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Dossier : 2018-1954(IT)G

ENTRE :

JOANNE LAURIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Jeremy Freedman (2018‑1955(IT)G) les 27, 28 et 29 septembre 2021, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge F.J. Pizzitelli


Comparutions :

Avocats de l'appelante :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

 

Avocates de l'intimée :

Me Iris Kingston

Me Rebecca L. Louis

 

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2006 est accueilli, mais seulement selon les concessions faites par l'intimée durant l'audience, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement et aux directives énoncées ci‑après :

1. La juste valeur marchande des actions ordinaires de Mme Lauria en cause est de 307 200 $; le gain en capital imposable qui n'avait pas été déclaré est donc de 140 710 $;

2. L'intimée a droit aux dépens. Si, dans les 60 jours suivant la date du présent jugement, les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des dépens, elles déposeront leurs observations sur cette question dans les 30 jours suivant ce délai de 60 jours afin que je puisse les examiner et établir les dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 13e jour d'octobre 2021.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 


Dossier : 2018-1955(IT)G

ENTRE :

JEREMY FREEDMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Joanne Lauria (2018‑1954(IT)G) les 27, 28 et 29 septembre 2021, à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge F.J. Pizzitelli

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

 

Avocates de l'intimée :

Me Iris Kingston

Me Rebecca L. Louis

 

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 2006 est accueilli, mais seulement selon les concessions faites par l'intimée durant l'audience, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement et aux directives énoncées ci‑après :

1. La juste valeur marchande des actions ordinaires de M. Freedman en cause est de 921 000 $; le gain en capital imposable qui n'avait pas été déclaré est donc de 422 130 $;

2. L'intimée a droit aux dépens. Si, dans les 60 jours suivant la date du présent jugement, les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des dépens, elles déposeront leurs observations sur cette question dans les 30 jours suivant ce délai de 60 jours afin que je puisse les examiner et établir les dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 13e jour d'octobre 2021.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 


Référence : 2021 CCI 66

Date : 20211013

Dossier : 2018-1954(IT)G

ENTRE :

JOANNE LAURIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

Dossier : 2018-1955(IT)G

ET ENTRE :

JEREMY FREEDMAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Pizzitelli

[1] Jeremy Freedman (« M. Freedman ») et Joanne Lauria (« Mme Lauria »), les appelants, qui étaient tous deux dirigeants et administrateurs de la société de gestion de patrimoine Gluskin Sheff+Associates Inc. (« GS+A ») durant la période en cause, interjettent appel des nouvelles cotisations qui ont été établies le 30 janvier 2017 et le 30 mars 2017 respectivement à l'égard de leur année d'imposition 2006 et qui ont eu pour effet d'augmenter leurs gains en capital imposables à déclarer de 587 730 $ et de 195 910 $ respectivement. Les opérations qui ont donné lieu à ces gains en capital imposables ont eu lieu le 1er avril 2006, lorsque chacun des appelants a vendu une partie de ses actions ordinaires dans GS+A à une fiducie familiale avec lien de dépendance, peu avant la réorganisation de GS+A et son introduction en bourse par le lancement d'un premier appel public à l'épargne (« PAPE ») le 26 mai 2006.

[2] L'intimée a admis au début de l'audience que les gains en capital imposables qui n'avaient pas été déclarés avaient été réduits à 422 130 $ pour M. Freedman et à 140 710 $ pour Mme Lauria au lieu des montants indiqués dans les nouvelles cotisations, selon les nouvelles hypothèses du ministre sur la juste valeur marchande des actions. Le ministre a modifié en conséquence les réponses aux avis d'appel de chaque appelant, et il n'y a eu aucune opposition.

[3] Les appelants contestent le droit du ministre d'établir de nouvelles cotisations à l'égard de leurs déclarations de revenus de 2006, près de dix ans après l'expiration des périodes normales de cotisation prévues au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « LIR ») et contestent la juste valeur marchande des actions en cause.

[4] Les appels ont été entendus ensemble et sur preuve commune, et les parties ont déposé un exposé conjoint partiel des faits au début de l'audience.

I. Les questions en litige

[5] Le présent appel soulève deux questions principales :

1. Y a‑t‑il prescription interdisant au ministre d'établir de nouvelles cotisations à l'égard des appelants aux termes de l'alinéa 152(4)a)? La Cour doit décider si les appelants ont fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, dans leur déclaration de revenus de 2006.

2. Le cas échéant, la juste valeur marchande selon les nouvelles cotisations et les concessions lors de l'audience est‑elle la juste valeur marchande des actions en cause au moment où les appelants les ont transférées à leurs fiducies avec lien de dépendance le 1er avril 2006?

[6] Même si j'étudierai d'abord la première question, le règlement de la deuxième question est pertinent et essentiel au règlement de la première, notamment pour déterminer s'il y a eu présentation erronée des faits dans la déclaration de revenus de 2006, soit la déclaration inexacte de la juste valeur marchande des actions en cause. Par conséquent, j'examinerai la question de la juste valeur marchande lorsque j'examinerai s'il y a eu présentation erronée des faits, puis je me pencherai sur la question de savoir si cette présentation erronée équivaut à de la négligence, à de l'inattention ou à une omission volontaire.

II. Les thèses des parties

[7] Les appelants font valoir qu'ils ont déclaré les opérations dans leurs déclarations de revenus de 2006 et le produit de la disposition selon la formule d'évaluation (qui est décrite ultérieurement) que GS+A a utilisée pour toutes les transactions antérieures. Ils affirment que cela représente la juste valeur marchande des actions en cause dans les circonstances et qu'ils n'ont donc pas fait de présentation erronée des faits dans leurs déclarations de revenus.

[8] L'intimée fait valoir que les appelants ont fait une présentation erronée des faits par négligence et inattention dans leurs déclarations de revenus de 2006 en déclarant une juste valeur marchande beaucoup trop faible pour les actions qu'ils ont vendues, car ils se sont fondés sur une formule d'évaluation qui n'a pas tenu compte de la possibilité d'un événement ayant une incidence sur la liquidité, le PAPE. Le fait que les appelants n'ont pas demandé une vérification indépendante de la juste valeur marchande des actions en cause dans ces circonstances n'étaye pas la diligence raisonnable attendue d'une personne prudente et avisée dans ces circonstances. L'intimée reconnaît qu'il n'y a pas eu de fraude.

[9] Je commencerai en exposant les faits pertinents au présent appel, puis j'en exposerai le contexte juridique, en énonçant à la fois les principaux généraux applicables et la jurisprudence pertinente dans l'analyse qui suivra.

III. Les faits

[10] Les paragraphes qui suivent énoncent les faits que les parties ont reconnus et les faits établis par la preuve présentée lors de l'audience et qui ne sont pas contestés.

[11] GS+A était un cabinet de gestion de patrimoine indépendant qui a été fondée en 1984 par Ira Gluskin et Gerald Scheff (les « fondateurs ») et qui gérait les portefeuilles de clients fortunés et de divers investisseurs institutionnels.

[12] M. Freedman est un homme instruit, titulaire d'un diplôme en droit de l'université Queen's (1982) et d'une maîtrise en administration des affaires de la Harvard Business School (1986). M. Freedman a ensuite exercé le droit pendant 14 ans au cabinet bien connu Davies Ward and Beck (tel qu'il s'appelait jusqu'à la fin mars 2000), à titre principalement de plaideur spécialisé en droit commercial et en droit des sociétés, bien qu'il ait plaidé devant notre Cour à quelques occasions. M. Freedman a quitté ce cabinet pour se joindre au cabinet GS+A à titre de vice‑président des services aux clients, et il demeura chez GS+A jusqu'en juin 2016 en qualité de vice-président directeur et chef de l'exploitation chargé des opérations quotidiennes de GS+A.

[13] Mme Lauria est titulaire d'un diplôme d'études secondaires. Elle est entrée au marché du travail à titre de secrétaire et a fait la rencontre de Gerald Scheff alors qu'elle travaillait pour Cadillac Fairview. Elle a suivi M. Scheff chez GS+A en 1984, lors de la création de ce cabinet, lorsque le service pour lequel ils travaillaient chez Cadillac Fairview a été supprimé. Durant ses années passées chez GS+A, elle a gravi les échelons, pour ainsi dire, passant de secrétaire et gestionnaire de bureau chargée de plusieurs services, notamment des opérations sur valeurs à une époque où la société était encore petite, pour finalement occuper le poste de vice‑présidente du service d'aide aux clients, où elle était chargée de coordonner l'ouverture des comptes des clients et de tenir les clients du cabinet informés. Mme Lauria a approfondi ses connaissances et a gravi les échelons grâce à l'expérience professionnelle acquise chez GS+A.

[14] Les deux appelants occupaient des postes de vice-présidents et étaient administrateurs de GS+A durant toute la période pertinente.

[15] Lorsque M. Freedman s'est joint à GS+A, son offre d'emploi du 9 février 2000 prévoyait que GS+A lui offrirait la possibilité de devenir associé du cabinet à compter du 1er juillet 2000. Durant son témoignage, M. Freedman a déclaré qu'il avait interprété cela comme signifiant qu'il aurait une participation dans GS+A, une exigence qu'il jugeait importante car il avait été associé dans son ancien cabinet d'avocats et qu'il voulait avoir une participation dans GS+A. Le 12 avril 2001, M. Freedman a signé une lettre d'entente avec les fondateurs, selon laquelle il était autorisé à acheter une participation de 10 % dans GS+A des fondateurs ou de leurs sociétés de portefeuille. Il devait acheter au moins 2,5 % des actions ordinaires (soit 25 % de l'intérêt qui lui avait été offert) avec effet le 1er juillet 2001, le reste devant être acheté en juillet au cours des quatre années civiles suivantes conformément à la convention d'option qu'il a signée le 1er juillet 2001 lors de l'achat des premières actions.

[16] Mme Lauria a signé une lettre d'entente presque identique le même jour, le 12 avril 2001, avec les fondateurs et leurs sociétés de portefeuille, lettre qui lui donnait le droit d'acheter une participation de 2,5 % dans GS+A et selon laquelle elle devait acheter au moins 25 % de cette participation de 2,5 % des actions ordinaires avec effet le 1er juillet 2001, le reste devant être acheté au cours des quatre années civiles à venir, en juillet, conformément à la convention d'option qu'elle avait elle aussi signée le 1er juillet 2001. Durant son témoignage, elle a déclaré qu'on lui avait offert une participation, qu'elle avait demandé une plus grande participation, mais qu'elle avait accepté ce qui lui avait été offert, sans négocier ni faire enquête quant à la valeur de cette participation.

[17] Le 1er juillet 2001, M. Freedman a signé deux conventions d'achat d'actions identiques, l'une avec Ira Gluskin et l'autre avec Gerald Sheff en qualité de vendeurs respectifs, aux termes desquelles il a acheté au total 25 000 actions ordinaires pour un prix d'achat total de 370 000 $. Mme Lauria a conclu des conventions semblables aux termes desquelles elle a acheté 6 250 actions ordinaires pour un prix d'achat total de 92 671 $. Aux termes de chacune des conventions d'achat d'actions, le prix d'achat a été calculé conformément à l'article 2.2 de ces conventions, selon la formule énoncée au paragraphe A de l'annexe A (la « formule d'évaluation »).

[18] Le paragraphe A de l'annexe A dispose que le prix d'achat est déterminé en multipliant :

a) le nombre d'actions achetées et vendues, divisé par le nombre d'actions en circulation à la date pertinente, par

b) la somme :

(i) de la moitié du revenu réalisé au cours des 12 mois précédents calculé selon la formule;

(ii) du tiers du revenu réalisé au cours des 12 mois précédant immédiatement la période de douze mois mentionnée à l'alinéa (i) calculé selon la formule;

(iii) du sixième du revenu réalisé au cours des 12 mois précédant immédiatement la période de douze mois mentionnée à l'alinéa (ii) calculé selon la formule.

[19] Le revenu calculé selon la formule est défini comme suit à l'alinéa 1.1k) de chacune de ces conventions :

[TRADUCTION]

k) Le « revenu calculé selon la formule » s'entend de l'ensemble des frais de gestion versés à GS+A à l'égard de comptes gérés par GS+A. Ces frais excluent les primes de rendement ou les primes liées au rendement versées à GS+A sur ces comptes. Les frais de gestion sont multipliés par un. Ces sommes sont déterminées par le dirigeant principal des finances de GS+A.

[20] M. Freedman a décrit la formule utilisée pour calculer le prix d'achat comme correspondant à la moyenne pondérée des frais de gestion ou des frais forfaitaires gagnés par GS+A au cours des trois années antérieures, en excluant les autres revenus de GS+A qui étaient les primes de rendement versées chaque année à tous les employés de la société, à la discrétion des fondateurs. En fait, le contrat de travail et l'offre d'emploi de M. Freedman, de même que ceux de Mme Lauria, faisaient tous mention des primes comme faisant partie de leur rémunération.

[21] Comme je l'ai mentionné précédemment, M. Freedman et Mme Lauria ont chacun signé des conventions d'option presque identiques le 1er juillet 2001, lesquelles accordaient à M. Freedman et à Mme Lauria une option d'achat pour un maximum de 75 000 et de 18 750 actions ordinaires respectivement, soit le solde du nombre d'actions qu'ils pouvaient acquérir, mais qu'ils n'avaient pas achetées le 1er juillet 2001, au prix calculé selon la formule d'évaluation le 1er juillet 2001, mais majoré de 10 % par année au cours des quatre années suivantes. En fait, chacune de ces conventions d'option précisait que le prix d'achat serait de 16,31 $ par action achetée en juillet 2002, de 17,94 $ par action en juillet 2003, de 19,74 $ par action en juillet 2004, et de 21,71 $ par action en juillet 2005, ces sommes correspondant ainsi à la majoration cumulative de 10 % susmentionnée.

[22] M. Freedman et Mme Lauria ont tous deux exercé leurs options d'achat pour le reste de leurs actions le 1er juillet 2004, au prix de 19,74 $ par action, pour un total de 1 480 500 $ pour M. Freedman et de 370 126 $ pour Mme Lauria. Ces opérations ont été conclues conformément à des conventions d'achat d'actions presque identiques, comme cela avait été fait auparavant, avec plusieurs vendeurs, ceux‑ci étant les fondateurs ou leurs sociétés de portefeuille respectives.

[23] Il convient de mentionner que chaque certificat d'actions qui a été délivré à M. Freedman ou à Mme Lauria aux termes de ces opérations portait au recto une mention indiquant que les actions étaient assujetties à des restrictions en matière de transfert, et qu'une mention était également imprimée au verso de ces certificats indiquant que les actions étaient assujetties aux restrictions énoncées dans les conventions d'achat d'actions conclues par eux et les fondateurs, leurs sociétés de portefeuille respectives et GS+A.

[24] Les conventions d'achat d'actions comportaient les restrictions suivantes :

1. L'article 5.1 interdit à l'acheteur de transférer ses actions ordinaires ou de les grever sans le consentement préalable du conseil d'administration, sauf précision contraire. L'article 5.3 autorise les transferts par l'acheteur à une personne morale, une société en nom collectif ou une fiducie dont l'acheteur a la propriété bénéficiaire si on donne un préavis et que cette entité conclue une convention jugée satisfaisante par GS+A et aux termes de laquelle l'entité reconnaît être liée par la convention d'achat d'actions.

2. L'article 6.1 exige que tout conjoint actuel ou futur signe une entente par laquelle il ou elle accepte de renoncer à tout droit aux actions ordinaires.

3. L'article 5.6 exige que l'acheteur vende une partie ou la totalité de ses actions à des dirigeants ou employés actuels ou futurs, si le conseil d'administration décide que cela est souhaitable, au prix calculé selon la formule d'évaluation avec les redressements à la date de clôture.

4. L'article 4.2 exige qu'un acheteur dont l'emploi chez GS+A est terminé par l'une ou l'autre partie, pour quelque raison, vende à GS+A, ou aux administrateurs, dirigeants ou employés de GS+A désignés par le conseil d'administration, la totalité des actions ordinaires dont il a la propriété bénéficiaire ou dont il a le contrôle, au prix établi selon la formule d'évaluation.

[25] Durant son témoignage, M. Freedman a indiqué que ces restrictions, ainsi que le fait que les actions détenues par les fondateurs donnaient droit à 100 votes par action, contre un vote par action ordinaire, signifiaient que le seul marché pour les actions ordinaires était celui que pourraient dicter les actionnaires contrôlants, en l'occurrence les fondateurs, une opinion partagée par Mme Lauria. L'intimée ne conteste pas ce fait pour la période qui a précédé l'annonce par les fondateurs aux appelants et aux autres quant à leur décision de faire un appel public à l'épargne.

[26] M. Freedman a également déclaré qu'il avait été étonné d'apprendre soudainement, en février 2006, que les fondateurs avaient décidé de procéder à une offre publique des actions de GS+A et qu'ils avaient embauché un preneur ferme à cette fin. Mme Lauria a exprimé des sentiments semblables durant son témoignage. Le preneur ferme a été officiellement engagé le 2 mars 2006. Durant son témoignage, M. Freedman a indiqué qu'il avait été chargé d'expliquer l'entreprise et ses activités au preneur ferme et de l'aider à rédiger un prospectus préliminaire, qui a été déposé le 18 avril 2006. Mme Lauria ne semble pas avoir aidé le preneur ferme dans la préparation du PAPE.

[27] M. Freedman a déclaré qu'à la suite de l'annonce des fondateurs concernant le PAPE, M. Bernstein, qui occupait alors le poste de dirigeant principal des finances, ou Bruce Leboff, un autre dirigeant, lui avait dit que tous les détenteurs d'actions ordinaires devraient procéder à une planification successorale et qu'on avait pris des mesures pour que le cabinet d'avocats qui représentait GS+A lors du PAPE, le cabinet Goodman's LLP, leur donne des conseils à ce sujet. Ce cabinet leur a conseillé d'établir une fiducie familiale au profit de leurs enfants ou de leur conjoint et de transférer à cette fiducie une partie de leurs actions. M. Freedman a déclaré qu'il ne se souvenait pas d'avoir rencontré l'avocat spécialisé en planification successorale de ce cabinet, mais que la décision de faire un premier appel public à l'épargne et les renseignements sur les prix que lui avait fournis le preneur ferme l'avaient amené à envisager une planification successorale. Pour sa part, Mme Lauria a déclaré que les associés s'étaient réunis et qu'on leur avait conseillé d'opter pour la création d'une fiducie, ce qu'elle a fait car c'était la voie choisie par tous les autres associés qu'elle considérait comme étant plus spécialisés qu'elle dans le domaine.

[28] Le 31 mars 2006, M. Freedman et Mme Lauria, ainsi que, semble‑t‑il, tous les autres dirigeants qui détenaient des actions ordinaires, ont signé une entente prévoyant l'établissement d'une fiducie familiale ou d'une fiducie pour le conjoint et, le 1er avril 2006, les administrateurs de GS+A, dont M. Freedman et Mme Lauria, ont signé une résolution approuvant le transfert par les appelants et quatre autres dirigeants d'une partie de leurs actions ordinaires à leur fiducie respective. M. Freedman a transféré 3 000 actions ordinaires à la fiducie JMF Children's Trust 2006 pour 77 340 $, et Mme Lauria a transféré 1 000 de ses actions ordinaires à la fiducie Lauria Family Trust pour 25 780 $. Chacun a produit une déclaration de revenus T1 générale au moment opportun, en y déclarant le gain en capital provenant des opérations qui sont en cause en l'espèce.

[29] Les conventions entre M. Freedman et Mme Lauria et leurs fiducies familiales respectives, qui ont été préparées par le même cabinet d'avocats, disposent ce qui suit :

[TRADUCTION]

1.02 Prix d'achat : Le prix d'achat des actions transférées correspond à la juste valeur marchande à la date de la présente convention, qu'on a calculé comme étant 77 340 $.

4.01 Juste valeur marchande : Les parties reconnaissent et confirment par les présentes qu'elles ont, d'une manière raisonnable et de bonne foi, déterminé que la juste valeur marchande des actions transférées est égale au prix d'achat.

Il y a aussi une disposition sur la révision du prix advenant l'établissement d'une nouvelle cotisation par un tribunal compétent, si les parties ne parviennent pas à s'entendre sur la question.

[30] Il convient de mentionner que les conventions d'achat‑vente avec les fiducies ne contenaient aucune restriction comparable à celles des conventions d'achat d'actions antérieures et qu'aucun élément de preuve n'indique que les administrateurs de GS+A aient exigé que les fiducies signent une entente disposant qu'elles étaient liées par ces restrictions, bien que M. Freedman et Mme Lauria aient tous deux déclaré qu'ils croyaient que l'intention était que les fiducies soient assujetties à ces restrictions.

[31] Le prospectus préliminaire a été déposé le 18 avril 2006, six semaines après le transfert des actions ordinaires des dirigeants à leurs fiducies.

[32] GS+A a fait l'objet d'une réorganisation en prévision du PAPE. Les statuts de modification ont été déposés le 25 mai 2006 et créent trois catégories d'actions, ainsi qu'il était indiqué dans le prospectus :

a) actions à vote multiple;

b) actions à droit de vote subalterne;

c) actions privilégiées.

Selon les statuts de modification, les 560 000 actions des fondateurs en circulation et les 440 000 actions ordinaires en circulation ont été converties en actions à vote multiple selon le même ratio de conversion de 28,8 actions à vote multiple pour chaque action des fondateurs et action ordinaire. Les statuts contenaient toutefois une autre disposition, selon laquelle toute action à vote multiple qui n'était pas détenue par les groupes désignés de fondateurs ou de non‑fondateurs était convertie automatiquement en action à droit de vote subalterne, ce qui a eu pour effet de convertir automatiquement toutes les actions détenues par les fiducies en actions à droit de vote subalterne.

[33] Les statuts comprenaient une autre disposition sur la conversion selon laquelle les détenteurs d'actions à vote multiple pouvaient convertir ces actions en actions à droit de vote subalterne; cette disposition a permis aux sociétés de portefeuille des fondateurs, aux appelants et à d'autres dirigeants de convertir également de 13 % à 26 % de leurs actions à vote multiple en actions à droit de vote subalterne, sans doute pour permettre aux associés de GS+A de réaliser une partie de leur participation dans le PAPE.

[34] Le conseil d'administration, dont les appelants faisaient partie, a approuvé la réorganisation à la même date. Les 3 000 actions ordinaires qui avaient été transférées à la JMF Children's Trust ont donc été converties en 86 400 actions à droit de vote subalterne et les 1 000 actions ordinaires transférées à la Lauria Family Trust ont été converties en 28 800 actions à droit de vote subalterne.

[35] Conformément aux modalités du prospectus, les fiducies ont dû vendre leurs actions à droit de vote subalterne lors du PAPE.

[36] Le PAPE a été terminé le 26 mai 2006, le lendemain de la réorganisation susmentionnée. La JMF Children's Trust a donc vendu ses 86 400 actions à droit de vote subalterne pour 1 598 000 $ et la Lauria Family Trust a vendu ses 28 800 actions à droit de vote subalterne pour 495 418 $, tandis que les appelants et les autres associés de GS+A ont aussi vendu les actions qu'ils avaient converties en actions à droit de vote subalterne, tout en conservant la majorité de leurs actions à vote multiple. Dans tous les cas, le prix de vente a été le prix d'émission, soit 18,50 $ par action convertie. Si l'on effectue une analyse à rebours à des fins de comparaison, en utilisant le ratio de conversion de 28,8 pour un mentionné précédemment, chaque action à droit de vote subalterne aurait eu une valeur initiale de 0,895 $ par action, d'après le prix de 25,78 $ auquel les actions ordinaires ont été vendues aux fiducies avant le PAPE.

[37] Comme je l'ai mentionné, chaque appelant a produit sa déclaration de revenus de 2006 dans les délais prescrits, en 2007, et a déclaré le gain en capital imposable résultant de la vente de ses actions à sa fiducie respective le 1er avril 2006. Le produit de la disposition était de 77 340 $ pour les 3 000 actions ordinaires de M. Freedman et de 25 780 $ pour les 1 000 actions ordinaires de Mme Lauria, soit 25,78 $ par action ordinaire, comme l'avait calculé M. Bernstein, le dirigeant principal des finances de GS+A en utilisant la formule.

[38] On a d'abord établi des avis de cotisation conformément aux déclarations de revenus, mais, environ huit ans plus tard, des vérifications de l'année d'imposition 2006 des appelants ont été entreprises, à quelques mois d'intervalle l'une de l'autre, ce qui a mené à l'établissement de nouvelles cotisations en 2017, après l'expiration de la période normale de cotisation. Le gain en capital imposable de M. Freedman a été augmenté de 587 730 $ et celui de Mme Lauria, de 195 910 $, ainsi qu'il a été indiqué au début des présents motifs.

[39] Ces nouvelles cotisations étaient fondées sur un rapport d'évaluation interne établi par l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC »), qui a conclu que les 3 000 actions ordinaires vendues par M. Freedman à sa fiducie valaient 1 252 800 $, et que les 1 000 actions ordinaires vendues par Mme Lauria à sa fiducie valaient 417 600 $, soit 417 $ par action ordinaire. L'évaluateur a utilisé une approche fondée sur le marché en comparant les prix d'actions d'entreprises semblables qui étaient des sociétés ouvertes, et a appliqué une décote en fonction de la taille.

[40] Au début de l'audience, l'intimée a reconnu que la juste valeur marchande des 3 000 actions ordinaires vendues par M. Freedman à sa fiducie était de 921 600 $ et que la juste valeur marchande des 1 000 actions ordinaires vendues par Mme Lauria à sa fiducie était de 307 200 $, soit 307,20 $ par action, ce qui a réduit à 422 130 $ et à 140 710 $ respectivement le gain en capital imposable qui n'aurait pas été déclaré. Cette concession était fondée sur un deuxième rapport d'évaluation préparé par un témoin expert, qui a témoigné au procès, et qui a utilisé une approche fondée sur les bénéfices pour déterminer la valeur globale de l'entreprise de GS+A et qui a appliqué une décote de 40 % en raison de l'absence de liquidité.

[41] L'ARC a établi une nouvelle cotisation à l'égard des appelants presque dix ans après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation au motif que les transferts d'action avec lien de dépendance n'avaient pas été faits à la juste valeur marchande, sous réserve de la concession précitée.

IV. La loi

[42] Les parties conviennent que les opérations en cause étaient des opérations avec lien de dépendance; par conséquent, s'il est établi que les appelants ont transféré leurs actions ordinaires à leurs fiducies respectives pour un produit inférieur à la juste valeur marchande, le contribuable est alors réputé avoir reçu un produit égal à la juste valeur marchande, selon le sous‑alinéa 69(1)b)(i). Les parties s'entendent sur cette question.

[43] Le paragraphe 152(3.1) de la LIR établit les périodes normales de nouvelle cotisation. On ne conteste pas que les nouvelles cotisations des appelants ont été établies après les périodes normales de cotisation; il n'y a donc pas lieu d'examiner en détail cette disposition.

[44] Le paragraphe 152(4) permet au ministre d'établir une nouvelle cotisation après la période normale de cotisation. La partie pertinente, l'alinéa a), est rédigée comme suit :

(4) Cotisation et nouvelle cotisation — Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l'impôt pour une année d'imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu'aucun impôt n'est payable pour l'année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d'imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année;

[...]

[45] Les parties conviennent qu'aucune fraude n'a été commise et qu'aucune renonciation n'a été présentée au ministre.

[46] Comme l'a fait valoir l'avocat des appelants, le délai légal de prescription a pour but de conférer une certaine certitude au régime fiscal, ainsi qu'il a été indiqué au paragraphe 16 de Tingley c. La Reine, [1998] A.C.I. no 857 (QL) :

[...] Si le délai de prescription existe, c'est justement pour que le ministre dispose d'un créneau pendant lequel il peut examiner les déclarations de revenu et établir une nouvelle cotisation et, en même temps, pour que le contribuable qui n'a pas fait de présentation erronée des faits puisse obtenir certaines certitudes sur le plan fiscal.

[47] Cet objectif de certitude dépend manifestement de la condition que le contribuable n'ait pas fait de présentation erronée. Le paragraphe 152(4) permet au ministre d'établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de cotisation s'il y a eu présentation erronée des faits. Comme l'a affirmé l'avocat des appelants, le ministre ne peut pas établir une nouvelle cotisation pour la simple raison qu'il s'est rendu compte qu'il a perdu une occasion de percevoir davantage d'impôt, et il invoque à l'appui le paragraphe 21 de l'arrêt R. c. Regina Shoppers Mall Ltd., [1991] A.C.F. no 52 (QL) (C.A.F.) :

Le seul fait qu'un contribuable puisse en fin de compte profiter de l'omission de l'administration fiscale d'établir adéquatement une nouvelle cotisation ne confère manifestement pas à celle‑ci un pouvoir d'établir de nouvelles cotisations qui n'est pas prévu par la loi. Il n'existe aucune règle en equity ou en common law que l'administration fiscale puisse invoquer de quelque façon pour récupérer des sommes qu'elle a perdues du seul fait de sa propre négligence ou de son omission d'exercer les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.

[48] Je suis d'accord et je suis d'avis qu'on ne conteste pas le fait que lorsque la loi confère le pouvoir d'établir une nouvelle cotisation, en l'espèce aux termes du sous‑alinéa 152(4)a)(i), s'il y a présentation erronée des faits, le ministre est habilité par la loi à récupérer cette perte d'impôt. Dans la décision Jencik c. La Reine, 2004 CCI 295, également invoquée par les appelants, le juge Bonner l'a clairement énoncé au paragraphe 5 :

[...] L'existence du droit du ministre d'établir de nouvelles cotisations pour les années 1994 à 1998 (les « années d'imposition frappées de prescription ») dépendait par conséquent d'une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou de la commission de quelque fraude par l'appelant, tel que le prévoit le sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. [...]

[49] Il est également bien établi qu'il incombe au ministre d'établir qu'il y a eu présentation erronée des faits. Il s'agit d'une règle de droit bien établie, qui a été également mentionnée au paragraphe 5 de Jencik, précité, mais aussi plus récemment par la Cour d'appel fédérale au paragraphe 40 de l'arrêt Deyab c. La Reine, 2020 CAF 222 :

[...] il incombait au ministre d’établir les faits qui justifieraient les nouvelles cotisations établies pour les années frappées de prescription [...]

[50] En fait, au paragraphe 24 de l'arrêt Vine c. Canada, 2015 CAF 125, [2015] 4 R.C.F. 698, le juge Webb, de la Cour d'appel fédérale, a décrit comme suit le processus en deux étapes à suivre pour s'acquitter de ce fardeau :

[...] En l'espèce, il n'y a aucune allégation de fraude. Par conséquent, il incombe au ministre de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le contribuable ou la personne ayant produit la déclaration :

a) a fait une présentation erronée des faits;

b) qu'une telle présentation erronée est imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire.

Le juge Webb a ajouté ce qui suit au paragraphe 25 :

Comme dans toute affaire civile, s'il incombe à une personne de démontrer certains faits, la question à laquelle doit répondre le juge des faits est de savoir si, selon l'ensemble de la preuve admise pendant l'audience, cette personne a démontré, selon la prépondérance des probabilités, l'existence de tels faits. Il n'y a pas d'inversion du fardeau de la preuve.

J'examinerai la jurisprudence sur ces étapes lors de mon analyse de cette question.

[51] Enfin, il convient de mentionner, relativement à cette disposition, que la date à utiliser pour décider s'il y a eu une présentation erronée est celle du dépôt de la déclaration de revenus et qu'il y a présentation erronée même si le ministre aurait pu déterminer les faits véridiques avant l'expiration du délai de prescription. Dans l'arrêt Vine, précité, au paragraphe 33, le juge Webb de la Cour d'appel fédérale a confirmé les principes énoncés en 1996 par le juge Stayer de la section d'appel de la Cour fédérale du Canada aux paragraphes 8 et 9 de Nesbitt c. La Reine, [1996] A.C.F. no 1470 (QL), 1996 CanLII 11569, [1997] 1 C.F. F‑39, et a souscrit à ces principes :

Les principes énoncés par notre Cour dans la décision Nesbitt sont aussi applicables [...] :

[...] Il me semble que l'un des objets du paragraphe 152(4) est de favoriser l'établissement soigné et exact des déclarations de revenus. C'est au moment où la déclaration est produite que l'on peut déterminer s'il y a eu ou non présentation erronée de faits par négligence ou inattention en remplissant la déclaration. Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. Cela demeure une présentation erronée de fait même si le ministre pourrait relever ou relève effectivement l'erreur dans la déclaration en procédant à une analyse attentive des documents justificatifs. Le caractère autodéclaratif du système fiscal serait miné si les contribuables pouvaient remplir avec négligence les déclarations tout en fournissant dans les documents de travail des données de base exactes, en espérant que le ministre ne trouve pas l'erreur mais que, si cela arrivait dans les quatre années suivantes, la pire conséquence serait l'établissement d'une nouvelle cotisation exacte à ce moment‑là.

Il importe donc peu que le ministre ait pu, malgré la représentation erronée de faits dans la déclaration, déterminer les faits véridiques avant l'expiration du délai de prescription. Au moment où elle a été produite, et par la suite, la déclaration fautive constituait une présentation erronée de faits au sens du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

[52] Enfin, il convient de mentionner, à titre de dernier principe général de droit, que personne ne conteste que la LIR ne définit pas ce qu'est la juste valeur marchande. Cependant, il est également admis que la définition bien acceptée de la juste valeur marchande dans la jurisprudence est celle énoncée au paragraphe 8 de l'arrêt Canada (Procureur général) c. Nash, 2005 CAF 386, [2007] 1 R.C.F. F‑15, qui cite le juge Cattanach de la Cour fédérale :

La définition généralement admise de la juste valeur marchande se trouve dans la décision du juge Cattanach, dans l'affaire Succession Henderson et Bank of New York c. M.R.N., 73 D.T.C. 5471, à la page 5476 :

La Loi ne donne aucune définition de l'expression « juste valeur marchande »; celle‑ci a été définie de diverses façons, généralement selon ce qu'avait à l'esprit la personne cherchant à formuler la définition. Je ne crois pas nécessaire d'essayer de donner une définition précise de cette expression telle qu'employée dans la Loi; il suffit, me semble‑t‑il, de dire qu'il y a lieu de donner à ces mots leur sens ordinaire. Dans son sens courant, me semble‑t‑il, cette expression désigne le prix le plus élevé que le propriétaire d'un bien peut raisonnablement s'attendre à en tirer s'il le vend de façon normale et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n'étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d'acheteurs disposés à acheter et des vendeurs disposés à vendre, qui n'ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d'acheter ou de vendre. J'ajouterais que cet exposé succinct de mon point de vue sur le sens à donner à l'expression « juste valeur marchande » comprend ce que j'estime être l'élément essentiel, soit un marché libre de toutes restrictions, où le prix est établi par le jeu de la loi de l'offre et de la demande entre des acheteurs et des vendeurs avertis et désireux d'acheter et de vendre.

[53] Comme la présentation erronée qu'invoque le ministre concerne la valeur déclarée du produit de la vente des actions ordinaires des appelants à leurs fiducies, il s'ensuit qu'il incombe au ministre de prouver, premièrement, que la juste valeur marchande de ces actions était plus élevée pour que les dispositions de l'alinéa 69(2)a), précité, s'appliquent et, deuxièmement, que cette présentation erronée est attribuable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire. J'examinerai chacune de ces questions dans l'ordre.

V. Analyse

1. Y a‑t‑il eu présentation erronée des faits?

[54] Ainsi qu'il est indiqué dans Vine et Nesbitt, précités : « Des faits ont été présentés erronément s'il se trouve un élément inexact dans la déclaration, du moins un élément qui est important pour les fins de la déclaration ainsi que de toute nouvelle cotisation ultérieure. »

[55] Pour décider si la juste valeur marchande indiquée dans les déclarations de revenus de 2006 de M. Freedman et de Mme Lauria est inexacte, je dois examiner les éléments de preuve qui ont été présentés durant l'audience, lesquels se composaient essentiellement des témoignages des appelants, du témoignage d'un expert, M. David Feher, l'évaluateur de l'ARC, ainsi que des éléments de preuve documentaire présentés en preuve. Comme il incombe à l'intimée de prouver que le produit déclaré ne correspondait pas à la juste valeur marchande des actions en cause, je commencerai par examiner les éléments de preuve de l'intimée.

VI. Le témoin expert

[56] M. David Feher, comptable professionnel agréé et expert en évaluation d'entreprise, a préparé un rapport d'expert du 26 mars 2021, dans lequel il a évalué les 3 000 actions ordinaires de M. Freedman et les 1 000 actions ordinaires de Mme Lauria qu'ils ont transférées à leurs fiducies respectives le 1er avril 2006 (la « date d'évaluation »). Les compétences de M. Feher n'ont pas été mises en doute et, lors de l'audience, son rapport a été admis en preuve à titre de pièce R‑1, avec le consentement des appelants. Bien qu'il ne soit pas nécessaire d'examiner à fond les compétences impressionnantes de M. Feher mentionnées dans le rapport, je tiens à souligner que je les trouve fort impressionnantes, notamment ses 22 années d'expérience à titre d'évaluateur, son rôle d'enseignant en évaluation des entreprises à l'université McGill et son expérience des évaluations très complexes, notamment de l'évaluation d'actions minoritaires de sociétés privées.

[57] Dans le sommaire au paragraphe 17 de son rapport, M. Feher conclut que la juste valeur marchande de chaque action à la date d'évaluation devrait se situer au milieu de la fourchette des prix qu'il avait calculés, soit 307,20 $ par action ordinaire. La valeur des 3 000 actions ordinaires de M. Freedman serait donc de 921 600 $ et celle des 1 000 actions ordinaires de Mme Lauria de 307 200 $, soit les sommes admises par l'intimée au début de l'audience. On se rappellera que le prix utilisé par les appelants pour les opérations en question était de 25,78 $ par action.

[58] M. Feher a adopté la définition généralement admise de la « juste valeur marchande » mentionnée dans l'arrêt Nash, précité, et reproduite au paragraphe 18 de son rapport :

[TRADUCTION]

Dans le présent rapport, la « juste valeur marchande » est le prix le plus élevé qu'on puisse obtenir dans un marché libre et sans contrainte entre deux parties bien informées et prudentes, sans lien de dépendance et sans contrainte, en termes pécuniaires.

[59] Pour établir cette valeur, M. Feher a fait certaines hypothèses de fait que je qualifierais essentiellement d'hypothèses‑types, à l'exception des suivantes :

[TRADUCTION]

9. Il n'existe aucun document pertinent pour l'évaluation qui ne nous a pas été fourni, à l'exception de ceux mentionnés dans le rapport.

10. Les états financiers intermédiaires du 28 février 2006 donnent un portrait raisonnable de la situation financière de la société à cette date.

[...]

15. Les actionnaires ont été informés à l'avance de l'intention de la société de lancer un premier appel public à l'épargne (« PAPE ») et de la revente des titres à la date d'évaluation.

16. Le PAPE avait déjà été lancé à la date d'évaluation.

[60] En ce qui a trait à l'hypothèse 9, il ne fait aucun doute que le témoin expert a examiné essentiellement tous les documents qui ont été présentés en preuve relativement aux opérations en cause. Bien que le témoin expert ait admis, lors du contre‑interrogatoire, qu'il n'avait interrogé aucun des appelants, ni aucun autre dirigeant ou représentant de GS+A, je ne vois rien qui, à la lumière des témoignages des appelants, aurait pu être ajouté et qui aurait sensiblement modifié les hypothèses ou le rapport du témoin expert.

[61] Je ne vois aucune raison de mettre en doute les états financiers intermédiaires préparés par la société, ou les faits et les renseignements mentionnés dans le prospectus du PAPE auquel M. Freedman a participé et qui a été déposé par GS+A, et aucune question précise n'a été soulevée à ce sujet.

[62] Quant aux hypothèses formulées aux paragraphes 15 et 16, je conclus, à la lumière des éléments de preuve qui ont été invoqués précédemment, notamment les aveux faits par M. Freedman et Mme Lauria, que tous les actionnaires avaient été informés de l'intention de la société de lancer un premier appel public à l'épargne et que ce processus a débuté en février 2006, près de deux mois avant la date d'évaluation. Le contrat avec le preneur ferme a été conclu le 2 mars 2006, presqu'un mois complet avant la date d'évaluation.

[63] Je suis également d'avis que l'analyse faite par M. Feher des activités commerciales de GS+A est plus détaillée que les témoignages des appelants sur cette question durant l'audience, notamment le fait que les actifs sous gestion de l'entreprise s'élevaient approximativement à 3,75 milliards de dollars, que l'entreprise avait des clients fortunés qui représentaient 83 % de ses actifs sous gestion contre 17 % qui provenaient d'investisseurs institutionnels, et que bon nombre étaient des clients de longue date. M. Feher a décrit les deux principales sources de revenu de l'entreprise, les frais de base et les primes de rendement correspondant à 25 % des revenus générés au‑delà des cibles fixées, ce qui corrobore dans l'ensemble les éléments de preuve des appelants; il a analysé le rendement impressionnant des placements de l'entreprise et les normes élevées de services personnalisés offerts, qualifiant ces facteurs d'atouts pour continuer de croître dans un marché hautement compétitif, qui affichait une forte croissance en raison du vieillissement de la population, de l'augmentation de l'épargne et des placements de retraite de ces clients, ce qui fait qu'on confiait plus d'actifs aux gestionnaires. M. Feher a également décrit la vigueur de l'économie canadienne en 2006, en raison de la forte demande dans le secteur immobilier, du rendement élevé — voire record — des principaux indices boursiers et des solides indicateurs de marché. Les appelants n'ont pas contesté le contexte du marché décrit par ce témoin.

[64] Pour évaluer les actions, M. Feher a d'abord déterminé la valeur globale de la société, puis celle des actions minoritaires.

[65] M. Feher a décrit les trois principales méthodes utilisées pour l'évaluation d'une entreprise, à savoir l'approche fondée sur l'actif, l'approche fondée sur les bénéfices et l'approche fondée sur le marché, et il a déterminé que l'approche fondée sur les bénéfices était la plus appropriée. Comme les appelants n'ont pas contesté ce choix, je n'examinerai pas en détail les avantages et les lacunes des différentes approches; je me contenterai de dire que l'approche fondée sur les bénéfices, compte tenu de son objectif, est manifestement la plus appropriée et que c'est également celle qui a été utilisée par le preneur ferme dans le PAPE.

[66] M. Feher décrit l'approche fondée sur les bénéfices au paragraphe 55 de son rapport :

[TRADUCTION]

L'approche fondée sur les bénéfices détermine la valeur d'une entreprise selon sa capacité à générer de futurs flux de trésorerie et à tirer un rendement raisonnable du capital investi, après examen des risques y afférents. L'approche fondée sur les bénéfices comprend notamment les méthodes de l'actualisation des bénéfices, la méthode des flux de trésorerie et la méthode de l'actualisation des flux de trésorerie.

[67] M. Feher a choisi la méthode de l'actualisation des bénéfices, la jugeant la plus appropriée pour évaluer l'entreprise dans son ensemble, et il a essentiellement calculé les bénéfices prévisibles de l'entreprise et y a appliqué un multiple d'actualisation.

[68] Bien que le rapport expose en détail ses calculs, il est important de résumer le processus en deux étapes qu'il a utilisé pour déterminer les bénéfices prévisibles de la société, pour lequel il fallait prendre en compte les deux flux de rentrées de la société, soit les frais de gestion fixes et les primes de rendement, tout comme on l'a fait pour le PAPE.

[69] Pour déterminer le plancher de la fourchette des valeurs, M. Feher a utilisé les bénéfices de base ou fixes normalisés après impôt de 11 431 000 $ pour l'année 2006, auxquels il a ajouté 89 % de cette somme pour représenter les primes de rendement de l'entreprise, calculées en utilisant la moyenne historique des primes de rendement de l'entreprise sur 21 ans, ce qui a donné 10 173 000 $ pour l'année; il a ainsi obtenu des bénéfices prévisibles après impôt estimés de 21 604 000 $, soit le plancher de la fourchette. M. Feher n'a utilisé que 89 % de la moyenne, et non 100 %, pour tenir compte de la fluctuation des primes de rendement selon les renseignements sur le PAPE sur lesquels il s'est fondé. En contre‑interrogatoire, l'avocat des appelants a interrogé M. Feher sur la fluctuation des primes de rendement, lesquelles ont varié de 0 % à 517 % pendant la période en cause, selon les renseignements indiqués dans le prospectus du PAPE (au paragraphe 42). M. Feher a expliqué que telle était la raison pour laquelle il avait utilisé la moyenne des 21 années précédentes et que cette moyenne indiquait que les primes de rendement s'étaient établies en moyenne à 89 % des frais de base. Comme l'a souligné M. Feher, si on n'utilisait que les cinq dernières années, le pourcentage aurait été de 124 %, et il aurait été beaucoup plus élevé si on n'utilisait que les trois dernières années, ce qui aurait augmenté sensiblement le prix calculé. Je considère que M. Feher a été très raisonnable et prudent en n'utilisant que la moyenne de 89 % à l'avantage des appelants, notamment lorsqu'on tient compte du fait que les primes de rendement réelles pour l'année auraient été de plus de 81 000 000 $, ce qui est nettement supérieur à la somme de 10 173 000 $ utilisée, soit 89 % du revenu de base de cette année-là.

[70] Pour calculer le plafond de la fourchette, M. Feher a ajouté aux mêmes bénéfices de base ou fixes après impôt de 11 431 000 $ la moyenne des primes de rendement après impôt pour les trois dernières années, soit 18 364 000 $, pour arriver à un total de 29 795 000 $ (voir le paragraphe 60 du rapport).

[71] La fourchette des bénéfices prévisibles allait donc de 21 604 000 $ à 29 800 000 $. M. Feher a ensuite appliqué un multiple d'actualisation minimal et maximal — l'inverse d'un taux d'actualisation — et, se fondant sur les risques et les facteurs liés au marché et à l'entreprise, il a calculé que le taux d'actualisation variait de 4,55 % à 5,5 %, ce qui donnait des multiples d'actualisation de 22,3 à 18,2 (voir le paragraphe 61 du rapport).

[72] Puis, pour déterminer la valeur globale de l'entreprise, les bénéfices prévisibles sont multipliés par les multiples d'actualisation, ce qui donne une valeur allant de 481 069 000 $ à 542 805 000 $. La moyenne est de 512 000 000 $, ce qui correspond à 512 $ par action.

[73] Enfin, pour calculer la valeur de chaque action, la fourchette des valeurs est divisée par 1 000 000, puisqu'un million d'actions avaient été émises à la date d'évaluation, soit 440 000 actions ordinaires et 560 000 actions des fondateurs, offrant une participation égale à toute distribution, ce qui donne une valeur de 481 $ à 543 $ par action, avant application de quelque décote de minoritaire ou autre décote.

[74] M. Feher a ensuite cherché à déterminer quelle serait une décote de minoritaire appropriée; pour ce faire, il devait tenir compte des opérations antérieures, des conventions des actionnaires, ainsi que des discussions concernant le PAPE en cours et la revente des titres.

[75] Comme je l'ai mentionné précédemment, les conventions d'achat d'actions prévoient des restrictions concernant les actions ordinaires émises aux appelants et aux autres dirigeants, et établissent la formule à utiliser pour déterminer le prix des actions lors d'opérations, essentiellement comme le feraient les conventions des actionnaires. Bien qu'un examen des opérations antérieures selon cette formule fasse état de prix variant de 14,83 $, pour des opérations réalisées en 2001, à 25,78 $, pour les actions transférées aux fiducies le 31 mars 2006, M. Feher a utilisé le prix à la date d'évaluation, soit 25,78 $. Au paragraphe 84 de son rapport, il résume sa conclusion comme suit :

[TRADUCTION]

Le prix par action selon l'analyse des opérations antérieures est calculé selon la formule dans les conventions des actionnaires respectives, lesquelles précisent des restrictions concernant les transferts, les ventes forcées, les directives sur les votes et la vente forcée d'actions aux nouveaux employés. Le prix établi par la formule s'applique aux actions ordinaires qui ne sont pas des actions liquides et qui ne donnent pas le contrôle. En l'absence de tout événement prévisible ou imminent ayant une incidence sur le contrôle ou la liquidité, comme un appel public à l'épargne, la décote de minoritaire attribuable à l'absence de contrôle et de marché peut être déterminée en comparant la valeur proportionnelle par action selon la valeur globale au prix établi par la formule. Le 31 mars 2006, la valeur proportionnelle par action selon la valeur globale se situe entre 481 $ et 543 $ par action. La décote de minoritaire implicite, selon un prix de 25,78 $ par action, se situera entre 94,6 % et 95,3 %.

[76] Durant son témoignage, M. Feher a déclaré que les décotes susmentionnées auraient été applicables si le PAPE n'avait pas été en cours; cependant, en faisant un examen à rebours à partir du 26 mai 2006, soit la date du PAPE, et en soustrayant le temps qu'il faut habituellement pour effectuer un PAPE d'après les guides publiés par divers cabinets d'avocats et cabinets comptables, M. Feher a calculé que le processus a commencé au début de mars 2006, soit bien avant les transferts d'actions réalisés le 1er avril 2006. De fait, les éléments de preuve présentés par M. Freedman nous indiquent que le preneur ferme a été engagé le 2 mars 2006, quelques semaines après que les fondateurs ont annoncé leur décision de faire un premier appel public à l'épargne.

[77] M. Feher a considéré le PAPE proposé comme étant un événement imminent ayant une influence sur la liquidité, ce qui, a‑t‑il dit, est un événement qui se produit dans un délai de six mois, ce qui empêche l'utilisation de la décote de minoritaire de 95 % mentionnée précédemment. Malgré ceci, il a jugé qu'une décote était indiquée, en raison notamment de la possibilité que le PAPE ne se réalise pas, que le marché pour les actions n'existe pas, que l'on n'arrive pas à s'entendre sur le prix, qu'il y ait dégradation du marché ou encore que les fondateurs changent d'idée. En se fondant sur l'étude dénommée « Emory Pre‑IPO » ayant porté sur 543 opérations pour lesquelles on avait calculé une décote selon le temps s'étant écoulé entre l'opération et le PAPE, il a déterminé qu'une décote de 40 % serait appropriée pour les opérations ayant eu lieu de 30 à 60 jours avant le PAPE. En l'espèce, 56 jours se sont écoulés entre le transfert des actions des appelants aux fiducies et le PAPE.

[78] L'avocat des appelants a également mis en doute l'utilisation par M. Feher d'une décote de 40 %, en invoquant une étude publiée par John D. Emory intitulée « Discounts for Lack of Marketability, Emory Pre‑IPO Discount Studies 1980‑2000 As Adjusted October 10, 2002 » (onglet 10 de la pièce R‑2), en renvoyant aux commentaires formulés par Philip Saunders dans un article intitulé « Marketability Discounts and Risk in Transactions Prior to Initial Public Offerings » (onglet 9 de la pièce R‑2, page 2), qui a conclu ce qui suit : [TRADUCTION] « Les décotes varient énormément. Dans chacune de ces études, les décotes varient de plafonds allant de 80 % à 95 % à des planchers généralement exprimés en un seul chiffre, voire un nombre négatif; en d'autres termes, les prix avant le PAPE étaient supérieurs à ceux du PAPE. » L'avocat a indiqué que les décotes pour les opérations examinées variaient énormément et que l'utilisation d'une moyenne de 40 % pour les opérations réalisées de 30 à 59 jours avant un PAPE était essentiellement peu fiable. Subsidiairement, toutefois, il a proposé, si la Cour devait conclure qu'il y a eu présentation erronée des faits, que le prix soit réduit du taux maximal de ces différentes valeurs, soit 95 %. Avec égards envers l'avocat de l'appelant, l'utilisation d'une moyenne semble être la seule approche raisonnable dans les circonstances, notamment parce que les éléments de preuve montrent qu'il était très probable que le PAPE se réalise. Une telle approche est certainement plus raisonnable que l'adoption de valeurs extrêmes, comme une valeur négative ou nulle, qui aurait donné une juste valeur marchande beaucoup plus élevée, au détriment des appelants.

[79] La décote de 40 % en prévision d'un PAPE à la valeur proportionnelle des actions allant de 481 $ à 543 $ donnerait une fourchette de prix allant de 288,60 $ à 325,80 $, avec une valeur moyenne de 307,20 $ par action. Ainsi, la valeur des actions de M. Freedman a été établie à 921 600 $, et celle des actions de Mme Lauria, à 307 200 $.

[80] Je suis d'avis que ces résultats sont déjà hautement favorables aux appelants. En l'espèce, le PAPE a eu lieu dans les 85 jours suivant l'embauche du preneur ferme, le prospectus préliminaire a été déposé le 18 avril 2006 — 47 jours après cette embauche — et tout indique que toutes les étapes menant au PAPE ont été réalisées rapidement, notamment la création des fiducies et le transfert des actions à ces fiducies dans les six semaines suivant l'annonce faite par les fondateurs de leur intention de lancer un PAPE, la restructuration de GS+A avant le PAPE, la publicité faite sur le PAPE à l'aide des présentations et des documents de promotion et, bien sûr, le lancement du PAPE. Les appelants n'ont présenté absolument aucun élément de preuve qui indique de quelque manière que ce soit qu'on ne croyait pas que le PAPE se réaliserait de la façon prévue : le PAPE s'est effectivement produit et les appelants ont établi leur planification successorale en prévision de cet événement. Après avoir tenu compte de ce qui précède, je suis d'avis que l'intimée aurait pu facilement faire valoir qu'un prix par action plus élevé était justifié, puisque les actions ont été effectivement vendues à un prix plus élevé très près de la date de l'opération, ce qui m'indique que l'intimée a agi de manière raisonnable en établissant la juste valeur marchande.

[81] Je juge que le témoignage et le rapport du témoin expert sont détaillés, bien étoffés et hautement convaincants et crédibles.

[82] Avant de trancher la question, toutefois, je dois également tenir compte des éléments de preuve des appelants, qui n'ont présenté ni témoin expert ni rapport d'expert à la Cour.

[83] Il convient de mentionner que, même si les deux appelants ont témoigné qu'ils avaient été informés du PAPE et qu'ils s'attendaient à ce que le PAPE augmente le prix de leurs actions à titre d'actions cotées en bourse par rapport au prix établi selon la formule d'évaluation, aucun n'a cherché à obtenir un avis juridique indépendant ou une évaluation de la juste valeur marchande des actions transférées aux fiducies avant l'opération ou le dépôt de leurs déclarations de revenus, et aucun n'a tenu compte du PAPE proposé pour déterminer le prix des actions transférées aux fiducies respectives; ils ont plutôt choisi de se fonder sur la formule d'évaluation, pour les motifs énoncés suivants :

1. La formule d'évaluation, qui reconnaît qu'il n'existe aucun marché pour les actions ordinaires en raison des restrictions auxquelles ces actions sont assujetties, a été calculée de façon uniforme et a été appliquée à tous les transferts d'actions effectués entre les fondateurs et les dirigeants de GS+A, ou entre les dirigeants, de 2001 à 2005, dans ce qu'ils considéraient comme des opérations sans lien de dépendance avant le PAPE; cette valeur représente donc la juste valeur marchande.

2. Il n'était pas certain que le PAPE aurait lieu en raison des nombreux risques qui échappaient au contrôle des appelants, ni que les fiducies pourraient continuer de détenir les actions ordinaires indéfiniment. Les appelants ont fait valoir que les facteurs suivants étaient susceptibles de faire échouer le PAPE :

a) le risque qu'aucun marché n'existe pour les actions;

b) le risque que le marché se détériore;

c) le risque que la situation de la société se détériore;

d) le risque qu'une offre privée soit faite aux fondateurs et que ceux‑ci acceptent une entente différente;

e) le risque que les fondateurs changent tout simplement d'idée.

3. La réalisation du PAPE n'était pas assurée et les fondateurs auraient pu, à tout moment, les obliger à vendre préalablement toutes leurs actions au prix établi selon la formule d'évaluation.

[84] Pour ce qui est de l'argument voulant que la formule d'évaluation ait été utilisée pour toutes les opérations sans lien de dépendance jusqu'en 2005, rien n'indique que cette formule ait été utilisée pour des opérations autres que celles visant des employés; elle n'a donc pas été utilisée pour un marché plus vaste. Bien que l'avocat des appelants ait contesté le fait que l'intimée ait décrit ces opérations antérieures de primes ou d'avantages sociaux, le contexte dans lequel ces actions ont été émises montre certainement que cette caractérisation est dans une certaine mesure justifiée. De plus, comme l'intimée l'a souligné, toutes ces opérations ont été réalisées avant que soit envisagé un événement portant sur la liquidité, soit le PAPE en cause.

[85] Aucun élément n'a été présenté pour expliquer pourquoi l'événement proposé ayant une incidence sur la liquidité n'aurait aucune incidence sur la formule d'évaluation, ce qui aurait permis à la Cour d'évaluer la thèse des appelants, même en tenant compte de la jurisprudence sur cette question qui existait alors. Les tribunaux ont reconnu qu'il faut tenir compte d'un PAPE éventuel dans l'établissement de la valeur des actions minoritaires. Dans McClintock c. La Reine, 2003 CCI 259, le juge Rip (plus tard juge en chef) a accepté l'avis des évaluateurs de l'ARC quant à la juste valeur marchande des actions achetées par l'appelant aux termes d'un régime d'option d'achat d'actions pour les employés et vendues alors qu'on envisageait un PAPE. Le PAPE s'est réalisé de manière expéditive et avec succès, et une décote de liquidité de 25 % était justifiée. Dans cet appel, l'appelant avait fait valoir que la valeur à utiliser était de 6 $ par action, soit le prix établi par le conseil d'administration pour les actions émises aux termes du régime d'option d'achat d'actions pour les employés cette année‑là, comme cela avait été fait au cours des années précédentes, puisqu'il n'était pas certain que le PAPE ait lieu, alors que l'intimée affirmait qu'il fallait utiliser une décote d'absence de liquidité au prix de 15 $ l'action indiqué dans le prospectus, pour tenir compte du risque que le PAPE n'ait pas lieu. Comme en l'espèce, le PAPE a eu lieu dans les trois mois de la première réunion avec les preneurs fermes. Le juge Rip a accepté la valeur établie par l'évaluateur, la jugeant « fondamentalement correcte », et il n'a relevé aucune erreur grave dans son rapport.

[86] Treize ans plus tard, dans Grimes c. La Reine, 2016 CCI 280, la juge Lafleur de notre Cour a accepté l'approche suivie dans McClintock sur la décote en raison de l'absence de liquidité. Il convient de mentionner que selon le paragraphe 168 de la décision Grimes, l'évaluateur avait tenu compte de différents facteurs, dont « iv) les projets des gestionnaires de l'entreprise » et « vi) le potentiel d'appréciation du capital pendant la période de détention », pour calculer la décote pour absence de liquidité. Ces facteurs montrent clairement, comme l'a fait valoir l'avocate de l'intimée, que le processus doit comporter un volet prospectif et qu'il ne doit pas uniquement être fondé sur les données historiques ou les opérations passées.

[87] De plus, comme l'a souligné l'avocate de l'intimée, en invoquant la décision Stellarbridge Management Inc. c. La Reine, 2019 CCI 134, au paragraphe 31 : « la définition de la juste valeur marchande dans une affaire fiscale fait [...] renvoi à des acheteurs avertis et disposés à acheter” ». Dans cette décision, la juge Lafleur a conclu que différents facteurs connus de l'appelante, notamment le besoin d'ajouter de la terre de remblai aux terrains à évaluer et les retards dans la mise en place des services publics, devaient être pris en compte; l'évaluateur expert du ministre n'en avait pas tenu compte pour déterminer la valeur, ce qui faisait que son rapport était peu fiable. En l'espèce, un acheteur averti aurait tenu compte des effets du PAPE proposé et peut‑être aussi, selon le moment, de la rapidité du processus pour déterminer le prix.

[88] De même, les appelants n'ont présenté aucun élément de preuve permettant d'évaluer la possibilité que l'un ou l'autre des risques énoncés au point 2, au paragraphe 83, se réalise. De fait, la preuve des appelants montre que la société était en croissance et qu'elle affichait un bon rendement, comme en témoigne également la hausse des revenus enregistrés, notamment durant les deux années précédentes. Le prospectus indique que les primes de rendement de la société, exprimées en pourcentage des frais de gestion fixes, étaient de 179,95 % en 2004 et avaient augmenté à 266,35 % en 2005, et que les taux de rendement du portefeuille de la société étaient de près du double du taux de rendement des indices S&P/TSX durant ces mêmes années, et qu'ils avaient été plus élevés que les rendements des indices depuis la création de l'entreprise (voir les pages 33 et 42 du prospectus, onglet 31 du recueil conjoint de documents). Dans la section intitulée [TRADUCTION] « Stratégie de croissance » à la page 44 du prospectus, il est indiqué ce qui suit : [TRADUCTION] « Nous croyons que la mise en œuvre avec succès des éléments suivants de notre stratégie nous offre la possibilité d'accroître nos actifs sous gestion. » Les parties conviennent que du 1er avril 2006, date à laquelle les appelants ont vendu leurs actions ordinaires, au 26 mai 2006, date du PAPE, il n'y a eu aucun changement important au revenu ou à l'entreprise, ni aucun changement fondamental dans les activités de l'entreprise. Comme l'a mentionné le juge Rip au paragraphe 57 de McClintock, en renvoyant à la rapidité avec laquelle le PAPE avait été mené à terme alors qu'il n'y avait pas eu de changement fondamental dans les activités :

Les actions d'Alias valaient définitivement plus de 6 $ chacune aux dates pertinentes. Je tiens compte du fait qu'il n'y a pas eu de changement fondamental ou important dans l'exploitation d'Alias entre le 25 avril 1990 et le 19 juillet 1990. Si cela est exact, M. McClintock n'a pas expliqué la raison pour laquelle la valeur des actions avait augmenté au cours de la période, passant de 6 $ à 15 $, soit le montant du PAPE. [...]

[89] L'explication de la hausse du prix fournie par les appelants, à savoir que les actions à droit de vote subalterne ne sont assujetties à aucune restriction en matière de transfert et que ces actions ne sont donc pas équivalentes aux actions ordinaires visées par des restrictions, ne tient pas compte du fait que le PAPE est l'événement qui a mené à la liquidité des actions ordinaires converties en actions à droit de vote subalterne, un événement dont les appelants avaient été informés et auquel ils ont participé. En fait, je note que, même si les conventions d'achat d'actions aux termes desquelles les appelants ont initialement acheté les actions ordinaires mentionnées précédemment comportaient une restriction selon laquelle le conseil d'administration, s'il approuvait le transfert des actions à une fiducie, pouvait exiger que le bénéficiaire du transfert conclue une convention contenant les mêmes restrictions, aucune nouvelle convention restrictive de ce genre n'a été conclue relativement aux actions détenues par les fiducies, même si toutes les opérations antérieures prévoyaient une convention de ce genre. Bien que les deux appelants aient témoigné qu'ils considéraient que les actions ordinaires détenues par les fiducies étaient assujetties à ces restrictions, aucune preuve écrite ne l'étaye. Cela m'indique que les fondateurs et les appelants considéraient que la question était théorique compte tenu du PAPE en cours.

[90] De plus, ni les fondateurs ni personne au courant de l'affaire n'a témoigné qu'il était ouvert à des offres privées pour ses actions, ou qu'il avait reçu ou envisagé des offres privées, ou encore qu'il avait des préoccupations qui pouvaient l'amener à changer d'idée.

[91] En ce qui concerne le point 3 au paragraphe 83, aucun élément de preuve présenté n'indique que les fondateurs avaient l'intention d'obliger les appelants ou les autres dirigeants à vendre leurs actions à d'autres à un prix établi selon la formule d'évaluation. De plus, le prospectus, qui a été déposé la première fois que deux semaines après la date à laquelle les actions en cause ont été transférées aux fiducies, soulignait la force de l'équipe de direction et mentionnait les dirigeants par leur nom, ce qui faisait penser que ceux‑ci étaient considérés comme faisant partie intégrante de l'équipe et qu'ils le demeureraient. Il semble donc hautement improbable que les fondateurs auraient risqué de modifier l'équipe de direction dans ces circonstances, car cela aurait nui à leurs intérêts.

[92] Bien que je reconnaisse qu'il existe toujours des risques indépendants de la volonté des parties, je ne crois pas que les appelants et les autres dirigeants de GS+A, qui avaient manifestement une connaissance approfondie de la société et des marchés sur lesquels elle menait ses activités, et dont certains avaient participé à la rédaction du prospectus et de son contenu, pouvaient raisonnablement croire que l'un ou l'autre de ces risques était hautement probable. Le fait qu'ils ont tous entrepris une planification successorale en même temps, en ayant recours au cabinet d'avocats qui représentait l'entreprise, et que cela a mené aux opérations en cause, lesquelles ont été réalisées moins d'un mois après l'embauche du preneur ferme et seulement six semaines avant le lancement du PAPE, combiné au fait que tous ont manifestement accepté de vendre une partie des actions qu'ils détenaient personnellement, montre qu'ils comptaient tous en fait sur le succès du PAPE et qu'ils travaillaient à cette fin.

[93] Après avoir examiné tous les éléments de preuve qui précèdent, je suis d'avis que l'intimée s'est acquittée du fardeau d'établir que la juste valeur marchande des actions ordinaires en cause est de 921 600 $ pour M. Freedman et de 307 200 $ pour Mme Lauria. Je conclus que le rapport de M. Feher a tenu compte à la fois des restrictions visant les actions ordinaires et des risques possibles liés au marché qui existaient avant le PAPE dans son évaluation et qu'il a appliqué une décote d'absence de liquidité appropriée; je ne relève donc aucune lacune dans son approche ou ses conclusions. Les éléments de preuve de l'intimée étaient convaincants et fiables; en revanche, je ne puis conclure que les éléments de preuve limités des appelants soient suffisamment convaincants ou fiables pour contester les conclusions du seul témoin expert.

2. La présentation erronée est-elle imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire?

[94] Comme je l'ai mentionné précédemment, l'intimée n'a formulé aucune allégation de fraude.

[95] Ainsi qu'il est indiqué au paragraphe 36 de Lewin (Succession) c. La Reine, 2019 CCI 21, qui invoque Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.), « un contribuable a été négligent s'il est démontré qu'il n'a pas fait preuve de diligence raisonnable ». L'expression « diligence raisonnable » a été définie au paragraphe 37 de Lewin, qui a adopté la définition énoncée dans Robertson c. La Reine, 2015 CCI 246, conf. par 2016 CAF 303 :

[...] l'expression « diligence raisonnable » a été définie par les tribunaux comme signifiant la diligence qu'exercerait une personne sage et prudente dans les mêmes circonstances [...]

[96] Je conviens avec l'intimée que les deux appelants ont fait une présentation erronée par négligence et inattention et que de nombreux éléments de preuve l'étayent, notamment les suivants :

1. Les deux appelants ont été informés du PAPE proposé avant de transférer leurs actions ordinaires à leurs fiducies respectives. Les deux appelants sont des personnes intelligentes qui connaissent bien le domaine de la gestion de patrimoine, puisqu'ils étaient tous deux vice‑présidents et administrateurs de GS+A durant la période pertinente. Ces personnes travaillent dans un domaine où il est question de valeurs mobilières tous les jours, en établissant le portefeuille des clients et en négociant des titres. Je suis d'avis qu'il est impossible de croire que ces personnes ne pensaient pas qu'un PAPE pourrait avoir une incidence sur la valeur de leur participation dans l'entreprise.

2. M. Freedman est un homme très instruit, qui possède des diplômes en droit et en administration des affaires ainsi qu'une bonne expérience professionnelle; il dirigeait les activités quotidiennes de GS+A en qualité de vice-président directeur et chef de l'exploitation. Il a témoigné qu'il avait aidé le preneur ferme à rédiger le prospectus et qu'il connaissait les valeurs en vue de l'émission des actions. Comme je l'ai mentionné précédemment, Mme Lauria travaillait pour l'entreprise depuis 1984; elle y a occupé de nombreuses fonctions, notamment dans le domaine de la négociation et le service aux clients, et elle a déclaré que les associés s'étaient réunis après l'annonce faite par les fondateurs. Ses fonctions consistaient notamment à rendre compte aux clients de l'entreprise. Les appelants possédaient tous deux l'intelligence et l'expérience requises pour connaître les effets qu'aurait le PAPE sur la valeur des actions.

3. Les appelants ont agi en tenant compte des effets que le PAPE pourrait avoir sur leur participation dans l'entreprise de deux façons importantes :

a) Premièrement, les deux appelants, de concert en fait avec tous les autres dirigeants qui détenaient des actions ordinaires, ont rapidement procédé à une planification successorale en vue d'établir des fiducies pour leur famille ou leurs enfants, et ils ont transféré une partie de leurs actions à ces fiducies. M. Freedman a déclaré qu'il avait cherché à établir quelle serait la valeur des actions au moment du PAPE afin de déterminer quelle partie de cette valeur il transférerait à la fiducie pour ses enfants. Durant son témoignage, Mme Lauria a déclaré qu'elle avait rencontré les autres « associés », qu'elle s'était fiée à leur expertise et qu'elle n'avait fait que suivre le mouvement; cependant, elle a aussi reconnu qu'elle s'attendait à ce que le PAPE augmente la valeur.

b) Deuxièmement, comme je l'ai mentionné précédemment, le prospectus indiquait que chacun des appelants, de même que les fondateurs et les autres détenteurs d'actions ordinaires, avaient tous convenu de vendre de 13 % à 26 % de leurs propres actions ordinaires, lesquelles seraient ensuite converties en actions à droit de vote subalterne après la réorganisation mentionnée. Le prospectus précisait également que les fiducies seraient tenues de vendre leurs actions à droit de vote subalterne. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les appelants et les autres détenteurs d'actions ordinaires ont participé à la rédaction du prospectus, tout au moins en fournissant des renseignements quant à la proportion de leurs actions qu'ils allaient vendre, par l'intermédiaire de leurs fiducies ou personnellement, et qu'ils ont tenu compte de la valeur de rachat.

Il est impossible de croire que les appelants tiendraient compte des effets du PAPE sur la valeur de leurs actions lors de leur planification successorale ou lors des rachats, mais qu'ils n'en tiennent pas compte lors de la production de leurs déclarations de revenus.

4. Toutes les opérations fondées sur la formule d'évaluation ont été réalisées avant l'annonce du PAPE. En fait, selon les renseignements sur les opérations antérieures fournis dans le prospectus, les dernières opérations remontaient au 1er juillet 2005. Il me semble qu'une personne raisonnable pourrait se demander si cette méthode historique d'évaluation était toujours appropriée en raison du PAPE, qui augmente la liquidité.

5. Comme je l'ai mentionné précédemment, compte tenu de la rapidité avec laquelle le PAPE a été réalisé, de la vigueur de l'économie et des marchés boursiers, ainsi que du rendement fort et soutenu de GS+A, les appelants avaient toutes les raisons de croire que le PAPE serait un succès. Durant leurs témoignages, les deux appelants ont déclaré qu'ils croyaient que l'entreprise présentait de solides perspectives et qu'ils avaient été étonnés d'apprendre que les fondateurs avaient l'intention d'introduire GS+A en bourse.

6. Aucun élément de preuve n'appuie les craintes des appelants voulant que les fondateurs auraient pu les obliger à vendre leurs actions au prix établi selon la formule d'évaluation avant le PAPE. En fait, cela semble hautement improbable, puisque les documents de promotion avant le PAPE, et le PAPE lui‑même, insistaient tous deux sur l'expérience de l'équipe de direction de GS+A et sur sa présence continue au sein de l'entreprise. Il semble hautement improbable que les fondateurs auraient pris le risque que les appelants quittent l'entreprise avant le PAPE, car cela aurait été un changement fondamental à la situation, qui aurait pu mettre le PAPE en péril.

7. Le PAPE a eu lieu le 26 mai 2006, quelques mois seulement après le lancement du processus; les appelants connaissaient le produit réel provenant de la disposition, par les fiducies, de leurs actions à droit de vote subalterne, ainsi que de la disposition, par eux‑mêmes, d'une partie de leurs actions. Ils ont indiqué le produit de la vente de leurs actions dans leurs déclarations de revenus, selon le prix d'émission de 18,50 $. La fiducie JMF Children's Trust a reçu 1 598 400 $ pour les 86 400 actions à droit de vote subalterne converties, lesquelles correspondaient aux 3 000 actions ordinaires que M. Freedman avait transférées à cette fiducie pour 77 340 $ deux mois auparavant. La fiducie Lauria Family Trust a pour sa part touché 495 418 $ pour les 28 800 actions à droit de vote subalterne qui correspondaient aux 1 000 actions ordinaires que Mme Lauria avait transférées à cette fiducie pour 25 780 $ deux mois auparavant. Dans les deux cas, cela représentait une hausse de plus de 2 000 % en deux mois. À lui seul, cet écart remarquable dans la valeur des actions aurait dû lancer un signal d'alarme, notamment compte tenu du fait qu'il n'y avait eu aucun changement dans les activités de la société durant cette période et qu'aucune explication autre que le PAPE n'a été fournie pour justifier une telle augmentation.

[97] Malgré ces éléments de preuve, aucun appelant n'a choisi de demander une confirmation indépendante de la valeur des actions en cause, que ce soit avant de les transférer à sa fiducie le 1er avril 2006 ou lors de la production de sa déclaration de revenus de 2006. Je crois fermement que c'est ce qu'aurait fait une personne prudente et avisée dans les circonstances, et j'estime que l'intimée a fermement établi que les appelants ont, par négligence et inattention, fait une présentation erronée de la juste valeur marchande des actions en cause.

[98] À ce moment, j'aimerais également examiner la thèse des appelants selon laquelle ils croyaient raisonnablement et en toute honnêteté que la valeur qu'ils ont déterminée le 1er avril 2006 était la valeur exacte des actions ordinaires dans les circonstances et qu'ils n'ont donc pas fait de présentation erronée des faits. Comme l'a souligné l'avocate de l'intimée, les décisions invoquées par les appelants et mentionnées ci‑dessous précèdent la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Vine, où le juge Webb a énoncé l'approche en deux étapes pour l'analyse du sous-alinéa 152(4)a)(i), approche que j'ai adoptée. Bien que ces décisions examinent le caractère raisonnable de la présentation erronée des faits pour déterminer s'il y a eu véritablement présentation erronée, j'estime qu'il est plus approprié, suivant l'approche définie dans l'arrêt Vine, d'examiner le caractère raisonnable lors du deuxième volet de cette approche, à savoir si la présentation erronée est imputable à la négligence, à l'inattention ou à une omission volontaire.

[99] Les appelants invoquent la décision Petric c. La Reine, 2006 CCI 306, où il est indiqué ce qui suit au paragraphe 40 :

[...] En l'espèce, je suis d'avis qu'à moins que l'on puisse affirmer que l'opinion des appelants quant à la juste valeur marchande était déraisonnable au point qu'elle ne pouvait pas être sincère, il n'y a pas vraiment eu présentation erronée. [...]

[100] Ils invoquent également l'arrêt Regina Shoppers Mall Ltd., précité, où la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 7 :

Lorsque le contribuable, après un examen réfléchi et attentif de la situation, évalue celle-ci et produit une déclaration selon la méthode qu'en bonne foi il croit appropriée, il ne peut y avoir présentation erronée des faits au sens de l'article 152 [...]

[101] Les appelants affirment avoir raisonnablement et en toute honnêteté cru que la valeur qu'ils avaient établie le 1er avril 2006 était la valeur exacte dans les circonstances, qu'ils ont fait une décision réfléchie et qu'ils ont rendu compte au ministre des opérations en résultant; ils estiment donc que rien ne justifie que le ministre ne respecte pas la garantie offerte par la période normale de nouvelle cotisation.

[102] J'ai conclu qu'il n'était pas raisonnable pour les appelants de ne pas tenir compte des effets du PAPE proposé, pour les nombreux motifs que j'ai donnés. Le critère du caractère raisonnable défini dans Robertson, précité, est un critère objectif; le simple fait qu'un contribuable croit avoir correctement produit sa déclaration de revenus n'est donc pas déterminant. Malgré ces déclarations, les tribunaux dans ces décisions ont cherché à déterminer si ces opinions reposaient sur un fondement raisonnable. Dans Petric, le contribuable avait obtenu une évaluation et il s'est fondé sur elle; il a donc pris des mesures pour établir la valeur, et c'est la raison pour laquelle la juge Lamarre a conclu que la valeur établie par le contribuable n'était pas déraisonnable. Dans Regina Shoppers Mall, le litige portait sur la question de savoir s'il s'agissait d'un gain en capital ou d'un revenu d'entreprise. La Cour a conclu que le contribuable avait des raisons de croire les éléments établissant qu'il s'agissait d'un revenu d'entreprise et que le ministre s'est fondé sur le fait qu'on avait établi une réserve spéciale, ce que la Cour a trouvé inexact; cela signifiait donc que les fondements invoqués par le ministre pour alléguer qu'il y avait eu présentation erronée n'existaient pas. Les raisons pour lesquelles le ministre avait conclu qu'il s'agissait d'un revenu d'entreprise n'existaient pas; il va sans dire que l'appelant n'avait pas fait une présentation erronée des faits lorsqu'il a produit sa déclaration. Cette conclusion est manifestement conforme à la nouvelle approche définie dans Vine, puisque le ministre n'a pu s'acquitter du fardeau de prouver ce fait. En l'espèce, je suis d'avis que les éléments de preuve montrent qu'il y a eu présentation erronée des faits.

[103] Dans l'arrêt R. c. Johnson, 2012 CAF 253, [2013] 1 R.C.F. F‑3, la contribuable s'était fiée au gestionnaire de la fiducie, qui lui avait donné l'assurance que certains revenus provenant d'opérations sur options n'étaient pas imposables, sans prendre d'autres mesures pour savoir si cela était vrai. Au paragraphe 58, la juge Sharlow a déclaré ce qui suit :

[...] aucun fait ne lui permettait d'apprécier la fiabilité de ces promesses, et elle a négligé de faire ce que toute personne raisonnable aurait fait à sa place, à savoir rechercher un conseil indépendant [...] Comme elle n'a pas pris cette mesure simple et évidente, elle ne peut utilement soutenir avoir effectué un examen attentif et réfléchi de la situation à la manière d'une personne sage et prudente.

[104] En l'espèce, les appelants n'ont pas demandé une évaluation indépendante et on ne peut pas dire qu'ils ont fait un examen attentif et réfléchi de la question de savoir si le PAPE proposé aurait une incidence sur le prix des actions. En fait, les appelants semblent tout simplement avoir fait abstraction du PAPE alors que, selon moi, compte tenu de leurs connaissances et de leur expertise du secteur des valeurs mobilières, ayant fait partie de l'équipe de direction d'une société de gestion de patrimoine, ainsi que des nombreuses autres circonstances ou signaux d'alarme dont il a été fait mention précédemment, ils étaient parfaitement au courant des effets qu'aurait le PAPE sur leurs actions.

[105] Enfin, j'aimerais aussi commenter l'observation des appelants selon laquelle ils n'ont pas induit le ministre en erreur, puisqu'ils n'ont pas dissimulé les opérations. En toute déférence, le fait que les opérations n'aient pas été dissimulées ne signifie pas que le ministre était tenu d'établir les nouvelles cotisations en respectant les délais de prescription habituels. Ainsi qu'il est indiqué dans l'arrêt Vine, précité, invoquant l'arrêt Nesbitt, précité, il importe peu de savoir si le ministre aurait pu établir une nouvelle cotisation durant cette période, car une présentation erronée demeure une présentation erronée assujettie à l'établissement d'une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation, si l'intimée prouve l'existence des éléments du sous‑alinéa 152(4)a)(i).

VII. Conclusion

[106] Les appels sont accueillis, mais seulement selon les concessions faites par l'intimée durant l'audience, à savoir que le ministre établisse de nouvelles cotisations pour les appelants pour l'année d'imposition 2006 en tenant compte de ce qui suit :

1. La juste valeur marchande des actions ordinaires de M. Freedman en cause est de 921 000 $; le gain en capital imposable qui n'avait pas été déclaré est donc de 422 130 $;

2. La juste valeur marchande des actions ordinaires de Mme Lauria en cause est de 307 200 $; le gain en capital imposable qui n'avait pas été déclaré est donc de 140 710 $.

3. L'intimée a droit aux dépens. Si, dans les 60 jours suivant la date du jugement, les parties n'arrivent pas à s'entendre sur le montant des dépens, elles déposeront leurs observations sur cette question dans les 30 jours suivant ce délai de 60 jours afin que je puisse les examiner et établir les dépens.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique), ce 13e jour d'octobre 2021.

« F.J. Pizzitelli »

Le juge Pizzitelli

 


RÉFÉRENCE :

2021 CCI 66

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2018-1954(IT)G

2018-1955(IT)G

 

INTITULÉS :

JOANNE LAURIA c. SA MAJESTÉ LA REINE

JEREMY FREEDMAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 27, 28 et 29 septembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge F.J. Pizzitelli

DATE DU JUGEMENT :

Le 13 octobre 2021

COMPARUTIONS :

Avocats des appelants :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

 

Avocates de l'intimée :

Me Iris Kingston

Me Rebecca L. Louis

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour les appelants :

Noms :

Me Matthew G. Williams

Me E. Rebecca Potter

 

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l'intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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