundamentals of Canadian Income Tax, Toronto, Carswell, 2014, vol. 1, ch. 11, aux pages 472 et 473 : [TRADUCTION] « La Loi ne définit pas les termes “coût en capital” et “coût”. Par conséquent, nous les interprétons selon la façon dont on les utilise dans le domaine commercial. Le mot “coût” désigne le prix que le contribuable accepte de payer pour se porter acquéreur du bien. »

 

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