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Dossier : 2020-777(IT)G

ENTRE :

TRISKELION PROJECTS INTERNATIONAL INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 2 mai 2022, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Spiro


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Mark Feigenbaum

Avocat de l’intimée :

Me Michael Ding

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre d’une cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2016 de l’appelante est rejeté, avec dépens accordés conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2022.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de septembre 2022.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022 CCI 63

Date : 20220616

Dossier : 2020-777(IT)G

ENTRE :

TRISKELION PROJECTS INTERNATIONAL INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT

Le juge Spiro

[1] La question soulevée dans le présent appel est celle de savoir si l’appelante possédait ou non un établissement stable au Canada au cours de son année d’imposition 2016. Dans l’affirmative, le ministre du Revenu national (le « ministre ») était en droit d’établir une cotisation comme il l’a fait. Autrement, il n’était pas en droit d’établir cette cotisation. Le procès a été fondé sur l’exposé conjoint des faits et le recueil conjoint de documents produits par les parties. L’une comme l’autre n’a déposé aucun élément de preuve supplémentaire.

[2] L’appelante est une société résidant aux États-Unis, dont les exercices correspondent aux années civiles. Elle exerce des activités de prestation de services de gestion de projets pour l’industrie du bâtiment (les « services de conseil »). L’appelante a fourni des services de conseil sur un projet pour un client au Canada, aux termes d’un contrat, entre mars 2015 et mars 2016. Elle a fourni 198 jours de services de conseil au Canada en 2015 et 54 jours de services de conseil au Canada en 2016 à l’égard de ce projet.

[3] L’appelante a gagné 621 481 $ pour la prestation des services de conseil au Canada entre mars et décembre 2015, ainsi que 181 740 $ pour la prestation des services de conseil au Canada entre janvier et mars 2016.

[4] L’appelante a fait l’objet d’une cotisation d’impôt de 27 261 $, en application de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »), et de 7 530 $, en application de la partie XIV de la Loi, concernant les revenus qu’elle a gagnés en fournissant les services de conseil au Canada pendant son année d’imposition 2016. Il s’agit de la cotisation visée par le présent appel.

I. Le droit applicable

[5] Le pays de résidence du contribuable est en droit d’imposer les revenus de ce contribuable. Pour l’appelante, qui réside aux États-Unis, l’État en droit d’imposer ses revenus est les États-Unis. Une convention fiscale bilatérale peut toutefois autoriser l’État dans lequel le contribuable gagne ses revenus (l’« État source ») à imposer lui aussi ces revenus.

[6] Une convention fiscale comprend généralement une disposition permettant à l’État source d’imposer les revenus gagnés par le résident de l’autre État, dans la mesure où le résident de l’autre État a gagné ces revenus en exploitant une entreprise dans l’État source par l’intermédiaire d’un établissement stable (l’« établissement stable »). Le type le plus commun d’établissements stables prévu par les conventions fiscales est l’installation fixe d’affaires. Ce type d’établissements stables n’est pas pertinent pour le présent appel.

[7] L’autre type d’établissements stables prévu par certaines conventions fiscales est la « prestation de services réputée ». Lorsque la convention fiscale comprend une disposition de ce genre, l’État source peut imposer les revenus gagnés par le résident de l’autre État pour les services que ce contribuable a fournis dans l’État source, sous réserve qu’il ait fourni ces services pendant au moins 183 jours dans l’État source au cours d’une période quelconque de douze mois.

[8] La Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la « convention fiscale entre le Canada et les États-Unis ») comprend une disposition de ce genre, à l’article V[1]. À la suite de plusieurs paragraphes portant sur l’« installation fixe d’affaires », le paragraphe 9 de l’article V décrit les cas dans lesquels un résident est « réputé fournir des services par l’intermédiaire d’un établissement stable » :

9. Sous réserve du paragraphe 3[2], lorsqu’une entreprise d’un État contractant fournit des services dans l’autre État contractant, s’il est déterminé qu’elle n’a pas d’établissement stable dans cet autre État en vertu des paragraphes précédents du présent article, cette entreprise est réputée fournir ces services par l’intermédiaire d’un établissement stable dans cet autre État dans les seuls cas où :

a) […]

b) Les services sont fournis dans cet autre État pendant une période totale de 183 jours ou plus au cours d’une période quelconque de douze mois relativement au même projet ou à un projet connexe pour des clients qui soit sont des résidents de cet autre État, soit y maintiennent un établissement stable, et les services sont fournis relativement à cet établissement stable.

[Non souligné dans l’original.]

II. La question en litige

[9] La seule question en litige est celle de savoir si, aux termes de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, l’appelante est « réputée avoir fourni des services par l’intermédiaire d’un établissement stable » au Canada pour son année d’imposition 2016 compte tenu du fait qu’elle a fourni des services au Canada pendant « au moins 183 jours au cours d’une période quelconque de douze mois ». Aucune autre question n’a été soulevée dans les actes de procédure[3].

III. Les observations de l’intimée

[10] L’année d’imposition 2016 de l’appelante a commencé le 1er janvier 2016 et a pris fin le 31 décembre 2016. Au cours de cette année d’imposition, l’appelante a fourni 54 jours de services de conseil au Canada. Elle a gagné 181 740 $ pour la prestation de ces services. L’intégralité de ces revenus est assujettie à l’impôt au Canada, en application du paragraphe 9 de l’article V de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis.

[11] Si la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis exigeait que la période de douze mois pertinente commence le 1er janvier 2016 et se termine le 31 décembre 2016, le Canada ne pourrait pas imposer les revenus de l’appelante pour les 54 jours de prestation de services de conseil réalisés entre janvier et mars 2016.

[12] La convention fiscale entre le Canada et les États-Unis permet toutefois au ministre d’utiliser toute « période quelconque de douze mois » pour décider si un résident des États-Unis exerçant des activités au Canada est ou non « réputé [avoir fourni] des services par l’intermédiaire d’un établissement stable » pour une année d’imposition donnée.

[13] Le ministre avait-il le droit d’utiliser la période de douze mois commençant en mars 2015 et se terminant en mars 2016 à titre de « période quelconque de douze mois », aux fins d’établissement d’une cotisation pour l’appelante à l’égard de son année d’imposition 2016? Le ministre en avait bien évidemment le droit. Il est constant que l’appelante a fourni plus de 183 jours de services de conseil au Canada au cours de cette période de douze mois. En effet, il s’agit du fait central que le ministre a présumé en établissant la cotisation d’impôt pour l’appelante à l’égard de son année d’imposition 2016.

[traduction]

i) l’appelante a fourni les services de conseil au Canada pendant au moins 183 jours entre le 19 mars 2015 et le 18 mars 2016[4];

[14] L’appelante a reconnu ce point à l’audition[5]. Voilà qui devrait être déterminant en l’espèce.

IV. L’argument de l’appelante

[15] L’appelante soutient que lorsqu’il a établi la cotisation d’impôt à l’égard de l’année 2016, le ministre n’était pas en droit de comptabiliser des jours qu’il avait déjà comptabilisés en établissant la cotisation d’impôt à l’égard de l’année 2015.

[16] L’appelante prétend que lorsqu’il a établi la cotisation d’impôt à l’égard de l’année 2015, le ministre a comptabilisé 183 des 198 jours pendant lesquels l’appelante avait fourni des services de conseil au Canada en 2015. L’appelante soutient que le ministre n’était en droit de reporter que 15 jours du calcul de 2015 pour décider si l’appelante était ou non « réputée [avoir fourni] des services par l’intermédiaire d’un établissement stable » au Canada pour son année d’imposition 2016.

[17] En additionnant les 15 jours reportés de 2015 aux 54 jours de prestation de services au Canada en 2016, le ministre obtenait au total 69 jours seulement. Cette durée est inférieure au seuil de 183 jours au cours d’une « période quelconque de douze mois », exigé à l’alinéa 9b) de l’article V de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis.

[18] Au cours des débats, l’avocat de l’appelante, Me Feigenbaum, a exprimé cette observation de plusieurs manières :

[traduction]

C’est mon interprétation du mot « quelconque », Votre Honneur. Le mot « quelconque » comprend-il des jours déjà comptabilisés par le passé[6] […]?

***

[…] nous avons déjà utilisé les 183 jours de 2015[7] […]

***

Ils ont utilisé les mêmes jours à deux reprises[8] […]

***

Je ne souhaite pas utiliser le mot « grillé », mais ils ont déjà utilisé ces jours en établissant la cotisation de 2015[9] […]

***

LE JUGE SPIRO : Mais votre argument consiste peut-être à dire qu’en imaginant qu’il y ait eu une cotisation en 2015 et que ces jours aient été utilisés pour cette cotisation de 2015, ces jours ne pourraient alors par être réutilisés ou recyclés dans la cotisation de 2016. Est-ce bien là votre argument?

ME FEIGENBAUM : C’est exactement [mon] argument, Votre Honneur[10].

***

LE JUGE SPIRO : Imaginons alors, aux fins de l’argument, qu’il y ait eu une cotisation en 2015 relativement aux bénéfices gagnés par l’appelante en 2015 au Canada, selon une période de 183 jours. Vous dites que le ministre ne pouvait utiliser que les jours restants de 2015, quel que soit leur nombre, et les reporter dans son calcul, si je puis dire, de 2016 et, ce faisant, il n’atteindrait toujours pas 183 jours. Si on prenait les jours restants de 2015 pour les ajouter à ceux de 2016, on n’obtiendrait toujours pas 183 jours, et c’est pourquoi la cotisation de 2016 est inexacte.

ME FEIGENBAUM : C’est exactement mon…

LE JUGE SPIRO : C’est votre argument. D’accord.

ME FEIGENBAUM : Oui[11] […]

[19] Dans son argumentaire écrit supplémentaire, l’appelante réitère cette même thèse :

[traduction] La question de savoir si l’appelante, Triskelion Projects International Inc., avait ou non un établissement stable au Canada pour l’année d’imposition 2016 dépend de l’interprétation de la convention et, plus précisément, du paragraphe 9 de l’article V, ainsi que de la question de savoir si la durée d’au moins 183 jours au cours d’une période quelconque de douze mois peut comprendre des jours qui ont déjà été comptabilisés antérieurement dans le calcul des 183 [jours] visant à déterminer l’existence ou non d’un établissement stable[12].

***

[…] les jours qui ont déjà été comptabilisés en 2015 doivent être écartés de ceux comptabilisés en 2016. Par conséquent, il ne doit pas être conclu que l’appelante avait un établissement stable en 2016[13].

[Non souligné dans l’original.]

V. Analyse

[20] Malheureusement pour l’appelante, la Cour ne peut pas conclure que le ministre avait établi une cotisation, de quelque nature que ce soit, à l’égard de l’année d’imposition 2015 de l’appelante.

[21] Les actes de procédure n’allèguent pas que le ministre a établi une telle cotisation. L’exposé conjoint des faits ne comprend aucun renvoi à une cotisation de la sorte. Aucune copie de cette cotisation n’a été jointe au recueil conjoint de documents. Au début de l’audition, la Cour a donné à l’appelante la possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour compléter le dossier. Elle a choisi de ne pas le faire.

[22] S’il y avait eu une cotisation d’impôt à l’égard de l’année d’imposition 2015 de l’appelante, on se serait attendu à ce que l’appelante allègue dans son avis d’appel du fait que le ministre avait établi une cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2015 de l’appelante et que, ce faisant, il avait comptabilisé certains jours. Dans le même avis d’appel, on se serait attendu à ce que l’appelante présente sa thèse à ce sujet, à savoir que le ministre n’était pas en droit de comptabiliser de nouveau les mêmes jours pour établir la cotisation d’impôt à l’égard de l’année d’imposition 2016 de l’appelante.

[23] La seule conclusion que la Cour peut tirer est que le ministre n’a établi aucune cotisation à l’égard de l’année d’imposition 2015 de l’appelante. Pour ce motif, la Cour n’est pas en mesure de discuter l’argument de l’appelante et ne fera aucune observation sur la validité d’un tel argument si le dossier de preuve avait été différent[14].

VI. Conclusion

[24] L’appelante a reconnu avoir fourni des services de conseil au Canada pendant au moins 183 jours entre le 19 mars 2015 et le 18 mars 2016. Vu le paragraphe 9 de l’article V de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, cela est déterminant en l’espèce.

[25] L’appelante a manqué de fondement factuel pour appuyer l’argument sur lequel elle a fondé son dossier – une cotisation inexistante à l’égard de l’année d’imposition 2015 de l’appelante. L’appel sera, par conséquent, rejeté, avec dépens accordés conformément au tarif.

Les présents motifs modifiés du jugement remplacent les motifs du jugement datés du 13 juin 2022.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de juin 2022.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour de septembre 2022.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 63

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-777(IT)G

INTITULÉ :

TRISKELION PROJECTS INTERNATIONAL INC., C. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Spiro

DATE DU JUGEMENT :

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT :

Le 13 juin 2022

Le 16 juin 2022

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Mark Feigenbaum

Avocat de l’intimée :

Me Michael Ding

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Noms :

Me Mark Feigenbaum

 

Cabinet :

Feigenbaum Consulting

Thornhill (Ontario)

 

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] La Loi modifiant la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d’impôts, L.C. 2007, ch. 32, a intégré au droit canadien le paragraphe 9 de l’article V de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis.

[2] Le paragraphe 3 de l’article V prévoit ce qui suit : « Un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable si et uniquement si sa durée dépasse douze mois. »

 

[3] Voir le paragraphe 12 de l’avis d’appel. Au cours des débats, l’avocat de l’appelante a essayé de soulever des questions concernant : a) l’exactitude du montant de l’impôt calculé dans la cotisation, vu l’article VII de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, et b) le fait que l’appelante ait ou non fourni des services de conseil « relativement au même projet ou à un projet connexe », au sens de l’alinéa 9b) de l’article V de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis. Étant donné que l’appelante n’a soulevé aucune de ces deux questions dans son avis d’appel, la Cour a refusé d’entendre l’argument de l’appelante à l’égard de l’une comme de l’autre.

[4] Alinéa 9i) de la réponse.

[5] Transcription, à la page 13, lignes 4 à 17.

[6] Transcription, à la page 30, lignes 13 à 15.

[7] Transcription, de la page 32, ligne 28, à la page 33, ligne 1.

[8] Transcription, à la page 34, ligne 26.

[9] Transcription, à la page 42, lignes 17 à 19.

[10] Transcription, à la page 54, lignes 4 à 10.

[11] Transcription, à la page 56, lignes 10 à 21.

[12] Argument écrit supplémentaire de l’appelante, au paragraphe 2.

[13] Argument écrit supplémentaire de l’appelante, au paragraphe 19.

[14] Par contre, voir AB LLC and another c. Commissioner of the South African Revenue Services, (2015) 17 International Tax Law Reports 911, aux paragraphes 949 à 951, dans lequel le résident d’un autre État avait interjeté appel de sa cotisation à l’égard de l’année précédente et, par conséquent, avait été en mesure de présenter en substance le même argument devant la Tax Court of Johannesburg.

 

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