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Dossier : 2020-179(IT)I

ENTRE :

AMANDA DUNN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 8 mars 2022, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Tigra Bailey

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2017 est rejeté conformément aux motifs de jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’avril 2022.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


Référence : 2022 CCI 44

Date : 20220418

Dossier : 2020-179(IT)I

ENTRE :

AMANDA DUNN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

[1] Mme Dunn interjette appel de la nouvelle cotisation établie pour l’année 2017, qui a inclus dans le calcul de son revenu assujetti à l’impôt une somme de 5 000 $ qu’elle a retirée de son REER dans le cadre du régime d’accession à la propriété (« RAP »). Cette somme de 5 000 $, se situant dans les limites du plafond de 5 000 $ que l’on permet de retirer dans le cadre du RAP, a servi à payer son nouveau condominium à Toronto.

I. La question en litige

[2] La seule raison pour laquelle la nouvelle cotisation a été établie est que Mme Dunn n’a pas retiré cette somme de 5 000 $ de son REER la même année au cours de laquelle a retiré les premiers 20 000 $ qui ont servi au dépôt préalable à la construction de son condominium ou au cours de l’année suivante. Le deuxième retrait a été effectué plus tard en raison de retards de construction, de retards dans l’occupation et de dates de conclusion de la transaction de plus de deux ans.

[3] Si Mme Dunn avait retiré ces deux montants d’argent la même année ou au cours de deux années consécutives, la question ne se serait pas posée. Cependant, le retrait du deuxième 5 000 $ ne répond pas à la définition de « montant admissible principal » du paragraphe 146.01(1) pour les raisons suivantes :

  • 1) le retrait de 20 000 $ constituait un solde RAP impayé au moment où elle a effectué son deuxième retrait;

  • 2) la règle spéciale ou l’exception prévue à l’alinéa 146.1(2)d) qui traite des retraits RAP sur plus d’un an n’autorise que les retraits ultérieurs au cours de l’année suivante.

II. Les faits

[4] Les faits importants et pertinents de l’espèce sont très simples et ne sont pas contestés. Je les dégage ainsi :

  • - En 2015, l’appelante a convenu d’acheter un condominium à Toronto, préalablement aux travaux de construction. Cette entente prévoyait que les travaux prendraient fin en décembre 2015.

  • - L’appelante a retiré 20 000 $ de ses REER en vue d’un RAP en 2015, et a utilisé cette somme pour verser le dépôt, la même année.

  • - En raison des retards de construction, y compris les retards dus aux réclamations portant sur la construction, enregistrées sur le bienfonds, tous liés à la construction, indépendamment de la volonté de Mme Dunn et à l’encontre de ses intérêts de conclure la transaction dans les délais prévus, sa date d’occupation a été retardée jusqu’en décembre 2017 et la conclusion de la vente a été retardée jusqu’en mai 2018.

  • - Mme Dunn a utilisé le retrait du 5 000 $ pour payer le solde dû avant la conclusion de la transaction.

  • - Dans son témoignage, Mme Dunn a déclaré qu’au début de 2016, elle a communiqué avec l’Agence du revenu du Canada pour expliquer les retards dans la conclusion de la transaction, et qu’on lui aurait dit qu’elle serait en mesure de retirer la somme restante de 5 000 $ dans le cadre de son RAP et de s’en servir pour payer les frais de clôture de la transaction. L’intimée n’a pas contesté le témoignage de Mme Dunn selon lequel elle a communiqué avec l’ARC à ce moment-là ou que le représentant de l’ARC lui a donné ce conseil. Je conclus qu’elle a demandé ces renseignements au début de 2016, et qu’elle a obtenu ces renseignements.

  • - Si Mme Dunn avait obtenu les bons renseignements de la part du représentant de l’ARC, soit que son deuxième retrait devait être effectué dans l’année suivant le premier, elle aurait pu faire ce deuxième retrait de 5 000 $ en 2016, et l’utiliser pour payer les frais de clôture de la transaction d’achat du condominium.

- Mme Dunn n’a pas été dirigée vers une publication d’informations disponible à ce moment-là ou aujourd’hui, qui l’aurait informée de ce délai de prescription d’un an à l’égard des autres retraits.

III. Décision

[5] La législation applicable au RAP mentionne clairement que le deuxième retrait de 5 000 $ effectué par Mme Dunn ne peut être un « montant admissible » au RAP, parce que cette somme n’a pas été retirée la même année que son premier retrait RAP de 20 000 ou au cours de l’année suivante.

[6] La somme de 5 000 $ que Mme Dunn a retirée en 2017 n’était pas un « montant admissible principal » aux termes des dispositions régissant le RAP. Il ne peut donc être un « montant exclu » aux termes des dispositions de la Loi sur les REER. Par conséquent, il constituait un retrait de son REER à inclure dans son revenu pour l’année 2017 conformément aux dispositions de la Loi.

[7] Notre Cour doit appliquer les lois adoptées en bonne et due forme par le législateur, telles qu’elles ont été rédigées. Je n’ai aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard, en equity ou autre. Les dispositions relatives au RAP semblent ne prévoir qu’une convention d’achat d’une maison se prolongeant dans l’année suivante. Elles ont été rédigées il y a plusieurs décennies, et sont antérieures à la réalité moderne du marché de la construction résidentielle en ébullition dans des villes comme Toronto et Vancouver. Ce sont néanmoins ces règles qui s’appliquent malgré le fait que Mme Dunn n’a commis aucun méfait.

[8] Je ne suis pas en désaccord avec Mme Dunn quant au fait que, dans sa situation particulière, l’application de la période de deux ans et le coût fiscal qui en découle pour elle ne semblent pas, du point de vue de la politique fiscale, être appropriés, raisonnables ou justes. Je ne suis pas non plus en désaccord avec elle sur le fait qu’il est très peu probable que sa situation soulève des questions d’intérêt public du législateur et du ministère des Finances, qui ont donné lieu à la promulgation du délai de prescription de deux ans. Notre Cour doit toutefois appliquer le droit applicable et ne peut pas choisir de ne pas le faire pour des raisons de justice et d’équité. Comme le juge Rothstein de la Cour d’appel fédérale l’a écrit dans l’arrêt Chaya c. Canada, 2004 CAF 327 :

[4] Le demandeur soutient que la loi est inéquitable et il demande à la Cour de faire une exception pour lui. Toutefois, la Cour n’a pas le pouvoir de faire droit à sa demande. La Cour doit appliquer la loi telle qu’elle est. Elle ne peut pas déroger aux dispositions législatives pour des raisons liées à l’équité. S’il estime que la loi est inéquitable, le demandeur doit avoir recours au Parlement et non pas à la Cour.

[9] Le fait que Mme Dunn se soit rapidement renseignée auprès de l’ARC sur la question des dates de clôture retardées et des retraits RAP n’y change rien. Comme l’a écrit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Klassen c. Canada, 2007 CAF 339 :

[27] Enfin, la prétention de l’appelante selon laquelle il y a lieu de modifier la cotisation en raison d’une erreur provoquée par un fonctionnaire m’apparaît dénuée de fondement. Il est bien établi en droit que la réparation accordée par un tribunal dans le cadre d’un appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation en vertu de la LIR doit être prévue par la loi. S’il s’avère qu’un acte de négligence a induit l’appelante en erreur, d’autres recours s’offrent à elle. Aucun redressement ne peut cependant être accordé pour ce motif dans le contexte d’un appel en matière d’impôt.

[10] Dans le même sens, le juge Sharpe de la Cour d’appel de l’Ontario a écrit, dans son ouvrage Good Judgment: Making Judicial Decisions, à la page 127 :

[traduction]
Je m’inquiéterais beaucoup du fait qu’un juge ne se soit jamais senti obligé de trancher une affaire qui va à l’encontre de ses opinions personnelles. C’est une partie du travail certes désagréable, mais qui en fait partie intégrante. Nous sommes prêts à mettre nos opinions de côté parce que c’est le serment que nous avons prêté et qu’en définitive, nous devons accepter qu’il soit parfois nécessaire de tolérer des issues que nous considérons comme mauvaises ou injustes, et ce, afin de protéger l’aspect fondamental d’un ordre juridique qui existe de manière distincte et indépendante des opinions des juges.

[11] Pour ces motifs, notre Cour doit rejeter le présent appel. Bien que l’appelante ne puisse avoir gain de cause devant notre Cour, il existe pour elle une possibilité de recours en application de la Loi sur la gestion des finances publiques. C’est là une voie que l’appelante peut emprunter, en tenant compte des propos du juge Rothstein, pour demander réparation auprès du législateur. L’article 23 de cette loi est ainsi libellé :

Définitions

23 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

[...]

(2) Sur recommandation du ministre compétent, le gouverneur en conseil peut faire remise de toutes taxes ou pénalités, ainsi que des intérêts afférents, s’il estime que leur perception ou leur exécution forcée est déraisonnable ou injuste ou que, d’une façon générale, l’intérêt public justifie la remise.

[12] Si l’ARC avait communiqué avec l’appelante de façon plus claire et complète au sujet de l’existence et de la portée de l’exigence relative à la période de deux ans après l’apparition du problème, l’appelante aurait pu d’abord demander réparation après avoir obtenu la confirmation de l’agent des appels de l’ARC, plutôt que de le faire devant notre Cour. Les décrets de remise de la LGFP relèvent entièrement du ministre du Revenu national (le « MRN ») et du gouverneur en conseil ou du Cabinet. L’ARC a mis en place une procédure visant à ce que les contribuables sollicitent l’appui du MRN relativement à un tel décret de remise. Si le ministre est d’accord et, j’espère qu’il le sera, avec la thèse de Mme Dunn et avec mes commentaires ci-dessus sur le fait que les résultats de l’application de la période de deux ans, dans ce cas précis, semblent injustes, déraisonnables et au-delà de la portée de l’intérêt public protégé par sa promulgation, une demande faite par le ministre visant un tel décret de remise sera présentée pour approbation et examinée par le Cabinet. Il s’agira d’un processus tout à fait indépendant de notre Cour, qui sera tranché par le ministre et le gouverneur en conseil agissant seuls. Ils peuvent fort bien être au courant de facteurs qui n’ont pas été portés à l’attention de notre Cour par l’une ou l’autre des parties à la présente instance.

[13] Le passage reproduit ci-dessus de l’arrêt Klassen est cité par le juge Paris, de notre Cour, dans sa décision informelle Chitalia c. La Reine, 2017 CCI 227, une autre décision en matière de RAP où un premier acheteur canadien a dû se débattre avec les subtilités de la législation applicable au RAP, et je le répète, sans égard au fait qu’il ait également obtenu des renseignements inexacts de l’ARC dans l’une de ses publications sur le RAP. Le juge Paris a écrit ce qui suit : Compte tenu du caractère inéquitable de ce résultat, M. Chitalia pourrait envisager de demander que lui soit accordée une remise de taxe aux termes du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, RSC (1985), c F-11 ».

[14] L’appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’avril 2022.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 44

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-179(IT)I

INTITULÉ :

AMANDA DUNN

c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 mars 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 avril 2022

COMPARUTIONS :

Pour l’appelante :

L’appelante elle-même

Avocate de l’intimée :

Me Tigra Bailey

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

[EN BLANC]

Cabinet :

[EN BLANC]

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

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