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Dossier : 2020-2176(IT)I

ENTRE :

PAUL M. GAGNON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 26 septembre 2022, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocate de l’intimé :

Me Lora Falkenberg Walsh

 

JUGEMENT

ATTENDU QUE la Cour a, en ce jour, rendu les motifs de son jugement dans le présent appel;

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel concernant l’année d’imposition 2019 est rejeté;

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2022.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


Dossier : 2020-2274(IT)I

ENTRE :

MAUREEN E. GAGNON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu le 26 septembre 2022, à Calgary (Alberta).

Devant : L’honorable juge Randall S. Bocock

Comparutions :

Représentant de l’appelante :

M. Paul M. Gagnon,

Avocate de l’intimé :

Me Lora Falkenberg Walsh

 

JUGEMENT

ATTENDU QUE la Cour a, en ce jour, rendu les motifs de son jugement dans le présent appel;

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

  1. L’appel concernant l’année d’imposition 2019 est rejeté;

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2022.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


Référence : 2022CCI139

Date : 20221109

Dossier : 2020-2176(IT)I

ENTRE :

PAUL M. GAGNON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

Dossier : 2020-2274(IT)I

ET ENTRE :

MAUREEN E. GAGNON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

MOTIFS COMMUNS DU JUGEMENT

Le juge Bocock

I. INTRODUCTION

[1] Les présents motifs communs de jugement portent sur deux appels interjetés par les appelants, Paul et Maureen Gagnon. Ils sont conjoints. Au cours de l’année d’imposition 2019, ils ont tous deux versé des acomptes provisionnels trimestriels sur les impôts sur le revenu estimés dus à la date d’échéance du solde, le 30 avril 2020. Le ministre affirme qu’ils n’ont pas effectué les versements requis les 15 mars, juin et septembre 2019. Le ministre a établi une nouvelle cotisation pour les intérêts sur arriérés de M. et Mme Gagnon en vertu du paragraphe 161(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1, en sa version modifiée (la « Loi »). De plus, en se fondant sur le seuil minimal prévu à l’article 163.1 de la Loi, le ministre a imposé une pénalité à M. Gagnon.

II. NATURE DE L’APPEL

[2] M. Gagnon s’est représenté lui-même et a représenté son épouse. Le seul fondement de l’appel interjeté par M. Gagnon est qu’un dividende non anticipé et imprévu a été déclaré en novembre 2019, payable au plus tard le 15 décembre 2019. Ce dividende a augmenté de façon importante les revenus des deux appelants et l’obligation fiscale qui en découle, et par conséquent leurs acomptes provisionnels respectifs. Le solde du versement majoré a été entièrement payé le 15 décembre 2019. À l’exception de l’incidence du dividende déclaré et payé, les parties conviennent qu’aucun intérêt ou pénalité supplémentaire n’était dû. En outre, les parties conviennent qu’après le versement du 15 décembre 2019, il n’y a pas eu d’insuffisance de versement. L’insuffisance contestée concerne les versements de mars, juin et septembre.

III. RAPPEL DES FAITS

[3] Aucun fait n’est contesté. Un exposé conjoint des faits a été soumis pour les deux appels.

[4] M. et Mme Gagnon étaient tenus de verser des acomptes provisionnels parce que leur impôt net à payer dépassait 3 000 $ au cours des trois années d’imposition précédentes (« auteurs du versement trimestriel »). Leur position fiscale relative en 2019 est décrite dans le tableau suivant (valeurs arrondies) :

Source de revenu/mesure fiscale 2019

M. Gagnon

Mme Gagnon

Revenus nets

660 000

726 000

Impôt net à payer

104 808

118 000

[5] Les dates de versement et les montants des acomptes provisionnels payés par chacun sont indiqués dans le tableau suivant (valeurs arrondies) :

Date de réception des montants des versements

M. Gagnon

Date de réception des montants des versements

Mme Gagnon

12 mars 2019

5 500 $

12 mars 2019

23 500 $

14 juin 2019

5 500 $

14 juin 2019

23 500 $

6 septembre 2019

5 500 $

6 septembre 2019

23 500 $

26 novembre 2019

98 000 $

26 novembre 2019

58 000 $

Total

114 500 $

Total

128 500 $

[6] Comme tous les auteurs de versements trimestriels, les Gagnon ont reçu des rappels de versements écrits de l’ARC. Tous deux ont reçu le rappel en août 2019. Comme d’habitude, le rappel proposait l’une des trois options suivantes : l’option sans calcul, l’option de l’année précédente ou l’option de l’année en cours.

[7] Les options sans calcul comparatives proposaient les versements trimestriels respectifs suivants pour chaque contribuable, avec, entre parenthèses, les versements comparatifs payés par chacun :

Date

M. Gagnon

Mme Gagnon

15 mars 2019

41 963 (5 500)

44 490 (23 500)

15 juin 2019

41 963 (5 500)

44 490 (23 500)

15 septembre 2019

10 982 (5 500)

44 490 (23 500)

15 décembre 2019

10 982 (98 000)

19 223 (58 000)

Total

105 890 (114 500)

127 446 (128 500)

[8] La société de portefeuille des Gagnon, JFP Holdings Inc. (« JFP »), a déclaré un dividende de 600 000 $ le 25 novembre 2019. Ce dividende devait être versé aux détenteurs d’actions de catégorie A avant le 15 décembre 2019. Il en a résulté un dividende enregistré de 300 000 $ pour M. et Mme Gagnon chacun à partir du 25 novembre 2019.

[9] M. Gagnon a témoigné que le dividende ne devait pas être versé avant que n’ait lieu la discussion sur le plan budgétaire de novembre 2019 concernant la modification éventuelle du traitement fiscal des revenus de dividendes canadiens. M. Gagnon a fait valoir que cela a créé une urgence, une nécessité et une occasion imprévues de déclarer le dividende. La raison ou l’impulsion n’a pas été précisée dans l’exposé conjoint des faits. Cependant, M. Gagnon a témoigné sous serment. La Cour admet que cette spéculation budgétaire a motivé le versement exceptionnel, « tardif » et ponctuel du dividende. Il n’y a pas eu de tels dividendes avant ou depuis.

[10] En bref, M. Gagnon affirme : [traduction]

  1. Le paiement du dividende était imprévu, et sans ce dividende, son estimation initiale des impôts à payer et des acomptes provisionnels pour les deux aurait été conforme;

  2. Il n’y a pas eu de revenu supplémentaire perçu au-delà du dividende qui a donné lieu à d’autres versements supplémentaires avant le versement du 15 décembre 2019;

  3. Une fois que le revenu supplémentaire a été connu (25 novembre 2019) et payé, le dernier versement a plus que dépassé la totalité de la dette fiscale payable à la date d’échéance du solde ou comme il est indiqué dans le rappel de versement d’août 2019.

[11] M. Gagnon soutient qu’aucun intérêt sur arriérés ne devrait être appliqué aux sommes dues pour les versements de mars, juin et septembre parce que, lorsque ces paiements trimestriels ont été effectués, il ne s’attendait pas à subir un afflux soudain de revenus plus tard dans l’année. Il aurait donc été impossible d’effectuer des paiements échelonnés selon des renseignements futurs inconnus. M. Gagnon fait également valoir que si des intérêts ont été accumulés, ils ne devraient être appliqués qu’au montant payable entre la période où le dividende a été déclaré pour la première fois et la date du quatrième versement (15 décembre 2019).

[12] L’intimé affirme qu’en ne choisissant pas l’option sans calcul, ou du moins en ne payant pas l’impôt final à payer en versements égaux au cours de l’année, les Gagnon sont à l’origine d’un défaut de paiement par versements trimestriels qui diffère de l’option sans calcul. Ainsi, les intérêts et la pénalité dans le cas de M. Gagnon ont été correctement calculés et imposés. L’intimé prétend que des intérêts sont payables parce que chaque contribuable a omis de verser les acomptes provisionnels nécessaires en fonction de son revenu total pour l’année d’imposition.

IV. LE DROIT

La Loi

Paiements échelonnés

[13] Les versements des contribuables sont décrits aux paragraphes 156(1) et 156.1(4) qui prévoient ce qui suit :

Autres particuliers

156 (1) Sous réserve de l’article 156.1, pour chaque année d’imposition, tout particulier, sauf celui auquel l’article 155 s’applique pour l’année, doit payer les montants suivants au receveur général :

a) au plus tard le 15 mars, le 15 juin, le 15 septembre et le 15 décembre de l’année, le quart de l’une des sommes suivantes :

(i) la somme qu’il estime être son impôt payable pour l’année en vertu de la présente partie,

(ii) sa base des acomptes provisionnels pour l’année d’imposition précédente;

b) au plus tard :

(i) le 15 mars et le 15 juin de l’année, le quart de sa base des acomptes provisionnels pour la deuxième année d’imposition précédente,

(ii) le 15 septembre et le 15 décembre de l’année, la moitié de l’excédent éventuel de sa base des acomptes provisionnels pour l’année d’imposition précédente sur la moitié de sa base des acomptes provisionnels pour la deuxième année d’imposition précédente.

(A) the individual’s instalment base for the preceding taxation year

(B) 1/2 of the individual’s instalment base for the second preceding taxation year.

Paiement du solde

(4) Tout particulier doit payer au receveur général pour chaque année d’imposition, au plus tard à la date d’exigibilité du solde qui lui est applicable pour l’année, l’excédent éventuel de l’impôt dont il est redevable en vertu de la présente partie sur le total des montants suivants :

a) les montants déduits ou retenus en application de l’article 153 de la rémunération ou d’autres paiements reçus par le particulier au cours de l’année;

b) les autres montants payés au receveur général au plus tard à cette date au titre de l’impôt payable par le particulier en vertu de la présente partie pour l’année.

[14] L’effet interprétatif de ces articles indique qu’un contribuable doit payer en utilisant l’une des trois méthodes suivantes :

  • a)Quatre acomptes provisionnels trimestriels estimés du contribuable (choix « A »);

  • b)Quatre acomptes trimestriels identiques à la base d’acomptes provisionnels du contribuable de l’année précédente (choix « B »);

  • c)Deux montants en mars et juin égaux au quart de la base des acomptes provisionnels du contribuable de la deuxième année d’imposition précédente, qui peuvent être complétés en septembre et décembre par la surcharge de la moitié de l’acompte provisionnel des années d’imposition précédentes sur la moitié de la base des acomptes provisionnels de la 2e année précédente (choix « C »).

[15] Le paragraphe 161(2) est nuancé par le paragraphe 161(4.01) :

Restriction applicable aux autres particuliers

(4.01) Pour l’application du paragraphe (2) et de l’article 163.1, le particulier qui est tenu de payer, pour une année d’imposition, quelque fraction ou acompte provisionnel d’impôt, calculé selon une méthode visée au paragraphe 156(1), est réputé être tenu de payer, dans le délai prévu au paragraphe 156(1), une fraction ou un acompte provisionnel, calculé par rapport à l’un des montants suivants et réduit du montant éventuel déterminé à son égard pour l’année selon l’alinéa 156(2)b), selon ce qui aboutit au total le moins élevé de ces fractions ou acomptes à payer par le particulier dans ce délai :

a) l’excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :

(i) son impôt payable en vertu de la présente partie pour l’année, calculé avant la prise en compte des conséquences fiscales futures déterminées pour l’année,

(ii) les sommes réputées par les paragraphes 120(2) et (2.2) avoir été payées au titre de son impôt en vertu de la présente partie pour l’année, calculé avant la prise en compte des conséquences fiscales futures déterminées pour l’année;

b) sa base des acomptes provisionnels pour l’année d’imposition précédente;

c) les montants déterminés à son égard pour l’année selon l’alinéa 156(1)b);

d) les montants qui, selon l’avis que lui a adressé le ministre, représentent les acomptes provisionnels qui sont payables par lui pour l’année.

reduced by the amount, if any, determined under paragraph 156(2)(b) in respect of the individual for the year, whichever method gives rise to the least total amount of such parts or instalments required to be paid by the individual by that day.

[16] L’incidence nette de cet article limite les intérêts sur les acomptes provisionnels. La disposition ne sera appliquée que si les intérêts n’ont pas été payés sur le montant le plus bas suivant :

  • a)L’impôt à payer en vertu de la partie I (après les rajustements des paragraphes 120(2) et 120(22));

  • b)La base d’acompte provisionnel de l’année précédente;

  • c)Comme à l’alinéa b) ci-dessus, mais en utilisant les deux premiers versements trimestriels de la deuxième année précédente;

  • d)L’avis semestriel du ministre ordonnant les versements pour le reste de l’année.

[17] En bref, ce que cela signifie textuellement, puisque l’option est exclue du paragraphe 161(4.01), est que si un contribuable a calculé l’impôt à payer et le verse en fonction de ces montants, et qu’il se trompe, des intérêts sont dus sur l’insuffisance.

[18] Il en résulte qu’un versement insuffisant portera intérêt dans la mesure de l’insuffisance, à moins que les dispositions du paragraphe 162(4.01) ne s’appliquent.

Intérêts et pénalités sur les versements insuffisants

[19] À défaut de paiement, des intérêts sont perçus conformément au paragraphe 161(2) :

Intérêts sur acomptes provisionnels

(2) Un contribuable qui n’a pas payé au plus tard à la date où il en est tenu tout ou partie d’un acompte provisionnel ou d’une fraction d’impôt qu’il est tenu de payer en vertu de la présente partie doit verser au receveur général, outre les intérêts payables en vertu du paragraphe (1), des intérêts sur le montant qu’il n’a pas payé, calculés au taux prescrit pour la période allant de la date où ce montant devait au plus tard être payé jusqu’à la date du paiement ou jusqu’au début de la période pour laquelle il est tenu de payer des intérêts sur ce montant en vertu du paragraphe (1), si ce début est antérieur.

[20] L’article relatif aux pénalités est l’article 163.1 qui prévoit ce qui suit :

Acomptes provisionnels en retard ou insuffisants

163.1 Toute personne qui ne paye pas tout ou partie d’un acompte provisionnel pour une année d’imposition au plus tard le jour où elle en est tenue par la présente partie est passible d’une pénalité égale à 50 % de l’excédent éventuel des intérêts payables par cette personne en application de l’article 161 sur tous les acomptes provisionnels payables pour l’année, sur le plus élevé des montants suivants :

a) 1 000 $;

b) 25 % des intérêts qui auraient été payables par elle en application de cet article sur ces acomptes si aucun acompte n’avait été payé pour l’année.

La jurisprudence

[21] La jurisprudence est invariablement régie par les décisions rendues dans le cadre de la procédure informelle, car l’intérêt est un montant dérivé découlant de l’insuffisance du versement, comme c’est le cas dans le présent appel. En outre, ces décisions ne sont pas particulièrement cohérentes; elles s’inscrivent toutefois dans deux courants jurisprudentiels distincts.

[22] Selon le premier raisonnement, étant donné qu’un contribuable dispose d’une autre méthode plus sûre pour calculer les acomptes provisionnels, à savoir celle proposée par le ministre ou celle de l’année précédente (qui tenait compte d’un article antérieur de la Loi), le contribuable devrait porter son choix sur cette méthode. En cas de non-respect, le contribuable est responsable de toute sous-estimation faite lors de l’estimation indépendante des acomptes provisionnels trimestriels.

[23] Certaines décisions de la Cour canadienne de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale (CAF) font part du point de vue selon lequel, étant donné qu’un contribuable dispose d’une solution de rechange pour estimer l’impôt à payer, toute sous-estimation des versements trimestriels ne peut éviter les répercussions d’une telle sous-estimation.

[24] Ce raisonnement a été mis en évidence dans l’affaire Corse v. R.[1]. Dans cette affaire, le contribuable avait commencé l’année sans avoir à verser d’acomptes provisionnels trimestriels, mais il a ensuite vendu un bien locatif en août et est devenu redevable d’acomptes provisionnels trimestriels. La Cour de l’impôt a estimé que puisque le contribuable aurait pu utiliser l’ancien article applicable pour calculer ses acomptes provisionnels trimestriels, l’injustice apparente de l’accumulation d’intérêts n’a aucune conséquence :

[traduction]

Je serais d’accord avec cette conclusion si le contribuable était contraint par le paragraphe 156(1) d’adopter nécessairement la première formule visée au sous-alinéa 156(1)a)(i). Ce n’est cependant pas le cas puisqu’il dispose également de la méthode prévue au sous-alinéa 156(1)(a)(ii). Si le contribuable ne veut pas se livrer à la spéculation, à la conjecture ou au calcul des probabilités, comme il y est en quelque sorte confronté lorsqu’il fait, en recourant à la première méthode, son estimation de l’impôt à payer pour l’année en vertu de la partie I de la Loi, il lui suffit d’utiliser la deuxième formule qui ne comporte pas ce haut degré d’incertitude[2].

[25] Les décisions de la CAF invoquées par les parties, R. v. Ritchie[3] et R. v. Ghai[4], sont explicitement en accord avec le raisonnement utilisé dans la décision Corse pour rejeter l’appel du contribuable.

[26] Deux autres décisions de la CCI, Elkharadly v. The Queen[5] et Hutchins v. Minister of National Revenue[6] suivent également un raisonnement similaire. Dans l’affaire Elkharadly, le contribuable affirme avoir sous-estimé sa dette fiscale en raison de son ignorance des règles fiscales. Le juge Taylor a rejeté l’appel parce que le contribuable avait une autre possibilité d’estimation :

[traduction]

À mon avis, la Loi est assez claire en ce qu’elle exige que les acomptes provisionnels soient payés au moins sur la base des acomptes calculés conformément à la formule relative à l’impôt sur le revenu des années précédentes. Cela devrait permettre au contribuable d’éviter toute perspective d’intérêts sur les acomptes impayés, quelle que soit l’évolution de sa dette fiscale pour l’année en cours. Dans le cas qui nous intéresse, M. Elkharadly disposait de cette option, mais celle-ci n’a pas été exercée[7].

[27] Dans l’affaire Hutchins[8], le contribuable a vendu un immeuble en copropriété en octobre, ce qui l’obligeait à verser des acomptes provisionnels trimestriels. Le juge Margeson a rejeté l’appel du contribuable parce que ce dernier n’était pas tenu d’estimer sa dette fiscale, mais simplement d’utiliser l’impôt de l’année précédente comme base d’acompte.

[28] Le deuxième courant jurisprudentiel s’incarne dans l’affaire Paquette v. Minister of National Revenue[9]. Cette affaire s’écarte de la jurisprudence ci-dessus et, fait notable, elle a été tranchée avant les deux décisions de la CAF Ritchie et Ghai. Dans la décision Paquette, le contribuable avait vendu un immeuble d’appartements en septembre, ce qui l’obligeait à effectuer des acomptes provisionnels trimestriels tout au long de l’année. La juge Proulx a tranché en faveur du contribuable en invoquant la règle lex non cogit ad impossibilia (« la loi n’oblige pas à des choses impossibles »).

[29] L’usage de cette maxime n’a pas été appliqué dans des cas ultérieurs. Dans la décision Hutchins, la Cour note explicitement la similitude factuelle avec l’affaire Paquette, car toutes deux concernaient la vente de biens immobiliers plus tard durant l’année d’imposition. Toutefois, le juge Margeson a tenté d’établir une distinction entre cette affaire et l’affaire Paquette parce que cette dernière ne traite pas de la possibilité d’utiliser une autre forme d’estimation pour déterminer la dette fiscale. Le juge Margeson a supposé que le contribuable ne disposait pas d’une autre forme d’estimation dans l’affaire Paquette[10].

V. DISCUSSION

[30] Les faits de la présente affaire concernent une augmentation importante du revenu en fin d’année et la dette fiscale qui en découle. Il ne s’agit pas d’une réduction constante des revenus pour préserver la trésorerie ou de la structuration d’un versement trimestriel important au cours du dernier trimestre. Si tel était le cas, la Cour rejetterait l’appel sans autre considération.

[31] Toutefois, si la Cour adopte sans réserve la position de la Couronne, la seule protection contre les augmentations factuellement imprévues ou non anticipées du revenu et de la dette en fin d’année, qui faussent les versements, est le choix par le contribuable, en début d’année, de l’option sans calcul. En bref, l’option sans calcul devient une sorte d’option de « non-choix », à moins que le contribuable n’ait une certitude clairvoyante; et lorsque celle-ci s’avère fausse, le contribuable assume le risque que des développements imprévus se produisent.

[32] La Cour doit laisser ouverte la possibilité de situations où les contribuables établissent factuellement deux choses. Premièrement, il y avait une raison probable de croire que le revenu serait réduit en dessous de l’option sans calcul, ce qui militait contre l’utilisation de cette option. Deuxièmement, l’événement qui a conduit à l’insuffisance des versements trimestriels était imprévisible et impossible à discerner avant sa survenance. Cette démarche s’inscrit dans la logique de la maxime lex non cogit ad impossibilia. Malheureusement, pour les Gagnon, elle ne correspond pas aux faits des présents appels.

[33] On n’a pas demandé aux Gagnon de faire l’impossible en l’espèce. M. Gagnon a fait le choix délibéré de déclarer le dividende. Cette décision était entièrement dépendante de sa volonté. Le versement du dividende important était un exemple type de plan fiscal provisoire de fin d’année. Il n’était ni inévitable ni extrinsèquement circonstanciel. M. Gagnon l’a conçu, réalisé et achevé, de sa propre initiative et par ses propres efforts. Si la loi ne peut pas interpréter la législation pour exiger l’impossible, elle ne s’accommode pas de la nécessité de prévoir une étape de précaution dans un plan fiscal, rendue sans objet par une voie législative non empruntée.

[34] Ironiquement peut-être, M. Gagnon s’est tout simplement trompé dans son pronostic. Le législateur n’a pas modifié le régime concernant les revenus de dividendes canadiens à la date prévue. S’il l’avait fait, M. Gagnon aurait eu raison, il aurait gagné son pari et les intérêts sur arriérés et la pénalité seraient probablement un prix peu élevé pour le rendement obtenu. Mais, tout cela est spéculatif. Et il en est de même pour la modification fiscale prévue par M. Gagnon. La mesure prise par le contribuable et née d’une prédiction n’est pas un événement imprévu et indiscernable, juste un événement qui peut ne jamais se produire. Les intérêts sur arriérés et les pénalités sont les coûts de ce choix évitable qui tient compte d’une avance délibérée, méthodique, provisoire et finalement inutile des revenus divisés. Pour ces motifs, l’appel est rejeté sans dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de novembre 2022.

« R.S. Bocock »

Le juge Bocock


RÉFÉRENCE :

2022CCI139

NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :

2020-2176(IT)I; 2020-2274(IT)I

INTITULÉ :

PAUL M. GAGNON c. SA MAJESTÉ LE ROI; MAUREEN E. GAGNON c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

26 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Randall S. Bocock

DATE DU JUGEMENT :

Le 9 novembre 2022

COMPARUTIONS :

Représentant de l’appelante :

M. Paul M. Gagnon,

Avocats de l’intimé :

Me Princess Okechukwu

Me Craig Maw

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

En blanc

Cabinet :

En blanc

Pour l’intimé :

François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Canada

 

 



[1] [1993] 2 CTC 2017.

[2] Ibid., par. 20.

[3] 93 DTC 5160.

[4] [1993] 2 CTC 2017.

[5] [1995] 1 CTC 2273.

[6] [1995] 1 CTC 2510.

[7] Elkharadly, précitée, note 5, par. 4.

[8] Hutchins, précitée, par. 19.

[9] [1990] 2 CTC 2016.

[10] Voir la décision Hutchins, précitée, note 6, par. 15 et 19.

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