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Dossier : 2021-285(IT)I

ENTRE :

RICHARD T MCCULLOUGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

Dossier : 2021-3130(IT)I

ET ENTRE :

RICHARD T MCCULLOUGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 14 septembre 2022 à North Bay (Ontario).

Devant : l’honorable juge Ronald MacPhee


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Gregory DuCharme

Avocat de l’intimé :

Me Hubert-Martin Cap-Dorcelly

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelant en application de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2017 et 2019 est accueilli, sans dépens :

 


 

Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour d’octobre 2022.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mai 2024.

François Brunet, réviseur


Référence : 2022 CCI 118

Date : 20221208

Dossier : 2021-285(IT)I

ENTRE :

RICHARD T MCCULLOUGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé,

Dossier : 2021-3130(IT)I

ET ENTRE :

RICHARD T MCCULLOUGH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

Le juge MacPhee

[1] La question à trancher dans le présent appel est celle de déterminer si l’appelant a droit de déduire des dépenses d’emploi aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu[1] (la « Loi ») pour les années d’imposition 2017 et 2019. Les dépenses d’emploi en question concernent des frais d’hébergement, des frais de bouche et de divertissement et des frais de véhicule à moteur. En 2017, les dépenses d’emploi s’élevaient à 23 599 $, en plus d’un remboursement de TPS/TVH connexe de 2 702 $. En 2019, les dépenses d’emploi s’élevaient à 10 791,28 $.

[2] Au début de l’audience, les avocats des deux parties ont indiqué que la seule question que je devais trancher était celle de savoir si l’appelant satisfait au critère énoncé à l’alinéa 8(1)h) de la Loi. L’appelant et l’intimé conviennent que ma conclusion concernant l’analyse relative à l’alinéa 8(1)h) sera déterminante pour toutes les questions soulevées en appel.

Faits relatifs aux années d’imposition en cause

[3] L’appelant est ingénieur industriel. Il habite à Lakehurst, en Ontario, avec son épouse et leurs trois enfants adultes. L’appelant est au service de Savage Arms (Canada) Inc. (« Savage Canada ») au poste de vice-président/directeur général. Savage Canada fait partie d’un conglomérat international de sociétés. En 2019, Vista Outdoor Inc. était à la tête du conglomérat international.

[4] Le siège social de Savage Canada est situé à Lakefield, en Ontario. Quand il était à l’emploi de Savage Canada, le lieu de travail régulier de l’appelant était le siège social de Savage Canada.

[5] Savage Canada produisait un type précis de fusil, appelé fusil à percussion annulaire. Les ventes annuelles de Savage Canada ont totalisé environ 55 millions de dollars pour les années d’imposition 2017 et 2019.

[6] L’autre société en cause, Savage Arms Inc. (« Savage USA »), produisait également des fusils, mais d’un type différent de celui produit au Canada. Savage USA produisait un fusil à percussion centrale. Savage USA était une société beaucoup plus grosse que Savage Canada, avec des ventes annuelles d’environ 250 millions de dollars pour les années d’imposition 2017 et 2019. Savage USA est située à Westfield, au Massachusetts.

[7] En 2017, les tâches de l’appelant ont changé. L’appelant a affirmé durant son témoignage que son employeur, Savage Canada, lui a demandé d’aider une société sœur aux États-Unis. Pour cela, l’appelant a pris le poste de directeur principal de la fabrication pour Savage USA. L’appelant a assumé ces fonctions supplémentaires d’août 2017 à avril 2019.

[8] L’appelant devait passer deux à trois semaines chaque mois aux bureaux de Savage USA à Westfield, Massachusetts. Les bureaux de Westfield étaient situés à environ huit heures de voiture de la résidence de l’appelant. Quand il ne travaillait pas aux bureaux de Savage USA, l’appelant poursuivait ses fonctions chez Savage Canada à son lieu de travail habituel à Lakefield, en Ontario.

[9] Durant son témoignage, l’appelant a donné diverses raisons expliquant pourquoi on lui avait demandé d’aider aux opérations de Savage USA. Le témoignage de l’appelant était logique, clair et cohérent et n’a pas été sérieusement contesté en contre-interrogatoire. Je reconnais par conséquent que ces raisons sont exactes.

[10] Les raisons pour lesquelles il avait été demandé à l’appelant de porter assistance à Savage USA étaient les suivantes :

  1. L’appelant avait beaucoup de succès avec la direction des opérations de Savage Canada. Son établissement était l’un des plus prospères parmi le groupe de sociétés.

  2. Les opérations de Savage USA connaissaient des difficultés. Les éléments de preuve qui ont été présentés indiquaient que l’employeur de l’appelant et Savage USA pensaient que l’appelant, en raison de son expertise, pourrait améliorer les opérations de Savage USA.

  3. L’appelant avait de l’ambition et cherchait d’autres défis à son travail, et il était heureux d’assumer cette responsabilité supplémentaire. L’appelant a également affirmé qu’il était important qu’il aide la société sœur, en bon joueur d’équipe. Enfin, l’appelant a reçu à titre de compensation pour ces responsabilités un salaire additionnel de 100 000 $.

[11] L’appelant a signé un addenda à son contrat de travail, daté du 17 juillet 2017. Le contrat de travail, de même que l’addenda, liaient Savage Canada et l’appelant. L’appelant n’a jamais signé de contrat avec Savage USA.

[12] L’addenda au contrat de travail de l’appelant indique ce qui suit :

  • (i)Le poste était un poste par intérim.

  • (ii)Dans le cadre de son emploi à Westfield, Massachusetts, l’appelant était responsable de ses dépenses de nourriture, de boissons, de divertissement et de déplacement jusqu’au lieu de travail de Savage USA.

  • (iii)L’appelant devait conserver ses fonctions et responsabilités avec Savage Canada, et assumer de nombreuses nouvelles fonctions et responsabilités avec Savage USA.

[13] L’appelant a dû obtenir un visa de travail temporaire pour travailler chez Savage USA.

[14] L’appelant a affirmé qu’il avait toujours été prévu que l’aide apportée à Savage USA serait temporaire. Je retiens ce témoignage pour cinq raisons principales :

  • (i)Le témoignage de l’appelant à cet égard n’a pas été vraiment contesté à l’audience.

  • (ii)Les modalités de l’addenda indiquent clairement que son poste avec Savage USA serait « par intérim ».

  • (iii)Le contrat de travail relatif à la prise en charge des fonctions supplémentaires a été signé avec Savage Canada, et non Savage USA;

  • (iv)L’appelant n’a travaillé chez Savage USA que durant 19 mois.

  • (v)En tout temps, Savage Canada a payé l’entièreté du salaire de l’appelant. Si l’appelant avait eu pour intention de travailler de façon permanente pour Savage USA, il serait logique de penser que Savage USA aurait assumé une part du salaire de l’appelant dans sa masse salariale.

[15] À la suite de cet arrangement temporaire, l’appelant a assumé les frais d’hébergement, de bouche et les autres frais de déplacement nécessaires pour pouvoir assumer ses fonctions chez Savage USA. Ni Savage Canada ni Savage USA ne l’a remboursé pour ces dépenses.

[16] Enfin, je dois présenter mes observations sur une question soulevée à l’audience. L’appelant a tenté de déposer en preuve un affidavit de Albert Kasper. Même si je comprends que le paragraphe 18.15(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt[2] précise que la Cour n’est pas liée par les règles de preuve, ce qui me confère un vaste pouvoir discrétionnaire me permettant d’accepter ou non les éléments de preuve proposés, ce pouvoir discrétionnaire doit être appliqué tout en garantissant l’équité à toutes les parties qui comparaissent devant la Cour. Dans le cas présent, j’ai choisi de n’accorder aucun poids à cet affidavit quoi qu’il en soit. L’appelant a déposé cet affidavit très tard dans le processus. L’intimé, à la réception de l’affidavit, a remis à l’avocat de l’appelant des questions de suivi, qui n’ont jamais trouvé réponse.

[17] En raison de l’impossibilité pour l’intimé de procéder à un contre-interrogatoire concernant l’affidavit de Albert Kasper, et le manque d’effort de la part de l’appelant pour s’assurer que le document soit transmis à la Cour de manière équitable sur le plan procédural, je n’accorde aucun poids au document. Agir autrement mènerait à un procès par embuscade. Deux avocats expérimentés sont engagés dans cette affaire. Des arrangements appropriés auraient pu être pris pour s’assurer que cet élément de preuve soit présenté à la Cour de manière équitable d’un point de vue procédural.

Thèse de l’appelant

[18] Pour appuyer son argument selon lequel il a droit de déduire des dépenses aux termes de l’alinéa 8(1)h) de la Loi, l’appelant avance ce qui suit :

  • (i)Les fonctions de l’appelant avec Savage USA étaient temporaires, et n’ont modifié en rien ses fonctions avec son employeur canadien.

  • (ii)Le poste de directeur principal qu’occupait l’appelant avec Savage USA l’obligeait à être présent dans les bureaux de la société américaine de temps en temps, mais pas à plein temps.

  • (iii)Le lieu habituel de travail de l’appelant était situé à Lakefield, en Ontario.

La thèse de l’intimé

[19] L’intimé soutient que l’appelant avait deux lieux habituels de travail : Savage Canada et Savage USA. À ce titre, l’appelant n’était pas autorisé à déduire ses dépenses de logement, de bouche, de boissons et d’automobile pour ses déplacements au bureau américain. Permettre à l’appelant de déduire ces dépenses équivaudrait à permettre à l’appelant de déduire des dépenses personnelles. L’intimé affirme que l’appelant ne peut par conséquent déduire ces dépenses selon le critère énoncé à l’alinéa 8(1)h) de la Loi.

[20] De plus, à titre subsidiaire je crois, l’intimé soutient que la Cour doit en arriver à la conclusion que l’appelant n’a travaillé que pour un seul employeur. Cette conclusion est fondée sur le fait que Savage USA et Savage Canada sont des sociétés sœurs, exploitées par la même société mère. Ainsi, puisque les entités Savage sont apparentées, l’intimé affirme que l’appelant a continué de n’avoir qu’un seul employeur. Si je comprends bien son argument, cet employeur serait Vista Outdoors Inc. Le lieu d’affaires de son employeur est à la fois au Canada et aux États-Unis. Par conséquent, l’appelant n’a pas satisfait aux exigences de l’alinéa 8(1)h) de la Loi.

Analyse

[21] L’article 8 de la Loi autorise certaines déductions du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. Conformément au paragraphe 8(2) de la Loi, les dépenses qui ne sont pas expressément énumérées au paragraphe 8(1) ne sont pas déductibles du revenu tiré d’un emploi. Le paragraphe 8(1) de la Loi prévoit une longue liste de déductions admissibles, y compris les frais de déplacement.

[22] Le critère permettant de déduire des frais de déplacement est énoncé à l’alinéa 8(1)h) de la Loi, qui est ainsi libellé :

Frais de déplacement

h) lorsque le contribuable, au cours de l’année, à la fois :

i) a été habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits,

(ii) a été tenu, en vertu de son contrat d’emploi, d’acquitter les frais de déplacement qu’il a engagés pour l’accomplissement des fonctions de sa charge ou de son emploi, les sommes qu’il a dépensées pendant l’année (sauf les frais afférents à un véhicule à moteur) pour se déplacer dans l’exercice des fonctions de son emploi, sauf s’il a, selon le cas :

(iii) reçu une allocation pour frais de déplacement qui, par l’effet des sous-alinéas 6(1)b)(v), (vi) ou (vii), n’est pas incluse dans le calcul de son revenu pour l’année,

(iv) demandé une déduction pour l’année en application des alinéas e), f) ou g);

[23] Pour paraphraser l’alinéa 8(1)h) de la Loi, l’employé peut demander une déduction si, entre autres exigences, il a été « habituellement tenu » de travailler ailleurs « qu’au lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits ». Les définitions des mots « employeur », « habituellement », « tenu » et « lieu d’affaires de son employeur ou à différents endroits » sont données ci-dessous.

Qui est l’« employeur »?

[24] L’employeur est défini à l’article 248 de la Loi de la façon suivante : employeur Dans le cas du cadre ou fonctionnaire, la personne de qui celui-ci reçoit sa rémunération.

[25] En l’espèce, Savage Canada a payé le salaire de l’appelant en tout temps. L’appelant avait également un contrat de travail avec Savage Canada énonçant l’ensemble de ses fonctions. Je conclus donc que l’appelant n’avait qu’un seul employeur, et que cet employeur était Savage Canada.

Que signifie le mot « habituellement »?

[26] Le mot « habituellement » n’oblige pas l’employé à être constamment en déplacement. Il exige plutôt qu’une part clairement définie des fonctions de l’employé l’oblige régulièrement à s’absenter de son lieu de travail habituel de temps en temps[3].

[27] Dans la décision Imray, le juge Campbell a affirmé que le mot « habituellement » (ou l’expression « de manière habituelle ») est synonyme de « normalement », « se produisant de façon régulière », « usuellement » et « communément ».[4] Dans la même décision, le juge Campbell a également affirmé que la présence obligatoire à un congrès professionnel qui n’a lieu qu’une fois par année pouvait être qualifié d’« habituellement » requise[5].

[28] L’appelant était habituellement tenu d’exécuter ses fonctions, énoncées à l’addenda de son contrat de travail daté du 17 juillet 2017, aux bureaux de Savage USA situés à Westfield, Massachusetts. Les bureaux de Savage USA étaient situés loin du lieu de travail de l’appelant. Il a dû s’y rendre deux à trois semaines chaque mois, entre août 2017 et avril 2019. À ce titre, l’appelant était habituellement tenu de travailler ailleurs que chez son employeur, Savage Canada.

Que signifie le mot « tenu »?

[29] La Cour d’appel fédérale a précisé quelle était la définition du mot « tenu » dans l’arrêt Hoedel[6]. Dans l’arrêt Hoedel, un agent de police devait utiliser son véhicule personnel pour transporter un chien policier entre le poste de police et sa résidence, et à d’autres lieux, pour les besoins de son travail[7]. Aucune exigence écrite ou contrat verbal n’obligeait l’agent à utiliser dans le cadre de son travail son véhicule personnel[8]. Néanmoins, parce que le non-respect de cette condition d’emploi aurait pu entraîner une mauvaise évaluation de son rendement, l’agent était tenu de transporter le chien policier dans le cadre des fonctions de son emploi[9]. Ainsi, les dépenses engagées par l’agent de police pour le transport du chien policier étaient déductibles aux termes de l’alinéa 8(1)h) de la Loi[10].

[30] En l’espèce, l’appelant était clairement tenu, aux termes de son contrat de travail, d’exercer des fonctions précises pour Savage USA. Le contrat rendait également l’appelant responsable de ses propres frais de déplacement jusqu’aux bureaux de Savage USA pour exercer ces fonctions. En raison de l’addenda au contrat de travail, l’appelant était tenu d’exercer ces fonctions pour Savage USA.

Que signifie l’expression « lieu d’affaires de son employeur »?

[31] Le « lieu d’affaires de son employeur » peut être plus difficile à discerner lorsque l’employeur assigne temporairement l’employé à une autre ville. Dans la décision Tremblay, le contribuable demeurait à Val Bélair, au Québec, quand il a été recruté comme agent de la paix par la Gendarmerie royale du Canada[11]. Son employeur l’a aussitôt envoyé suivre un cours d’anglais, de septembre 1991 à mai 1992, à Montréal[12]. Même si le contribuable a vécu à Montréal durant deux années d’imposition pour suivre ce cours obligatoire, Montréal n’était pas le lieu d’affaires de son employeur[13].

[32] La permanence d’un emploi constitue également un facteur en ce qui concerne la localisation du lieu d’affaires d’un employeur. Dans la décision Freake, le juge Pizzitelli de la Cour canadienne de l’impôt a affirmé que le lieu d’affaires de l’employeur n’est pas nécessairement un endroit nouveau où se rend l’employé pour exercer les fonctions de son emploi[14]. Dans la décision Freake, un contribuable résidant habituellement à Terre-Neuve a travaillé aux États-Unis sur différents chantiers à titre de monteur de lignes hydroélectriques durant l’année d’imposition 2006[15]. Le juge Pizzitelli a conclu que rien ne montrait que le poste du contribuable aurait pu devenir permanent à l’un ou l’autre des chantiers[16]. Le contribuable était plutôt uniquement tenu de s’acquitter de ses fonctions tant que le projet demeurait inachevé, puis retournait chez lui à Terre-Neuve[17]. Aucun poste permanent n’a été offert au contribuable[18]. Ainsi, aucun des chantiers sur lesquels le contribuable a travaillé n’était le lieu d’affaires habituel de l’employeur.

[33] En l’espèce, même si l’appelant a passé 19 mois à faire l’aller-retour entre le Canada et les bureaux de Savage USA à Westfield, Massachusetts, le lieu d’affaires de l’appelant était clairement situé au siège social de Savage Canada à Lakefield, en Ontario. Comme je l’ai précédemment indiqué, je retiens le témoignage de l’appelant, selon lequel cette affectation à Savage USA n’était que temporaire. En tout temps, le lieu d’affaires de l’employeur était à Lakefield, en Ontario. Les déplacements à Westfield, Massachusetts constituaient des déplacements que faisait l’appelant loin du lieu de travail de son employeur.

Les dépenses ont-elles été engagées pour des déplacements dans le cadre d’une charge ou d’un emploi?

[34] J’ai été surpris qu’aucune des parties n’ait discuté cette question en détail. Comme il est expliqué dans la décision Colavecchia, il existe deux tendances jurisprudentielles concernant la question de savoir si une dépense est engagée pour des déplacements dans le cadre d’une charge ou d’un emploi. [19] La première est celle représentée par l’arrêt Chrapko[20], et l’autre est celle représentée par l’arrêt Hogg[21].

[35] Cette première tendance jurisprudentielle reconnaît que les déplacements entre le domicile d’un employé et les divers lieux de travail se font dans le cadre de l’exécution d’un service pour un employeur. Par conséquent, les dépenses engagées par l’employé pour se déplacer entre son domicile et les divers lieux de travail sont déductibles[22].

[36] La seconde tendance jurisprudentielle enseigne que les déplacements entre le domicile d’un employé et un lieu de travail sont intrinsèquement personnels, à moins qu’il puisse être démontré que certaines fonctions sont accomplies par l’employé durant ces déplacements (comme transporter des fournitures pour un employeur)[23]

[37] Comme je l’ai noté, aucune des parties n’a discuté à l’audience ces deux tendances jurisprudentielles opposées. De plus, aucune des parties n’a présenté d’observations sur la question de savoir si l’appelant fournissait un service à son employeur durant ses déplacements mensuels entre son domicile et Westfield, Massachusetts.

[38] Compte tenu de l’absence d’observations sur cette question, j’admettrai que l’appelant fournissait un service à son employeur durant son trajet de huit heures, et se déplaçait donc dans le cadre de son emploi. Le contrat de travail de l’appelant exigeait qu’il se déplace à Savage USA. Par conséquent, durant ses déplacements, l’appelant s’acquittait d’une obligation de son emploi. Je conclus donc que l’appelant a satisfait à l’exigence de l’alinéa 8(1)h) de la Loi.

Conclusion

[39] Les appels sont accueillis. Entre août 2017 et avril 2019, l’appelant était tenu d’exercer les fonctions de son emploi loin de son lieu d’affaires habituel. Son employeur est demeuré en tout temps Savage Canada. Savage Canada versait le salaire de l’appelant, et l’appelant exerçait des fonctions pour Savage USA à la demande de Savage Canada. L’appelant n’a jamais été à l’emploi de Savage USA. Savage USA est une entité distincte de Savage Canada.

[40] C’est pour le compte de Savage Canada que l’appelant a amélioré les opérations de Savage USA. Par conséquent, durant les deux années en cause devant la Cour, l’appelant était habituellement tenu d’exercer les fonctions de son emploi ailleurs qu’au lieu d’affaires de son employeur au Canada.

[41] Par conséquent, l’appelant a satisfait au critère énoncé à l’alinéa 8(1)h) de la Loi. L’appelant a à juste titre réclamé des déductions de 23 599 $ et de 10 791,28 $ pour des dépenses d’emploi en 2017 et en 2019, respectivement.

[42] Aux termes du paragraphe 253(1) de la Loi sur la taxe d’accise[24], l’appelant au droit à un remboursement de la TPS de 2 702 $ pour l’année d’imposition 2017 étant donné que ses dépenses d’emploi sont déductibles aux termes de la Loi.

[43] Il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

Les présents motifs du jugement modifiés remplacent les motifs du jugement du 1er novembre 2022.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de décembre 2022.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de mai 2024.

François Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :

2022 CCI 118

NOS DU DOSSIER DE LA COUR :

2021-285(IT)I

2021-3130(IT)I

INTITULÉ :

RICHARD T MCCULLOUGH c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

North Bay (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Ronald MacPhee

DATE DU JUGEMENT :

Le 21 octobre 2022

DATE DES MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS :

Le 8 décembre 2022

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Gregory DuCharme

Avocat de l’intimé :

Me Hubert-Martin Cap-Dorcelly

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Gregory DuCharme

 

Cabinet :

 

Avocat de l’intimé :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) [la Loi].

[2] Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2.

[3] Canada Tax Service - McCarthy Tetrault Analysis, 8(1)(h), (h.1) – frais de déplacement.

[4] Imray c. Canada, [1998] 4 CTC 221, par. 21, 24, 98 DTC 6580 [Imray]. Voir également Canada c. Patterson, [1982] CTC 371, par. 51 à 53, 82 DTC 6236.

[5] Imray, précitée, note 4, par. 23 et 24.

[6] Hoedel c. Canada, [1986] 2 CTC 419, 86 DTC 6535.

[7] Ibid., par. 3 et 5.

[8] Ibid., par. 4.

[9] Ibid., par. 5.

[10] Ibid.

[11] Canada (Procureur Général) c. Tremblay, [1998] 3 CTC 38, par. 2, 1997 CarswellNat 2633.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Freake c. La Reine, 2009 CCI 568, par. 16.

[15] Ibid., par. 2 et 3.

[16] Ibid., par. 16.

[17] Ibid.

[18] Ibid.

[19] Colavecchia c. La Reine, 2010 CCI 194, par. 68 [Colavecchia].

[20] Chrapko v. R., [1988] 2 CTC 342, 1988 CarswellNat 395 [Chrapko].

[21] Hogg c. Canada, 2002 CAF 177.

[22] Ibid., par. 69. Voir également l’arrêt Chrapko, précité, note 20, par. 6.

[23] Colavecchia, précité, note 19, par. 73 et 74.

[24] Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15.

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