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Dossier : 2019-3219(EI)

ENTRE :

BRITTANY DOLYNCHUK,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 5 octobre 2021, à Winnipeg (Manitoba)

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Darren Grunau

 

JUGEMENT

ATTENDU QUE la Cour, en date des présentes, a publié ses motifs de jugement dans le présent appel;

PAR CONSÉQUENT, l’appel de la décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre ») le 30 mai 2019 aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, pour la période de déclaration du 13 mai 2018 au 26 octobre 2018, est rejeté, sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2021.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


Référence : 2021CCI75

Date : 20211104

Dossier : 2019-3219(EI)

ENTRE :

BRITTANY DOLYNCHUK,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. INTRODUCTION

[1] Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision du ministre de refuser la demande de prestations d’assurance-emploi (« AE ») de l’appelante (Mme « Dolynchuk ») qui lui sont par ailleurs payables aux termes de la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « Loi sur l’AE »).

[2] Le refus fait suite à une décision sur l’assurabilité concernant l’emploi qui s’est étendu du 13 mai 2018 au 26 octobre 2018 (la « période »). En gros, le ministre a décidé que les gains gagnés par Mme Dolynchuk en tant qu’employée n’étaient pas assurables pour les raisons suivantes :

  • i) L’employeur et l’employé avaient entre eux un lien de dépendance.

  • ii) Les circonstances de l’emploi n’étaient pas typiques des parties sans lien de dépendance;

  • iii) Dans les circonstances de l’emploi, Mme Dolynchuk et l’employeur, s’ils n’avaient pas de lien de dépendance, ne concluraient pas un tel contrat de travail.

[3] Il s’agit d’une question souvent litigieuse devant la Cour de l’impôt. En règle générale, les employés n’ont pas le droit d’accumuler des gains assurables lorsqu’ils sont employés par des employeurs ayant un lien de dépendance (la « règle d’exclusion »). Sont exclues de la règle d’exclusion les situations où, compte tenu des circonstances du contrat d’emploi particulier, il est raisonnable de conclure que des parties sans lien de dépendance concluraient un contrat semblable (l’« exception »). En bref, il existe une analogie avec le lien de dépendance qui constitue une exception à la règle d’exclusion des parties sans lien de dépendance.

[4] Toute exception acceptable pour les parties ayant un lien de dépendance dépend des faits et des circonstances de l’entente. La question est de savoir s’ils s’inscrivent dans les limites raisonnables à l’intérieur desquelles des parties n’ayant aucun lien de dépendance concluraient un contrat de travail. En dehors de ces limites, de telles ententes sont trop indulgentes ou trop onéreuses pour l’employeur ou l’employé. Si l’entente est trop indulgente pour l’employé, un employeur sans lien de dépendance ne l’embaucherait pas. Si elle se révèle trop onéreuse, aucun employé ne l’acceptera. Une entente déraisonnable peut contenir des conditions qui sont à la fois trop indulgentes et trop onéreuses.

[5] La question qui se pose à la Cour et la tâche qui en découle est de vérifier si le ministre a correctement pris en compte les faits objectifs de la relation de travail, de déterminer s’il existe des faits pertinents nouveaux ou non pris en compte et d’évaluer, compte tenu de ces tâches, si la décision du ministre demeure raisonnable.

II. LES FAITS

[6] Après avoir entendu le témoignage de Mme Dolynchuk, la Cour détermine que les faits suivants sont pertinents dans les circonstances de son emploi relativement à la rémunération, aux modalités, à la durée, à la nature et à l’importance du travail effectué.

[7] Le 13 mai 2018, Mme Dolynchuk a commencé à travailler pour Fox Plumbing and Heating Inc. (« Fox Plumbing »). Son conjoint de fait, Derek Fox (« Derek »), était propriétaire de la moitié des actions majoritaires de Fox Plumbing. Le 26 octobre 2018, Mme Dolynchuk a mis fin à son emploi rémunéré chez Fox Plumbing. Deux jours plus tard, elle a donné naissance à un fils. Au cours des trois premiers mois de la période, son poste chez Fox Plumbing n’était pas son seul emploi. Jusqu’au 27 juillet 2018, elle a également travaillé pour Club Monaco en tant que vendeuse principale de vêtements.

[8] Au cours de la période de chevauchement, les heures de service réelles de Mme Dolynchuk fournies aux deux employeurs sont résumées ci-dessous, telles qu’elles ont été calculées pour des périodes bimensuelles :

Période se terminant le

Fox Plumbing

Club Monaco

Total (arrondi)

26 mai 2018

110

29,93

140

9 juin 2018

80

25,05

105

23 juin 2018

80

25,95

106

7 juillet 2018

80

43,82

124

27 juillet 2018

80

13,54

94

8 août 2018

80

4,85

85

[9] Mme Dolynchuk a contesté le fait que le relevé d’emploi (« RE ») auprès de Club Monaco représentait avec exactitude les heures réellement travaillées. Elle a indiqué que le RE comprenait des vacances « en banque » épargnées, puis réparties selon une formule quelconque entre les gains assurables et les heures assurables.

[10] Des problèmes de santé ont eu des répercussions sur les choix d’emploi de Mme Dolynchuk. Mme Dolynchuk souffre d’une affection de la glande thyroïde et a connu ce que l’on pourrait appeler une grossesse difficile, dont les derniers stades se sont étendus sur la période pour aboutir à l’accouchement le 28 octobre 2018. Mme Dolynchuk a quitté Club Monaco en raison de ces complications. Cet emploi impliquait d’être longtemps stationnaire, d’interagir souvent et d’être tenue de maintenir une attitude axée sur la vente.

[11] En revanche, l’emploi chez Fox Plumbing comprenait généralement des tâches de tenue de livres, de secrétariat et de gestion de bureau. Le bureau était situé au sous-sol de la résidence commune de Derek et de Mme Dolynchuk. Ses heures de travail étaient souples : Mme Dolynchuk établissait son propre horaire, commençant rarement de travailler avant la mi-journée. Les tâches particulières qu’elle devait accomplir comprenaient la collecte de données pour la paye, les comptes clients, les comptes fournisseurs, la facturation et autres. La fixation des prix, la vente et la préparation des devis ne faisaient pas partie de son travail. Pour toutes ces tâches, Mme Dolynchuk était payée 24 $ l’heure jusqu’en août, date à laquelle le taux de rémunération est passé à 30 $. Personne n’a accompli ce travail pour Fox Plumbing avant ou après la période, jusqu’à ce que Mme Dolynchuk reprenne ce poste environ un an plus tard, en novembre 2019. Mme Dolynchuk était officiellement payée mensuellement. Le paiement réel de son salaire avait lieu mensuellement de façon constante pour les mois de mai, juin et juillet, plus ou moins. Comme d’habitude, le paiement était effectué après que les salaires du mois entier eurent été accumulés et dus. Cette situation a changé en août, septembre et octobre, comme le montre le tableau ci-dessous. L’accumulation des salaires et leur paiement réel (au préalable) ont suivi le scénario correspondant pour la période :

TABLEAU 5(a).1

Mois

Prochaine paye mensuelle selon la feuille de paye

Somme totale payée

Dates de paiement (2018)

Taux de rémunération/Heure

Total des heures

Total de la rémunération normale

Mai 2018

2 992,89

2 992,89

9 juin :

2 992,89

24

160

3 840,00

Juin 2018

2 992,89

2 992,89

29 juin :

2 992,89

24

160

3 840,00

Juillet 2018

2 992,89

2 992,89

31 juillet :
3 août :

2 000

992,89

24

160

3 840,00

Août 2018

3 592,89

3 592,89

7 août :
29 août : 31 août :
31 août :

600

1 000
1 000

992,89

30

160

4 783,58

Septembre 2018

3 300,00

3 300,00

12 septembre :
18 septembre :
21 septembre :

1 100

300

2 000

30

160

4 318,71

Octobre 2018

2 500,00

2 500,00

25 septembre :
3 octobre :
11 octobre :

1 000

500

1 000

30

104

3 127,60

[12] Mme Dolynchuk a indiqué que sa rémunération était mensuelle dès le départ, mais qu’à un moment donné, cela [traduction] « ne fonctionnait pas pour [elle] ».

[13] Les heures enregistrées par Mme Dolynchuk sur son RE pour la période où elle a travaillé chez Fox Plumbing étaient constamment de 35,52 heures assurables et de 988 $ pour la rémunération assurable pour chaque période de paye d’une semaine, du 13 mai au 28 octobre 2018. Mme Dolynchuk a témoigné que d’autres travailleurs recevaient de temps à autre des avances sur salaire lorsqu’ils en faisaient la demande particulière auprès de Derek, [traduction] « [...] parfois pour 100 $ si nécessaire ».

[14] Elle a également témoigné que son RE était rempli par Derek sans son aide et que la période de temps constante allouée par formule pour chaque semaine et la rémunération assurable étaient imposées à Fox Plumbing selon le modèle en ligne de l’ARC et du cycle de paye « mensuel courant » de Mme Dolynchuk.

[15] Les autres employés étaient payés selon des cycles de paye bimensuels ou hebdomadaires et devaient soumettre des feuilles de temps le lundi suivant la fin de la période de paye. Les feuilles de temps de Mme Dolynchuk n’ont pas été déposées, mais un outil illustrant chaque mois civil préimprimé où figurent des numéros manuscrits pour chaque jour sur des feuilles de calendrier pro forma non datées, non identifiées et anonymes a été présenté à la place dans les observations devant la Cour. Mme Dolynchuk a indiqué que ces feuilles représentaient entièrement les feuilles de temps, si c’est elle qui les avait remplies.

[16] Mme Dolynchuk a reçu [traduction] « en moyenne » une semaine de salaire avant de commencer son emploi officiel chez Fox Plumbing le 13 mai 2018 (le « paiement d’appoint »). Mme Dolynchuk a affirmé que ce [traduction] « salaire moyen » était lié à l’aide urgente qu’elle a fournie à Fox Plumbing en raison d’une « panne informatique » au début du mois de mai, qui a nécessité qu’elle fournisse cette aide. Cette perte massive de données est à l’origine de l’embauche de Mme Dolynchuk, bien que son poste se soit rapidement transformé en un poste à plus long terme, soit celui qui est décrit ci-dessus. Personne n’a remplacé Mme Dolynchuk en octobre 2018 parce que Derek a perdu deux ou trois travailleurs, il a décidé d’accomplir lui-même la majeure partie du travail, il a déménagé pour des raisons professionnelles dans le nord du Manitoba et a décidé de faire tout le travail de bureau pendant la « période creuse » de novembre 2018 à octobre 2019.

[17] Les feuilles de paye mensuelles représentaient un taux de rémunération horaire constant d’un mois à l’autre en fonction du nombre total d’heures. Cependant, le produit du nombre d’heures de 160, de 160 et de 104 pour chacun des mois d’août, septembre et octobre, respectivement, contenait chacun des erreurs mathématiques. Le produit n’était pas égal à la multiplication du taux de rémunération et des heures travaillées pour chacun de ces mois. Mme Dolynchuk a reconnu ces erreurs, mais n’a pas expliqué comment ni pourquoi elles étaient survenues.

[18] Mme Dolynchuk a déposé, comme il se doit, une demande de prestations d’assurance-emploi correspondant à sa période de congé parental suivant octobre 2018. Dans sa demande, elle a indiqué que le taux de rémunération était de 24,70 $ de l’heure. Dans sa demande, elle a également écrit, à tort selon son témoignage, qu’elle [traduction] « exerçait des fonctions pour l’employeur sans rémunération » après avoir cessé d’être une employée le 26 octobre 2018. Dans la demande d’assurance-emploi elle-même, elle a déclaré qu’elle recevait une rémunération horaire assurable de 988,00 $ pour chaque semaine. On peut supposer que cela a été fait pour coïncider avec la formule de calcul du RE.

III. LE DROIT

a) Le régime législatif

[19] Le paragraphe 5(1) de la Loi sur l’AE prévoit une définition des types d’emploi assurable où il est dit (avec des omissions délibérées de mots sans importance pour le présent appel) ce qui suit :

5(1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l’emploi exercé au Canada [...] aux termes d’un contrat de louage de services ou d’apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, [...]

[20] Par conséquent, la question juridique, telle qu’elle est énoncée au départ, est de savoir si un travailleur est un employé lié par un contrat (ou un contrat de louage de services ou d’apprentissage) ou un entrepreneur engagé pour un service particulier dans le cadre d’un contrat à prix fixe ou variable. Il n’y a pas de contestation sur ce point : Mme Dolynchuk était une employée.

[21] Une exclusion dans la Loi sur l’AE prévoit que, malgré l’existence d’un contrat de louage de services exprès ou tacite (c’est-à-dire un contrat de travail), nul n’est réputé être un employé en vertu du paragraphe 5(2). Ce paragraphe est libellé comme suit :

5(2) N’est pas un emploi assurable :

[...]

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

[22] En principe, ce paragraphe, qui nécessite l’exception ci-dessous, est souvent décrit comme cherchant à empêcher les parties ayant un lien de dépendance d’établir des positions irréalistes ou déraisonnables au sein d’entreprises familiales à participation restreinte, ce qui permet par la suite des demandes injustifiées de prestations d’AE. Par conséquent, afin de préserver les prestations d’AE pour les employés familiaux de bonne foi, le législateur a adopté l’exception à l’exclusion prévue à l’alinéa 5(3)b). Celui-ci prévoit ce qui suit (là encore, avec les suppressions sans importance qui s’imposent) :

5(3)b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

b) Jurisprudence

[23] L’arrêt-clé en la matière est l’arrêt Francine Légaré c. le ministre du Revenu national, 1999 CarswellNat 1458 (CAF). Plus précisément, cette décision de la Cour d’appel fédérale prévoit ce qui suit :

4. La Loi confie au Ministre le soin de faire une détermination à partir de la conviction à laquelle son examen du dossier peut le conduire. L’expression utilisée introduit une sorte d’élément de subjectivité et on a pu parler de pouvoir discrétionnaire du Ministre, mais la qualification ne devrait pas faire oublier qu’il s’agit sans doute d’un pouvoir dont l’exercice doit se fonder pleinement et exclusivement sur une appréciation objective des faits connus ou supposés. Et la détermination du Ministre n’est pas sans appel. La Loi accorde, en effet, à la Cour canadienne de l’impôt le pouvoir de la réviser sur la base de ce que pourra révéler une enquête conduite, là, en présence de tous les intéressés. La Cour n’est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c’est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du Ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[24] Le juge Sommerfeldt de notre Cour a fourni un résumé des répercussions de cet arrêt-clé dans la décision Lalande c. M.R.N., 2016 CCI 33 lorsqu’il a déclaré :

[31] Les principes suivants sont tirés des affaires susmentionnées :

a) Lorsqu’elle examine une conclusion du Ministre dans le contexte de l’alinéa 5(3)b) de la LAE, la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le Ministre sont réels et ont été appréciés correctement par le Ministre.

b) Après avoir examiné tous les faits, la Cour doit décider si la conclusion du Ministre paraît toujours raisonnable.

c) En vertu de la LAE, la Cour doit faire preuve d’une certaine déférence à l’égard de l’appréciation initiale du Ministre.

d) Lorsqu’il n’y a pas de faits nouveaux et que rien ne permet de penser que les faits connus ont été mal perçus par le Ministre, la Cour ne peut substituer sa propre opinion à celle du Ministre.

[25] En d’autres termes, la question dont est saisie la Cour consiste à savoir si la relation d’emploi, compte tenu de toutes les circonstances de l’emploi – rémunération, conditions, durée et nature du travail – aurait été conclue par des parties sans lien de dépendance. En termes simples, la relation d’emploi s’inscrit-elle dans les limites raisonnables que des parties non liées observeraient volontiers? Pour évaluer cette question, la Cour analysera les faits sur lesquels le ministre s’est appuyé, enquêtera sur tout fait supplémentaire ou mal interprété et fera preuve d’une certaine retenue à l’égard de l’évaluation initiale du ministre, au besoin. Enfin, dans la mesure où il n’y a pas de faits nouveaux ou mal interprétés, la Cour est tenue d’entériner la décision du ministre et de rejeter l’appel.

IV. LES OBSERVATIONS DE MME DOLYNCHUK

[26] Mme Dolynchuk est en désaccord avec les faits et l’évaluation du ministre sur certains points essentiels. Ces affirmations et observations peuvent être résumées comme suit :

  • a) Aucun service n’a été fourni avant ou après la période. Les services fournis et rémunérés par le paiement de rattrapage étaient négligeables et non mesurables. Aucun [traduction] « prix ne pouvait être appliqué sur ce salaire ». Le paiement de rattrapage était en fait un moyen de remettre les pendules à l’heure avant que ne soient exécutés des services mesurables et de valeur. Aucun service n’a été effectué après la période par Mme Dolynchuk jusqu’à son retour à un travail rémunéré en novembre 2019;

  • b) Personne d’autre n’a été embauché avant ou après la période en raison de la coïncidence des besoins et des demandes de Fox Plumbing. Avant la période, l’entreprise n’était pas aussi occupée, l’ordinateur n’avait pas encore planté et les services de bureau n’étaient pas nécessaires. Après la période, à Winnipeg du moins, les affaires avaient diminué et Derek, lui-même, a repris les contrats existants dans les communautés autochtones du nord du Manitoba;

  • c) Il n’était pas nécessaire de remplir des feuilles de temps officielles. Rien ne doit être déduit de l’absence de feuilles de temps officielles. Une semaine de travail comptait constamment « plus ou moins » 40 heures, comme en tient compte la rémunération. Une période de temps aussi constante, fournie tout au long de la journée et de la semaine, ne serait pas mieux prise en compte dans des feuilles de temps officielles;

  • d) Les avances ou paiements anticipés en août, septembre et octobre ont représenté un changement de cycle et de période de paye. Le cycle de paye mensuel n’était pas suffisant pour Mme Dolynchuk. D’autres employés étaient payés de façon hebdomadaire ou bimensuelle. De plus, d’autres employés recevaient également des avances, ce qui était une pratique courante dans l’entreprise;

  • e) En bref, chacune des conclusions essentielles du ministre concernant les salaires payés à l’avance ou ne correspondant pas autrement aux salaires dus, l’enregistrement inapproprié et incohérent des heures et des périodes et la prestation de services d’emploi avant et après la période sont inexacts.

V. LES CONCLUSIONS DE FAIT ET LE RAISONNEMENT DU MINISTRE

[27] La Cour en vient maintenant à l’analyse des facteurs ci-dessus :

a) Vérification des faits que le ministre a déduits ou sur lesquels il s’est fondé.

[28] Il y avait plus de 34 hypothèses de fait dans la réponse du ministre, qui correspondaient toutes aux déclarations factuelles contenues dans la décision du 30 mai 2019. Parmi celles-ci, seules sept ont été contestées par Mme Dolynchuk devant la Cour. Ces hypothèses portaient sur les questions d’ordre général et regroupées suivantes :

  • i) La question de savoir si un employeur similaire aurait donné ou non un accès sans restriction et aurait fixé son propre horaire et ses propres heures ou aurait accès à l’espace de bureau dans la résidence;

  • ii) La prestation de services sans rémunération avant et après la période et pendant le congé parental;

  • iii) Le paiement avant l’accumulation de temps pour les services, l’augmentation de salaire, et le paiement fondé sur le flux de trésorerie ou la rentabilité.

[29] La Cour analysera séparément chacune de ces trois questions ci-dessous, mais elle constate que les autres hypothèses du ministre n’ont pas été contestées ou ont été jugées par la Cour, tout bien pesé, comme étant exactes et correctes.

[30] Plus précisément, la Cour fait observer et note ci-dessous ses conclusions et confirmations à partir des éléments de preuve tirés de la section des faits ci-dessus :

  • i) Les erreurs mathématiques dans le produit des heures mensuelles et du taux de rémunération;

  • ii) Le paiement de sommes irrégulières au titre des salaires en août, septembre et octobre, de plus en plus en avance sur les dépenses engagées pour ces services et l’accumulation de ceux-ci;

  • iii) La coïncidence de l’emploi et des heures travaillées par Mme Dolynchuk chez Fox Plumbing après la cessation de son emploi chez Club Monaco; elle a précisément atteint les 26 semaines d’emploi autrement requises pour toucher des prestations d’assurance-emploi pendant son congé parental;

  • iv) l’augmentation de salaire survenue par coïncidence après la cessation de son emploi à Club Monaco.

b) La conclusion du ministre semble-t-elle raisonnable?

[31] La plupart des hypothèses formulées demeurent inchangées après l’audition des éléments de preuve et les notes, observations et conclusions tirées par la Cour. Compte tenu des hypothèses cohérentes et de l’interprétation équilibrée des faits, la décision initiale du ministre est raisonnable.

c) Faits nouveaux ou malentendus du ministre?

[32] Les éléments de preuve présentés au procès n’ont pas aidé Mme Dolynchuk lorsqu’il a affirmé qu’il y avait eu erreur, oubli ou exagération de la part du ministre.

[33] Aucun des documents présentés qui tenaient compte des heures réellement travaillées, du paiement correspondant aux périodes de paye ou des heures crédibles travaillées à deux emplois par une future mère souffrante, ne concordait les uns avec les autres. Les calculs de la rémunération étaient incorrects. Le RE de Fox Plumbing a été préparé sans tenir compte de la réalité des heures travaillées. La demande d’assurance-emploi contenait des erreurs, dont une essentielle à l’évaluation du travail fourni sans rémunération. Elle ne se voyait pas remettre de feuilles de paye, alors que d’autres employés en avaient. Au fil de la période, le paiement des salaires est devenu plus erratique, représentant des sommes bizarres de plus en plus détachées des services réellement effectués ou d’une obligation légale de payer par Fox Plumbing.

[34] En comparaison, certains services ont été fournis avant et après la période. Bien qu’anodins et peut-être même non considérables, ils portent la marque révélatrice d’une relation avec un tiers avec lien de dépendance, jamais présente dans les ententes avec un tiers sans lien de dépendance.

[35] En ce qui concerne les observations de Mme Dolynchuk, la Cour s’écarte de son interprétation.

[36] Elle a fourni des services avant son début « officiel » d’emploi. D’où le paiement de « remise à zéro » pour épurer le dossier. Certains services, indiquant une relation avec lien de dépendance, ont été rendus après la période. Mme Dolynchuk a déclaré qu’elle était présente lorsque Derek avait des difficultés avec le RE. Elle a observé et décrit en détail le défi posé par le site Web de l’ARC. Il s’agit d’une relation avec lien de dépendance.

[37] La coïncidence de l’embauche de Mme Dolynchuk après mai 2018 et de son licenciement deux jours avant la naissance de son enfant, démontre là encore un enchevêtrement chorégraphié ou, du moins, syncopé et fortuit, avec les besoins personnels de Mme Dolynchuk dans ce qui est normalement une relation d’embauche et de licenciement réciproque fondée sur les besoins. La cessation d’emploi de Club Monaco ajoute à la coïncidence.

[38] Des feuilles de temps officielles étaient exigées pour les autres employés, mais pas pour Mme Dolynchuk. Cela indique une relation privilégiée ou particulière, qui n’est pas autrement accordée aux employés sans lien de dépendance.

[39] Les rémunérations irrégulières, anticipées et dissociées en août, septembre et octobre constituent peut-être l’écart le plus évident par rapport aux circonstances normales où il n’y a pas de lien de dépendance. Bien que, comme l’a déclaré Mme Dolynchuk, d’autres employés sans lien de dépendance aient reçu [traduction] « à l’occasion » des avances de [traduction] « 100 $ ou plus », ils n’ont pas reçu de Fox Plumbing une rémunération pendant un mois entier à des dates irrégulières, sans lien avec les dates de paye habituelles et entièrement en avance sur les heures suffisamment accumulées.

VI. CONCLUSION

[40] Pour les motifs énoncés, la Cour conclut que, dans les circonstances, l’entente intervenue entre Mme Dolynchuk et Fox Plumbing sortait des limites acceptables qu’observent normalement les employés et les employeurs sans lien de dépendance. Le ministre a raisonnablement détecté cette situation dans sa conclusion, il n’y a pas de faits contraires ou nouveaux qui sont incompatibles avec cette décision initiale et la Cour ne l’annulera donc pas. L’appel est rejeté.

[41] Comme il est normal et habituel dans ce type d’appel, il n’y a pas d’adjudication des dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de novembre 2021.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


RÉFÉRENCE :

2021CCI75

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-3219(EI)

INTITULÉ :

BRITTANY DOLYNCHUK c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 octobre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 4 novembre 2021

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocat de l’intimé :

Me Darren Grunau

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC[

Cabinet :

[EN BLANC[

Avocat de l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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