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Dossier : 2013-3932(IT)G

ENTRE :

DAVID SAMUEL CRANE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 12 et 13 septembre 2022, à Toronto (Ontario)

Devant : L’honorable juge David E. Spiro


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimé :

Me Dan Daniels

Me Emmanuel Gibson

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre d’une nouvelle cotisation établie en application de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’année d’imposition 2004 de l’appelant est rejeté, avec dépens accordés conformément au tarif.


 

Signé à Toronto (Ontario), ce 7e jour d’octobre 2022.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de novembre 2023.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022 CCI 115

Date : 20221007

Dossier : 2013-3932(IT)G

ENTRE :

DAVID SAMUEL CRANE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Spiro

[1] Dans le présent appel, la Cour est appelée à rechercher si l’appelant a fait un don de bienfaisance à la Banyan Tree Foundation (« Banyan ») au cours de son année d’imposition 2004. L’appelant affirme que tel est le cas. L’intimé affirme que non.

[2] L’appelant soutient qu’il a fait un don de bienfaisance à Banyan malgré une décision rendue par notre Cour il y a six mois dans de nombreuses « causes types » aux termes de l’article 146.1 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) concernant également de prétendus dons à Banyan. Les contribuables dans ces appels, Herring c. La Reine, 2022 CCI 41 [Herring], n’ont pas persuadé notre Cour qu’ils avaient fait des dons de bienfaisance à Banyan.

[3] L’appelant soutient que les faits du présent appel se distinguent de ceux de la décision Herring. Bien qu’il existe certaines distinctions, ce sont des distinctions vides de sens. Je conclus que, comme les contribuables dans la décision Herring, l’appelant s’attendait à recevoir d’importants avantages financiers en raison de sa participation à une entente de don avec effet de levier dans laquelle les avantages financiers et le prétendu don étaient si étroitement liés que l’appelant n’avait aucune intention de faire un don à l’époque de son prétendu don[1]. Pour ces motifs, l’appel interjeté par l’appelant doit être rejeté.

L’appelant

[4] L’appelant est un juge à la retraite de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Il a été nommé 1992[2] et a pris sa retraite en 2013. Les transactions en cause ont eu lieu en 2004 alors qu’il siégeait comme juge de cette Cour à Hamilton, en Ontario. Il s’est représenté lui-même dans le présent appel et a été le seul témoin au procès.

[5] Dans son avis d’appel, l’appelant conteste la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national (le « ministre ») pour son année d’imposition 2004. Lorsqu’il a établi la nouvelle cotisation, le ministre a refusé des crédits d’impôt fédéral et provincial de 46 409 $ à l’égard d’un don de bienfaisance de 100 000 $ que l’appelant prétendait avoir fait à Banyan cette année-là. Dans son avis d’appel, l’appelant a soulevé la question suivante :

[traduction]
La somme déclarée à titre de don donne-t-elle droit au donateur à un crédit d’impôt aux termes du paragraphe 118.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu[3]?

[6] Dans son avis d’appel, l’appelant a indiqué qu’il souhaitait obtenir un jugement pour rétablir les crédits d’impôt fédéral et provincial de 46 409 $ réclamés à l’égard de son prétendu don de bienfaisance de 100 000 $ :

L’appelant demande respectueusement que la nouvelle cotisation de l’ARC soit annulée et que le crédit d’impôt soit de nouveau reconnu avec les ajustements monétaires nécessaires[4].

[7] Cependant, plusieurs mois avant l’audience, l’appelant a avisé la Cour et l’intimé que la question à trancher serait de savoir si les 11 000 $ qu’il avait remis à Banyan par chèque constituaient un don de bienfaisance[5]. Au procès, l’appelant a demandé à la Cour d’ordonner au ministre d’établir une nouvelle cotisation accordant des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance uniquement à l’égard d’un don de 11 000 $.

Le programme

[8] Banyan était un organisme de bienfaisance enregistré jusqu’en 2008, date à laquelle le ministre a révoqué son enregistrement[6]. Entre 2002 et 2007, il a promu une entente de don avec effet de levier avec Promittere Asset Management Limited (« Promittere ») et 1106999 Ontario Limited, une société connue plus tard sous le nom Rochester Financial Limited (« Rochester »)[7]. Je désignerai l’entente de don avec effet de levier conclue par l’appelant le « programme ».

[9] À un certain moment avant le 4 mars 2004, l’avocat de la famille de l’appelant lui a proposé de rencontrer Bill Anderson. M. Anderson est un planificateur financier qui, pour reprendre les termes de l’appelant, [traduction] « offre en vente des placements, et celui-ci en était un[8] ». M. Anderson lui a parlé de ce placement particulier[9] et lui a fourni des documents et des documents promotionnels sur le programme à la rencontre tenue au cabinet de l’appelant le 4 mars 2004[10]. L’appelant croyait que M. Anderson [traduction] « tentait d’inciter les gens à s’inscrire »[11].

[10] Les documents promotionnels comprenaient une opinion de Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L. (« FMC ») datée du 5 septembre 2003, intitulée [traduction] « Objet : Programme de don de la Banyan Tree Foundation – Droit de recours limité (le « programme de donation ») » formulée à l’intention de Promittere[12]. L’appelant a déclaré lors de son témoignage que l’opinion de FMC était [traduction] « essentielle à la prise de ma décision de conclure l’entente[13] ». En caractères gras au bas de la première page de la lettre, FMC a inscrit la mention légale suivante :

[traduction]
Aucune décision anticipée en matière d’impôt sur le revenu n’a été obtenue concernant le programme de don. Rien ne garantit que l’ADRC souscrira aux opinions exprimées dans la présente lettre. La Loi ou les pratiques de l’ADRC peuvent être modifiées rétroactivement à tout moment et ces modifications pourraient avoir une incidence importante sur notre opinion. Chaque donateur doit consulter son propre conseiller fiscal à l’égard de son don, s’il y a lieu.

[11] Lors de son témoignage, l’appelant a expliqué son appréciation du programme après avoir lu la documentation produite par M. Anderson :

[traduction]
[...] selon la nature de la documentation, il y aurait un prêt. Ce serait un don structuré. Il y aurait un engagement à l’égard de l’organisme de bienfaisance et il serait financé par l’argent du donateur et un prêt consenti par une entité appelée Rochester Financial Limited.

Dans mon cas, le prêt était de 89 000 $ et le don en espèces, que j’ai fait avant [...] le prêt, mais en prévision d’un prêt, était de 89 000 $, donc je faisais un don de 100 000 $[14].

J’ai lu attentivement les documents. Il y avait des obligations, et j’ai l’habitude de respecter mes obligations. J’ai l’intention de les respecter. J’ai montré les documents à mon comptable fiscaliste, Joe Harrison. Je me souviens qu’il n’était pas trop heureux, mais il les a acceptés, et [...] déposé ma déclaration de revenus cette année-là[15].

[12] L’appelant n’a jamais rencontré personne de Banyan, Rochester ou Promittere[16]. Il n’y avait aucun élément de preuve indiquant que l’appelant avait fait des dons à Banyan d’une somme quelconque avant 2004, encore moins un somme à six chiffres.


Transaction du 4 mars 2004 – Introduction

[13] Le 4 mars 2004, l’appelant a conclu la série de transactions prédéterminées suivante, ce qui en fait un participant au programme :

a) en s’engageant à faire un don de 100 000 $ à Banyan payable au 31 décembre 2004;

b) en demandant un prêt de 89 000 $ auprès de Rochester, remboursable au plus tard le 31 décembre 2014;

c) en versant un dépôt de garantie de 12 200 $ à Rochester dans le cadre de sa demande de prêt de 89 000 $;

d) en fournissant un billet à ordre de 89 000 $ à Rochester[17].

[14] Le prêt de 89 000 $ consenti par Rochester était conditionnel à ce que l’appelant exécute la série de transactions prédéterminées du programme. Il s’agit là d’un aveu de fait[18]. En me fondant sur cet aveu et sur la preuve dans son ensemble, je conclus que chaque transaction conclue par l’appelant le 4 mars 2004 constituait un élément d’une entente ou d’une série de transactions interconnectées.

Transactions du 4 mars 2004 – Documents

[15] Le 4 mars 2004, M. Anderson a présenté à l’appelant un ensemble de documents, qu’il a tous signés dans son cabinet à cette date. J’ai examiné les modalités et conditions de chacun de ces documents, notamment les dispositions précises que l’appelant a fait valoir dans son avis d’appel, auxquelles il s’est référé au cours de son témoignage et sur lesquelles il a fondé ses arguments. Les extraits reproduits ci-dessous sont exhaustifs, car ils comprennent les parties des documents sur lesquels l’appelant s’est appuyé dans le cadre de sa thèse ainsi que d’autres parties pour préciser le contexte.

[16] Ces documents que j’examinerai de manière assez détaillée comportent plusieurs déclarations qui ne sont pas des conditions, mais des absurdités intéressées[19]. Par exemple, le paragraphe 2a) de l’engagement est rédigé ainsi :

[traduction]
2. Le soussigné reconnaît et convient que

a) le présent engagement est contracté par le soussigné volontairement et sans s’attendre à une contrepartie, à un droit, à un privilège, à une reconnaissance, à un bénéfice ou à un avantage de quelque nature que ce soit de la part de la Fondation, autre qu’un reçu à des fins fiscales dans le formulaire prescrit;

[17] On trouve une autre déclaration intéressée au paragraphe 4.1d) de l’annexe A de la demande de prêt et de la procuration :

[traduction]
4.1 [...] d) l’octroi du prêt par le prêteur à l’emprunteur est une transaction complètement distincte et indépendante de l’engagement et de toute autre transaction s’y rapportant, et l’emprunteur s’engage irrévocablement à payer au prêteur la dette sans égard à tout problème pouvant survenir entre l’emprunteur et une autre personne ou un autre groupe de personnes.

[18] Je n’ai accordé aucun poids à ces déclarations compte tenu des éléments de preuve accablants dont il ressort que toutes les transactions, notamment l’engagement, étaient interconnectées et interdépendantes. Je conclus que l’appelant n’aurait pas contracté l’engagement, n’eût été les avantages financiers qu’il s’attendait à recevoir du programme.

A. Annexe A1 : L’engagement

[19] Le 4 mars 2004, l’appelant a consenti à remettre les 100 000 $ à Banyan au plus tard le 31 décembre 2004. Le document de l’engagement signé et rempli est reproduit à l’annexe « A » des présents motifs. Les autres documents sont tous présentés sous le même format que l’engagement, à savoir un formulaire préimprimé avec des espaces réservés aux sommes et aux signatures.

B. Annexe A2 : La demande de prêt et la procuration

[20] Le 4 mars 2004, l’appelant a sollicité un prêt auprès de Rochester de 89 000 $ au moyen d’une demande de prêt et d’une procuration :

[traduction]
ATTENDU QUE :

1. L’emprunteur, au moyen d’un engagement signé aujourd’hui, s’est engagé à faire don de 100 000 $ (l’« engagement ») à la Fondation Banyan Tree (la « Fondation »), souhaite emprunter au prêteur 89 000 $ soit 89 % de l’engagement (le « montant du prêt ») dans le but de faciliter le respect de l’engagement, et, par la présente demande, promet de rembourser au prêteur le montant du prêt au plus tard le 31 décembre 2014, conformément aux modalités et conditions énoncées aux présentes;

2. L’emprunteur a remis au prêteur la somme de 12 200 $, soit environ 13,71 % du montant du prêt, à titre de dépôt en garantie du remboursement de sa dette en vertu des présentes, à investir au nom de l’emprunteur (le « dépôt de garantie »);

3. L’emprunteur reconnaît que le prêteur se fonde sur les déclarations faites par l’emprunteur, les garanties et autres renseignements qu’il a donnés aux présentes dans le traitement de la présente demande de prêt (la « demande »);

PAR CONSÉQUENT, L’EMPRUNTEUR DEMANDE PAR LES PRÉSENTES QUE le prêteur lui consente un prêt (le « prêt ») d’un montant équivalant au montant du prêt conformément aux modalités et conditions énoncées à l’annexe A et l’emprunteur accepte par les présentes ces conditions.

Dès que le prêteur aura accepté la présente demande, celle-ci constitue une convention de prêt entre l’emprunteur et le prêteur, laquelle convention, ainsi que tout billet à ordre attestant de la dette décrite dans les présentes, constitue l’intégralité de la convention entre les parties aux présentes à l’égard de son objet.

[21] L’annexe A de la demande de prêt et de la procuration comprenait ce qui suit :

[traduction]

***

1.2 Si la demande de prêt n’est pas acceptée avant le 31 décembre 2003, le dépôt est remboursé immédiatement au prêteur, sans intérêt ni retenue. Si la demande est acceptée dans ce délai, le prêteur accepte d’avancer le montant du prêt à l’emprunteur et ce dernier, par les présentes, donne irrévocablement au prêteur les autorisations et directives de verser immédiatement le montant du prêt à la Fondation ou à l’ordre de cette dernière au nom de l’emprunteur. Après la remise de cette somme, le prêteur est réputé avoir avancé à l’emprunteur le montant du prêt.

***

1.4 Le montant du prêt portera intérêt à un taux égal au plus élevé de 4,5 % par an et du taux d’intérêt prescrit en application du paragraphe 143.2(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) en vigueur à la date à laquelle le prêteur accepte la présente demande. Les intérêts doivent être payés dans les 30 jours suivant chaque année civile. Les parties conviennent qu’une partie du dépôt de garantie et de ses produits est utilisée pour payer les intérêts sur le montant du prêt.

***

2.1 L’emprunteur, par les présentes, donne la directive au prêteur d’investir le dépôt de garantie au nom de ce dernier, mais pour le compte bénéficiaire de l’emprunteur immédiatement après la remise du dépôt de garantie, comme le prévoit l’article 2.2 de la présente demande.

***

2.6 Le recours du prêteur en vertu des présentes est limité exclusivement à la garantie, et le prêteur n’a aucun droit de recours à l’encontre de tout autre bien ou actif de l’emprunteur. Toutes les obligations de l’emprunteur prévues aux présentes sont assujetties au présent article 2.6. Le prêteur n’a pas le droit (i) d’agir en justice, d’intenter une action ou une autre procédure contre l’emprunteur, (ii) de demander un jugement, une procédure d’exécution ou une autre procédure contre l’emprunteur, concernant le recouvrement de la dette, sauf, dans chaque cas, dans le but de réaliser la garantie ou dans le cadre de la réalisation de celle-ci.

***

3.1 L’emprunteur reconnaît et accepte par les présentes que le prêteur embauche, à ses frais, un ou plusieurs conseillers en placement dûment qualifiés, notamment des gestionnaires de portefeuille avec mandat de gestion totale, pour l’aider à investir la garantie en vue de répondre aux attentes des parties, comme il est indiqué ci-dessus et de maximiser l’appréciation du capital de la garantie avant la date d’échéance tout en minimisant le revenu sur celle-ci qui est imposable à l’égard de toute période antérieure à la date d’échéance. Sous réserve de l’article 3.3 ci-dessous, l’emprunteur accorde par les présentes au prêteur, dans toute la mesure permise par la loi applicable, le droit et le pouvoir discrétionnaires de vendre, de racheter, de convertir, d’échanger, d’investir et de réinvestir la garantie au nom de l’emprunteur d’une manière que ce conseiller peut, de temps à autre, considérer comme appropriée, ou de déposer la garantie dans un compte entièrement géré au nom du prêteur ou autrement, sous réserve du respect, en tout temps, des lois en valeurs mobilières applicables et d’autres lois. Il incombe au prêteur d’assumer la responsabilité du respect en tout temps.

3.2 Par la présente, le prêteur déclare et garantit à l’emprunteur que tous les conseillers embauchés exercent à tout moment dans l’exécution de cet engagement, le degré de soin et de compétence qu’un conseiller raisonnablement prudent exercerait dans des circonstances comparables.

3.3 L’emprunteur déclare et garantit au prêteur ce qui suit :

3.3.a. son avoir net est largement supérieur au dépôt de garantie;

3.3.b. il n’a aucun désir précis ni aucune préférence en particulier quant au placement de la garantie et accepte que, sous réserve des dispositions des présentes, le prêteur ait l’entière discrétion inconditionnelle d’assurer le placement de la garantie de la manière qu’il juge appropriée, que ces placements soient cotés en bourse ou non;

3.3.c. il a un seuil de tolérance élevé au risque en ce qui concerne l’investissement et le réinvestissement de la garantie pour les besoins des présentes.

3.4 Le prêteur accepte que, dans la mesure où l’investissement, le réinvestissement ou la réalisation de la garantie entraîne un revenu imposable au cours d’une année civile pour un emprunteur résidant au Canada, le prêteur distribue une somme de la garantie donnée à l’emprunteur au plus tard le 15 avril de l’année suivante, que le prêteur estime suffisante, pour verser l’impôt à payer à l’égard de ce revenu en supposant que l’emprunteur paie l’impôt sur le revenu au taux de 35 %. Il est entendu que l’obligation du prêteur prévue aux présentes est établie selon une base cumulative. Ainsi, dans le cas où l’emprunteur subit une perte imposable à des fins fiscales au cours d’une année, l’obligation du prêteur de distribuer toute somme ultérieurement est limitée au revenu imposable des années subséquentes qui excède le montant de la perte subie.

***

4.1 L’emprunteur reconnaît et confirme ce qui suit : a) le prêteur ne s’engage pas, en examinant la présente demande, envers l’emprunteur à consentir le prêt; b) à l’exception de dispositions expresses énoncées aux présentes, le prêteur ne fait aucune déclaration ni ne donne une garantie à l’emprunteur à l’égard de l’engagement ou de l’incidence fiscale qui s’y rapporte ou autrement; c) le prêteur n’assume aucune responsabilité à l’égard des représentations ou des déclarations faites par une autre partie, des garanties qu’elle a données ou des engagements qu’elle a pris dans le cadre du prêt ou de toute autre transaction, il n’exprime aucune opinion à leur égard, n’y est pas lié et n’y a jamais été lié; d) l’octroi du prêt par le prêteur à l’emprunteur est une transaction complètement distincte et indépendante de l’engagement et de toute autre transaction s’y rapportant et l’emprunteur s’engage irrévocablement à payer au prêteur la dette sans égard à tout problème pouvant survenir entre l’emprunteur et une autre personne ou un autre groupe de personnes; e) le prêteur est tenu d’épuiser ses recours à l’égard de sa garantie avant d’exiger de l’emprunteur le paiement; f) aucune disposition des présentes ou de tout autre instrument ne peut, en aucun cas, être interprétée comme comportant une obligation du prêteur à proroger le délai de paiement de la dette.

C. Pièce A3 : Le billet à ordre

[22] Le 4 mars 2004, Rochester a avisé l’appelant qu’elle avait accepté la demande de prêt qu’il avait présentée à la même date. À cette date, l’appelant s’était engagé à payer à Rochester 89 000 $ avec intérêts au taux de 4,5 % au plus tard le 31 décembre 2014. Le document comprenait la déclaration suivante :

[traduction]
[...] Le soussigné reconnaît et accepte que tout défaut d’effectuer le paiement à l’échéance constitue un manquement substantiel en vertu des présentes et le titulaire a le droit, sans autre mesure ni formalité, d’exercer ses droits en vue de recouvrer l’intégralité de la somme principale en vertu des présentes ainsi que les intérêts y afférents et les frais qu’il a réellement engagés à cette fin, notamment les frais judiciaires réels établis sur une base procureur-client.

Par la présente, le soussigné renonce au devoir de diligence, à la demande de paiement et à la présentation au paiement, à l’avis de non-paiement, au protêt et à l’avis de protêt du présent billet.

Reçu officiel aux fins de l’impôt sur le revenu

[23] Le 23 mars 2004, moins de trois semaines après que l’appelant a signé les documents, Banyan a émis un document intitulé « REÇU OFFICIEL AUX FINS DE L’IMPÔT SUR LE REVENU » (Pièce A6) remerciant l’appelant pour son don de 100 000 $. L’appelant a joint le reçu à sa déclaration de revenus pour son année d’imposition 2004 et a utilisé ce reçu de don pour réduire ses impôts fédéral et provincial de 46 409 $.

Ajout de 47 000 $ au portefeuille de placements de l’appelant

[24] L’appelant a témoigné au sujet de la somme de 47 000 $ qui, selon lui, serait ajoutée à son portefeuille de placements grâce à sa participation au programme :

[traduction]
[…] lorsque j’ai produit ma déclaration de revenus, j’obtenais un crédit d’impôt, je crois, d’environ 46 000 $ sur ce que je croyais fermement être mon don complet, et que ces fonds seraient supérieurs à mes besoins et à ceux de ma famille. Je vis bien en dessous du niveau de mes revenus, et je -- ce que je fais quand j’obtiens des sommes supplémentaires vis-à-vis des fonds excédentaires, je les investis. J’ai un portefeuille de placement, et -- ou plusieurs, et donc je pensais que j’en tirerais un avantage, parce que je -- les fonds seraient en réalité consacrés au paiement de la dette et utilisés comme produit au remboursement de la dette, et c’est donc ce que j’ai fait, et je n’avais pas -- je ne pouvais utiliser ces fonds dans le cadre de cette entente.

Maintenant, en ce qui concerne les chiffres, il y aurait les 12 000 $ versés à Rochester à titre de dépôt de garantie, c’est ainsi qu’il est désigné, ou fonds de placement. Il y aurait une économie d’impôt dont j’ai parlé, et donc ce serait un fonds. Puis, il y aurait le don que j’ai déjà fait.

Ainsi, j’avais 46 000 $ moins le don de 11 000 $, plus la somme investie avec Rochester, donc la somme est […] passée à 47 000 $.

LE JUGE SPIRO : Qu’est-ce qui a fait passer la somme à 47 000 $?

M. CRANE : Pardon?

LE JUGE SPIRO : Qu’est-ce qui est passé à 47 000 $?

M. CRANE : Oh, le crédit d’impôt moins le don de 11 000 $, plus […] les 12 200 $ à Rochester.

LE JUGE SPIRO : Ce qui est […]

M. CRANE : C’est mon calcul, cela donne environ 47 000 $ que j’ai investis[20].

[25] Selon le témoignage de l’appelant, la somme de 47 000 $ dépassait ses besoins essentiels et, comme toujours, les fonds excédentaires étaient investis[21]. Lors des débats, l’appelant est revenu sur le même thème en soulignant qu’il avait investi les « économies d’impôt » dans son portefeuille[22].

Autofinancement du prêt de 89 000 $

[26] Je conclus que le prêt de 89 000 $ s’autofinançait dans les faits, car l’appelant ne s’attendait pas a) à payer les intérêts avec des fonds propres b) à rembourser le capital avec des fonds propres. L’appelant ne s’attendait pas à effectuer ces paiements avec des fonds propres parce qu’il s’attendait à ce que tous ces paiements soient entièrement financés par son dépôt de garantie de 12 200 $.

[27] Relativement aux intérêts, l’appelant a reconnu que des paiements d’intérêts proviendraient de son dépôt de garantie de 12 200 $[23]. Cela est conforme au paragraphe 1.4 de l’annexe A de la demande de prêt et de la procuration, dont la dernière phrase énonce ce qui suit :

[traduction]
[…] Les parties conviennent qu’une partie du dépôt de garantie et de ses produits est utilisée pour payer les intérêts sur le montant du prêt.

[28] Relativement au principal, l’appelant a déclaré lors de son témoigne qu’en 2004 [traduction] « il était raisonnable de croire que cette somme [le dépôt de garantie de 12 200 $] puisse croître jusqu’à une valeur nette de 89 000 $ en dix ans »[24]. En raison a) de la montée en puissance de la Chine, b) de l’essor dans le secteur des sables bitumineux et c) de la croissance des services informatiques (p. ex. Apple Inc.), l’appelant était convaincu qu’un [traduction] « placement d’une somme[25] » de 12 200 $ « pouvait facilement croître jusqu’à 89 000 $[26] » au moment où le montant principal du prêt devenait exigible.

Frais relatifs à la participation de l’appelant au programme

[29] Je conclus que l’appelant a payé 23 200 $ à titre de frais de participation au programme. Il a versé deux sommes distinctes par chèque en règlement de ces frais :

a) la portion des 11 000 $ de son engagement de 100 000 $ qui n’est pas visée par le prêt;

b) son dépôt de sécurité de 12 200 $[27].

Avantages financiers que l’appelant s’attendait à recevoir

[30] Je conclus qu’en contrepartie de son paiement de 23 200 $, l’appelant s’attendait à recevoir les avantages financiers suivants :

A. La somme de 47 000 $ à ajouter à son portefeuille de placements;

B. Un prêt le jour même, à recours limité[28] et partiellement garanti[29] de 89 000 $, à l’égard duquel l’appelant ne s’attendait pas à payer des intérêts ni à rembourser du capital de ses fonds propres;

C. Les services d’un gestionnaire de portefeuille avec mandat de gestion totale duquel il s’attendait à ce qu’il investisse en son nom, en franchise d’impôt[30], le dépôt de garantie de 12 200 $ (ainsi que les dépôts de garantie d’autres participants au programme) de manière à financer entièrement :

(i) tous les paiements d’intérêts sur son prêt de 89 000 $;

(ii) le remboursement du principal de son prêt de 89 000 $.

La décision Herring

[31] Dans la décision Herring, le juge Smith a statué sur les appels d’autres contribuables qui ont tous participé à des ententes de dons avec effet de levier semblables et qui ont tous réclamé des dons de bienfaisance à Banyan. Le juge Smith a examiné avec attention les faits concernant chaque contribuable dont il était saisi ainsi que la jurisprudence pertinente de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale. Il a rejeté les appels des contribuables.

[32] Aux fins du présent appel, le principe de la décision Herring rendue par le juge Smith se trouve au paragraphe 159 de ses motifs du jugement :

[159] Après avoir examiné les éléments de preuve de manière objective, la Cour doit conclure que les appelants n’avaient pas l’intention libérale requise, expression définie dans la jurisprudence. Même s’ils pourraient avoir été motivés par les objectifs philanthropiques du programme, ils ont participé à ce dernier en raison de l’avantage qui leur était offert en échange de leur sortie de fonds. Comme l’a déclaré la juge Woods dans la décision Maréchaux CCI, « [u]ne fois qu’il est conclu que l’appelant prévoyait recevoir un avantage en échange du don, comme il en a en fait reçu, il n’y a pas de don » (par. 42).

[33] Bien que je n’ai pas l’intention de passer en revue la jurisprudence que le juge Smith a soigneusement examinée dans la décision Herring, je reproduis ci-dessous son analyse de l’« intention libérale » sur laquelle j’ai fondé mon raisonnement dans le présent appel :

[traduction]
[112] La première question en litige qu’il faut trancher est celle de savoir si les appelants ont droit à un crédit d’impôt pour « une partie » de la somme promise. Comme cela a été indiqué précédemment, les appelants ont soulevé cette question tout en reconnaissant que le produit des prêts n’avait jamais été versé.

[113] Le paragraphe 118.1(3) autorise un particulier à demander un crédit d’impôt relativement au « total des dons de bienfaisance » qui est défini au paragraphe 118.1(1) comme le total de toutes les sommes de dons, dont chacune représente un « montant admissible » d’un don fait notamment à un « donataire reconnu ». Aux termes du paragraphe 149.1(1), cela comprend « un organisme de bienfaisance enregistré ».

[114] Le terme « don » lui-même n’est pas défini dans la Loi. Cependant, il a souvent été examiné dans la jurisprudence où il a été qualifié de transfert de biens à titre gratuit qui n’est pas effectué en contrepartie d’un avantage ou d’un profit financier. L’arrêt-clé est Friedberg v. R (1991) 92 DTC 6031 (Cour d’appel fédérale) (« Friedberg ») (confirmé par la Cour suprême du Canada) où le juge Linden a indiqué à la page 6032 :

[…] un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie […] L’avantage fiscal n’est généralement pas considéré comme un « avantage » au sens où on l’entend dans cette définition, car s’il en était ainsi, bien des donateurs seraient dans l’impossibilité de se prévaloir des déductions relatives aux dons de charité.

[Non souligné dans l’original.]

[115] Par conséquent, tant qu’il y a eu i) le transfert volontaire ii) à un donataire par un donateur d’un bien appartenant à ce dernier iii) en échange duquel aucune contrepartie ou aucun profit n’a été versé au donateur, il y aura un don en droit.

[116] Comme cela a été souligné dans l’arrêt Friedberg, un contribuable peut être motivé par un avantage fiscal et encore avoir l’intention requise de faire un don de bienfaisance. Dans l’arrêt Marcoux-Côté v. Canada [2001] 4 CTC 54 (CAF), il a été conclu que [traduction] « l’obtention d’un reçu de la part de l’organisme bénéficiaire ne pouvait être considérée comme une contrepartie éliminant le caractère gratuit et libéral de la transaction » (par. 8) et dans la décision Mariano c. La Reine, 2015 CCI 244 (« Mariano »), le juge Pizzitelli a conclu que le fait qu’un contribuable s’attende à obtenir un reçu fiscal n’invalide pas le don, car ce n’est pas l’« ’avantage’ envisagé par l’arrêt Friedberg et les autres décisions » (par. 21). Dans la décision Cassan c. La Reine, 2017 CCI 174 (« Cassan »), le juge Owen a conclu que ce serait le cas « même si le montant dudit reçu fiscal est gonflé » (par. 297), en invoquant l’arrêt Canada c. Castro, 2015 CAF 225 (par. 43 à 48) (« Castro »).

[117] Dans la décision Mariano, le juge Pizzitelli a fait remarquer que l’arrêt Friedberg corrobore la notion selon laquelle l’« intention libérale » est « l’élément essentiel d’un don » également décrit en droit romain comme « animus donandi ou l’intention libérale », ce qui signifie que le donateur « doit être prêt à s’appauvrir dans l’intérêt du bénéficiaire du don sans recevoir aucune contrepartie ». Il a ajouté ce qui suit :

[20] Il est clair que l’élément de l’« appauvrissement » est essentiel pour déterminer l’intention libérale, et que cet élément est souvent exprimé de la manière suivante : « s’appauvrir », « ne pas s’enrichir » ou « ne pas tirer profit du don », comme il est indiqué dans l’arrêt Berg, mais aussi dans de nombreuses affaires soumises à notre Cour, dont Bandi c. La Reine, 2013 CCI 230, et Glover c. La Reine, 2015 CCI 199, [2015] A.C.I. no 160 (QL).

[118] Il est établi que l’existence d’une « intention libérale » est en fin de compte une question de fait qui ne peut pas être tranchée de façon subjective. C’est ce qu’a indiqué le juge Iacobucci dans la décision Symes c. Canada [1993] 4 RCS 695, par. 74 (« Symes ») :

Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.

[Non souligné dans l’original.]

[119] Cependant, il ne faut pas confondre l’intention d’un contribuable avec ce qui pourrait inciter un particulier à agir. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Backman c. Canada, 2001 CSC 10 (« Backman »), la « motivation est ce qui pousse la personne à agir, alors que l’intention est l’objectif ou la fin que vise l’acte qui a été accompli » (par. 22). Dans la décision Klotz v. The Queen, 2004 CCI 147 (« Klotz »), le juge en chef adjoint Bowman (tel était alors son titre), a conclu que le contribuable souhaitait uniquement obtenir un reçu fiscal, mais que cela n’était pas pertinent. Il a expliqué ce qui suit :

25. [...] Le fait d’avoir une âme charitable n’est pas une condition de l’obtention d’un crédit d’impôt pour don de bienfaisance. Les gens font des dons de bienfaisance pour bien des raisons : à des fins fiscales, commerciales, par vanité, pour des motifs d’ordre religieux, à cause de pressions sociales. Aucun motif en soi ne vicie les conséquences fiscales d’un don de bienfaisance.

[Non souligné dans l’original.]

[120] Comme cela a été examiné plus récemment dans la décision Cassan, « l’intention libérale [...] n’exige qu’aucune motivation spécifique n’ait abouti au transfert de bien à titre gratuit » et ni « l’altruisme » ni la « bienveillance » ou même la « magnanimité [et le] désintéressement » sont les conditions essentielles d’un don valide (par. 283 à 298)[31].

La thèse de l’appelant

[34] L’appelant soutient qu’il ne s’attendait à aucun avantage du programme. À cet égard, il se dit différent des contribuables de la décision Herring et de ses précédents devant notre Cour et la Cour d’appel fédérale.

[35] Premièrement, il soutient qu’il n’y avait pas d’élément dépendant ou interconnecté dans la série de transactions parce que la composante en espèces de 11 000 $ de son don avec effet de levier n’était pas remboursable si sa demande de prêt avait été rejetée[32]. Il fait remarquer que la composante en espèces des dons des autres contribuables était remboursable si leurs demandes de prêt étaient rejetées. Il soutient que ce fait a été un élément dominant à la base du raisonnement du juge Smith dans la décision Herring. À cet égard, il se fonde largement sur les paragraphes 160, 164 et 186 de la décision Herring.

[36] Deuxièmement, il fait valoir que son prêt de 89 000 $ devait être remboursé tandis que d’autres contribuables n’étaient pas tenus de le faire ou étaient assurés que le remboursement ne serait pas exécutoire. À ce titre aussi, dit-il, il est différent des autres.

[37] Troisièmement, il fait valoir que les conditions de son prêt ne lui procuraient aucun avantage, car le taux d’intérêt de 4,5 % était un taux de pleine concurrence et la durée de dix ans était relativement modeste par rapport aux conditions de remboursement plus longues et plus généreuses d’autres ententes de don avec effet de levier.

[38] Même si je retiens a) que le paiement de 11 000 $ n’était pas remboursable, b) que le prêt de 89 000 $, à première vue, devait être remboursé, et c) que le taux de 4,5 % était un taux d’intérêt de pleine concurrence, le fait est que l’appelant s’attendait à recevoir, et a effectivement reçu, d’importants avantages financiers de sa participation au programme. Les avantages financiers qu’il s’attendait à recevoir étaient légèrement différents de ceux que les autres contribuables s’attendaient à recevoir, mais cela n’a pas d’incidence.

[39] L’issue de chaque affaire dépend des faits qui lui sont propres et, en l’espèce, les avantages financiers que l’appelant s’attendait à recevoir au coût de 23 200 $ étaient importants. En contrepartie de ce paiement, l’appelant s’attendait à un ajout de 47 000 $ à son portefeuille de placements et à un prêt autofinancé, à recours limité, partiellement garanti de 89 000 $ le jour même. Les attentes de ces avantages financiers de l’appelant ont vicié l’intention libérale au moment de son prétendu don.

L’appelant a-t-il fait un don de 11 000 $?

[40] Au procès, comme je l’ai mentionné précédemment, l’appelant a admis qu’il n’avait pas droit aux crédits d’impôt à l’égard d’un don de bienfaisance de 100 000 $ à Banyan. Il a plutôt demandé des crédits d’impôt uniquement à l’égard d’un don de bienfaisance de 11 000 $, ce qui représente la composante en espèces de son don avec effet de levier de 100 000 $.

[41] En ce qui concerne l’affaire Herring, les contribuables faisaient valoir qu’ils avaient droit à des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance à l’égard a) de la composante en espèces de leurs prétendus dons et b) de leurs dépôts de garantie. En rejetant les deux demandes, le juge Smith a suivi le raisonnement suivant :

[traduction]
[162] Étant donné que le produit des prêts n’a jamais été versé directement à Banyan, les appelants concèdent qu’ils n’ont pas droit à un crédit d’impôt pour don pour la totalité de la somme promise. Cependant, ils soutiennent qu’ils avaient l’intention libérale requise pour la sortie de fonds et le dépôt de garantie et qu’ils se sont appauvris en versant ces sommes d’argent qui ne leur ont pas été remboursées.

[163] Comme l’a expliqué la juge Woods au sujet de la question des dons partiels, dans la décision Maréchaux CCI, « [d]ans certaines conditions, il peut être approprié de partager une opération en deux parties » (par. 48), mais elle a ensuite conclu qu’il n’était « pas approprié de partager ainsi l’opération », étant donné qu’il n’y avait « qu’un seul arrangement interdépendant » et qu’« aucune partie de cet arrangement ne peut être considérée comme un don que l’appelant a effectué sans s’attendre à quoi que ce soit en échange » (par. 49). Dans la décision Maréchaux CAF (par. 12)[33], la Cour d’appel fédérale acceptait cette conclusion.

***

[166] En fin de compte, je ne peux pas faire la distinction entre les faits en l’espèce et ceux dans les décisions Maréchaux CCI et Markou CCI, confirmées toutes les deux par la Cour d’appel fédérale. Je conclus qu’« aucune partie » du montant du don ne constituait un don aux termes de la common law et que cela comprend à la fois la composante en espèces et le dépôt de garantie[34].

[42] Dans la décision Herring, le juge Smith a conclu que ni la composante en espèces des prétendus dons ni les dépôts de garantie n’étaient des [traduction] « paiements volontaires effectués à titre gratuit, mais qu’il s’agissait d’une contrepartie payée dans le contexte d’une opération ou d’un arrangement interdépendant »[35]. Je tire la même conclusion pour vu les faits du présent appel.

[43] L’appelant tente de faire la distinction entre lui-même et les contribuables dans la décision Herring en avançant une thèse plus circonscrite, à savoir qu’il a droit à des crédits d’impôt pour dons de bienfaisance à l’égard de la composante en espèces de 11 000 $ du don de bienfaisance qu’il a réclamé, mais non à l’égard de son dépôt de garantie de 12 200 $.

[44] Bien que l’appelant élève, en effet, une réclamation nettement moindre, je tire la même conclusion que le juge Smith dans la décision Herring pour les mêmes motifs. Le montant de 11 000 $ versé par l’appelant à Banyan ne constituait pas un paiement volontaire effectué à titre gratuit. Il faisait plutôt partie de la contrepartie totale de 23 200 $ et était un élément intégral d’un arrangement ou d’une série de transactions interconnectées pour lesquelles l’appelant s’attendait à recevoir 47 000 $ à ajouter à son portefeuille de placement, et un prêt autofinancé de 89 000 $, à recours limité et partiellement garanti, le jour même. Aucune portion de l’engagement de 100 000 $ de l’appelant n’était un don, notamment la partie en espèces de 11 000 $.

Conclusion

[45] En 2007 ou 2008, l’appelant en est venu à croire que le programme était une fraude[36]. Dans un rare moment d’introspection lors des débats, l’appelant a présenté une autoévaluation révélatrice : [traduction] « J’ai conclu une affaire et j’ai été trompé »[37].

[46] En participant au programme, l’appelant a certainement fait des affaires. Son désir soudain en 2004 de faire un don à six chiffres à un organisme de bienfaisance auquel il n’avait jamais fait de don est difficile à comprendre à moins qu’il ne considère toute la série de transactions comme une transaction commerciale prudente. J’ai conclu qu’il a participé au programme pour les avantages financiers qu’il s’attendait à recevoir, notamment l’augmentation de la taille de son propre portefeuille de placement personnel de 47 000 $ et la réception d’un prêt autofinancé, à recours limité, partiellement garanti de 89 000 $, le jour même.

[47] Relativement à l’argument de l’appelant selon lequel il a été trompé, la maxime latine caveat emptor vient à l’esprit, d’autant plus que l’appelant lui-même a déclaré ce qui suit lors de son témoignage :

[traduction]
[…] une personne ayant un seuil de tolérance élevé au risque est une personne qui a de la richesse et des placements, de la subtilité suffisante pour effectuer des placements à risque élevé, et voilà ce que j’ai approuvé, voilà qui je suis[38].

[48] L’appelant a participé au programme en raison des avantages financiers importants qu’il s’attendait à recevoir. Vu l’absence d’intention libérale de la part de l’appelant, il n’y a tout simplement pas eu de don dans ces circonstances. Je rejetterai donc l’appel de l’appelant avec dépens conformément au tarif, comme l’a demandé l’avocat de l’intimé.

Signé à Toronto (Ontario), ce 7e jour d’octobre 2022.

« David E. Spiro »

Le juge Spiro

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de novembre 2023.

François Brunet, réviseur


 

Annexe A

 

BANYAN TREE FOUNDATION

 

ENGAGEMENT

 

ENVERS : PROGRAMME DE DON DE LA FONDATION BANYAN TREE

(Enregistrement no 119123016 RR001)

SOMME : 100 000 $

ATTENDU QUE le soussigné souhaite faire un don du montant mentionné ci-dessus (le « don ») à la fondation de bienfaisance mentionnée ci-dessus (la « Fondation »);

ET ATTENDU QUE le soussigné souhaite obtenir un délai pour remplir son engagement, prévu à la présente, à faire le don;

PAR CONSÉQUENT, l’engagement atteste ce qui suit :

  1. Par la présente, le soussigné s’engage auprès de la Fondation et consent à lui remettre au plus tard le 31 décembre 2004 le montant total du don par traite bancaire, virement bancaire ou au moyen de fonds immédiatement disponibles.

  2. Le soussigné reconnaît et convient que

a) le présent engagement est contracté par le soussigné volontairement et sans attente d’une contrepartie, d’un droit, d’un privilège, d’une reconnaissance, d’un profit ou d’un avantage de quelque nature que ce soit de la part de la Fondation, autre qu’un reçu à des fins fiscales dans le formulaire prescrit;

b) le soussigné n’a imposé aucune limitation ou autre restriction de quelque nature que ce soit à l’utilisation que la Fondation peut faire du don, et la Fondation peut utiliser le don de la manière qu’elle estime souhaitable, à sa seule et entière discrétion;

c) le présent engagement est revêtu d’un sceau et constitue à ce titre une obligation exécutoire du soussigné nonobstant l’absence de contrepartie.

FAIT le 4 mars 2004

Case postale 6

 

[adresse]

(signature) (SCEAU)

Waterdown (Ontario) L0R 2H0

DAVID S. CRANE

(ville, province, code postal)

(nom – caractères d’imprimerie)

 

 


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 115

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2013-3932(IT)G

INTITULÉ :

DAVID SAMUEL CRANE ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 12 et 13 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge David E. Spiro

DATE DU JUGEMENT :

Le 7 octobre 2022

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocats de l’intimé :

Dan Daniels et Emmanuel Gibson

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

S. O.

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Me François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] L’absence d’intention libérale de l’appelant est suffisante pour statuer sur le présent appel. Pour cette raison, je n’ai pas discuté les motifs subsidiaires invoqués par l’intimé pour appuyer la nouvelle cotisation.

[2] À cette époque, la Cour supérieure de justice de l’Ontario s’appelait la Cour de l’Ontario (Division générale). Le nom de la Cour de l’Ontario (Division générale) a été rebaptisé Cour supérieure de justice en avril 1999 avec l’entrée en vigueur de la Loi de 1996 sur l’amélioration des tribunaux.

[3] Avis d’appel, page 6.

[4] Avis d’appel, page 7.

[5] Ce changement de position a d’abord été communiqué par lettre de l’appelant datée du 21 juillet 2022.

[6] La demande d’aveux de l’intimé et la réponse de l’appelant à la demande d’aveux déposées comme pièce R1 (« Aveux formels »), par. 1.

[7] Aveux formels, par. 2, 3, 5, et 6.

[8]Transcription du 12 septembre 2022, page 101, lignes 1 à 5.

[9] Transcription du 12 septembre 2022, page 60, ligne 28, à la page 61, ligne 1. Voir également la page 88, lignes 18 à 20 de la transcription du 12 septembre 2022 où l’appelant a de nouveau désigné l’entente « ce placement ».

[10] Les éléments de preuve ne permettent pas de déterminer la date exacte de la première rencontre entre l’appelant et M. Anderson. Étant donné que l’appelant n’avait conservé aucune trace ni aucun souvenir d’une date antérieure au 4 mars 2004 pour cette première rencontre, j’en déduis que les deux rencontres ont eu lieu le 4 mars 2004 dans le cabinet de l’appelant.

[11] Transcription du 12 septembre 2022, page 87, lignes 27 et 28.

[12] Pièce A10.

[13] Transcription du 12 septembre 2022, page 61, lignes 26 et 27.

[14] L’appelant s’est manifestement mal exprimé pendant cette partie de son témoignage. Je suppose que la mention de l’appelant de son « don en espèces » désignait les 11 000 $, et non le montant du prêt de 89 000 $.

[15] Transcription du 12 septembre 2022, page 30, lignes 28 à 31, ligne 14. En contre-interrogatoire, l’appelant a admis qu’il n’avait pas parlé avec son comptable fiscaliste, M. Harrison, avant de décider de participer au programme (voir la page 99, ligne 24 à la page 100, ligne 4 de la transcription du 12 septembre 2022).

[16] Transcription du 12 septembre 2022, page 79, lignes 24 à 28.

[17] Aveux formels, par 17.

[18] Aveux formels, par. 22.

[19] Une définition du dictionnaire du mot « absurdité » signifie [traduction] « [c]e qui est insensé, des mots ou des idées dénués de sens ». Voir « absurdité, n. et adj. » OED Online, Oxford University Press, Septembre 2022, www.oed.com/view/Entry/128094. Consulté le 7 octobre 2022.

[20] Transcription du 12 septembre 2022, page 65, ligne 1 à la page 66, ligne 1.

[21] Transcription du 12 septembre 2022, page 69, lignes 5 à 7.

[22] Transcription du 13 septembre 2022, page 25, lignes 22 à 24.

[23] Transcription du 12 septembre 2022, page 110, lignes 14 à 17. L’appelant a été appelé une fois à payer de ses fonds propres des « intérêts », ce qu’il a fait (pièces A7, A8 et A9), mais cette demande imprévue n’a été faite qu’en novembre 2006 et, par conséquent, elle n’a aucune incidence sur l’intention de l’appelant lorsqu’il a décidé de participer au programme en mars 2004.

[24] Transcription du 12 septembre 2022, page 56, lignes 6 à 11.

[25] Transcription du 12 septembre 2022, page 56, lignes 8.

[26] Transcription du 12 septembre 2022, page 58, lignes 9 à 19. Le concept de « croissance » plaisait tellement à l’appelant qu’il a commencé sa déclaration liminaire en louangeant le [traduction] « pouvoir relutif du capitalisme lorsqu’il est exercé de manière sélective » (Transcription du 12 septembre 2022, page 11, lignes 6 à 10).

[27] Aveux formels, par. 18 et annexe « B » de la réponse.

[28] Je conclus qu’il s’agissait d’un prêt à recours limité, car le paragraphe 2.6 de l’annexe A de la demande de prêt et de la procuration prévoit que le recours de Rochester était limité à la « garantie » définie au paragraphe 2.2 comme un dépôt de garantie et tous les accroissements, les revenus et les produits qui en découlent.

[29] Je conclus que le prêt était partiellement garanti, car la seule garantie prise par Rochester était la somme de 12 200 $, soit moins de 14 % du montant principal.

[30] Le paragraphe 3.4 de l’annexe A de la demande de prêt et de la procuration prévoit effectivement que l’appelant n’aurait jamais à débourser l’impôt qu’il doit payer sur le revenu provenant de son dépôt de garantie de 12 200 $.

[31] Herring, par. 112 à 120.

[32] On peut se demander si le rejet de la demande de prêt de l’appelant n’a jamais été une possibilité sérieuse.

[33] Herring, par. 162 et 163.

[34] Herring, par. 166.

[35] Herring, par. 164.

[36] Transcription du 12 septembre 2022, page 14, ligne 21; page 49, ligne 15; page 109, ligne 24; et page 113, ligne 15.

[37] Transcription du 13 septembre 2022, page 123, lignes 23 et 24.

[38]Transcription du 12 septembre 2022, page 117, lignes 12 à 16. L’appelant a fait cette déclaration relativement au paragraphe 3.3.c de l’annexe A de la demande de prêt et de la procuration.

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