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Dossier : 2019-826(IT)I

ENTRE :

JEWEL JEANETTE JERSAK (BEST),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 30 janvier 2020, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge Susan Wong


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Matthew Chao

 

JUGEMENT

  L’appel interjeté à l’égard des déterminations ou nouvelles déterminations établies en application de la Loi de l’impôt sur le revenu relativement à la Prestation fiscale canadienne pour enfants et à l’Allocation canadienne pour enfants de l’appelante pour les années de base de 2014 à 2017 est rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de décembre 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong


Référence : 2020 CCI 136

Date : 20201211

Dossier : 2019-826(IT)I

ENTRE :

JEWEL JEANETTE JERSAK (BEST),

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Wong

Aperçu et question en litige

[1]  Après avoir examiné les questions préliminaires, la question dont la Cour est saisie consiste à savoir si le ministre a correctement déterminé ou déterminé de nouveau le montant de la prestation fiscale canadienne pour enfants (« PFCE ») ou de l’Allocation canadienne pour enfants (« ACE ») de Mme Jersak pour les années de base 2014 à 2017 afin de tenir compte du fait qu’elle et son ex-mari, Andrew Best, étaient des parents ayant la garde partagée.

[2]  Mme Jersak ne conteste pas le fait qu’ils avaient la garde partagée de leurs enfants depuis 2010. Toutefois, elle affirme que rien dans la Loi sur l’impôt sur le revenu ne permet au ministre de viser plusieurs années antérieures et de réduire le montant de sa prestation, surtout compte tenu du fait qu’un seul parent a présenté une demande. Elle affirme que parce qu’il n’a pas présenté de demande de présentation avant janvier 2018, M. Best a perdu son droit à la prestation pour ces années de base. Elle indique également que s’il a droit à un paiement rétroactif de la prestation, le paragraphe 122.62(1) limite la rétroactivité à un maximum de 11 mois.

Questions préliminaires

[3]  Les prestations et les années de base visées dans la décision du ministre du 7 février 2019 sont les suivantes :

  1. PFCE/ACE – années de base de 2014 à 2017

  2. Prestation pour enfants et familles de l’Alberta (« PEFA ») – années de base de 2014 à 2017;

  3. Remise pour le leadership en climat de l’Alberta (« RLCAB ») – années de base 2015 et 2016.

[4]  En plus des points ci-dessus, l’avis d’appel de Mme Jersak traite directement ou indirectement des points suivants :

  1. PFCE – année de base 2013;

  2. PEFA – année de base 2013;

  3. RLCAB – année de base 2017;

  4. Prestation universelle pour la garde d’enfants (« PUGE ») – années de base 2013 et 2014.

Aucune compétence à l’égard de la PEFA, de la RLCAB ni de la PUGE

[5]  Aux termes d’un accord avec l’Alberta, le ministre calcule le montant de la PEFA et de la RLCAB en fonction des renseignements contenus dans la déclaration de revenus d’un particulier. Toutefois, la Cour n’est pas l’instance judiciaire appropriée lorsqu’un désaccord se produit concernant ces montants de prestations provinciaux. À l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, le législateur énumère les lois relativement sur lesquelles notre la Cour a compétence et elles sont toutes fédérales. Comme je l’ai expliqué à Mme Jersak lors de l’audience, toute compétence ou capacité existante de connaître d’un différend concernant la PEFA et la RLCAB est provinciale [1] ; je préciserai uniquement que notre Cour n’a pas cette compétence [2] .

[6]  La PUGE est une prestation régie par la Loi sur la prestation universelle pour la garde d’enfants fédérale. Ni cette loi ni l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt ne confère compétence à la Cour pour connaître des litiges relatifs à la PUGE. Comme je l’ai expliqué à Mme Jersak lors de l’audience, la Loi sur la PUGE est une loi courte et ne semble pas comporter de mécanisme de résolution des litiges. Là encore, je ne peux que dire explicitement que la Cour n’a pas compétence [3] .

Année de base 2013 pour la PFCE – Aucune objection pour cette année-là

[7]  Dans la réponse à l’avis d’appel, l’intimée a donné avis de la requête préliminaire en annulation de l’appel interjeté à l’égard de l’année de base 2013 au motif qu’aucune objection valable n’avait été déposée; toutefois, aucun affidavit fondé sur l’article 244 n’a été produit pour appuyer sa requête.

[8]  Une copie de la décision du ministre du 7 février 2019 a été jointe à l’avis d’appel; il en ressort montre que la décision portait sur les années de base de 2014 à 2017. Par conséquent, l’année de base 2013 ne peut faire l’objet d’un appel devant la Cour, car elle n’était pas visée dans la décision sous-jacente. Au cours de l’audience, Mme Jersak a indiqué qu’elle n’avait souhaité contester que l’année de base 2013, car celle-ci se concernait de toute façon à la PUGE; il s’agissait donc d’un point théorique, compte tenu de l’absence de compétence de notre Cour à l’égard de cette prestation.

Cadre législatif

[9]  L’ACE a remplacé la PFCE et certaines autres prestations à partir de la période du calcul des prestations de juillet 2016 à juin 2017. En l’espèce, les règles régissant la PFCE et l’ACE sont généralement les mêmes.

[10]  Comme la prestation qui l’a précédée, l’ACE est un paiement en trop réputé au titre de l’impôt sur le revenu d’une personne au cours de l’année de base et la prestation est le remboursement de ce paiement en trop, versé mensuellement à un particulier admissible [4] . L’année de base est utilisée pour calculer le montant de la prestation à verser du 1er juillet de l’année suivante jusqu’au 30 juin de l’année qui suit celle-ci [5] .

[11]  Un particulier admissible peut être le parent qui assume principalement la responsabilité des soins et de l’éducation de l’enfant en question (une « personne à charge admissible » [6] ) ou un parent ayant la garde partagée de cet enfant. Entre autres, les parents ayant la garde partagée doivent résider avec cet enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité [7] .

[12]  En règle générale, pour faire une demande et être jugée admissible pour un mois donné, une personne doit déposer un formulaire prescrit au plus tard onze mois après le mois en question [8] . Le ministre peut proroger le délai de production de ce formulaire prescrit (sans limite de temps), mais à partir du 1er juillet 2016, la période de prorogation était de dix ans à compter du début du mois en question [9] . Dans le même ordre d’idées, un contribuable peut demander au ministre de déterminer le montant de la prestation remontant à onze mois après le mois au cours duquel le contribuable a fait sa demande [10] . Les déterminations de l’ACE sont assujetties aux dispositions des sections I et J de la partie I de la Loi, c’est-à-dire que les délais d’établissement de cotisation et d’appel s’appliquent, les déterminations tenant lieu de cotisations [11] .

Contexte factuel

[13]  Mme Jersak et son ex-mari, Andrew Best, sont les parents de trois enfants : GB (né en 2003), DB (né en 2004) et JB (né en 2008). Mme Jersak et M. Best se sont séparés en 2010 [12] et elle a affirmé dans son témoignage qu’ils avaient la garde partagée de leurs enfants depuis. Il y a quelques petites divergences concernant les pourcentages exacts de temps de garde, mais M. Best a reconnu que la garde était partagée depuis 2010.

[14]  Mme Jersak a affirmé dans son témoignage qu’ils avaient eu la garde de leurs enfants dans un rapport de 60/40 en sa faveur de 2015 à 2017, tandis que, d’après un résumé dans un affidavit déposé devant le Banc de la Reine de l’Alberta, souscrit par M. Best en mai 2019, le rapport variait de 53/47 à 54/46 en faveur de Mme Jersak au cours de ces années [13] . En contre-interrogatoire, Mme Jersak a déclaré qu’elle ne reconnaissait pas entièrement les pourcentages figurant dans le résumé de M. Best et que des éléments de preuve présentés à l’instance albertaine établissaient des pourcentages différents; toutefois, elle a également déclaré que les pourcentages figurant dans le résumé de M. Best étaient suffisamment précis aux fins du présent appel.

[15]  Ils ont convenu qu’en ce qui concerne GB et JB, la répartition du pourcentage de garde s’établissait à environ 50/50 vers septembre 2019. En ce qui concerne DB, Mme Jersak a affirmé dans son témoignage qu’elle a eu sa garde complète à partir de janvier 2018; M. Best était presque entièrement souscrit à ce point, ajoutant toutefois qu’il avait eu la garde de DB pendant environ sept jours en 2018 et 22 jours en 2019.

[16]  Mme Jersak était la seule demanderesse et bénéficiaire de la prestation depuis 2010. M. Best a affirmé dans son témoignage qu’il avait présenté une demande de prestation en janvier 2018 suivant la suggestion de Mme Jersak. Le 20 juillet 2018, le ministre a donc déterminé de nouveau (et réduit) la prestation reçue par Mme Jersak pour les années de base 2014 [14] , 2015 [15] et 2016 [16] . Les avis de détermination initiaux ont été émis le 20 juillet 2015 pour l’année de base 2014 [17] , le 20 juillet 2016 pour l’année de base 2015 [18] et le 20 juillet 2017 pour l’année de base 2016 [19] . Le 20 juillet 2018, le ministre a également déterminé que le montant de la prestation de Mme Jersak pour l’année de base 2017 était similaire aux montants de la prestation réduits dans les nouvelles déterminations pour les années précédentes, compte tenu de son statut de parent ayant la garde partagée [20] .

Discussion

[17]  Il ressort clairement du témoignage de Mme Jersak et de M. Best que, malgré toutes les difficultés d’une rupture conjugale, ils ont tous deux donné la priorité à l’éducation de leurs enfants et c’est louable.

Existence d’une garde partagée

[18]  Il est nécessaire de se pencher sur la distinction entre la garde partagée aux fins de la PFCE ou de l’ACE et les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants [21] . Au cours de l’audience, Mme Jersak a fait référence à un rapport de garde partagée de 60/40, qui correspond au pourcentage établi à l’article 9 des Lignes directrices.

[19]  Dans le contexte de la PFCE et de l’ACE, la Cour d’appel fédérale a déclaré que pour qu’un parent ayant la garde partagée puisse atteindre le seuil légal de résidence avec l’enfant sur une base d’égalité ou de quasi-égalité, un pourcentage situé entre 45 % et 49 % sera arrondi à 50 % (et saurait équivaloir à une égalité) tandis qu’un pourcentage compris entre 41 % et 44 % sera arrondi à 40 % (et ne saurait équivaloir à une quasi-égalité) [22] . La Cour d’appel fédérale a également déclaré que, comme le législateur n’a pas adopté le libellé actuel de l’article 9 des Lignes directrices, il a dû vouloir donner une interprétation différente à l’expression « parent ayant la garde partagée », de l’article 122.6 de la Loi [23] .

[20]  Compte tenu du résumé écrit [24] de M. Best et du témoignage de Mme Jersak selon lequel les chiffres de son résumé étaient suffisamment précis, j’estime que le ratio de garde en pourcentage se situait entre 53 % et 47 % et entre 54 % et 46 % pour les années de base 2015 à 2017. Aucun élément de preuve particulier n’a été présenté pour l’année de base 2014. Toutefois, compte tenir du témoignage des deux parents qui ont déclaré avoir la garde partagée de leurs enfants depuis 2010 et qu’il n’y avait pas eu de changement majeur jusqu’en janvier 2018 (lorsque Mme Jersak a eu la garde complète de DB), je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que le ratio de garde en pourcentage pour l’année de base 2014 était similaire à celui des années de base de 2015 à 2017.

[21]  Par conséquent, j’estime que Mme Jersak et M. Best étaient des parents ayant la garde partagée, telle que cette expression est définie à l’article 122.6.

Le ministre peut déterminer de nouveau le montant de la prestation rétroactivement, que les deux parents ayant la garde partagée aient ou non présenté une demande initialement.

[22]  Il existe deux fondements juridiques sur lesquels le ministre peut déterminer de nouveau le montant de la prestation de Mme Jersak pour les années de base 2014 à 2016. Ces deux fondements sont davantage complémentaires que mutuellement exclusifs.

[23]  Les déterminations de l’ACE sont assujetties aux dispositions des sections I et J de la partie I de la Loi, c’est-à-dire que les délais de cotisation et d’appel s’appliquent, les déterminations tenant lieu de cotisations. Le paragraphe 152(3.1) prévoit alors que la période normale de nouvelle détermination expire trois ans suivant la date de la détermination initiale, c’est-à-dire que le ministre peut déterminer de nouveau le droit à la PFCE ou l’ACE jusqu’à une période de trois ans suivant la détermination initiale.

[24]  En l’espèce, la nouvelle détermination par le ministre du 20 juillet 2018 des années de base 2014, 2015 et 2016 a été effectuée trois ans, deux ans et un an (respectivement) suivant les déterminations initiales. Par conséquent, le ministre a fait cette nouvelle détermination dans le délai de trois ans autorisé au paragraphe 152(3.1).

[25]  En second lieu, le paragraphe 122.62(2) donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai imparti pour demander la prestation jusqu’à un maximum de dix ans à compter du début du mois en question. Le ministre peut donc autoriser une personne à présenter une demande de prestation jusqu’à un maximum de dix ans rétroactivement. Par conséquent, le ministre avait le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai permettant à M. Best de présenter sa demande pour les années de base 2014, 2015 et 2016, ce qui a permis de déterminer son droit et de déterminer de nouveau celui de Mme Jersak en tant que parent ayant la garde partagée.

[26]  En ce qui concerne l’année de base 2017, le calendrier est plus simple, car la décision du ministre du 20 juillet 2018 est une décision initiale fondée sur la même conclusion de statut de garde partagée. Par conséquent, le premier fondement juridique (c’est-à-dire la période normale de nouvelle détermination) ne s’applique pas. Cependant, le second fondement juridique (c’est-à-dire le pouvoir discrétionnaire du ministre) s’appliquerait toujours.

Conclusion

[27]  L’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de décembre 2020.

« Susan Wong »

La juge Wong


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 136

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-826(IT)I

INTITULÉ :

JEWEL JEANETTE JERSAK (BEST) c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 janvier 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Susan Wong

DATE DU JUGEMENT :

Le 11 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimée :

Me Matthew Chao

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

s. o.

 

Cabinet :

s. o.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Climate Leadership Implementation Act, S.A. 2016, ch. 16; Alberta Personal Income Tax Act, R.S.A. 2000, ch. A-30.

[2] Arrêt Perron c. La Reine, 2017 CCI 220, par. 4.

[3] Arrêt Perron c. La Reine, 2017 CCI 220, par. 4.

[4] Loi sur l’impôt sur le revenu, art. 122.6 (définition de « particulier admissible ») et par. 122 .61(1).

[5] Loi sur l’impôt sur le revenu, art. 122.6 (définition d’« année de base »).

[6] Loi sur l’impôt sur le revenu, art. 122.6 (définition de « personne à charge admissible »).

[7] Loi sur l’impôt sur le revenu, art. 122.6 (définition de « parent ayant la garde partagée »).

[8] Loi de l’impôt sur le revenu, par. 122.62(1).

[9] Loi de l’impôt sur le revenu, par. 122.62(2).

[10] Loi de l’impôt sur le revenu, par. 152(3.2).

[11] Loi de l’impôt sur le revenu, par. 152(1.2).

[12] Réponse à l’avis d’appel, al. 17b).

[13]  Pièce R-2 : Affidavit d’Andrew Best déposé devant le Banc de la Reine de l’Alberta et souscrit le 13 mai 2019, pièce A.

[14] Réponse à l’avis d’appel, par. 5; décision du ministre du 7 février 2019, jointe à l’avis d’appel.

[15] Réponse à l’avis d’appel, par. 7; décision du ministre du 7 février 2019, jointe à l’avis d’appel.

[16] Réponse à l’avis d’appel, par. 11; décision du ministre du 7 février 2019, jointe à l’avis d’appel.

[17] Réponse à l’avis d’appel, par. 4.

[18] Réponse à l’avis d’appel, par. 6.

[19] Réponse à l’avis d’appel, par. 8.

[20] Réponse à l’avis d’appel, par. 13; décision du ministre du 7 février 2019, jointe à l’avis d’appel.

[21] D.O.R.S./97-175, art. 9.

[22] Arrêt Morrissey c. Canada, 2019 CAF 56, par. 29; arrêt Lavrinenko c. Canada, 2019 CAF 51, par. 37, 41 et 42.

[23] Arrêt Lavrinenko c. Canada, 2019 CAF 51, par. 28.

[24]  Pièce R-2 : Affidavit d’Andrew Best déposé devant le Banc de la Reine de l’Alberta et souscrit le 13 mai 2019, pièce A.

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