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Dossier : 2018-644(GST)G

ENTRE :

9056-2059 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 26 et 27 octobre 2021, à Québec (Québec)

Devant : L'honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Avocate de l'appelante :

Me Mylène Leblanc

Avocate de l'intimée :

Me Alex Boisvert

 

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Partie IX de la Loi sur la taxe d'accise le 13 décembre 2012 pour les périodes de déclaration de 2002 à 2005 et le 11 juin 2013 pour les périodes de déclaration de 2009 à 2012 est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de janvier 2022.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle


Référence : 2022 CCI 6

Date : 20220112

Dossier : 2018-644(GST)G

ENTRE :

9056-2059 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

I. Survol

[1] L'appelante exploite avec succès un parc d'attractions extérieur agrotouristique et récréotouristique, qui comprend notamment des activités d'apiculture artisanale, et qui est devenu le « Domaine de la forêt perdue ». Pendant les années en cause, les visiteurs payaient des frais d'entrée qui donnaient droit à la fois à l'accès aux sentiers pour la randonnée et le patinage appelés le « labyrinthe » et à une petite quantité d'un produit alimentaire au miel ou à l'érable. La question clé pour les années en cause est la répartition, pour la taxe sur les produits et services (la TPS), des montants payés par les clients de l'appelante pour l'accès au labyrinthe, une fourniture taxable, et pour le produit alimentaire, une fourniture détaxée.

[2] L'appelante interjette appel des nouvelles cotisations pour les périodes de déclaration de 2002 à 2005 et de 2009 à 2012. L'appelante avait déjà interjeté appel de nouvelles cotisations pour les périodes de 2002 à 2005 : notre Cour avait rejeté l'appel, mais la Cour d'appel fédérale a accueilli l’appel de cette décision. La question en litige alors était de savoir si la règle sur les fournitures accessoires à l'article 138 de la Loi sur la taxe d'accise (la LTA) s'appliquait et, si oui, si la fourniture accessoire était le miel ou l'accès au labyrinthe. L'appelante estimait que la fourniture entière était détaxée; l'intimée estimait que la fourniture entière était taxable, parce que la fourniture du produit alimentaire était accessoire aux termes de l'article 138. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a jugé que la fourniture principale était l'accès au labyrinthe et que le produit alimentaire était accessoire. La Cour d'appel fédérale a jugé que la règle sur les fournitures accessoires à l'article 138 ne s'appliquait pas et a ordonné au ministre d'établir une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'article 138 n'avait pas d'incidence sur le calcul de la contrepartie versée par les clients pour l'accès taxable au labyrinthe du Domaine de la forêt perdue. Le ministre a alors établi une nouvelle cotisation sur la base que 1,50 $ des frais d'entrée correspond à la fourniture détaxée du produit alimentaire et que le reste correspond à la fourniture taxable de l'accès au labyrinthe. L'appelante a alors interjeté appel à notre Cour de ces nouvelles cotisations pour les périodes de déclaration de 2002 à 2005.

[3] Les périodes de déclaration de 2009 à 2012 ont fait l'objet de nouvelles cotisations en raison d'une vérification menée alors que le ministre établissait de nouvelles cotisations pour les périodes de 2002 à 2005 conformément à la décision de la Cour d'appel fédérale. Les périodes de déclaration d'un peu plus de trois ans entre ces deux périodes, soit du 1er janvier 2006 du 31 mars 2009, n'ont pas fait l'objet de nouvelles cotisations, même si l'appelante n'avait pas perçu ou versé de TPS pour les frais d'entrée pour ces années, car la période normale de nouvelle cotisation était écoulée [1] . Dans son appel des nouvelles cotisations pour les périodes de 2009 à 2012, l'appelante affirme que la répartition qu'elle a faite à partir de 2010 entre les parties taxable et détaxée de la contrepartie est juste et devrait s'appliquer pendant toutes les périodes. De plus, l'appelante affirme qu'en raison de changements dans l'exploitation de l'entreprise au cours de ces années, si on devait verser une TPS supplémentaire, alors une autre société liée soumise à un contrôle commun, et non l'appelante, était responsable du versement.

[4] Il est logique que la Cour examine d'abord la question qui a déjà fait l'objet de litiges, soit la répartition de la contrepartie entre fournitures taxables et détaxées de 2002 à 2005. La Cour examinera ensuite l'incidence, s'il en est, des changements aux frais d'entrée et à l'exploitation de l'entreprise par la suite.

II. La décision de la Cour d'appel fédérale (2011 CAF 296)

[5] Il est utile de citer la décision de la Cour d'appel fédérale :

[5] 9056, immatriculée en 1997, est une entreprise agrotouristique qui s'intéresse à l'apiculture. Afin de stimuler et promouvoir la vente de leurs produits artisanaux, l'appelante, et avant elle ses actionnaires Jean‑Pierre Binette et Madeleine Courchesne, ont développé sur leurs terres un réseau de sentiers entrelacés en forme de labyrinthe mieux connu par ses usagers sous le nom du « labyrinthe du domaine de la forêt perdue » (le labyrinthe). Ces sentiers permettent la pratique d'activités diverses de plein air à l'année longue, dont la randonnée pédestre, le patinage à roues alignées ou à glace, l'observation de cervidés et autres espèces animales, etc. (voir feuillet promotionnel, dossier d'appel, volume II, onglet 38). Cet usage, non sans grandes difficultés, a obtenu l'aval de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). En effet, après trois refus antérieurs, la CPTAQ, par décision du 25 avril 1997, a autorisé l'utilisation à d'autres fins qu'agricoles des terres requises pour les activités de 9056 considérant qu'il n'en résulterait pas de préjudice majeur pour le milieu agricole et que ce projet dans son ensemble contribuerait au développement agrotouristique de la région au‑delà de la période de pointe qu'est la saison estivale (ibidem, onglet 22, page 195).

[6] Il ne fait aucun doute que l'objectif visé par 9056 a été rencontré. Le labyrinthe, particulièrement pendant la saison hivernale, connait un fort achalandage sur lequel l'appelante mise pour écouler son miel et ses produits dérivés du miel (le miel ou son miel). Celle‑ci offre aussi d'autres produits du terroir provenant de sources indépendantes.

[7] La stratégie de mise en marché est telle que l'usager doit se procurer un produit de la ferme pour accéder aux sentiers. La transaction s'exécute par l'achat de coupons. Le premier coupon se vend 12 $ pour un adulte et 10 $ pour un enfant. En pratique, un adulte qui débourse 12 $ obtient un premier produit de la ferme dont le prix a été fixé à un coupon (évalué à 1,50 $) et peut, sans plus, emprunter les sentiers pour le nombre d'heures qu'il souhaite dans la journée. Selon la grille de tarification de l'appelante, un coupon permet d'obtenir l'un des produits suivants : 50 g de miel ou de sirop d'érable, un sac de 8 bonbons, un suçon à l'érable ou un sac de 454 g de farine de sarrasin. Par comparaison, le pot de 500 g de miel liquide baratté, évalué à 6 $, requiert 4 coupons alors que le pot de 1 kg, évalué à 9 $, requiert 6 coupons. Sauf exception, les coupons supplémentaires coûtent 1,50 $ chacun. Il ne s'agit là que de quelques exemples illustrant la tarification mise en place par 9056 (Liste de prix des produits vendus, ibidem, onglet 25, page 211).

[...]

[9] C'est dans ce contexte que l'article 138 de la LTA s'est soulevé. Le ministre du Revenu a adopté la position que la vente de miel et l'accès au labyrinthe constituaient des fournitures mixtes. [...]

[12] En appel devant la Cour canadienne de l'impôt, 9056 a adopté des positions juridiques alternatives :

7. La position de l'appelante est sans équivoque : la vente de miel et l'accès au sentier constituent une seule et même fourniture aux fins de la LTA.

8. Cette fourniture unique est la vente de miel par l'appelante et constitue une fourniture détaxée au sens de la LTA.

9. Toutefois, et de façon subsidiaire seulement, l'appelante soumet que si la vente de miel et l'accès au sentier constituent des fournitures multiples, ce qu'elle nie vigoureusement, alors l'accès au sentier est un élément accessoire à la vente de miel, au sens de l'article 138 LTA.

10. Si les deux positions de l'appelante ne sont pas retenues par la Cour, l'appelante soumet finalement que la fourniture de miel n'est pas l'accessoire de l'accès au sentier et l'article 138 LTA ne trouve donc pas l'application (documents supplémentaires au dossier de l'appelante, volume III, onglet 46, page 433).

[13] Le juge a rejeté l'argument de la fourniture unique. En appel devant notre Cour, l'appelante a abandonné cette position, avec raison je crois. La fourniture unique est généralement caractérisée par le fait qu'un des éléments de l'opération est tellement dominé par un autre élément qu'il en perd toute identité aux fins fiscales. L'arrêt Camp Mini, précité, en est un bon exemple. Dans cet arrêt, la preuve avait démontré qu'il n'était pas possible de facturer, d'une part, une somme pour les services religieux offerts aux enfants qui fréquentaient le Camp Mini‑Yo‑We et, d'autre part, une autre somme pour les services récréatifs et sportifs. C'est dans ce contexte que l'article 138 avait été jugé inapplicable puisqu'on était en présence d'une fourniture unique à multiples composantes. Les faits dans le présent appel ne pointent aucunement dans cette direction.

[...]

[41] À cet égard, le juge a conclu que le miel « était l'équivalent de la surprise dans la boîte de céréales » (motifs du jugement, paragraphe 94). Il a jugé disproportionné le coût du coupon initial par rapport à la quantité de miel reçue (12 $ pour un pot de 50 g de miel). Pour lui, le miel n'avait qu'une valeur symbolique dans la valeur du premier coupon vendu au client.

[42] Tout comme le juge, je note la disproportion entre le prix du premier coupon et la quantité de miel auquel il donne droit. La comparaison entre la nature et l'étendue des activités disponibles à l'achat d'un coupon, c'est‑à‑dire plusieurs heures d'activités de plein air opposées à 50 g de miel ou 1 suçon à l'érable tend à démontrer que le volet apicole de la transaction est secondaire au volet récréotouristique. Mais ce second rang ne donne pas automatiquement au miel un rôle mineur et non essentiel (en anglais « incidental ») par rapport à l'autre service offert.

[...]

[45] Le coût de production du miel et de ses produits dérivés est trop important pour qu'on le traite de minime par rapport au prix du coupon initial. La politique précitée rappelle que l'article 138 « vise les situations où la valeur en dollars de la livraison ou de la prestation présumée accessoire est minime. En règle générale, il ne s'applique pas aux opérations pour lesquelles son application aurait des conséquences importantes du point de vue des recettes fiscales. » Ce serait ici le cas s'il s'appliquait.

[46] L'appelante m'a convaincue que le juge avait eu tort de ne pas retenir ces facteurs lors de son analyse de l'applicabilité de l'article 138. Ces faits, à la lumière de la norme juridique applicable, suffisaient à renverser l'hypothèse du ministre selon laquelle un produit de la ferme était obtenu accessoirement au paiement du droit d'entrée (motifs du jugement, alinéa 3h)). [Je souligne.]

[47] Puisque je réponds à la seconde question par la négative, l'article 138 ne s'applique pas en l'instance. Pour la période concernée, l'appelante devait remettre seulement la taxe nette découlant de ses ventes relatives au labyrinthe. C'est sur cette base que 9056 aurait dû être cotisée.

Conclusions

[48] Je propose donc d'accueillir l'appel avec dépens devant les deux cours; d'annuler le jugement de la Cour canadienne de l'impôt et; prononçant le jugement qu'elle aurait dû rendre, j'annulerais la cotisation en cause et retournerais l'affaire au ministre du Revenu national pour qu'il procède à un nouvel examen et à une nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'article 138 de la LTA ne s'applique pas en l'espèce et que l'appelante est redevable de la taxe nette découlant de ses ventes relatives au labyrinthe, ainsi que des intérêts afférents à ces montants.

III. La loi

[6] Le paragraphe 153(2) de la LTA dispose :

Contrepartie combinée

153(2) Pour l'application de la présente partie, dans le cas où une contrepartie est payée pour une fourniture et une autre contrepartie est payée pour une ou plusieurs autres fournitures ou choses et où la contrepartie d'une des fournitures ou choses dépasse celle qui serait raisonnable si l'autre fourniture n'était pas effectuée, ou l'autre chose livrée, la contrepartie pour chacune des fournitures et choses est réputée égale à la fraction du total des montants dont chacun représente la contrepartie d'une de ces fournitures ou choses qu'il est raisonnable d'imputer à chacune des fournitures et choses.

[7] La Cour d'appel fédérale a expliqué la portée de ce paragraphe dans Ladas c. La Reine, 2002 CAF 237 :

[2] La Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. (1985), ch. E‑15, paragraphe 153(2), exige que la contrepartie pour des fournitures multiples soit attribuée de manière raisonnable parmi les fournitures [2] .

La juge Campbell de notre Cour a affirmé ce qui suit dans Reid's Heritage Homes Ltd. c. La Reine, no 2001‑1661(GST)G, 9 décembre 2002 (C.C.I.) :

[31] La question suivante est celle de savoir si le ministre a appliqué convenablement le paragraphe 153(2) afin de réattribuer la contrepartie versée pour les frais de services, de l'unité résidentielle au terrain. Il est permis d'effectuer une réattribution de contrepartie en vertu de cette disposition, quand on a déterminé que la contrepartie est excessive pour la fourniture. Selon le témoignage de l'agent d'appels, David Thorpe, le ministre a invoqué le paragraphe 153(2) de la Loi pour effectuer la réattribution de la contrepartie. Le paragraphe 153(2) énonce ce qui suit :

(2) Pour l'application de la présente partie, dans le cas où une contrepartie est payée pour une fourniture et une autre contrepartie est payée pour une ou plusieurs autres fournitures ou choses et où la contrepartie d'une des fournitures ou choses dépasse celle qui serait raisonnable si l'autre fourniture n'était pas effectuée, ou l'autre chose livrée, la contrepartie pour chacune des fournitures ou choses est réputée égale à la fraction du total des montants dont chacun représente la contrepartie d'une de ces fournitures ou choses qu'il est raisonnable d'imputer à chacune des fournitures et choses.

[...]

[37] Bien que cela résolve la question, je souhaite formules des observations sur plusieurs arguments supplémentaires soulevés par l'avocate de l'appelante. Elle a comparé le paragraphe 153(2) à l'article 68 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'article 68 permet la réattribution d'un montant payé par le contribuable pour des biens et des services, sur une base raisonnable « quels que soient la forme et les effets juridiques du contrat ou de la convention » (mes guillemets). L'avocate a relevé que les termes entre guillemets ne figurent pas au paragraphe 153(2), bien qu'elle n'ait pas expliqué ce que cela signifiait. Il semble que l'avocate de l'appelante soit en train de tirer la conclusion que, puisque le paragraphe 153(2) ne contient pas le même libellé que l'article 68 de la Loi de l'impôt sur le revenu, aux fins de l'application du paragraphe 153(2), il n'est pas permis de chercher des éléments de preuve extérieurs aux modalités des documents de l'opération elle‑même, comme cela est le cas pour l'article 68. Je suis en désaccord. Je ne crois pas que l'omission de ces termes au paragraphe 153(2) nous empêche de nous pencher sur la contrepartie précisée dans les documents pour déterminer si le paragraphe 153(2) est applicable. Cette disposition serait d'une utilité très limitée si l'on ne pouvait pas vérifier les chiffres dans les documents de l'appelante.

IV. Répartition des frais d'entrée pour la période de 2002 à 2005

[8] Il faut répartir de façon raisonnable les frais d'entrée au Domaine de la forêt perdue entre l'accès au labyrinthe et aux autres activités et l'achat obligatoire d'un coupon à échanger contre un produit alimentaire au miel ou à l'érable. L'appelante a appelé le coupon reçu lors de l'entrée le coupon d'achat de produits de base.

[9] En l'espèce, il est manifestement plus facile, plus juste et plus raisonnable d'évaluer l'accès taxable et le produit alimentaire détaxé en évaluant d'abord le coupon ayant une valeur nominale de 1,50 $ et en évaluant ensuite l'accès comme représentant le solde des frais d'entrée. C'est ainsi que l'ARC a procédé lors de la vérification qui a mené aux nouvelles cotisations visées par l'appel. Ni l'une ni l'autre des parties n'a déposé d'élément de preuve sur les frais d'entrée de parcs d'attractions semblables qui aurait pu permettre d'établir la juste valeur marchande de l'accès au Domaine de la forêt perdue et de l'utilisation des pistes de randonnée et de patinage, de même que d'éventuels autres services du parc en échange d'un paiement supplémentaire.

[10] On vendait les produits alimentaires au miel et à l'érable au magasin de l'appelante. Les prix étaient indiqués selon le nombre de coupons de 1,50 $ à remettre pour chaque produit. Les prix allaient d'un coupon à cinquante coupons pour des produits allant d'un petit échantillon ou une sucette à un pot de vingt-cinq livres, et il y avait des quantités intermédiaires. Les clients achetaient les coupons, puis payaient leurs achats avec les coupons. La valeur « 1,50 $ » était imprimée en évidence sur les coupons. Les clients recevaient un coupon avec chaque entrée. On pouvait acheter un nombre illimité de coupons supplémentaires à 1,50 $ pièce, et plusieurs clients achetaient effectivement des coupons supplémentaires. Quatre produits étaient en vente pour un coupon chacun : un pot de 50 g de miel, un petit pot de sirop d'érable, une sucette à l'érable ou un petit sac de bonbons à l'érable ou au miel. Les clients pouvaient échanger le coupon qu'ils avaient reçu à l'entrée pour l'un de ces produits, ou ils pouvaient rassembler leur coupon avec ceux de leur famille ou de leurs amis, ou ils pouvaient acheter d'autres coupons à 1,50 $ chacun pour acheter plus de produits ou pour acheter des produits plus coûteux.

[11] Il n'y avait aucune différence entre le coupon de base et les autres coupons en vente à 1,50 $. Tous indiquaient 1,50 $, et tous pouvaient servir à acheter un produit qui coûtait un coupon.

[12] Bien que les frais d'entrée et les prix des produits alimentaires aient changé au fil des ans, les coupons ont continué à valoir 1,50 $ et à être vendus pour 1,50 $, et le coût des produits alimentaires a continué à être indiqué en nombre de coupons. On utilisait des coupons de 1,50 $ comme unité monétaire parce que le fondateur et apiculteur‑chef avait de la difficulté à calculer, à compter de l'argent et à rendre la monnaie, et ainsi de suite.

[13] En général, les clients utilisaient le coupon initial des façons suivantes : pour acheter un produit qui coûte un coupon, pour rassembler leur coupon à ceux des autres membres de leur groupe, ou après avoir acheté d'autres coupons afin d'acheter un produit.

[14] À l'occasion, des clients demandaient de ne payer que l'entrée au parc, sans acheter de coupon de base. On peut supposer que cela est devenu plus fréquent lorsque l'appelante a commencé à afficher séparément le coût de l'accès au parc et le prix du coupon de base, car les clients voyaient alors qu'ils payaient des multiples de 1,50 $ pour le coupon et qu'ils devaient acheter un coupon pour avoir accès au parc.

[15] Comme le montre l'exploitation du magasin de l'appelante, tous les coupons avaient la valeur nominale de 1,50 $, la valeur nominale du nombre de coupons facturés et payés pour chaque produit correspondait à la valeur du produit pour l'appelante et ses clients sans lien de dépendance, et tous les coupons de 1,50 $ de l'appelante ont été vendus à 1,50 $, à l'exception du coupon de base, dont l'achat était obligatoire lors de l'entrée.

[16] Chaque client du parc devait payer des frais d'entrée uniques, qui comprenaient l'accès au parc, taxes comprises, et un premier coupon à utiliser au magasin de l'appelante. Ainsi, on pouvait s'attendre à ce que les clients se rendent compte, puisqu'ils devaient payer à la fois l'accès et le coupon :

1. que la répartition du prix entre la fourniture taxable de l'accès au parc, la taxe sur la fourniture et le premier coupon de 1,50 $ soit sans importance pour le client;

2. que le coupon de 1,50 $ ne pouvait servir que pour payer le coût ou la valeur des produits alimentaires au magasin de l'appelante.

[17] Tout ceci fait penser très fortement que la valeur du coupon était de 1,50 $, ce qui à son tour fait penser qu'il est raisonnable d'attribuer 1,50 $ des frais d'entrée à la fourniture détaxée du coupon pour le produit alimentaire et d'attribuer le reste à la fourniture taxable de l'accès au labyrinthe et aux sentiers de randonnée en forêt et de patinage.

[18] De 2002 à 2005, l'appelante n'a attribué aucune partie des frais d'entrée à la fourniture taxable de l'accès au parc. Après la décision de notre Cour, l'appelante a continué à exiger des frais d'entrée uniques pour les adultes et des frais moindres pour les enfants, mais a réparti les frais d'entrée entre la fourniture taxable et la fourniture détaxée et, comme je l'ai indiqué, elle a attribué au coupon de base une contrepartie qui est un multiple de 1,50 $, qui pouvait atteindre 8 $ dans le cas d'un adulte et 6 $ dans le cas d'un enfant.

[19] L'appelante n'a pu présenter de raison valable pour que la valeur du coupon initial soit autre que 1,50 $, ce qui est ce qu'elle demandait pour les mêmes coupons lorsqu'on les achetait à l'unité. L'appelante n'a également pu expliquer comment ou pourquoi un coupon pourrait avoir une valeur différente s'il venait avec une entrée pour un adulte ou pour un enfant.

[20] Si la valeur des coupons est de 1,50 $, il en résulte une vente à profit des produits du miel de l'appelante, en utilisant ses propres calculs du coût de production du miel par livre. (Je signale que ce coût semble bien inférieur à celui indiqué au paragraphe 44 de la décision de la Cour d'appel fédérale.) Le comptable de l'appelante a calculé le coût de production d'une livre de miel, puis a informé l'intimée de ce coût pour la plupart des années lors de la vérification.

[21] La valeur de 1,50 $ fait également en sorte que le prix du miel au magasin de l'appelante soit comparable au prix moyen du miel vendu directement aux consommateurs à la ferme, en kiosque, lors d’exposition, etc., selon les rapports de l'Institut de la statistique du Québec déposés en preuve.

[22] Pour ces raisons, je conclus que selon la prépondérance des probabilités, après avoir tenu compte de la preuve dont je suis saisi, le coupon de 1,50 $ de l'appelante avait une juste valeur marchande de 1,50 $, même lorsque le coupon était fourni et acheté lors de l'entrée à titre de coupon de base. Ce coupon était identique aux autres coupons et avait la même valeur. Je conclus donc qu'il est juste et raisonnable d'attribuer 1,50 $ des frais d'entrée pour les années 2002 à 2005 au coupon de base de 1,50 $ à utiliser au magasin du parc pour des fournitures détaxées et d'attribuer le reste des frais d'entrée à la fourniture taxable de l'accès au Domaine de la forêt perdue.

[23] Pour les périodes des années 2009 à 2012, l'appelante a fait valoir que puisqu'elle avait effectué une répartition pendant ces années et qu'elle en avait informé ses clients lors du paiement des frais d'entrée, la Cour devrait respecter cette répartition. Je n'accepte pas cette observation, parce qu'elle est incompatible avec l'exigence de l'attribution raisonnable au paragraphe 153(2) et parce que l'appelante n'a pu expliquer de façon satisfaisante comment le fournisseur peut, de façon unilatérale, décider la juste valeur marchande de la fourniture ou le caractère raisonnable de la répartition de la contrepartie versée.

[24] Au paragraphe 42 de ses motifs, la Cour d'appel fédérale a signalé la disproportion du prix du premier coupon et, au paragraphe 44, elle a comparé les coûts de production et les prix des produits artisanaux de l'appelante à ceux des produits en supermarché. Ces affirmations visent à confirmer que bien que la fourniture des produits de miel soit secondaire à la fourniture de l'accès au parc, elle ne peut être considérée comme accessoire au sens de l'article 138. La Cour d'appel fédérale n'indique pas que ces observations modifieraient la valeur du coupon, dont elle indique, au paragraphe 7, qu'il est « évalué à 1,50 $ ».

[25] L'appelante affirme qu'elle a plus tard cédé l'exploitation de la fourniture taxable de l'accès au Domaine de la forêt perdue à une société liée afin d'établir une distinction entre la fourniture taxable de l'accès au labyrinthe et aux pistes du parc et la production et la vente du miel et des produits connexes. Cette autre société était soumise au même contrôle que l'appelante, et était inactive après avoir servi auparavant aux activités distinctes de l'actionnaire détenant le contrôle. L'appelante affirme avoir remis à cette société sa partie des frais d'entrée reçus et la TPS sur ceux‑ci selon la façon dont elle avait réparti les frais entre l'accès au parc et le coupon. L'appelante affirme que s'il aurait fallu verser plus de TPS pour la fourniture taxable en raison d'une répartition différente, ce n'est pas l'appelante, mais la société liée qui aurait dû faire l'objet de la nouvelle cotisation. La preuve très limitée qu'a la Cour à ce sujet ne suffit pas pour conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu'on l'a effectivement fait de la façon décrite. Une dirigeante de l'appelante a affirmé qu'elle croyait comprendre qu'on l'avait fait pour cette raison, mais qu'elle ne connaissait pas les modalités ou les détails. Les seuls éléments de preuve à l'appui est que la vérificatrice de l'ARC a indiqué dans ses notes de vérification que le comptable de l'appelante, qui est maintenant décédé, lui avait dit qu'on avait cédé de cette façon les activités commerciales taxables et qu'un relevé bancaire pour le mois de janvier indiquait quatre versements de l'appelante à la société liée de montants ronds de milliers de dollars, sans explication ou ventilation.

[26] Même si j'acceptais que les activités commerciales taxables avaient été cédées à une autre société, cette société ne serait pas redevable de la TPS pour les frais d'entrée que l'appelante aurait gardés plutôt que versés. Selon la preuve de l'appelante, elle a remis à la société liée la part des frais d'entrée reçus qu'elle avait attribuée à l'accès au parc et à la TPS connexe, et la société liée a remis la TPS. Cependant, les nouvelles cotisations en cause portent sur la TPS pour la partie des frais d'entrée que l'appelante avait attribuée au coupon de base de 1,50 $, mais qui excédait une valeur raisonnable. L'appelante a gardé cette partie des frais d'entrée et, puisqu'on a conclu qu'il était raisonnable de la considérer comme une contrepartie supplémentaire pour l'accès au parc, l'appelante a en fait reçu ce montant et l'a gardé, de sorte qu'elle est effectivement le fournisseur qui devait verser la TPS à son égard.

[27] Les appels pour toutes les périodes en cause de 2002 à 2005 et pour les années de 2009 à 2012 sont rejetés avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de janvier 2022.

« Patrick Boyle »

Juge Boyle

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 6

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-644(GST)G

INTITULÉ :

9056-2059 QUÉBEC INC. C. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :

Québec (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :

Les 26 et 27 octobre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

L'honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 janvier 2022

COMPARUTIONS :

 

Avocate de l'appelante :

Me Mylène Leblanc

Avocate de l'intimée :

Me Alex Boisvert

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Nom :

Me Mylène Leblanc

Cabinet :

 

Pour l'intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Il convient de signaler que dans la décision initiale, le juge de notre Cour avait décidé que l'appelante n'aurait pas dû être soumise à des pénalités pour faute lourde.

[2] Il est clair que, dans la décision Ladas, notre Cour répartissait une contrepartie unique pour des fournitures multiples.

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