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Dossier : 2020-582(IT)I

ENTRE

JEFFREY C. CHAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 31 mars 2022 à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge B. Russell


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Jesse Waslowski

Avocat de l’intimée :

Me Christopher Ware

 

JUGEMENT

L’appel est accueilli. Les trois nouvelles cotisations du 2 avril 2019 sont renvoyées au ministre pour réexamens et nouvelles cotisations pour le motif que l’appelant n’est pas passible de pénalités au titre des alinéas 162(7)a) et 162(10)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 au fédéral. Le présent appel étant une procédure informelle, la somme fixe de 3 000 $ est accordée à l’appelant.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 29e jour de juillet 2022.

« B. Russell »

Le juge Russell

 


Référence : 2022 CCI 87

Date : Le 29 juillet 2022

Dossier : 2020-582(IT)I

ENTRE

JEFFREY C. CHAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

Aperçu et question en litige

[1] L’appel de Jeffrey C. Chan (l’appelant) porte sur trois nouvelles cotisations pour ses années d’imposition 2013, 2014 et 2015, cotisations établies le 2 avril 2019 par le ministre du Revenu national (le ministre). Le ministre a ratifié ces nouvelles cotisations le 29 novembre 2019, d’où le présent appel.

[2] Plus précisément, l’appelant conteste les pénalités imposées à chaque nouvelle cotisation du présent appel; la première résulte de l’application du paragraphe 162(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) pour ne pas avoir rempli le formulaire « T-1135 Bilan de vérification du revenu étranger », obligation prévue au paragraphe 233.3(3) de la Loi; la deuxième est prévue à l’alinéa 162(10)a) de la Loi et s’applique à ceux qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde, ne produisent pas une déclaration de renseignements.

[3] L’appelant soutient que l’établissement des nouvelles cotisations est une erreur, car il n’a pas la propriété effective du bien étranger concerné, à savoir un compte de la Banque de Chine ouvert à son nom en mai 2011 et dans lequel son père Joseph Chan a versé des fonds. Joseph Chan est décédé le 7 février 2018.

[4] Selon la thèse de l’intimée, c’est durant les années d’imposition liées aux cotisations en litige que l’appelant était propriétaire du compte de la Banque de Chine dont il est question et l’appelant avait par conséquent l’obligation légale de remplir le formulaire T1135 associée à ce compte.

[5] Apparemment, le ministre a établi une nouvelle cotisation de la succession de feu Joseph Chan et imposé les mêmes pénalités concernant le même compte de banque, probablement pour le motif suivant : si l’appelant qui n’avait pas l’obligation légale de remplir les formulaires T1135 au cours de la période pertinente, Joseph Chan devait l’avoir.

Dispositions applicables :

[6] Le paragraphe 233.3(3) de la Loi et son alinéa b) prévoient ce qui suit :

Déclarations concernant les biens étrangers [T1135] – (3) Un déclarant pour une année d’imposition ou un exercice est tenu de présenter au ministre pour l’année ou l’exercice une déclaration sur le formulaire prescrit au plus tard à la date suivante :

– b) sinon, la date d’échéance de production qui lui est applicable pour l’année.

[7] Les parties pertinentes du paragraphe 162(7) prévoient ce qui suit :

Inobservation d’un règlement – Toute personne [...] qui ne remplit pas une déclaration de renseignements selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi ou ce règlement est passible, pour chaque défaut 00 [...] d’une pénalité [...]

[8] Voici les parties pertinentes du paragraphe 162(10) et de son alinéa a) :

Renseignements omis sur des non-résidents – Est passible d’une pénalité égale [...] toute personne ou société de personnes qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde :


a) ne produit pas une déclaration de renseignements


selon les modalités et dans le délai prévus par l’un des articles 233.1 à 233.4 [...]

Preuve

[9] Deux personnes ont témoigné. Il s’agit de l’appelant et de l’auditeur C. Oliver de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

[10] Je résume. Selon le premier, l’appelant détient un diplôme d’études supérieures en comptabilité. Au cours de la période allant de 2013 à 2015, il occupait le poste d’analyste financier et il est à présent gestionnaire de la trésorerie. Il parle anglais et un peu de chinois. En 2011, quand l’appelant avait 24 ans, son père Joseph, lui aussi comptable, avait demandé à son fils de l’accompagner dans un voyage en Chine, aux frais du père, lors duquel Joseph Chan a ouvert le compte no 0322 (pièce R-1) à la Banque de Chine.

[11] Selon le témoignage de l’appelant, l’intention du père était d’ouvrir le compte conjointement avec son fils. La Banque de Chine s’y opposait, mais proposait d’ouvrir le compte au nom d’une seule personne. Elle n’autorisait pas non plus la procuration sur le compte. Joseph Chan a donc décidé d’ouvrir le compte à la Banque de Chine au nom de son fils, l’appelant, et c’est ce qui a été fait. Ce compte a été alimenté par le père seulement.

[12] En 2014, la Banque de Chine a autorisé le pouvoir de procuration à Joseph Chan sur ce compte. Cette même année, l’appelant a signé le contrat de procuration autorisant son père à gérer le compte. Joseph Chan pouvait apparemment gérer ce compte en ligne.

[13] Il avait dit à son fils, l’appelant, que le compte à la Banque de Chine permettait d’avoir des fonds en devise chinoise et une présence en Chine qui l’aideraient à demander la réparation d’une injustice subie par son père, le grand-père de l’appelant. Celui-ci, en effet, avait été exécuté après la fin de la guerre civile en Chine, à la fin des années 1940. Selon le témoignage de l’appelant, Joseph Chan était réticent à parler de sujets personnels de ce genre, même avec les membres de sa famille, notamment avec l’appelant lui-même et la femme de Joseph Chan. L’appelant précise dans son témoignage que la demande de réparation était un processus [traduction] « très, très peu structuré », à mille lieues du dépôt d’un formulaire dûment rempli.

[14] En dernière analyse, il s’avère difficile d’établir si l’existence du compte a facilité les efforts du père de l’appelant. L’appelant a traité de façon générale de la présence que Joseph Chan a pu avoir en Chine, alors qu’il n’y vivait pas, par l’établissement d’un compte à la Banque de Chine.

[15] L’appelant n’a effectué aucune opération sur le compte de la Banque de Chine sans avoir d’abord reçu une demande expresse de son père. De plus, c’était Joseph Chan qui conservait la carte bancaire et le NIP qui permettait d’accéder au compte. De plus, selon le témoignage de l’appelant, le père s’est servi de la procuration lorsqu’il se rendait en Chine et s’est servi des guichets de ce pays pour effectuer certaines opérations sur le compte. D’après son témoignage, l’appelant considérait que ce compte était celui de son père.

[16] De plus, Joseph Chan demandait à l’occasion à son fils de l’aider à effectuer certaines opérations sur le compte de la Banque de Chine en ligne, car il n’était pas féru de technologie. C’est Joseph Chan qui conservait les relevés de compte de la Banque de Chine, et non pas l’appelant. Ce compte servait également à Joseph Chan de compte de placement. L’appelant n’a gardé aucun de ses propres placements dans le compte de la Banque de Chine; en outre, ses placements étaient généralement des actions à 100 % ou avaient un risque plus élevé, alors que les placements du père transitant par ce compte étaient à faible risque.

[17] L’appelant est d’avis que lorsque son père est décédé intestat en 2018, le compte de la Banque de Chine appartenait à sa mère. À peu près à cette époque, il y avait plus de 2 millions de CAD en devise chinoise dans ce compte.

[18] Lors du contre-interrogatoire, l’appelant a admis la conclusion de l’ARC selon laquelle son père Joseph Chan avait eu des revenus non déclarés dans l’intervalle de 2007 à 2016 issus, semble-t-il, de l’exploitation du cabinet comptable de Joseph Chan, qui préparait de fausses déclarations de revenus au moyen de faux formulaires T1 et T4. L’appelant a dit ne pas en avoir eu connaissance. Il a aidé son père prépare de 100 à 200 déclarations par année, mais il a expliqué que son aide se limitait à faire de l’entrée de données le soir parce que, encore une fois, son père n’était pas féru de technologie. L’appelant mettait son attention sur son emploi de jour.

[19] L’appelant admet que, selon la documentation, il était seul propriétaire du compte de la Banque de Chine. La procuration qu’il a signée en 2014 a donné à son père Joseph Chan l’accès en ligne au compte. L’appelant a pourtant aidé Joseph Chan à effectuer des opérations en ligne parce que celui-ci n’était pas « féru » de technologie.

[20] Lors des années d’imposition 2016 à 2019, l’appelant a produit le formulaire T1135, en précisant, semble-t-il, qu’il était propriétaire apparent du compte pour son père et la succession de son père, après le décès de celui-ci en 2018. Le contrôle fiscal de Joseph Chan par l’ARC qui commençait en 2016 aurait suscité, semble-t-il, la production des formulaires.

[21] Ce contrôle a été mené par le deuxième témoin, que l’appelant at lui aussi convoqué, le vérificateur de l’impôt sur le revenu à l’étranger à l’ARC, C. Oliver. Le contrôle fiscal de Joseph Chan a fini par inclure avec le temps la vérification de l’appelant.

[22] Pour résumer le témoignage de M. Oliver, Joseph Chan aurait, dans l’exercice de sa pratique comptable au Canada, accumulé des fonds déposés dans le compte de la Banque de Chine par la perception de revenus non déclarés de placement, des revenus non déclarés de location et des revenus non déclarés provenant de la préparation de déclarations de formulaires T1 valides et non valides.

[23] M. Oliver a mentionné que Joseph Chan remplissait des déclarations de revenus pour des individus ne résidant pas au Canada. Le montant des remboursements pour ces déclarations était considérable. Selon le témoignage de M. Oliver, la prestation fiscale pour le revenu de travail était telle que même un revenu inscrit au T4 de sept à dix mille dollars pouvait générer un remboursement. De plus, il existait d’autres sources de revenu inapproprié. C’est ce qui explique l’accumulation d’environ deux millions de dollars canadiens en revenus non déclarés pour lesquels l’ARC a établi des cotisations pour la période pertinente.

[24] Dans son témoignage, l’appelant dit ne pas avoir été au courant que son père avait commis des actions inappropriées dans l’exercice de sa pratique comptable jusqu’au moment de cette découverte par l’ARC lors du contrôle fiscal et à l’aveu de son père.

[25] Lors du contrôle fiscal de Joseph Chan, M. Oliver a reçu la lettre de l’avocat de Joseph Chan datée du 23 août 2017. (Joseph Chan et l’appelant n’étaient pas représentés par le même avocat.) L’avocat répondait à une exigence de l’ARC, en application de l’article 231.1 de la Loi, visant à obtenir certains renseignements sur Joseph Chan.

[26] L’une des questions de l’ARC était de savoir si, lors de la période allant de 2005 à 2015, Joseph Chan avait des comptes bancaires, de placement ou de négociation enregistrés au nom d’autres personnes qu’il contrôlait ou auprès desquelles il avait accès.

[27] Cette lettre que l’avocat a écrite au nom de son client Joseph Chan (qui allait décéder environ six mois plus tard) a fourni des renseignements au sujet du compte de la Banque de Chine dont il est question. Ce compte était l’un des trois comptes qui ont été désignés dans la lettre de l’avocat. Selon cette lettre, Joseph Chan [traduction] « avait le contrôle ou accès aux comptes de la Banque de Chine nos ...0322 et ...5614 ».

[28] Voici une partie de la suite :

Même si ces comptes ont été ouverts au nom du fils, Jeffrey Chan, c’est [Joseph Chan] qui en est le seul propriétaire. Les fonds qui ont été déposés dans ces comptes proviennent tous de [Joseph Chan]. Toutes les opérations que Jeffrey Chan a effectuées sur ces comptes avaient été demandées par [Joseph Chan]. La raison pour laquelle [Joseph Chan] a mis le nom de son fils sur les comptes était d’assurer que ces comptes seraient légués à son fils à sa mort. Les revenus non déclarés [de Joseph Chan] emplissaient le compte, et leur provenance sera présentée plus en détail dans [...] la présente lettre.

[29] Selon son témoignage, M. Oliver a conclu que le compte et les fonds qu’il contenait appartenaient à l’appelant « parce que le compte a été ouvert en son nom ».

[30] M. Oliver dit également dans son témoignage que l’ARC a appris l’existence de ce compte par l’intermédiaire de l’appelant qui a révélé, par son avocat, être le propriétaire apparent d’un compte de la Banque de Chine détenant environ deux millions de dollars et qui a fourni les relevés bancaires. Selon M. Oliver, l’appelant avait dit que le compte avait été ouvert à la demande de son père et que ce compte ne lui appartenait pas. M. Oliver a ajouté dans son témoignage que l’appelant avait dit que le compte ne pouvait pas porter le nom de son père en raison de l’exécution du grand-père par le gouvernement chinois.

Observations

[31] Dans ses observations, l’avocat de l’appelant a soutenu que deux faits importants avaient été établis, d’abord que l’appelant n’était pas le propriétaire bénéficiant du compte de banque en question et ensuite que l’appelant a raisonnablement cru qu’il n’en était pas le propriétaire. L’appel sera accueilli si l’un ou l’autre de ces faits allégués est établi. Parallèlement, il n’est pas établi que l’appelant a commis une faute lourde en croyant que son père était propriétaire du compte.

[32] De plus, l’avocat de l’appelant soutient que les nouvelles cotisations litigieuses pour les années d’imposition 2013 et 2014 sont frappées de prescription. Il reconnaît que cette question n’a pas été soulevée dans l’avis d’appel de son client. Cependant, il soutient que c’est l’intimée qui a permis de soulever la question de la prescription, puisqu’elle a établi elle-même dans sa réponse les dates pertinentes des cotisations initiales en établissant l’historique des trois années d’imposition. (Aucune des parties n’a invoqué le paragraphe 152(4) de la Loi, qui autorise l’intimée à établir une nouvelle cotisation à l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation.) Il semble que la question ait d’abord été soulevée le soir précédant l’audience, lorsque le recueil de jurisprudence de l’appelant a été remis à l’avocat de l’intimée.

[33] L’appelant fait valoir qu’il n’avait pas la propriété effective du compte du fait que son père voulait expressément que l’appelant en soit le propriétaire apparent. En outre, si les éléments de preuve ne suffisent pas à établir l’intention du défunt père, il n’en existe pas non plus pour réfuter la présomption de fiducie résultoire. L’appelant a énoncé le nécessaire d’une telle preuve, soit un transfert de titre de propriété et l’établissement de trois certitudes d’une fiducie, à savoir l’objet, le sujet et l’intention; il soutient que ces trois éléments ont été établis en l’espèce.

[34] L’appelant s’appuie également sur l’affirmation du juge Rothstein dans l’arrêt Pecore c. Pecore, [2007] 1 RCS 795, paragraphe 27, selon laquelle « la présomption de fiducie résultoire est une présomption de droit réfutable et la règle générale applicable aux transferts à titre gratuit ». Il souligne le paragraphe 44 de la même décision qui traite de la réfutation de la présomption de fiducie résultoire et de celle d’avancement selon la norme civile de la prépondérance des probabilités.

[35] L’appelant affirme également que l’appel peut être accueilli pour le motif que l’appelant avait un motif raisonnable de croire qu’il n’avait pas la propriété effective du compte en Chine. L’affirmation s’appliquerait tant à la pénalité pour faute lourde qu’à la pénalité administrative du paragraphe 162(7). Selon l’appelant, la pénalité administrative est assujettie à une défense basée sur la diligence raisonnable. Ce type de défense a fait l’objet de l’arrêt Corporation de L’École Polytechnique c Canada, 2004 CAF 127, paragraphe 28 :

La défense de diligence raisonnable permet à une personne d’éviter l’imposition d’une pénalité si elle fait la preuve qu’elle n’a pas été négligente. Elle consiste à se demander si cette personne a cru, pour des motifs raisonnables, à un état de fait inexistant qui, s’il eût existé, aurait rendu son acte ou son omission innocent [...]

[36] Pour terminer, sur la question des pénalités à faute lourde, l’appelant invoque la décision Van Der Steen c. La Reine, 2019 CCI 23, dans laquelle mon collègue le juge Sommerfeldt renvoyait à la décision Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, [1994] 2 CTC 2450 à 2457 :

Le juge doit faire preuve d’une extrême prudence lorsqu’il sanctionne l’imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) [de la Loi] […] On se doit de décourager l’imposition de routine de pénalités par le ministre [...] Le juge doit […] examiner les preuves avec grand soin et rechercher un degré de probabilité plus élevé que pour des allégations moins sérieuses. Ajoutons que, en cas d’imposition de la pénalité prévue par le paragraphe 163(2) […] si la conduite du contribuable s’accorde avec deux hypothèses viables et raisonnables, l’une justifiant la pénalité et l’autre non, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé et la pénalité doit être supprimée.

[37] Je passe à présent à l’intimée. Selon les premières observations, la question proposée de la prescription n’ayant pas été plaidée ne devrait pas être considérée. La Couronne remarque également que l’appelant est représenté par un avocat expérimenté.

[38] De plus, l’intimée invoque la décision Cassan c. La Reine, 2017 CCI 174, pour affirmer que la présomption d’une fiducie résultoire ne s’applique pas aux débats à la Cour de l’impôt lorsque le ministre plaide des hypothèses de fait qui sont tenues pour avérées (bien que réfutables selon la prépondérance des probabilités). Par conséquent, la présomption d’une fiducie résultoire ne peut servir en l’espèce à transférer le fardeau de la preuve à l’intimée.

[39] En outre, l’intimée soutient que l’appelant avait la propriété effective du compte de la Banque de Chine et que les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à prouver que le père de l’appelant était le propriétaire. Au cours du contre-interrogatoire, l’appelant admet que, selon les documents, il était seul propriétaire du compte de la Banque de Chine. De plus, l’appelant n’a pas fourni de raisons plausibles pouvant expliquer que Joseph Chan avait la propriété effective du compte en cause.

Discussion

[40] À mon avis, l’appelant n’avait pas le titre bénéficiaire du compte de la Banque Chine au cours de la période de 2013 à 2015, malgré le fait que le compte soit à son nom. Je me réfère en particulier à la déclaration précise de Joseph Chan par l’intermédiaire de son avocat en 2017 selon laquelle il avait conservé la propriété effective des fonds du compte pour la durée de sa vie, ce qui comprend les trois années d’imposition en cause.

[41] Cette déclaration de 2017 selon laquelle Joseph Chan pensait avoir la propriété effective du compte est confirmée par la conduite de Joseph Chan et de son fils au cours de la période pertinente. Les entrées de fonds dans ce compte étaient uniquement celles de Joseph Chan, que ce soit l’ouverture du compte en 2011 ou par la suite. Si les fonds qui entraient dans le compte provenaient d’une pratique comptable illégale, cela ne change en rien le fait que c’est Joseph Chan et non l’appelant qui y faisait les entrées de fonds.

[42] De plus, ce n’était que Joseph Chan, jamais l’appelant, qui se servait activement du compte au cours de la période pertinente de trois ans. C’est Joseph Chan qui participait aux opérations, usant des fonds, remettant des fonds, tout au long de cette période. L’appelant, par contre, n’effectuait aucune opération sur le compte et n’a pas utilisé les fonds du compte; il n’a fait qu’offrir de temps à temps une assistance à son père, qui n’était pas féru de technologie, à la demande de celui-ci. L’appelant considérait que les fonds du compte appartenaient à son père.

[43] Le fait qu’une partie des fonds, voire la grande partie de ces fonds provenaient de gains mal acquis n’a rien à avoir avec l’intérêt que Joseph Chan portait à ce compte au cours de la période pertinente de trois ans.

[44] De plus, selon son avocat, Joseph Chan a déclaré en 2017 que ce compte devait être légué à l’appelant après son décès. Cette déclaration est confirmée par la demande de Joseph Chan de 2011 voulant que le compte soit ouvert au nom de l’appelant. Tout cela entre en cohérence parfaite avec la conclusion selon laquelle c’était lui et non l’appelant qui, entre-temps, notamment lors des trois années d’imposition en cause et avant sa mort au début de 2018, bénéficiait de la propriété effective du compte de la Banque de Chine.

[45] Par conséquent, vu que Joseph Chan faisait des entrées de fonds dans le compte et qu’il était seul à contrôler et à utiliser le compte, il semble raisonnablement clair qu’il n’y avait que lui qui se servait et bénéficiait du compte. Par conséquent, je conclus que Joseph Chan était le propriétaire réel du compte, alors que son fils, l’appelant, n’en avait que le titre, étant le prête-nom de son père. C’est Joseph Chan et non l’appelant qui, par conséquent, à titre de propriétaire réel du compte de la Banque de Chine, avait l’obligation de remplir le formulaire T1135 pour les trois années d’imposition en cause.

[46] Pour tirer cette conclusion, je n’ai attribué aucune pertinence à la question des réparations demandées concernant l’exécution militaire du grand-père en Chine. Les éléments de preuve à cet égard étaient trop provisoires et imprécis pour que j’en tire une quelconque conclusion. Demander réparation, c’était le projet de Joseph Chan, et l’appelant connaissait peu de choses de l’affaire avant l’examen des documents du père après son décès en 2018.

[47] Il est évident que je n’accepte pas la thèse de l’intimée, selon laquelle l’appelant est nécessairement le propriétaire réel du compte parce qu’il en est le prête-nom. En dehors de tout ce qui a été dit, il fallait que le père, selon le témoignage de l’appelant, encourage voire incite son fils en 2011 à accepter que le compte de la Banque de Chine soit ouvert en son nom. Aucun élément de preuve n’indique le contraire. Il était le prête-nom de son père.

[48] Il s’ensuit par conséquent que l’appelant ne peut être passible d’aucune des pénalités visées par le présent appel pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015.

[49] Si j’ai tort de conclure que c’est Joseph Chan et non l’appelant qui détenait le droit de jouir des biens de la Banque de Chine durant les trois années d’imposition pertinentes, je considère que, pour les motifs que j’ai énoncés précédemment, l’appelant avait un motif raisonnable de croire que c’était son père et non lui-même qui détenait l’intérêt bénéficiaire de ces biens.

[50] Ce motif raisonnable de croire de ne pas être propriétaire devrait suffire à exonérer l’appelant des pénalités pour faute lourde prévues à l’alinéa 162(10)a). Le fait d’avoir une croyance aussi raisonnable est incompatible avec une conduite ou une intention de faute lourde. De même, l’appelant devrait être exonéré des trois pénalités prévues au paragraphe 162(7) pour ne pas avoir rempli une déclaration, puisque la défense de diligence raisonnable a été établie; en d’autres termes, l’appelant croyait raisonnablement à un ensemble de faits erronés qui, s’ils avaient été avérés, l’auraient innocenté de ses actes commis ou de son omission d’agir.

Conclusion

[51] L’appel est accueilli. Les trois nouvelles cotisations en cause dans le présent appel sont renvoyées au ministre aux fins de réexamen et d’établissement de nouvelle cotisation pour le motif que l’appelant n’est pas passible des pénalités au titre des alinéas 162(7)a) et 162(10)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015. Le présent appel étant une procédure informelle, la somme fixe de 3 000 $ est accordée à l’appelant.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 29e jour de juillet 2022.

« B. Russell »

Le juge Russell

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 87

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-582(IT)I

INTITULÉ :

JEFFREY C. CHAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L’AUDITION :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mars 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge B. Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 29 juillet 2022

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Jesse Waslowski

Avocat de l’intimée :

Me Christopher Ware

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Noms :

Me Jesse Waslowski

 

Cabinet :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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