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Dossier : 2020-973(GST)I

ENTRE :

COREY LIBFELD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 


Appel entendu le 7 avril 2022 à Toronto (Ontario) et observations écrites déposées par l’appelant le 13 avril 2022 et par l’intimée le 28 avril 2022.

Devant : L’honorable juge Guy R. Smith

Comparutions :

Avocats de l’appelant : Me Angelo Gentile

Me Monica Carinci

Avocate de l’intimée : Me Natasha Mukhtar

 

JUGEMENT

Conformément aux motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’égard de l’avis de cotisation daté du 30 avril 2019, lequel rejetait la demande de remboursement de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (TPS/TVH) pour habitations neuves présentée par l’appelant, est par les présentes rejeté, sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’août 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith


Référence : 2022 CCI 91

Date : 20220812

Dossier : 2020-973(GST)I

ENTRE :

COREY LIBFELD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Smith

I. Aperçu

[1] Le présent appel a été entendu sous le régime de la procédure informelle. La question en litige consiste à déterminer si l’appelant a droit au remboursement de la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée (« TPS/TVH ») pour habitations neuves (« RHN ») que lui a refusé le ministre du Revenu national (le « ministre »), au motif que l’appelant n’avait pas satisfait aux exigences du paragraphe 254(2) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (« LTA »).

[2] À la suite de l’acquisition du bien visé, l’appelant a déposé la formule GST 190 : Demande de remboursement de la TPS/TVH pour les maisons achetées d’un constructeur (la « demande de RHN »), par laquelle il demandait un remboursement de 24 000 $, soit le remboursement provincial pour habitations neuves maximal pour des maisons situées en Ontario. Il a déposé cette demande en s’appuyant sur le paragraphe 254(2) et l’article 256.21 de la LTA et l’article 41 du Règlement no 2 sur le nouveau régime de la taxe à valeur ajoutée harmonisée, (DORS/2010-151).

[3] Le ministre a rejeté la demande de RHN pour les motifs suivants :

  1. la vendeuse n’était pas un constructeur d’un immeuble d’habitation ayant effectué une fourniture taxable au moyen d’une vente à l’appelant;

  2. l’appelant n’a versé aucun montant de TPS/TVH sur le bien acheté;

  3. la vendeuse avait rénové la maison et l’avait occupée durant un an à titre de résidence personnelle et l’appelant n’en était pas le premier occupant.

[4] Les dispositions pertinentes du paragraphe 254(2) sont les suivantes :

Remboursement – habitation neuve

254(2) Le ministre verse un remboursement à un particulier dans le cas où, à la fois :

a) le constructeur d’un immeuble d’habitation à logement unique ou d’un logement en copropriété en effectue, par vente, la fourniture taxable au profit du particulier;

[...]

d) le particulier a payé la totalité de la taxe prévue à la section II relativement à la fourniture et à toute autre fourniture, effectuée à son profit, d’un droit sur l’immeuble ou le logement (le total de cette taxe prévue au paragraphe 165(1) étant appelé « total de la taxe payée par le particulier » au présent paragraphe);

[...]

f) entre le moment où les travaux sont achevés en grande partie et celui où la possession de l’immeuble ou du logement est transférée au particulier en vertu du contrat de vente :

(i) l’immeuble n’a pas été occupé à titre résidentiel ou d’hébergement,

(ii) [...]

g) selon le cas :

(i) le premier particulier à occuper l’immeuble ou le logement à titre résidentiel, à un moment après que les travaux sont achevés en grande partie, est :

(A) dans le cas de l’immeuble, le particulier ou son proche,

[...]

[...]

[5] Un remboursement sera versé uniquement si toutes ces conditions sont remplies. Dans l’arrêt Canada c. Ngai, 2019 CAF 181 (« Ngai »), la Cour a donné l’explication suivante :

[21] Le remboursement prévu par le Règlement n’est pas payable aux termes du paragraphe 254(2) de la LTA, mais plutôt aux termes du paragraphe 256.21(1) de la LTA. Ce paragraphe prévoit que le remboursement prévu au Règlement doit être versé à une « personne visée par règlement ». Selon le paragraphe 41(2) du Règlement, une « personne visée par règlement » est un particulier qui aurait droit au remboursement prévu au paragraphe 254(2) de la LTA (si la contrepartie totale était inférieure à 450 000 $). Par conséquent, la « personne visée par règlement » est le « particulier » auquel il est fait référence dans l’ensemble du paragraphe 254(2) de la LTA. Ainsi, seule la personne qui est un « particulier » pour l’application du paragraphe 254(2) de la LTA peut demander et recevoir le remboursement. Un remboursement n’est versé que si cette personne satisfait aux conditions applicables.

[Non souligné dans l’original.]

[6] Comme il est expliqué ci-dessous, l’appel doit être rejeté puisque la vendeuse n’était pas un constructeur et que l’appelant n’a donc pas fait l’acquisition de la maison dans le contexte d’une fourniture taxable. En outre, l’appelant n’a versé aucun montant de TPS/TVH et n’était pas le premier particulier à occuper la maison après l’achèvement en grande partie des travaux.

II. Les faits pertinents

[7] L’appelant a témoigné pour son propre compte et s’est décrit comme un promoteur immobilier. Aucun autre témoin n’a été appelé.

[8] Il n’est pas contesté que l’appelant a signé une convention d’achat-vente le 27 septembre 2018 (la « convention d’achat-vente ») concernant l’acquisition d’un bien dont la désignation municipale est le 308, Vesta Drive, Toronto (Ontario) (le « bien ») pour un prix d’achat de 6 370 000 $. Il a obtenu le titre de propriété du bien-fonds le 1er novembre 2018 et a déposé la demande de RHN le 2 novembre 2018. L’appelant et sa famille l’ont ensuite occupé à titre de lieu de résidence principal.

[9] La vendeuse du bien s’appelait Leila Izadyar (la « vendeuse »), dont le nom figure à titre de [traduction] « vendeuse » sur la liste des inscriptions du service interagences MLS (pièces A-16 et A-17). Le service interagences MLS indiquait que le bien était occupé par la [traduction] « propriétaire » et que la prise de possession pourrait se faire dans les [traduction] « 30 à 60 jours ». Il indiquait également que le bien était [traduction] « neuf ». On y décrivait le bien comme [traduction] « une spectaculaire maison construite sur mesure dans le secteur huppé de Forest Hill » en plus d’inclure une fiche détaillée des caractéristiques de la maison et une liste des inclusions et améliorations.

[10] Le formulaire standard de la Ontario Real Estate Association (le « formulaire de l’OREA ») a été utilisé à titre de convention d’achat-vente. Le paragraphe 7 indiquait que [traduction] « [s]i la vente du bien [...] est assujettie à la taxe de vente harmonisée (TVH) », cette taxe est [traduction] « incluse dans » le prix d’achat (et non en sus) du prix d’achat, et que la vendeuse convenait de certifier que la vente n’était pas assujettie à la TVH.

[11] Au moment de la clôture de la transaction, la vendeuse a délivré un document intitulé [traduction] « Fourniture d’immeubles exonérée » et un autre document signé par la vendeuse et intitulé [traduction] « Déclaration et garantie relatives à la taxe sur les produits et services », destinés à l’appelant et à [traduction] « Owens Wright LLP, ses avocats » (pièce R-8). La déclaration a été signée par la vendeuse et faite sous serment devant une commission des serments le 30 octobre 2018 (la « Déclaration et garantie de la vendeuse »).

[12] Pour résumer, la vendeuse a déclaré et certifié que [traduction] « la vente du bien ne constitue pas une fourniture taxable du bien à l’acquéreur pour les fins de la [LTA] parce que [...] le bien n’est pas une immobilisation et n’a pas été acquis dans le cadre d’une entreprise, d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial ». La vendeuse a ensuite convenu [traduction] « d’indemniser l’acquéreur et de le dégager de toute responsabilité à l’égard de toute réclamation, action [...] » que pourrait ultérieurement intenter [traduction] « l’Agence du revenu du Canada à la suite d’un défaut de paiement de toute taxe de vente harmonisée » réclamée à l’appelant [traduction] « découlant de la vente du bien mentionné ci-dessus ».

[13] La vendeuse a également produit un état des rajustements. Il indiquait le prix d’achat convenu moins le dépôt versé par l’appelant en plus d’un autre rajustement pour les taxes immobilières. On n’y faisait aucune mention de la TPS/TVH.

[14] L’appelant avait visité le bien pour la première fois en mai 2018 quand il a présenté une offre d’achat initiale qui a été rejetée. Il a visité le bien de nouveau en septembre 2018 et a présenté une nouvelle offre qui a été acceptée, comme il est indiqué plus haut. Dans les deux cas, il a conclu que le bien était inoccupé.

[15] Plus précisément, l’appelant a conclu que le bien était une maison neuve qui n’avait pas été occupée après l’achèvement des importantes rénovations. Il a remarqué qu’à l’exception de quelques meubles, rien n’indiquait que quelqu’un occupait les lieux. Il a remarqué qu’il n’y avait pas d’ustensiles ni de vaisselle, ni de vêtements ou de literie dans les chambres à coucher. Il lui a semblé que les appareils électroménagers n’avaient jamais été utilisés. Il n’y avait aucun rideau aux fenêtres.

[16] L’appelant a déposé en preuve une série de photographies (pièce A-5) prises par lui-même avant la clôture de la transaction. Elles montraient diverses pièces, toutes meublées de façon sommaire et de manière à mettre la maison en valeur, avec les appareils électroménagers, notamment le réfrigérateur et la cuisinière, accompagnés des livrets d’instruction et des garanties.

[17] L’appelant a expliqué qu’il s’était présenté à la maison avant la clôture de la transaction pour remplir un certificat d’achèvement des travaux et de prise de possession/certificat de garantie (pièce A-6) (le « certificat de garantie ») comme l’exigeait la Tarion Warranty Corporation (« Tarion »). Le [traduction] « vendeur/constructeur » était identifié comme étant « Enirox Group Management & Consulting Inc. » (« Enirox »), avec le numéro d’inscription correspondant. le bien était également identifié par un numéro d’inscription.

[18] À la suite d’une inspection, l’appelant a relevé de nombreuses lacunes, lesquelles ont été inscrites sur une liste jointe au certificat de garantie signé par lui-même et un représentant d’Enirox le 29 octobre 2018. La garantie est entrée en vigueur le 1er novembre 2018. Les lacunes qui n’avaient pas été corrigées par Enirox ont finalement été réglées en échange d’un paiement final de 286 770 $ versé par Tarion à l’appelant le 22 juillet 2020.

[19] Le certificat de garantie indiquait en caractères gras, à la page 7, qu’il s’agissait d’un [traduction] « certificat officiel de l’état de la maison avant que l’acquéreur n’en prenne possession » et que [traduction] « ce certificat sera utilisé en guise de référence pour toute demande ultérieure de service couvert par la garantie ».

[20] Dans le contexte du présent appel, l’appelant a effectué une recherche sur le site Internet de la Home Construction Regulatory Authority (« HCRA ») et a obtenu des résultats indiquant que le bien avait été inscrit par Enirox le 21 juin 2016 (pièce A-19). La recherche indiquait que [traduction] « tous les renseignements relatifs à la garantie sont mis à jour chaque trimestre en fonction des données de Tarion qui sont mises en commun avec la HCRA pour être affichées dans le profil du constructeur ».

[21] Tout en reconnaissant qu’il s’agissait de ouï-dire, l’appelant a présenté un article du magazine Toronto Life (pièce A-2) daté du 27 juillet 2018, intitulé « House of the Week: $7 million for a newly built mini-mansion in Forest Hill ». Il a expliqué que le bien avait été acheté pour [traduction] « 2 680 000 $ en 2015, avant de faire l’objet de travaux de reconstruction » et que [traduction] « les vendeurs [...] ont ensuite démoli une maison déjà existante et construit celle-ci à la place [...] ». Plusieurs photos montrant des pièces vides ou sommairement meublées dans le cadre d’un exercice évident de valorisation résidentielle étaient également incluses dans l’article.

III. Analyse des questions en litige

Question 1 : La vendeuse était-elle un constructeur?

Thèse de l’appelant

[22] L’appelant soutient que la vendeuse était un constructeur, puisque la définition du terme « constructeur » au paragraphe 123(1) de la LTA inclut une personne qui par un intermédiaire réalise la construction d’une nouvelle maison dans le cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial.

[23] La définition du terme « constructeur » est ainsi libellée :

Est constructeur d’un immeuble d’habitation ou d’une adjonction à un immeuble d’habitation à logements multiples la personne qui, selon le cas :

a) réalise, elle-même ou par un intermédiaire, à un moment où elle a un droit sur l’immeuble sur lequel l’immeuble d’habitation est situé :

[...]

(iii) dans les autres cas, la construction ou des rénovations majeures de l’immeuble d’habitation;

[...]

N’est pas un constructeur :

f) le particulier visé aux alinéas a), b) ou d) qui, en dehors du cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial :

(i) soit construit ou fait construire l’immeuble d’habitation ou l’adjonction, ou y fait ou y fait faire des rénovations majeures,

 

(ii) soit acquiert l’immeuble ou un droit afférent;

otherwise than in the course of a business or an adventure or concern in the nature of trade.

[24] L’appelant renvoie aux notes techniques portant sur le paragraphe 254(2) (Notes techniques du ministère des Finances, nov. 2007), où il est indiqué que les personnes qui achètent une maison neuve pourraient être en mesure de demander un RHN, même si elles achètent la maison d’une personne qui n’a pas réellement construit l’immeuble.

[25] L’appelant invoque également certaines décisions pour appuyer son argument selon lequel la vendeuse a participé à une entreprise ou à une affaire de caractère commercial.

[26] Dans la décision Sangha c. La Reine, 2013 CCI 69 (« Sangha »), deux personnes avaient acquis un terrain vague, construit une nouvelle maison, affirmé y avoir brièvement vécu, vendu la nouvelle maison, et réalisé un profit. Le ministre a considéré le gain comme un revenu d’entreprise tiré d’un projet à risques de caractère commercial et il a établi une cotisation au titre de la TPS aux termes de la LTA, au motif que les appelants étaient des « constructeurs ». Les contribuables ont interjeté appel, affirmant qu’ils avaient le droit de se prévaloir de l’exception relative au lieu principal de résidence.

[27] Le juge Miller a tenu compte du témoignage de deux témoins volontaires. Le premier avait visité la maison une fois terminée et n’avait « pas vu de meubles », « juste un tapis décoratif dans le salon » (par. 10). L’acheteur final de la maison a affirmé dans son témoignage qu’il avait visité la maison à plusieurs occasions. Il l’a décrite « comme une maison neuve inoccupée [...], il y avait toujours des autocollants sur les fenêtres et il ne s’y trouvait aucun appareil électroménager, aucun habillage de fenêtres, aucune clôture, etc. » (par. 14).

[28] Le juge Miller a ensuite pris en considération les critères établis dans la décision Happy Valley Farms Ltd. v. Minister of National Revenue, [1986] 2 CTC 259 (CF) (« Happy Valley Farms ») (par. 18), notamment : 1) la nature du bien qui est vendu; 2) la durée de la possession; 3) la fréquence ou le nombre d’opérations similaires effectuées par le contribuable; 4) les améliorations faites sur le bien converti en espèces ou se rapportant à pareil bien; 5) les circonstances qui ont entraîné la vente du bien; 6) le motif de la vente. Il a conclu que le gain était imposable et que les contribuables étaient des « constructeurs ».

[29] Dans la décision Seni c. La Reine, 2005 CCI 126 (« Seni »), le contribuable avait construit et vendu trois maisons sur une période de trois ans. Il a soutenu que ces ventes constituaient des fournitures exonérées parce qu’il n’était pas un constructeur et qu’il avait occupé les maisons comme lieu de résidence principal. Le juge McArthur a conclu ce qui suit :

[traduction]

11. [...] Lorsque de toute évidence les activités de l’appelant sont liées à la construction de maisons, la Cour tirera normalement une inférence selon laquelle l’intention du contribuable, en construisant une maison, est de la revendre. Il s’agit d’une présomption réfutable. Il ne m’est pas très difficile de conclure que l’appelant était un « constructeur » [...]. Pour échapper à la définition de « constructeur », le contribuable doit construire l’habitation « en dehors du cadre d’une entreprise ou d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial ».

[Non souligné dans l’original.]

[30] Dans la décision Wall c. La Reine, 2019 CCI 168 (« Wall CCI »), le contribuable avait construit et vendu trois habitations et un lot vacant sur une période de quatre ans, mais n’avait déclaré aucun revenu tiré de ces ventes, et n’avait pas perçu, versé ou déclaré de TPS ou de TVH. Le juge Visser a examiné les critères décrits dans la décision Happy Valley Farms (par. 153 à 155) et a conclu plus précisément que le contribuable avait mis les maisons en vente comme des maisons neuves, tout en affirmant qu’elles étaient occupées par leur propriétaire (par. 127). Il a conclu que le contribuable était un « constructeur » et que les habitations avaient été vendues « dans le cadre d’une entreprise d’aménagement » (par. 223).

[31] La décision a été confirmée en appel dans l’arrêt Wall c. Canada, 2021 CAF 132 (« Wall CAF »). Le juge Webb a examiné la preuve en détails, soulignant que le contribuable n’avait vraisemblablement pas occupé les nouvelles maisons comme lieu de résidence principal, puisqu’elles ont été souvent mises en vente avant qu’un permis d’occupation n’ait été délivré. Ainsi, il a conclu que l’intention du contribuable était de construire les maisons et de les vendre à profit, comme il expliqué aux paragraphes 41 à 46. Il était d’accord avec le juge de première instance pour dire que le contribuable [traduction] « exploitait une entreprise lorsqu’il a fait l’acquisition des biens, démoli les habitations existantes, construit de nouvelles maisons et vendu ces maisons [...] » et était un « constructeur » (par. 46).

[32] L’appelant soutient qu’il est manifeste en l’espèce que la vendeuse a engagé Enirox pour construire le bien dans le cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial. L’habitation a été décrite comme étant [traduction] « neuve » dans le système du service interagences MLS et l’article du Toronto Life et les photos prises par l’appelant avant la prise de possession montrent qu’elle était [traduction] « inoccupée et mise en valeur pour la revente afin de maximiser les profits ». L’appelant soutient que [traduction] « faute d’une preuve du contraire », la preuve montre que le bien a été acheté d’un « constructeur », selon la définition du paragraphe 123(1) de la LTA et pour les fins de l’alinéa 254(2)a).

[33] Dans des observations écrites supplémentaires, l’appelant affirme que [traduction] « la ministre ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’avant de vendre le bien à l’appelant, la vendeuse avait rénové le bien et l’avait occupé durant une année à titre de résidence personnelle » et que [traduction] « lors de la vente du bien à l’appelant, la vendeuse n’était pas un constructeur d’un immeuble d’habitation ». L’appelant soutient que [traduction] « il incombe à la ministre de prouver les hypothèses qui sont en litige et qui ne sont pas exclusivement ou particulièrement à la connaissance de la ministre ».

[34] L’appelant ajoute que [traduction] « la ministre a en sa possession des renseignements concernant le revenu déclaré de la vendeuse et a le pouvoir de vérifier la vendeuse pour déterminer son intention concernant le bien » et que [traduction] « n’ayant pu fournir des éléments de preuve liés à la vendeuse, la ministre ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait, et le présent appel doit être accueilli ».

[35] Quoi qu’il en soit, l’appelant soutient que [traduction] « les hypothèses de la ministre ont été démolies, puisque les éléments de preuve avancés par l’appelant établissent, selon la prépondérance des probabilités, que la vendeuse n’a pas vécu dans la maison et était un constructeur pour les fins de la LTA ».

[36] Dans ses observations finales, l’appelant affirme que la déclaration et garantie de la vendeuse était un document intéressé et que les parties à la transaction ne pouvaient en venir à une entente en dehors des dispositions de la LTA.

La thèse de l’intimée

[37] L’intimée soutient que la question du fardeau de la preuve n’a pas d’importance et que le ministre n’est pas tenu d’établir que la vendeuse a réellement occupé le bien pendant une année ou qu’elle n’était pas un constructeur. L’intimée invite la Cour a tenir compte des faits et des éléments de preuve tels qu’ils ont été présentés. Plus précisément, l’intimée renvoie à la « déclaration et garantie de la vendeuse », où la vendeuse a certifié que la vente du bien ne constituait pas une fourniture taxable et, aux paragraphes 2 et 3, que le bien n’était pas une immobilisation et n’avait pas été acquis dans le cadre d’une entreprise, d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial. L’intimée soutient que l’appelant a accepté ce document à la clôture de la transaction, l’a remis directement à l’Agence du revenu du Canada dans le contexte d’une vérification, n’a pas contesté son authenticité à l’audience, et n’a pas fourni d’explication quant à la raison pour laquelle on lui avait remis ce document à la clôture de la transaction [traduction] « si ce n’est pour indiquer explicitement que la vente ne représentait pas une fourniture taxable ».

[38] L’intimée affirme que la déclaration ne laisse en rien entendre que les parties entendaient se soustraire à la LTA; elle indique plutôt qu’elles convenaient que le bien n’était pas une fourniture taxable. Aucun élément de preuve ne confirme que la vendeuse a tenté de percevoir la TPS/TVH ou que la taxe était incluse dans le prix d’achat.

[39] L’intimée fait valoir que la terminologie employée dans la déclaration « va directement à l’encontre de l’exigence énoncée au paragraphe 123(1) de la Loi, selon laquelle un constructeur est une personne qui construit une maison neuve, ou la rénove en grande partie, dans le cadre d’une entreprise ou d’un projet à caractère commercial ».

[40] Ainsi, l’intimée soutient que l’appelant ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 254(2)a).

Analyse de la question no 1

[41] L’appelant soutient que la vendeuse était un « constructeur » pour les fins de la LTA, parce qu’il a conclu qu’elle a fait l’acquisition du bien en 2015, que l’habitation existante a été démolie, que la vendeuse a retenu les services d’un entrepreneur général pour construire une nouvelle maison, qu’elle n’a jamais occupé les lieux après sa construction, et que la maison a été mise en vente peu de temps après.

[42] L’appelant invoque les décisions Sangha, Seni et Wall, mentionnées ci-dessus, et soutient que la vendeuse a exercé le même type d’activités, de telle sorte que notre Cour devrait conclure qu’elle était un « constructeur » et qu’elle a exercé ces activités « dans le cadre d’une entreprise, d’un projet à risques ou d’une affaire de caractère commercial ».

[43] Le problème avec cet argument est que dans ces procédures, la Cour a entendu directement les témoignages des contribuables concernés par l’activité commerciale présumée, et possiblement d’autres témoins impartiaux, et a pris en considération les critères énoncés dans la décision Happy Valley Farms. Ce n’est qu’après que la Cour a été en mesure de conclure que les contribuables étaient des constructeurs engagés dans un projet de caractère commercial.

[44] En l’espèce, la Cour ne peut bénéficier d’un témoignage direct de la vendeuse ou d’un autre témoin impartial quant à la fréquence de transactions similaires, quant à son intention au moment où elle a fait l’acquisition du bien ou quant à son motif pour vendre. La Cour est donc dans l’impossibilité d’effectuer l’analyse requise pour en arriver à la conclusion que la vendeuse était un « constructeur ». De plus, il n’existe aucun témoignage direct de ce qui s’est passé entre la date d’acquisition du bien par la vendeuse en 2015 et son inscription au service interagences MLS en 2018.

[45] La version particulière des faits que présente l’appelant pourrait être étayée par le bref article et les photos sur papier glacé du Life magazine publiés après la mise en vente du bien. Toutefois, cet article était clairement conçu comme une publicité destinée à susciter l’intérêt et à faire la promotion de la nouvelle maison. Comme l’appelant l’a reconnu, il constitue du ouï-dire. Il est par conséquent intrinsèquement non fiable.

[46] L’autre problème avec la thèse de l’appelant, c’est qu’il a accepté la déclaration et garantie de la vendeuse, aussi intitulée « Fourniture d’immeubles exonérée », dans laquelle elle certifie et garantit que la vente du bien [traduction] « ne constitue pas une fourniture taxable » et que le bien n’est pas une immobilisation et n’a pas été acquis dans le cadre d’une entreprise, d’un projet comportant un risque ou d’une affaire de caractère commercial.

[47] Ce document est une déclaration faite sous serment. Il constitue également un document contractuel, parce que le paragraphe 7 du formulaire de l’OREA exigeait que la vendeuse [traduction] « certifie à la clôture de la vente ou avant que la vente n’est pas assujettie à la TVH ». C’est ce qu’a fait la vendeuse, et l’appelant a accepté la déclaration et son contenu au moment de clore la transaction. L’appelant ne peut simplement rejeter, passer sous silence ou ignorer son contenu et affirmer à la Cour qu’il s’agit uniquement d’un document intéressé produit par la vendeuse, même s’il semble contredire ses observations quant à l’état du bien. Il appuie très vraisemblablement la thèse adoptée par la vendeuse au moment de la production de sa déclaration à des fins fiscales, mais il s’agit là d’une question distincte qui n’est pas soumise à l’attention de la Cour dans le présent appel.

[48] Pour ces raisons, la Cour doit conclure que la vendeuse n’était pas un « constructeur » d’un immeuble d’habitation et que la vente ne constituait pas une fourniture taxable. Il en découle que l’appelant n’a pas satisfait pas aux exigences de l’alinéa 254(2)a).

[49] Pour ce motif seul, l’appel devrait être rejeté. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Ngai, pour avoir droit au remboursement pour habitations neuves, l’appelant doit satisfaire à toutes les exigences du paragraphe 254(2).

[50] Je vais néanmoins passer brièvement en revue les deux autres questions restantes.

Question no 2 : L’appelant a-t-il payé la TPS/TVH sur le bien acheté?

Thèse de l’appelant

[51] L’appelant reconnaît que pour avoir droit au remboursement pour habitations neuves, la personne doit avoir payé la TPS/TVH relative à la fourniture taxable du bien, conformément à l’alinéa 254(2)d).

[52] L’appelant soutient que les parties peuvent convenir que le prix d’achat inclut la TPS/TVH, puisque l’alinéa 223(1)b) de la LTA prévoit ce qui suit :

Indication de la taxe

223(1) L’inscrit qui effectue une fourniture taxable (sauf une fourniture détaxée) doit indiquer à l’acquéreur, selon les modalités réglementaires ou sur la facture ou le reçu délivré à l’acquéreur ou dans la convention écrite conclue avec celui-ci :

[...]

b) soit la mention que le montant payé ou payable par l’acquéreur pour la fourniture comprend cette taxe.

[53] L’appelant soutient que selon le paragraphe 7 du formulaire de l’OREA, les parties ont convenu que la TPS/TVH serait incluse dans le prix d’achat versé en entier à la clôture de la transaction. Par conséquent, il est avancé que l’appelant a satisfait à l’exigence prévue à l’alinéa 254(2)d).

La thèse de l’intimée

[54] L’intimée soutient que rien n’indique que l’appelant a payé la TPS/TVH sur le bien acheté et qu’il n’existe aucun document indiquant le contraire. Il est soutenu que la déclaration et garantie de la vendeuse acceptée par l’appelant à la clôture de la transaction, qui porte également le titre de [traduction] « Fourniture d’immeubles exonérée », indique clairement l’intention de la vendeuse de faire une « fourniture exonérée ».

[55] L’intimée fait valoir que le formulaire de l’OREA n’indique pas que la TPS/TVH doit être incluse dans le prix d’achat. Il indique plutôt que [traduction] « [s]i » la vente du bien est assujettie à la TVH, cette taxe est incluse dans le prix d’achat. Il est également soutenu que l’état des rajustements ne fait aucune mention de la TPS/TVH ni n’indique que la taxe est incluse dans le prix d’achat.

Analyse de la question no 2

[56] La Cour est d’accord avec l’intimée que cet argument ne peut être accueilli. Comme l’a affirmé l’avocat dans ses observations finales, le mot clé du formulaire de l’OREA est « si », comme dans la phrase « si la transaction est assujettie à la TVH, elle est incluse dans le prix ».

[57] Le mot « si » introduit d’un point de vue grammatical une condition : « si » la transaction concerne une fourniture taxable, la TVH est exigible mais est également incluse dans le prix d’achat. Cela signifiait également que l’on ne pouvait demander à l’appelant de payer plus que le prix d’achat, et que si on lui demandait de le faire, il avait l’avantage de la garantie décrite dans la déclaration et garantie de la vendeuse.

[58] En outre, le paragraphe 223(1) renvoie à un « inscrit », mais rien n’indique que la vendeuse était un inscrit aux fins de la TPS/TVH, ou que l’appelant a demandé, et obtenu ou pas, les données relatives à son inscription. La disposition renvoie également à « la facture ou le reçu délivré à l’acquéreur [...] ». Si l’état des rajustements est considéré comme une facture ou un reçu, il n’y est une fois de plus fait aucune mention de la TPS/TVH. Il n’existe également aucun élément de preuve indiquant que l’appelant a demandé une modification afin d’inclure la TPS/TVH avant la clôture de la transaction.

[59] La Cour conclut que l’appelant n’a pas satisfait aux exigences de l’alinéa 254(2)d).

Question no 3 : L’appelant a-t-il été la première personne à occuper le bien?

Analyse de la question no 3

[60] L’appelant soutient que les alinéas 254(2)f) et g) disposent que pour avoir droit au remboursement pour habitations neuves, [traduction] « la nouvelle maison ne doit pas avoir été occupée comme lieu de résidence avant que le particulier en obtienne possession, et le particulier doit être la première personne à occuper la nouvelle maison à un moment après que les travaux sont achevés en grande partie ».

[61] Comme il est résumé ci-dessus, l’appelant était d’avis que la vendeuse n’avait jamais occupé le bien après l’achèvement en grande partie des travaux. L’intimée a présumé que la vendeuse avait occupé le bien à titre de lieu de résidence.

[62] Selon le témoignage de l’appelant, la Cour conclut que la maison avait été presque entièrement libérée (y compris la vaisselle, les ustensiles, les vêtements ou la literie) lorsqu’elle a été inscrite pour la première fois au service interagences MLS au début de 2018; seuls quelques meubles avaient été laissés afin de mettre la maison en valeur. Mais rien n’indique que ces articles n’appartenaient pas à la vendeuse et qu’elle n’allait pas les récupérer au moment de la clôture de la transaction ou avant. De plus, la vendeuse peut avoir en toute conscience décider de réduire au minimum son utilisation des lieux en n’installant pas de couvre-fenêtres, par exemple, ou en n’utilisant pas les appareils électroménagers en raison de la mise en vente prévue du bien.

[63] La Cour conclut également que le certificat d’achèvement des travaux et de prise de possession signé avant la clôture de la transaction dans le contexte du Programme de garantie des maisons neuves ne mène pas nécessairement à la conclusion, sans autre élément de preuve, que la maison n’avait jamais été occupée par la vendeuse. Même si le programme de garantie de Tarion s’applique aux maisons « neuves », il n’exclut pas les maisons utilisées à court terme ou pour un usage temporaire, notamment comme salle d’exposition. Même si cela semble aller à l’encontre de l’idée selon laquelle la vendeuse a occupé le bien « à titre résidentiel ou d’hébergement » pour les fins de la LTA, l’occupation antérieure d’une maison aura une incidence sur la question de savoir [traduction] « si les garanties et protections prévues par la loi s’appliquent à l’habitation », comme il est souligné dans l’avis publié par Tarion (pièce R-6, page 5). Puisque l’appelant a déposé une liste des lacunes et a été en mesure d’obtenir la somme maximale offerte aux termes du programme de garantie, Tarion n’était pas concerné par la question ou, subsidiairement, n’avait pas connaissance de l’occupation du bien par la vendeuse.

[64] L’appelant renvoie à un document de Tarion intitulé [traduction] « Types de maisons qui ne sont pas couvertes » (pièce A-12), où il est indiqué que [traduction] « les garanties prévues par la loi s’appliquent aux maisons neuves et, par conséquent, ne s’appliquent pas aux maisons qui ont été occupées précédemment par le vendeur/constructeur ou offertes en location par le vendeur/constructeur et occupées par d’autres personnes avant d’être vendues à l’acquéreur ». Une fois de plus, le fait que la garantie ne saurait s’appliquer si la vendeuse avait occupé le bien ne mène pas nécessairement à la conclusion que le bien n’a en réalité pas été occupé durant un certain temps après l’achèvement des travaux de rénovation, la délivrance d’un permis d’occupation et la préparation de l’inscription au service interagences MLS au début de 2018.

[65] S’appuyant sur la preuve, la Cour conclut que la vendeuse a fait l’acquisition du bien à un certain moment en 2015, que l’habitation existante a été démolie et que le bien a été inscrit au programme de Tarion le 21 juin 2016. Mais la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve concernant la date de délivrance d’un permis d’occupation et ne peut par conséquent que proposer une hypothèse quant à la date à laquelle la vendeuse a occupé le bien. Il n’est pas improbable qu’elle l’ait occupé à un certain moment après la délivrance du permis d’occupation, puis ait ensuite déménagé la majeure partie de ses effets personnels afin de préparer la maison pour la mise en vente prévue.

[66] La seule personne qui aurait pu témoigner de son occupation du bien était la vendeuse elle-même. L’appelant ne l’a pas citée comme témoin.

[67] La Cour rejette l’idée qu’il incombait au ministre de citer la vendeuse comme témoin, ou de divulguer ses revenus et ses activités commerciales au cours des ans, ces renseignements étant manifestement confidentiels. Cet argument doit être rejeté entièrement parce que c’est à l’appelant qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a satisfait aux exigences du paragraphe 254(2).

IV. Conclusion

[68] Pour tous les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour d’août 2022.

« Guy R. Smith »

Le juge Smith

RÉFÉRENCE :

2022 CCI 91

 

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2020-973(GST)I

 

INTITULÉ :

COREY LIBFELD c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 avril 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Guy R. Smith

DATE DU JUGEMENT :

Le 12 août 2022

 

COMPARUTIONS :

Avocats de l’appelant :

Me Angelo Gentile

Me Monica Carinci

 

Avocate de l’intimée :

Me Natasha Mukhtar

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Me Angelo Gentile

Me Monica Carinci

 

Cabinet :

Aird & Berlis LLP

 

Pour l’intimée :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 

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