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Dossier : 2019-3443(IT)I

ENTRE :

PIERRE SAVOIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu le 24 août 2020, à Montréal (Québec)

Devant : L’honorable juge Johanne D’Auray


Comparutions :

Représentant de l’appelant :

Alain Savoie

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Messore

 

JUGEMENT

Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d'imposition 2013 et 2014 sont rejetés sans frais, sur la base que la Ministre du Revenu national était justifiée d'établir des nouvelles cotisations à l’égard de l’appelant après la période normale de cotisation en vertu de l'alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 2020.

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray


Référence : 2020 CCI 121

Date : 20201123

Dossier : 2019-3443(IT)I

ENTRE :

PIERRE SAVOIE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge D'Auray

I. FAITS

[1]  Lors de l’audience, l’appelant était âgé de 81 ans. À certains moments lors de l’audience la mémoire de l’appelant faisait défaut. Pour pallier cette situation, son fils Alain Savoie a non seulement agi à titre de représentant de son père, il a également témoigné relativement à la pratique médicale et aux habitudes de son père.

[2]  Les années en litige sont les années d’imposition 2013 et 2014.

[3]  L’appelant a commencé à pratiquer la médecine en 1964 en tant que médecin de famille. Après être retourné aux études à l’université, l’appelant a été reçu radiologue en 1976. Il a pratiqué la médecine jusqu’à l’âge de 78 ans, donc pendant environ 50 ans.

[4]  À un moment donné au cours de sa carrière, il a été nommé Chef du département de Radiologie à l’hôpital de Sainte-Agathe.

[5]  Par la suite, il a constitué en société la Clinique Radiologique Laurentienne inc. Au cours des années, la société a exploité trois cliniques de radiologie, qui se trouvaient à St-Sauveur, St-Jovite et Ste-Adèle.

[6]  La société a vendu les trois cliniques au Groupe Radiologix. Selon le témoignage du fils de l’appelant, la dernière clinique que la société a vendue est celle de St-Sauveur, en 2011.

[7]  L’appelant a continué de travailler à la clinique de St-Sauveur pour le Groupe Radiologix à titre de consultant indépendant.

[8]  Par la même occasion, l’appelant a changé le nom de la société Clinique Radiologique Laurentienne inc. à Consultations Pierre Savoie inc. («la Société »). L’appelant détient cent pour cent du capital-actions de la Société. La fin de l’exercice de la Société est le 31 mai.

[9]  L’appelant a témoigné qu’il a eu recours aux services du même comptable pendant environ 40 ans, un dénommé M. Cloutier, qui était comptable général agréé (« CGA »).

[10]  L’appelant a indiqué qu’il faisait totalement confiance à M. Cloutier. Ce dernier s’occupait de la comptabilité, des états financiers et du grand livre de la Société et il préparait les déclarations de revenus de la Société et de l’appelant. Pour ce travail, durant les années en question, M. Cloutier facturait la Société un montant qui pouvait varier entre 1500 $ et 1800 $.

[11]   L’appelant a témoigné qu’il préparait toutes ses factures sans faire de distinction entre ses dépenses personnelles et les dépenses de la Société. Il confiait ses factures et ses relevés de carte de crédit à M. Cloutier. L’appelant se fiait entièrement à M. Cloutier pour ventiler ses dépenses personnelles et celles de la Société.

[12]  Selon l’appelant, M. Cloutier lui aurait indiqué qu’il avait un logiciel qui lui permettait de ventiler les dépenses personnelles et les dépenses de la Société.

[13]  L’appelant a témoigné qu’il utilisait la carte de crédit de la Société pour effectuer ses dépenses personnelles. Il avait déjà essayé d’utiliser deux cartes de crédit, une pour la Société et l’autre pour ses dépenses personnelles, mais il trouvait cette façon de faire trop compliquée.

[14]  À la suite de la vérification de la Société par l’Agence du Revenu du Québec (« ARQ »), l’appelant et son fils, Alain Lavoie, se sont aperçus que M. Cloutier n’avait jamais fait la ventilation des dépenses personnelles de l’appelant et des dépenses de la Société.

[15]  À la suite de négociations, l’appelant a conclu une entente avec l’ARQ. Selon l’entente, 78 % des dépenses déclarées par la Société dans ses déclarations de revenus étaient des dépenses personnelles.

[16]  Pour l’année d’imposition se terminant le 31 mai 2014, la Société avait déclaré des dépenses s’élevant à 96 332 $ et, pour l’année d’imposition se terminant le 31 mai 2015, la Société avait déclaré des dépenses s’élevant à 82 491 $. Comme convenu dans l’entente, la majorité des dépenses étaient des dépenses personnelles. Seulement 22 % d’entre elles constituaient des dépenses d’affaires.

[17]  L’Agence du Revenu du Canada (« ARC ») a obtenu de l’ARQ le résultat de la vérification à l’égard de M. Savoie et de la Société. En s’appuyant sur les renseignements obtenus par l’ARQ, la ministre du Revenu national (« la ministre ») a établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Savoie pour les années d’imposition 2013 et 2014, dont les avis sont datés du 16 août 2018.

[18]  En vertu de ces nouvelles cotisations, la ministre a ajouté des montants de 56 905 $ et de 53 935 $ au revenu de M. Savoie pour les années d’imposition 2013 et 2014, respectivement. Selon la ministre, un avantage imposable a été conféré à M. Savoie par la Société selon le paragraphe 15(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (« la Loi ») parce que la Société a payé des dépenses de nature personnelle de l’appelant.

[19]  Les nouvelles cotisations pour les années d’imposition 2013 et 2014 de l’appelant ont été établies par la Ministre après le délai normal pour établir des nouvelles cotisations selon le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[20]  L’appelant admet que les dépenses que la Ministre a refusées relativement à la Société étaient de nature personnelle. L’appelant reconnait également qu’un avantage imposable lui a été conféré. Cependant, il fait valoir que la ministre ne pouvait établir de nouvelles cotisations après la période normale de nouvelle cotisation.

II. QUESTION EN LITIGE

[21]  La seule question en l’espèce est de savoir si la ministre a prouvé qu’elle était justifiée d’établir de nouvelles cotisations après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation selon le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

III. THÈSES DES PARTIES

[22]  M. Savoie fait valoir que l’intimée n’a pas établi qu’il a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire selon le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[23]  M. Savoie fait valoir qu’il a présenté toutes les pièces justificatives à son comptable, M. Cloutier, en lui confiant la tâche de trier ses dépenses d’affaires de ses dépenses personnelles. M. Cloutier lui aurait indiqué qu’il avait un logiciel qui faisait le tri des dépenses personnelles et des dépenses d’affaires. Il avait donc de bons motifs de se fier à son comptable.

[24]  M. Savoie fait valoir qu’il a fait preuve de diligence raisonnable. Il ne peut être tenu responsable des gestes et de la négligence de son comptable. Par conséquent, la ministre ne pouvait établir une cotisation à son égard après la période normale de nouvelle cotisation.

[25]  Quant à l’intimée, elle fait valoir que M. Savoie a été négligent ou inattentif en ne se rendant pas compte que les dépenses déclarées par la Société étaient excessives. Qui plus est, la majorité des dépenses déclarées étaient facilement identifiables comme des dépenses personnelles.

[26]  Par conséquent, l’intimée fait valoir que les nouvelles cotisations sont fondées en fait et en droit, puisqu’en vertu du sous-alinéa 152(4)(a)(i) de la Loi, la ministre peut établir de nouvelles cotisations après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation lorsque le contribuable, comme en l’espèce, a fait une présentation erronée des faits, par négligence ou inattention, dans ses déclarations de revenus. L’appelant devait inclure dans ses revenus pour les années d’imposition 2013 et 2014 les avantages monétaires que la Société lui avait conférés.

IV. ANALYSE

[27]  Selon les paragraphes 152(4) et 152(3.1) de la Loi, la ministre a généralement trois ans à compter de la date d’envoi de l’avis de première cotisation pour l’établissement d’une cotisation, c’est ce qu’on nomme la période normale de nouvelle cotisation.

[28]  Cependant, selon le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, la ministre peut établir une nouvelle cotisation en tout temps après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation lorsque le contribuable, ou la personne produisant la déclaration, fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention, omission volontaire ou par fraude.

[29]  Selon le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, c’est la ministre qui a le fardeau d’établir que le contribuable, en produisant sa déclaration de revenus, a fait :

  • a) une présentation erronée des faits;

  • b) et que cette présentation erronée est imputable à la négligence, à l’inattention ou à une omission volontaire.

A. Présentation erronée des faits

[30]  L’arrêt Nesbitt c. R. [1] nous enseigne qu’il y a présentation erronée des faits si un élément important, pour les fins de la déclaration ainsi que pour toute nouvelle cotisation ultérieure, est inexact. Au paragraphe 8 de ses motifs, le juge Strayer de la Cour d’appel fédérale du Canada énonce ce qui suit :

… C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si la ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que la ministre ne trouve pas l'erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l'établissement d'une nouvelle cotisation exacte à ce moment-là.

[Je souligne]

[31]  L’appelant a admis que la Société dans ses déclarations de revenus ne pouvait déclarer à titre de déductions les dépenses personnelles de l’appelant. En l’espèce, il y a donc eu une présentation erronée d’éléments importants des déclarations de revenus de la Société dont l’appelant était le seul administrateur et actionnaire.

[32]  Également, en admettant que les dépenses déclarées par la Société étaient ses dépenses de nature personnelle, l’appelant a lui aussi fait une présentation erronée dans ses déclarations de revenus pour les années 2013 et 2014 en n’incluant pas dans le calcul de ses revenus l’avantage monétaire que la Société lui a conféré en payant ses dépenses personnelles.

B. Négligence, inattention ou omission volontaire

[33]  Selon l’alinéa 152(4)a)(i) de la Loi, la présentation erronée des faits doit être attribuable à la négligence, à l’inattention, à l’omission volontaire ou à la fraude du contribuable au moment où les déclarations de revenus sont produites.

[34]  Dans la décision Venne c. Canada [2] (« la décision»), le juge Strayer de la Cour fédérale du Canada a indiqué qu’il y a négligence lorsqu’il « est démontré que le contribuable n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable dans la préparation de sa déclaration » [3] .

[35]  Le contribuable dans la décision Venne faisait valoir, comme en l’espèce, que son comptable avait fait plusieurs erreurs dans ses déclarations de revenus. M. Venne faisait valoir qu’il s’était fié à son comptable et qu’il ne pouvait être tenu responsable de la négligence de celui-ci. La preuve a révélé que M. Venne n’avait pas lu ses déclarations de revenus avant de les signer. M. Venne prétendait qu’il n’était pas instruit et qu’il lui était impossible de comprendre les déclarations de revenus.

[36]  Le juge Strayer n’a pas retenu la thèse de M. Venne. Dans ses motifs de jugement, il a énoncé qu’un contribuable ne peut s’exonérer de son obligation d’agir avec diligence raisonnable en déléguant la préparation de sa déclaration à une autre personne sans se soucier des renseignements inscrits par son comptable dans les déclarations de revenus. À cet égard, le paragraphe 19 des motifs de la décision Venne est pertinent:

Tout d'abord, il est largement prouvé que le contribuable ne lisait pas ses déclarations avant de les signer. Il l'a reconnu à plusieurs reprises: voir l'interrogatoire préalable du demandeur, questions 124, 420, 608, 740 et 859. Il a aussi particulièrement admis n'avoir pas lu la déclaration au titre de l'une des années en cause, 1973: voir l'interrogatoire préalable du demandeur, question 420. Bien que l'on ne puisse s'attendre à ce qu'une personne ayant l'instruction limitée du demandeur et sa faible expérience des questions comptables puisse comprendre tout à fait les détails d'une déclaration de revenus, elle ne peut, à mon sens, s'exonérer de toute responsabilité en engageant ce qu'elle décrit maintenant comme un teneur de livres manifestement incompétent et en lui laissant l'entière responsabilité de sa situation fiscale. Voir, par exemple, Howell c. le ministre du Revenu national (1981) 81 DTC 230, p. 233 (C.R.I.). En second lieu, les erreurs faites dans les déclarations de revenus auraient dû être assez évidentes pour qu'une personne raisonnable, même avec une instruction et une expérience limitées, surtout si elle était apparemment très habile en affaires et en placement, les ait remarquées.

[37]  Dans la décision Succession de Stanley Vine c. La Reine [4] , le juge Webb de la Cour d’appel fédérale réfère et distingue les observations du juge Bowie dans la décision College Park Motors c. La Reine, 2009 CCI 409, sur la question de savoir si la ministre peut établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation si c’est le comptable qui a commis des erreurs dans la préparation des déclarations de revenus :

13 Dans l’examen de cette question, il importe de se rappeler que le sous-alinéa 152(4)a)(i) vise simplement à préserver le droit du ministre d’établir une nouvelle cotisation lorsque le contribuable n’a pas divulgué tout ce qu’il aurait dû divulguer aussi exactement qu’il aurait dû le faire et qu’il a, ce faisant, privé le ministre de la possibilité d’établir avec précision l’obligation fiscale totale du contribuable lors du premier avis de cotisation. Elle n’a nullement pour objet d’établir une quelconque culpabilité de la part du contribuable. D’autres dispositions de la Loi sont en place pour cela*. M. Wintermute invoque le passage suivant d’une décision que j’ai rendue de vive voix* :

Il se peut bien qu'il y ait des circonstances où l'on présente des faits d'une manière déformée en se fiant à l'avis d'un comptable ou d'un autre spécialiste, où il était raisonnable de s'y fier et où la négligence de ce conseiller professionnel n'a pas pour effet d'établir qu'il y a eu présentation erronée des faits aux fins du paragraphe 152(4). Je suis toutefois convaincu que tel n'est pas le cas en l'espèce, [...]

Ce passage est clairement une remarque incidente. Qui plus est, cet énoncé n’est compatible ni avec la décision du juge Heald dans Nesbitt v. Canada* ni avec celle du juge Bowman (plus tard juge en chef) dans Snowball v. The Queen*. Dans cette dernière décision, le juge Bowman a expliqué l’importante différence qui existe relativement à l’effet de la négligence du comptable ou d’une autre personne ayant préparé la déclaration de revenus d’un contribuable entre les cas où une cotisation est établie passé l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation et les cas où le ministre impose une pénalité sous le régime du paragraphe 163(2) :

Quoi qu'il en soit, même si M. Cockburn a fait preuve de négligence, cela ne constitue pas une réponse en ce qui concerne une cotisation par ailleurs prescrite en application du sous-alinéa 152(4)a)(i). À vrai dire, la négligence d'un comptable peut constituer un moyen de défense lorsqu'une pénalité est imposée en application du paragraphe 163(2) : Udell v. M.N.R., 70 D.T.C. 6019 (C. de l'É.). Le sous-alinéa 152(4)a)(i) n'est pas une disposition pénale. Son but est tout à fait différent de celui du paragraphe 163(2). La négligence commise par la personne qui prépare une déclaration de revenu continue à avoir les mêmes conséquences aux termes du sous-alinéa 152(4)a)(i), qu'il s'agisse de la négligence du contribuable personnellement, ou de celle du comptable ou de toute autre personne qui a préparé la déclaration de revenu à titre de mandataire. […]

[Je souligne]

[38]  En l’espèce, l’appelant allègue que la ministre n’a pas établi qu’il a fait une présentation erronée des faits dans ses déclarations de revenus par négligence ou par inattention. En fait, l’appelant affirme qu’il a agi avec diligence raisonnable. Il a remis tous les documents à son comptable, M. Cloutier. Ce dernier l’a assuré qu’il ferait le tri entre les dépenses personnelles et ses dépenses d’affaires en se servant d’un logiciel à cet effet.

[39]  L’appelant fait valoir qu’à l’instar du demandeur dans la décision Venne, il a lu ses déclarations de revenus. Il utilisait les services du même comptable depuis plus de quarante ans et il faisait confiance à celui-ci. De plus, les dépenses ont été déduites de la même façon au cours de ces quarante années.

[40]  Cependant, lors du contre-interrogatoire de l’appelant, la preuve a révélé que celui-ci n’a fait aucun effort pour comprendre ses déclarations de revenus.

« Me Messore : Okay, parfait. Donc, alors, pour faire les études en radiologie, c’est très difficile ?

M. Pierre Savoie : Oui, c’est difficile.

Me Messore : C’est difficile, okay. Puis…

M. Pierre Savoie : Puis surtout – excusez- moi de vous interrompre – surtout quand on a pratiqué dans notre bureau avec notre secrétaire pendant six ans et demi puis on redevient étudiant pendant quatre ans.

Me Messore : Okay.

M. Pierre Savoie : Puis là, vos patrons, ils sont plus jeunes que vous, puis il faut… ça demande un peu de souplesse. Je suis une personnalité extrêmement déterminée.

Me Messore : Okay. Alors, quels efforts avez-vous faits pour comprendre vos obligations fiscales?

M. Pierre Savoie : Bien, je me suis toujours fié avec mon comptable qui me disait des choses… le GBS, le gros bon sens, c’est ça. J’ai pas été bien plus loin dans tout ça, là. La fiscalité, ce n’est pas fort.

Me Messore : Donc, vous n’avez pas d’intérêt pour ça?

M. Pierre Savoie : Non.

Me Messore : Non. Et vous n’avez pas fait des démarches pour essayer de comprendre vous-même sans l’aide de votre comptable?

M. Pierre Savoie : Non. Je peux vous assurer que la majeure partie des médecins ne font pas des gros efforts de ce côté-là! » [5]

[41]  En l’espèce, l’analyse des relevés de compte de carte de crédit était plutôt simple. Il est évident que des opérations, telle qu’à la SAQ, au club sportif, au magasin de collectionneurs, au fleuriste, au dépanneur et au service de billetterie pour des matchs d’hockey étaient personnelles.

[42]  Pourtant, l’appelant est une personne instruite, intelligente et, selon ses propres dires, déterminée. Qui plus est, c’est l’appelant qui encourait les dépenses. Il ne pouvait nier que la majorité des dépenses encourues étaient de nature personnelle et que ces dépenses allaient figurer sur les relevés de la carte de crédit de la Société.

[43]  Il est aussi difficile de comprendre comment l’appelant pouvait s’imaginer qu’il pouvait confier à M. Cloutier ses relevés de carte de crédit et ses factures et lui demander de ventiler les dépenses sans lui fournir plus de détails. Selon la preuve, M. Cloutier a inscrit au grand livre et dans les déclarations de revenus de la Société, à titre de dépenses d’entreprise, l’entièreté des montants à payer sur les relevés de carte de crédit.

[44]   Il est aussi ressorti de la preuve qu’au cours des années, que des remboursements d’impôt ont été obtenus. L’appelant a indiqué que son comptable « se faisait quasiment une gloire de [lui] donner des remboursements, qu’on ne s’attend pas d’avoir ça ». Il me semble qu’à l’égard des années 2013 et 2104, la réception de remboursements d’impôt aurait dû lui sauter aux yeux et l’amener à se poser des questions. D’ailleurs, l’appelant a ouvertement témoigné à l’audience qu’en tant que consultant indépendant, il n’avait pas beaucoup de dépenses professionnelles, car tout ce dont il avait besoin lui était fourni par le Groupe Radiogix.

[45]  La preuve n’a pas révélé que l’appelant a fait preuve de diligence raisonnable. Si l’appelant avait lu attentivement les déclarations de revenus, il aurait vite compris que les dépenses déclarées par la Société étaient trop élevées. Il ne peut attribuer sa négligence à son comptable. De plus, le comptable n’a pas témoigné. Selon le témoignage du fils de l’appelant, il a été décidé de ne pas faire témoigner M. Cloutier, car ce dernier aurait été un témoin hostile.

[46]  Le représentant de l’appelant s’est appuyé sur la décision Aridi c. La Reine [6] (« la décision Aridi ») pour faire valoir qu’un contribuable n’est pas responsable des erreurs de son comptable. Je suis d’avis que cette décision n’est d’aucun secours à l’appelant. Dans cette décision, le juge Hogan énonce que, si le contribuable a été négligent ou inattentif, il ne peut invoquer la négligence ou l’inattention de son comptable. À l’appui de cette affirmation, le juge Hogan a écrit ce qui suit aux paragraphes 43 et 44 de ses motifs :

[43] […] D’une part, dans toutes les décisions, le tribunal est venu à la conclusion que le contribuable n’avait pas examiné attentivement ou n’avait tout simplement pas lu les déclarations de revenus avant de les signer. D’autre part, dans plusieurs de ces décisions, le tribunal a conclu que le contribuable aurait aisément pu constater l’existence de la présentation erronée des faits s’il avait posé des questions ou s’il s’était donné la peine de pousser son analyse plus loin. Enfin, dans certains cas, le tribunal a jugé que le contribuable était tenu de savoir, de par la situation, qu’il y avait présentation erronée des faits.

[44] À la lecture de ces décisions, le constat suivant s’impose. Dans toutes ces décisions, les tribunaux ont reconnu que le comptable ayant agi pour le contribuable avait fait preuve de négligence. Toutefois, ils en viennent à la conclusion que le contribuable avait lui aussi fait preuve d’une certaine négligence, d’où l’application du sous-alinéa 152(4)a)(i) de la LIR.

[47]  Dans la décision Aridi, le juge Hogan a conclu que M. Aridi avait agi avec diligence raisonnable, ce qui n’est pas la situation en l’espèce.

[48]  Je suis d’avis que l’appelant a donc fait une fausse présentation dans ses déclarations de revenus 2013 et 2014 par négligence et/ou inattention en ne déclarant pas les avantages monétaires que la Société lui avait conférés.

[49]  Par conséquent, les appels pour les années d’imposition 2013 et 2014 sont rejetés, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de novembre 2020.

« Johanne D’Auray »

Juge D'Auray


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 121

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-3443(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PIERRE SAVOIE ET

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 août 2020

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Johanne D'Auray

DATE DU JUGEMENT :

Le 23 novembre 2020

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelant :

Alain Savoie

Avocate de l’intimée :

Me Valerie Messore

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelant:

Nom :

[En blanc]

Cabinet :

[En blanc]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] CAF, n°A-54-96, 15 novembre 1996, le juge Strayer [arrêt Nesbitt].

[2] [1984] A.C.F N0 314 (QL) [la décision Venne].

[3] Bédard c. R., 2016 CCI 179, par. 12.

[4] Succession de Stanley Vine c. La Reine, 2015 CAF 125.

[5] Audience tenue à la Cour canadienne de l’impôt, Pierre Savoie c. R., 2019-3443(IT)I, Montréal, QC, le 13 août 2020, p. 85 et 86.

[6] Aridi c. La Reine, 2013 CCI 74.

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