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Dossier : 2018-1327(IT)G

ENTRE :

DAVID NONIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 9 novembre 2020, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock

Comparutions :

Avocats de l’appelant :

Me Mark Feigenbaum

Josh Shapiro, stagiaire

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

 

JUGEMENT

ATTENDU QUE la Cour, à cette date, a publié ses motifs du jugement.

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel portant sur les années d’imposition 2015 et 2016 est accueilli.

  2. Les dépens sont adjugés à titre provisoire à l’appelant sous réserve du droit de l’une ou l’autre des parties à présenter des observations écrites dans un délai de 30 jours du présent jugement. Le cas échéant, la Cour pourra examiner ces observations et modifier les dépens adjugés, faute de quoi les dépens adjugés de façon provisoire deviendront définitifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’avril 2021.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur


Référence : 2021 CCI 31

Date : 20210414

Dossier : 2018-1327(IT)G

ENTRE :

DAVID NONIS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. INTRODUCTION

[1] Le présent appel porte sur le montant de l’impôt sur le revenu canadien qu’un non-résident devrait payer relativement au revenu d’emploi versé par un employeur canadien. L’appelant, M. Nonis, est un non-résident du Canada et citoyen et résident américain. De 2013 à 2018, une entité canadienne lui a versé, en vertu d’un contrat, un revenu d’emploi. En 2013 et 2014, M. Nonis a produit une déclaration de revenus canadienne et a payé l’impôt sur le revenu canadien. Le montant de l’impôt sur le revenu canadien a été calculé au prorata du nombre de jours passés au Canada durant lesquels les services ayant permis de percevoir ce revenu ont été exécutés. Pour ces années, le ministre a retenu ce calcul afin d’établir une cotisation pour l’impôt sur le revenu canadien. Le 12 avril 2015 (la « date de l’avis ») M. Nonis a reçu un avis de la part de son employeur canadien lui indiquant qu’il n’avait pas besoin d’exécuter d’autres services actifs pour honorer son contrat. M. Nonis n’est jamais retourné au Canada afin de poursuivre ou d’exécuter son contrat de travail.

[2] Après la date de l’avis, M. Nonis a demandé de produire des déclarations de revenus et de payer ses impôts, en se fondant sur la formule au prorata utilisée en 2013 et 2014 qu’il a toutefois rajustée pour tenir compte du séjour plus court passé au Canada en 2015 et 2016 : 37 jours et 0 jour, respectivement. Le ministre a établi de nouvelles cotisations à l’égard de M. Nonis, affirmant que le calcul au prorata initial utilisé en 2013 et 2014 était une répartition raisonnable pour déterminer le revenu canadien imposable pour les deux années d’imposition subséquentes.

II. FAITS : [traduction] « [...] et maintenant pour la suite de l’histoire »

[3] Normalement, du moins avant l’instruction de l’affaire devant la Cour canadienne de l’impôt, les antécédents professionnels d’une personne, son statut d’emploi et sa situation professionnelle sont systématiquement inconnus du public. M. Nonis est une exception. Du 9 janvier 2013 au 12 avril 2015, il était le directeur général des Maple Leafs de Toronto. Maple Leaf Sports and Entertainment (« MLSE »), son employeur, a conclu un contrat de travail écrit avec lui le 9 janvier 2013, dont la durée initiale était comprise entre cette date et le 30 juin 2016. Par accord de reconduction précoce signé en juin 2013, MLSE a prolongé la durée de l’emploi jusqu’au 30 juin 2018.

[4] Les hauts et les bas du sport professionnel, et surtout les bas concernant MLSE et les Maple Leafs, ont amené MLSE à décider, selon son seul pouvoir discrétionnaire et sans motif, qu’il n’était plus nécessaire que M. Nonis se présente au travail, qu’il remplisse d’autres fonctions actives pour MLSE ou qu’il fournisse à ce dernier d’autres services actifs après la date de l’avis. Selon le témoignage de M. Nonis donné par liaison vidéo, MLSE lui a simplement dit [traduction] de « rentrer chez [lui] ». Le contrat de travail garantissait des avantages salariaux ininterrompus pour le reste de la période contractuelle, plus un an d’assurance maladie. Ce maintien du salaire a donné lieu au différend entre la Couronne et M. Nonis : pendant cette période, quel était le revenu d’emploi imposable perçu par M. Nonis au Canada, compte tenu de son absence et de son statut de non-résident?

[5] Le fait que MLSE ait décidé, [traduction] « sans motif », qu’il n’était plus nécessaire que M. Nonis offre des services actifs, était conforme au contrat. Un extrait du contrat stipule :

[traduction]

MLSE a le droit de mettre fin à votre emploi avec celui-ci, « sans motif », par l’envoi d’un préavis. Si, sans motif, votre emploi prend fin en application de l’alinéa 8c) du présent contrat, sous réserve de la dernière phrase de cet alinéa 8c), MLSE maintiendra votre assurance-maladie collective, sauf l’assurance-invalidité et l’assurance-vie, jusqu’à la première des dates suivantes : (i) la date à laquelle vous commencez un autre emploi ou signez un autre contrat et (ii) un an à partir de la date de cessation d’emploi, et MLSE vous versera un salaire dont le montant équivaut à celui de votre traitement fixe jusqu’au 30 juin 2016, à condition, toutefois, que vous fassiez tout en votre possible pour réduire le nombre de paiements que MLSE pourrait devoir vous verser aux termes du paragraphe 4, en cherchant un autre emploi ou contrat de services et en maximisant votre revenu actuel. Si MLSE résilie le présent contrat aux termes de cet alinéa 8c) avant le 30 juin 2016, tout revenu que vous aurez gagné pendant la période allant de la date de résiliation au 30 juin 2016 et provenant de votre emploi occupé au sein de la Ligue nationale de hockey (« LNH »), de la Ligue américaine de hockey, de la Ligue de hockey de l’Ontario, de la Division 1 Collège ou d’une ligue internationale de hockey ou provenant d’un poste occupé au sein du bureau d’une ligue, notamment à titre d’entraîneur, d’entraîneur adjoint, de président et de directeur général, de vice-président, de président, d’entraîneur, de conseiller, de directeur du personnel des joueurs, de directeur des activités hockey ou d’un poste similaire, doit être déduit des paiements dus par MLSE pendant cette période. Tous les autres paiements et toutes les autres prestations aux termes des paragraphes 5, 6 et 7 doivent cesser dès la résiliation, à l’exception des primes reçues à la date de résiliation. Les paiements périodiques qui vous sont versés en application de cet alinéa 8c) comprendront tout droit à une indemnité de départ ou de cessation d’emploi que vous pourriez avoir, le cas échéant, au titre d’une loi. Vous acceptez d’aviser MLSE dès que vous trouverez un autre emploi après la résiliation du présent contrat aux termes de l’alinéa 8c).

[6] Les règlements de la LNH et, plus précisément l’alinéa 15.1b), sont potentiellement corrélés à l’alinéa 8c), qui dispose ce qui suit :

[traduction]

15.1b) Sous réserve du sous-alinéa (iii) ci-dessous, aucun club membre ou dirigeant, actionnaire, associé, employé, mandataire ou représentant de ce club ne doit, directement ou indirectement, falsifier une offre, la négocier ou discuter d’un emploi avec un employé d’un autre club membre qui n’est pas un joueur, ou son mandataire ou représentant qui est employé à titre de directeur général, d’entraîneur, de superviseur du recrutement, de recruteur ou de tout autre employé qui occupe notamment un poste d’« adjoint » à l’un des postes mentionnés précédemment, dont la fonction principale est liée au recrutement, au repêchage, à l’achat ou à l’entraînement du personnel de joueurs, ou ne doit, directement ou indirectement, présenter une offre à ceux-ci.

[7] Tout manquement aux règlements de la LNH est passible de sanctions. Le [traduction] « club membre » ayant commis l’infraction est passible d’amendes d’un montant élevé (jusqu’à 5 millions de dollars), de la perte de ses droits sur les choix au repêchage et de sanctions similaires.

[8] Les déclarations de revenus de M. Nonis pour 2015 et 2016 étaient similaires à celles pour 2013 et 2014, à l’exception d’un changement majeur : la réduction du revenu d’emploi perçu, car le nombre de jours de présence au Canada a diminué. Les deux déclarations mentionnaient le statut de non-résident de M. Nonis. Comme l’a déclaré M. Nonis, le calcul au prorata correspondant entre le Canada et les États-Unis concernant le lieu où les services ont été exécutés par rapport à la source de revenu était le suivant :

[EN BLANC]

2013 et 2014

2015

2016

Pourcentage du revenu de source canadienne

39,25 %

10,14 %

Aucun

Revenu de sources non canadiennes

60,75 %

89,86 %

100 %

[9] Du fait de son statut de non-résident et du statut de contribuable canadien de son employeur, le processus utilisé par M. Nonis, pour produire ses déclarations, est quelque peu inversé. Pour la question de l’assujettissement à l’impôt de M. Nonis ou de la validité des cotisations établies par la Couronne, cela n’est pas pertinent. Cependant, les déclarations produites par M. Nonis indiquaient qu’il avait droit à un remboursement. Malgré le statut de non-résident de M. Nonis, MLSE, en tant qu’employeur canadien, était tenu de lui verser les déductions fiscales habituelles, du fait qu’il était considéré comme un employé à temps plein résidant au Canada. En bref, les retenues à la source étaient identiques à celles d’un résident canadien. Sur le plan administratif, en établissant de nouvelles cotisations à l’égard des déclarations de M. Nonis pour les années 2015 et 2016, les représentants du ministre ont refusé une grande partie de la déduction d’impôt sur le revenu prétendument [traduction] « gagné » aux États-Unis. Par conséquent, cela diminuait le montant du remboursement demandé par M. Nonis à l’égard des acomptes provisionnels versés par l’employeur et retenus à la source.

[10] On pourrait donc se poser la question suivante : pourquoi le ministre a-t-il rejeté le calcul au prorata de M. Nonis pour son revenu gagné aux États-Unis en 2015 et 2016? Le raisonnement derrière la thèse de la Couronne est décrit étape par étape ci-dessous. D’une façon générale, la réponse est simple : M. Nonis ne peut pas calculer au prorata le revenu versé par MLSE en fonction du nombre de jours passés au Canada pour le gagner, parce qu’il est visé par une disposition précise de la Loi établissant une présomption, selon laquelle il est considéré comme [traduction] « résident ». Le ministre fait valoir que l’alinéa 115(2)c.1) de la Loi [traduction] « vise » les non-résidents qui, dans le cadre de certains contrats ou de certaines ententes, perçoivent des sommes déductibles par un payeur canadien au titre de la Loi. Comme cela est expliqué dans les motifs détaillés ci-dessous, la Couronne affirme que cette règle précise établissant une présomption s’applique à M. Nonis et que de ce fait, il est considéré comme résident.

[11] Par contre, M. Nonis affirme que la règle plus générale mentionnée aux paragraphes précédents de l’article 115 de la Loi s’applique : établir comme revenu le montant des paiements qui découlent des fonctions ou services [traduction] « exercés au Canada » par un non-résident, aux termes du paragraphe 115(1) et du sous-alinéa 115(2)e)(i) de la Loi.

[12] La question en litige formulée de manière plus précise est la suivante : la règle précise qui vise les non-résidents à l’alinéa 115(2)c.1) s’applique-t-elle à M. Nonis et remplace-t-elle le calcul général d’une retenue de la rémunération gagnée au Canada et à l’étranger visée par le paragraphe 115(1) de la Loi?

III. LES THÈSES DES PARTIES : [traduction] « [...] une question de droit »

a) La loi

[13] Les extraits suivants tirés de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR ») sont visés par le présent appel et les observations des parties.

[14] La partie I de la Loi impose au non-résident l’assujettissement à l’impôt général aux termes du paragraphe 2(3) qui dispose :

Impôt payable par les non-résidents

2 (3) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu’il est prévu par la présente loi, sur son revenu imposable gagné au Canada pour l’année, déterminé conformément à la section D, par la personne non imposable en vertu du paragraphe (1) pour une année d’imposition et qui, à un moment donné de l’année ou d’une année antérieure, a :

a) soit été employée au Canada;

b) soit exploité une entreprise au Canada;

c) soit disposé d’un bien canadien imposable.

at any time in the year or a previous year, an income tax shall be paid, as required by this Act, on the person’s taxable income earned in Canada for the year determined in accordance with Division D.

Note de la rédaction : le revenu d’un non-résident visé par la partie I de la Loi est calculé conformément aux règles fournies à la section D (articles 115 et 116). Cependant, la plupart des formes de revenu de placement passif sont assujetties à des retenues d’impôt aux termes de la partie XIII. Dans un cas comme dans l’autre, un non-résident pourrait être assujetti à l’impôt aux termes de la Loi.

[15] Les non-résidents doivent consulter l’article 115 de la Loi : Revenu imposable au Canada des non-résidents. Les commentaires de nature éditoriale sont inclus, car ils figurent de façon bien visible dans les observations des parties. Plus précisément, les extraits suivants invoqués différemment par les parties s’appliquent au présent appel :

SECTION D – Revenu imposable gagné au Canada par des non-résidents

Revenu imposable au Canada des non-résidents

115 (1) Pour l’application de la présente loi, le revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition d’une personne qui ne réside au Canada à aucun moment de l’année correspond à l’excédent éventuel du montant qui représenterait son revenu pour l’année selon l’article 3 :

a) si elle n’avait pas de revenu autre :

(i) que les revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par elle au Canada [...],

(v) dans le cas d’une personne non-résidente visée au paragraphe (2), que le total déterminé en vertu de l’alinéa (2)e) pour cette personne, […]

Idem

115 (2) Lorsque, au cours d’une année d’imposition, une personne non-résidente était :

c.1) une personne qui, au cours de l’année, a reçu, en vertu d’un contrat, une somme qui était déductible ou le sera dans le calcul du revenu d’un contribuable assujetti à l’impôt en vertu de la présente partie et que, indépendamment de la date de signature du contrat ainsi que sa forme et son effet, il est raisonnable de considérer comme ayant été reçue, en tout ou en partie :

(i) soit en contrepartie intégrale ou partielle de la conclusion d’un contrat ou d’une convention de prestation de services, lorsque de tels services doivent être rendus au Canada ou de l’engagement de ne pas conclure un tel contrat ou une telle convention avec une autre partie,

(ii) soit à titre de rémunération intégrale ou partielle pour les fonctions afférentes à une charge ou à un emploi ou d’indemnisation intégrale ou partielle pour les services rendus au Canada,

les règles suivantes s’appliquent :

d) pour l’application du paragraphe 2(3), la personne non-résidente est réputée avoir été employée au Canada pendant l’année;

e) pour l’application du sous-alinéa (1)a)(v), le total déterminé en vertu du présent alinéa, au sujet de la personne non-résidente, est le total des montants suivants :

(i) toute rémunération relative à une charge ou à un emploi, que lui a payée directement ou indirectement une personne résidant au Canada et qui a été reçue par la personne non-résidente au cours de l’année, sauf dans la mesure où cette rémunération est attribuable aux fonctions d’une charge ou d’un emploi qu’elle a remplies n’importe où à l’étranger [...]

(v) les sommes visées à l’alinéa c.1) et reçues par elle au cours de l’année, sauf dans la mesure où elles doivent par ailleurs être incluses dans le calcul de son revenu imposable gagné au Canada pour l’année […]

Note éditoriale : le sous-alinéa 115(1)a)(v) et le paragraphe 115(2) élargissent les dispositions du paragraphe 2(3) à certains employés, étudiants et chercheurs non-résidents et, dans les faits, assujettissent certaines sommes que ces derniers ont perçues à l’impôt prévu par la partie I. La somme nette calculée qui découle des dispositions au paragraphe 115(2) est incluse dans le « revenu imposable gagné au Canada » aux termes du paragraphe 115(1) et conformément au paragraphe 2(3), cette somme est assujettie à l’impôt prévu par la partie I.

4(1) Les règles suivantes s’appliquent à la présente loi :

[...]

b) lorsque l’entreprise exploitée par un contribuable l’a été, ou que les fonctions de la charge ou de l’emploi remplies par ce dernier l’ont été, selon le cas, en partie dans un endroit et en partie dans un autre endroit, le revenu ou la perte du contribuable pour l’année d’imposition provenant de l’entreprise qu’il a exploitée ou des fonctions qu’il a remplies dans un endroit déterminé est, selon le cas, le revenu ou la perte du contribuable, calculés conformément à la présente loi, à supposer qu’il n’ait eu durant l’année d’imposition aucun revenu ni perte, sauf ce qui provenait de la partie de l’entreprise exploitée dans cet endroit déterminé, ni aucun revenu ou perte, sauf ce qui provenait de la partie des fonctions remplies dans cet endroit déterminé, selon le cas, et qu’il n’ait eu droit à aucune déduction dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition, à l’exception des déductions qu’il est raisonnable de considérer comme entièrement applicables à cette partie de l’entreprise ou à ces fonctions, selon le cas, et à l’exception de la partie de toutes autres déductions, qu’il est raisonnable de considérer comme applicable à cette partie de l’entreprise ou à ces fonctions.

b) La thèse de l'intimée en détail

i) Des dispositions précises qui établissent une présomption s’appliquent au revenu de M. Nonis en 2015 et 2016.

[16] Pour les non-résidents, le « revenu imposable gagné au Canada » est déterminé conformément aux dispositions à la section D de la Loi. Le paragraphe 115(1) relève de la section D. Ces dispositions permettent d’établir le montant du revenu du non-résident qui est assujetti à l’impôt de la partie I qui comprend le revenu d’emploi et le revenu d'entreprise de source canadienne, ainsi que les gains en capital imposables sur des biens canadiens imposables. Pour calculer le « revenu imposable gagné au Canada » du non-résident, le paragraphe 115(1) de la Loi expose aux alinéas a) à c) les conditions qui s’appliquent pour calculer ce revenu et les alinéas d) à f) dressent une liste des déductions permettant de préciser ce revenu.

[17] L’intimée soutient que l’appelant était, pour l’application du paragraphe 2(3) de la Loi, [traduction] « employé au Canada » en 2015 et 2016. L’intimée affirme que bien que selon le principe général, les non-résidents ne soient assujettis à l’impôt que sur leur revenu de source canadienne et que l’on considère généralement que la source du revenu d’emploi est le lieu où l’emploi est exercé ou effectué, le législateur n’avait aucunement voulu limiter aux fonctions uniquement remplies au Canada le pouvoir d’imposition du ministre.

[18] L’intention du législateur ressort d’abord du paragraphe 2(3) de la Loi où la référence à « une année antérieure » assujettit les montants des revenus énumérés à l’article 115 de la Loi aux dispositions fiscales de la partie I, sans que ces sommes perçues n’aient découlé d’un emploi exercé au Canada ou sans qu’elles n’aient été versées au titre d’un revenu d’emploi relatif à des services offerts au Canada et gagné au cours d’une année antérieure. L’impôt sur ce revenu est exigible au Canada au cours de l’année où il a été perçu. Selon le paragraphe 2(3) de la Loi, ce revenu pourrait par ailleurs échapper à l’impôt s’il était perçu au cours d’une année postérieure à l’année durant laquelle la personne a été employée au Canada. Il est clairement indiqué au paragraphe 2(3) que ces revenus n’échappent pas à l’impôt.

ii) Le législateur s'est exprimé clairement : fonctions exercées au Canada

[19] Le législateur, en ayant recours à une disposition déterminative, a clairement voulu assujettir certains non-résidents à l’impôt au Canada, même s’ils n’exerçaient peut-être pas en fait des fonctions d’emplois au Canada et qu'ils n'étaient donc pas, à proprement parler, « employés » au Canada. Cette « disposition déterminative » utilisée pour créer une fiction juridique ne peut pas être contredite ou [traduction] « réfutée ». Même en présence d’une preuve contraire irréfutable, les faits déclarés par le législateur prévalent. Vu la définition du mot « employé » au paragraphe 248(1) de la Loi, le non-résident qui est réputé, en application de l’alinéa 115(2)d) de la Loi, « employé au Canada » aux termes du paragraphe 2(3) de la Loi est réputé avoir « accompli les fonctions que comporte une charge ou un emploi » au Canada.

iii) Vu le contexte, cette interprétation est retenue

[20] Bien que réfutable, la disposition déterminative au paragraphe 6(3) impose au contribuable la charge d’établir qu’« il n’est pas raisonnable de considérer » cette somme perçue comme la contrepartie d’un accès à l’emploi, de la rémunération pour des services rendus ou comme la contrepartie d’une restriction des activités de l’employé. L’inclusion de l’article 3, et donc des articles 5 et 6 de la Loi, en vue de déterminer le « revenu imposable gagné au Canada » aux termes du paragraphe 115(1) et le libellé général de ces dispositions vont dans le sens de l’argument selon lequel l’économie générale de la Loi, son objet et l’intention du législateur permettent au ministre d’établir le montant d’impôt sur les sommes comme celles que MLSE a versées à l’appelant tout au long des années d’imposition de 2015 et de 2016.

iv) Examen plus approfondi de l’alinéa 115(2)c.1)

[21] L’intimée fait valoir que l’appelant a reçu des sommes qui sont visées par l’alinéa 115(2)c.1) de la Loi, de sorte que conformément à l’alinéa 115(2)d), l’appelant est considéré comme étant « employé au Canada » en application du paragraphe 2(3) de la Loi. Conformément au sous-alinéa 115(l)a)(v) de la Loi, une fois qu’il est établi qu’une personne non-résidente est considérée comme étant « employée au Canada » en application de l’alinéa 115(2)d), le « revenu imposable gagné au Canada » est déterminé conformément à l’alinéa 115(2)e) de la Loi.

[22] L’intimée fait valoir que l’appelant a perçu un « revenu imposable gagné au Canada », étant donné que les sommes qu’il a reçues tout au long des années 2015 et 2016 sont visées par l’alinéa 115(2)e)(i) ou le sous-alinéa 115(2)e)(v), ce dernier renvoyant aux sommes décrites à l’alinéa 115(2)c.1) de la Loi. L’application du critère à l’alinéa 115(2)c.1) visant à considérer l’appelant comme étant « employé au Canada » et à déterminer son « revenu imposable gagné au Canada », l’analyse suivante vaut pour les deux déterminations. Le sous-alinéa 115(2)e)(i) ne s’applique qu’aux fins du critère du « revenu imposable gagné au Canada ».

[23] Par conséquent, en application de l’alinéa 115(2)c. 1) de la Loi, la personne non-résidente est considérée être « employée au Canada » et a perçu un « revenu imposable gagné au Canada » si, entre autres choses, elle a reçu des sommes à titre de « contrepartie », de « rémunération » ou d'« indemnisation ». Le sous-alinéa 115(2)e)(i), dont l’application ne vise qu’à déterminer le « revenu imposable gagné au Canada », indique « toute rémunération relative à une charge ou à un emploi, que lui a payée directement ou indirectement une personne résidant au Canada et qui a été reçue par la personne non-résidente au cours de l’année ». Le recours par le législateur aux mots « rémunération », « contrepartie » et « indemnisation » dans ces dispositions va dans le sens de la cotisation établie par le ministre pour les années d’imposition 2015 et 2016 de l’appelant.

[24] À l’exception du mot « indemnisation » qui est défini au paragraphe 147. 1(1) de la Loi et qui se limite à l’application des articles 147.1, 147.2 et 147.3, la Loi ne définit aucun de ces termes. Le mot « rémunération » est défini aux paragraphes 100(1) et 1106(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu. Même si la deuxième de ces deux définitions n’est pas très utile, le paragraphe 100(1) définit la « rémunération » comme comprenant « tout paiement qui est relatif au versement d’un traitement ou d’un salaire, ou de commissions ou d’autres montants semblables [...] à un agent ou employé ou à un ancien agent ou employé ». Bien qu’ils ne soient pas concluants, il est reconnu qu’une loi et son règlement peuvent s'éclairer réciproquement.

v) La jurisprudence pertinente

[25] A l'appui de cette interprétation, l’intimée a cité la jurisprudence pertinente. Dans l'arrêt Mastech Quantum Inc., la Cour d’appel fédérale s’est appuyée sur les définitions suivantes du mot « rémunération » pour décider si un travailleur exerçait un emploi assurable ouvrant droit à pension aux termes de l’alinéa 6g) de la Loi sur l’assurance-emploi et du paragraphe 34(1) du Règlement sur le Régime de pensions du Canada.

[traduction] Le nouveau Petit Robert de la langue française 2010 définit les mots « rémunérer » et « rémunération » de la manière suivante : « Payer (un service, un travail). Rémunérer le concours de quelqu’un. Rémunérer le capital. Par ext. Payer (quelqu’un) pour un travail; rétribuer. Collaborateurs rémunérés (opposé à bénévole). Travail bien, mal rémunéré ». Ce même dictionnaire définit le terme « rémunération » de la manière suivante : « Argent reçu pour prix d’un service, d’un travail; Rétribution, salaire ».

[26] En ce qui concerne l'affaire CAN-AM Services & United Truck Rental (Re), le Conseil canadien des relations du travail était appelé à se prononcer sur sa compétence pour ordonner que l’employeur verse à l’employé congédié une somme d’argent plutôt que des prestations d’assurance. Était en question l’interprétation du mot « rémunération » figurant aux alinéas 96.3c) et 96.3d) du Code canadien du travail. Dans son analyse, le Conseil a conclu ce qui suit : [traduction]

La question est de savoir si le libellé plus strict des alinéas 96.3c) et d) se prête à conférer au Conseil la compétence de faire une telle adjudication. Le mot « rémunération » a été défini de diverses manières et le seul point commun dans toutes les définitions est que la rémunération désigne plus que simplement un salaire. Dans la décision Magasin Coop de Trois-Pistoles v. Syndicat des employés de Magasin Coop de Trois-Pistoles (CSN), publiée dans Droit du travail express no 84T-494, le 18 juillet 1984, l’unique arbitre M. Léonce E. Roy a dit :

« Une rémunération ne désigne pas strictement la contrepartie d’un travail, mais plutôt la somme totale que l’entreprise où le travail est exécuté verse et le salaire, à proprement parler, n’est qu’un élément [...] ».

[27] À l’alinéa 115(2)c.l) de la Loi, le législateur utilise l’expression « raisonnable de considérer » pour définir les sommes reçues en contrepartie intégrale ou partielle, à titre de rémunération intégrale ou partielle et d’indemnisation intégrale ou partielle. Il ressort de l’utilisation par le législateur de l’expression « raisonnable de considérer » une intention claire; doivent donc être assujetties à l’impôt les sommes versées à l’appelant tout au long des années 2015 et 2016, aux termes de la partie I de la Loi.

[28] L’intimée fait valoir que cette approche générale est confortée par l’utilisation à l’alinéa 115(2)c.1) de l’expression « indépendamment de la date de signature du contrat ainsi que sa forme et son effet ». Cette même expression, utilisée sans les mots « ou un arrangement », a été examinée et interprétée par la Cour canadienne de l’impôt de la manière suivante :

Vu les mots, « indépendamment de la date de signature du contrat ainsi que sa forme et son effet », la Cour doit tenir compte des répercussions et des conséquences économiques de tous les éléments précédents. L’appelant se fonde sur ce dernier facteur pour soutenir que la substance économique de la convention était la suivante : il devait recevoir 17,5 millions de dollars en contrepartie de son accord à rembourser le prêt de 225 millions de dollars à APCJ en 2030. La différence constitue la rémunération reçue pour l’utilisation des 17,5 millions de dollars pour cette période, ou, en d’autres termes, la contrepartie pour la valeur temporelle de l’argent, la raison principale du versement d’intérêts.

vi) Application de l’interprétation de l’intimée aux faits

[29] À la date de l’avis, MLSE a informé l’appelant qu'il n’avait plus besoin de se présenter au travail et d’exécuter les fonctions prévues par le contrat de travail. Avant la date de l’avis, l’appelant a reçu un salaire de base annuel sous la forme de paiements périodiques, ce qui signifie que l’appelant a perçu son salaire deux fois par mois, soit le 15e jour et le dernier jour du mois. L’appelant a également eu droit aux prestations d’assurance-maladie collective versées par MLSE.

[30] Il ressort des éléments de preuve que l’emploi de l’appelant a « pris fin sans motif » à la date de l’avis, au sens attribué à cette expression dans le contrat de travail. L’appelant a donc continué à recevoir ce qui suit :

  • a) jusqu’au 30 juin 2018, MLSE a continué à verser à l’appelant les sommes dues au titre du salaire de base annuel aux termes du contrat de travail, en respectant le même calendrier de versements périodiques;

  • b) MLSE a maintenu l’assurance-maladie collective de l’appelant, sauf son assurance-invalidité et son assurance-vie, jusqu’à la première des deux dates qui ne dépassait pas un an à partir de la date de cessation d’emploi.

[31] Aux termes de l’alinéa 115(2)d) de la Loi, l’appelant est donc réputé « employé au Canada » pour l’application du paragraphe 2(3) de la Loi. Les sommes versées par MLSE à l’appelant tout au long des années 2015 et 2016 constituent aussi un « revenu imposable gagné au Canada », conformément au sous-alinéa 115(l)a)(v) et à l’alinéa 115(2)e) de la Loi, qui sont assujetties à l’impôt de la partie I.

vii) Le ministre a réparti le revenu d’une manière raisonnable entre les deux pays

[32] Si M. Nonis était employé au Canada et que toutes les sommes versées par MLSE constituent un revenu imposable gagné au Canada, l’intimée soutient alors que le ministre a procédé à une répartition raisonnable. La détermination résultant de la fiction juridique, selon laquelle le non-résident de fait était considéré comme étant employé au Canada, a amené le ministre à reporter prospectivement la répartition au prorata correspondant à 39,25 % établie précédemment pour les années d’imposition 2015 et 2016. Cela est acceptable. Elle ne peut pas être nulle. En outre, aux termes du paragraphe 2(3) de la Loi, les fonctions d’emplois sont réputées avoir été exercées au Canada. En fait, le ministre était en droit d’établir des cotisations concernant la totalité des sommes perçues en 2015 et 2016. Au lieu de cela, le ministre a agi de manière plus raisonnable et a établi une répartition correspondant à 39,25 %. Enfin, aucun autre calcul n’a été proposé.

viii) Les recours dont dispose M. Nonis, le cas échéant, relèvent de la loi américaine

[33] La Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts est notamment entrée en vigueur afin d'éviter la double imposition, l’évitement fiscal et l’évasion fiscale. La suppression de la double imposition se fait non seulement au moyen d’ententes bilatérales internationales, mais elle peut se faire unilatéralement, lorsque les États révoquent leurs créances fiscales. Cette mesure unilatérale est généralement concrétisée lorsque l’État de résidence prévoit un crédit pour les impôts dus dans l’État source. Il s’agit du principe du crédit pour impôt étranger adopté par les États-Unis et le Canada.

[34] Le principe fondamental d’interprétation des lois nationales et des traités internationaux est le même : il faut donner aux mots utilisés leur sens ordinaire, en fonction de leur contexte et de leur objet. Dans le cas de l’appelant, le Canada est en droit d’assujettir à l’impôt la part de la somme d’argent que MLSE lui a versée tout au long des années 2015 et 2016 et qui est admissible, en application du droit canadien, à titre de « revenu imposable gagné au Canada ». Cela résulte de l’économie générale de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts et de son article XV(1) qui est libellé ainsi :

Sous réserve des dispositions des articles XVIII (Pensions et rentes) et XIX (Fonctions publiques), les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu’un résident d'un État contractant reçoit au titre d’un emploi salarié ne sont imposables que dans cet État, à moins que l’emploi ne soit exercé dans l’autre État contractant. Si l’emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre État.

[35] En effet, l’intimée soutient que la même analyse que celle qui vaut pour le libellé de l’article 115 de la Loi s’applique à l’interprétation de l’article XV(1). Pour les mêmes motifs, les sommes versées à l’appelant par MLSE sont les « salaires, traitements et autres rémunérations » au sens de l’article XV(1). De plus, les commentaires et notes explicatives concernant l’article 15(1) du Modèle de convention qui est identique à l’article XV(l), mis à part le fait que l’adjectif « similaires » n’est pas présent dans la dernière disposition citée, indiquent que le Canada, du fait qu’il était l’État dans lequel l’appelant exerçait son emploi, a le droit d’assujettir à l’impôt le revenu qu’il en tire. L’explication technique concernant l’article XV confirme la même chose et signale l’exception au paragraphe 2 qui, en l'espèce, ne s’applique pas. En outre, selon la fiction juridique créée par l’alinéa 115(2)d) et le paragraphe 2(3) de la Loi, l’appelant « accompli[ssait] les fonctions que comporte [...] un emploi » au Canada. Il n’y a pas lieu d'opérer une distinction entre le mot « exercé » à l’article XV de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts et le verbe « accomplit » dans la Loi.

[36] Ayant le droit, en vertu de ses lois nationales, d’assujettir à l’impôt les sommes versées par MLSE à l’appelant en 2015 et 2016, les mesures permettant d’éviter la double imposition qui en découlent ne visent pas à faire abstraction de l’application de la Loi et d'ailleurs de celle de l’article XV(1) de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts. Au contraire, les mesures dont dispose l’appelant figurent à l’article XXIV(1) de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts qui est rédigé ainsi :

En ce qui concerne les États-Unis, sous réserve des dispositions des paragraphes 4, 5 et 6, la double imposition est évitée de la façon suivante : en conformité avec les dispositions et sous réserve des limites prévues par la législation des États-Unis (telle qu’elle peut être modifiée sans en changer le principe général), les États-Unis accordent aux citoyens ou résidents des États-Unis ou à une société qui choisit d'être considérée comme une société domestique (domestic corporation) comme crédit déductible de l'impôt sur le revenu des États-Unis le montant approprié des impôts sur le revenu payés ou dus au Canada; [...].

[37] L’explication technique concernant l’article XXIV et le commentaire du Modèle de convention sur l’article 23, son équivalent en substance, confortent la thèse selon laquelle est évitée la double imposition causée par les cotisations établies par le ministre selon un crédit d’impôt aux termes du Internal Revenue Code au revenu de l’appelant pour les années d’imposition 2015 et 2016. Notre Cour et d’autres cours ont également interprété l’article XXIV de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts de la même manière.

[38] Par conséquent, il n’y a pas lieu, aux termes de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts, d’accueillir l’appel en annulant les cotisations. Le Canada était en droit, en vertu de la Convention Canada–États-Unis en matière d’impôts, d’établir le montant d’impôt sur les sommes versées par MLSE à l’appelant en 2015 et 2016. Pour éviter la double imposition causée par cet établissement des cotisations associé aux déclarations d’impôt de l’appelant produites aux États-Unis, il doit s'adresser aux autorités américaines.

c) La thèse de l’appelant

[39] En termes simples, M. Nonis était un non-résident qui percevait un revenu d’emploi du fait des efforts qu’il déployait aux États-Unis et au Canada, au cours des années en cause, même si ces efforts étaient consacrés exclusivement à un employeur domicilié au Canada.

[40] La confusion de l’intimée porte sur les personnes visées par la disposition relativement récente qu'est l’alinéa 115(2)c.1). Il concerne les athlètes professionnels qui commencent à toucher des primes importantes à la signature, ce qui est surtout le cas des joueurs d’une ligue majeure de baseball et qui perçoivent ensuite chaque année un salaire moins important, par rapport au montant des primes qu’ils ont touchées au départ. Logiquement, si un résident américain touche cette prime avant d’être recruté par une franchise canadienne et d’arriver au Canada, en l’absence de l’alinéa 115(2)c.1), ces sommes, bien que pertinentes et liées aux efforts déployés ainsi qu’aux services rendus et bien qu’elles représentent ces efforts et services qui doivent être effectués au Canada, elles ne deviendront pas le revenu gagné au Canada. L’alinéa 115(2)c.1) permet d’empêcher cet évitement fiscal. C’est ce qu’indique la publication des notes techniques lorsque l’alinéa 115(2)c.1) a été introduit dans la Loi.

[41] Concrètement, le maintien du salaire de M. Nonis n’était pas une prime à la signature. Le salaire versé avant le 12 avril 2015 ne l’était pas non plus. Dans les deux cas, il s’agissait d’un revenu d’emploi établi aux termes d’un contrat de travail qui était versé alors qu'il était en vigueur. La méthode d’établissement du montant de l’impôt canadien en 2013 et 2014 était raisonnable. Elle était fondée sur le nombre de jours de résidence au Canada nécessaire pour effectuer des services et percevoir le revenu calculé au prorata concordant. C’est sur ce fondement cohérent et logique que M. Nonis a produit ses déclarations en 2015 et 2016.

[42] Du point de vue des politiques d'intérêt public, la thèse du ministre, si notre Cour la retient, modifiera considérablement le droit. Elle englobera tous les non-résidents dont l’emploi a pris fin, mais qui ont négocié le maintien de leur salaire après avoir totalement quitté le Canada et être retournés dans leur État de résidence.

[43] La Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis ne s’applique pas. M. Nonis était un non-résident, et non un résident tenu de payer l’impôt dans un autre pays. Il est question du revenu d’emploi d’un non-résident et de la mesure dans laquelle ce gain est attribuable aux services rendus et aux efforts déployés au Canada.

[44] La règle du paragraphe 2(3) est claire. Si l'intéressé est non-résidente, il faut calculer le revenu, puis la déduction à l’alinéa 115(2)d). De même, le paragraphe 6(3) ne se rapporte pas au revenu d’emploi, mais plutôt à des [traduction] « avantages sociaux » ou à d’autres avantages à titre d’indemnisation.

[45] Enfin, la thèse de l’appelant est raisonnable et évidente. Le nombre de jours passés au Canada n’est pas égal à zéro en 2015, mais il s’agit plutôt d’établir le nombre réel de journées de travail, où M. Nonis était au Canada, par rapport au nombre réel de journées de travail passées aux États-Unis. C’est en 2016 qu’aucune journée n’a été passée au Canada pour déployer des efforts ou rendre des services pour MLSE. Cette thèse est également cohérente et raisonnable.

IV. DISCUSSION

[46] En d’autres termes, les questions en litige dans le présent appel sont les suivantes :

  • i) M. Nonis, qui est non-résident, est-il réputé contribuable résident employé au Canada pour l’application du paragraphe 2(3) de la Loi, de sorte que l’alinéa 115(2)c.1) s’applique?

  • ii) Si tel est le cas, le maintien du salaire perçu par le non-résident de fait, qui est toutefois réputé résident, constitue-t-il un revenu canadien imposable pour les années 2015 et 2016?

a) Certains faits constants et controversés

[47] La Cour abonde dans le sens des avocats des deux parties concernant les conclusions et les faits suivants :

  • i) M. Nonis était et demeure un non-résident du Canada;

  • ii) les sommes ont été versées aux termes du contrat de travail à titre de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi;

  • iii) ces sommes ont continué à être versées de manière ininterrompue, aux termes du contrat de travail, pendant toute l’année 2015 et, sauf dans le cas de certaines prestations d’assurance maladie, pendant toute l’année 2016;

  • iv) M. Nonis a cessé de fournir des services importants ou de faire acte de présence au travail pour MLSE après la date de l’avis (le 12 avril 2015). En revanche, il a travaillé chez lui, aux États-Unis.

[48] Pendant la présentation des observations concernant la période de maintien de salaire, il y a eu controverses entre les parties quant aux faits ou conclusions mélangées de fait et de droit suivants, peu importe qu’ils aient été jugés pertinents ou déterminatifs.

  • i) la question de savoir si M. Nonis n’était pas tenu d’aviser MLSE des demandes d’autres clubs membres de la LNH après la date de l’avis;

  • ii) la question de savoir si M. Nonis devait exercer des fonctions ou s’acquitter d’obligations envers MLSE après la date de l’avis.

[49] Après la date de l’avis, les obligations de M. Nonis envers MLSE ont considérablement diminué. Néanmoins, certaines obligations qui allaient de pair avec le maintien du salaire se sont accumulées : l’obligation de M. Nonis de signaler qu’il avait trouvé un nouvel emploi, celle de communiquer avec d’autres clubs membres afin de discuter d’occasions d’affaires, l’obligation de se conformer aux directives et l’obligation de rester [traduction] « chez lui » en attendant de nouvelles discussions avec d’autres clubs membres et, de façon hypothétique, le rappel au travail de la part de MLSE. La Cour ne peut pas faire abstraction de ce que le contrat de travail et les règles de la LNH portent sur cette question.

[50] En dehors de ce qu’indique le contrat, les parties l’ont certainement exécuté de cette façon. M. Nonis est respectueusement [traduction] « rentré chez lui » et a attendu avec vigilance que d’autres clubs membres communiquent avec lui. En outre, les témoignages révèlent que M. Nonis a tenu MLSE informé au cours de la période qui a suivi le moment où un club membre est entré en contact avec M. Nonis. MLSE a également confirmé par écrit, à l’intention du ministre et de l’ARC, le nombre de jours (pour l’ARC) que M. Nonis a passés au Canada en 2015 et 2016 alors qu’il exerçait ses fonctions. Cela est incompatible avec une rupture totale des liens et des obligations contractuels lors de la date de l’avis, au début de l’année 2015.

b) La Loi en général, les questions de la résidence et de l’imposition des non-résidents

[51] Comme l’invoque l’intimée dans ses arguments, l’examen de la principale loi fiscale appelle une approche nuancée lorsqu’on renvoie aux directives de longue date données par la Cour suprême du Canada [1] :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[52] Il est constant que, concrètement, M. Nonis était non-résident pour toutes les années d’imposition. La Loi prévoit un régime d’imposition précis pour les non-résidents. Plus précisément, en ce qui concerne le revenu d’emploi, les non-résidents doivent payer l’impôt sur le revenu canadien imposable « gagné » relativement à des services « rendus » au Canada.

[53] En général, les non-résidents paient donc l’impôt uniquement sur le revenu d’emploi provenant du Canada, lorsque les fonctions de l’emploi sont remplies au Canada.

c) L’« enchaînement du raisonnement » du ministre

[54] Le ministre s’est écarté de cette règle générale en établissant minutieusement un enchaînement de conclusions juridiques qui sont indiquées en termes simples ci-dessous :

  • i) le paragraphe 2(3) incorpore les sommes de revenus à l’article 115 dans la partie I, bien qu’elles n’aient pas été gagnées au Canada au cours de cette année d’imposition;

  • ii) par analogie, les alinéas 115(2)a),b),b.1),c) et c.1) élargit le revenu par ailleurs non imposable qui doit être inclus en tant que revenu canadien;

  • iii) en outre, à l’alinéa 115(2)d), les contribuables sont ensuite réputés avoir été « employé[s] au Canada » aux termes du paragraphe 2(3) de la Loi;

  • iv) puisque M. Nonis est ainsi réputé « employé au Canada », il est en même temps réputé exercer les fonctions d’un prestataire au Canada;

  • v) le paragraphe 115(1) incorpore l’article 3 de la Loi pour déterminer le revenu d’un non-résident au Canada;

  • vi) l’article 3 renvoie implicitement aux articles 5 et 6;

  • vii) les articles 5 et 6 indiquent certains éléments à inclure; plus précisément, selon le paragraphe 6(3), les sommes sont réputées avoir été reçues pendant la période d’emploi ou, dans leur sens plus large, avant, pendant ou après la période d’emploi, pour l’application de l’article 5 de la Loi;

  • viii) sauf si M. Nonis démontre qu’il n’est pas « raisonnable de considérer » la somme reçue comme étant une contrepartie au sens large qui est versée au titre d'un emploi à un moment donné, le « revenu imposable au Canada » de M. Nonis permet d’assujettir à l’impôt la totalité des sommes versées par MLSE à M. Nonis au cours des années d’imposition 2015 et 2016;

  • ix) le ministre n’a pas fait preuve d’autant d’audace. Dans un moment d’apaisement, le ministre a choisi de faire preuve de sagesse et de diminuer ainsi la cotisation établie relativement au revenu gagné au Canada en la ramenant à celle qui avait été calculée auparavant au prorata et qui s’applique aux fonctions exercées au Canada par M. Nonis en 2013 et 2015.

[55] En revanche, l’appelant soutient que la directive complète et simple que la Cour et le ministre doivent suivre figure au paragraphe 115(1). Plus précisément, le revenu d’emploi de M. Nonis était un revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, calculé comme si l’appelant ne percevait, pendant l’année, aucun autre revenu que [traduction] « les revenus tirés des fonctions d’emplois exercées par la personne non-résidente au Canada » qui sont tous énoncés en détail au paragraphe 115(1).

[56] De plus, selon l’alinéa 4(1)b), lorsque le contribuable exerce des fonctions à la fois au Canada (« un endroit ») et dans un autre pays (« un autre endroit »), son revenu est calculé selon les fonctions exécutées dans un endroit par rapport à un autre endroit. Le revenu imposable de M. Nonis dans chaque pays est donc simplement fondé sur le ratio entre le nombre de jours qu’il passe au Canada pour fournir ses services et le nombre de jours passés aux États-Unis, son pays de résidence. Le nombre de jours passés au Canada correspond à 37 jours sur 365 jours pour l’année d’imposition 2015 et à 0 jour en 2016.

[57] La question générale dont est saisie la Cour est celle de savoir si le montant de l’impôt canadien auquel M. Nonis est assujetti, en tant que non-résident de fait, doit être établi et calculé en fonction de ces services fournis au Canada, en application du sous-alinéa 115(1)a)(i) ou en fonction d’une résidence réputée [traduction] « fictive (comme l’a qualifiée l’avocat de l’intimée) » qui découle de la nature de la rémunération, contrepartie ou indemnisation, aux termes des sous-alinéas 115(2)c)(i) ou (ii).

d) Assujettissement fiscal au Canada pour les non-résidents

[58] M. Nonis est non-résident. Cela est constant. M. Nonis pourrait toutefois être tenu de payer l’impôt sur le revenu canadien. Bien que le non-résident ne soit pas tenu de payer l’impôt canadien sur son revenu de toutes provenances, le non-résident doit payer l’impôt canadien sur le revenu d’emploi gagné en fournissant des services au Canada [2] . Le revenu imposable gagné par le non-résident et qui découle d’un emploi exercé au Canada comprend tout revenu provenant d’un employeur canadien et perçu au cours de cette année-là [3] . Bien que la Loi fasse une exception en ce qui concerne le revenu provenant d’un employeur canadien et gagné en échange d’un travail effectué à l’extérieur du Canada, qui est assujetti à l’impôt sur le revenu d’un pays étranger [4] , aux termes de la Loi et pour déterminer le montant d’impôt qu’il devra payer, un non-résident est aussi réputé avoir été employé au Canada au cours de l’année [5] .

[59] Au final, l’alinéa 4(1)b) de la Loi donne une formule pour déterminer le montant de l’impôt que le non-résident doit payer. Selon l’alinéa 4(1)b) de la Loi, si le contribuable travaille en partie au Canada et en partie dans un autre pays au cours de la même année d’imposition, le revenu canadien imposable du contribuable pour l’année est la somme perçue pendant qu’il travaillait effectivement au Canada. Cette répartition raisonnable des revenus semblait constituer le point de départ du calcul par le ministre du revenu canadien imposable de l’appelant pour les années d’imposition 2013 et 2014. Cependant, l’alinéa 4(1)b) de la Loi n’avise pas le ministre ni ne lui ordonne de s’écarter de cette formule et d’utiliser la moyenne historique de la présence effective de l’appelant au Canada pour calculer l’obligation fiscale canadienne de l’appelant au cours des années suivantes. C’est plutôt le fait que la logique juridique et l’enchaînement du raisonnement juridique décrits ci-dessus soient invoqués qui pousse à s’écarter de cette formule : personne réputée être résidente; comptabilisation de la totalité des revenus et seulement alors une exclusion raisonnable de certaines sommes pour diminuer le revenu afin qu’il atteigne une somme discrétionnaire qui correspond aux sommes perçues au cours des années précédentes avec différents scénarios factuels.

i) Divergence entre les textes

[60] Quel texte faut-il donc appliquer? Selon un sous-alinéa, le ministre doit tenir compte de l’exercice des fonctions dans un pays par rapport à un autre. L’autre texte, du fait qu’il a fait l’objet d’une modification plus particulièrement ciblée, exige l’imposition complète de l’ensemble de la rémunération versée aux termes du contrat, lorsqu’un lien avec le Canada existe. Le ministre pourrait ensuite réduire le nombre de rémunérations incluses, mais il n’a pas besoin de le faire, sauf si cela s’avère raisonnable.

[61] Un principe et une analyse plus nuancés permettent à la Cour de déterminer l’interprétation de ces dispositions divergentes : Canada Trustco [6] .

[62] Si l’on tient compte de l’orientation et du cadre décrit dans l’arrêt Canada Trustco [7] , quelle était exactement l'intention du législateur lorsqu’il a adopté les dispositions générales du paragraphe 115(1) et les dispositions particulières de l’alinéa 115(2)c.1)?

ii) Contexte et objet du paragraphe 115(1)

[63] Comme l’a soutenu l’intimée elle-même, les notes techniques concernant les alinéas 115(1)a) à c) font état d'hypothèses particulières pour déterminer le montant de l’impôt pour les non-résidents qui sont assujettis à l’impôt dans un autre pays et pour ceux qui ne le sont pas. La règle générale consiste à déterminer le « revenu imposable gagné au Canada » en fonction des services fournis dans les pays en question [8] .

iii) Contexte et objet du paragraphe 115(2)

[64] Le paragraphe 115(2), en revanche, vise des situations particulières dans lesquelles l’application de la règle générale prévue au paragraphe 115(1) n’a pas suffi et ne suffit pas pour assujettir à l’impôt le revenu raisonnablement ventilable qui découle de services rendus au Canada ou liés à ce pays.

[65] Plus précisément, les notes techniques concernant le paragraphe 115(2), lors de son adoption par le législateur, sont révélatrices [9] . En voici les extraits pertinents :

[traduction]

Selon le paragraphe 115(2), certains non-résidents sont réputés avoir été employés au Canada, de sorte qu’ils sont assujettis à l’impôt de la partie I, mais sous réserve de l’application de règles spéciales relativement au calcul de leur revenu imposable gagné au Canada en application du paragraphe 115(1).

L’alinéa 115(2)c.1) et le sous-alinéa 115(2)e)(v) sont ajoutés à la Loi pour inclure une prime à la signature ou un paiement similaire reçus par le non-résident dans son revenu imposable gagné au Canada. Les nouvelles dispositions s’appliquent lorsqu’une somme d’argent, qui, aux termes de la Loi, est déductible du revenu du payeur, est perçue par un non-résident, dans le cadre d’un contrat, à titre de contrepartie de la conclusion d’un contrat de services ou à titre de rémunération des services qui devront être rendus en tout ou en partie au Canada ou à titre de contrepartie d’un engagement prévoyant de ne pas conclure un tel contrat avec quelqu’un d’autre – sous-alinéa c.1)(i). Les nouvelles dispositions s’appliquent également à la rémunération provenant d’un emploi ou à titre d’indemnisation pour des services qui devront être rendus au Canada – sous-alinéa c.1)(ii) [10] .

[66] Sur le plan téléologique, l’alinéa 115(2)c.1) et le sous-alinéa e)(i) permettent de veiller à ce qu’un avantage obtenu, lorsqu’il concerne un emploi qui doit être exercé au Canada, soit inclus dans le revenu qui doit être assujetti à l’impôt au Canada. Les sommes reçues en contrepartie de la conclusion d’une convention ou de l’engagement de ne pas conclure une convention ou les paiements dissimulés y afférents sont visés par les sous-alinéas (i) et (ii). Ce libellé intègre un élément de bouleversement éventuel ou chronologique, par exemple, lorsqu’une [traduction] « prime à la signature » est immortalisée dans un instrument ou des droits distincts ou divergents. Ce libellé est également incorporé par renvoi aux avantages de la [traduction] « rémunération de base » qui correspondent souvent au salaire régulier standard et généralement inférieur, réduit ou diminué par la somme forfaitaire, au [traduction] « caractère déconnecté » des primes [traduction] « à la signature » ou [traduction] « réservées à des personnes privilégiées » qui sont aisément comptabilisées ailleurs ou dont le ministre n’a pas connaissance. D’où l’objectif de la Loi [traduction] « d’inclure une prime à la signature ou un paiement similaire reçu par le non-résident dans son revenu imposable au Canada ».

iv) Les conclusions tirées successivement par le ministre relativement au paragraphe 115(2) sont insuffisantes dans le présent appel

[67] L’intimée soutient que M. Nonis était réputé employé au Canada, parce que le législateur n’a aucunement limité aux fonctions remplies uniquement au Canada le pouvoir d’imposition du ministre [11] . L’intention du législateur ressort clairement au paragraphe 2(3) qui mentionne « une année antérieure » et qui assujettit les montants des revenus énumérés à l’article 115 de la Loi aux dispositions fiscales de la partie I, sans que ces sommes n’aient découlé d’un emploi exercé au Canada dans l’année où elles ont été perçues [12] .

[68] Il est difficile de savoir dans quelle mesure cela illustre l’intention du législateur de ne pas limiter le pouvoir d’imposition du ministre aux fonctions remplies uniquement au Canada ou de rendre son pouvoir illimité. Si un non-résident cesse d’être employé au Canada et qu’il perçoit un revenu d’emploi de source canadienne qui a été gagné au cours d’une année antérieure, le ministre a le pouvoir d’assujettir à l’impôt ce revenu, car il a été gagné lorsque le non-résident était employé au Canada. Le ministre n’a aucunement le pouvoir d’assujettir à l’impôt les revenus que le non-résident a gagnés en exerçant des fonctions à l’extérieur du Canada, peu importe qui verse ces revenus. Le facteur pertinent à prendre en considération est de savoir si la rémunération est attribuable à des fonctions remplies au Canada. La rémunération comporte d’autres facteurs de rattachement au Canada, mais cela ne fait aucune différence. Si la rémunération n’est pas attribuable à des fonctions rendues au Canada, elle n’est pas assujettie à l’impôt canadien [13] .

[69] L’intimée affirme également que l’intention du législateur ressort clairement au paragraphe 115(2) qui assujettit certaines personnes à l’impôt au Canada, même s’il se peut qu’à proprement parler, elles n’exercent pas leurs fonctions au Canada [14] . Cela n’est pas convaincant. Le paragraphe 115(2) donne des exemples précis où le législateur autorise le ministre à assujettir à l’impôt le revenu que des non-résidents ont gagné en exerçant des fonctions à l’extérieur du Canada. Ces dispositions indiquent précisément ce qu’elles visent et qui elles visent. Le fait que quelques situations où le ministre pourrait assujettir à l’impôt le revenu que des non-résidents ont gagné en exerçant des fonctions à l’extérieur du Canada soient expressément évoquées ne permet pas d’affirmer que le législateur voulait conférer au ministre le pouvoir illimité d’assujettir à l’impôt le revenu que des non-résidents ont gagné en exerçant des fonctions à l’extérieur du Canada. Si telle était l’intention du législateur, par souci de cohérence avec le contexte, chaque circonstance particulière serait énumérée. L’idée selon laquelle la rémunération aux termes des articles 5 et 6 visait à faire en sorte que le ministre puisse établir le montant d’impôt sur le revenu gagné en exerçant des fonctions à l’extérieur du Canada manque aussi de clarté.

[70] Enfin, l’argument de l’intimée, selon lequel les sommes perçues par M. Nonis sont visées par l’alinéa 115(2)c.1) et que, de ce fait, M. Nonis est réputé être employé au Canada, conformément à l’alinéa 115(2)d), ne peut être retenu que si l'on fait abstraction du contexte et de l’objet. Cette confusion a été évitée dans les notes techniques concernant l’alinéa 115(2)c.1). Ces notes expliquent que l’alinéa 115(2)c.1) et le sous-alinéa 115(2)e)(v) ont été ajoutés afin d’inclure des primes à la signature ou des paiements similaires reçus par des non-résidents. C’est dans ce contexte que l’alinéa 115(2)c.1) a été appliqué [15] . Bien que le sous-alinéa 115(2)c.1)(ii) ne fasse l’objet d’aucune jurisprudence, la Cour relève le commentaire concernant le caractère complémentaire des deux dispositions; le sous-alinéa (ii) doit être lu de concert avec le sous-alinéa (i). Le sous-alinéa 115(2)c.1)(i) vise les sommes reçues en contrepartie intégrale ou partielle de la conclusion d’un contrat (ou de l’engagement de ne pas conclure un autre contrat) ou d’une convention de prestation de services, lorsque ces services ou une partie de ceux-ci doivent être fournis au Canada. Alors que le sous-alinéa (i) vise la contrepartie de la « conclusion » d’un contrat ou d’une convention, le sous-alinéa (ii) permet de tenir compte d’une prime à la signature même lorsqu’elle est présentée comme étant quelque chose d’autre. Par exemple, lorsqu’une prime à la signature est qualifiée de paiement secondaire distinct et qu’elle n’est pas comprise dans le salaire qui est présenté comme une rémunération en échange de services, ces sommes sont visées par le sous-alinéa (ii). Cela est également conforté par le préambule à l’alinéa 115(2)c.1) qui s’applique aux deux sous-alinéas où il est indiqué « indépendamment de [...] sa forme et son effet [...] ». En incluant cela, le législateur savait que des primes à la signature pourraient être présentées comme quelque chose d’autre versée au cours d’une période différente ou dans un autre « endroit » pour éviter qu’elles ne soient qualifiées de revenu pour des services par ailleurs fournis dans le cadre d'un contrat de travail corrélé exécuté au Canada.

V. CONCLUSIONS

[71] Il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles l’application par le ministre de l’alinéa 115(2)c.1) dans le présent appel est erronée.

a) Tous les objectifs de l’article 115 ont été remplis

[72] Si l’interprétation de l’intimée était retenue, l’alinéa 115(2)e) ne serait pas nécessairement dénué de pertinence, mais il serait redondant. Cela s’explique par le fait qu’un non-résident serait réputé être employé au Canada conformément aux alinéas 115(2)c.1) et d), ce qui ferait jouer le sous-alinéa 115(1)a)(i). L’article 248 définit le mot « employé » par « [q]ui accomplit les fonctions que comporte une charge ou un emploi » [16] . Ainsi, être employé au Canada signifie accomplir les fonctions que comporte une charge ou un emploi au Canada. Le sous-alinéa 115(1)a)(i) inclut les « revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par elle au Canada », de sorte que le sous-alinéa 115(1)(a)i) s’applique à toute personne qui est réputée être employée au Canada aux termes de l’alinéa 115(2)d). Par conséquent, l’alinéa 115(2)e) s’avérerait inutile.

b) Aucune prime à la signature ou rémunération, contrepartie ou indemnisation distincte n’existe

[73] Seul un contrat a été présenté à la Cour. Mise à part sa prolongation, il n’a jamais été modifié. Il était exécutable dans deux pays (ou endroits), du moins jusqu’à la date de l’avis, puis dans un pays seulement (ou endroit), les États-Unis. Il n’y a pas deux contrats, l’un qui est en vigueur à un moment donné, dans un endroit et un second en vigueur à un autre moment, dans un autre endroit. En revanche, il y a un contrat qui se rapporte à des services qui doivent être fournis uniquement dans un endroit ou en partie dans un endroit.

[74] Si l’argument de l’intimée était retenu, ce type de second contrat ou de rémunération distincte serait assimilé à d’autres formes de contrats particuliers qui existent pour l’exécution de services au Canada par des employés non-résidents. Il n’y aurait aucune différence entre un contrat qui permet de rémunérer une personne en contrepartie de la conclusion d’une convention de prestation de services à exécuter au Canada et de la conclusion d’un contrat d'entreprise à exécuter, intégralement ou en partie au Canada ou en contrepartie de l’engagement de ne pas conclure une telle convention ou un tel contrat. Aux termes des deux formes de contrats, la personne serait réputée être employée au Canada. Comme cela a été indiqué plus haut, une interprétation large de l’alinéa 115(2)c.1) signifierait que toute rémunération, indemnisation ou contrepartie qui est reçue pour des services exécutés au Canada, peu importe l’endroit où les services sont effectivement exécutés, amènerait à dire que le non-résident est réputé être employé au Canada. Cette [traduction] « personne réputée être résidente ou ce non-résident de fait » serait assujetti à l’impôt sur la partie du revenu qui est perçue en échange de services exécutés à l’extérieur du Canada, sous réserve du [traduction] « caractère raisonnable » du ministre.

[75] Si M. Nonis était assujetti à l’impôt au Canada sur l’intégralité des paiements de maintien de salaire, sous réserve de la décision raisonnable du ministre d’appliquer une réduction au montant de ces paiements, alors qu’il habite exclusivement aux États-Unis, en tant que résident américain, tous les non-résidents congédiés pour lesquels le salaire a été maintenu, aux termes d’un seul contrat exécuté en partie, le seraient alors aussi, malgré la cessation non controversée et évidente de tous les services « exécutés » au Canada, en raison d’un départ définitif du Canada.

c) L'application de l’alinéa 115(2)c.1) dans ce contexte est absurde

[76] Si l’interprétation défendue par l’intimée de l’alinéa 115(2)c.1) est retenue, cela aura vraisemblablement des conséquences que le législateur n’a pas voulues. L’intimée soutient que les sommes perçues par l’appelant sont visées par l’alinéa 115(2)c.1). Si cette disposition est interprétée dans un sens large pour inclure toute rémunération, contrepartie ou indemnisation, en échange de la conclusion d’une convention ou de l’engagement de ne pas conclure une convention ou en échange de l’accomplissement de fonctions que comporte une charge ou un emploi (dans un autre contexte que celui de l’interprétation indiquée plus haut), il en résultera essentiellement que tout contrat relatif à une partie des services exécutés au Canada par un non-résident déclenchera cette disposition et assimilera un non-résident à un résident relativement à l’intégralité du revenu d’emploi, peu importe l’étendue des services que le non-résident offre réellement, au moyen de fonctions exécutées au Canada. L’interprétation par l’intimée des divers aspects de l’article 115 va à l'encontre de la règle générale et de l’économie générale de la Loi : assujettir à l’impôt le non-résident, dans la mesure où ces fonctions sont exécutées au Canada, aux termes d’un contrat de travail.

VI. SOMMAIRE ET DÉPENS

[77] Pour les motifs et analyses qui précèdent, l’appel est accueilli.

[78] Le nombre de jours durant lesquels M. Nonis a assuré ses services au Canada en 2013 et 2014 n’est pas controversé. De même, le ministre a supposé ce qui suit dans la réponse : après le 12 avril 2015, M. Nonis n’avait [traduction] « plus besoin de se présenter au travail et d’assumer les fonctions liées à son emploi ». Dans les faits, cela était en partie exact. M. Nonis n’avait plus besoin de se présenter au travail ou au Canada. Il était toutefois tenu d’assumer les fonctions qu’il lui restait. C’est ce qu’il a fait au Canada en 2015, pendant 37 jours. En 2016, il n’était pas au Canada. C’est sur ce fondement juste et cohérent, qui tient compte du temps que M. Nonis a passé au Canada pour exécuter les fonctions qu’il lui restait, qu’il convient d’assujettir à l’impôt son revenu pendant ces années.

[79] Les dépens sont adjugés à titre provisoire à M. Nonis sous réserve du droit de l’une ou l’autre des parties de présenter des observations écrites dans un délai de 30 jours du présent jugement. Le cas échéant, la Cour pourra examiner ces observations et modifier les dépens adjugés, faute de quoi les dépens adjugés de façon provisoire deviendront définitifs.

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour d’avril 2021.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock

Traduction certifiée conforme

ce 21e jour de juin 2021.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 31

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1327(IT)G

INTITULÉ :

DAVID NONIS c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 14 avril 2021

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me Mark Feigenbaum

Josh Shapiro, stagiaire

Avocat de l’intimée :

Me Andrew Miller

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Mark Feigenbaum

Cabinet :

Feigenbaum Law, Thornhill (Ontario)

Pour l’intimée :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, [2005] 2 RCS 601, par. 10.

[2] Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch. 1 (5e supp.), al. 2(3)a) (« LIR »).

[3] Ibid, sous-al. 115(1)a)(v).

[4] Ibid, al. 115(2)e).

[5] Ibid, al. 115(2)d).

[6] précité, par. 10.

[7] Note 1 précitée.

[8] Notes techniques, article 115, mars 2001.

[9] Notes techniques, alinéas 115(2)c) et c.1).

[10] Notes techniques, alinéa 115(2)c.1), 1982.

[11] Observations écrites de l’intimée – page 5, paragraphe 19.

[12] Observations écrites de l’intimée – page 6, paragraphe 20.

[13] Sutcliffe v. The Queen, 2005 CCI 812, par. 101.

[14] Note 12 précitée, par. 21.

[15] Khabibulin c. La Reine, 2000 DTC 1426, 1999 Carswell Nat 2012 (CCI).

[16] Note 2 précitée, art. 248.

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