Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier : 2019-2529(EI)

ENTRE :

MED EXPRESS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

 

Appel entendu les 8 et 9 octobre 2020, à Québec (Québec)

Observations écrites présentées par l’appelante les 28 octobre 2020 et 20 novembre 2020 et par l’intimé le 13 novembre 2020

Devant : L’honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Avocats de l’appelante :

Me Guy Dussault

Me Véronique Aubé

Avocat de l’intimé :

Me Renaud Fioramore-Beaulieu

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi ») est accueilli, sans frais, et la décision du ministre du Revenu national datée du 2 avril 2019 est modifiée, compte tenu que M. Le n’occupait pas un emploi assurable en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi pendant la période du 1er janvier 2017 au 17 janvier 2018.

Signé à Ottawa (Canada), ce 22e jour de février 2021.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


Référence : 2021 CCI 8

Date : 20210222

Dossier : 2019-2529(EI)

ENTRE :

MED EXPRESS INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

I - LE CONTEXTE

[1] Med Express inc. (l’« appelante ») interjette appel de la décision du ministre du Revenu national (le « ministre ») datée du 2 avril 2019 selon laquelle M. Kim Le était un employé de l’appelante et occupait donc auprès de cette dernière, pour la période du 1er janvier 2017 au 17 janvier 2018 (la « période »), un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi »).

[2] L’appelante est une société fournissant des services de messagerie spécialisés principalement en transport médical (transport de prélèvements sanguins, de narcotiques, de chariots alimentaires, de médicaments pour pharmacies, et transports entre hôpitaux, cliniques médicales et CHSLD) depuis 1992. De plus, elle offre des services de gestion de courrier, d’entreposage et de logistique. L’appelante est une entreprise de compétence fédérale à laquelle s’applique le Code canadien du travail (L.R.C. (1985), ch. L-2).

[3] M. Le, en tant que chauffeur propriétaire travaillant pour l’appelante dans la ville de Québec, était membre des Teamsters Québec Local 1999 (F.T.Q.) (les « Teamsters ») au cours de la période. Une convention collective datée du 23 juillet 2015 et signée par l’appelante et les Teamsters (la « convention collective ») régissait les conditions de travail de M. Le auprès de l’appelante. La convention collective prévoyait que M. Le était un « entrepreneur dépendant » au sens du Code canadien du travail. De plus, M. Le et l’appelante avaient signé une convention [de] service de messagerie en sous-traitance datée du 24 mars 2016 (la « convention de messagerie »), qui était en vigueur au cours de la période, identique à celle jointe à la convention collective (Addenda A).

[4] En plus de M. Le, M. Stéphane Boudreau, directeur général de l’appelante, a témoigné à l’audience. Il s’est joint à l’entreprise en 1998, lorsqu’il a commencé à y travailler pendant ses études. En 2004, il a occupé un poste à temps plein pendant ses études universitaires pour obtenir son titre de CMA. Depuis 2004, il travaille dans les bureaux de l’appelante.

[5] M. Sylvain Lacroix, permanent syndical des Teamsters depuis 2016, a également témoigné à l’audience.

[6] Dans ces motifs, j’emploierai l’expression « travailleur autonome » ou « entrepreneur indépendant » pour désigner la même réalité.

II - LA QUESTION EN LITIGE

[7] La question en litige est de savoir si M. Le occupait auprès de l’appelante un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi au cours de la période.

III - LES THÈSES DES PARTIES

[8] Selon l’appelante, au cours de la période, M. Le n’occupait pas un emploi assurable auprès de l’appelante, puisque M. Le et l’appelante étaient liés par un contrat de service et non par un contrat de travail. En effet, l’intention des parties de conclure un tel contrat de service était claire. De plus, il n’y avait aucun lien de subordination juridique entre eux.

[9] Selon l’intimé, au cours de la période, M. Le occupait un emploi assurable auprès de l’appelante, puisque M. Le et l’appelante étaient liés par un contrat de travail. En effet, les faits démontrent une réelle subordination juridique entre M. Le et l’appelante, tels l’impossibilité pour M. Le de refuser une demande de l’appelante, l’obligation pour M. Le d’obtenir une autorisation de l’appelante avant de pouvoir quitter pour la journée ou de prendre des vacances, et l’exercice par l’appelante de pouvoirs disciplinaires envers M. Le. De plus, puisque M. Le était indifférent quant à la qualification du type de relation qu’il avait avec l’appelante, il n’est pas possible d’établir l’intention commune des parties.

IV - LE CADRE JURIDIQUE

[10] L’article 5 de la Loi prévoit expressément ce qu’est un emploi assurable en incluant dans la définition de cette expression un emploi exercé aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage :

5(1) Sens de emploi assurable Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l’employé reçoive sa rémunération de l’employeur ou d’une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

[…]

5(1) Types of insurable employment — Subject to subsection (2), insurable employment is

(a) employment in Canada by one or more employers, under any express or implied contract of service or apprenticeship, written or oral, whether the earnings of the employed person are received from the employer or some other person and whether the earnings are calculated by time or by the piece, or partly by time and partly by the piece, or otherwise;

. . .

[Non souligné dans l’original.]

Rien dans la Loi ne définit ce que constitue un « contrat de louage de services ».

[11] Puisque les faits dans la présente affaire se sont déroulés au Québec, nous devons faire l’analyse de la relation entre M. Le et l’appelante au regard du droit privé applicable au Québec.

[12] Ainsi, il faut appliquer les critères énoncés au Code civil du Québec (le « C.c.Q. ») pour déterminer si l’on est en présence d’un contrat de louage de services (ou contrat de travail) ou d’un contrat d’entreprise ou de service. La juge Desjardins s’exprime ainsi à ce sujet dans l’arrêt NCJ Educational Services Limited c. M.R.N., 2009 CAF 131 :

[49] Comme l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi ne contient aucune définition du contrat de louage de services, on doit se référer au principe de complémentarité consacré à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui indique qu’il faut appliquer les critères prévus par le Code civil du Québec pour décider si un ensemble de faits déterminé crée un contrat de travail. […]

[13] Le fait que M. Le soit considéré comme un « entrepreneur dépendant » au sens du Code canadien du travail et que l’appelante soit une entreprise de compétence fédérale à laquelle s’applique le Code canadien du travail ne viennent pas modifier cette conclusion. En effet, je dois déterminer si cet entrepreneur dépendant au sens du Code canadien du travail est lié à l’appelante en vertu d’un contrat de travail ou d’un contrat de service au sens du C.c.Q.

[14] Même si un entrepreneur dépendant, tel M. Le, est assimilé à un employé au sens du Code canadien du travail (paragraphe 3(1)), cela ne veut pas nécessairement dire qu’il sera considéré comme un employé au sens du C.c.Q. (DHL Express (Canada) Ltd c. Le Ministre du Revenu national, 2005 CCI 178, paragraphe 32). Les dispositions du Code canadien du travail permettent en effet aux entrepreneurs dépendants de se syndiquer et d’être régis par une convention collective, telle la convention collective applicable en l’espèce.

[15] Également, le Code canadien du travail inclut dans la définition de l’expression « entrepreneur dépendant » « la personne qui exécute, qu’elle soit employée ou non en vertu d’un contrat de travail, un ouvrage ou des services pour le compte d’une autre personne selon des modalités telles qu’elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière et dans l’obligation d’accomplir des tâches pour elle » (alinéa 3(1)c) - définition d’ « entrepreneur dépendant »). Ainsi, le Code canadien du travail prévoit la possibilité qu’une convention collective régisse les relations entre des entrepreneurs dépendants et une entreprise les ayant engagés en vertu d’un contrat de service au sens du C.c.Q. (Dynamex Canada Corp. c. Le Ministre du Revenu national, 2008 CCI 71, au paragraphe 12).

[16] Les dispositions pertinentes du C.c.Q. sont les articles 2085 et 2086 pour ce qui est du contrat de travail et les articles 2098, 2099 et 2101 pour ce qui est du contrat d’entreprise ou de service :

2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.

2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.

[…]

2085. A contract of employment is a contract by which a person, the employee, undertakes, for a limited time and for remuneration, to do work under the direction or control of another person, the employer.

2086. A contract of employment is for a fixed term or an indeterminate term.

. . .

2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

2099. L’entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d’exécution du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[…]

2098. A contract of enterprise or for services is a contract by which a person, the contractor or the provider of services, as the case may be, undertakes to another person, the client, to carry out physical or intellectual work or to supply a service, for a price which the client binds himself to pay to him.

2099. The contractor or the provider of services is free to choose the means of performing the contract and, with respect to such performance, no relationship of subordination exists between the contractor or the provider of services and the client.

. . .

2101. À moins que le contrat n’ait été conclu en considération de ses qualités personnelles ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, l’entrepreneur ou le prestataire de services peut s’adjoindre un tiers pour l’exécuter; il conserve néanmoins la direction et la responsabilité de l’exécution.

2101. Unless a contract has been entered into in view of his personal qualities or unless the very nature of the contract prevents it, the contractor or the provider of services may obtain the assistance of a third person to perform the contract, but its performance remains under his supervision and responsibility.

[Non souligné dans l’original.]

[17] Ainsi, pour qu’il y ait contrat de louage de services au sens de la Loi (ou contrat de travail au sens du C.c.Q.), les trois éléments suivants doivent être réunis (9041-6868 Québec inc. c. M.R.N., 2005 CAF 334 [arrêt 9041-6868 Québec], paragraphe 11), soit :

  1. Une prestation de travail;

  2. Une rémunération;

  3. Un lien de subordination.

[18] Le lien de subordination (ou le critère de la direction et du contrôle) est l’élément déterminant qui distingue un contrat de travail d’un contrat de service en droit québécois.

[19] Dans l’analyse qui doit être faite, il faut également tenir compte des articles 1425 et 1426 du C.c.Q., qui prévoient que l’intention commune des parties doit être recherchée :

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages.

1425. The common intention of the parties rather than adherence to the literal meaning of the words shall be sought in interpreting a contract.

1426. In interpreting a contract, the nature of the contract, the circumstances in which it was formed, the interpretation which has already been given to it by the parties or which it may have received, and usage, are all taken into account.

[20] Dans l’arrêt Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, [2009] 4 RCF 592 [arrêt Grimard] (paragraphe 43), la Cour d’appel fédérale a précisé qu’il n’est pas erroné de s’inspirer des critères établis par la common law dans l’analyse de la nature juridique de la relation de travail (soit la propriété des outils, l’expectative de profits et les risques de pertes, ainsi que l’intégration dans l’entreprise), et ce, afin de déterminer l’existence d’un lien de subordination, indépendamment du fait que l’on doive statuer en vertu du régime du droit civil québécois. Ces critères pris isolément ne seront pas nécessairement déterminants et ne seront que des indices à considérer afin de déterminer l’existence d’un tel lien (paragraphe 42).

[21] Ainsi, le critère de la direction et du contrôle demeure, en droit québécois, l’élément déterminant (arrêt 9041-6868 Québec, paragraphe 12). Dans cet arrêt, le juge Décary a cité avec approbation des extraits du livre de Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, Éditions Yvon Blais, 2003, 5e édition (pages 66 et 67) :

En pratique, on recherchera la présence d’un certain nombre d’indices d’encadrement, d’ailleurs susceptibles de varier selon les contextes : présence obligatoire à un lieu de travail, assignation plus ou moins régulière du travail, imposition de règles de conduite ou de comportement, exigence de rapports d’activité, contrôle de la quantité ou de la qualité de la prestation, etc. (paragraphe 11)

[22] Dans l’arrêt Dicom Express inc. c. Claude Paiement, 2009 QCCA 611 [arrêt Paiement], la Cour d’appel du Québec a indiqué que la notion de subordination juridique se définit difficilement, et « […] contient l’idée d’une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements » (paragraphes 16 et 17).

[23] Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec a aussi indiqué qu’il ne fallait pas confondre la subordination juridique et la dépendance économique, et elle ajoute :

16 […] Le fait de n’être lié qu’à un seul client qui impose certains devoirs ou obligations au regard de standards de qualité de service, fixe le prix du produit ou dicte certaines normes de publicité, ne signifie pas pour autant et nécessairement qu’il y a subordination juridique. Inversement, la subordination juridique inclut une dépendance économique.

[24] Également, tel que l’a précisé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Grimard (paragraphe 67), le juge qui doit répondre à la question du statut d’un travailleur doit « […] rechercher et déterminer la nature juridique de la relation globale que les parties entretenaient entre elles dans un monde du travail en pleine évolution […] ».

[25] Plus récemment, la Cour suprême du Canada a indiqué, dans l’arrêt Modern Concept d’entretien inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics de la région de Québec, 2019 CSC 28 (paragraphes 36, 37, 44 et 57), que, pour qu’une personne ait la qualité d’entrepreneur indépendant, elle doit avoir assumé les risques d’entreprise, c’est-à-dire qu’elle doit être capable d’organiser son entreprise en vue de réaliser un profit. Une analyse factuelle et contextuelle de chaque cas doit être faite; il faut aller au-delà du contrat liant les parties pour déterminer la nature véritable de leur relation.

[26] Dans un premier temps, l’intention subjective de chacune des parties à la relation doit être établie. Ainsi, la Cour doit rechercher la commune intention des parties, le cas échéant, et, ce faisant, elle doit tenir compte des circonstances dans lesquelles le contrat a été conclu ainsi que des usages (art. 1426 C.c.Q.).

[27] Par la suite, la Cour doit déterminer si la réalité objective confirme cette intention subjective de conclure soit un contrat de travail, soit un contrat d’entreprise ou de service. En effet, la jurisprudence a indiqué à maintes reprises que la caractérisation de la relation entre les parties n’est pas nécessairement déterminante quant à la nature du contrat les liant (D&J Driveway inc. c. M.R.N., 2003 CAF 453, paragraphe 2, arrêt Grimard, paragraphe 33). Ainsi, par exemple, si le comportement des parties n’est pas conforme au contrat se voulant créateur d’une relation d’entrepreneur indépendant ou encore, si la preuve démontre l’existence d’un lien de subordination entre les parties, la relation serait plutôt une relation d’employeur-employé. C’est à cette étape qu’il faut déterminer si un lien de subordination juridique existe entre les parties à la relation.

V - L’ANALYSE

[28] En l’espèce, les parties ne contestent pas le fait que M. Le a fourni une prestation de travail et a reçu une rémunération. Ces deux premiers éléments constitutifs d’un contrat de travail ne sont donc pas en litige. C’est plutôt le troisième et dernier des éléments constitutifs d’un contrat de travail, soit l’existence d’un lien de subordination juridique (critère de la direction et du contrôle), qui est en litige.

[29] Avant d’aborder cette analyse, la Cour doit évaluer les circonstances dans lesquelles la relation entre les parties s’est créée et s’est développée ainsi que les usages.

[30] L’évaluation doit tenir compte du Code canadien du travail assimilant l’entrepreneur dépendant à un employé. Également, il faut prendre en compte le fait que l’appelante a conclu des contrats avec ses propres clients pour offrir les services de messagerie. En effet, la preuve a démontré que les clients qui reçoivent des services de messagerie ne sont pas les clients de M. Le dans le cadre de cette relation, mais plutôt les clients de l’appelante. Cette dernière s’est engagée par contrat à s’acquitter de ses obligations spécifiques envers ses propres clients et est donc responsable du service à la clientèle.

[31] Les clients de l’appelante sont principalement des clients institutionnels dans le domaine médical. Dans ce domaine, l’attribution des contrats à l’appelante se fait par le biais de soumissions. Ainsi, selon M. Boudreau, les devis de soumissions détaillent les obligations que l’appelante doit acquitter, tels le respect des exigences de circulation dans les établissements, le transport et les délais, le port de l’uniforme et d’une carte d’identité, etc. L’appelante doit également fournir des services le soir et la nuit, compte tenu des services requis dans le domaine médical tels ceux d’Héma‑Québec. L’appelante compte également des clients dans le domaine commercial industriel. L’appelante reçoit environ 2000 appels de service au cours des heures normales de travail le jour, environ 30 à 35 appels le soir, et entre 2 et 5 appels la nuit.

[32] En 2017-2018, l’appelante comptait environ 200 chauffeurs propriétaires fournissant leur propre véhicule, dans les trois succursales basées à Québec, Trois‑Rivières et Laval. Pour la succursale de Québec, l’appelante compte environ 30 à 35 chauffeurs propriétaires. Les services d’environ 25 chauffeurs propriétaires sont requis quotidiennement à la succursale de Québec afin de répondre aux besoins des clients de l’appelante. L’appelante compte également certains employés de bureau, incluant des répartiteurs et des agents du service à la clientèle, de même que de 7 à 8 chauffeurs employés. Ces chauffeurs employés utilisent les véhicules de l’appelante et n’encourent aucune dépense dans le cours de leur travail. De plus, un manuel de l’employé est destiné aux chauffeurs employés, ce qui n’est pas le cas pour les chauffeurs propriétaires. L’appelante détermine les tâches que doivent effectuer les chauffeurs employés.

[33] Certains contrats conclus par l’appelante prévoient que les chauffeurs propriétaires doivent être présents pendant certaines périodes précises de la journée, c’est-à-dire les « routes dédiées ». Par exemple, le CHU de Québec compte environ 7 à 8 routes dédiées. L’attribution de ces routes dédiées aux chauffeurs propriétaires est effectuée par l’appelante. M. Le a effectivement obtenu l’une de ces routes dédiées auprès du CHU de Québec, entre autres.

[34] D’autres contrats prévoient que l’appelante fournisse un service sur demande, c’est-à-dire « la rapide ». Selon ce service, les chauffeurs propriétaires fournissent un service à de nombreux clients de l’appelante, selon les besoins ponctuels de ces clients. Le jour, les répartiteurs de l’appelante veillent à répartir les appels aux différents chauffeurs propriétaires en fonction de leur disponibilité et du lieu où ils se trouvent. Ces appels de service sont envoyés au chauffeur propriétaire par le moyen d’une application mobile sur un téléphone intelligent fourni par l’appelante et loué par le chauffeur propriétaire (pièce A‑1(9)).

[35] Ce téléphone n’a pas de fonction de localisation permettant de localiser le chauffeur propriétaire. M. Boudreau a comparé cette application au bon de connaissement qui était autrefois le contrat de transport entre l’expéditeur et l’entreprise de messagerie. Le chauffeur propriétaire doit accepter une assignation en cliquant sur une icône; de plus, le chauffeur propriétaire doit cliquer sur une autre icône pour confirmer la cueillette et la livraison, afin que les heures de cueillette et de livraison soient enregistrées.

[36] Au cours des soirs et des nuits, aucun répartiteur n’est toutefois en poste. C’est plutôt un centre d’appels externe qui transmet les appels de service à un chauffeur propriétaire, qui agit comme répartiteur et chauffeur en même temps. Si ce chauffeur n’est pas en mesure de répondre à une demande, il doit communiquer avec un autre chauffeur propriétaire dont le nom apparaît sur une liste fournie au préalable par l’appelante pour qu’il réponde à la demande de service.

[37] Les chauffeurs propriétaires sont payés sur une base hebdomadaire. La semaine de travail commence le samedi et se termine le vendredi suivant. L’appelante prépare un rapport de commissions qui est acheminé au chauffeur propriétaire au début de la semaine suivante. Le paiement des sommes dues au chauffeur propriétaire se fait le mardi suivant l’envoi du rapport de commissions. La rémunération versée au chauffeur propriétaire est égale au pourcentage des commissions établi dans la convention collective ou dans la convention de messagerie qui correspond à un pourcentage du prix payé par le client à l’appelante et qui varie entre 50 % et 70 % de ce montant, duquel sont soustraits les cotisations syndicales, le loyer du téléphone et les primes de l’assurance-cargaison. Le chauffeur propriétaire n’établit pas de factures à l’appelante.

5.1 Première étape : recherche de l’intention commune et interprétation du contrat

[38] Dans l’interprétation du contrat liant M. Le et l’appelante, il faut rechercher l’intention commune des parties. Tel qu’indiqué ci-dessus, au cours de la période, la convention collective régissait les conditions de travail des chauffeurs propriétaires pour la succursale de Québec. De plus, M. Le et l’appelante avaient conclu la convention de messagerie. À cette première étape, le comportement effectif des parties doit être analysé.

[39] Pour les motifs suivants, je conclus que, selon la prépondérance de la preuve, l’intention subjective de l’appelante et de M. Le était de conclure un contrat de service et non pas un contrat de travail. La convention collective et la convention de messagerie prévoient spécifiquement que telle était l’intention des parties.

[40] La convention collective vise la rémunération et autres modalités d’engagement des chauffeurs propriétaires, tel M. Le. La convention collective prévoit que les chauffeurs propriétaires sont des entrepreneurs dépendants et des propriétaires et/ou des locataires d’un véhicule (article 2.01). L’article 4.02 de la convention collective indique précisément que les chauffeurs propriétaires ne sont pas des employés de l’appelante :

« La Compagnie et les chauffeurs propriétaires considèrent leur relation comme étant une de propriétaire/entrepreneur dépendant et non une d’employeur/employé et rien dans la présente ne sera reconnue comme une expression d’intention contraire ».

[41] L’article 13.1 de la convention de messagerie prévoit expressément que les services de messagerie sont fournis par le chauffeur propriétaire dans le cadre de sa propre entreprise et qu’il ne sera pas considéré comme un employé de l’appelante :

13.1 Les parties aux présentes conviennent que les services de messagerie susdécrits sont fournis par un Chauffeur Propriétaire dans le cadre de sa propre entreprise et que lui-même ou tout chauffeur ou employé ou agent ne sera, en aucun temps, considéré comme un employé ou un associé de la Compagnie.

[42] D’autres éléments factuels viennent appuyer ma conclusion selon laquelle l’intention subjective des parties était de conclure un contrat de service.

[43] L’appelante a établi des feuillets T4A (état du revenu de pension, de retraite, de rente ou d’autres sources) faisant état des commissions d’un travail indépendant versées par l’appelante à M. Le au cours de la période (pièce A‑1(2)). Aucun relevé d’emploi n’a été établi par l’appelante à M. Le. La preuve a également démontré que l’appelante n’a fait aucune déduction à la source sur les paiements de commissions versés à M. Le.

[44] M. Le a également témoigné que, lors de la signature de la convention de messagerie, le représentant de l’appelante lui avait clairement indiqué qu’il serait un travailleur autonome, et non un employé de l’appelante. M. Le n’avait pas d’objection à cette qualification.

5.2 Deuxième étape : lien de subordination juridique

[45] Pour les motifs suivants, je conclus, selon la prépondérance de la preuve, qu’aucun lien de subordination juridique n’existait dans les faits entre M. Le et l’appelante au cours de la période. La preuve a démontré que l’appelante exerçait un contrôle sur le résultat et la qualité des services fournis par M. Le à ses clients, mais ne contrôlait pas l’exécution des services fournis par M. Le. Ainsi, au cours de la période, un contrat de service liait M. Le à l’appelante et non pas un contrat de travail au sens du C.c.Q.

a) Crédibilité des témoignages

[46] L’intimé prétend que le témoignage de M. Boudreau est peu probant quant aux conditions de travail de M. Le, puisqu’à aucun moment M. Boudreau n’a été en contact direct avec M. Le. De plus, puisqu’aucun représentant de l’appelante ayant été en contact direct avec M. Le n’est venu témoigner à l’audience, l’intimé me demande de tirer une inférence négative à ce sujet en ce sens que le témoignage de cette personne n’aurait pas favorisé la thèse de l’appelante. L’intimé renvoie également à une annonce paraissant sur le site Web de l’appelante qui tend à indiquer que la tâche de chauffeur propriétaire auprès de l’appelante est en fait un contrat de travail (pièce I-1).

[47] Pour les motifs suivants, je suis plutôt d’avis que le témoignage de M. Boudreau était crédible et fiable. M. Boudreau a commencé à travailler chez l’appelante comme étudiant en 1998 et a monté les échelons au cours des années, ce qui lui a donné l’occasion d’effectuer différentes tâches au sein de l’entreprise. Plus particulièrement, M. Boudreau a témoigné avoir agi à titre de répartiteur. Comme il est le directeur général de l’appelante depuis 2004, je trouve tout à fait plausible qu’il soit au courant de la description des tâches des répartiteurs et des chauffeurs propriétaires, tel M. Le, et de l’organisation du travail à l’intérieur de l’entreprise de l’appelante. Également, l’annonce qui se trouvait sur le site Web de l’appelante (pièce I-1) ne vient pas étayer la position de l’intimé, puisque cette annonce est tirée du site Web de l’appelante en date du 6 octobre 2020, soit après la période. M. Le a confirmé que les conditions de travail décrites dans l’annonce n’étaient pas exactement semblables aux siennes, en ce qui concerne notamment l’absence de pause pour le diner. De plus, M. Boudreau a témoigné que ces conditions ne représentaient pas fidèlement les conditions de travail des chauffeurs propriétaires.

[48] J’ai trouvé le témoignage de M. Le parfois évasif et exagéré, donc peu fiable, et peu crédible à certains égards.

[49] Tout d’abord, M. Le a surévalué le nombre d’heures consacrées aux services de messagerie pour l’appelante. En effet, il a témoigné avoir fait au moins 80 à 110 heures par semaine au cours de l’année 2017, mais a admis que ces heures incluaient les heures de disponibilité de nuit, au cours desquelles il y avait en moyenne 2 à 5 appels de service. Au début de son témoignage, il a indiqué qu’il faisait entre 80 et 110 heures par semaine, et travaillait 7 jours sur 7. Ensuite, toujours dans le cadre de son interrogatoire, M. Le a indiqué qu’il faisait 100 heures par semaine depuis un an et demi (donc pendant la période et les 6 derniers mois de 2016). En contre-interrogatoire, toutefois, il a témoigné qu’au début de l’année 2017, il faisait plutôt entre 70 et 85 heures par semaine, et, à l’été 2016, il faisait entre 60 et 70 heures.

[50] En ce qui concerne le Questionnaire du travailleur déposé en preuve (pièce I‑4) et envoyé à la Division des appels de l’Agence du revenu du Canada en décembre 2018, M. Le a témoigné que c’était lui qui avait signé et rempli le formulaire. En contre-interrogatoire, il a indiqué ne pas se souvenir de l’identité de la personne qui avait rempli le formulaire : peut-être l’une de ses deux assistantes, ou encore son colocataire de l’époque, faisant valoir qu’il ne se souvenait plus parce que le questionnaire avait été rempli il y a longtemps, soit en décembre 2018. Toutefois, le temps écoulé ne me semble pas suffisamment important pour expliquer cet oubli, et ce, vu l’importance de ce document aux fins des recours entrepris par M. Le. En outre, je trouve peu crédible le fait que M. Le ne se souvienne pas de l’identité de la personne qui a rempli ce document. Également, M. Le ne se souvenait pas pourquoi il aurait répondu dans ce questionnaire que tout changement ou toute modification devait être approuvé. M. Le a aussi déclaré qu’à l’époque où le questionnaire avait été rempli, il avait été choqué par l’attitude de l’appelante à la fin de sa relation avec celle-ci. J’y reviendrai ci‑dessous.

[51] En contre-interrogatoire, M. Le a témoigné que toutes ses heures de travail apparaissaient sur l’application mobile du téléphone intelligent. Il a ajouté que les répartiteurs pouvaient également appeler son fils directement pour lui confier des tâches et que, parfois, il n’était même pas au courant des courses effectuées par ce dernier. Ensuite, M. Le a témoigné que les demandes adressées à son fils compliquait les choses puisque les répartiteurs envoyaient toutes les demandes de service sur l’application mobile du téléphone intelligent qui était en sa possession, même celles adressées à son fils. M. Le devait certainement avoir connaissance des demandes attribuées à son fils, car il devait alors éteindre son application mobile, et son fils devait ouvrir l’application sur son propre téléphone pour pouvoir ensuite cliquer sur les icônes appropriées, ce qui compliquait les choses.

[52] M. Le avait témoigné dans un premier temps que, lorsqu’il répondait aux diverses demandes de service, il n’en transférait jamais à son fils; il s’est ravisé par la suite en indiquant qu’il avait pu parfois transférer des demandes de service à son fils pour le territoire de la rive sud de Québec.

[53] M. Le a aussi affirmé qu’il n’avait pas le choix d’accepter les demandes de service telles qu’elles apparaissaient sur l’application mobile du téléphone intelligent. Cependant, M. Boudreau a indiqué que l’application mobile prévoit que le chauffeur propriétaire doit accepter une assignation en cliquant sur une icône et qu’il est libre de refuser ou d’accepter une demande. La version de M. Boudreau me semble la plus probable, vu que les répartiteurs doivent savoir si une demande de service est acceptée ou non par un chauffeur propriétaire. Si tel n’était pas le cas, les répartiteurs ne pourraient savoir qu’une demande a été acceptée avant que la cueillette ne soit faite – un délai important pourrait donc s’écouler si l’application mobile fonctionnait de la façon indiquée par M. Le.

[54] En ce qui concerne la négociation des taux pour les services de messagerie, M. Le a témoigné qu’il n’avait jamais négocié des taux différents de ceux prévus à la convention collective et à la convention de messagerie. Toutefois, selon M. Boudreau, M. Le a négocié des taux différents pour un contrat concernant l’Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, ainsi que pour une demande de transport sur la rive sud de Québec. La convention collective prévoit aussi qu’il est possible pour un chauffeur propriétaire de négocier des taux différents. Encore une fois, la version de M. Boudreau me semble plus crédible et plus probable.

[55] La crédibilité de M. Le en tant que témoin est douteuse à cause de l’animosité dont il a fait preuve à l’égard de l’appelante à la suite de la résiliation de la convention de messagerie.

[56] Ainsi, en janvier 2018, l’appelante a décidé de se départir des services de M. Le après que M. Le a déposé une lettre de menaces (pièce A-1(15)) sur le parebrise d’un véhicule stationné dans un débarcadère du CHUL qu’il voulait utiliser. À la suite d’une plainte formulée par l’usager du CHUL au sujet de cette lettre, le CHUL a exigé que l’appelante ne fasse plus appel aux services de M. Le dans ses établissements. Quelques jours après avoir déposé la lettre, M. Le a été suspendu par l’appelante pour 2 à 3 jours et, par la suite, la convention de messagerie a été résiliée. M. Le a déposé un grief, mais comme il était hors délai, le grief n’a pu être retenu. M. Le a ensuite demandé au syndicat qu’il exige en son nom une compensation financière de 40 000 $ de l’appelante, sans succès. L’appelante lui a offert de fournir ses services à l’un de ses clients, un fabricant de pièces d’automobiles, offre que M. Le a refusée puisqu’il cherchait à obtenir une compensation financière de l’appelante. M. Le a témoigné qu’il a été choqué par la réponse de l’appelante. Par la suite, M. Le a déposé une plainte en vertu des normes du travail réclamant des montants en vertu du droit québécois, plainte qui a été rejetée puisque l’appelante est une entreprise de compétence fédérale.

[57] En outre, M. Le a fait parvenir des courriels à l’appelante à la fin de l’année 2018 et au début de 2019 (pièce A-2). Selon M. Le, ces documents ne contenaient pas de menaces adressées à M. Boudreau, mais plutôt visaient à inciter M. Boudreau à réfléchir sur la façon dont l’entreprise de l’appelante était exploitée. Je ne suis pas du même avis que M. Le. Ces courriels contiennent effectivement des menaces d’entreprendre de nombreuses poursuites à l’encontre de l’appelante et font état de réclamations de montants substantiels à titre de compensation.

b) Lien de subordination juridique (critère de la direction et du contrôle)

Horaire de travail

[58] Selon l’intimé, l’horaire de travail démontre un lien de subordination, puisque le répartiteur assignait les demandes de service et imposait l’ordre dans lequel les services devaient être fournis. Le répartiteur déterminait quand M. Le pouvait quitter pour la journée. De plus, le directeur des opérations déterminait si M. Le pouvait obtenir un quart de travail de soir et autorisait les congés.

[59] Selon la prépondérance de la preuve, je conclus plutôt que l’appelante n’exerçait aucune direction et aucun contrôle sur M. Le à cet égard démontrant un lien de subordination juridique.

[60] La preuve a démontré que l’appelante n’exigeait aucune disponibilité minimale des chauffeurs propriétaires, mais que les parties devaient s’entendre préalablement quant à un horaire. En cours de journée, il était possible qu’un chauffeur propriétaire devienne non disponible et, à compter de ce moment, les répartiteurs ne lui assignaient plus de demandes de service. Toutefois, le chauffeur propriétaire devait effectuer les courses qu’il avait acceptées.

[61] Tel que mentionné par M. Boudreau, les répartiteurs veillaient à optimiser le transport. Ainsi, le répartiteur vérifiait la localisation du chauffeur propriétaire avant de lui envoyer des demandes de service. Le répartiteur suggérait un ordre de cueillettes et de livraisons, mais le chauffeur propriétaire pouvait choisir un ordre différent, le tout à sa discrétion, tout en respectant les demandes des clients de l’appelante. M. Le a même témoigné que les répartiteurs communiquaient avec lui pour lui demander s’il pouvait accepter d’autres demandes de service au cours de la journée.

[62] M. Le a témoigné que le matin, lorsqu’il appelait le répartiteur pour lui dire qu’il était disponible, celui-ci lui envoyait la liste des demandes de service à fournir. Selon M. Le, il ne pouvait refuser de faire une course et devait suivre l’ordre indiqué par le répartiteur. Ce témoignage est toutefois moins crédible que celui de M. Boudreau. Selon M. Boudreau, le chauffeur propriétaire devait accepter une demande en cliquant sur une icône de l’application mobile du téléphone intelligent en sa possession. Le répartiteur devait savoir le plus tôt possible si un chauffeur propriétaire acceptait de faire une course, puisqu’en cas de refus, il pouvait l’envoyer à un autre chauffeur, et il devait savoir quand le colis serait effectivement ramassé et livré au destinataire.

[63] De plus, au cours de la période, M. Le a travaillé en majeure partie le soir et la nuit, soit lorsqu’aucun répartiteur n’était en poste. Ce n’est qu’en début de l’année 2017 qu’il a travaillé le jour. Le soir et la nuit, c’était un chauffeur qui agissait comme répartiteur et qui attribuait les demandes de service aux chauffeurs dont le nom apparaissait sur une liste préparée par l’appelante. Les demandes de service provenaient directement d’un centre d’appels externe. M. Le a témoigné qu’il a parfois agi à titre de répartiteur et qu’il sélectionnait alors les demandes de service qu’il souhaitait prendre, et qu’il attribuait les autres demandes à d’autres chauffeurs. M. Le a témoigné qu’il devait parfois appeler plusieurs chauffeurs avant que l’un d’eux n’accepte une demande de service. Ceci démontre l’absence d’obligation de la part des chauffeurs propriétaires d’accepter les demandes de service, ainsi que l’absence de direction et de contrôle de l’appelante sur les chauffeurs propriétaires.

[64] M. Le a également témoigné qu’il avait déjà refusé après quelques jours de continuer à faire un transport en utilisant un camion de l’appelante, puisque ce n’était pas assez payant.

[65] De plus, la preuve n’a pas démontré que M. Le devait demander la permission du répartiteur pour quitter à la fin de son quart de travail de jour. M. Le a plutôt affirmé dans son témoignage qu’il recevait toujours des appels vers la fin de son quart de travail et qu’il se faisait supplier par le répartiteur d’accepter des demandes de service supplémentaires. Selon moi, se faire supplier d’accepter de fournir un service n’équivaut pas à devoir demander la permission pour quitter à la fin de la journée de travail. Si le répartiteur ou l’appelante avait eu une telle autorité à l’égard de M. Le, ils ne l’auraient pas supplié d’accepter une demande de service. Un employeur ne supplie pas un employé d’accomplir une tâche pour laquelle il est rémunéré et pour laquelle il a été engagé. De plus, M. Le a comparé le répartiteur à un chef d’équipe, soit une personne qui n’a pas d’autorité administrative.

[66] M. Le a également témoigné qu’il était supervisé par le directeur des opérations qui assignait les quarts de travail de soir, qui étaient les quarts les plus payants, de même que les quarts de fin de semaine. Selon M. Le, il devait faire le quart de jour ou le quart de nuit comme condition préalable pour pouvoir faire le quart de soir. Toutefois, prévoir les quarts de soir et s’assurer qu’il y ait suffisamment de chauffeurs propriétaires pour répondre aux demandes des clients de l’appelante ne signifie pas que l’on exerce un pouvoir de direction ou de contrôle sur le travail effectué par une personne. De plus, la preuve a démontré que M. Le a fait le choix de travailler la nuit ainsi que le soir, puisque c’était plus payant. De même, M. Le a témoigné qu’il devait demander la permission au directeur des opérations avant de prendre des vacances, alors qu’il n’a pris que 3 à 4 jours de vacances en 2017 pour un voyage de pêche, ce qui n’est pas déterminant.

Sous-traitance

[67] La preuve a démontré qu’il était possible pour M. Le de confier les demandes de service qui lui étaient adressées à d’autres personnes, en autant que ces personnes aient été approuvées au préalable par l’appelante, qui vérifiait la validité du permis de conduire et l’absence d’antécédents criminels de ces personnes. Ces conditions étaient essentielles pour certains clients de l’appelante car, d’une part, il y avait parmi eux des établissements pénitentiaires et d’autre part, les services de messagerie pouvaient comprendre le transport de narcotiques. Toutefois, sauf pour la question de la validité du permis de conduire et de l’absence d’antécédents judiciaires, l’appelante n’avait pas de droit de regard sur la personne choisie par le chauffeur propriétaire. Selon l’intimé, la preuve ne serait pas assez probante pour que ce critère dénote une relation de travailleur autonome. Selon la prépondérance de la preuve, je conclus que ce critère indique plutôt que M. Le était lié à l’appelante par un contrat de service.

[68] Au cours de la période, la preuve a démontré que M. Le a confié certaines demandes de service de l’appelante à l’un ou l’autre de ses deux fils (Kyle et Kade). Les témoignages de M. Le et de M. Boudreau sont à l’effet que M. Le avait parfois plus d’un véhicule effectuant des livraisons simultanément au cours de la période. M. Le a témoigné avoir fait des livraisons en même temps que son fils Kade. Il lui a aussi confié des demandes de service au cours de ses quarts de soir. De plus, M. Le a témoigné avoir remis une part de ses commissions à son fils Kade, après que les deux ont révisé le rapport de commissions préparé par l’appelante.

[69] La preuve a aussi démontré que Kyle a très peu travaillé, alors que Kade a beaucoup travaillé au cours de la période. Selon l’intimé, M. Le a dû accepter que les demandes de service attribuées à ses fils lui soient envoyées sur le téléphone intelligent en sa possession. Toutefois, il a plutôt été établi que M. Le n’a pas remis en question cette façon de procéder avant la résiliation de la convention de messagerie et qu’il a consenti à cette méthode de travail.

[70] Dans l’arrêt Paiement, la Cour d’appel du Québec a indiqué que, si une personne a le droit d’engager un tiers pour exécuter une tâche, il n’est pas possible pour cette personne d’être l’employé de quelqu’un d’autre pour les fins de l’exécution de la même tâche :

29 En effet, il y a, à mon avis, antinomie entre le statut de salarié et celui d’employeur. L’on ne peut pas être à la fois le salarié de quelqu’un et l’employeur d’un autre dans l’exécution d’une même tâche, car le type de contrôle que comporte la subordination juridique d’un employeur vis-à-vis son salarié ne peut se satisfaire d’un tel partage. Celui à qui on confie l’exécution d’une tâche et qui peut, pour ce faire, faire appel à ses propres salariés ne peut pas prétendre être lié par un contrat de travail envers le donneur d’ouvrage. Il a nécessairement conclu un contrat de service qui peut être exigeant et laisser peu de place à l’autonomie, mais qui est néanmoins un contrat de service.

[71] Puisque la preuve a démontré que M. Le pouvait faire appel à des tiers pour répondre à une demande de service transmise par l’appelante et qu’il a effectivement fait appel à l’un ou l’autre de ses fils, ce principe établi par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Paiement doit recevoir application en l’espèce. M. Le ne peut donc être considéré comme un employé de l’appelante.

Formation

[72] L’intimé fait également valoir que certains éléments touchant la formation révèlent l’existence d’une relation employeur-employé. Ainsi, selon l’intimé, M. Le a dû suivre une formation obligatoire d’une journée auprès d’un autre chauffeur, ainsi qu’une formation obligatoire sur le transport des matières dangereuses. L’intimé invoque l’article 23 de la convention collective, dans sa version antérieure au 7 novembre 2016, qui prévoyait que le chauffeur qui ne suivait pas la formation sur le transport des matières dangereuses serait suspendu.

[73] Toutefois, la preuve n’a pas démontré que la formation d’une journée avec un chauffeur suivi par M. Le était obligatoire. À mon avis, cette journée ressemble plutôt à une journée d’orientation non obligatoire et non rémunérée, et ne révèle donc pas l’existence d’une relation employeur-employé.

[74] En ce qui concerne la formation sur les matières dangereuses, la preuve a démontré qu’elle n’était pas obligatoire elle non plus, et ainsi, elle ne révèle pas l’existence d’une relation employeur-employé. Tout d’abord, M. Boudreau a témoigné en ce sens et a également indiqué que, si un chauffeur n’obtenait pas son accréditation à l’égard du transport des matières dangereuses, l’appelante ne lui attribuait pas ce type de transport. De plus, l’article 23 de la convention collective a été modifié le 7 novembre 2016 (pièce A-1(6)). Selon la nouvelle version de l’article, la formation n’est pas obligatoire. Si la certification n’est pas obtenue, le chauffeur ne fait tout simplement pas ce type de transport, ce que confirme le témoignage de M. Boudreau.

Pouvoirs de sanction

[75] L’intimé prétend que, si M. Le refusait de répondre à une demande de service, le répartiteur pouvait le sanctionner en ne lui attribuant pas d’autres demandes plus payantes, ce qui dénote un pouvoir de sanction de l’appelante militant en faveur de la thèse d’une relation employeur-employé. De plus, selon l’intimé, ce pouvoir de sanction est illustré par le fait que le directeur des opérations a rencontré M. Le parce qu’il n’avait pas effectué une livraison à temps au motif qu’il s’était endormi et, à une autre reprise, parce qu’il avait posé une lettre de menaces sur le pare-brise d’une voiture stationnée dans un débarcadère du CHUL.

[76] M. Boudreau a témoigné que l’appelante n’imposait pas de mesures disciplinaires. Les plaintes des clients se géraient de deux façons : soit le client traitait directement avec le chauffeur ou soit le client portait plainte auprès de l’appelante. En ce qui concerne l’incident au CHUL, le client s’est plaint à l’appelante directement. Au sujet d’un autre incident au cours duquel M. Le n’a pu effectuer la livraison en temps opportun parce qu’il s’était endormi, le client a également contacté l’appelante directement.

[77] Tout d’abord, concernant l’incident au cours duquel M. Le s’est endormi, la preuve n’a pas démontré qu’une sanction a été imposée par l’appelante. Le témoignage de M. Le est à l’effet qu’il a effectivement rencontré le directeur des opérations à la suite de cet incident et qu’il aurait signé un document à ce sujet. M. Le n’a pas indiqué qu’il avait été sanctionné de quelque façon que ce soit. Selon M. Le, le document aurait été ajouté à son dossier d’employé; toutefois, il ne se souvenait pas d’avoir vu un tel dossier sur le bureau du directeur des opérations.

[78] En ce qui concerne l’incident du CHUL, M. Le a témoigné avoir porté plainte directement au poste des agents de sécurité du CHUL à plusieurs reprises quand le débarcadère était utilisé par des personnes non autorisées. M. Le affirme d’être allé aviser les agents de sécurité après avoir affiché la lettre de menaces sur le pare-brise de la voiture. M. Le ne s’est pas plaint aux représentants de l’appelante, mais a plutôt géré lui-même les problèmes auxquels il faisait face dans le cours des services rendus pour le compte de l’appelante.

[79] En ce qui concerne ces deux incidents, la preuve a démontré que les clients ont contacté l’appelante directement pour se plaindre des services rendus. Dans l’arrêt Le Livreur Plus inc. c. M.R.N., 2004 CAF 68 [arrêt Le Livreur Plus], la Cour d’appel fédérale a précisé qu’il est normal que, dans une situation similaire à celle de l’appelante, que ce soit cette dernière qui gère les plaintes de ses clients, puisque c’est l’appelante qui est redevable du service à la clientèle, ayant elle-même conclu un contrat avec ses clients (paragraphe 29).

[80] Le fait que ce soit l’appelante qui s’occupe de la gestion des plaintes n’est donc pas un indice démontrant qu’il existait une relation employeur-employé entre l’appelante et M. Le.

Indices divers

[81] La preuve a également démontré que M. Le n’avait pas à se rapporter au bureau de l’appelante, qu’aucun registre des heures n’était tenu par celle-ci et qu’aucune évaluation de rendement n’était effectuée. De plus, aucun stage probatoire de 3 mois n’était prévu. Le seul délai de 3 mois concernait l’appartenance au syndicat des Teamsters qui prévoyait un délai de 3 mois à partir de la signature de la convention de messagerie avant l’adhésion au syndicat. Ces éléments démontrent l’absence de lien de subordination juridique entre M. Le et l’appelante.

[82] L’appelante fournissait un uniforme aux chauffeurs, soit un chandail avec le sigle de l’appelante, puisque les clients de l’appelante exigeaient le port d’un uniforme et la possession d’une carte d’identité pour circuler dans leurs établissements. M. Le a également témoigné que le port de l’uniforme et l’affichage du sigle de l’appelante sur la voiture facilitaient les déplacements ainsi que l’accès au stationnement des clients.

[83] Bien que le port de l’uniforme et de la carte d’identité puisse indiquer un certain contrôle de la part de l’appelante, je suis d’avis que le tout doit être évalué en tenant compte de l’industrie particulière dans laquelle les clients de l’appelante évoluent de même que du fait que c’est l’appelante qui a conclu un contrat avec ses clients, et non M. Le. Il en est de même du fait que l’appelante effectuait une inspection visuelle des véhicules utilisés et exigeait que le sigle de l’appelante soit apposé sur les véhicules. En somme, ces éléments ne sont pas déterminants dans cette analyse de la relation entre les parties.

c) Indices d’encadrement

[84] Les indices d’encadrement, soit la propriété des outils, les chances de profit et risques de perte et le degré d’intégration de M. Le, ne font qu’appuyer ma conclusion que M. Le et l’appelante étaient liés par un contrat de service et non par un contrat de travail.

Outils de travail

[85] Selon l’intimé, la propriété du véhicule n’est pas un indice suffisant pour conclure à l’existence d’un contrat de service, puisque M. Le a aussi conduit des véhicules appartenant à l’appelante.

[86] Je suis plutôt d’avis que l’indice de la propriété des outils favorise la conclusion que M. Le était lié à l’appelante par un contrat de service et non par un contrat de travail.

[87] Dans le cadre des services de messagerie, le véhicule est l’outil de travail le plus important. En l’espèce, cet outil devait être fourni par M. Le, sauf à l’égard de certains contrats spécifiques, tel celui auprès de l’Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis. M. Le a témoigné avoir utilisé le véhicule appartenant à son père au début et s’être procuré par la suite un véhicule de type « Caravan », qui était plus spacieux et lui permettait de servir une plus grande clientèle. La preuve a également démontré que M. Le avait plus d’un véhicule effectuant des livraisons simultanément. M. Boudreau a témoigné à cet effet et M. Le a confirmé que son fils effectuait certaines livraisons à sa place.

[88] De plus, la preuve a démontré que M. Le a très peu utilisé les véhicules de l’appelante dans le cadre de ses tâches. M. Le a témoigné qu’il a utilisé un véhicule de l’appelante pour quelques jours seulement dans le cadre d’un contrat qui n’était pas payant et qu’il a refusé de continuer de faire des livraisons à ce client. M. Le a témoigné avoir surtout utilisé le véhicule de son père ainsi que sa « Caravan ».

[89] En outre, M. Le devait louer un téléphone intelligent auprès de l’appelante, lui permettant de recevoir les demandes de service, et devait fournir tous les autres équipements requis pour fournir des services de messagerie.

Chances de profit et risques de perte

[90] Selon l’intimé, ce critère est neutre puisque l’appelante garantissait à M. Le un revenu minimal quotidien variant entre 100 $ et 150 $ et fournissait une assurance cargo de 50 000 $ par véhicule. De plus, l’appelante s’occupait de la facturation.

[91] Selon la prépondérance de la preuve, je conclus que cet indice favorise également la conclusion que M. Le était lié à l’appelante par un contrat de service et non par un contrat de travail.

[92] Je souscris aux propos de la juge D’Auray dans la décision AE Hospitality Ltd. c. Le Ministre du Revenu national, 2019 CCI 116 (confirmée par la Cour d’appel fédérale, 2020 CAF 207) qui a conclu que le critère de chance de profit ou de risque de perte doit être compris dans le sens entrepreneurial (paragraphe 149).

[93] Tout d’abord, M. Le a témoigné qu’en 2017, il n’avait pas reçu le montant minimal quotidien puisqu’il avait surtout travaillé durant les quarts de nuit et les quarts de soir qui étaient plus payants. Bien que les montants des commissions à recevoir pour les services rendus par M. Le à l’appelante ne lui étaient communiqués qu’au cours de la semaine suivante par l’entremise du rapport de commissions, M. Le connaissait la plupart du temps le montant de la commission à recevoir, puisque les services étaient souvent répétitifs. De plus, M. Le pouvait facilement évaluer les commissions à recevoir au cours des quarts de soir, puisque la plupart des demandes de service étaient facturées à un tarif de 13 $ la course.

[94] De même, M. Le a témoigné qu’il préférait travailler les soirs et les nuits, puisque les courses étaient plus payantes au cours de ces périodes. Lorsque M. Le agissait également à titre de répartiteur pendant les quarts de soir et de nuit, il choisissait souvent les courses les plus payantes, et attribuaient les autres courses aux autres chauffeurs disponibles.

[95] M. Le pouvait accroître sa rémunération s’il faisait plus de livraisons, puisqu’il était payé au pourcentage du prix facturé par l’appelante à son client. Ainsi, selon M. Boudreau, il était possible pour M. Le d’avoir plus d’un véhicule effectuant des livraisons simultanément. M. Le a témoigné qu’au cours de l’année 2017, son fils a acheté une voiture plus économique pour répondre aux demandes de service de l’appelante. M. Le a aussi indiqué l’avoir utilisée quelques fois pour faire des courses pour l’appelante. De plus, en se fiant sur le montant des commissions réalisées par M. Le en 2017 (90 129 $ sur 12 mois) par rapport à celles de 2016 (33 668 $ sur 9 mois), et vu la preuve, je conclus que plusieurs véhicules étaient utilisés simultanément à certains moments en 2017.

[96] La preuve a aussi démontré que l’appelante ne payait aucune des dépenses d’utilisation des véhicules, que ce soit l’essence, les réparations, l’entretien, etc. et ne fournissait aucune carte de crédit au nom de M. Le pour couvrir ces dépenses. Toutes les dépenses relatives aux véhicules utilisés par M. Le étaient à ses frais. Ainsi, les revenus tirés des services de messagerie pouvaient augmenter ou diminuer selon l’état des véhicules, ou encore selon le type de conduite. Également, M. Le pouvait accroître ses profits s’il souscrivait une assurance à moindre coût (arrêt Le Livreur Plus, paragraphes 35 et 36).

[97] Il était possible pour M. Le de négocier des taux de commission différents pour certains services. La convention de messagerie prévoyait cette possibilité (article 4.1). De même, M. Boudreau a confirmé que M. Le avait négocié des taux particuliers pour les services rendus à l’Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, ainsi qu’à des clients sur la rive sud de Québec.

[98] M. Le calculait lui-même le cubage des colis, ce qui lui permettait de calculer le montant qui serait payé par le client à l’appelante, et donc, le montant de la commission qui lui serait versée. En effet, M. Boudreau a indiqué que les colis ne transitaient pas par les locaux de l’appelante et que les chauffeurs propriétaires devaient donc effectuer ce calcul et transmettre l’information à l’appelante pour qu’elle puisse facturer adéquatement son client.

[99] Tel que mentionné précédemment, la preuve a aussi démontré que M. Le a confié des demandes de service à son fils Kade, et parfois même à son autre fils Kyle, ce qui lui a permis d’accroître ses revenus.

Intégration

[100] Selon l’intimé, l’intégration de M. Le aux activités de l’appelante milite en faveur de la présence d’un lien de subordination. Pour justifier sa thèse, l’intimé fait valoir ce qui suit : M. Le devait porter un uniforme; il a participé à la fête de Noël organisée par l’appelante en décembre 2017; on lui a offert un autre contrat à la suite de l’incident au CHUL; les modalités de l’offre sur le site Web de l’appelante indiquent des conditions d’emploi. Plusieurs dispositions de la convention collective sont également citées : assignation des routes dédiées par ancienneté, absence de transfert d’intérêt possible et obligation de fidélité.

[101] Le critère de l’intégration doit s’apprécier du point de vue de M. Le et non pas du point de vue de l’appelante. La question est de savoir à qui appartient l’entreprise. Selon la prépondérance de la preuve, je conclus que M. Le exploitait lui-même une entreprise de messagerie en sous-traitance et qu’il offrait ses services à l’appelante.

[102] Certains des éléments pertinents à cette analyse ont déjà été analysés dans le cadre de l’examen du lien de subordination juridique. Ainsi, la preuve a démontré que M. Le ne se présentait pas aux bureaux de l’appelante, que l’uniforme était porté pour des fins de sécurité et était exigé des clients, que le sigle à apposer sur le véhicule visait à faciliter l’utilisation des stationnements et que l’appelante n’avait pas de dossier d’employé pour M. Le.

[103] La preuve a également démontré que, depuis l’arrivée du téléphone intelligent en 2014-2015, il n’y avait plus de salle des chauffeurs chez l’appelante. Le chauffeur propriétaire avait accès à un petit casier au bureau de l’appelante pour y placer les documents pertinents concernant certains services de messagerie.

[104] L’appelante et M. Le ont convenu d’un « Engagement de non-sollicitation, non-service et confidentialité » (pièce A-1(8) – Annexe C). Cette entente prévoyait que, pendant la durée de la convention de messagerie et 12 mois par suite de la résiliation, M. Le ne pouvait solliciter ni servir les clients de l’appelante, et il s’y engageait à ne pas divulguer d’information de nature confidentielle concernant l’appelante. Ainsi, M. Le pouvait faire concurrence à l’appelante, en autant qu’il ne sollicitait pas ses clients. Bien que la preuve a démontré que certains chauffeurs ont effectué des livraisons pour d’autres personnes, M. Le n’a toutefois pas offert ses services à d’autres entreprises au cours de la période.

[105] Comme nous l’avons déjà mentionné, la preuve a également démontré que M. Le pouvait accepter ou refuser des demandes de service de l’appelante.

d) Autres arguments

[106] L’intimé invoque également la décision Dynamex Canada Corp. c. M.R.N., 2010 CCI 17 [décision Dynamex] dans laquelle la Cour a décidé qu’un livreur au service de Dynamex était un employé de Dynamex. Selon l’intimé, vu la similarité des faits en l’espèce, je devrais arriver à la même conclusion à savoir que M. Le était lié par un contrat de travail à l’appelante. Je conclus plutôt que la preuve produite à l’audience m’amène à une conclusion différente puisque les faits ne sont pas similaires à ceux révélés par la preuve dans l’affaire Dynamex.

[107] Ainsi, selon l’intimé, il a été prouvé que, dans l’affaire Dynamex, le livreur, comme M. Le, était propriétaire de son véhicule, devait assister à une formation obligatoire, était soumis à des sanctions disciplinaires, n’était pas libre de son horaire de travail et n’était pas libre d’accepter ou de refuser des livraisons. Également, selon l’intimé, tout comme dans le cas en l’espèce, le prix des livraisons était déterminé par Dynamex et il n’était possible pour le livreur d’accroître ses revenus qu’en travaillant plus d’heures. De plus, le livreur n’avait pas de clients et se faisait attribuer les livraisons par les répartiteurs de Dynamex qui décidaient comment faire le travail.

[108] Toutefois, la preuve en l’espèce a plutôt révélé que M. Le n’avait pas à suivre de formation obligatoire, il n’était pas soumis à des sanctions disciplinaires, il était libre de choisir son horaire et il pouvait accepter ou refuser toute demande de service. De plus, bien que ce soit l’appelante qui fixait les prix tout comme dans l’affaire Dynamex, j’ai conclu que M. Le pouvait accroitre ses profits non pas en travaillant plus d’heures, mais, entre autres, en acceptant plus de demandes de service.

[109] Finalement, dans l’affaire Dynamex, contrairement à ce que la preuve a révélé en l’espèce, le livreur n’a jamais engagé un tiers pour le remplacer; un manuel des livreurs décrivait en détail la manière de rendre les services; un superviseur des livreurs était en poste; les conséquences d’un refus d’accepter une demande était prévues; une carte de crédit permettant de bénéficier de rabais avait été établie au nom du livreur; et une assurance dentaire et médicale était offerte par Dynamex.

VI – LA CONCLUSION

[110] Selon la prépondérance de la preuve, au cours de la période, M. Le n’occupait pas auprès de l’appelante un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi. Vu l’absence de contrôle et de direction exercés par l’appelante sur l’exécution des services fournis par M. Le à celle-ci, il n’y avait pas de lien de subordination juridique entre eux, de sorte que les exigences du contrat de louage de services n’ont pas été satisfaites.

[111] Pour tous ces motifs, l’appel est accueilli, sans frais, et la décision rendue par le ministre en date du 2 avril 2019 est modifiée compte tenu que M. Le n’occupait pas un emploi assurable en vertu de l’alinéa 5(1)a) de la Loi lorsqu’il était au service de l’appelante pendant la période.

Signé à Ottawa (Canada), ce 22e jour de février 2021.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 8

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-2529(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MED EXPRESS INC. ET

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 8 et 9 octobre 2020

DATE DES OBSERVATIONS ÉCRITES:

Observations écrites présentées par l’appelante les 28 octobre 2020 et 20 novembre 2020 et

par l’intimé le 13 novembre 2020

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 février 2021

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelante :

Me Guy Dussault

Me Véronique Aubé

Avocat de l'intimé :

Me Renaud Fioramore-Beaulieu

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante:

Nom :

Me Guy Dussault

Cabinet :

Cain Lamarre s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

Pour l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Canada)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.