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Dossier : 2016-445(IT)G

ENTRE :

BANQUE DE MONTRÉAL

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Requête tranchée par voie d’observations écrites

Devant : L’honorable juge David E. Graham


Participants :

Avocats de l’appelante :

Me Martha MacDonald

Me Jerald Wortsman

Me Patrick Reynaud

Avocates de l’intimée :

Me Natalie Goulard

Me Sara Jahanbakhsh

Me Marie-France Camiré

 

ORDONNANCE

Conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints, la somme forfaitaire de 870 595,12 $ est accordée à l’appelante.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2021.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2021 CCI 3

Date : 20210203

Dossier : 2016-445(IT)G

ENTRE :

BANQUE DE MONTRÉAL

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Graham

[1] Le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l’égard de la Banque de Montréal (« BMO ») en utilisant la règle générale antiévitement (la « RGAÉ »). BMO a interjeté appel de la nouvelle cotisation. Dans le jugement que j’ai rendu le 12 septembre 2018, j’ai accueilli l’appel de BMO, avec dépens [1] . L’intimée a interjeté appel de ma décision devant la Cour d’appel fédérale. Cet appel a été rejeté [2] .

A. Offre de règlement et dépens indemnitaires substantiels

[2] BMO a présenté une offre de règlement le 30 janvier 2018 (l’« offre de règlement »). BMO a obtenu un jugement plus favorable que les conditions prévues par l’offre de règlement. Il n'est pas controversé entre les parties que l’offre de règlement était conforme aux exigences énoncées aux paragraphes 147(3.1) et (3.3) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) [3] . Par conséquent, il n'est pas controversé entre les parties que BMO a droit à des dépens indemnitaires substantiels après le 30 janvier 2018, ventilés de la façon suivante :

  • a) dépens indemnitaires substantiels de 450 068,56 $;

  • b) remboursement des débours de 80 781,67 $;

  • c) remboursement de la TVH non recouvrable de 69 036,52 $.

B. Dépens toujours controversés

[3] Les parties défendent des positions différentes en ce qui concerne les frais engagés par BMO avant l’offre de règlement. BMO soutient qu’elle a droit à des dépens majorés équivalents à 75 % des frais qu’elle a réellement engagés en plus du remboursement de la TVH non recouvrable associée à ces frais. L’intimée fait valoir que BMO ne devrait recevoir que les dépens établis conformément au tarif [4] .

[4] Le libellé général du paragraphe 147(3.1) va dans le sens de la thèse de l’intimée. Il énonce qu’une partie qui reçoit des dépens indemnitaires substantiels à la suite d’une offre de règlement a droit aux dépens entre parties jusqu’à la date de signification de l’offre de règlement. Ce paragraphe est libellé ainsi :

Sauf directive contraire de la Cour, lorsque l’appelant fait une offre de règlement et qu’il obtient un jugement qui est au moins aussi favorable que l’offre de règlement, l’appelant a droit aux dépens entre parties jusqu’à la date de la signification de l’offre et, après cette date, aux dépens indemnitaires substantiels que fixe la Cour, plus les débours raisonnables et les taxes applicables.

[Non souligné dans l’original.]

[5] Cela dit, d’après le préambule du paragraphe, la Cour conserve son pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens différents. Comme l’a fait remarquer le juge Owen dans la décision Sun Life du Canada, compagnie d’assurance-vie c. La Reine, « [...] la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels sont les dépens indemnitaires substantiels dans chaque cas et le pouvoir discrétionnaire de passer outre à la règle supplétive si la Cour est d’avis que les circonstances le justifient. Les aspects discrétionnaires de la règle s’accordent avec le principe général selon lequel l’adjudication des dépens “est un exemple typique d’une décision discrétionnaire” » [5] .

[6] Les règles en matière d’offre de règlement n’ont pas été conçues que pour encourager un règlement, mais précisément pour encourager les règlements rapides, idéalement avant le début de l’audience [6] . Le fait d’accorder des dépens indemnitaires substantiels incite les parties à parvenir à un règlement rapidement, en garantissant l’octroi de dépens élevés pour tous les frais engagés après la date de présentation de l’offre. Le paragraphe 147(3.3) vise à ce que des offres soient présentées rapidement en disposant que, pour avoir droit aux dépens indemnitaires substantiels, l'offre doit être présentée au moins 90 jours avant l’audience et ne doit pas expirer plus tôt que 30 jours avant l’audience.

[7] Toutefois, dans certaines circonstances, limiter une partie aux dépens prévus au tarif pour tous les frais engagés avant la présentation d’une offre de règlement pourrait aller à l’encontre des objectifs des règles en matière de règlement. La partie qui a présenté une offre dans les délais prescrits trouverait un avantage à avoir présenté l’offre, mais en même temps, ne pas avoir présenté l’offre plus tôt constituerait un désavantage. Cela pourrait en fait décourager les parties de présenter des offres de règlement plus de 90 jours avant leur audience puisque les dépens élevés qu’elles pourraient se voir accorder après la présentation de l’offre pourraient l’emporter sur les dépens moins élevés prévus au tarif qu’elles seraient forcées d’accepter pour le travail effectué avant la présentation de l’offre. Confrontées à ce dilemme, les parties pourraient choisir de ne pas présenter d’offre ou d’attendre l’expiration des délais prévus au paragraphe 147(3.3) avant d’en présenter une, ce qui est tout à fait contraire aux objectifs mêmes des règles.

[8] La présente espèce est un parfait exemple de ce dilemme. Si BMO n’avait jamais présenté d’offre, j’aurais adjugé des dépens de 436 469,93 $ au titre des frais juridiques, soit 35 % des frais que BMO a réellement engagés. L’intimée ne m’a pas communiqué le calcul des dépens établis selon le tarif, donc, par souci de simplicité, je présumerai qu’ils se seraient élevés à environ 3 000 $. Ainsi, si je retenais la thèse de l’intimée, BMO aurait reçu un total de 453 068 $ au titre des frais juridiques [7] . Cette somme ne représenterait que 16 598,63 $ de plus que la somme que j’aurais accordée en l’absence de l’offre de règlement. Si j’avais adjugé des dépens au titre des frais juridiques équivalents à 37 % des frais que BMO a réellement engagés, elle aurait été dans une situation moins avantageuse en raison de son offre de règlement. Une telle issue irait totalement à l’encontre de l’objet des règles en matière d’offre de règlement.

[9] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que, même si, au paragraphe 147(3.1), le tarif est le point de départ des dépens préalables à l’offre, lorsque les circonstances le justifient, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’adjuger de tels dépens au lieu des dépens prévus au tarif.

C. Facteurs énoncés au paragraphe 147(3)

[10] Dans la décision Sun Life, le juge Owen a insisté sur le fait que le pouvoir discrétionnaire de passer outre aux règles supplétives relatives aux dépens en matière d’offre de règlement doit être exercé selon les principes établis [8] . Il n'est pas controversé entre les parties que les facteurs dont je dois tenir compte pour décider si je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire sont ceux énoncés au paragraphe 147(3).

Issue de l’instance

[11] Comme je l’ai signalé dans la décision Lux Operating Limited Partnership c. La Reine [9] :

Le résultat d’une instance peut influer sur les dépens de deux façons. Le niveau général de gain de cause d’une partie est un facteur important pour déterminer si les dépens devraient être adjugés à une partie. Lorsqu’un tribunal décide d’adjuger des dépens à une partie, le niveau général de gain de cause de la partie peut également servir de facteur pour déterminer le montant de ces dépens.

[TRADUCTION] 10. À mon avis, au moment de déterminer le montant des dépens à adjuger, l’issue de l’instance n’est qu’un facteur approprié à prendre en considération s’il est possible qu’une partie ait eu partiellement gain de cause dans l’instance. Lorsqu’une instance porte sur différentes questions et qu’une partie a eu gain de cause à l’égard de toutes ces questions, cette situation militera en faveur d’un montant plus élevé de dépens. Si une instance porte sur différentes questions et qu’une partie obtient gain de cause sur seulement une partie de ces questions, le degré général du gain de cause de cette partie entrera en ligne de compte au moment de déterminer le montant des dépens. Si une instance porte sur une seule question litigieuse pour laquelle il existe plusieurs issues possibles (p. ex., une question d’évaluation), le degré du gain de cause d’une partie sur cette question sera pertinent par rapport au montant des dépens. Cependant, lorsque le seul choix qui s’offre à la Cour est de trancher entre l’une ou l’autre des positions, sans pouvoir donner partiellement gain de cause à l’autre partie, le fait qu’une partie ait obtenu gain de cause par rapport à cette question ne devrait pas, à mon avis, influer sur le montant des dépens adjugés. La partie a obtenu gain de cause. Ce gain de cause n’a pas été de plus grande ou de moindre ampleur que ce que la partie aurait pu espérer obtenir; par conséquent, ce facteur n’exerce aucune influence sur le montant des dépens.

[12] BMO a interjeté appel à l’égard d’une question sans zone grise. La RGAÉ s’appliquait ou ne s’appliquait pas. Bien qu’il y ait eu plusieurs questions accessoires, en fin de compte, le gain de cause de BMO n’a pas été de plus grande ou de moindre ampleur que ce qu’elle aurait pu espérer. J’ai adjugé les dépens à BMO parce qu’elle a eu gain de cause. Ce gain de cause n’est pas, en lui-même, un facteur qui favorise l’adjudication de dépens majorés. Je n’accorde donc aucun poids à ce facteur.

Somme en cause

[13] L’appel portait sur le refus des 287 766 503 $ déclaré à titre de pertes en capital. Il s’agit d’une somme importante qui milite en faveur de dépens plus élevés.

Importance des questions en litige

[14] BMO a obtenu gain de cause sur la question de l’interprétation qu’il convient de donner à la version antérieure du paragraphe 39(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce texte a été modifié en 2013. Ainsi, l’appel n’a pas fait évoluer l’état actuel du droit. La question n’en était pas une d’intérêt général. Bien que l’issue ait pu avoir une incidence sur d’autres sociétés qui utilisaient des structures semblables au cours des années en question, je n’ai pas été saisi d’éléments de preuve portant sur le nombre de cas touchés.

[15] Par ailleurs, l’appel portait sur plusieurs questions. Si notre Cour avait dû se prononcer sur la question de l’abus, elle aurait pu faire évoluer le droit, ce qui aurait probablement été d’un plus grand intérêt pour le public.

[16] Dans l’ensemble, je conclus que ce facteur milite en faveur de dépens légèrement plus élevés.

Complexité des questions en litige

[17] Les questions en litige dans l’appel étaient complexes. Cela milite en faveur de dépens plus élevés.

Charge de travail

[18] La charge de travail était importante. Normalement, ce facteur militerait en faveur de dépens plus élevés. Cependant, dans une instance comme le présent appel où la charge de travail dépend directement de la complexité des questions en litige, j’estime qu’il est inapproprié de compter le même facteur deux fois dans l’adjudication des dépens. Si la charge de travail avait été élevée pour quelque autre raison (p. ex. la nécessité d’examiner des documents volumineux ou de traiter de nombreuses années d’imposition, dont chacune découle de cadres factuels différents), j’aurais accordé plus de poids à la charge de travail. Toutefois, dans les circonstances, je n’accorde aucun poids à ce facteur.

Offres de règlement

[19] L’offre de règlement a déjà fait en sorte que BMO reçoive des dépens indemnitaires substantiels. Je suis d’avis que ce facteur ne doit pas être examiné de nouveau dans l’adjudication de dépens préalables à l’offre. J’adjuge les dépens à l’égard de la période au cours de laquelle l’offre de règlement n’avait pas encore été présentée. Je ne vois pas quelle pertinence cela pourrait avoir.

Conduite d’une partie ayant eu une incidence sur la durée de l’instance

[20] Aucun élément de preuve ne me permet de conclure que la conduite de l’une ou l’autre des parties a eu une incidence sur la durée de l’instance.

[21] Au contraire, j’aimerais faire certaines remarques sur la façon très efficace dont l’appel est passé à l’étape de l’audience. BMO a déposé son avis d’appel au début de 2016. Malgré les sommes considérables en cause et la complexité des questions en litige, l’instance s’est déroulée de manière ordonnée sans l’intervention de la Cour ou la participation d’un juge chargé de la gestion de l’instance. En moins de 18 mois, les parties étaient prêtes à ce que l’affaire soit inscrite au rôle. À une époque où trop d’appels s’enlisent pendant des années dans ce qui trop souvent semble être des querelles procédurales inutiles, le présent appel sert d’exemple sur la façon dont une instance peut être menée efficacement. Il convient de féliciter les avocats pour la façon dont l’appel s’est déroulé.

[22] L’intimée soutient que la conduite des parties plaide en faveur de l’octroi de dépens moins élevés. Je rejette cette thèse. Si l’intimée s’était conduite de façon remarquable et que ce n’avait pas été le cas pour BMO, cela aurait certainement milité en faveur de dépens moins élevés. Cependant, lorsque les deux parties se conduisent de façon irréprochable, ce facteur n’a aucune incidence sur l’octroi de dépens plus élevés pour récompenser la partie qui a gain de cause de sa bonne conduite ni sur l’octroi de dépens moins élevés pour récompenser la conduite de la partie déboutée. Le déroulement efficace de l’instance est une récompense en soi. Les deux parties ont gain de cause en ce qu’elles réduisent leurs propres dépens.

Dénégation d’un fait ou refus de l’admettre

[23] Rien n’indique que l’une ou l’autre des parties ait nié ou refusé d’admettre quoi que ce soit qui aurait dû être admis.

Étapes inappropriées, vexatoires ou inutiles

[24] Aucun élément de preuve n’indique qu’une étape quelconque de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile.

Étapes accomplies de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection

[25] Rien n’indique qu’une étape quelconque de l’instance a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection.

Déposition justifiée des témoins experts

[26] Les dépens et débours associés au témoin expert de BMO ont déjà fait l’objet d’une entente entre les parties. Il ne s’agit pas d’un facteur pertinent en ce qui concerne les dépens préalables à l’offre.

Autres questions pertinentes

[27] Je ne vois aucune autre question pouvant influer sur le calcul des dépens.

Résumé

[28] Dans l’ensemble, compte tenu de tous les facteurs susmentionnés, et plus précisément la complexité des questions en litige et le montant en cause, j’accorde à BMO des dépens préalables à l’offre de 239 564,93 $, soit 35 % des frais de 684 471,24 $ qu’elle a réellement engagés. J’accorde également à BMO des dépens de 31 143,44 $ pour la TVH non recouvrable qui y est rattachée.

D. Dépens relatifs aux observations sur les dépens

[29] Aucuns dépens ne sont adjugés à l’une ou l’autre des parties à l’égard de ses observations sur les dépens.

E. Conclusion

[30] Compte tenu de tout ce qui précède, la somme forfaitaire de 870 595,12 $ est accordée à BMO [10] .


Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de février 2021.

« David E. Graham »

Le juge Graham

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 3

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-445(IT)G

INTITULÉ :

BANQUE DE MONTRÉAL c. SA MAJESTÉ LA REINE

DATE DE l’AUDIENCE :

Requête tranchée par voie d’observations écrites

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PAR :

L’honorable juge David E. Graham

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 3 février 2021

PARTICIPANTS :

Avocats de l’appelante :

Me Martha MacDonald

Me Jerald Wortsman

Me Patrick Reynaud

Avocates de l’intimée :

Me Natalie Goulard

Me Sara Jahanbakhsh

Me Marie-France Camiré

AVOCATS INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Martha MacDonald

Me Jerald Wortsman

Cabinet :

Torys LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1] 2018 CCI 187.

[2] 2020 CAF 82.

[3] Comme les parties se sont entendues sur ces points, je ne les ai pas examinés.

[4] Tarif B de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

[5] 2015 CCI 171, par. 9 [renvois omis].

[6] Directive sur la procédure no 17 – Règles et modifications proposées relatives aux offres de règlement aux causes types et aux conférences dans le cadre du processus d’appel (13 janvier 2010) et Avis au public et à la communauté juridique (13 janvier 2010), par. 5.

[7] Dépens indemnitaires substantiels de 450 068 $ plus 3 000 $ au titre des dépens prévus au tarif.

[8] Sun Life, par. 10.

[9] 2018 CCI 214, par. 9 et 10.

[10] Dépens indemnitaires substantiels de 450 068,56 $ + débours de 80 781,67 $ + TVH non recouvrable de 69 036,52 $ en lien avec les dépens indemnitaires substantiels + dépens préalables à l’offre de 239 564,93 $ + TVH non recouvrable de 31 143,44 $ en lien avec les dépens préalables à l’offre.

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