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Dossier : 2016-1065(GST)G

ENTRE :

JOVIC DEVELOPMENTS LIMITED,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Devant : l’honorable juge suppléant Gaston Jorré


Comparutions :

Avocat de la requérante :

Me Victor Peters

Avocat de l’intimée :

Me Gregory B. King

 

ORDONNANCE

Conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints, la requête en ordonnance afin qu’une question soit tranchée avant l’audience, au titre de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), est rejetée et les dépens sont adjugés à l’intimée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour de mars 2021.

« G. Jorré »

Le juge suppléant Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2021 CCI 19

Date : 20210316

Dossier : 2016-1065(GST)G

ENTRE :

JOVIC DEVELOPMENTS LIMITED,

requérante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE

Introduction

[1] La requérante a présenté une demande en ordonnance afin que soit tranchée une question avant l’audience, au titre de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les Règles). L’intimée s’oppose à la demande [1] .

Contexte/Nature des questions en litige

[2] La présente affaire est un appel en matière de TPS/TVH (« taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée ») qui couvre dix périodes de déclaration trimestrielles pour les années 2011 et 2012, de même que pour les six premiers mois de 2013.

[3] La requérante exerce à la fois des « activités commerciales » qui donnent lieu à des fournitures taxables et d’autres activités (« activités exonérées ») qui consistent à produire des « fournitures exonérées ».

[4] Au moment de produire sa déclaration, la requérante a déclaré certains montants de TPS/TVH percevables et certains crédits de taxe sur les intrants (« CTI ») pour chaque période trimestrielle.

[5] Par la suite, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de la requérante. Le ministre a apporté certains changements, qui ne sont pas en cause en l’espèce, et a notamment augmenté la TPS/TVH percevable.

[6] À cette étape des cotisations en cause, la requérante a également réclamé d’importants CTI supplémentaires qui n’avaient pas été demandés au moment de la production de ses déclarations. Lorsqu’il a établi sa cotisation, le ministre a accordé un CTI supérieur à ce qui avait été demandé au moment de la production des déclarations, mais qui représentait environ 62 000 $ de moins que le montant total des CTI demandés à cette étape. C’est cette somme d’environ 62 000 $ qui est en cause.

[7] Dans son avis d’appel, la requérante soutient qu’elle n’a pas demandé de CTI pour des dépenses directement engagées dans le cadre de ses activités exonérées, mais qu’elle [traduction] « [...] a demandé des CTI pour toutes ses autres dépenses directement engagées, au motif que la presque totalité de ces dépenses avaient été engagées dans le cadre de ses activités commerciales » [2] .

[8] L’intimée soutient dans sa réponse à l’avis d’appel qu’elle s’est fondée sur certaines hypothèses de fait, notamment que la requérante avait trois types de dépenses : i) des dépenses relatives à des fournitures taxables, ii) des dépenses relatives à des fournitures exonérées et iii) des dépenses « à usage mixte » liées aux deux types de fournitures [3] .

[9] Les questions en litige se classent dans trois catégories [4] :

  • i) La majeure partie du différend concerne des CTI pour des dépenses relatives à un bien ou à un service qui, de l’avis de l’intimée, ont été faites dans le cadre d’activités commerciales et d’activités exonérées (les dépenses « à usage mixte »), alors que la requérante considère ces dépenses comme étant réputées être faites en totalité dans le cadre d’activités commerciales, conformément à l’article 141 de la Loi sur la taxe d’accise [5] .

  • ii) Il y a aussi des CTI pour certaines dépenses qui selon l’intimée sont uniquement liées à des activités exonérées; la requérante considère qu’elles doivent être entièrement déductibles [6] .

  • iii) Finalement, une troisième question concerne les coûts de chauffage d’un immeuble, dont le premier étage était à usage commercial, et le second étage à usage résidentiel [7] .

[10] La question que la requérante souhaite voir trancher est la question de savoir si les dépenses en cause ont été faites « presque en totalité » dans le cadre de ses activités commerciales, au sens de l’article 141 de la Loi sur la taxe d’accise.

Économie générale de la loi relative à la TPS/TVH concernant les CTI

[11] Il est utile à ce stade de résumer très brièvement de manière très simplifiée certains points clés au sujet de l’économie générale de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise.

[12] La taxe est appliquée pour chaque période de déclaration, en l’espèce à chaque trimestre.

[13] Lorsque le contribuable n’exerce que des activités commerciales, la taxe nette que doit verser le contribuable est la TPS perçue ou percevable, moins la TPS payée, soit les CTI. Si le résultat est positif, le contribuable doit alors remettre la somme, si le résultat est négatif, le contribuable reçoit un remboursement.

[14] Cependant, lorsque le contribuable exerce à la fois des activités commerciales et des activités exonérées, seuls les CTI pour des dépenses relatives à des activités commerciales peuvent être déduites dans le calcul de la taxe nette.

[15] La Loi autorise ainsi la déduction des CTI uniquement dans la mesure où le bien ou le service est utilisé, consommé ou fourni dans le cadre d’une activité commerciale [8] . Par exemple [9] , il est possible de déduire des CTI selon :

[…] le pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis ou importé le bien ou le service, ou l’a transféré dans la province, selon le cas, pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales.

[16] Outre cette disposition, deux autres dispositions de la Loi portent sur la détermination de la mesure de l’utilisation d’un bien ou d’un service dans le cadre d’activités commerciales et sont pertinentes en l’espèce.

[17] La première est le paragraphe 141.01(5) qui prescrit que seules des méthodes justes et raisonnables et suivies tout au long d’un exercice peuvent être employées par une personne pour déterminer la mesure dans laquelle des biens ou des services sont consommés ou utilisés. Il est rédigé ainsi :

Sous réserve de l’article 141.02, seules des méthodes justes et raisonnables et suivies tout au long d’un exercice peuvent être employées par une personne au cours de l’exercice pour déterminer la mesure dans laquelle :

a) la personne acquiert, importe ou transfère dans une province participante des biens ou des services afin d’effectuer une fourniture taxable pour une contrepartie ou à d’autres fins;

b) des biens ou des services sont consommés ou utilisés en vue de la réalisation d’une fourniture taxable pour une contrepartie ou à d’autres fins.

[18] Je note que le texte parle de « méthodes » au pluriel.

[19] Ensuite, l’article 141 est également pertinent. Les paragraphes 141(1) et (2) sont ainsi libellés :

(1) Pour l’application de la présente partie, la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service par une personne, sauf une institution financière, est réputée se faire en totalité dans le cadre de ses activités commerciales si elle se fait presque en totalité dans ce cadre.

(2) Pour l’application de la présente partie, la consommation ou l’utilisation pour laquelle une personne, sauf une institution financière, a acquis ou importé un bien ou un service, ou l’a transféré dans une province participante, est réputée se faire en totalité dans le cadre de ses activités commerciales si elle se fait presque en totalité dans ce cadre [10] .

[20] L’article 141 simplifie encore les choses, alors que la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service se fait presque en totalité dans le cadre d’activités commerciales, ou d’activités non commerciales. Lorsque les conditions énoncées à l’article 141 sont satisfaites, il n’est pas nécessaire de répartir différents usages pour de très faibles pourcentages d’utilisation.

[21] J'observerais ici que pour déterminer si la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service se fait presque en totalité dans le cadre d’activités commerciales, il faut nécessairement déterminer la mesure dans laquelle ce bien ou ce service est ainsi utilisé ou consommé, du moins afin de pouvoir déterminer si le seuil de la presque totalité est satisfait [11] .

Article 58 des Règles

[22] Ce texte dispose :

58 (1) Sur requête d’une partie, la Cour peut rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l’audience une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, ou une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

(2) Lorsqu’une telle requête est présentée, la Cour peut rendre une ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie, abréger substantiellement celle-ci ou résulter en une économie substantielle de frais.

(3) L’ordonnance rendue en application du paragraphe (1) contient les renseignements suivants :

a) la question à trancher avant l’audience;

b) des directives relatives à la manière de trancher la question, y compris des directives sur la preuve à consigner, soit oralement ou par tout autre moyen, et sur la méthode de signification ou de dépôt des documents;

c) le délai pour la signification et le dépôt d’un mémoire comprenant un exposé concis des faits et du droit;

d) la date, l’heure et le lieu pour l’audience se rapportant à la question à trancher;

e) toute autre directive que la Cour estime appropriée.

[23] En ce qui concerne l’article 58 des Règles, il est également utile de garder à l’esprit le paragraphe 4(1) des Règles :

4(1) Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse.

[24] Dans la décision Paletta c. La Reine [12] , rendue en 2016, le juge Owen propose une analyse utile de l’article 58 des Règles [13] . Voici quelques-uns des extraits clés [14] :

[…]

[13] L’article 58 continue de décrire une procédure en deux étapes. Le paragraphe 58(1) énonce que la Cour peut, sur requête d’une partie, rendre une ordonnance afin que soit tranchée avant l’audience :

1. une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure;

2. une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

[14] En vertu du paragraphe 58(2), la Cour peut rendre l’ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait :

1. régler l’instance en totalité ou en partie;

2. abréger substantiellement celle-ci;

3. résulter en une économie substantielle de frais.

[15] À la première étape, la Cour détermine si elle devrait rendre une ordonnance, en tenant compte des exigences aux paragraphes 58(1) et 58(2), qui sont examinés en appliquant les règles habituelles d’interprétation des lois, tout en gardant à l’esprit, cependant, le paragraphe 4(1) des Règles, qui dispose : « Les présentes règles doivent recevoir une interprétation large afin d’assurer la résolution équitable sur le fond de chaque instance de la façon la plus expéditive et la moins onéreuse. »

[16] En ce qui concerne les exigences aux paragraphes 58(1) et 58(2), le paragraphe 58(1) dispose qu’il doit y avoir soit une question de fait, une question de droit ou une question de droit et de fait soulevée dans un acte de procédure, soit une question sur l’admissibilité de tout élément de preuve.

[17] Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, la Cour suprême du Canada a décrit ce qui constitue une question de droit, une question de fait et une question de droit et de fait (au paragraphe 35) :

[...] En résumé, les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. Un exemple simple permettra d’illustrer ces concepts. En droit de la responsabilité civile délictuelle, la question de savoir en quoi consiste la « négligence » est une question de droit. Celle de savoir si le défendeur a fait ceci ou cela est une question de fait. Une fois qu’il a été décidé que la norme applicable est la négligence, la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence appropriée est une question de droit et de fait. [...]

[18] La question de droit, de fait, ou de droit et de fait doit être soulevée dans un acte de procédure. L’article 58 ne prévoit pas de moyen pour examiner des questions qui ne sont pas soulevées dans un acte de procédure.

[19] La seconde condition préalable possible en vertu du paragraphe 58(1) a été ajoutée lors des modifications apportées en 2014 à l’article 58. Elle étend l’application de l’article 58 aux questions sur l’admissibilité d’un élément de preuve. L’ajout de cette condition préalable confirme la portée large de l’article 58 actuel, puisqu’il peut maintenant porter sur pratiquement toute question qui pourrait survenir lors de l’audience de l’appel.

[20] Selon le paragraphe 58(2), il suffit s’« il appert » que l’audience tenue en vertu de l’article 58 « pourrait » mener à l’un des résultats précisés. Le verbe « pouvoir » est utilisé dans deux sens au paragraphe 58(2). Le premier sens est permissif, et il s’agit également du sens qu’il a au paragraphe 58(1). La répétition du sens permissif montre clairement que la décision de rendre une ordonnance est entièrement discrétionnaire. Plus précisément, le fait qu’une question puisse satisfaire aux exigences des paragraphes 58(1) et 58(2) n’oblige pas la Cour à rendre une ordonnance en vertu de l’article 58.

[21] Le fait que l’article soit discrétionnaire est complètement compatible avec le fait que la Cour canadienne de l’impôt a le pouvoir implicite de contrôler sa procédure. Dans l’arrêt R. c. Cunningham, 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 331, la Cour suprême du Canada a déclaré :

De même, dans le cas d’un tribunal d’origine législative, le pouvoir de faire respecter sa procédure et le droit de regard sur la manière dont les avocats exercent leurs fonctions s’infèrent nécessairement du pouvoir de constituer une cour de justice. Notre Cour a confirmé que les pouvoirs d’un tribunal d’origine législative peuvent être déterminés grâce à une « doctrine de la compétence par déduction nécessaire » :

[...] sont compris dans les pouvoirs conférés par la loi habilitante non seulement ceux qui y sont expressément énoncés, mais aussi, par déduction, tous ceux qui sont de fait nécessaires à la réalisation de l’objectif du régime législatif [...]

(ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, par. 51)

Même si, dans cet arrêt, le juge Bastarache renvoie à un tribunal administratif, la même règle de la compétence par déduction nécessaire vaut pour un tribunal d’origine législative.

[22] Outre qu’elle reflète le pouvoir implicite de la Cour de contrôler ses propres procédures, la répétition de l’aspect permissif de l’article 58 confirme qu’il peut très bien y avoir d’autres considérations en jeu lorsque la Cour décide de rendre ou non une ordonnance. L’utilisation répétée d’un libellé permissif aux paragraphes 58(1) et 58(2) confirme que la Cour n’est pas tenue d’examiner uniquement les exigences établies à ces paragraphes.

[23] Le second sens du verbe « pouvoir » au paragraphe 58(2) exprime une possibilité. Plus précisément, s’« il appert » au juge qui entend la requête que le fait de trancher la question « pourrait » (c.-à-d. pourrait possiblement) mener à l’un des trois résultats précisés au paragraphe 58(2), alors le juge peut (et non doit) rendre une ordonnance.

[24] Les décisions rendues en vertu de la version antérieure de l’article 58 sont bien résumées par le juge en chef dans le jugement Suncor, précité. Comme l’a fait observer le juge en chef, dans certaines décisions rendues en vertu de la version antérieure de l’article 58, la Cour a jugé qu’une question ne satisfait pas à l’exigence qui est maintenant au paragraphe 58(2) si seulement l’une des deux réponses possibles menait aux résultats escomptés.

[25] À mon sens, ces décisions n’énoncent pas de règle stricte qu’il faut appliquer à la version actuelle de l’article 58. Par ailleurs, le libellé discrétionnaire général dans la version actuelle du paragraphe 58(2) appuie la thèse selon laquelle une question n’échoue pas nécessairement au critère de ce paragraphe si l’une des réponses possibles ne menait pas aux résultats escomptés. La Cour devrait plutôt tenir compte de la possibilité d’une telle réponse lorsqu’elle examine si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 58. À mon avis, une telle approche est conforme au libellé discrétionnaire du paragraphe 58(2), au mandat prévu au paragraphe 4(1) des Règles et aux principes généraux énoncés par la Cour suprême du Canada dans Hryniak.

[…]

Observations de la requérante

[25] La requérante soutient que l’appel soulève essentiellement deux questions de droit et plusieurs questions de fait. La première question de droit est la question que la requérante voudrait que la Cour tranche avant l’audience.

[26] La requérante affirme que cette première question est distincte de la seconde question : a-t-on utilisé une méthode juste et raisonnable pour déterminer les dépenses à usage mixte, conformément au paragraphe 141.01(5)? Selon la requérante, si l’article 141 s’applique, alors le paragraphe 141.01(5) n’est pas applicable.

[27] Ces deux questions sont des questions mélangées de droit et de fait.

[28] La requérante soutient qu’il n’y aurait qu’un faible degré de chevauchement de la preuve entre les deux questions, et que la première question appelle une preuve moindre et plus générale comparativement à la seconde question, avec pour conséquence qu’elle pourrait être entendue en une journée, alors que l’ensemble de l’affaire pourrait demander trois jours [15] . Je prends acte que dans ses observations écrites, l’intimée soutient qu’une audience complète pourrait demander deux jours [16] .

[29] La requérante soutient en outre que si sa demande était accueillie, l’audience portant sur les autres points en litige ne serait plus nécessaire.

Analyse des observations de la requérante

[30] La Loi ne contient aucune formule simple permettant de déterminer le sens de l’expression « presque en totalité ». Il faut examiner tous les faits relatifs à la dépense pour le bien ou le service, y compris son usage (ou ses usages) précis au sein de l’entreprise et la nature de l’entreprise.

[31] Il faut pour ce faire disposer d’un ensemble d'éléments de preuve très étoffé. À cet égard, il convient de rappeler deux autres points à considérer.

  • iv) Dans le cas de la requérante, la taxe est calculée chaque trimestre, et les déterminations nécessaires doivent donc être faites chaque trimestre. Même si les opérations peuvent être relativement constantes d’un trimestre à l’autre, et les faits sensiblement les mêmes, il peut parfois aussi y avoir d’importants changements d’un trimestre à l’autre. Même si je n’ai aucun moyen de connaître le degré d’écart à partir des documents qui m’ont été présentés, le tableau du paragraphe 1 de la réponse de la requérante qui montre les CTI en cause pour chaque trimestre, s’il est exact, indique qu’il pourrait y avoir une importante variation factuelle d’un trimestre à l’autre [17] .

  • v) La détermination doit être faite pour chaque bien, et pour chaque service [18] , même si, selon les faits, certaines dépenses peuvent être analysées ensemble pour plus de commodité.

[32] Comme je l’ai souligné précédemment, l’on ne peut déterminer si l’utilisation d’un bien ou d’un service se fait presque en totalité dans le cadre d’activités commerciales sans déterminer d’abord la mesure dans laquelle ce bien ou ce service est ainsi utilisé, du moins afin de pouvoir conclure que la mesure de l’utilisation du bien équivaut à la presque totalité.

[33] Même si la preuve exigée pour déterminer que le bien ou le service a été utilisé « presque en totalité » pour certaines activités pourrait sans doute être un peu moins détaillée que celle exigée pour simplement déterminer la mesure réelle de l’utilisation du bien ou du service, cela ne va pas permettre de réduire de manière importante les éléments de preuve nécessaires. La preuve documentaire et les témoignages nécessaires seront substantiellement les mêmes.

[34] En ce qui concerne les CTI relatifs à des dépenses qui, selon la conclusion du ministre, se rapportaient entièrement à des activités autres que des activités commerciales, les éléments de preuve relatifs à la question de savoir si ces dépenses ont été ou non uniquement faites dans le cadre d’activités autres que des activités commerciales devront être examinés au moment de trancher la question, de manière que la Cour puisse déterminer si l’article 141 s’appliquait, s’il devait être prouvé que ces dépenses ont été en partie faites pour des activités commerciales [19] .

[35] De même, les arguments de droit vont se chevaucher énormément. Par exemple, supposons que des dépenses générales de bureau, comme des frais de loyer, des frais de téléphone et des frais de papeterie, sont faites et que le bureau est utilisé pour toutes les activités. Il y aura peu de différences pratiques dans les arguments avancés pour ventiler ces dépenses générales, que ce soit pour déterminer la mesure dans laquelle elles sont engagées pour des activités commerciales, ou pour déterminer si cette mesure est suffisante pour correspondre à l’expression « presque en totalité ».

[36] Ainsi, trancher la question avant l’audience ne permettrait aucune économie significative de temps ou d’argent.

[37] Dans les circonstances, la requête concernant la question à trancher ne satisfait pas aux exigences du second élément du paragraphe 58(2) [20] .

[38] En ce qui concerne le premier élément du paragraphe 58(2) [21] , comme l’a observé le juge Owen dans la décision Paletta, précitée, la Cour peut tenir compte d’autres considérations que celles énoncées dans le texte. Elle peut notamment tenir compte du paragraphe 4(1).

[39] La Cour peut notamment rechercher si trancher la question avant l’audience pourrait signifier, dans les faits, la tenue de la majeure partie de l’audience. Faute du fondement factuel nécessaire, et d’arguments de droit, trancher la question avant l’audience pourrait ne pas être concluant [22] . Si trancher la question avant l’audience ne permet pas de résoudre l’affaire, parce que la demande du demandeur n’a pas été accueillie ou parce que le résultat n’est pas concluant, il faudra tenir une audience pour terminer ce qui ne l’a pas été. Ce ne serait pas là une façon très efficace ou efficiente de procéder, puisqu’il y aura nécessairement duplication à l’audience dans les circonstances, alors qu’une seule audience, peut-être un peu plus longue, aurait pu permettre de clore l'affaire.

[40] Par conséquent, même si je présume que le premier élément du paragraphe 58(2) est par ailleurs satisfait, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de trancher avant l’audience [23] .

Conclusion

[41] La requête est rejetée avec dépens attribués à l’intimée.

Les présents motifs modifiés de l’ordonnance remplacent les motifs de l’ordonnance datés du 3 mars 2021.Une erreur au deuxième mot de la deuxième phrase du paragraphe 38 de la version anglaise des motifs a été corrigée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mars 2021.

« G. Jorré »

Le juge suppléant Jorré

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur

RÉFÉRENCE :

2021 CCI 19

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2016-1065(GST)G

INTITULÉ :

JOVIC DEVELOPMENTS LIMITED c. SA MAJESTÉ LA REINE

[EN BLANC]

La requête a été entendue sur production de pièces

MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge suppléant Gaston Jorré

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS DE L’ORDONNANCE :

Le 16 mars 2021

COMPARUTIONS :

Avocat de la requérante :

Me Victor Peters

Avocat de l’intimée :

Me Gregory B. King

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour la requérante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] La requérante a demandé que sa requête soit tranchée sur la base des observations écrites; l’intimée a informé la Cour qu’elle était disposée à accepter une audience par production de pièces, et la Cour a par la suite avisé les parties, dans une lettre, que l’affaire serait entendue sur production de pièces.

Aucune des parties n’a déposé d’affidavit. La requérante a affirmé dans son avis de requête qu’elle se fonderait sur les actes de procédure, l’article 141 de la Loi sur la taxe d’accise, et les observations écrites. Les actes de procédure sont l’avis d’appel de la requérante, la réponse à l’avis d’appel déposée par le ministre et la réponse déposée par la requérante. Il y a deux réponses, mais la seconde n’est pas très différente de la première; le seul changement est qu’elle fait référence à l’avis d’appel signifié le 21 juin 2016, après que la Cour eut ordonné que l’appel soit entendu sous le régime de la procédure générale plutôt que de celui de la procédure informelle; la première réponse mentionnait l’avis d’appel daté du 4 décembre 2014, appel qui devait être entendu sous le régime de la procédure informelle. Le dossier de la Cour montre que l’avis d’appel initial a été simplement traité par la Cour comme un nouvel avis d’appel, après l’ordonnance demandant que l’affaire soit entendue sous le régime de la procédure générale, et a été signifié comme tel à l’intimée.

[2] Paragraphe 4 de l’avis d’appel. Au paragraphe 3, première phrase de sa réponse, la requérante soutient qu’elle n’avait pas de fournitures « à usage mixte ». Je ne sais trop comment concilier cette allégation de fait avec le paragraphe 4 de l’avis d’appel, à moins que ce que la requérante entendait, sans l’avoir exprimé, c’est que la consommation ou l’utilisation des dépenses à usage mixte s’est faite presque en totalité dans le cadre d’activités commerciales et, que conformément à l’article 141 de la Loi sur la taxe d’accise, « [...] la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service par une personne [...] est réputée se faire en totalité dans le cadre de ses activités commerciales si elle se fait presque en totalité dans ce cadre ».

[3] Paragraphe 9e) de la réponse.

[4] Dans le but de comprendre les questions en litige, j’ai examiné non seulement les actes de procédure, mais également les observations écrites de la requérante relatives à la requête, les observations écrites de l’intimée et les observations écrites supplémentaires de la requérante. Les observations contiennent davantage de détails sur les questions en litige.

[5] Dans les observations écrites de la requérante relatives à la requête, datées du 8 septembre 2020, en particulier aux paragraphes 5 à 10 et 13, il est clair que selon elle la principale question en litige déférée à la Cour est de savoir si la consommation ou l’utilisation des CTI que l’intimée a traités comme des CTI liés à des dépenses à usage mixte s’est faite presque en totalité dans le cadre des activités commerciales de la requérante, avec la conséquence que selon l’article 141, la consommation ou l’utilisation de ces dépenses sera réputée s’être faite en totalité dans le cadre d’activités commerciales.

[6] Observations écrites de la requérante relatives à la requête datées du 8 septembre 2020, paragraphe 10.

[7] Observations écrites de la requérante relatives à la requête, paragraphe 11.

[8] Voir l'article 169 de la Loi sur la taxe d’accise.

[9] Voir le paragraphe 169(1)c) de la Loi sur la taxe d’accise.

[10] Les paragraphes (3) et (4) couvrent la situation inverse, et indiquent que la consommation ou l’utilisation d’un bien ou d’un service est réputée se faire en totalité dans le cadre d’activités non commerciales si elle se fait presque en totalité dans ce cadre.

[11] De la même façon, lorsqu’une personne doit déterminer si la consommation ou l’utilisation du bien ou du service acquis se fait presque en totalité dans le cadre d’activités commerciales, elle doit nécessairement déterminer la mesure dans laquelle il est acquis à de telles fins.

[12] 2016 CCI 171.

[13] La décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (2017 CAF 33).

[14] Notes de bas de page omises.

[15] Voir les paragraphes 3 et 17 des observations écrites de la requérante et les paragraphes 6 à 10 des observations écrites supplémentaires de la requérante.

[16] Voir le paragraphe 27 de ces observations.

[17] Parmi les dix périodes en cause, il y en a cinq où la somme en cause est inférieure à 1 000 $, parmi lesquelles la somme la moins élevée s’élève à 85 $, trois autres où la somme en cause est inférieure à 3 500 $, une où elle est d’environ 17 000 $ et une autre où elle est un peu inférieure à 35 000 $.

[18] Le libellé des dispositions sur les CTI aux articles 169 et 141 et au paragraphe 141.01(5) est clair à ce sujet. Par exemple, à l’alinéa c) de la valeur B dans la formule donnée au paragraphe 169(1), l’on parle du « [...] pourcentage qui représente la mesure dans laquelle la personne a acquis [...] le bien ou le service [...] pour consommation, utilisation ou fourniture dans le cadre de ses activités commerciales ». L’article 141 et le paragraphe 141.01(5) fournissent d’autres détails concernant cette détermination de la mesure dans laquelle le bien ou le service a été acquis pour les besoins d’activités commerciales. Voir également Section A, troisième paragraphe, du commentaire relatif à l’article 141 dans le guide Canada GST Service (par David Sherman), où l’auteur affirme : [traduction] « Les paragraphes 141(1) à (4) s’appliquent à chaque bien pris individuellement. Cela signifie que la détermination de l’utilisation, ou de l’utilisation prévue, de chaque bien appartenant à un inscrit est examinée séparément, et non pour l’ensemble de l’entreprise » (GST partner, 2021 – Release 1).

[19] Ces CTI pourraient également être considérés comme étant uniquement liés à des activités commerciales. En outre, il ne pourrait y avoir aucune possibilité que le fait de trancher la question avant l’audience permette de clore l'affaire, à moins que tous les éléments de preuve et tous les arguments aient été présentés en lien avec la troisième question, concernant l’immeuble dont un étage est à usage commercial et l’autre à usage résidentiel. Des considérations spéciales s’appliquent à cette question, puisque le paragraphe 141(5) entre en jeu.

[20] Pour autant qu’elle ne va pas « abréger substantiellement [l’instance] ou résulter en une économie substantielle de frais ».

[21] […] la Cour peut rendre une ordonnance s’il appert que de trancher la question avant l’audience pourrait régler l’instance en totalité ou en partie [...].

[22] Ce fut le cas dans la décision Viterra Inc. c. La Reine, 2018 CCI 29, rendue par le juge D’Arcy de notre Cour. La décision a été confirmée en appel : 2019 CAF 55.

[23] Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine les observations de l’intimée.

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