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Dossier : 2018-1782(IT)G

ENTRE :

JONATHAN DUHAMEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

Appel entendu les 1, 2, 3, 4, 5, 22, 23, 24, 25 et 26 novembre 2021
à Montréal (Québec) et le 14 décembre 2021 à Ottawa (Canada)

Devant : L'honorable juge Dominique Lafleur


Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Yves Ouellette

Me Guy Régimbald

Me Tristan Joanette

Avocats de l'intimée :

Me Grégoire Cadieux

Me Sonia Bédard

Me Julien Wohlhuter (22 et 23 novembre 2021)

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs ci-joints, les appels à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 sont admis, avec dépens en faveur de l’appelant, et les nouvelles cotisations sont déférées à la ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations étant entendu que les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel ne doivent pas être inclus dans le calcul de son revenu aux termes des articles 3 et 9 de la Loi pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

Les parties ont jusqu’au 22 juillet 2022 pour arriver à une entente sur les dépens. À défaut d’une entente dans ce délai, les parties devront déposer à la Cour leurs observations écrites d’au plus 10 pages au plus tard le 26 août 2022.

Signé à Montréal (Québec), ce 21e jour de juin 2022.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


Référence : 2022 CCI 66

Date : 20220621

Dossier : 2018-1782(IT)G

ENTRE :

JONATHAN DUHAMEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lafleur

I. CONTEXTE

[1] L’appelant, Jonathan Duhamel, a remporté le tournoi de poker de type Texas Hold’em sans limite (« No-Limit ») au Main Event de la World Series of Poker (« WSOP ») qui s’est tenu à Las Vegas au cours des mois de juillet et novembre 2010, empochant ainsi des millions de dollars, alors qu’il était âgé de 23 ans. En gagnant ce tournoi, M. Duhamel a été sacré champion du monde de poker. Au cours des années suivantes, M. Duhamel a continué à jouer au poker et à réaliser des gains nets provenant de ses activités de jeu de poker.

[2] Suite à la victoire de M. Duhamel au Main Event de la WSOP, la société Rational Entertainment Enterprises Limited, qui fait affaire sous le nom PokerStars (« PokerStars »), a conclu une convention (la « Convention PokerStars ») par laquelle elle s’engageait à verser la somme de 1 M$US à la société Jonathan Duhamel Consulting Inc. (« JD Co. ») constituée par M. Duhamel en octobre 2010. En contrepartie du paiement de cette somme à JD Co., M. Duhamel convenait d’agir à titre de porte-parole de PokerStars et de participer à des événements de promotion ainsi qu’à un certain nombre de tournois en ligne et en présence. Cette convention de commandites a été renouvelée annuellement jusqu’en 2015, en contrepartie de sommes moindres versées par PokerStars.

[3] La ministre du Revenu national (la « Ministre ») a conclu que M. Duhamel exploitait une entreprise par ses activités de jeu de poker, et a ainsi émis des avis de nouvelles cotisations d’impôt en ce sens en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), c. 1 (5th suppl.)) (la « Loi »). La Ministre a donc ajouté les montants suivants dans le calcul du revenu de M. Duhamel, pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012, à titre de revenu d’entreprise: 4 867 138 $, 568 017 $ et 849 788 $, respectivement. Selon la Ministre, ces montants reflètent les gains nets des tournois de poker auxquels M. Duhamel a participé au cours des années en cause.

[4] Au début de l’audience, les parties ont déposé un consentement à jugement daté du 1er novembre 2021 en vertu duquel elles s’entendent quant au montant des gains nets de poker gagnés par M. Duhamel au cours des années d’imposition en cause, soit 4 866 117 $ pour l’année d’imposition 2010; 383 916 $ pour 2011 et 106 775 $ pour 2012. Ainsi, le quantum des gains nets de poker n’est pas en litige devant la Cour. Les parties ont donc convenu que si la Cour conclut que les activités de jeu de poker de M. Duhamel constituent pour lui une source de revenu d’entreprise aux fins de la Loi, il devra alors inclure dans le calcul de son revenu les gains nets tirés des activités de jeu de poker tels qu’indiqués au consentement à jugement.

[5] M. Duhamel a témoigné à l’audience, de même que son comptable et le vérificateur de l’Agence du revenu du Canada responsable de la vérification du dossier de M. Duhamel. L’intimée a fait témoigner des journalistes ainsi qu’un ami de M. Duhamel.

[6] En outre, les parties ont fait témoigner des experts sur la question à savoir si le jeu de poker de type Texas Hold’em sans limite est un jeu de hasard ou d’habileté.

[7] L’expert présenté par l’appelant est le professeur Matthieu Dufour, PhD (Mathématiques), ASA (Associate of the Society of Actuaries) et professeur d’actuariat au département de mathématiques de l’Université du Québec à Montréal (« M. Dufour »). La Cour a reconnu M. Dufour à titre d’expert en mathématiques, en actuariat et en théorie de jeux.

[8] L’expert présenté par l’intimée est monsieur Randal D. Heeb, PhD (Economics), économiste-conseil et associé de la firme de consultation économique Bates White LLC. La Cour a reconnu M. Heeb à titre d’expert en économie et en théorie des jeux.

[9] Dans les présents motifs, lorsque la Cour réfère au jeu de poker, elle réfère au jeu de poker de type Texas Hold’em sans limite. Également, toute disposition législative à laquelle il est renvoyé est une disposition de la Loi, sauf indication contraire.

II. QUESTION EN LITIGE

[10] La seule question en litige devant la Cour est la suivante : il s’agit de déterminer si les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel doivent être inclus dans le calcul de son revenu à titre de revenu d’une source qui est une entreprise aux termes des articles 3 et 9, pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

[11] Comme indiqué ci-dessus, le quantum des gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel n’est pas en litige devant la Cour. En outre, les revenus de JD Co., incluant les sommes payées par PokerStars en vertu de la Convention PokerStars, de même que les sommes versées par JD Co. à M. Duhamel à titre de dividendes ou autres, ne sont pas en litige devant la Cour.

III. THÈSES DES PARTIES

3.1 Appelant

[12] Selon l’appelant, puisque le poker est un jeu de hasard, les gains provenant des activités de jeu de poker ne sont pas imposables aux termes de la Loi puisqu’il ne pourrait y avoir alors exploitation d’une entreprise, et ce, même s’il avait été démontré que M. Duhamel avait un plan d’affaires sérieux et employait des stratégies pour minimiser ses risques. La Cour n’a pas à déterminer si le hasard prévaut sur l’habileté au poker, mais simplement établir qu’il y a une part de hasard dans le jeu de poker.

[13] En outre, si la Cour conclut que le jeu de poker peut constituer une activité consistant en l’exploitation d’une entreprise malgré la part de hasard inhérente à ce jeu, le jeu de poker était un passe-temps et un loisir pour M. Duhamel. Ainsi, les gains que M. Duhamel a tirés de ce jeu ne doivent pas être imposés à titre de revenus provenant de l’exploitation d’une entreprise.

[14] Dans un tel cas, vu les facteurs consacrés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46 (« Stewart »), ainsi que les principes découlant des décisions Cohen c. La Reine, 2011 CCI 262 (« Cohen »), Luprypa c. La Reine, [1997] 3 CTC 2363, [1997] ACI no 469 (CCI) (« Luprypa »), Leblanc c. La Reine, 2006 CCI 680 (« Leblanc ») et Radonjic c. Canada (Agence du revenu), 2013 CF 916 (« Radonjic »), les gains provenant des activités de jeu de poker ne seront considérés comme un revenu d’entreprise pour M. Duhamel que s’il avait l’intention subjective prédominante de tirer profit de l’activité et que cette activité était exercée conformément à des normes objectives d’homme d’affaires sérieux.

[15] Selon l’appelant, il ressort de l’examen de ces facteurs que M. Duhamel n’exploitait pas d’entreprise par ses activités de jeu de poker : il n’a aucune formation en ce qui concerne ce jeu; il n’a pas de plan et n’a mis au point aucun système permettant de défier le hasard dans le cadre du jeu de poker; il n’emploie aucune stratégie particulière et ne détient aucun renseignement d’initiés lui permettant de gagner et ainsi, défier la chance dans le jeu de poker; il n’a mis au point aucun système pour contourner le hasard ou pour minimiser les risques. En outre, l’exercice d’une telle activité de jeu ne donne lieu à aucune expectative de profit à moyen ou long terme.

[16] Ainsi, selon l’appelant, les gains nets provenant des activités de jeu de poker de M. Duhamel ne doivent pas être inclus dans le calcul de son revenu aux fins de la Loi.

3.2 Intimée

[17] Selon l’intimée, la méthode en deux volets décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart doit être utilisée pour déterminer si M. Duhamel exploitait une entreprise par ses activités de jeu de poker au cours des années en cause.

[18] Selon l’intimée, il ressort de l’examen des facteurs consacrés par l’arrêt Stewart que M. Duhamel exploitait une entreprise de jeu de poker au cours des années en cause. Le critère d’intention de l’arrêt Stewart doit se fonder sur des facteurs objectifs, soit les normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux. La Cour doit également arriver à cette conclusion même si elle concluait que le poker n’est pas un jeu d’habileté mais plutôt un jeu où le hasard prévaut sur l’habileté.

[19] Ainsi, selon l’intimée, il ressort de la preuve que M. Duhamel a employé des stratégies pour minimiser ses risques et a mis en place des stratégies pour améliorer sa technique, notamment en étudiant les jeux de ses adversaires. De plus, on constate à partir de la preuve une expectative raisonnable de profit provenant des activités de jeu de poker puisque l’habileté permet d’avoir un impact sur les résultats au jeu de poker. C’est dans le cadre de l’examen de ce facteur que la question de savoir si le poker est un jeu de hasard ou un jeu d’habileté est pertinente. Bien que l’intimée reconnaisse aussi que la chance a été déterminante pour M. Duhamel en 2010 dans son gain au tournoi Main Event de la WSOP, la question de l’impact du hasard et de l’habileté au jeu de poker doit toutefois être examinée sur une longue période. Selon M. Heeb, il est vrai qu’au cours des premières mains, le hasard prévaut au poker, mais à long terme, c’est plutôt l’habileté qui prévaut sur le hasard.

[20] Également, selon l’intimée, la motivation financière provenant d’une autre source connexe aux activités de jeu doit être considérée par la Cour dans l’examen de la question. Ainsi, l’intimée soutient que la Cour doit considérer la motivation financière de M. Duhamel à l’égard des revenus de commandites versés par PokerStars à JD Co. aux termes de la Convention PokerStars.

[21] D’autres facteurs s’apparentant à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux doivent aussi être pris en compte, telle l’existence de la tenue d’un registre, la retenue d’un agent pour négocier les contrats de commandites, la mise par écrit des ententes de partage de gain suite à la qualification de M. Duhamel pour la table finale du Main Event de la WSOP et l’analyse de rentabilité des activités de jeu de poker en ligne effectuée à la suite de la terminaison de la Convention PokerStars en 2015.

[22] L’intimée soutient que les activités de jeu de poker de M. Duhamel vont bien au-delà d’un simple divertissement et constituent une affaire à caractère commercial correspondant à la notion d’entreprise, particulièrement suite à la conclusion de la Convention PokerStars obligeant M. Duhamel à participer à de nombreux tournois afin de garantir les revenus de sa société.

[23] Selon l’intimée, il ressort de tous ces facteurs que M. Duhamel exploitait une entreprise par ses activités de jeu de poker au cours des années en cause. Ainsi, selon l’intimée, les gains nets provenant des activités de jeu de poker doivent être inclus dans le calcul du revenu de M. Duhamel à titre de revenu d’entreprise pour les années en cause.

IV. LA LOI ET LE DROIT APPLICABLE

[24] L’alinéa 3a) prévoit que, dans le calcul de son revenu, le contribuable doit y inclure le revenu provenant d’une source au Canada ou à l’étranger, y compris le revenu tiré d’une entreprise. Le paragraphe 9(1) prévoit que le revenu que le contribuable tire d’une entreprise pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année. De plus, le paragraphe 248(1) prévoit que le mot « entreprise » inclut toute affaire à caractère commercial.

Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent ainsi :

3 Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer :

a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien;

[Non souligné dans l’original]

3 The income of a taxpayer for a taxation year for the purposes of this Part is the taxpayer’s income for the year determined by the following rules:

(a) determine the total of all amounts each of which is the taxpayer’s income for the year (other than a taxable capital gain from the disposition of a property) from a source inside or outside Canada, including, without restricting the generality of the foregoing, the taxpayer’s income for the year from each office, employment, business and property.

[Emphasis added]

9(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

[Non souligné dans l’original]

9 (1) Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property is the taxpayer’s profit from that business or property for the year.

[Emphasis added]

248(1) entreprise

Sont compris parmi les entreprises les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l’application de l’alinéa 18(2)c), de l’article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l’alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l’exclusion toutefois d’une charge ou d’un emploi.(business)

[Non souligné dans l’original]

248(1) business

Includes a profession, calling, trade, manufacture or undertaking of any kind whatever and, except for the purposes of paragraph 18(2)(c), section 54.2, subsection 95(1) and paragraph 110.6(14)(f), an adventure or concern in the nature of trade but does not include an office or employment. (commerce)

[Emphasis added]

[25] Que le jeu de poker soit un jeu de hasard ou un jeu d’habileté, ou plutôt un jeu dans lequel soit le hasard ou soit l’habileté prévaut, il y aura inclusion dans le calcul du revenu de M. Duhamel des gains nets découlant des activités de jeu de poker, si ces activités constituent une source de revenu qui est une entreprise aux fins de la Loi.

[26] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Stewart, a énoncé les principes généraux applicables pour déterminer s’il existe une source de revenu d’entreprise ou de bien aux fins de la Loi. Pour faire cette détermination, une méthode en deux volets a été ainsi formulée (Stewart, par. 50):

1- L’activité est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?

2- S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?

[27] En l’espèce, puisque la question en litige consiste à déterminer si les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel constituent une source de revenu qui est une entreprise aux fins de la Loi, le deuxième volet n’est pas pertinent.

[28] Le premier volet vise à établir une distinction entre les activités personnelles et les activités commerciales du contribuable. Il ne doit faire l’objet d’une analyse que dans les cas où les activités en cause comportent des aspects personnels ou récréatifs (Stewart, par. 54-55), telles les activités de jeu de poker. Dans un tel cas, le premier volet du test a été reformulé ainsi (Stewart, par. 54):

« [...] Le contribuable a-t-il l’intention d’exercer une activité en vue de réaliser un profit et existe-t-il des éléments de preuve étayant cette intention? »

[29] La recherche de l’intention de réaliser un profit est à la fois subjective et objective : tout d’abord, la Cour doit déterminer si le contribuable a l’intention subjective prédominante de réaliser un profit et ensuite, elle doit déterminer si cette intention est corroborée en fonction de divers facteurs objectifs de commercialité (Stewart, par. 54).

[30] En effet, l’activité exercée d’une manière suffisamment commerciale constitue une source de revenu aux fins de la Loi (Stewart, par. 52). Pour conclure à l’existence d’une source de revenu, il doit donc ressortir de la preuve que l’activité en cause a été exercée conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux. La Cour doit apprécier si, globalement, l’activité en cause est exercée de manière commerciale et il ne doit pas y avoir appréciation du sens des affaires du contribuable (Stewart, par. 55).

[31] Pour étayer l’intention subjective du contribuable de faire du profit, les facteurs objectifs suivants, consacrés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 RCS 480 (page 486) (« Moldowan »), ont été repris dans l’arrêt Stewart (par. 55):

- l’état des profits et des pertes pour les années antérieures;

- la formation du contribuable;

- la voie sur laquelle le contribuable entend s’engager; et

- la capacité pour les activités de réaliser un profit.

[32] Cette liste de facteurs n’est toutefois pas exhaustive; en effet, ces facteurs peuvent varier selon la nature et l’importance des activités en cause. De plus, dans l’examen de ces facteurs, non seulement les années antérieures aux années en cause, mais les années postérieures aux années en cause peuvent être considérées (voir Moldowan, p. 483-484).

[33] En outre, la Cour suprême du Canada a précisé que bien que l’un des facteurs à considérer pour établir si des activités ont été exercées conformément à des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux est l’expectative raisonnable de profit, ce facteur n’est toutefois pas déterminant dans l’analyse (Stewart, par. 55).

[34] Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a conclu que les facteurs consacrés par l’arrêt Stewart étaient en effet pertinents quant à la détermination de la déductibilité des pertes de jeu et des dépenses encourues par le contribuable dans le cadre de ses activités de jeu (qui incluaient les courses de chevaux, les machines à sous, les casinos et les loteries); telle fut d’ailleurs la démarche de notre Cour en première instance (Tarascio c. La Reine, 2012 CAF 30 (« Tarascio »)). Ainsi, selon la Cour d’appel fédérale, le juge de première instance a appliqué le critère juridique approprié en recherchant si l’activité « [e]st exploitée de manière suffisamment commerciale, c’est-à-dire avec l’intention subjective de réaliser un profit étayé par la preuve objective d’un comportement d’homme d’affaires sérieux. » (Tarascio, par. 3).

[35] Toutefois, compte tenu de la nature des activités de jeu, tel le jeu de poker, l’intention de réaliser un profit est un facteur qui n’est pas déterminant dans l’étude de la commercialité de ce type d’activités puisque tous les joueurs sont motivés par la recherche du profit. [1]

[36] Ainsi, la jurisprudence a développé des facteurs additionnels qui doivent être examinés pour déterminer si les activités de jeu sont exercées de façon suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu aux fins de la Loi.

[37] Tout d’abord, le facteur de gestion ou d’atténuation des risques doit être examiné pour répondre à la question en litige. En effet, ce facteur caractérise l’exploitation d’une entreprise (Balanko, par. 10). L’absence d’un système organisé de gestion ou d’atténuation des risques milite en faveur de l’absence d’une source de revenu d’entreprise.

[38] Ce facteur de gestion ou d’atténuation des risques a, par la suite, été considéré à l’occasion des affaires Luprypa (par. 10-14) et Leblanc (par. 33, 36, 43 et 48). Plus récemment, notre Cour a précisé que cette stratégie d’atténuation des risques devait également être constante et démontrer le sérieux du contribuable dans sa démarche (Cohen, par. 44).

[39] De surcroît, l’analyse de la commercialité d’une activité de jeu doit prendre en compte les habiletés, les connaissances et les compétences du contribuable, de même que le fait qu’il fait preuve de discipline. Toutefois, la fréquence des activités de jeu est peu pertinente (Radonjic, par. 52; Cohen, par. 47; Leblanc, par. 28-29, 46).

V. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[40] Au cours de l’audience, les documents portant les cotes I-16, I-17 et I-18 ont été déposés au dossier de la Cour sous réserve de la décision de la Cour quant aux objections soulevées par l’appelant concernant leur dépôt en preuve. De plus, l’appelant s’est objecté au témoignage de M. Martin Fournier‐Giguère, l’un des témoins de l’intimée.

[41] La décision de la Cour à ce sujet doit être fondée sur le droit de la preuve applicable au Québec, notamment les règles édictées au Livre septième du Code civil du Québec (« C.c.Q. »). [2]

5.1 Témoignage de M. Fournier-Giguère et document déposé sous la cote I-16

[42] Le document sous la cote I-16 est le blogue du 12 novembre 2010 de M. Martin Fournier-Giguère retrouvé sur le site BlueFire Poker. Puisque l’intimée a accepté de retirer ce document de la preuve avant la clôture de l’audience, la Cour ne se prononcera pas sur le bien-fondé de l’objection soulevée par l’appelant. En outre, puisque l’appelant a retiré son objection quant au témoignage de M. Fournier-Giguère, ce témoignage fera partie de la preuve.

5.2 Documents déposés sous les cotes I-17 et I-18

[43] La Cour doit trancher les objections soulevées par l’appelant quant au dépôt des documents portant les cotes I-17 – Article de M. Jean‐François Boily paru dans l’édition du printemps 2011 du Magazine HOMME et intitulé « Un champion comme vous et moi » et I-18 – Article écrit par M. Guillaume Cloutier paru dans Le Courrier du Sud du 4 août 2010 et intitulé « “All-In” avec Jonathan Duhamel ».

[44] L’intimée veut produire en preuve à titre de témoignage les déclarations antérieures de M. Duhamel rapportées par écrit par Messieurs Boily et Cloutier dans ces articles; il ne s’agit pas d’attaquer la crédibilité de M. Duhamel ni de le contredire quant aux déclarations antérieures dont il n’a pas souvenir.

[45] Les déclarations apparaissent entre guillemets dans l’article écrit par M. Boily (I-17). Dans l’article dont M. Cloutier est l’auteur (I-18), ce sont les réponses de M. Duhamel aux diverses questions soulevées dans l’article dont l’intimée veut faire la preuve.

Discussion :

[46] Pour les motifs suivants, les objections soulevées par l’appelant quant au dépôt des documents déposés sous les cotes I-17 et I-18 sont maintenues puisque les déclarations antérieures de M. Duhamel rapportées par les journalistes ne présentent pas de garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier, conformément à l’article 2871 C.c.Q. De surcroît, même si ces déclarations antérieures avaient été admissibles à titre de témoignage aux termes de l’article 2871 C.c.Q., les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 2873 C.c.Q. ne sont pas remplies, ce qui exclut la possibilité de faire la preuve des déclarations antérieures de M. Duhamel par le dépôt de ces articles de presse. Les documents sous les cotes I‐17 et I‐18 ne seront donc pas versés au dossier de la Cour pour prouver le contenu des déclarations antérieures de M. Duhamel.

[47] Puisque l’appelant n’a pas consenti à la production des articles en question et que M. Duhamel comparait comme témoin, les déclarations extrajudiciaires de M. Duhamel figurant dans ces articles de presse ne pourront être admises à titre de témoignage que si le critère de fiabilité prévu à l’article 2871 C.c.Q. est satisfait.

[48] L’article 2871 C.c.Q. se lit ainsi :

2871. Lorsqu’une personne comparait comme témoin, ses déclarations antérieures sur des faits au sujet desquels elle peut légalement déposer peuvent être admises à titre de témoignage, si elles présentent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier.

2871. Previous statements by a person who appears as a witness, concerning facts to which he may legally testify, are admissible as testimony if their reliability is sufficiently guaranteed.

[49] Après avoir conclu qu’une déclaration antérieure présente des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier et est donc admissible à titre de témoignage, la Cour doit déterminer la manière dont la déclaration peut être prouvée en se référant aux articles 2872 à 2874 C.c.Q. En l’espèce, seul l’article 2873 C.c.Q. est pertinent : les déclarations antérieures de M. Duhamel pourraient donc être prouvées par la production des articles de presse, si les conditions prévues à l’article 2873 C.c.Q. sont remplies.

[50] L’article 2873 C.c.Q. se lit ainsi :

2873. La déclaration, consignée dans un écrit par une personne autre que celle qui l’a faite, peut être prouvée par la production de cet écrit lorsque le déclarant a reconnu qu’il reproduisait fidèlement sa déclaration.

Il en est de même lorsque l’écrit a été rédigé à la demande de celui qui a fait la déclaration ou par une personne agissant dans l’exercice de ses fonctions, s’il y a lieu de présumer, eu égard aux circonstances, que l’écrit reproduit fidèlement la déclaration.

[Non souligné dans l’original]

2873. A statement recorded in writing by a person other than the declarant may be proved by producing the writing if the declarant has acknowledged that the writing faithfully reproduces his statement.

The same rule applies where the writing was drawn up at the request of the declarant or by a person acting in the performance of his duties, if there is reason to presume, having regard to the circumstances, that the writing faithfully reproduces the statement.

[Emphasis added]

[51] Selon l’intimée, les déclarations antérieures de M. Duhamel telles qu’elles ont été rapportées par les journalistes offrent une meilleure garantie de fiabilité que le témoignage de M. Duhamel rendu 10 ans plus tard. Le témoignage de M. Boily permet à la Cour de présumer que le contenu de l’article de presse reproduit fidèlement les déclarations antérieures de M. Duhamel. De même, le témoignage de M. Cloutier quant aux circonstances de l’entrevue, l’enregistrement audio qui en a été fait et la prise de notes écrites effectuées au cours de l’entrevue constituent un gage de fiabilité des déclarations antérieures de M. Duhamel rapportées dans l’article.

[52] La Cour ne retient pas les arguments de l’intimée et conclut que le critère de fiabilité prévue à l’article 2871 C.c.Q. n’est pas satisfait en l’espèce.

[53] Tout d’abord, il faut préciser que l’article 2871 C.c.Q. vise autant les déclarations antérieures compatibles que les déclarations antérieures incompatibles. [3]

[54] La Cour doit rechercher si les circonstances entourant les déclarations donnent à celles-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier. Une déclaration est fiable si « [e]lle a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur [...] » (R. c. Smith, [1992] 2 RCS 915, p. 933). Bien que ces observations aient été faites à l’occasion d’une affaire relevant du droit pénal, elles valent aussi en droit civil québécois. [4]

[55] L’entrevue avec M. Boily a eu lieu alors que JD Co. et PokerStars avaient déjà conclu la Convention PokerStars, à laquelle est intervenue M. Duhamel. Il ressort de la preuve que M. Duhamel devait ainsi faire la promotion de PokerStars, et plus particulièrement, faire la promotion du site de jeu de poker en ligne de PokerStars afin d’inciter les joueurs de poker à y jouer. De même, M. Duhamel devait soutenir qu’il était possible de gagner sa vie en jouant au poker en pratiquant et en jouant sur le site de jeu de poker en ligne de PokerStars. M. Duhamel avait déjà eu des formations de relations publiques dispensées par l’équipe de PokerStars afin d’apprendre à prononcer le discours qu’il devait tenir en fonction de ses obligations envers PokerStars.

[56] L’entrevue avec M. Cloutier a été réalisée suite à la qualification de M. Duhamel pour la table finale du Main Event de la WSOP, mais avant qu’il ne gagne ce tournoi. La Convention PokerStars n’avait donc pas encore été signée. Toutefois, il ressort de la preuve que, suite à sa qualification pour la table finale, M. Duhamel s’est fait approcher par des représentants de PokerStars qui l’ont conseillé afin qu’il donne de bonnes entrevues et prononce un discours favorable à PokerStars.

[57] Ainsi, puisqu’il est établi, vu la preuve, que M. Duhamel faisait la promotion des intérêts de PokerStars, et s’en tenait à un discours qui favorisait les intérêts de PokerStars, la fiabilité des déclarations contenues dans les pièces I‐17 et I‐18 ne peut être assurée.

[58] Toutefois, même si la Cour avait conclu que les déclarations étaient admissibles à titre de témoignage aux termes de l’article 2871 C.c.Q., les articles de presse ne pourraient être produits pour prouver les déclarations antérieures de M. Duhamel, puisque les conditions prévues par le deuxième alinéa de l’article 2873 C.c.Q. ne sont pas remplies. En effet, la Cour conclut qu’il n’y a pas « [l]ieu de présumer, eu égard aux circonstances, que l’écrit reproduit fidèlement la déclaration ».

[59] Tout d’abord, au cours de leurs témoignages, autant M. Boily que M. Cloutier ont indiqué ne pas se souvenir du contenu de leur article de presse respectif. Ils doivent se fier au contenu de leur article pour répondre aux questions posées à l’audience.

[60] M. Boily a témoigné que l’entrevue de M. Duhamel avait eu lieu au casino de Montréal environ deux mois avant la publication du magazine. M. Boily s’est présenté seul à cette entrevue, avec un calepin de notes. Ce calepin n’est toutefois plus en sa possession. L’entrevue avait pris la forme de discussion à bâtons rompus. Il a toujours pris soin de bien noter les déclarations faites au cours de l’entrevue. Toutefois, M. Boily a témoigné qu’il avait choisi les parties des déclarations à insérer dans son article puisque le but était d’attirer l’œil de la clientèle-cible (hommes) et que le tout devait respecter les demandes de l’éditeur à des fins commerciales.

[61] Dans son témoignage, M. Cloutier a indiqué à la Cour qu’il avait rencontré M. Duhamel en juillet 2010, à son retour de Las Vegas suite à sa qualification pour la table finale du Main Event de la WSOP, dans un restaurant Tim Hortons de la Rive-Sud (Montréal). L’entrevue menée par M. Cloutier avait la formule questions/réponses. M Cloutier avait une enregistreuse ainsi qu’un calepin pour noter les paroles de M. Duhamel. Toutefois, il est dans l’impossibilité de produire à l’audience cet enregistrement ainsi que ce calepin. Il n’a conservé aucune note ni transcription ou enregistrement audio de l’entrevue. M. Cloutier a également témoigné que l’essentiel des sujets discutés au cours de l’entrevue se retrouve dans l’article, mais certaines parties ont pu être retirées parce qu’elles auraient été jugées non pertinentes. En effet, selon M. Cloutier, il y a un nombre de mots à respecter dans un article de presse et, dans cet article en particulier, des coupures ont été faites.

[62] Bien que la Cour ne doute pas de l’éthique journalistique et de l’intégrité professionnelle des auteurs des articles de presse en cause, elle conclut que les conditions de fidélité de l’écrit au regard des déclarations antérieures imposées par le deuxième alinéa de l’article 2873 C.c.Q. ne sont pas remplies. Il ressort de la preuve que des choix éditoriaux ont été effectués dans la rédaction des articles de presse de manière à offrir un produit répondant à divers critères commerciaux. Tel qu’indiqué ci‐dessus, l’article de M. Boily a été rédigé dans le but d’attirer le lectorat visé (hommes) et le tout devait respecter les demandes de l’éditeur aux fins commerciales. M. Boily ne peut confirmer l’exactitude des déclarations rapportées dans son article. En ce qui concerne l’article de M. Cloutier, des coupures ont été faites afin que soit respecté le nombre de mots exigés par l’éditeur. M. Cloutier ne se souvient pas non plus du contenu des déclarations de M. Duhamel. De surcroît, les deux auteurs n’ont pu produire à l’audience les notes et enregistrements pris à l’époque.

VI. LA CRÉDIBILITÉ DU TÉMOIGNAGE DE M. DUHAMEL ET LE LIVRE « Cartes sur table : Champion du monde de poker 2010 »

6.1 La crédibilité du témoignage de M. Duhamel

[63] La Cour est d’avis que le témoignage de M. Duhamel à l’audience était globalement fiable, cohérent et crédible. Plusieurs aspects de son témoignage sont corroborés par la preuve documentaire, ainsi que par le témoignage de M. Fournier-Giguère. D’autres parties du témoignage de M. Duhamel, lorsqu’examinées selon le simple bon sens, sont tout à fait plausibles.

[64] Tout d’abord, M. Fournier-Giguère, un ami de M. Duhamel rencontré dans le cadre d’échanges sur des forums sur le WEB, appelé à témoigner à l’audience pour l’intimée, a confirmé plusieurs éléments du témoignage de M. Duhamel, incluant le fait qu’au cours des années en litige, M. Duhamel faisait la fête de façon très importante.

[65] M. Fournier-Giguère faisait aussi partie du groupe d’amis québécois ayant loué une maison à Las Vegas en juillet 2010 au moment de la tenue du Main Event de la WSOP, sans partager toutefois la maison où logeait M. Duhamel. M. Fournier-Giguère a participé au Main Event de la WSOP, mais ne s’est pas classé. Il avait signé une entente de partage de gain avec M. Duhamel et a reçu ainsi 5 % de la bourse gagnée par M. Duhamel. Selon M. Fournier-Giguère, ses amis et lui, incluant M. Duhamel, faisaient de grandes fêtes, jouaient et pariaient de fortes sommes d’argent au golf et sortaient beaucoup. Toujours selon M. Fournier-Giguère, M. Duhamel faisait encore plus la fête que lui.

[66] M. Fournier-Giguère est retourné à Las Vegas en novembre 2010 pour encourager M. Duhamel dans le cadre de sa qualification à la table finale du Main Event de la WSOP. Cela vient appuyer le témoignage de M. Duhamel quant à son état d’esprit et quant à la raison de la signature des ententes de partage, qui était de créer un esprit d’équipe entre les signataires.

[67] Également, le témoignage de M. Duhamel concernant la Convention PokerStars est conforme au contenu desdites conventions. La Cour y reviendra plus loin.

[68] L’intimée est toutefois d’avis que la crédibilité de M. Duhamel est entachée par sa mémoire défaillante quant au nombre de comptes de jeu de poker en ligne qu’il aurait ouverts et quant aux dates d’ouverture approximatives de ses comptes, alors qu’il a représenté PokerStars entre la fin de novembre 2010 et 2015. De même, il ne se souvient pas du nombre de tournois joués à l’étranger en 2009 et du moment de l’année où il a fait l’acquisition de son condominium en 2009.

[69] Selon la Cour, il est tout à fait vraisemblable que M. Duhamel n’ait pas souvenir des dates exactes d’ouverture de ses comptes de jeu en ligne, même s’il a représenté PokerStars pendant plusieurs années, de même que du nombre de comptes de jeu de poker en ligne qu’il avait au début de son âge adulte. M. Duhamel a indiqué qu’il ne se souvenait pas du moment où il a commencé à jouer au poker en ligne – puisqu’il est possible de jouer à l’argent à l’âge adulte ou de jouer sans argent. Il a témoigné que, suite à l’obtention des commandites de PokerStars, il n’a joué que sur le site de jeu de poker en ligne de PokerStars, ainsi que la Convention PokerStars l’exigeait.

[70] En outre, M. Duhamel a témoigné qu’il notait tous les résultats de ses tournois en présence sur un fichier Excel. Quand la vérification concernant les années 2010 et 2011 a commencé, il a préparé un document plus propre en vue d’une transmission au vérificateur – mais comme l’année 2009 n’était pas en cause, il n’a pas fait l’exercice pour cette année-là. Il est effectivement ressorti de la preuve que le vérificateur n’a pas posé de questions à M. Duhamel concernant les années antérieures à 2010 et a admis n’avoir demandé aucune information à M. Duhamel sur les années 2008 et 2009. M. Duhamel ne peut donc pas remettre un document semblable ou vérifier l’information pour l’année 2009 puisque les données n’ont pas été conservées.

[71] De plus, la Cour est d’avis qu’avoir des difficultés à se remémorer le moment de l’année de l’acquisition de son condominium ne démontre pas un manque de crédibilité quant au témoignage de M. Duhamel. Au contraire, M. Duhamel a donné un prix approximatif d’acquisition du condominium qui était très près du prix payé; il en ressort plutôt une volonté de répondre de façon franche aux questions posées.

[72] L’intimée soutient également que la crédibilité de M. Duhamel est entachée par sa difficulté à calculer l’année civile correspondant à ses 15, 16 ou 18 ans, alors qu’il est capable de faire certains calculs plus compliqués tels les calculs des probabilités à partir des « outs » ou de certains pourcentages et autres additions/soustractions dans le cadre du jeu de poker.

[73] Toutefois, il ressort plutôt de la preuve que les calculs auxquels l’intimée réfère sont assez simples, vu que les probabilités en question se calculent de manière approximative selon des multiplications par un facteur de 2 ou 4, et les divers pourcentages sont basés sur un dénominateur de 10. La crédibilité de M. Duhamel n’a donc pas été entachée par ces éléments.

6.2 Les déclarations de M. Duhamel contenues au Livre « Cartes sur table : Champion du monde de poker 2010 »

[74] Un livre sur M. Duhamel intitulé « Cartes sur table : Champion du monde de poker 2010 » a paru en 2011 (le « Livre ») et a été déposé en preuve à l’audience.

[75] Au cours de l’audience, l’intimée a tenté de faire la preuve de l’état d’esprit de M. Duhamel en le contre‐interrogeant sur certaines déclarations figurant dans le Livre. L’intimée a tenté de faire la preuve des habiletés démontrées par M. Duhamel au jeu de poker, incluant l’emploi de diverses stratégies dans son jeu.

[76] Selon M. Duhamel, certaines parties du Livre relatent fidèlement les faits ainsi que ses réflexions et son état d’esprit, tandis que d’autres parties ont été incluses en fonction des demandes de son commanditaire PokerStars. Vu cette réponse et les autres éléments soulevés dans la section précédente, l’intimée demande à la Cour d’en inférer que M. Duhamel est une personne qui s’estime en droit d’induire en erreur ses lecteurs et de déformer la vérité, en contrepartie d’un lucratif contrat de commandites. Conséquemment, selon l’intimée, la Cour ne doit accorder aucune crédibilité au témoignage de M. Duhamel.

[77] Pour les motifs suivants, la Cour ne saurait tirer l’inférence avancée par l’intimée puisque très peu de valeur probante doit être donnée aux déclarations antérieures de M. Duhamel contenues dans le Livre.

[78] Il ressort de la preuve que des amis de M. Duhamel lui ont fait part de l’idée d’écrire un livre. Comme M. Duhamel était alors commandité par PokerStars, il a dû obtenir la permission de son commanditaire pour entreprendre ce projet; ainsi, il a discuté avec PokerStars du message qui serait véhiculé dans le Livre. PokerStars et M. Duhamel ont établi un plan à cet égard. Tous les 18 chapitres du Livre ont été rédigés par un écrivain fantôme. M. Duhamel révisait le contenu rédigé par l’écrivain fantôme et donnait son approbation. PokerStars n’a toutefois pas révisé le contenu du Livre.

[79] Il semble probable que M. Duhamel a eu une implication somme toute mineure dans la rédaction du Livre puisque des erreurs évidentes s’y sont glissées; par exemple : M. Duhamel aurait suivi des cours de finances à l’université, alors qu’il a suivi des cours en administration; le Main Event de la WSOP aurait débuté en mai 2010 alors qu’il a débuté en juillet 2010; M. Duhamel aurait pris une année sabbatique suivant sa 2e année d’études universitaires alors que l’année sabbatique a été prise à la suite de sa première année d’études universitaires.

[80] Par ailleurs, selon le Livre, M. Duhamel fait des recherches sur ses adversaires, et utilise des applications ou logiciels donnant des statistiques sur les joueurs de poker. Toutefois, il ressort de la preuve que, dans le cadre de tournois, il est impossible de connaitre ses adversaires à l’avance et de choisir sa table de jeu, et que M. Duhamel n’utilisait pas de tels applications ou logiciels car il les trouvait plutôt dérangeants et cela nuisait à sa concentration.

[81] Comme l’a indiqué M. Dufour, le Livre est du genre « autobiographie ». Le Livre contient des principes généraux de base : discipline, contrôle de soi, entretien de sa passion, concentration, etc., mais ne révèle aucune méthode structurée et sérieuse de nature à aider le joueur à gagner un tournoi.

[82] De plus, même s’il ressort de la preuve que M. Duhamel a révisé le contenu du Livre, celui-ci a été écrit alors que M. Duhamel était porte-parole de PokerStars. L’un des buts du Livre était d’inciter les gens à jouer au poker en ligne sur le site de jeu de PokerStars. En effet, M. Duhamel a témoigné avoir consulté PokerStars avant d’entamer ce projet. De plus, PokerStars a approuvé le message qui devait être véhiculé dans le Livre. De plus, des remerciements sont adressés à PokerStars dans les dernières pages du Livre. Ainsi, plusieurs déclarations figurant dans le Livre donnent l’image de M. Duhamel qu’il doit projeter aux fins des commandites : pour devenir champion du monde de poker, il faut s’exercer en ligne et étudier le jeu; plus un joueur s’exerce, plus il aura du succès; il faut lire des traités sur le jeu de poker. Ces déclarations ont été incluses au Livre pour satisfaire aux demandes de PokerStars et pour porter le message qui devait être véhiculé par M. Duhamel.

[83] Certaines déclarations figurant dans le Livre ont également été contredites par les témoignages à l’audience. Par exemple, selon le Livre, il faut maintenir un mode de vie sain pour gagner au poker, alors que M. Duhamel a clairement témoigné qu’il faisait la fête et ne maintenait pas un tel mode de vie. Dans son témoignage, ainsi qu’il a été indiqué précédemment, M. Fournier‐Giguère a corroboré ce témoignage de M. Duhamel.

[84] De plus, selon ce qui est indiqué dans le Livre, M. Duhamel aurait lu des livres consacrés au poker, écrits en langue anglaise, afin de s’améliorer. Contrairement à ce qui est indiqué au Livre, il ressort plutôt de la preuve que M. Duhamel n’a pas fait d’apprentissage théorique du poker avant de commencer à jouer, ayant appris avec le grand frère d’un ami à l’adolescence. De plus, M. Duhamel a indiqué qu’il n’avait probablement pas lu ces livres et que cela avait été inclus au Livre pour satisfaire les demandes de PokerStars puisqu’il était ambassadeur de PokerStars.

VII. Discussion

[85] Selon les enseignements de la jurisprudence citée plus haut, et notamment de l’arrêt Stewart, la Cour doit évaluer si, globalement, les activités de jeu de poker de M. Duhamel sont exercées de manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu d’entreprise aux fins de la Loi ou si elles constituent plutôt un passe-temps ou un divertissement. C’est la nature commerciale de l’activité qui doit être appréciée et non pas le sens des affaires de M. Duhamel.

[86] Vu la preuve, il est établi que M. Duhamel participe à des tournois de poker et non pas à des parties libres (ou en anglais, « cash games »). Il est établi que les parties libres n’ont habituellement pas de fin prédéterminée, et qu’un joueur peut y entrer à sa guise (lorsqu’autorisé à le faire) et peut s’en retirer à tout moment après la conclusion d’une main (ou en perdant tout l’argent en jeu s’il quitte au cours d’une main) puisque les jetons ont une valeur monétaire convertible en argent. Toutefois, dans le cadre de tournois, seulement les derniers 10 % des joueurs en lice gagnent une bourse, le jeu se poursuivant jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un dernier joueur qui sera le gagnant du tournoi; de plus, les jetons n’ont aucune valeur monétaire en dehors du tournoi. Pour pouvoir participer à un tournoi de poker, un joueur doit débourser des frais d’entrée.

[87] La Cour entamera sa discussion par l’examen des divers facteurs objectifs de commercialité consacrés par la jurisprudence, afin de déterminer si M. Duhamel avait l’intention subjective prédominante de tirer profit de ses activités de jeu de poker et s’il a mené ses activités selon des normes objectives de comportement d’homme d’affaires sérieux.

[88] Les facteurs objectifs de commercialité examinés par la Cour seront les suivants :

  • i) La formation de M. Duhamel (incluant habiletés, connaissances et compétences);

  • ii) La voie dans laquelle M. Duhamel entend s’engager (et autres facteurs pertinents);

  • iii) L’état des profits et pertes;

  • iv) La capacité de M. Duhamel de réaliser des profits par ses activités de jeu de poker; et

  • v) L’existence d’un système de gestion ou d’atténuation des risques.

[89] Par la suite, la Cour évaluera si, globalement, il ressort de ces facteurs que les activités de jeu de poker de M. Duhamel sont exercées de façon suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu tiré d’une entreprise.

[90] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne sont pas exercées de façon suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu d’entreprise aux fins de la Loi et conséquemment, les gains nets provenant de ces activités ne doivent pas être inclus dans le calcul du revenu de M. Duhamel aux termes des articles 3 et 9 pour les années en cause.

7.1 La formation de M. Duhamel

[91] Selon l’intimée, les déclarations figurant dans le Livre démontrent que M. Duhamel a lu des ouvrages sérieux sur le poker et a consacré de longues heures aux recherches concernant les stratégies du jeu de poker. De même, selon les déclarations figurant dans le Livre, M. Duhamel analyse les mains qu’il a jouées après chaque tournoi en y consacrant au moins une heure par jour. Il utilise également des applications ou logiciels offrant des informations et statistiques concernant les habitudes de jeux de ses adversaires.

[92] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la formation de M. Duhamel n’est pas un facteur démontrant la commercialité des activités de jeu de poker de ce dernier.

[93] La Cour rejette la thèse de l’intimée puisque la preuve présentée à l’audience et retenue par celle-ci n’est pas dans ce sens. Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, la Cour a conclu que le témoignage de M. Duhamel était fiable et crédible et qu’il faut donner très peu de valeur probante aux déclarations antérieures de M. Duhamel figurant dans le Livre.

[94] Tout d’abord, vu la preuve, on constate que M. Duhamel n’a aucune formation spécifique dans le jeu de poker qui serait susceptible de l’avantager face à ses adversaires et qui lui donnerait un avantage quelconque. M. Duhamel n’a suivi aucun cours sur le jeu de poker. Il a commencé à jouer vers l’âge de 15‐16 ans, en étant initié par le grand frère d’un ami et n’a fait aucun apprentissage théorique du jeu de poker.

[95] Après avoir obtenu un certificat en administration délivré par l’UQAM au printemps 2008, M. Duhamel a décidé de prendre une année sabbatique. En 2008 et 2009, M. Duhamel s’est amusé, a voyagé et a participé à des tournois de poker. Ce n’est qu’en 2010 qu’il devient connu – une vedette mondiale puisqu’il devient champion du monde de poker après avoir gagné le Main Event de la WSOP.

[96] Bien que M. Duhamel ait fait des études en administration et qu’il compte une expérience de joueur par sa participation à des tournois de poker, ces faits ne sont pas suffisants pour établir un quelconque indice de commercialité dans les activités de jeu de poker de M. Duhamel. De plus, le fait que M. Duhamel regardait parfois le site d’information sur le poker de RDS et des vidéos sur YouTube n’est pas suffisant pour constituer une formation dans ce jeu.

[97] Bien qu’il est signalé dans le Livre qu’il a lu des traités sur le poker, M. Duhamel a précisé dans le cadre de son témoignage qu’il a lu des livres sur le poker pour se divertir, mais il ne se souvient pas avoir lu des traités sur le poker pour améliorer ses stratégies. Puisque ces traités sur le poker sont rédigés en anglais, il serait étonnant et peu probable qu’il ait lu ces ouvrages vu sa connaissance limitée de la langue anglaise à cette époque. La Cour retient ce témoignage de M. Duhamel portant que la mention dans le Livre de la lecture des divers traités le faisait bien paraitre par rapport au message qu’il devait véhiculer à titre de porte‐parole de PokerStars.

[98] M. Duhamel a également indiqué qu’il n’utilisait pas les applications ou logiciels donnant des informations et statistiques sur les joueurs dans le cadre des tournois en ligne, puisque cela le déconcentrait. De plus, dans les tournois en présence, puisque les places aux différentes tables de jeu sont déterminées au hasard, il est évident que M. Duhamel ne peut donc étudier d’avance les jeux de ses adversaires.

[99] Vu la preuve, il est aussi manifeste que les connaissances mathématiques nécessaires pour parfaire la technique du jeu de poker ne sont pas compliquées.

[100] Enfin, vu la preuve, on constate que M. Duhamel ne donne pas de cours ou de séminaires sur le jeu de poker.

7.2 La voie dans laquelle M. Duhamel entend s’engager (et autres facteurs pertinents)

Occupation, sources de revenus de M. Duhamel et JD Co. :

De 2008 à juillet 2010 :

[101] Selon l’intimée, entre 2008 et 2010, les seules activités rémunératrices de M. Duhamel ont été les activités de jeu de poker. Depuis le moment où M. Duhamel a réalisé un gain au tournoi tenu à Prague en décembre 2008 durant son année sabbatique, il gagne sa vie en jouant au poker. Dans le contrat d’achat de son condominium intervenu en 2009, il est même indiqué que M. Duhamel est joueur de poker.

[102] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’occupation et les sources de revenus de M. Duhamel pour la période de 2008 à juillet 2010 ne sont pas des facteurs démontrant la commercialité des activités de jeu de poker de M. Duhamel.

[103] Tout d’abord, bien que M. Duhamel se soit défini comme joueur de poker dans le contrat d’achat de son condominium intervenu en 2009, la Cour conclut que cela n’est pas pertinent pour que l’on puisse conclure que les activités de jeu de poker constituent une source de revenu d’entreprise aux fins de la Loi.

[104] La Cour reconnaît que, à compter de la fin du printemps 2008 jusqu’à juillet 2010, vu la preuve, les seules activités rémunératrices de M. Duhamel ont été les activités de jeu de poker. Toutefois, il est également démontré que M. Duhamel a toujours travaillé depuis qu’il est en mesure de le faire et qu’il a vraisemblablement pu se constituer un coussin financier lui permettant de voyager dans le cadre de son année sabbatique, prolongée suite à son gain au tournoi de poker tenu à Prague en décembre 2008. En outre, le peu de jours consacrés aux activités de jeu de poker tend à rendre vraisemblable le témoignage de M. Duhamel portant qu’il n’a pas d’horaire fixe ou prédéfini quant au jeu de poker et qu’il a beaucoup voyagé et fait la fête au cours de cette période.

[105] Au printemps 2008, après avoir terminé une année d’études à l’UQAM, M. Duhamel a obtenu un certificat en administration. À la fin du printemps 2008, à l’âge de 21 ans, M. Duhamel décide de prendre une année sabbatique d’études afin de déterminer le champ d’études dans lequel il désirait s’engager. Il a l’intention de s’amuser, de voyager et de faire la fête avec ses amis. Comme il avait toujours travaillé tout au long de ses études, ayant débuté à travailler à l’âge de 13 ans comme cueilleur de fraises, il avait un petit coussin financier pour voyager. Et c’est ce qu’il fera dans les mois qui suivent.

[106] En 2008, pour la première fois de sa vie, M. Duhamel part visiter l’Europe. Il se rend à Prague, Munich, Amsterdam et Berlin. Dans un tournoi de poker tenu à Prague en décembre 2008, il a gagné la somme de 70 000 $, s’étant classé 10e. Vu ce gain, M. Duhamel ne voyait pas l’urgence de se réinscrire à l’université et a donc décidé de prolonger son année sabbatique, et en a profité pour continuer à voyager, voir ses amis et s’amuser.

[107] Il n’est pas établi le nombre de tournois auxquels M. Duhamel a participé en 2008. Il a néanmoins participé à un tournoi qui s’est tenu à Prague en décembre 2008. Comme il était aux études pour la moitié de l’année 2008, il est vraisemblable que son occupation principale était les études, du moins pour la première partie de l’année.

[108] En 2009, en plus de participer à des tournois en ligne sur différents sites de poker, incluant PokerStars, M. Duhamel a participé au Main Event de la WSOP, mais sans succès. Il n’a pu toutefois donner des détails sur les tournois en présence auxquels il a participé puisqu’il n’a pu retracer l’information. Il a toutefois indiqué avoir participé à une vingtaine de tournois en ligne sur le site de PokerStars de mai à décembre 2009.

[109] En 2010, M. Duhamel est toujours en année sabbatique. Il est établi qu’il en a profité pour voyager, voir ses amis et faire la fête. Au cours du mois de juillet 2010, M. Duhamel et des amis ont loué deux maisons à Las Vegas et y ont fait la fête. Il avait alors 22 ans et était célibataire. M. Duhamel s’est inscrit à nouveau au Main Event de la WSOP qui s’est tenu en juillet 2010. La preuve a établi qu’il n’a fait aucune préparation particulière pour ce tournoi.

[110] Un total de 7 319 joueurs étaient inscrits au Main Event de la WSOP en 2010; il y avait environ 800 tables. Les places aux différentes tables sont attribuées au hasard. Ce tournoi s’est étalé sur une période de 8 jours jusqu’à ce qu’il reste 9 joueurs qualifiés pour la table finale. Tous les participants au tournoi pouvaient signer un contrat avec PokerStars offrant un voyage aux Bahamas et une inscription à un tournoi pour les joueurs qui gagneraient une bourse. Les joueurs devaient mettre des insignes de PokerStars sur leur chandail. M. Duhamel a signé un tel contrat. Des contrats similaires pouvaient être signés avec Fulton Poker.

[111] En 2010, avant qu’il ne se qualifie pour la table finale du Main Event de la WSOP et tout au long du mois de juillet, M. Duhamel a participé à 18 tournois en présence (dont 14 ayant eu lieu au cours de la même journée). Entre janvier et mai 2010, il n’a participé à aucun tournoi en ligne et de la fin du mois de mai 2010 jusqu’à juin 2010, il a participé à 14 tournois en ligne.

Après la qualification à la table finale du Main Event de la WSOP en juillet 2010 :

[112] L’intimée soutient également que, au cours des années 2010 à 2012, la principale occupation de M. Duhamel était constituée par ses activités de jeu de poker : M. Duhamel joue au poker à temps plein, il n’a pas d’autres occupations et il n’a aucune autre source de revenu. De plus, selon l’intimée, le nombre de tournois de poker auxquels M. Duhamel a participé au cours des années 2010 à 2012 est un indice démontrant qu’il veut gagner sa vie en jouant au poker.

[113] Pour les motifs suivants, la Cour ne peut conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la preuve va en ce sens. Tout d’abord, il est plutôt établi que M. Duhamel avait des sources de revenus autres que les gains provenant des tournois de poker : il recevait des dividendes et autres montants de JD Co. et des revenus de son portefeuille de placement totalisant environ 5 M$ acquis en partie par le gain réalisé en 2010 au Main Event de la WSOP. Il a été établi qu’en 2011 et 2012, M. Duhamel a bel et bien reçu des revenus d’intérêts et des dividendes : environ 20 000 $ et 60 000 $ à titre d’intérêts en 2011 et 2012 respectivement, et 300 000 $ à titre de dividendes pour chacune des années 2011 et 2012.

[114] De plus, à compter de la fin de l’année 2010 et jusqu’en 2015, en plus de participer à des tournois de poker, M. Duhamel était également porte-parole de PokerStars. Ainsi, il devait, notamment, représenter PokerStars à travers le monde, assister à certains événements commandités par PokerStars et participer à certains tournois commandités par PokerStars, en endossant les vêtements portant les logos de PokerStars, et inciter d’autres personnes à jouer en ligne au poker sur les sites en ligne de PokerStars. Bien qu’à compter de l’année 2011, M. Duhamel participe à de nombreux tournois de poker, il accomplit des tâches autres que celles de jouer au jeu de poker.

[115] Puisque M. Duhamel était porte-parole de PokerStars, et qu’il avait certaines obligations de représentation en vertu de la Convention PokerStars, la Cour n’est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la seule occupation ou même que la principale occupation de M. Duhamel était constituée par ses activités de jeu de poker. Toutefois, même s’il était ressorti de la preuve que la principale occupation de M. Duhamel était constituée par ses activités de jeu de poker, ce qui n’est pas le cas, la fréquence de participation à des tournois est un facteur peu pertinent dans l’analyse de la commercialité d’une activité de jeu (Radonjic, par. 52; Cohen, par. 47; Leblanc, par. 28-29, 46).

[116] La Cour retient ce qui suit de la preuve.

[117] Après s’être qualifié pour la table finale du Main Event de la WSOP en juillet 2010, M. Duhamel a reçu la somme de 900 000 $US provenant des organisateurs, tout comme tous les autres joueurs s’étant qualifiés pour la table finale. M. Duhamel s’est alors senti comme une vedette, et ce sentiment a été encore plus fort lorsqu’il a été sacré champion du monde de poker en gagnant ce tournoi en novembre 2010.

[118] Suite à sa qualification pour la table finale et ainsi qu’après sa victoire historique en novembre 2010, M. Duhamel a été pris dans un tourbillon médiatique. Du jour au lendemain, M. Duhamel est devenu une personne publique. Dans son témoignage, M. Duhamel dira qu’il a été dépassé par les événements. Il faut se souvenir qu’à l’époque, il n’avait que 23 ans.

[119] M. Duhamel a alors été invité à se joindre à un groupe de joueurs de poker, dont faisaient partie certaines personnes bien connues de la société québécoise et internationale, pour participer à des parties privées. Dans le cadre des parties privées auxquelles a pris part M. Duhamel, il était entendu qu’un joueur ne pouvait se retirer avant la fin de la soirée. Ces parties se tenaient à la résidence de l’un ou l’autre des membres du groupe, agrémentées de bonne chère et de bons vins. De grosses sommes d’argent étaient en jeu. Suite aux rencontres faites dans le cadre des parties privées, M. Duhamel s’est impliqué dans la Fondation One Drop. Au cours de la période de 2010 à 2018, M. Duhamel a participé à environ 81 parties privées, soit une dizaine par année.

[120] Afin de gérer le tourbillon médiatique résultant de sa qualification à la table finale, M. Duhamel a engagé deux personnes, qui étaient également des amis. Il ressort de la preuve que M. Duhamel a fait un nombre très élevé d’entrevues. Ces deux personnes ont géré les demandes d’entrevues et tout ce qui se rapportait aux médias, et elles ont été rémunérées pour leurs services. Elles n’ont toutefois pas été impliquées dans la gestion des activités de jeu de poker de M. Duhamel. M. Duhamel gérait lui-même ses inscriptions aux divers tournois, de même que l’organisation de ses voyages.

[121] Au cours de cette période, vu la preuve, il est établi que M. Duhamel a consacré beaucoup de son temps à faire des entrevues. En outre, il est établi que PokerStars était déjà impliqué auprès de M. Duhamel et lui a prodigué des conseils quant au message à livrer dans le cadre des entrevues, et ce, même avant la conclusion de la Convention PokerStars.

[122] Après une pause de quatre mois, le tournoi du Main Event a repris le 6 novembre 2010. La partie finale s’est jouée entre les 2 derniers joueurs le 8 novembre 2010. Environ 2 000 spectateurs ont assisté à la table finale du 6 novembre 2010. Le 7 novembre 2010 était une journée de congé de tournoi au cours de laquelle M. Duhamel s’est encore prêté à plusieurs entrevues.

[123] La première Convention PokerStars entre PokerStars et JD Co., à laquelle est intervenue M. Duhamel personnellement, est entrée en vigueur le 25 novembre 2010 pour une période d’un an. Selon cette entente, JD Co. s’engage à fournir à PokerStars divers services de M. Duhamel, en contrepartie du versement d’un montant de 1 M$US, payable comme suit :

  • i) 280 000 $US à titre de frais d’entrée à divers tournois en présence;

  • ii) 120 000 $US à titre de frais d’entrée à divers tournois en ligne sur le site de PokerStars;

  • iii) 120 000 $US pour les dépenses encourues par JD Co. pour les services fournis par M. Duhamel;

  • iv) 480 000 $US à titre de frais annuels;

  • v) 4 000 $US à être versé à un organisme de bienfaisance désigné par JD Co.

[124] Plus particulièrement, selon la Convention PokerStars, M. Duhamel s’engage à promouvoir les sites internet de jeu de poker de PokerStars auprès des médias (incluant entrevues, livres, CD, blogues, etc.), ainsi qu’à l’occasion des événements publics auxquels prend part M. Duhamel et dans lesquels les sites de PokerStars sont en promotion. La Convention PokerStars prévoit spécifiquement que M. Duhamel doit collaborer avec les firmes de relations publiques de PokerStars afin de se promouvoir et de promouvoir « Team PokerStars Pro » (article 2.4). De plus, les formations dispensées par PokerStars ont été suivies par M. Duhamel pour qu’il apprenne à véhiculer le bon message pour PokerStars et pour donner une bonne image de lui-même.

[125] En ce qui concerne son image, M. Duhamel a témoigné qu’il devait être comme la rock star des joueurs de poker; par exemple, il signait des autographes lors d’événements commandités par PokerStars. Afin de respecter ses engagements envers PokerStars, M. Duhamel devait tenir le discours suivant : « Le poker, c’est comme un sport – plus on pratique, plus on s’améliore et on gagne. Faites comme moi : je me suis pratiqué sur le site de PokerStars et maintenant, je suis champion du monde de poker! ». Le but ultime était d’amener des joueurs à jouer au poker sur les plateformes en ligne de PokerStars.

[126] M. Duhamel doit également participer à certains tournois de poker en ligne exclusivement sur le site de PokerStars (au minimum 50 heures par mois en moyenne) et à certains tournois de poker en présence. La preuve est muette quant au nombre de tournois auxquels devait participer M. Duhamel aux termes de la Convention PokerStars et les tournois auxquels il a joué de son propre gré. Toutefois, il est établi que M. Duhamel a joué moins de 50 heures par mois à des tournois en ligne.

[127] Toutes les apparitions publiques de M. Duhamel au cours de cette période se faisaient au nom de PokerStars. M. Duhamel ne peut toutefois pas déterminer quelle portion de son temps était dévolue à la représentation de PokerStars et quelle portion était dévolue aux activités de jeu de poker. Il ne tenait pas de feuilles de temps. Il n’avait pas à rendre compte à PokerStars du temps qu’il passait à jouer en ligne ou encore du temps passé à représenter PokerStars.

[128] Les paiements effectués par PokerStars assurent un revenu à JD Co. et permettent à M. Duhamel de participer à des tournois de poker à travers le monde, tout en représentant PokerStars. La Convention PokerStars a été renouvelée annuellement jusqu’au début de l’année 2015, avec des contreparties financières moindres.

[129] En outre, en mai 2011, JD Co. a également signé une convention avec Refund Management Services. Par cette convention, M. Duhamel s’engageait à porter un insigne sur le bras représentant Refund Management Services au cours de la tenue de tournois en personnes moyennant un paiement de 1 000 $ à la signature et le versement d’une somme de 2 000 $ par mois pour une période d’une année. Une convention a également été signée entre JD Co. et Stardust Poker Mansion en vigueur du 1er aout 2011 au 30 juillet 2013, prévoyant le versement d’une somme de 50 000 $ sur 2 ans, notamment afin de permettre à Stardust Poker Mansion de nommer une salle privée au nom de M. Duhamel et d’utiliser son image.

[130] Au cours de l’année 2010, M. Duhamel a participé à 23 tournois en présence (ou 29 tournois si l’on compte les tournois où, après avoir été éliminé, il s’est inscrit à nouveau), 126 tournois en ligne et 1 partie privée. M. Heeb, l’expert de l’intimée, a estimé que ce nombre de tournois représente 30 jours de tournois en présence et 19 jours de tournois en ligne, soit 49 jours au total (Réplique Heeb (pièce I‐4), par. 83).

[131] M. Duhamel s’est inscrit à nouveau au Main Event de la WSOP en 2011, 2012, 2013 et 2014, mais sans gagner quoi que ce soit. En 2015, il s’est classé 565e et, en 2018, 409e et a donc tout de même gagné certaines sommes.

[132] Au cours de l’année 2011, M. Duhamel a participé à 81 tournois en présence, 377 tournois en ligne et 16 parties privées : soit l’équivalent de 89 jours de tournois en présence et 41 jours de tournois en ligne, soit 130 jours de jeu au total, excluant les 16 parties privées (Réplique Heeb (pièce I‐4), par. 83).

[133] Au cours de l’année 2012, M. Duhamel a participé à 111 tournois en présence, 271 tournois en ligne et 14 parties privées : soit l’équivalent de 128 jours de tournois en présence et 28 jours de tournois en ligne, soit 156 jours de jeu au total, excluant les 14 parties privées (Réplique Heeb (pièce I‐4), par. 83).

[134] Au cours de la période de 2013 à 2015, M. Duhamel a participé à de nombreux tournois en ligne : 128 tournois en 2013, 356 tournois en 2014 et finalement, 57 tournois en 2015. Lorsque ses obligations envers PokerStars ont cessé en 2015, M. Duhamel a cessé également de participer à des tournois en ligne. Il en ressort donc que M. Duhamel participe aux tournois en ligne en partie pour satisfaire aux obligations envers le commanditaire PokerStars.

[135] En ce qui concerne les tournois en présence de 2013 à 2018, leur nombre a varié ainsi : 102 tournois en 2013, 90 tournois en 2014, 82 tournois en 2015, 40 tournois en 2016, 26 tournois en 2017 et 35 tournois en 2018.

[136] Après avoir gagné le Main Event de la WSOP en 2010, M. Duhamel a le luxe de ne pas devoir travailler pour subvenir à ses besoins. Il peut alors investir beaucoup de son temps dans le jeu de poker, si tel est son choix. Conformément à son témoignage, il peut poursuivre sa passion du jeu. Également, il bénéficie du versement des revenus de commandites par PokerStars à JD Co., et il peut participer à des tournois de poker qui se tiennent à travers le monde.

[137] Au cours de cette période, M. Duhamel s’est également impliqué dans la Fondation One Drop et a joué quelques tournois de poker en présence au bénéfice de cette fondation. En 2015, il gagnera 2,5 M$ à l’un de ces tournois.

L’existence de JD Co. :

[138] Selon l’intimée, à compter de 2011, puisque M. Duhamel s’oblige à jouer au poker afin d’assurer un revenu important à JD Co., les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne peuvent plus être qualifiées de simple divertissement et deviennent purement commerciales. Les revenus de JD Co. sont intrinsèquement liés à l’obligation de M. Duhamel de participer à de nombreux tournois dont les frais d’entrées sont remboursés à JD Co. par PokerStars aux termes de la Convention PokerStars. Ainsi, les revenus de commandites versés à JD Co. et les revenus de dividendes que tire M. Duhamel de JD Co. sont suffisamment connexes aux activités de jeu de M. Duhamel pour que la Cour les considère afin d’apprécier la nature commerciale des activités de jeu de poker de M. Duhamel.

[139] À l’appui de sa position, l’intimée soutient que la Cour doit prendre en compte, dans son examen, un facteur objectif de commercialité qualifié par l’intimée de « motivation financière provenant d’une autre source de revenu connexe aux activités du contribuable » et que, en l’espèce, ce facteur est important.

[140] L’intimée s’appuie sur les observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart portant qu’il est possible de considérer un gain en capital escompté pour déterminer si les activités du contribuable sont de nature commerciale : « [u]n gain escompté peut être pris en considération pour apprécier la commercialité de la ligne de conduite globale du contribuable » (par. 68).

[141] Pour les motifs suivants, la Cour conclut que l’existence de JD Co. n’est pas pertinente pour apprécier la commercialité des activités de jeu de poker de M. Duhamel.

[142] L’intimée invite essentiellement la Cour à conclure à la commercialité des activités de jeu de poker de M. Duhamel et donc, à l’exploitation d’une entreprise par M. Duhamel à cet égard, étant donné que ce dernier est le représentant d’une société par actions exploitant une entreprise. Or, il ne faut pas confondre les activités de JD Co. avec celles de M. Duhamel, JD Co. et M. Duhamel étant deux personnes distinctes (art. 309 C.c.Q.). La motivation financière de M. Duhamel d’agir à titre de représentant de JD Co., dans les meilleurs intérêts de JD Co., pour potentiellement accroître ses revenus de dividendes, salaires ou autres, ne concerne que la relation entre JD Co. et M. Duhamel, et celle-ci n’est pas en cause. Il a été établi que M. Duhamel a constitué JD Co. pour qu’il y ait séparation juridique entre l’entreprise de marketing/publicité exploitée par JD Co., et les activités de jeu de poker de M. Duhamel à titre personnel.

[143] Tel qu’indiqué plus haut, aux termes de la Convention PokerStars, M. Duhamel s’engage non seulement à participer à des tournois (en ligne et en présence) commandités par PokerStars, mais il doit aussi agir à titre de porte-parole de PokerStars et promouvoir les intérêts de PokerStars. Il doit être disponible pour représenter PokerStars dans le cadre de différents événements. PokerStars s’assure ainsi de pouvoir exploiter le fait que M. Duhamel a été sacré champion du monde de poker en novembre 2010 pour augmenter la fréquentation de ses tournois, autant en ligne qu’en présence. Ainsi, non seulement M. Duhamel doit participer à des tournois pour PokerStars, mais il doit aussi faire la promotion de PokerStars. JD Co. est donc payée par PokerStars pour la participation de M. Duhamel à divers tournois ainsi que pour les activités de promotion de M. Duhamel, effectuées pour le compte de JD Co.

[144] Également, comme indiqué précédemment, la preuve a démontré que JD Co. a également conclu des conventions avec Refund Management Services et Stardust Poker Mansion permettant à ces entreprises d’exploiter la notoriété de M. Duhamel. L’objet de ces conventions n’est pas de régir les activités de jeu de poker personnelles de M. Duhamel.

[145] De plus, les observations de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stewart n’ont pas une portée aussi large que le soutient l’intimée et doivent être interprétées au regard de leur contexte. La Cour suprême du Canada enseigne que, pour apprécier la commercialité de la ligne de conduite globale du contribuable quant à la détention d’un bien, l’on peut considérer la possibilité qu’un gain soit réalisé par ce même contribuable lors de la vente ultérieure de ce même bien. Ce facteur objectif de commercialité doit être considéré dans des situations similaires. En l’espèce, l’intimée demande à la Cour de considérer les revenus versés à JD Co. dans l’appréciation de la commercialité des activités de jeu personnelles de M. Duhamel puisqu’il aurait une motivation financière à assurer le succès commercial de JD Co. Il s’agit d’une situation totalement différente de celle qui fit l’objet de l’arrêt Stewart.

Autres indices de commercialité à considérer :

[146] Il ressort de la preuve que M. Duhamel n’a établi aucun plan d’affaires. M. Duhamel ne donne pas de cours ou de séminaires sur le jeu de poker. Il n’a pas ouvert de comptes bancaires distincts pour ses affaires de jeu ni demandé de cartes de crédit distinctes.

[147] Il ressort également de la preuve que M. Duhamel ne vérifiait pas les paiements versés par PokerStars dans son compte en ligne comme l’aurait fait un homme d’affaires sérieux. Il ne tenait pas de registres de ses gains et pertes, hormis pour les tournois en présence, et ne tenait aucun registre comptable à l’égard de ses activités de jeu de poker : il note dans des fichiers Excel les résultats des tournois en présence auxquels il a participé depuis 2009. M. Duhamel ne modifie pas sa façon de faire suite à la conclusion de la Convention PokerStars et des autres conventions de commandites.

[148] Toutefois, après le début de la vérification en 2013, il a noté avec plus d’attention les résultats des tournois. Puisque la vérification concernait les années 2010 et suivantes, il n’a pas fait l’exercice détaillé pour les années 2009 et 2008, comme il l’a fait pour les années 2010 et suivantes.

[149] En outre, M. Duhamel ne faisait aucune préparation sérieuse avant la tenue d’un tournoi. Au contraire, il est établi qu’il faisait grandement la fête. De plus, il jouait à des tournois à frais d’entrée élevés.

[150] Bien qu’il ait été démontré que M. Duhamel a fait préparer des documents écrits reflétant les ententes de partage de gains conclues avec les autres participants au Main Event de la WSOP, cela n’est pas suffisant pour en inférer la commercialité des activités de jeu en cause.

7.3 L’état des profits et pertes

Années 2008 et 2009 :

[151] Bien que l’état des profits et pertes tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel n’ait pas été établi pour les années 2008 et 2009, l’intimée demande à la Cour d’inférer des faits suivants que les activités de jeu de poker de M. Duhamel ont été rentables au cours des années 2008 et 2009 et que ces gains de jeu lui ont permis de subvenir à ses besoins : en mai 2009, M. Duhamel s’est porté acquéreur d’un condominium au coût de 229 000 $ et en assumait seul les paiements hypothécaires; au 30 juin 2010, l’encaisse et les fonds disponibles de M. Duhamel s’élevaient à 75 928 $ et l’équité sur le condominium était de 70 000 $; le solde au compte PokerStars de M. Duhamel s’élevait à 15 089 $ au 1er janvier 2010 alors qu’il était de 4 529 $ au 4 janvier 2009. De plus, au 30 juin 2010, M. Duhamel détenait un solde de 19 837 $ dans son compte PokerStars et 41 451 $ dans d’autres comptes de jeu de poker en ligne.

[152] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne peut inférer des faits ci-dessus que les activités de jeu de poker de M. Duhamel en 2008 et 2009 étaient rentables et qu’il a pu subvenir à ses besoins par ses gains de jeu. En effet, la preuve a démontré que M. Duhamel a travaillé tout au long de ses études, ce qui lui a permis de se constituer un certain coussin financier.

[153] Hormis le gain de 70 000 $ réalisé au tournoi tenu à Prague en décembre 2008, la preuve est muette sur la question de savoir si M. Duhamel a fait d’autres gains ou pertes provenant de ses activités de jeu de poker en 2008. Bien qu’il ressorte de la preuve qu’il a joué dans des tournois dans les bars et au casino en 2008, il étudiait au cours de la première partie de l’année 2008. Ainsi, il est vraisemblable qu’il avait peu de temps à consacrer au jeu de poker avant la fin du printemps 2008. En effet, M. Duhamel a entamé son année sabbatique à la fin du printemps 2008 et par la suite, il a beaucoup voyagé et fait la fête.

[154] Il ressort de la preuve que, au cours de l’année 2009, dans le cadre des 20 tournois joués en ligne sur le site de PokerStars, il a essuyé une perte de 1 403 $. En juillet 2009, il a aussi participé au Main Event de la WSOP, mais il n’a rien gagné. La preuve est muette quant aux gains ou pertes d’autres tournois auxquels M. Duhamel aurait participé en 2009.

[155] En 2009, M. Duhamel habitait en appartement avec l’un de ses amis. En mai 2009, il a acheté un condominium pour lequel son père a dû cautionner l’achat et fournir une partie de la mise de fonds. Ainsi, l’on peut conclure que, vraisemblablement, M. Duhamel n’avait pas la capacité financière d’emprunter en son seul nom et a dû recourir à un cautionnement de son père pour pouvoir obtenir le prêt hypothécaire requis pour l’achat.

Années 2010 et suivantes :

[156] Bien que le quantum des gains ne soit pas en litige en l’espèce, M. Philippe Renaud, le comptable de M. Duhamel, a établi lors de son témoignage la fiabilité des informations financières colligées par M. Duhamel quant aux divers tournois auxquels il a participé, autant les tournois en présence qu’en ligne, ainsi qu’à l’égard des parties privées. M. Renaud a procédé à la vérification par application de mesures spécifiées (échantillonnage).

[157] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’état des profits et pertes n’est pas un facteur démontrant la commercialité des activités de jeu de poker de M. Duhamel.

[158] Il ressort de l’examen des informations financières qu’il n’y a aucune constance ni progression dans les gains provenant des activités de jeu de poker de M. Duhamel au cours des années 2010 à 2018. Il a toujours joué à perte dans les tournois en ligne et a décidé d’arrêter de jouer dans ce genre de tournois en 2015 après la cessation du paiement des commandites par PokerStars. En outre, il a essuyé des pertes dans les tournois en présence (sauf en 2010, 2015 et 2017). Ses gains ont été réalisés surtout dans le cadre des parties privées de poker tenues entre amis.

[159] Au cours de l’année 2010, M. Duhamel n’a tiré aucun revenu net de ses tournois en ligne, puisqu’il a essuyé une perte totalisant 1 294 $. Pour les tournois en présence, il a réalisé un gain de 4 924 307 $. Toutefois, en excluant le gain de 4 969 333 $ gagné au Main Event de la WSOP, M. Duhamel a essuyé une perte de 45 026 $ dans le cadre des tournois en présence.

[160] En 2011, M. Duhamel a essuyé une perte de 19 025 $ dans les tournois en ligne et une perte de 127 433 $ dans les tournois en présence.

[161] En 2012, M. Duhamel a essuyé une perte de 7 081 $ dans les tournois en ligne, mais a réalisé un gain de 1 262 $ dans les tournois en présence.

[162] En plus du gain obtenu au Main Event de la WSOP en 2010, M. Duhamel a également réalisé des gains lors des parties privées auxquelles il a participé en 2011 et en 2012 : 530 374 $ et 112 594 $ respectivement. Il a toutefois essuyé une perte de 56 896 $ en 2010.

[163] Au cours des années 2013 et 2014, M. Duhamel a essuyé des pertes autant dans les tournois en ligne qu’en présence, et dans les parties privées auxquelles il a participé. Selon son témoignage, il a perdu beaucoup d’argent en 2013 (pertes de 1 622 946 $) et en 2014 (pertes de 569 970 $).

[164] En 2015, il a réalisé un gain important dans un tournoi en présence tenu pour la Fondation One Drop et a ainsi fait un gain de 3 055 224 $. Il a essuyé une perte dans les tournois en ligne et un gain de 247 227$ dans les parties privées. En 2015, n’étant plus commandité par PokerStars, M. Duhamel prend alors la décision d’arrêter de jouer dans des tournois en ligne puisqu’il joue à perte depuis l’année 2010.

[165] Ainsi, en 2016, 2017 et 2018, M. Duhamel ne jouera que des tournois en présence et quelques parties privées. En 2016, il essuie une perte de 194 308 $; en 2018, il essuie une perte de 290 317 $; en 2017, il fait un gain de 286 339 $.

[166] Il ressort de la preuve qu’en excluant les gains du Main Event de la WSOP de novembre 2010 ainsi que les gains du tournoi de la Fondation One Drop de 2015, au cours de la période de 2010 à 2018, M. Duhamel a essuyé une perte totalisant 1 364 771 $ dans les tournois en présence. De même, M. Duhamel a essuyé une perte totalisant 114 176 $ dans les tournois en ligne. Au cours de la même période, il a toutefois fait des gains totalisant 295 705 $ dans le cadre des parties privées.

7.4 La capacité de M. Duhamel de réaliser des profits par ses activités de jeu de poker

[167] Selon l’appelant, l’expertise de M. Dufour a démontré que la capacité de produire un gain au jeu de poker est imprévisible et instable. Le hasard prévaut largement sur l’habileté au jeu de poker puisqu’il faudrait un nombre de mains anormalement élevé pour que l’habileté prévale sur le hasard. Il n’est pas possible de contrôler les résultats et, au final, le succès au jeu de poker est dû au hasard. L’ensemble des activités de jeu de M. Duhamel doit être examiné, soit à compter des années 2009 et 2010. Dans le cas de M. Duhamel, le hasard a prévalu fortement sur l’habileté dans ses résultats au jeu de poker vu l’ordre dans lequel les tournois ont été joués. Selon l’analyse de M. Dufour, M. Duhamel avait 87 % de chance d’être ruiné par ses activités de jeu de poker si l’ordre des tournois auxquels il a participé avait été permuté. Le succès de M. Duhamel ne serait donc dû qu’à la chance d’avoir gagné le Main Event de la WSOP parmi ses premiers tournois, ce qui lui a permis de continuer à jouer au poker. Ainsi, les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne révèlent aucune capacité de générer des profits.

[168] Selon l’intimée, vu l’enseignement professé par la Cour suprême du Canada par l’arrêt Stewart, notre Cour ne doit pas apprécier le sens des affaires de M. Duhamel dans l’examen de ce critère, mais plutôt la capacité de M. Duhamel de réaliser des profits par ses activités de jeu de poker. Les gains de poker, tels que compilés par M. Duhamel et son comptable (pièce A‐29), ne sont donc pas pertinents quant à l’étude de ce facteur (Leblanc, par. 42). L’examen doit porter sur l’ensemble des activités de jeu de poker de M. Duhamel et ainsi, sur plusieurs années, peu importe que le gain au Main Event de la WSOP de l’année 2010 ait été ou non dû au hasard. Selon M. Heeb, de façon générale, l’habileté prévaut sur le hasard au poker à long terme, tant dans les parties libres que dans les tournois en ligne ou en présence. Bien que les experts s’entendent pour conclure que le jeu de poker est un jeu de hasard et d’habileté, l’habileté de M. Duhamel lui confère un avantage qui s’accroît sur le long terme. De plus, M. Duhamel démontre un niveau d’habileté supérieur à la moyenne lors de tournois en présence. En effectuant une analyse de la probabilité de ruine, M. Heeb conclut plutôt que M. Duhamel aurait eu 50 % de chance d’être ruiné si l’ordre de ses tournois avait été permuté.

[169] L’intimée ajoute que même si la Cour devait conclure que le jeu de poker est un jeu où le hasard prévaut sur l’habileté, elle devra tout de même conclure que, vu leur étendue et leur caractère, les activités de jeu de poker de M. Duhamel constituent une source de revenu qui est une entreprise, par opposition à un passe-temps ou un divertissement.

[170] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que vu la preuve d’expert qu’elle a retenue, le hasard joue un rôle très important dans les résultats au jeu de poker. Toutefois, aucun expert n’a convaincu la Cour que soit le hasard ou soit l’habileté prévalait dans les résultats au jeu de poker de manière générale, bien que les opinions formulées par M. Dufour sont plus crédibles et ont plus de valeur probante que les opinions formulées par M. Heeb, notamment quant à la question en litige. De plus, la Cour retient l’idée que le jeu de poker est un jeu à espérance négative, tel que démontré par M. Dufour. En outre, dans le cas particulier de M. Duhamel, vu l’analyse de la probabilité de ruine effectuée par M. Dufour, analyse retenue par la Cour (sauf en ce qui concerne le pourcentage de probabilité en tant que tel), il est démontré que les résultats de M. Duhamel au jeu de poker sont dus principalement au hasard dans la distribution des gains et pertes au poker. Pour ces raisons, la Cour conclut que M. Duhamel ne pouvait avoir la capacité de réaliser des profits par ses activités de jeu de poker, conformément à l’indice objectif de commercialité consacré par la Cour suprême du Canada (arrêt Stewart).

Expertises présentées par l’intimée et conséquences de la destruction des données sous-jacentes au Rapport Heeb :

Expertises présentées par l’intimée :

[171] Le rapport d’expertise de M. Heeb daté du 16 décembre 2020 a été déposé à titre de pièce I‐2 (le « Rapport Heeb »); la réponse de M. Heeb au rapport d’expertise de M. Dufour datée du 19 janvier 2021 a été déposée à titre de pièce I‐3 (la « Réponse Heeb ») et la réplique de M. Heeb à la réponse du M. Dufour datée du 18 février 2021 a été déposée à titre de pièce I‐4 (la « Réplique Heeb »).

[172] Pour la préparation du Rapport Heeb, M. Heeb a reçu mandat de l’intimée de résumer et d’élaborer les opinions qu’il avait préalablement émises en 2012 dans le cadre d’une procédure contentieuse aux États-Unis (United States v. Dicristina, United States District Court of the Eastern District of New York, 2012 U.S. Dist. LEXIS 118037), à savoir si l’habileté prévalait sur le hasard dans les parties libres au jeu de poker de type Texas Hold’em sans limite jouées en ligne.

[173] En examinant et analysant les données fournies par PokerStars représentant 415 millions de mains de parties libres au jeu de Poker Texas Hold’em sans limite jouées en ligne sur le site de PokerStars (les « Données PokerStars »), dans le cadre de ce litige américain, M. Heeb a émis un rapport daté du 5 juillet 2012 (joint comme Annexe A au Rapport Heeb), un rapport supplémentaire daté du 13 août 2012 (joint comme Annexe B au Rapport Heeb) et une déclaration datée du 20 août 2012 (jointe comme Annexe C au Rapport Heeb).

[174] Le Rapport Heeb résume donc les conclusions préalablement émises par M. Heeb en 2012, et contient une nouvelle section dans laquelle M. Heeb fait état de la littérature académique plus récente portant sur l’habileté et le hasard au jeu de poker.

[175] M. Heeb est d’avis, tout comme il l’était en 2012, que l’habileté prévaut sur le hasard au poker. Ainsi, selon M. Heeb, le poker est un jeu qui comprend un nombre considérable de décisions complexes et les joueurs peuvent perfectionner leurs habiletés. Le poker est un jeu où les joueurs habiles gagnent leur vie en jouant au poker, et cela constitue un critère indépendant dont il ressort que l’habileté prévaut sur le hasard au poker. M. Heeb ne cite toutefois aucune étude justificative sur ce point; la Cour conclut donc que cela constitue une opinion sans fondement, qui n’a aucune valeur probante.

[176] En analysant les Données PokerStars, M. Heeb a conclu que les dix meilleurs joueurs (en termes de montants gagnés au cours de l’année) gagnaient constamment. En outre, en analysant les Données PokerStars, M. Heeb a émis les conclusions suivantes à l’appui de sa conclusion portant que l’habileté prévaut sur le hasard au poker :

  • i) Selon l’analyse des 169 mains de départ possibles au poker, les joueurs habiles gagnent plus que les joueurs non habiles avec les mêmes mains de départ. Les joueurs classés dans la catégorie des meilleurs (en fonction des gains faits à chaque main) ont de meilleurs résultats que les joueurs classés dans la catégorie des pires. De plus, un joueur a tendance à rester dans son groupe d’appartenance indépendamment de sa main de départ;

  • ii) En utilisant diverses méthodes d’analyses statistiques (analyse de régression), M. Heeb a conclu que le niveau d’habileté d’un joueur est un bon indicateur de ses résultats subséquents (c’est-à-dire le montant des gains par main jouée). Ce résultat corrobore son opinion que l’habileté prévaut sur le hasard au poker. De plus, les joueurs classés dans les 50 % plus habiles selon l’indice d’habileté ont un taux de victoire plus élevé pour chaque catégorie de mains que les joueurs classés dans les 50 % moins habiles; et

  • iii) En faisant une simulation de Monte-Carlo, M. Heeb conclut qu’il faut 1 399 mains pour qu’un joueur du groupe des plus habiles ait 95 % de chance de l’emporter sur un joueur appartenant au groupe des moins habiles.

Destruction des Données PokerStars :

[177] M. Heeb a confirmé que les Données PokerStars utilisées pour faire l’analyse des questions considérées dans le cadre du Rapport Heeb, et plus spécifiquement dans les annexes A, B et C jointes au Rapport Heeb, avaient été détruites conformément aux pratiques de son employeur et n’avaient donc pas pu être remises à M. Dufour dans le cadre du présent appel. Selon M. Heeb, ces données étaient d’une richesse inégalée, en ce sens qu’il a eu accès aux cartes cachées (soit les deux cartes distribuées aux joueurs au début de la partie), alors qu’habituellement, les données disponibles ne contiennent que les cartes communes. Il a donc pu faire des analyses beaucoup plus précises.

[178] Compte tenu de l’information disponible sur les cartes cachées, M. Heeb avait des informations sur les choix de stratégies des joueurs, qui diffèrent selon l’habileté du joueur. Ainsi, il a été capable de classifier beaucoup plus précisément et rapidement les joueurs à titre de joueurs plus habiles ou joueurs moins habiles. De plus, vu qu’il avait énormément de données qui s’étalaient sur une période d’une année (avril 2010 à mars 2011), il est plus confiant en ses résultats.

[179] Les seules données auxquelles M. Dufour a eu accès sont les données provenant d’un site appelé HandHQ représentant 170 millions de mains sur les 415 millions de mains des Données PokerStars, ces données n’incluant toutefois pas les cartes cachées des joueurs.

Conséquences de la destruction des Données PokerStars :

[180] Selon l’intimée, puisqu’il subsiste un rapport détaillé appuyé d’analyses (soit les rapports produits en annexes A, B et C joints au Rapport Heeb) et plus de 170 millions de mains de HandHQ qui ont été remises à M. Dufour, et qu’aucune demande additionnelle n’a été faite par l’appelant, l’intimée soutient qu’il serait erroné pour la Cour d’exclure le Rapport Heeb, qui serait conforme aux dispositions des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») et du Code de conduite régissant les témoins experts (Annexe III des Règles; le « Code de conduite »). De plus, selon l’intimée, la richesse des Données PokerStars a seulement une incidence sur le degré de précision des opinions de M. Heeb et la destruction de celles-ci n’affecte pas la capacité de M. Heeb d’expliquer les faits et hypothèses au soutien de son opinion. Selon l’intimée, les annexes au Rapport Heeb datant de 2012 sont admissibles et ont autant de poids que les rapports subséquents préparés aux fins du présent appel.

[181] De plus, selon l’intimée, puisque M. Heeb était un expert dans l’affaire américaine en 2012, il serait erroné en l’espèce d’exclure le Rapport Heeb pour manquement aux Règles et au Code de conduite (1168760 Ontario Inc. v. 6706037 Canada Inc., 2017 ONSC 2211 (« 1168760 Ontario »)). Le Code de conduite ne s’appliquerait que dans la mesure où l’expert serait appelé à étendre son opinion aux fins du litige.

[182] Pour les motifs suivants, la Cour conclut que M. Heeb n’est pas un expert participant, ni un expert non participant et ni une partie experte, mais qu’il se qualifie plutôt à titre d’expert indépendant, et, conséquemment, le Rapport Heeb doit être conforme aux Règles et au Code de conduite. Étant donné que les données sous‐jacentes au Rapport Heeb, soit les Données PokerStars, ne sont pas jointes au Rapport Heeb, ce rapport ne respecte pas l’article 145 des Règles et le Code de conduite. Les opinions de M. Heeb ainsi que les parties du Rapport Heeb fondées sur les Données PokerStars ne sont donc pas admises en preuve. Il en est de même pour les parties de la Réponse Heeb et de la Réplique Heeb fondées sur les Données PokerStars. Toutefois, les opinions de M. Heeb ainsi que les parties du Rapport Heeb, de la Réponse Heeb et de la Réplique Heeb qui ne sont pas fondées sur les Données PokerStars sont admises en preuve et ce, même si certaines opinions formulées par M. Heeb font référence à des études généralisées, et non au cas spécifique de M. Duhamel.

[183] Notre Cour a déjà établi qu’il y avait quatre catégories de témoins experts qui pouvaient témoigner devant elle, soit l’expert indépendant, l’expert participant, l’expert non participant et la partie experte (Kaul c. La Reine, 2017 CCI 55, par. 26-32 (« Kaul »)). Ce qui distingue l’expert indépendant des experts des trois autres catégories est que ces derniers fondent leurs opinions sur leur observation personnelle des faits qui sont en cause à des fins autres que celles de la cause (Kaul, par. 33; voir aussi St. Marthe v. O’Connor, 2021 ONCA 790, par. 26, 28; Westerhof v. Gee Estate, 2015 ONCA 206, par 62, 79 et 86). Essentiellement, les experts participants, les experts non participants et les parties expertes sont des témoins de faits. L'expert indépendant est, quant à lui, un témoin expert dont une partie retient les services en vue d'une instance et qui n'a pas participé aux événements en cause; il doit vouloir et pouvoir donner au tribunal des opinions indépendantes, objectives et impartiales concernant le litige sans plaider la cause d'une partie. L’expert indépendant doit se conformer aux règles applicables aux témoins experts (soit l’article 145 des Règles et le Code de conduite) (Kaul, par. 39).

[184] La Cour conclut que M. Heeb ne peut être qualifié d’expert participant, d’expert non participant ou de partie experte qui serait autorisé à témoigner à la Cour sans respecter les dispositions des Règles applicables aux témoins experts et le Code de conduite. En effet, M. Heeb ne peut être qualifié d’expert participant puisqu’il n’a pas participé aux faits dont découle la présente affaire. De plus, M. Heeb ne peut être qualifié d’expert non participant puisqu’on ne peut raisonnablement soutenir qu’il a observé les faits et événements en cause avant qu’il y ait litige et qu’il aurait préparé son rapport résumant ses opinions sur ces faits de manière contemporaine à son implication. Finalement, n’étant pas une partie à la présente instance, M. Heeb ne peut être qualifié de partie experte.

[185] En l’espèce, M. Heeb est un expert indépendant. Il a été engagé par l’intimée pour résumer et élaborer ses opinions exprimées à l’occasion de l’affaire Dicristina et en témoigner devant la Cour aux fins du présent litige. De plus, M. Heeb a signé le certificat rédigé selon la formule 145(2) des Règles attestant qu’il a lu le Code de conduite, le Rapport Heeb était accompagné du certificat d’un avocat en vertu de l’alinéa 145(1)b) des Règles et a été signifié à l’appelant conformément à l’article 145 des Règles.

[186] En outre, aux termes des alinéas 145(2)a) et c) des Règles, le rapport d’expert « reproduit entièrement la déposition du témoin expert » et doit être accompagné d’un certificat attestant que le témoin expert a lu le Code de conduite et accepte de s’y conformer. Aux termes des alinéas 3d) et 3h) du Code de conduite, le rapport d’expert doit comprendre, notamment, « les faits et les hypothèses sur lesquels les opinions figurant dans le rapport sont fondées » ainsi que « les ouvrages ou les documents invoqués expressément à l’appui des opinions ».

[187] À l’occasion de l’affaire Bekesinski c. La Reine, 2014 CCI 35 (« Bekesinski »), bien qu’il s’agissait alors de la version antérieure des règles applicables aux témoignages d’experts, notre Cour a conclu qu’il était clair et évident que les données sous‐jacentes, l’analyse quantitative et les ratios calculés pour étayer l’opinion de l’expert devaient être inclus dans le rapport d’expert, puisque les anciennes règles exigeaient « un exposé complet de la preuve en interrogatoire principal que l'expert entend établir » (ancienne règle 145(2)b)). Cette exigence permettait de maintenir l’équité procédurale. Notre Cour a conclu qu’en l’absence de ces données, la partie adverse était clairement désavantagée et a rejeté le rapport d’expert.

[188] Notre Cour a également conclu à l’occasion de l’affaire Gerbro Holdings Company c. La Reine, 2016 CCI 173 (par. 142) que les exigences décrites dans le jugement Bekesinski étaient toujours d’actualité aux termes des nouvelles règles, compte tenu des alinéas 3d) et 3h) du Code de conduite ainsi que de l’alinéa 145(2)a) des Règles.

[189] En ce qui concerne la décision 1168760 Ontario que cite l’intimée, la Cour supérieure de l’Ontario a permis à un expert de présenter une preuve d’expert même si les données sur lesquelles son rapport était basé avaient été détruites et qu’il était donc impossible de les produire, de même que les notes ou autres documents pertinents, puisqu’il en subsistait au moins un sommaire, et étant donné que la partie adverse n’avait pas soulevé de problème en temps utile. Cette décision ne peut toutefois être utilement citée en l’espèce. Tout d’abord, l’expert alors en cause n’était pas un expert indépendant. De plus, la cour a permis son témoignage puisqu’il aurait été possible pour la partie adverse, lors de la communication de la preuve préalable au procès, de demander la copie des documents préparés lors des événements pertinents quant au litige. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[190] Ainsi, dans le cas du Rapport Heeb, ce n’est pas seulement le Code de conduite qui n’a pas été respecté, mais également les dispositions des Règles qui prévoient que le rapport d’expert doit reproduire entièrement la déposition du témoin expert. La Cour ne saurait permettre le dépôt d’un rapport d’expert qui n’inclut que 40 % des données utilisées pour la préparation du rapport, ces données étant également différentes des données initiales sur lesquelles le rapport est fondé puisqu’il y a absence de données sur les cartes cachées.

[191] Les dispositions de l’article 145 des Règles ont pour objectif général d’assurer l’équité procédurale en permettant aux parties de se préparer adéquatement. L’appelant a été désavantagé par la destruction des Données PokerStars, et l’accessibilité aux données de HandHQ par M. Dufour ne permet pas de rétablir l’équité procédurale. En effet, M. Dufour a indiqué qu’il ne pouvait effectuer la vérification des mesures de probabilités obtenues par M. Heeb étant donné qu’il n’avait pas accès aux données sur lesquelles étaient basées les calculs (Réponse Dufour, par. 38, 40 et 48). De plus, M. Heeb a indiqué que s’il n’avait pas eu accès aux cartes cachées, cela aurait pu résulter en une mauvaise classification des joueurs. Bien que M. Dufour ait été capable de donner une réponse au Rapport Heeb, certaines de ses analyses ou vérifications n’ont pu être effectuées de manière complète; M. Dufour n’a donc pas pu vérifier la valeur du Rapport Heeb et de ses annexes.

[192] Comme l’a expliqué la Cour dans le jugement Bekesinski à l’égard des données sous-jacentes au rapport d’expert et des analyses : « De tels renseignements doivent être énoncés et inclus dans le rapport, faute de quoi l'opinion qui y est formulée n'est rien de plus qu'une opinion non fondée. » (par. 30).

Valeur probante des opinions et expertises fondées sur les Données PokerStars :

[193] Toutefois, même si la Cour avait accepté le dépôt en preuve des opinions de M. Heeb et des parties du Rapport Heeb, de la Réponse Heeb et de la Réplique Heeb fondées sur les Données PokerStars, pour les motifs suivants, il faut conclure que ces opinions auraient eu peu de valeur probante.

[194] Les opinions émises par M. Heeb fondées sur les Données PokerStars sont fondées sur les données de parties libres, alors que la preuve a établi des différences importantes entre les parties libres et les tournois, ce qui tend à réduire la valeur probante de ces opinions pour les tournois de poker.

[195] De plus, dans le cadre de tournois, les joueurs tentent de maximiser leurs profits tout au long du tournoi, alors que dans les parties libres, les joueurs tentent de maximiser leur gain à chaque main. Selon M. Heeb, des mains identiques peuvent se jouer très différemment dans les parties libres et dans les tournois; de plus, il existe des différences importantes entre les stratégies pour les tournois et celles pour les parties libres, particulièrement à certains moments cruciaux. Vu ces différences importantes entre les parties libres et les tournois, la Cour aurait accordé peu de valeur probante aux conclusions que tire M. Heeb concernant les parties libres si cette expertise avait été admise en preuve en l’espèce.

[196] Malgré les différences importantes entre ces types de jeu, M. Heeb a affirmé que, vu son expérience à titre de joueur de poker et d’économétricien, sa conclusion portant que l’habileté prévaut sur le hasard dans les parties libres vaudrait également pour les tournois de poker joués en présence et en ligne. Toutefois, M. Heeb a reconnu n’avoir jamais analysé les tournois de poker en ligne. De même, M. Heeb s’appuie en grande partie sur son expérience personnelle à titre de joueur de poker pour tirer ou justifier certaines de ses conclusions, ce qui fait en diminuer leur valeur probante.

[197] De surcroît, il ressort de la preuve que M. Heeb n’a jamais fait l’analyse des résultats de M. Duhamel de façon spécifique dans le cadre de la rédaction du Rapport Heeb, puisqu’il avait reçu mandat d’analyser l’apport de l’habileté au poker de façon générale. M. Heeb a confirmé qu’il n’avait pas en main l’information financière concernant les tournois auxquels a participé M. Duhamel lorsqu’il a préparé le Rapport Heeb.

[198] De plus, l’échantillonnage utilisé par M. Heeb soulève certains problèmes additionnels qui réduisent la valeur probante de ses conclusions. En effet, le profil socio‐économique des joueurs retrouvés sur le site de jeu de poker en ligne de PokerStars est inconnu. Ce site est très vaste et l’on peut vraisemblablement supposer que plusieurs joueurs ne connaissent pas vraiment les stratégies de base du jeu. En divisant les joueurs de l’échantillon en deux catégories, soit les 50 % supérieurs comme étant les meilleurs et 50 % inférieurs comme étant les pires, M. Heeb a conclu qu’un joueur a tendance à rester dans son groupe soit des meilleurs ou des pires et il conclut que, en conséquence, la persistance à l’appartenance à un groupe révèle que le poker est en jeu d’habileté.

[199] La Cour retient les observations crédibles de M. Dufour portant que les tests effectués par M. Heeb, soit le test de la main de départ, l’analyse de régression (indice d’habileté) et la simulation de Monte‐Carlo, aboutissent au même constat : un membre du groupe des meilleurs joueurs à terme l’emportera probablement sur le membre du groupe des pires joueurs. Toutefois, cette observation ne permet pas de mesurer ou distinguer la part d’habileté de la part du hasard dans le résultat d’une partie de poker – tout au plus cela démontre que le poker n’est pas uniquement un jeu de hasard, et ne démontre pas que l’habileté prévaut sur le hasard.

Analyse de la preuve d’expertise présentée :

[200] Le rapport d’expertise de M. Dufour daté du 5 novembre 2020 a été déposé à titre de pièce A‐33 (le « Rapport Dufour »); la réponse de M. Dufour au Rapport Heeb datée du 14 janvier 2021 a été déposée à titre de pièce A‐34 (la « Réponse Dufour ») et la réplique de M. Dufour à la Réponse Heeb datée du 15 février 2021 a été déposée à titre de pièce A‐35 (la « Réplique Dufour »).

[201] Aux fins de son expertise, M. Dufour a analysé les résultats des activités de jeu de poker tels que préparés par M. Duhamel (pièces A‐20, A‐21, A‐22 et A‐23) pour les années 2010 à 2018 et vérifiés par M. Renaud, le comptable de M. Duhamel. Le mandat de M. Dufour consistait à évaluer les sources de hasard dans le jeu de poker et à déterminer la part de celles-ci dans les résultats financiers d’un tournoi de poker de type Texas Hold’em sans limite et s’il est possible d’y jouer avec une espérance de gain positive à long terme. En outre, M. Dufour a reçu mandat de préparer une réponse au Rapport Heeb et une réplique à la Réponse Heeb.

[202] Selon M. Dufour, l’habileté et le hasard ont chacun un rôle dans les résultats du jeu de poker. Plusieurs aspects de la théorie mathématique des jeux et l’intelligence artificielle corroborent de façon très nette la conclusion que le hasard prévaut largement dans les résultats.

[203] M. Dufour fait état de trois sources de hasard dans ce jeu soit : la distribution des cartes, les décisions des joueurs et la distribution des gains dans le temps. Selon M. Dufour, la solution du jeu est un vecteur de probabilités qui laisse une place prépondérante et déterminante au hasard. Devant les succès d’un joueur de poker, il est impossible de déduire que ce joueur a un talent particulier dans ce domaine, car le rôle du hasard est primordial et décisif.

La distribution des cartes :

[204] Selon les deux experts, le hasard est une composante intrinsèque du jeu de poker, vu le hasard dans la distribution des cartes, non seulement pour les deux cartes initiales, mais également pour les cartes communes. L’importance de cette source de hasard diminue cependant avec l’augmentation du nombre de mains jouées. M. Dufour et M. Heeb ne s’entendent toutefois pas quant au nombre de mains nécessaires pour que cette source de hasard devienne négligeable.

[205] Selon M. Dufour, puisqu’il a fallu 5 000 à 10 000 mains à Pluribus (le programme d’intelligence artificielle développé par Facebook) pour établir sa supériorité dans une expérience de jeu avec des joueurs humains, ce risque demeure important dans le résultat d’un tournoi puisqu’un joueur jouera environ 200 mains par jour. Dans le cadre du Main Event de la WSOP auquel a participé M. Duhamel en 2010, qui est généralement le plus gros tournoi, M. Duhamel indique y avoir joué 1 850 mains environ, tandis que M. Heeb a évalué qu’il aurait plutôt joué 3 000 mains.

[206] Selon M. Heeb, le hasard est d’une grande importance au niveau d’une seule main. De même, après 60 mains, le hasard prévaut toujours sur l’habileté. Toutefois, selon M. Heeb, il faut examiner le nombre de mains jouées par année plutôt que dans le seul cadre d’un même tournoi pour conclure à cet égard. Vu l’expérience de Pluribus, et étant donné que M. Duhamel joue en moyenne 20 240 mains par année dans les tournois en présence et 38 829 mains en moyenne dans les tournois en ligne, le risque attribuable à la distribution des cartes est diversifié et devient donc négligeable pour lui.

[207] Puisqu’il ressort de la preuve que les joueurs de tournois de poker tentent de maximiser leurs gains à chaque tournoi, et non pas à chaque main comme dans le cas des parties libres, la Cour conclut qu’il est plus approprié de faire l’analyse du nombre de mains nécessaire pour rendre le risque de distribution des cartes diversifiable par tournoi plutôt que par année. Ainsi, l’opinion de M. Dufour est plus convaincante à cet égard. La Cour conclut donc que la distribution des cartes constitue une composante importante et substantielle de hasard au jeu de poker.

Les décisions des joueurs :

[208] Selon M. Dufour, en appliquant la théorie mathématique des jeux, posant comme hypothèse que chaque joueur est un agent rationnel, les stratégies optimales dans le jeu de poker reposent, au final, sur le pur hasard. Également, selon cette même théorie, les décisions des joueurs sont principalement prises au hasard et le « bluff » a disparu. Puisque, dans la réalité, les joueurs ne sont pas des modèles d’agents rationnels parfaits, la composante du hasard s’en trouve d’autant plus grande. Selon M. Dufour, le programme d’intelligence artificielle ne fait jamais de calculs pour déterminer si l’adversaire bluffe ou non, mais utilise plutôt une matrice de jeux aléatoires optimale.

[209] M. Heeb n’est pas en désaccord avec l’explication sur la théorie mathématique des jeux donnée par M. Dufour. Toutefois, selon lui, cela ne vaut que si les joueurs jouent de façon optimale, ce qui n’est pas le cas dans la réalité. Pour M. Heeb, le processus décisionnel des joueurs est précisément ce qui donne au poker son élément d’habileté et l’une de ces habiletés est de « bluffer » ou de savoir détecter le « bluff » chez son adversaire.

[210] La Cour retient l’idée que la théorie mathématique des jeux démontre que l’habileté ne joue aucun rôle au jeu de poker lorsque chaque joueur joue selon les stratégies optimales. Or, il ressort de la preuve que ces stratégies optimales du jeu de poker à plus de deux joueurs ne sont pas connues à ce jour. Comme il est improbable que les joueurs de poker jouent réellement selon les stratégies optimales, les conclusions de M. Dufour quant à la théorie des jeux demeurent théoriques. Cet élément ne permet donc pas à la Cour de déterminer la part du hasard ou de l’habileté dans les résultats au jeu de poker lorsque ce jeu se déroule entre joueurs humains, mais il permet malgré tout de conclure que cela augmente l’importance du hasard dans les résultats au jeu de poker.

La distribution des gains et la probabilité de ruine :

[211] Selon M. Dufour, la source la plus importante de hasard dans les résultats de M. Duhamel au jeu de poker se trouve dans la distribution de ses gains et pertes dans le temps.

[212] Pour les motifs suivants, la Cour conclut que les opinions émises par M. Dufour à cet égard sont convaincantes et crédibles et qu’il a démontré que le succès de M. Duhamel est principalement dû au hasard dans la distribution des gains et pertes de poker et qu’il avait une probabilité de ruine très élevée en 2010 en se lançant dans ses activités de jeu de poker. En tenant compte également des opinions émises par M. Heeb à cet égard, la Cour conclut en outre que la probabilité de ruine de M. Duhamel était toutefois moindre que le taux de 87 % calculé par M. Dufour, mais également bien supérieure au taux de 50 % calculé par M. Heeb.

[213] Tout d’abord, il ressort de l’analyse des résultats de M. Duhamel au cours des années une grande asymétrie dans ceux-ci. M. Duhamel a toujours joué à perte au cours de la période de 2010 à 2015 dans le cadre des 1 335 tournois en ligne. Pour les 577 tournois en présence auxquels il a participé au cours de la période de 2010 à 2018, si l’on retire le gain du Main Event de la WSOP de novembre 2010 et celui du tournoi One Drop High Roller de juin 2015, M. Duhamel a joué à perte au cours de la période de 2010 à 2018. Il a toutefois fait des gains dans le cadre des parties privées en 2011, 2012, 2015 et 2017.

[214] En vertu de la théorie actuarielle de la ruine et la simulation de Monte‐Carlo, et tout en permutant l’ordre des tournois, M. Dufour conclut que la probabilité de ruine de M. Duhamel serait d’environ 87 % à 89 %. M. Dufour conclut donc que le hasard a joué une part déterminante dans les résultats de poker de M. Duhamel. Si c’était à refaire, M. Duhamel aurait 87 % de chance d’être ruiné et de devoir arrêter de jouer avec des pertes cumulées de 100 000 $.

[215] M. Dufour est d’avis également que la probabilité de ruine indiquée ci‐dessus est sans doute très sous-estimée puisqu’en réalité, le jeu de poker est un jeu à espérance négative, puisque dans le cadre de tournois de poker, il est extrêmement improbable qu’un joueur ait une espérance positive de gain, même s’il prend à chaque fois une décision optimale, puisque la bourse totale (obtenue par la totalité des frais d’entrée) est amputée de 8 à 13 % pour les pourboires aux croupiers et les frais du casino. M. Heeb est plutôt d’avis que des joueurs habiles ont une expectative positive de gain.

[216] Ainsi, selon M. Dufour, la chance d’avoir gagné un gros montant au début de ses activités de poker a contribué au succès de M. Duhamel. M. Heeb reconnait également l’impact d’un gain important en début de carrière et l’importance du calcul de la probabilité de ruine. Il recommande ainsi à la Cour de considérer ce facteur dans sa décision.

[217] Bien que M. Heeb est d’avis que les calculs de M. Dufour sont exacts sur le plan mathématique, il soutient que ces résultats ne sont pas réalistes puisqu’ils reposent sur l’hypothèse qu’un joueur se mettrait volontairement en ruine pour s’inscrire à un tournoi auquel il n’a pas les moyens financiers de participer. En effet, un joueur de poker peut mitiger les risques associés au jeu de poker de plusieurs façons.

[218] M. Heeb a également effectué une simulation de Monte‐Carlo, en utilisant une stratégie de gestion financière qui tient en compte l’hypothèse qu’un joueur ne va pas s’inscrire à un tournoi dont le coût d’entrée excèderait soit 2 % (stratégie conservatrice), 3 % (stratégie un peu plus agressive) ou 5 % (stratégie agressive) de la valeur de ses fonds disponibles. La probabilité de ruine est alors de 21 %, 32 % et 50 %, respectivement, selon la stratégie de gestion de fonds utilisée (2 %, 3 % ou 5 %), sur la même période de jeu de 9 ans.

[219] M. Heeb propose également diverses stratégies de gestion de fonds :

  • i) Conclure des ententes de partage des frais d’entrée;

  • ii) Augmenter les fonds disponibles par d’autres sources de revenus (en jouant à des tournois de poker en ligne, par exemple);

  • iii) Ne pas s’inscrire à un tournoi trop coûteux en lui préférant un tournoi à frais d’entrée moindre.

[220] Bien que la Cour retient l’idée qu’un joueur peut mitiger les risques associés au jeu de poker de ces diverses façons, il ressort toutefois de la preuve que M. Duhamel n’a pas suivi de telles stratégies de gestion de fonds. Conséquemment, la Cour conclut que les calculs de la probabilité de ruine effectués par M. Heeb ne sont pas représentatifs de la situation de M. Duhamel.

[221] Tout d’abord, il ressort de la preuve qu’environ cinq ententes de partage de coûts d’entrée sur plus de 1 900 tournois ont été conclues par M. Duhamel. Il a également été démontré qu’en l’absence de telles ententes, M. Duhamel se serait tout de même inscrit aux tournois (sauf en ce qui concerne certains tournois de la Fondation One Drop).

[222] La stratégie selon laquelle un joueur peut augmenter ses fonds disponibles en jouant à des tournois en ligne n’est malheureusement pas une stratégie rentable pour M. Duhamel puisqu’il ressort de la preuve qu’il joue à perte dans ce type de tournois. En effet, lorsque les résultats des tournois en ligne sont ajoutés à l’analyse de la probabilité de ruine effectuée par M. Dufour, il y a effectivement une augmentation du pourcentage de probabilité de ruine.

[223] Finalement, en ce qui concerne la troisième stratégie, selon la prépondérance des probabilités, il ressort de la preuve que M. Duhamel ne pratiquait pas ce type de gestion de risques. Tout d’abord, M. Duhamel a témoigné qu’il préférait s’inscrire à des tournois à frais d’entrée élevés puisque cela contribuait au plaisir d’y jouer. De plus, il est établi que, pour les deux tournois en présence pour lesquels les frais d’entrées ont été prouvés, et auxquels M. Duhamel s’est inscrit avant le Main Event de la WSOP de novembre 2010, il a déboursé plus de 10 % de ses fonds disponibles. Finalement, les frais d’entrée de 10 000 $US payés pour l’inscription au Main Event de la WSOP représentent également plus de 10 % de son encaisse. Après avoir gagné ce tournoi, M. Duhamel n’était vraisemblablement plus limité dans son encaisse de façon importante. Toutefois, vu son comportement avant la tenue du Main Event de la WSOP, il aurait vraisemblablement continué de débourser des proportions importantes de son encaisse pour s’inscrire à des tournois.

[224] L’analyse de la probabilité de ruine effectuée par M. Heeb est fondée sur l’hypothèse que le joueur suivra strictement la stratégie proposée; dans le cas où cette stratégie n’est pas suivie, la probabilité de ruine s’accroît.

[225] Bien que la critique faite par M. Heeb portant que M. Duhamel n’aurait pas dépensé l’entièreté de ses fonds pour s’inscrire à un tournoi est valable, il ressort de la preuve que M. Duhamel n’a pas suivi les stratégies de gestion de fonds décrites par M. Heeb. La Cour conclut donc que l’analyse de la probabilité de ruine telle qu’effectuée par M. Dufour a plus de poids à l’égard de la situation spécifique de M. Duhamel.

Le rendement sur investissement :

[226] En analysant les résultats de 23 tournois en présence tenus par la WSOP en 2011 et 2012, et en utilisant une méthode développée par la littérature (auteurs Levitt & Miles), M. Heeb a calculé le rendement sur investissement du groupe des joueurs les plus habiles et celui du groupe des joueurs les moins habiles. Selon ses analyses, le groupe des joueurs les plus habiles obtient un rendement sur investissement de 37 % alors que le groupe des joueurs les moins habiles obtient plutôt un rendement sur investissement négatif de 10 %; en moyenne, pour tous les joueurs, le rendement sur investissement est négatif de 7 %. M. Heeb a indiqué que ses analyses mesurent le rendement sur investissement pour un groupe de joueurs et non pas le rendement effectif d’un joueur.

[227] En étudiant les résultats des tournois en présence de M. Duhamel de 2010 à 2018, M. Heeb a conclu que M. Duhamel est un joueur de tournoi de poker très habile. Plus spécifiquement, sur cette période de 9 ans, il a fait des profits de plus de 6 M$, ce qui est équivalent à son expectative de rendement, alors qu’un joueur de poker typique aurait eu une expectative de perte de 159 800 $.

[228] M. Heeb n’a toutefois pas fait son analyse à l’égard des tournois en ligne et des parties privées de M. Duhamel et il ne peut donc pas démontrer que M. Duhamel est un joueur habile de façon plus générale. De plus, comme il a été démontré précédemment, le rendement positif de M. Duhamel dans les tournois en présence n’est dû qu’au succès remporté dans le cadre de deux tournois, dont le Main Event de la WSOP remporté en 2010.

[229] Vu la preuve, l’on constate aussi que M. Duhamel n’a pas obtenu ce rendement sur investissement de 37 % si l’on considère tous les résultats de ses activités de jeu. Puisque cette analyse mesure le rendement pour un groupe de joueur, elle n’est donc pas utile pour répondre à la question en litige. Elle permet toutefois de donner plus de poids à la conclusion de M. Dufour selon laquelle les joueurs de poker ont une espérance de gain négative, puisque l’analyse de M. Heeb démontre qu’en moyenne, les joueurs de poker ont un rendement sur investissement négatif de 7 %.

La formule de mesure d’habileté développée par M. Heeb :

[230] Lors de l’affaire Dicristina, M. Heeb a construit une formule pour mesurer la part d’habileté dans le jeu de poker, et non pas la part d’habileté d’un joueur en particulier :

Habileté = 2(probabilité que le joueur plus habile gagne – 0,5)

En utilisant cette formule, M. Heeb a, notamment, mesuré la part d’habileté dans 653 tournois de poker en présence (équivalant approximativement au nombre de tournois en présence auxquels a participé M. Duhamel sur une période de 9 ans). Selon M. Heeb, la part d’habileté dans les tournois de poker en présence est de 65 % et la part du hasard est de 35 % après 653 tournois.

[231] Pour les motifs suivants, la Cour est toutefois d’avis que cette formule ne fonctionne tout simplement pas, comme l’a expliqué M. Dufour.

[232] Tout d’abord, cette formule ne fonctionnera que dans le cas où un joueur habile s’oppose à un joueur qui ne l’est pas. En effet, les deux experts s’entendent pour dire que plus les joueurs sont de compétence égale, plus le hasard joue un grand rôle, au point où dans le cas de deux joueurs de compétence égale, l’habileté ne joue plus aucun rôle dans les résultats au jeu de poker.

[233] En outre, M. Heeb avait émis préalablement l’opinion dans le Rapport Heeb que les tournois de poker en présence sont d’autant plus un jeu où l’habileté prévaut puisque, contrairement au jeu en ligne, un joueur peut deviner les cartes détenues par son adversaire en fonction de l’attitude de ce dernier. Toutefois, avec cette mesure, M. Heeb calcule plutôt un taux de 65 % d’habileté après 653 tournois en présence, alors qu’il avait mesuré un taux de 81 % d’habileté pour les parties libres en ligne après 500 mains. Rappelons que, selon M. Heeb, il peut y avoir jusqu’à 3 000 mains jouées dans un seul tournoi.

[234] Ainsi, tout comme l’indique M. Dufour dans la Réponse Dufour (par. 57), « [l]a question du “pourcentage des habiletés et du hasard dans la probabilité de l’emporter au poker” ne peut être répondue, car elle est foncièrement très mal définie et elle dépend fortement du contexte et notamment du nombre de mains jouées [...] et de la force des adversaires [...] ».

[235] M. Heeb aura réussi à démontrer que le jeu de poker n’est pas un jeu de hasard pur sans parvenir à démontrer que l’habileté y prévaut.

[236] De plus, lorsque M. Heeb fait face à un problème pouvant affecter la validité de sa thèse, il semble l’ajuster de manière à confirmer ses conclusions plutôt que de reconnaître qu’elles pourraient ne pas être valides. Notamment, dans la Réponse Heeb, M. Heeb affirme que sa mesure n’est qu’approximative et sous‐estime la part d’habileté puisque, dans sa version idéale, elle doit comparer le meilleur joueur au monde au pire joueur. Or, cette explication n’apparait nulle part dans le Rapport Heeb. Il est étrange qu’une composante aussi fondamentale de la théorie de M. Heeb n’apparaisse pour la première fois qu’en réponse aux critiques de M. Dufour. Cela affecte la fiabilité de la formule de M. Heeb. Comme l’a mentionné M. Dufour : « La méthode scientifique, [...], elle est efficace, mais un peu cruelle et impitoyable. Quand on a une théorie ou une mesure qui donne un résultat qui ne tient pas la route, on doit l’abandonner ». [5]

7.5 L’existence d’un système de gestion ou d’atténuation des risques

[237] Selon l’appelant, le facteur de l’existence d’un système de gestion ou d’atténuation des risques est le critère clé pour déterminer la question de la commercialité des activités de jeu de poker de M. Duhamel. En l’espèce, vu la preuve, il n’aurait pas été démontré que M. Duhamel employait un système quelconque pour gérer ou minimiser ses risques.

[238] Selon l’intimée, il ressort de la preuve que M. Duhamel gère de façon attentive le choix de ses tournois en fonction des frais d’entrée de ceux‐ci et que PokerStars rembourse à JD Co. les frais d’entrée à de nombreux tournois. Ainsi, il a été démontré que M. Duhamel gère et minimise ses risques de perte. De plus, M. Duhamel gèrerait les risques relatifs à ses activités de jeu de poker au moyen d’ententes de partage de gains et par la vente de parts de gains de certains tournois de poker.

[239] Pour les motifs suivants, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que M. Duhamel n’employait aucun système ou stratégie de gestion ou d’atténuation des risques relatifs à ses activités de jeu de poker. Il ressort clairement de la preuve que M. Duhamel n’agissait pas comme un homme d’affaires sérieux dans le cadre de ses activités de jeu de poker.

[240] Tout d’abord, la Cour conclut qu’il n’a pas été démontré que M. Duhamel a mis en place des moyens systématiques et sérieux de gagner des tournois. M. Duhamel n’emploie pas de méthode pour récolter des informations sur ses adversaires de jeu. Dans son témoignage, M. Duhamel a indiqué qu’il n’employait pas les différents programmes donnant les statistiques sur les joueurs (Holdem Manager ou Poker Tracker) ayant indiqué que, bien qu’il ait essayé de les utiliser, cela le dérangeait et le déconcentrait. Il faut aussi noter que ces programmes ne peuvent être utilisés que dans les tournois en ligne. De plus, en ce qui concerne ces tournois, à moins de connaitre les noms d’usager des joueurs, il n’est pas possible de connaître son adversaire.

[241] Puisque, notamment, les places aux différentes tables des tournois sont choisies au hasard, il est impossible de connaitre ses adversaires d’avance ou encore de les choisir en fonction de leurs forces ou faiblesses. Ainsi, dans le cadre des tournois, M. Duhamel ne pouvait choisir ou éviter un joueur en particulier. Il n’y aurait donc pas eu d’avantage à se préparer pour un tournoi en étudiant les jeux antérieurs d’adversaires potentiels. De plus, il est clair, vu la preuve, que M. Duhamel n’étudiait pas le jeu de ses adversaires potentiels.

[242] De plus, vu la preuve, il a été démontré que M. Duhamel participait à des tournois de poker et non pas à des parties libres au cours desquelles il aurait pu cesser de jouer dès qu’il perdait ou qu’il gagnait une grosse somme. Dans le cadre des parties privées, il a aussi été démontré que M. Duhamel ne pouvait pas vraiment se retirer avant la fin de la soirée.

[243] Il a été établi que, au cours des années en cause, soit en 2010, 2011 et 2012, M. Duhamel faisait très souvent la fête et arrivait parfois aux divers tournois dans un état de « lendemain de veille ». Ainsi qu’indiqué précédemment, M. Fournier‐Giguère a confirmé la vraisemblance de cette partie du témoignage de M. Duhamel. Il est donc clair que M. Duhamel n’agissait pas en homme d’affaires sérieux et ne prenait pas de mesures particulières pour performer dans le cadre des différents tournois auxquels il a participé.

[244] Il ressort aussi de la preuve que M. Duhamel n’a fait aucune préparation particulière aux fins du Main Event de la WSOP, tournoi au cours duquel il a réalisé son plus gros gain au jeu de poker. Dans le cadre des parties privées, il est établi que les plaisirs de la table (bonne chère et bons vins) étaient très présents et que M. Duhamel en profitait pleinement.

[245] M. Duhamel n’a conclu que très rarement des ententes de partage de frais d’entrée ou de partage de gains. M. Duhamel a conclu des ententes de partage de frais d’entrée à trois reprises, soit pour les tournois de la Fondation One Drop tenus en 2012, 2015 et 2018. De plus, en 2011, il a vendu 17 % des parts de ses gains au tournoi WCOOP 61 du 25 septembre 2011 pour 1 700 $. Il a aussi vendu 17,2 % des parts de ses gains de sa participation au tournoi PCA Nassau du 5 janvier 2012 pour 17 200 $.

[246] En outre, M. Duhamel a conclu des ententes de partage de gains de tournois avec certains amis participant au Main Event de la WSOP en 2010. C’est ainsi que M. Duhamel a convenu de partager 46 % de ses gains, mais en contrepartie, ses amis ont fait de même. Il ressort de la preuve que, effectivement, M. Duhamel a distribué 46 % de la bourse gagnée dans le cadre de ce tournoi, conformément aux ententes de partage, et il a aussi reçu 5 % des gains d’un autre participant. En juillet 2010, l’entente a été faite verbalement; suite à la qualification de M. Duhamel pour la table finale, ces ententes ont été mises par écrit.

[247] Le nombre d’ententes de partage de frais d’entrée et de partage de gains est donc minime par rapport au nombre total de tournois en présence et en ligne joués par M. Duhamel. Puisqu’il a participé à 577 tournois en présence et 1 335 tournois en ligne au cours de la période de 2010 à 2018, cet élément ne peut être considéré comme faisant partie d’une stratégie de gestion ou d’atténuation des risques mise en place par M. Duhamel dans le cadre de ses activités de jeu de poker.

[248] De plus, bien que l’un des objets des ententes de partage de gains conclues avec d’autres participants soit la gestion des risques, la Cour tient aussi compte du témoignage de M. Duhamel portant que de telles ententes sont conclues pour créer un esprit d’équipe et non pas pour minimiser le potentiel de pertes. Le témoignage de M. Fournier‐Giguère, qui a signé une telle entente avec M. Duhamel, tend effectivement à confirmer le but de ces ententes, puisque M. Fournier‐Giguère est retourné à Las Vegas en novembre 2010 pour assister à la table finale, alors qu’il avait perdu dès les premiers jours de ce tournoi qui avait débuté en juillet 2010.

[249] Il ressort bel et bien de la preuve que M. Duhamel ne pratiquait pas de stratégies de gestion financière de son encaisse, ainsi que l’a soutenu M. Heeb. Comme mentionné précédemment, la Cour retient le témoignage de M. Duhamel selon lequel il préfère jouer à des tournois à frais d’entrée élevés, puisque cela contribue à son plaisir de jouer au poker. De plus, il est établi que M. Duhamel a parfois déboursé plus de 10 % de son encaisse à cet égard.

7.6 L’évaluation globale et l’intention subjective

[250] Vu l’examen des divers facteurs objectifs de commercialité, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que M. Duhamel n’exerçait pas ses activités de jeu de poker de la même façon que l’aurait fait un homme d’affaires sérieux, et cela tend à confirmer la vraisemblance du témoignage de M. Duhamel portant que le jeu de poker est un loisir ou un divertissement, qu’il joue par passion du jeu et qu’il n’avait pas l’intention de gagner sa vie en jouant au poker.

[251] Bien que M. Duhamel ne joue pas au poker pour perdre, et que, comme n’importe quel joueur, que ce soit dans le cadre d’un loisir ou dans le cadre d’une entreprise, il joue pour gagner et donc, pour réaliser un profit (Leblanc, par. 29), la Cour retient le témoignage de M. Duhamel portant qu’il n’a jamais eu l’intention de gagner sa vie en jouant au poker, autant avant qu’après avoir gagné au Main Event de la WSOP en 2010 et qu’après avoir signé la Convention PokerStars qui lui a permis de voyager à travers le monde tout en faisant la promotion de PokerStars.

[252] Depuis qu’il a gagné au Main Event de la WSOP, et compte tenu, entre autres, des revenus de commandite versés par PokerStars à JD Co., M. Duhamel n’a pas besoin d’occuper un travail rémunérateur et peut subvenir à ses besoins. M. Duhamel témoigne donc qu’il peut continuer à jouer au poker par passion du jeu. Au moment de l’audience, il n’occupait pas d’emploi et prenait soin de ses deux jeunes enfants, alors que sa conjointe travaille comme professeur.

[253] Puisqu’il ressort de la preuve que le hasard est un élément très important dans les résultats au jeu de poker, que les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne démontrent pas une capacité de générer des profits, que la probabilité de ruine de M. Duhamel dans le cadre de ses activités de jeu de poker est bien supérieure à 50 % (mais inférieure à 87 %), que M. Duhamel n’agit pas comme un homme d’affaires sérieux dans le cadre de ses activités de jeu de poker, que M. Duhamel n’a mis au point aucun système de gestion ou d’atténuation des risques dans le cadre de ses activités de jeu de poker et que les résultats financiers de ses tournois ne démontrent aucune constance ni progression dans les résultats, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les activités de jeu de poker de M. Duhamel ne sont pas exercées de manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu d’entreprise aux fins de la Loi. Conséquemment, les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel ne doivent pas être inclus dans le calcul de son revenu aux termes des articles 3 et 9 pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

VIII. CONCLUSION

[254] Pour ces motifs, les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012 sont admis, avec dépens en faveur de l’appelant. Les gains nets tirés des activités de jeu de poker de M. Duhamel ne doivent pas être inclus dans le calcul de son revenu aux termes des articles 3 et 9 pour les années d’imposition 2010, 2011 et 2012.

[255] Les parties ont jusqu’au 22 juillet 2022 pour arriver à une entente sur les dépens. À défaut d’une entente dans ce délai, les parties devront déposer à la Cour leurs observations écrites d’au plus 10 pages au plus tard le 26 août 2022.

Signé à Montréal (Québec), ce 21e jour de juin 2022.

« Dominique Lafleur »

Juge Lafleur


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 66

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2018-1782(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JONATHAN DUHAMEL ET
SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec) :

1, 2, 3, 4, 5, 22, 23, 24, 25 et 26 novembre 2021 et Ottawa (Canada) : 14 décembre 2021

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 1, 2, 3, 4, 5, 22, 23, 24, 25 et 26 novembre 2021, et le 14 décembre 2021

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L'honorable juge Dominique Lafleur

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 juin 2022

COMPARUTIONS :

Avocats de l'appelant :

Me Yves Ouellette

Me Guy Régimbald

Me Tristan Joanette

Avocats de l'intimée :

Me Grégoire Cadieux

Me Sonia Bédard

Me Julien Wohlhuter (22 et 23 novembre 2021)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

Nom :

Me Yves Ouellette

Me Guy Régimbald

Me Tristan Joanette

Cabinet :

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Canada)

 



[1] Balanko v. M.N.R., [1981] CTC 2977, 1981 CarswellNat 436 (Commission de révision de l’impôt) (« Balanko »), par. 9 (confirmé en appel dans The Queen v. Balanko, [1988] 1 CTC 317, 1988 CarswellNat 282 (Cour fédérale – Section de première instance), par. 16; Leblanc, par. 36.

[2] Article 40 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-5; Canada (Revenu national) c. Hardy, 2018 CAF 103, par. 13.

[3] Promutuel Drummond Société Mutuelle d’Assurance Générale c. Gestion Centre du Québec Inc., [2002] RRA 695, 2002 CanLII 41139 (QC CA), par. 46.

[4] Arcand c. Cayer, [2004] JQ no 12126 (CQ), par. 72-75; voir aussi Taperek c. Taperek, 2016 QCCS 5101, par. 134; Nadeau c. Nadeau, [2005] RL 454, 2005 CanLII 24701 (QC CS), par. 4-5, 8; Hardy c. Industrielle Alliance, [2002] RRA 1018, 2002 CanLII 512 (QC CS), par. 43, 47.

[5] Transcription du 5 novembre 2021, p. 141, lignes 7‐11.

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