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Dossier : 2019-1980(GST)I

ENTRE :

NAZMA FAZAL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 15 octobre 2020, à Hamilton (Ontario).

Devant : l’honorable juge suppléant Robert N. Fournier


Comparutions :

Représentant de l’appelante :

Selman Qadri

Avocate de l’intimée :

Me Acinkoj Magok

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel visant la cotisation relative à la taxe sur les produits et services établie en application de la Loi sur la taxe d’accise, dont l’avis est daté du 20 avril 2018, pour les périodes de déclaration s’étendant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2016, est accueilli en partie sans dépens, en ce qui concerne les trois « périodes en cause » allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 inclusivement.

L’appel est rejeté sans dépens pour la « période en cause » allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, mais avec la recommandation que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré pour accorder à l’appelante une exonération à titre de « petit fournisseur », s’il juge juste et approprié de le faire.

En ce qui concerne les deux dernières « périodes en cause » s’étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, inclusivement, l’appel est également rejeté sans dépens. Par conséquent, la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national aux fins d’un nouvel examen et d’une nouvelle cotisation relativement à la dette fiscale nette, aux pénalités pour défaut de production d’une déclaration, aux intérêts sur acomptes provisionnels et aux arriérés d’intérêts jugés appropriés compte tenu du présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de décembre 2020.

« Robert R. Fournier »

Le juge suppléant Fournier


Référence : 2020 CCI 137

Date : 20201216

Dossier : 2019-1980(GST)I

ENTRE :

NAZMA FAZAL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge suppléant Fournier

[1] Le présent appel concerne une cotisation établie sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée (la « Loi »), pour les périodes de déclaration allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2016 (les « périodes en cause »), conformément à un avis de cotisation daté du 20 avril 2018. L’appelante s’oppose à la cotisation, affirmant que son numéro d’inscription au registre de la TPS a en réalité été annulé en 2009. S’appuyant sur le contexte factuel sur lequel je me pencherai plus loin, elle avance l’argument qu’elle n’était pas tenue de produire des déclarations de TPS/TVH pour les périodes en cause. Quoi qu’il en soit, le 16 mars 2016, il semblerait qu’elle ait produit des déclarations portant qu’aucune taxe n’était exigible pour les périodes de déclaration se terminant les 31 décembre 2011, 2012, 2013, 2014 et 2015. Le 28 février 2017, elle a produit une déclaration de TPS/TVH portant qu’aucune taxe n’était exigible pour la période se terminant le 31 décembre 2016.

[2] En réponse, le procureur général du Canada maintient, entre autres hypothèses, que l’appelante n’a pas annulé son inscription au registre de la TPS, alléguant qu’elle est inscrite au registre de la TPS/TVH depuis le 19 mars 2009. En outre, il est allégué que, durant les « périodes en cause », elle a enregistré des ventes totalisant au moins 205 519 $, une somme qui était taxable au taux de 13 %. Enfin, le procureur général du Canada soutient qu’elle n’a pas engagé ou demandé de crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») durant les « périodes en cause ».

I. Contexte factuel

[3] Il est essentiel de passer en revue le contexte factuel qui explique les mesures prises par l’appelante et qui mène à la présente instance. Le premier témoin à comparaître à cet égard a été Selman Qadri, représentant de l’appelante, mais également son époux, ce qui explique sa connaissance approfondie des affaires de l’appelante. Il a confirmé que tous deux habitaient en Colombie-Britannique en 2009. Pour sa part, il travaillait essentiellement de la maison comme ingénieur, à l’emploi de Shelly Automation, une entreprise diversifiée dont le siège social se trouve à North York, en Ontario, et qui a des bureaux dans différentes régions du Canada. Il aidait également l’appelante qui, pour sa part, avait monté une entreprise à propriétaire unique connue sous le nom de Varx Technology. Cette entreprise fabriquait des panneaux de construction; la nature exacte de ces produits de construction a peu de pertinence en l’espèce.

[4] Selman Qadri a fourni la majeure partie du contexte factuel, son témoignage ayant été par la suite corroboré par Nazma Fazal (l’appelante), qui a témoigné après lui. Pour ce que cela vaut, les deux ont présenté des témoignages honnêtes et crédibles, à mon avis. Fait à souligner, au mois de février 2009, l’entité connue sous le nom de Varx Technology a été enregistrée en Colombie-Britannique (services du registre de la Colombie-Britannique) et s’est vu attribuer le numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH 81830 4099 RT0001. Fait intéressant, peu de temps après, en septembre 2009, l’appelante a décidé pour une raison quelconque d’incorporer son entreprise à propriétaire unique et de faire affaire sous le nom de Varx Technology Incorporated.

[5] Selon l’appelante, elle a eu de nombreux échanges téléphoniques avec les services du registre de la Colombie-Britannique, durant lesquels elle a exprimé son intention d’exercer ses activités uniquement sous cette entité constituée en société. On lui aurait assuré que l’entreprise à propriétaire unique serait fermée, de telle sorte qu’à compter de septembre 2009, elle a soi-disant exercé ses activités à titre d’unique administratrice, cadre et actionnaire de Varx Technology Incorporated, malgré une certaine assistance de la part de son époux. Même si aucune date n’a été produite en preuve, il est clair que la société a été enregistrée en Colombie-Britannique et a reçu le numéro d’inscription 84747 3865 RT0001. La pièce no 1 montrant un état de compte daté du 22 septembre 2010, produit par le ministère des Finances de la Colombie-Britannique, et indiquant un solde dû de 377,13 $, le prouve.

[6] Ainsi, et selon les témoignages de Selman Qadri et de Nazma Fazal, ils avaient tous deux l’impression que le précédent numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH 81830 4099 RT0001, attribué à l’entreprise à propriétaire unique portant le nom similaire de Varx Technology, avait en réalité été absorbé, si ce n’est annulé. Naturellement, cela explique leur plan d’action initial et ultérieur concernant Varx Technology Incorporated, une fois déménagés dans la région de Toronto. Du point de vue d’un profane, de telles hypothèses de la part de Mme Fazal et de son époux me semblent raisonnables et bien intentionnées. Toutefois, sur ce point, je tiens à souligner que le fait de s’être fiée aux échanges avec les fonctionnaires des services du registre de la Colombie-Britannique n’aide en rien l’appelante dans sa demande d’exonération. Selon l’analyse de notre Cour dans le jugement Deschamps c. La Reine [1] , le fait qu’un employé de cette agence ait peut-être induit l’appelante en erreur ne constitue pas un motif valable pour accueillir un appel. La Cour est tenue d’appliquer la loi adoptée par le Parlement, et non l’interprétation qu’en donne un fonctionnaire.

[7] Quoi qu’il en soit, le plan de consolidation de l’appelante n’a pas porté ses fruits aussi rapidement qu’elle l’avait espéré. Sciemment ou non, pendant un certain temps, elle a continué d’être inscrite au registre de la TPS/TVH après le 19 mars 2009. En fait, pendant un moment, elle était inscrite en double au registre, deux numéros distincts de TPS/TVH lui ayant été attribués. Le premier concernait son entreprise à propriétaire unique, et l’autre était associé à une société portant un nom similaire. Nazma Fazal a affirmé dans son témoignage qu’à compter de septembre 2009, elle a exercé ses activités sous le nom de Varx Technology Incorporated. Si je lis entre les lignes, je déduis que ses entreprises commerciales n’ont pas connu un succès retentissant.

[8] Néanmoins, le 22 septembre 2010 ou aux alentours de cette date, le ministère des Finances de la Colombie-Britannique a établi un avis de cotisation à l’égard de Varx Technology Incorporated (numéro 84747 3865 BT0001), lequel a été envoyé par la poste à une adresse à Surrey, en Colombie-Britannique. Déposé comme pièce no 1, cet état de compte affichant un solde dû de 377,13 $ a été acquitté moins d’un mois après l’avis. Incidemment, cet état de compte viendrait étayer la conviction qu’avait l’appelante, à savoir que le numéro d’inscription original attribué à l’entreprise à propriétaire unique avait en fait été absorbé ou remplacé par le second numéro attribué à sa société. À partir de là, le contexte factuel devient un peu plus complexe.

[9] Pour une raison quelconque, l’appelante et son époux ont de toute évidence décidé d’abandonner leurs entreprises en Colombie-Britannique et de revenir s’établir dans la région de Toronto. Essentiellement, Varx Technology Incorporated et Varx Technology sont devenues inactives. Ils ont tous deux affirmé dans leur témoignage que, peu de temps après leur arrivée dans une banlieue de Toronto en juillet 2011, ils ont communiqué avec un cabinet comptable portant le nom de Micro ou de Micron Management Certified Accountants. Ils ont donné comme instruction de préparer tous les documents nécessaires pour dissoudre Varx Technology Incorporated, de produire les déclarations d’impôt, d’acquitter toutes les taxes dues, et de fermer tous les comptes associés à l’entreprise. Je présume que l’entreprise n’était plus viable!

[10] À partir de ce moment-là, les éléments de preuve confirment que l’appelante a commencé à fournir des [traduction] « services de secrétariat et d’administration » à son époux, et que sa rémunération s’accompagnait d’un formulaire T2200. Il est aussi manifeste qu’elle a déclaré ces revenus dans ses déclarations de revenus pour les périodes en cause. L’intimée l’a reconnu dans sa réponse, tout comme les déclarations de TPS/TVH portant qu’aucune taxe n’était exigible produites pour les périodes en cause. Plus précisément, dans ses hypothèses de fait, même si l’intimée a reconnu qu’elle fournissait des services de tenue de livres, de paye et d’autres services connexes, elle a maintenu qu’elle était inscrite au registre, sous le numéro 81830 4099 RT0001, attribué à l’origine à Varx Technology.

[11] Après avoir déménagé dans la région de Toronto, l’appelante a maintenu ses intentions de mettre fin à l’ensemble des initiatives commerciales de Varx Technology à Surrey, en Colombie-Britannique, et de dissoudre l’entreprise. Son époux, Selman Qadri, a conservé son emploi à Shelly Automation, et avait droit à un salaire et à une commission. Par la suite, ils s’en sont remis à leurs comptables pour achever le travail lié à la cessation de ces initiatives commerciales initiales. Aussi assidu qu’ait pu être leur cabinet comptable, Selman Qadri et Nazma Fazal ont tous deux admis qu’ils auraient pu suivre les progrès accomplis avec un peu plus de diligence. Finalement, quatre ans plus tard, l’Agence du revenu du Canada a envoyé, depuis Surrey en Colombie-Britannique, un [traduction] « avis d’annulation en attente », daté du 5 septembre 2014 et déposé en tant que pièce no 2.

[12] Il confirmait l’approbation de la demande présentée par l’appelante pour faire annuler son inscription au registre de la TPS/TVH à l’égard de Varx Technology Incorporated, en date du 31 juillet 2014. Il convient de souligner que cet avis a été envoyé à l’adresse de l’appelante, à Milton, en Ontario. Il est manifeste que le Ministère et ses fonctionnaires savaient exactement où elle vivait et où elle travaillait! L’appelante a affirmé dans son témoignage qu’en mars 2016, elle a finalement reçu un avis selon lequel elle devait 88,18 $ pour la période du 19 mars 2009 au 31 décembre 2009, somme qu’elle a payée rapidement en avril 2016, cette fois, à l’égard de Varx Technology. Par conséquent, l’appelante ne saurait être blâmée pour avoir cru que l’entreprise Varx Technology avait cessé ses activités. Toutefois, ce n’est qu’après le 20 novembre 2018 qu’elle a été informée, comme le montre la pièce no 3, d’un [traduction] « avis d’annulation en attente », daté du 31 décembre 2017 concernant l’inscription de Varx Technology au registre de la TPS/TVH.

[13] Une fois encore, cet avis a été envoyé à l’adresse de l’appelante, à Milton, en Ontario. Il concernait une entreprise à propriétaire unique dont elle avait espéré se débarrasser en septembre 2009. Cet avis a été envoyé par l’Agence du revenu du Canada depuis Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, et non depuis Surrey, en Colombie-Britannique. Il semblerait que le ministre reconnaissait son changement d’adresse, mais pas les changements importants apportés à sa situation. Cela dit, par le biais d’un avis de cotisation daté du 20 avril 2018, le ministre du Revenu national a établi une cotisation relativement à la dette fiscale nette de l’appelante pour les « périodes en cause » s’élevant à 26 717,47 $, en plus de pénalités pour défaut de production, d’intérêts sur acomptes provisionnels et d’intérêts sur des arriérés, comme il est expliqué en détail à l’annexe A ci-jointe et faisant partie de la réponse en l’espèce.

[14] Pour aggraver le tout, quelques jours plus tard, les services du registre de Colombie-Britannique ont envoyé un certificat de [traduction] « dissolution d’une entreprise à propriétaire unique », daté du 25 avril 2018, et indiquant une date de dissolution rétroactive remontant au 31 décembre 2009. Déposé en tant que pièce no 4, ce certificat a également été envoyé à son adresse à Milton, en Ontario. Il semblerait que même les services du registre de Colombie-Britannique savaient où travaillait et résidait l’appelante! Ironiquement, après que ces derniers eurent jugé approprié de dissoudre l’entreprise à propriétaire unique Varx Technology à compter du 31 décembre 2009, des mois plus tard, l’Agence du revenu du Canada de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, est entrée en jeu dans cette succession d’erreurs, soi-disant pour ultimement annuler l’inscription de cette même entité juridique à compter du 31 décembre 2017. La notion d’annulation rétroactive m’inquiétait quelque peu au départ, mais j’ai trouvé réconfort dans le jugement Hamilton Hunt Co. Ltd. c. La Reine, où notre Cour a donné effet à l’application rétroactive d’une loi [2] .

[15] Comment le ministre arrive à concilier le fait qu’une entreprise à propriétaire unique dissoute en date du 31 décembre 2009 pourrait être reconnue comme la titulaire légitime d’un numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH, de la date d’attribution de ce numéro jusqu’à son annulation officielle à compter du 31 décembre 2017, reste une énigme pour moi. Étant donné les circonstances, il n’est pas étonnant que l’appelante ait déposé un avis d’opposition le 29 mai 2018. Pour sa part, au moyen d’un avis de confirmation daté du 1er mars 2019, le ministre a confirmé la cotisation. Voilà où nous en sommes. La seule raison qui explique pourquoi cette affaire a été soumise à notre Cour, c’est que le ministre a jugé approprié d’associer le revenu tiré par l’appelante à titre de fournisseur de services pour son époux avec un ancien numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH, attribué à son entreprise à propriétaire unique Varx Technology. N’eût été cette association douteuse, il semblerait qu’elle ait eu qualité de « petit fournisseur », du moins durant un certain temps.

II. Discussion

[16] En l’espèce, la cotisation établie par le ministre est d’abord fondée sur l’hypothèse selon laquelle l’appelante était « inscrite » au registre de la TPS/TVH, son numéro d’inscription étant le 81830 4099 RT0001. Pour plus de clarté, il s’agit du numéro initialement attribué en 2009 par les services du registre de Colombie-Britannique à l’entreprise à propriétaire unique connue sous le nom de Varx Technology, et qui fait l’objet de la présente contestation. Je ne devrais pas avoir à souligner qu’il s’agit du même numéro, qui a apparemment été absorbé ou remplacé, au moment de la constitution en société de l’entreprise de l’appelante, sous le nom similaire de Varx Technology Incorporated, laquelle a reçu son propre numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH, soit le 84747 3865 RT0001. Cette transition a été effectuée en toute transparence, au su de toutes les agences. Toutes savaient que les précédentes « activités commerciales » de l’appelante concernaient l’exploitation de technologies et la fabrication de panneaux de construction. Manifestement, cela n’avait rien à voir avec des [traduction] « services de secrétariat et d’administration ».

[17] En ce qui concerne ces derniers, la raison pour laquelle le ministre a arbitrairement considéré l’appelante comme étant une « personne inscrite », en vertu de son association passée avec une entreprise à propriétaire unique qui n’existe plus et dont le numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH a récemment été annulé, reste un mystère pour moi. Pourquoi ne pas l’avoir ciblé en lien avec son association avec Varx Technology Incorporated? Sans doute était-ce là l’option la plus pratique. Plus important encore, pourquoi l’étiqueter comme une « personne inscrite » à l’égard de revenus générés dans un secteur différent de l’économie, dans un domaine différent, et dans une région du pays entièrement différente, par rapport aux renseignements fournis dans sa demande d’inscription originale en Colombie-Britannique? Lorsqu’elle a rempli ce formulaire de demande pour la première fois, elle a sûrement décrit avec suffisamment de détails quelle était son « activité commerciale principale » avec Varx Technology, de telle sorte qu’il puisse être difficile de penser qu’elle était un fournisseur indépendant de [traduction] « services de secrétariat et d’administration » travaillant en Ontario quelques années plus tard. Pour ce que cela vaut, la définition donnée au terme « inscrit » dans la Loi est presque énigmatique, alors que l’on indique simplement qu’il s’agit d’une « [p]ersonne inscrite, ou tenue de l’être ».

[18] Tout cela pour dire qu’à mon avis, ce que fait un « inscrit » pour générer des revenus a son importance, et c’est en fait ce qui définit largement son statut. La nécessité de préciser l’« activité commerciale principale » d’un inscrit n’est certes pas qu’un simple exercice académique de peu ou de moindre importance, outre le fait que ce renseignement pourrait être utile à des fins statistiques. Si la nature de l’activité commerciale est sans conséquence, alors pourquoi les fournisseurs exploitant une « entreprise de taxis » sont-ils assujettis à des dispositions spéciales aux termes du paragraphe 240(1.1) de la Loi? Si la « nature des activités » exercées a si peu de conséquence, pourquoi le paragraphe 129(3) autorise-t-il le ministre à reconnaître qu’une division ou une succursale peut être une « personne distincte » d’une inscription initiale, en ce qui a trait au statut de « petit fournisseur »? L’alinéa 129(3)a) est ainsi libellé : « la succursale ou division peut être reconnue distinctement par son emplacement ou la nature des activités qu’elle exerce ».

[19] En tirant cette conclusion, je suis conscient qu’il y a ceux qui adhèrent à la notion qu’un « inscrit » est un « inscrit », peu importe le domaine, jusqu’à l’« annulation » de son inscription, conformément au paragraphe 242(2) de la Loi. Dans une certaine mesure, c’est là l’interprétation envisagée par la Loi. Pour pouvoir avoir qualité de « petit fournisseur », l’appelante doit d’abord établir qu’elle n’était pas une « personne inscrite ». Ensuite, elle doit calculer le montant total de tous les revenus tirés des fournitures taxables de toutes ses entreprises et établir qu’il était inférieur à 30 000 $. Le cas échéant, ce calcul devrait inclure les revenus de ses « associés ». C’est sans doute de là que le ministre prétend tirer son pouvoir d’établir une cotisation à l’égard de l’appelante, en assumant que Varx Technology (une entreprise inscrite précédemment) était toujours une « associée ».

[20] Peut-être est-ce le temps de parler de cet éléphant dans la pièce. La proposition selon laquelle une « personne légale » autrefois associée à un « inscrit », dont l’entreprise a été par la suite dissoute, même si c’est rétroactivement, a toujours la responsabilité de percevoir et de verser les taxes en lien avec ses anciens numéros d’inscription au registre de la TPS/TVH me laisse perplexe. À plus forte raison, lorsque les fournitures contestées ont été générées par l’appelante dans un domaine non apparenté, à titre de fournisseur indépendant de [traduction] « services de secrétariat et d’administration ». Je ne peux imaginer les législateurs adoptant une loi en ayant en tête un objectif aussi coercitif. Interpréter les dispositions de la Loi d’une telle manière constitue à mon avis un exercice ultra vires de son pouvoir.

[21] En l’espèce, le mieux que nous puissions dire quant à la position du ministre, c’est que l’appelante était une « personne inscrite » en théorie seulement. N’eût été le manque apparent de diligence de la part des diverses agences concernées, l’appelante aurait vu sa demande d’annulation et de dissolution traitée beaucoup plus rapidement. Dans les circonstances, ce n’est qu’en raison de retards bureaucratiques sans fin qu’elle est demeurée, techniquement parlant, une « personne inscrite ». Entre-temps, pendant que le processus suivait son cours fastidieux, l’appelante a fait de profonds changements en ce qui a trait à ses activités commerciales. D’abord, elle s’est dissociée de tout procédé technologique et de fabrication, exploité auparavant au nom de Varx Technology ou de Varx Technology Incorporated. Elle est déménagée dans une autre partie du pays, dans la région de Toronto, et s’est lancée dans une toute nouvelle carrière, sans lien avec ses activités précédentes.

[22] Elle n’a pas caché le fait qu’elle fournissait des services de secrétariat, des [traduction] « services d’administration et d’autres services connexes ». Elle a immédiatement déclaré ses gains, a produit ses déclarations de revenus à l’Agence du revenu du Canada, et a payé ses impôts sur le revenu. Elle l’a fait sous son propre nom, et non au nom d’une certaine entreprise à propriétaire unique qui n’existait plus, ou à titre d’actionnaire de Varx Technology Incorporated. Essentiellement, au cours des trois exercices financiers allant de janvier 2011 au 31 décembre 2013, elle a travaillé comme « petit fournisseur », sans obligation de demander un numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH. N’eût été un excédent négligeable de 250 $ enregistré en 2014, elle aurait pu avoir à nouveau qualité de petit fournisseur. Après avoir été priée de produire ses déclarations, elle a donné satisfaction au ministre en produisant des déclarations de TPS/TVH portant qu’aucun montant de TPS/TVH n’était exigible concernant Varx Technology. Je vais développer ce point plus loin.

[23] Dans le cas en l’espèce, il est manifeste que le ministre a associé le nom de Nazma Fazal à d’anciens numéros d’inscription au registre de la TPS/TVH attribués à des entreprises qui n’existent plus, et qui portaient les noms de Varx Technology et de Varx Technology Incorporated, respectivement. Le simple bon sens dicte que ces anciennes entreprises étaient totalement sans pertinence et sans lien avec ses activités commerciales actuelles. Il semblerait que le ministre, inconscient de cette réalité, a choisi la voie facile et de moindre résistance et a établi une cotisation à son égard, lui laissant le soin de s’extirper elle-même de ce cauchemar administratif. Permettez-moi ici de répéter que le terme « inscrit » n’est pas défini à la légère. Qu’y a-t-il dans un nom, me demanderez-vous. Sans vouloir reprendre la célèbre citation de Shakespeare, un « inscrit » est beaucoup plus qu’un numéro, dans le contexte du régime de la TPS/TVH. Ce que fait un « inscrit » a son importance!

[24] Pour être clair, je reconnais que l’appelante demeurerait une « personne inscrite » au sens de la loi, à l’égard de toute activité commerciale menée dans le domaine des technologies et de la fabrication, en lien avec Varx Technology Incorporated ou l’entreprise à propriétaire unique qui l’a précédée. Toutefois, après avoir abandonné ces activités et être déménagée à l’autre bout du pays, elle a pris des mesures pour dissoudre ces entreprises et annuler toutes les inscriptions connexes au registre de la TPS/TVH. En ce qui concerne ses nouvelles activités commerciales consistant à fournir des [traduction] « services de secrétariat et d’administration » à son époux, elle n’était pas, à mon avis, une « personne inscrite » au sens de la loi. Ainsi, elle aurait dû être autorisée à faire des affaires dans son nouveau domaine, sans numéro d’inscription, à condition de répondre à la définition de « petit fournisseur » de biens ou de services.

[25] En passant, la conclusion factuelle sur laquelle repose ma décision en l’espèce est que l’appelante n’était pas une « personne inscrite » au sens de la loi. C’est ce qui permet d’établir une nette distinction entre la présente affaire et celle mentionnée dans la décision Dion c. R. [3] citée par l’intimée à l’appui de sa thèse. Dans cette affaire, l’appelante exploitait depuis des années un salon de coiffure qui comptait jusqu’à concurrence de cinq employés. En 1991, lorsqu’elle a présenté une demande d’inscription, un second numéro a été attribué à son entreprise. Avec le temps, elle a réduit la portée de ses activités, de telle sorte que son revenu ne dépassait plus 30 000 $. Selon ses souvenirs, elle avait annulé son inscription au registre et avait reçu confirmation à cet effet, lors d’un appel téléphonique. Après beaucoup de confusion et faute d’une preuve d’annulation, une exemption lui a été refusée, aux termes de l’article 166 de la Loi, compte tenu du fait qu’elle était une « personne inscrite ». Ce qui distingue cette affaire du dossier qui nous occupe, c’est que la nature de ses activités commerciales est demeurée la même, même si c’était à une plus petite échelle, et qu’elle était toujours une « personne inscrite » au sens de la loi.

[26] Cela nous ramène précisément à la cotisation établie par le ministre et aux chiffres réels invoqués dans la réponse de l’intimée, illustrée à l’annexe A. D’ailleurs, l’appelante n’a soulevé aucune objection quant à ces soi-disant chiffres de vente. Il semble que l’appelante a eu des revenus totalisant 23 400 $ en 2011, 25 632 $ en 2012, 28 779 $ en 2013, et 30 250 $ en 2014. Jusqu’ici, et n’eût été un excédent minime de 250 $ en 2014, il semble que l’appelante aurait pu avoir qualité de « petit fournisseur » puisque ces ventes n’ont jamais dépassé la somme de 30 000 $, conformément à l’alinéa 148(1)b) de la Loi.

[27] Naturellement, ce statut n’aurait pu lui être accordé que si elle n’était pas déjà une « personne inscrite », ou subsidiairement une « associée » d’une autre personne légale, et qu’aucune d’entre elles n’était associée au numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH 81830 4099 RT0001. Dans le cas qui nous occupe, on ne sait pas avec précision si le ministre entendait établir une cotisation à l’égard de Nazma Fazal en qualité de personne inscrite pour son propre compte, ou en tant qu’associée de Varx Technology, une entreprise à propriétaire unique maintenant disparue, en date du 31 décembre 2009. À mon avis, vu ma décision concernant ce qui constitue une « personne inscrite » cela importe peu en l’espèce.

[28] Pour les raisons qui précèdent, je juge que Nazma Fazal était au mieux une « personne inscrite » en théorie seulement, mais pas en pratique au sens de la loi, en ce qui nous concerne dans les présentes circonstances. Si, d’un autre côté, le ministre s’appuyait sur son association avec Varx Technology, cette entité n’existait plus, quoique rétroactivement en date du 31 décembre 2019, et il est possible que le ministre n’ait pas été au courant de cela au moment d’établir sa cotisation le 20 avril 2018. Comme je l’ai laissé entendre précédemment, je trouve difficile d’admettre qu’un numéro d’inscription au registre de la TPS/TVH puisse survivre à la dissolution de son détenteur désigné. D’après ce que m’ont enseigné mes professeurs de mathématiques à l’école primaire, zéro multiplié par n’importe quel nombre donne inévitablement zéro! Ainsi, si Varx Technology n’existait plus, une association avec cette entité était impossible! Puisqu’il n’y avait aucune association entre Varx Technology et les revenus contestés générés par l’appelante, cette dernière était maintenant, sur une certaine période, un « petit fournisseur ».

[29] Cela nous ramène aux chiffres de vente restants de 48 618 $ pour l’année 2015 et de 48 840 $ pour l’année 2016, respectivement. En ce qui concerne ces deux « périodes en cause », je juge que le ministre avait raison d’établir la cotisation. Toutefois, à cet égard, la responsabilité de l’appelante ne découle pas d’un précédent statut comme « personne inscrite », ni d’une « association » alléguée avec les défuntes entreprises Varx Technology. Comme ses recettes pour ces périodes dépassaient le seuil de 30 000 $, seuil qui, précédemment, lui avait permis d’obtenir le statut de « petit fournisseur », elle est maintenant considérée comme une « personne inscrite » au sens de la loi. Puisqu’elle a excédé ladite limite, elle était tenue de demander un numéro d’inscription pour son propre compte et, par la suite, de percevoir et de verser les taxes sur les revenus générés.

[30] Lorsqu’on l’a informée de ce seuil de 30 000 $ à l’instruction de l’instance, et des conséquences liées au dépassement de ce seuil, l’appelante a expliqué que ses conseillers financiers ne l’avaient pas informée de cette éventualité. Il est bien établi qu’un contribuable ne peut se protéger des effets des dispositions de la loi en blâmant ses conseillers financiers. Il existe une série d’affaires exposant ce fondement [4] . Il est également acquis d’affirmer que ce tribunal n’est pas une cour d’equity ayant compétence pour examiner les décisions discrétionnaires du ministre. En ce qui concerne la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, pour laquelle j’ai souligné un excédent négligeable de 250 $, j’invite le ministre à exercer son pouvoir discrétionnaire et à faire preuve d’une certaine clémence à l’égard de l’appelante. Peut-être pourrait-il trouver un moyen de lui accorder le statut de « petit fournisseur », conformément à l’alinéa 148(1)b) de la Loi.

III. Décision

[31] Pour toutes ces raisons, l’appel visant la cotisation relative à la taxe sur les produits et services établie en application de la Loi sur la taxe d’accise est accueilli sans dépens, en ce qui concerne les « périodes en cause » allant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013 inclusivement. En ce qui concerne la « période en cause » allant du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, l’appel est rejeté sans dépens, mais avec la recommandation que le ministre exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré pour accorder à l’appelante une exonération à titre de « petit fournisseur », s’il juge juste et approprié de le faire.

[32] En ce qui concerne les « périodes en cause » s’étendant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2016, l’appel est également rejeté sans dépens. Par conséquent, la cotisation est renvoyée au ministre du Revenu national aux fins d’un nouvel examen et d’une nouvelle cotisation relativement à la dette fiscale nette, aux pénalités pour défaut de production d’une déclaration, aux intérêts sur acomptes provisionnels et aux arriérés d’intérêts jugés appropriés compte tenu du présent jugement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de décembre 2020.

« Robert R. Fournier »

Le juge suppléant Fournier


RÉFÉRENCE :

2020 CCI 137

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-1980(GST)I

INTITULÉ :

NAZMA FAZAL c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Hamilton (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge suppléant Robert N. Fournier

DATE DU JUGEMENT :

Le 16 décembre 2020

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

Selman Qadri

Avocate de l’intimée :

Me Acinkoj Magok

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

S.O.

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Deschamps c. La Reine, 2014 CCI 181; [2014] G.S.T.C. 77; 2014 CCI 181, par. 5.

[2] Voir Hamilton Hunt Co. Ltd. c. La Reine, [1999] A.C.I. no 860, par. 5.

[3] Dion c. R., [2002] G.S.T.C. 96, 2004 G.T.C. 95, [2003] G.S.T.C. 181 (Cour canadienne de l’impôt – procédure informelle).

[4] Nesbitt v. The Queen 96 D.T.C. 6045; College Park Motors Ltd. c. La Reine [2009] A.C.I. no 316, par. 13.

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