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Dossier : 2020-1214(GST)G

ENTRE :

EXPRESS GOLD REFINING LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Requête entendue le 17 décembre 2021, à Ottawa, Canada

Devant : l’honorable juge B. Russell

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

Me Bryan Horrigan

Avocats de l’intimée :

Me Marilyn Vardy

Me Jasmine Mann

Me Michael Ding

Me Pallavi Gotla

 

ORDONNANCE

La Cour ordonne, conformément à l’article 82 et aux alinéas 91b) et e) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) et aux motifs joints à l’ordonnance, que l’intimée établisse et signifie à l’appelante dans les 30 jours de la présente ordonnance une autre liste de documents, attestée par une déclaration sous serment dans la formule prescrite, énumérant tous les documents non énumérés antérieurement qui sont ou étaient en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de l’intimée et qui sont pertinents quant à toute question en litige entre les parties dans le présent appel, notamment :

a. tous les documents qui font ou faisaient partie des 81,2 Go de documents que l’intimée a recueillis auprès de 131 employés de l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), mentionnés dans les motifs de l’ordonnance comme documents relatifs aux vérifications de la ferraille d’or;

b. tous les documents qui font ou faisaient partie des cas dans le système Integras portant les numéros 49411921, 44815431 et 34630331;

c. tous les documents qui font ou faisaient partie des journaux de recouvrement de l’ARC se rapportant à l’un des prétendus mécanismes de fraude fiscale de type carrousel en litige.

Les observations relatives aux dépens de la présente requête doivent être déposées auprès de la Cour dans les 30 jours suivant la date à laquelle la présente ordonnance est rendue.

Signé à Halifax, Nouvelle-Écosse, ce 22e jour de février 2022.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’avril 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022 CCI 33

Date : 20220222

Dossier : 2020-1214(GST)G

ENTRE :

EXPRESS GOLD REFINING LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Russell

I. Introduction :

[1] L’appelante, Express Gold Refining Ltd. (« EGR »), a présenté une requête interlocutoire sollicitant des ordonnances obligeant la Couronne intimée, dans un interrogatoire préalable, à établir et à produire une autre liste des documents qui sont ou ont été en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de cette partie et qui sont pertinents quant à toute question en litige entre les parties[1].

[2] La requête porte sur l’appel interjeté par EGR relativement à vingt-six nouvelles cotisations de TPS/TVH établies le 29 juillet 2020 en application de la Loi sur la taxe d’accise. Ces nouvelles cotisations concernent les périodes de déclaration mensuelles allant du 1er juin 2016 au 31 juillet 2018. Elles ont imposé collectivement à EGR près de 120 millions de dollars pour des crédits de taxe sur les intrants (les « CTI ») et près de 30 millions de dollars en pénalités pour faute lourde.

II. Le contexte :

[3] Pendant toute la période pertinente, EGR, située à Toronto, a exploité le secteur de la ferraille d’or, exerçant des activités de facilitation du raffinage de la ferraille d’or.

[4] Dans sa réponse, l’intimée a exposé les fondements invoqués par le ministre du Revenu national (« le ministre ») pour établir les nouvelles cotisations en cause :

a. EGR a participé à de nombreuses opérations comportant au moins une « fraude carrousel » à la TPS/TVH concernant « au moins 63 » des 82 prétendus vendeurs de ferraille d’or d’EGR;

b. les prétendues opérations relatives à la ferraille d’or d’EGR ne tenaient pas compte des normes du secteur quant au volume et à la pureté;

c. EGR était au courant d’une fuite importante de la TPS/TVH ou a fait preuve d’aveuglement volontaire à cet égard[2].

[5] L’intimée allègue que les prétendus stratagèmes de fraudes fiscales de type carrousel auxquelles EGR participait fonctionnaient ainsi :

[traduction]

EGR participait à ce qu’on appelle communément la « fraude carrousel » dans le secteur de la ferraille d’or. Le seul but du stratagème frauduleux était de créer faussement l’impression d’avoir droit à des CTI en convertissant des lingots d’or exonérés de la TPS/TVH ou détaxés (or pur) en marchandises imposables (ferraille d’or) dans des circonstances où EGR savait ou devait savoir que la TPS/TVH à percevoir à l’égard de ces prétendues fournitures ne serait pas remise au receveur général, mais plutôt conservée et répartie entre les divers participants au stratagème frauduleux.

Les participants au stratagème frauduleux ont transformé des lingots d’or pur, qui sont exonérés ou détaxés, en ferraille d’or, qui est taxable à 13 % [Ontario], en ajoutant des métaux de base comme l’argent, le zinc ou le cuivre ou une petite quantité de ferraille d’or légitime (ce procédé est appelé « dégradation »).

Les prétendus vendeurs ont vendu l’or dégradé à EGR et auraient facturé à cette dernière la TPS/TVH sur les ventes à un taux de 13 %.

EGR aurait payé les vendeurs au comptant ou en or pur raffiné (marchandises détaxées) en contrepartie des achats présumés d’EGR de ferraille d’or auprès d’eux.

Les prétendus vendeurs d’EGR ont pris l’or pur, qui a été dégradé encore une fois, ou ont utilisé l’argent qu’ils ont reçu d’EGR pour effectuer de nouveaux achats d’or pour le dégrader.

Le procédé consistant à acheter de l’or dégradé, à le raffiner, à le retourner comme contrepartie aux vendeurs et à le dégrader de nouveau pour le revendre a été répété à plusieurs reprises pour créer faussement l’impression d’une véritable activité commerciale importante et significative entre EGR et les vendeurs, alors que, concrètement, ce n’était pas du tout le cas[3].

[6] À l’égard de l’appel en matière fiscale d’EGR mentionné ci-dessus, à la fin de 2020, EGR et la Couronne intimée ont convenu de procéder à la communication de documents selon l’article 82 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »), l’article 82, etc.).

[7] L’article 82 des Règles est intitulé « Liste de documents (communication intégrale ». Le paragraphe 82(1) dispose que dans un appel déposé devant notre Cour :

Les parties peuvent convenir [...] [que] chaque partie... déposer[a] et signifier[a] à l’autre partie une liste de tous les documents qui sont ou ont été en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de cette partie et qui sont pertinents à toute question en litige entre les parties à l’appel.

(non souligné dans l’original)

[8] Comme il est indiqué, l’article 82 des Règles exige que chaque partie établisse une liste de tous les documents « pertinents » à toute question en litige dans le présent appel, qui sont ou ont été en la possession, sous le contrôle ou sous la garde de cette partie.

[9] En date du 31 mars 2021, EGR et l’intimée se sont mutuellement signifié leurs listes de documents respectives en application de l’article 82 des Règles, avec les documents énumérés produits. Par la suite, des négociations entre les parties lancées par EGR ont conduit l’intimée, à plusieurs reprises, à produire des documents complémentaires.

[10] Les documents produits par l’intimée comprennent ceux qui ont été examinés ou ceux sur lesquels s’est appuyé le vérificateur de l’ARC, J. Bartlett.

[11] J. Bartlett était le vérificateur principal de la vérification de l’ARC d’EGR (le « vérificateur principal »). Parallèlement, le vérificateur principal a coordonné les vérifications de l’ARC de nombreux prétendus fournisseurs de ferraille d’or dans diverses villes canadiennes.

[12] Les productions de l’intimée comprennent le dossier de vérification de l’ARC d’EGR et les soi-disant [traduction] « documents clés » relatifs à de nombreuses vérifications coordonnées par l’ARC de prétendus fournisseurs directs et indirects d’EGR dans le secteur de la ferraille d’or. Ces vérifications sont pertinentes quant aux allégations de fraudes carrousel présentées en l’espèce. L’expression [traduction] « documents clés » utilisée par l’intimée comprendrait, pour chacun de ces fournisseurs qui ont fait l’objet d’une vérification, l’exposé de principes du vérificateur de l’ARC, le rapport de vérification, le rapport sur les pénalités, les notes sur le T2020 et les notes d’entrevue[4].

[13] La Couronne intimée déclare qu’au 8 décembre 2021, elle [traduction] « [...] a produit les documents pertinents à l’appelante. » Je note l’emploi de l’expression moins précise [traduction] « la documentation pertinente » plutôt que « tous les documents pertinents ». L’intimée soutient en outre que ses productions [traduction] « incluent tout ce qui a été pris en compte dans les cotisations et les nouvelles cotisations [...] pour les périodes visées par l’appel. »[5]

[14] EGR demande par la présente requête que l’intimée produise une autre liste ou une liste complémentaire de documents pertinents conformément à l’article 82 des Règles, plus précisément, les documents qui relèvent des trois catégories suivantes et qui sont en la possession, etc. de l’ARC :

a. 81,2 gigaoctets (Go) de documents de chacun des 131 membres du personnel de l’ARC ayant travaillé individuellement sur la vérification de l’ARC d’EGR ou sur les vérifications de l’ARC des prétendus fournisseurs de ferraille d’or (Documents des vérifications de la ferraille d’or). Ce regroupement de documents a été défini dans la réponse à une demande interne de « préservation en cas de contentieux » de l’ARC relatives à des documents qui pourraient être pertinents quant aux fraudes carrousel présumées, à laquelle chacun des 131 membres du personnel de l’ARC avait répondu;

b. documents dans les cas du système Integras de l’ARC portant les numéros 49411921 et 44815431, concernant les niveaux de pureté et les volumes moyens de la ferraille d’or sur le marché qui s’y rapportent; les documents dans le cas du système Integras de l’ARC portant le numéro 34630331, concernant la série de nouvelles cotisations d’EGR de 2019 pour les périodes en cause;

c. documents de recouvrement de l’ARC concernant les fraudes carrousel présumées en litige.

III. Question en litige :

[15] La question en litige est de savoir quels documents, le cas échéant, notamment les documents de ces trois catégories de documents qui sont en la possession de l’ARC, doivent être répertoriés conformément au paragraphe 82(1) et produits en conséquence.

IV. Droit :

[16] Comme je l’ai noté, la notion de pertinence prend tout son sens dans l’article 82 des Règles. Le droit relatif à la portée de la pertinence dans le cadre de l’interrogatoire préalable est bien fixé. Dans la décision CIBC c. La Reine, 2015 CCI 280, aux paragraphes 14 à 18, le juge en chef Rossiter, a examiné la jurisprudence pertinente, et a conclu :

La pertinence est extrêmement large et doit être interprétée de façon libérale. Le seuil de la pertinence à l’étape de l’interrogatoire préalable, quoique peu élevé, ne permet pas une pure « recherche à l’aveuglette », les questions abusives, les stratégies de temporisation, ni les questions dénuées de toute pertinence;

Tout ce qui peut aider directement ou indirectement la partie interrogatrice à prouver ses moyens ou à réfuter ceux de son adversaire est pertinent. Si les questions se rattachent de façon générale aux points soulevés, elles doivent recevoir réponse;

Les actes de procédure définissent dans une certaine mesure les limites de l’interrogatoire préalable;

La partie qui interroge se livre à l’interrogatoire dans le but de prouver ses propres moyens, d’obtenir des aveux, d’attaquer les moyens de la partie adverse, de limiter la portée des questions en litige et de découvrir les moyens qu’elle doit réfuter lors du procès et les faits sur lesquels la partie adverse se fonde.

(non souligné dans l’original)

[17] Aussi, dans la décision CIBC (paragraphe 14) sont notées les observations du juge C. Miller dans la décision HSBC Bank Canada v. The Queen, 2010 TCC 228, « tirées d’autres décisions [...] de la Cour canadienne de l’impôt », selon lesquelles [traduction] :

1. La partie interrogatrice a droit à « toute information et à la production de tout document pouvant mener raisonnablement à une enquête qui pourrait directement ou indirectement faire avancer sa thèse ou nuire à celle de la partie opposée » : Teelucksingh v. The Queen, 2010 TCC 94, 2010 DTC 1085.

2. La Cour ne devrait exclure que les questions qui sont « 1) manifestement abusives; 2) manifestement dilatoires; 3) manifestement hors de propos » : John Fluevog Boots & Shoes c. La Reine, 2009 CCI 345, 2009 DTC 1197.

[18] L’intimée cite notamment la décision Burlington Resources Finance Company c. La Reine, 2015 CCI 71, paragraphe 15 (qui à son tour renvoie à l’arrêt Canada c. Lehigh Cement Limited, 2011 CAF 120, paragraphes 34 et 35) pour advancer la thèse suivante :

[traduction]

Lorsque la pertinence est établie, le juge conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de permettre une question, par exemple, lorsque la réponse exigerait trop d’efforts et de dépenses de la part de la partie à laquelle elle est posée, lorsqu’il y a d’autres moyens d’obtenir les renseignements sollicités ou lorsque la question fait partie d’une recherche à l’aveuglette[6].

V. Discussion :

(A) Catégorie de documents des vérifications de la ferraille d’or :

[19] Comme je l’ai observé, la catégorie de documents des vérifications de la ferraille d’or englobe les 81,2 Go de documents déterminés par les 131 membres du personnel de l’ARC comme étant peut-être pertinents quant aux questions soulevées dans le présent appel, en particulier quant aux fraudes carrousel présumées. L’intimée s’oppose à l’obligation d’examiner cette très vaste catégorie de documents en vue d’en établir une liste conformément à l’article 82 des Règles.

[20] L’intimée affirme que ces documents [traduction] « [...] sont susceptibles de n’avoir aucune pertinence ou seulement une faible pertinence aux questions en litige visées par l’appel en l’espèce (ou qui font double emploi avec les renseignements qui ont déjà été produits) [...] »[7].

[21] Comme je l’ai signalé, les documents des vérifications de la ferraille d’or, que l’intimée refuse de recenser et donc de produire, ont été précisément répertoriés par le personnel de l’ARC au motif qu’ils étaient potentiellement pertinents. La jurisprudence a établi la pertinence comme ayant un seuil bas. La jurisprudence enseigne que, en ce qui concerne le spectre de la pertinence, seuls les documents « manifestement hors de propos »[8] ne doivent pas être répertoriés conformément à l’article 82 des Règles. Comme l’a demandé EGR, comment l’intimée, sans examen ni échantillonnage, peut-elle soutenir qu’aucune partie de cette masse de documents ne doit être répertoriée conformément à l’article 82 des Règles.

[22] Les mentions dans les documents de l’ARC déjà produits indiquent clairement que les documents des vérifications de la ferraille d’or comprennent une quantité importante de documents pertinents.

[23] Par exemple, dans une note de service de l’ARC intitulée [traduction] « Express Gold Refining Ltd., mise à jour et plan d’action, mai 2019, approche de vérification de groupe, planification abusive en matière de la TPS/TVH abusive »[9], il est écrit, sous le titre « Vérification d’Express Gold Refining » :

[traduction]

Comme je l’ai signalé précédemment, cette vérification d’EGR se fonde en grande partie sur les vérifications des fournisseurs d’EGR. Pour refuser des CTI sur ces fournisseurs, les vérifications des fournisseurs doivent être bien faites et contenir suffisamment de renseignements et de travaux de vérifications pour justifier la thèse du groupe. Cette approche est systématique, mais elle est très chronophage.

[...] Nous ne pourrons peut-être pas refuser les CTI d’EGR s’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve dans la vérification du fournisseur.

– Pour étayer la position pour établir une cotisation à l’égard d’EGR, nous devons avoir une preuve de collusion, il s’agit de la preuve la plus difficile à obtenir.

– Nous devrons examiner les vérifications des fournisseurs au cas par cas et décider si elles peuvent être incluses dans la vérification d’EGR.

(non souligné dans l’original)

[24] Dans cette note de service de l’ARC, figure également l’observation suivante : [traduction] « 104 vérifications actives ont permis de découvrir des participants probables à une fraude carrousel à la TPS/TVH ». De plus, dans une section intitulée [traduction] « Approche de vérification descendante », il est observé :

[traduction]

Nous utilisons une approche de vérification collaborative descendante pour mener à bien ces dossiers. L’effort de coordination est important et repose sur le flux d’information dans les deux sens. Alors que le meilleur soutien à la thèse de vérification découle d’EGR vers les différents niveaux, les vérifications doivent s’achever de façon ascendante. Chaque niveau de la chaîne d’approvisionnement s’appuie sur les conclusions de la vérification des fournisseurs (le niveau inférieur à eux) [...]

La cohérence de notre thèse de vérification est essentielle. Le maintien de la cohérence nécessite une communication entre tous les vérificateurs du groupe. L’échange d’informations et la coordination de la fermeture des dossiers sont primordiaux. Cette collaboration est la seule façon d’assurer que notre thèse de vérification est bien développée et étayée [...]

(non souligné dans l’original)

[25] De plus, dans un document de l’ARC intitulé : « Notes de la conférence téléphonique du 30 mai 2019 » il est indiqué[10] [traduction] : « Le compte actuel est d’environ 150 dossiers, 40 vérificateurs, sept emplacements. » En outre, [traduction] « la vérification d’EGR se fonde fortement sur les renseignements obtenus et l’analyse des vérifications provisoires qui a été effectuée. »

[26] Ces extraits de notes de service de l’ARC, etc., créés au cours des vérifications approfondies de la ferraille d’or de l’ARC, constituent une base solide pour rattacher les vérifications coordonnées de l’ARC aux nouvelles cotisations visées par l’appel d’EGR. Les hypothèses de l’intimée visant la participation d’EGR aux fraudes carrousel de la TPS/TVH et d’au moins 63 des 82 fournisseurs reposent sur les travaux effectués lors de ces vérifications coordonnées du secteur de la ferraille d’or, qui constituent la base des documents des vérifications de la ferraille d’or en cause.

[27] L’existence de la catégorie de documents des vérifications de la ferraille d’or est attribuable au fait que 131 membres du personnel de l’ARC ont déterminé que chacun de ces documents était potentiellement pertinent quant aux allégations de fraude carrousel fiscale au cœur du présent contentieux. Il serait étonnant maintenant de renoncer à les examiner aux fins de l’article 82 des Règles.

[28] La quantité de documents présente d’autant plus de raisons pour les examiner afin d’établir une liste en application de l’article 82 des Règles; cette quantité importante ne doit pas être interprétée comme une raison de s’abstenir de tout examen pour établir une liste en application de l’article 82 des Règles.

[29] L’intimée soutient que le principe de proportionnalité exclut des productions additionnelles. La proportionnalité dans ce contexte est censée être déterminée par la suffisance des productions à ce jour, les cas exceptionnels du présent contentieux et les coûts ainsi que les délais supplémentaires résultant d’une autre divulgation.

[30] Les cas exceptionnels signalés font essentiellement jouer la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») fédérale, selon laquelle un contrôleur nommé aux termes de la LACC exhorte les parties à faire avancer le présent contentieux sans délai. L’intimée soutient que l’examen des 81,2 Go de documents des vérifications de la ferraille d’or prendrait beaucoup plus de temps que ne justifierait l’utilité de ces documents d’EGR.

[31] L’intimée reconnaît que l’appel interjeté par EGR est

[traduction]

[…] un dossier important et complexe, qui comporte une somme d’argent importante d’impôts. La nature des allégations est grave – il s’agit d’allégations de conduite qui n’est pas de bonne foi de la part d’EGR, ce qui a eu pour effet de priver le receveur général de recettes fiscales d’environ 20 millions de dollars[11].

[32] En l’espèce, EGR interjette appel des nouvelles cotisations totalisant des millions de dollars, attribuables en grande partie aux nombreuses vérifications de l’ARC, effectuées de manière coordonnée, de prétendus participants du secteur de la ferraille d’or. Il n’est guère étonnant qu’un programme de vérification aussi étendu produise une si grande quantité de documents qui pourraient s’inscrire dans le cadre élargi de la pertinence de l’article 82 des Règles.

[33] Qu’un contrôleur de la LACC exhorte les parties à aller de l’avant est bien compréhensible. Toutefois, avec respect, je suis d’avis que ce n’est pas une raison pour restreindre le droit d’EGR à l’application complète de l’article 82 des Règles, notamment concernant les documents des vérifications de la ferraille d’or. Des millions de dollars et la réputation commerciale d’EGR sont en jeu, en particulier en raison de ces nouvelles cotisations visées par le présent appel.

[34] Il y a plus d’un an, la Couronne intimée et EGR se sont engagées, conformément à l’article 82 des Règles, à l’égard de la communication de documents avant l’audience. Pourtant, à ce jour, la Couronne intimée a laissé sa grande quantité de documents des vérifications de la ferraille d’or non examinée pour l’établissement de la liste conformément à l’article 82 des Règles.

[35] L’examen de ces documents aux fins de l’application de l’article 82 des Règles n’est pas une mince affaire. Pourtant, il est probable que la Couronne intimée en a tenu compte en prenant des engagements en application de l’article 82 des Règles.

[36] Enfin, dans la décision CIBC, ci-dessus, l’observation suivante du juge en chef est pertinente :

Comme c’est le cas pour tout enjeu en matière de proportionnalité, le principe est sans nul doute valable et important, et il faudrait faire tous les efforts possibles pour garder les coûts à un niveau raisonnable. La proportionnalité n’est cependant pas une chose à utiliser comme bouclier. Vu [sic] présents appels, surtout les questions en litige et la somme en jeu, la proportionnalité ne constitue pas le fil conducteur de la jurisprudence portant sur l’interrogatoire préalable pour ces appels. C’est plutôt la pertinence qui est le facteur clé. Comme je l’ai déjà signalé, l’intimée a montré que le processus par lequel la CIBC est arrivée à sa décision pourrait fournir des informations pertinentes quant à sa thèse et pour son attaque de la thèse de la CIBC. Tel est également le cas pour les informations comme les documents de travail qui peuvent normalement sembler accessoires. Or, dans la présente affaire, ils pourraient fournir un aperçu du processus décisionnel et la justification de la déduction des paiements de règlement. La proportionnalité ne doit donc pas compromettre les objectifs de l’interrogatoire préalable, particulièrement dans des appels d’une telle importance[12].

(non souligné dans l’original)

[37] Pour ces motifs, je rejette l’argument de la Couronne tiré de la proportionnalité.

[38] J’ordonnerai à la Couronne intimée d’examiner les documents de vérification de la ferraille d’or afin d’en établir une liste en application de l’article 82 des Règles, en gardant à l’esprit que le seuil de la pertinence est peu élevé et que, quant au spectre de la pertinence, seuls les documents « manifestement hors de propos » doivent être considérés comme non pertinents.

(B) Catégorie de cas dans le système Integras :

[39] Les documents figurant dans les cas du système Integras portant les numéros 44411921 et 44815431 doivent-ils être répertoriés conformément à l’article 82 des Règles? EGR comprend que ces documents se rapportent aux déterminations du ministre quant aux puretés et aux volumes de référence de l’or sur le marché. Ces déterminations constituent un élément particulier des fraudes carrousel à la taxe présumées auxquelles aurait participé EGR.

[40] Le fait que ces documents n’ont peut-être pas été directement utilisés dans les hypothèses formulées par le ministre ne les rend pas non pertinents quant aux questions en l’instance. Une fonction centrale de l’article 82 des Règles est d’obliger une partie à inclure dans sa liste les documents pertinents, qu’ils appuient ou non sa cause.

[41] De plus, EGR demande l’établissement d’une liste et donc leur production, conformément à l’article 82 des Règles, des documents se trouvant dans le cas d’Integras de l’ARC portant le numéro 34630331, ce qui s’entend comme contenant le dossier de vérification de l’ARC d’EGR qui se rapporte à la première série de nouvelles cotisations à l’égard d’EGR, établies le 22 juillet 2019, concernant les mêmes périodes mensuelles visées par le présent appel. Les nouvelles cotisations en cause, qui constituent la deuxième série de nouvelles cotisations, ont été établies un an plus tard.

[42] Je conviens que ces documents seraient pertinents, selon les normes de l’article 82 des Règles, quant à la deuxième série de nouvelles cotisations visées par le présent appel. L’intimée doit examiner les documents de ces trois dossiers précis contenus dans Integras pour les répertorier conformément à l’article 82 des Règles, sauf les documents dont la pertinence est « manifestement hors de propos », encore une fois en gardant à l’esprit le seuil peu élevé de la pertinence.

(C) Catégorie des journaux de recouvrement :

[43] Enfin, EGR demande l’établissement d’une liste et la production, conformément à l’article 82 des Règles, des journaux de recouvrement de l’ARC qui mentionnent l’une des fraudes carrousel présumées en cause.

[44] Il est entendu que le vérificateur principal a examiné les journaux de recouvrements de l’ARC dans lesquels sont enregistrées les communications et les actions lors de l’inscription d’une dette de TPS/TVH, généralement après que la vérification est achevée. Le vérificateur principal recherchait principalement des mentions de fraudes carrousel liées à l’or ou des activités présumées liées à la ferraille d’or d’un inscrit. De tels renseignements ont été trouvés et auraient été résumés dans un document de travail de 924 pages produit par l’ARC[13].

[45] Il s’agit, en particulier, d’accéder aux documents sources qui se rapportent aux aspects factuels pertinents qui sont pris en compte dans le résumé de 924 pages de l’ARC. L’établissement de la liste des journaux de recouvrement pertinents conformément à l’article 82 des Règles permet de vérifier l’exactitude et l’exhaustivité du résumé de l’ARC. Le recensement, aux fins de l’article 82 des Règles, doit bien sûr inclure toutes les mentions pertinentes dans les journaux de recouvrement, qu’elles soient ou non conformes à la cause de l’intimée.

VI. Conclusion :

[46] La Cour rendra une ordonnance reflétant ce qui précède et prévoyant un délai d’exécution rapide. Les observations écrites sur les dépens peuvent être déposées auprès de la Cour dans les 30 jours suivant la date du prononcé de l’ordonnance.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 22e jour de février 2022.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour d’avril 2022.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 33

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-1214(GST)G

INTITULÉ :

EXPRESS GOLD REFINING LTD., c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Canada

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 décembre 2021

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

L’honorable juge B. Russell

DATE DE L’ORDONNANCE :

Le 22 février 2022

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Jacques Bernier

Me Bryan Horrigan

Avocats de l’intimée :

Me Marilyn Vardy

Me Jasmine Mann

Me Michael Ding

Me Pallavi Gotla

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Jacques Bernier

Me Bryan Horrigan

 

Cabinet :

Baker and McKenzie LLP

Pour l’intimée :

Me François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Avis de requête de l’appelante

[2] Réponse, par. 22.24, 22.33 – 22.40, 22.41, 22.42

[3] Réponse, par. 22.14 – 22.19

[4] Observations écrites de l’intimée, par. 24, 25

[5] Ibid., par. 55, 56

[6] Ibid., par. 37

[7] Ibid., par. 63

[8] John Fluevog Boots & Shoes, par. 17, précitée

[9] Dossier de requête de l’appelante, onglet 2ZZZ

[10] Ibid., onglet 2AAAA

[11] Observations écrites de l’intimée, par. 61

[12] CIBC, précitée, par. 276

[13] Ibid., par. 30, 31

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