ENTRE :
CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY
EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CELI DE FAREED AHAMED,
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Appel entendu les 12, 13, 14 et 15 décembre 2022,
à Vancouver (Colombie-Britannique)
Comparutions :
JUGEMENT
Les appels visant les années d’imposition 2009, 2010, 2011 et 2012 de l’appelante sont rejetés, avec dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, l’intimé peut, au plus tard le 11 avril 2023, présenter des observations écrites de 10 pages au plus, et l’appelante peut, au plus tard le 12 mai 2023, présenter des observations écrites de 10 pages au plus, et l’intimé peut, au plus tard le 31 mai 2023, présenter sa réponse par des observations écrites de cinq pages au plus.
Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2023.
Ce 6e jour de juin 2024.
François Brunet, réviseur
Table des matières
L’appelante
Les nouvelles cotisations en litige et le paragraphe 146.2(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu
Argument de l’appelante
A. Un REER peut exploiter une entreprise d’opérations de placements admissibles
B. Le seul objectif du législateur en imposant le revenu provenant de l’exploitation d’une entreprise vise à empêcher la concurrence déloyale
C. La Cour devrait adopter un nouveau critère pour « l’exploitation d’une entreprise »
D. Observation incidente dans la décision Prochuk
Les arguments de la Couronne
A. L’objet primaire du législateur
B. L’objet secondaire du législateur
(1) Limiter les placements dans un CELI en fiducie aux « placements admissibles »
(2) Restriction de l’activité d’investissement dans un CELI en fiducie au placement passif
C. Le texte du paragraphe 146.2(6) est clair et sans ambiguïté. 14
D. Le CELI N’est PAS un REER
E. Observation incidente dans la décision Prochuk
Résumé de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique
A. Le texte
B. Le contexte
C. Objet
D. Application du paragraphe 146.2(6) aux faits convenus
Décision sur la « lettre Pook »
Conclusion
ENTRE :
CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY
EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CELI DE FAREED AHAMED,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] Ces appels concernent une question en litige relevant de l’interprétation des lois, notamment, si un compte d’épargne libre d’impôt (« CELI »
) demeure exonéré d’impôt s’il exploite une entreprise d’opérations de placements admissibles. L’appelant affirme qu’il le demeure alors que la Couronne affirme qu’il ne l’est plus.
[2] La seule disposition en cause est le paragraphe 146.2(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »
)[1] :
|
|
[3] L’italique est ajouté pour souligner les mots en cause :
|
|
[4] En établissant une nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre »
) a conclu que l’appelante [traduction] « exploitait une entreprise au moyen de ses activités boursières »
en 2009, 2010, 2011 et 2012[2]. Au contraire, l’appelante est d’avis que [traduction] « l’achat et la vente de placements admissibles ne constituent pas l’exploitation d’une entreprise aux fins du paragraphe 146.2(6) »
[3]. Les faits sont constants. Aucune partie n’a cité de témoins, car elles ont présenté un exposé conjoint partiel des faits faisant état de tous les faits pertinents.
[5] Dans un arrêt récent, Rogers Communications, la Cour d’appel fédérale a résumé de façon concise les points à considérer et les autorités pertinentes en matière d’interprétation des lois par le juge :
[17] La question de savoir si le Tribunal de la concurrence peut connaître du véritable litige, à savoir le fusionnement et le dessaisissement – plutôt que le fusionnement seul –, est déterminée par le libellé de la Loi sur la concurrence. Pour la trancher, il faut analyser le texte, le contexte et l’objet des parties pertinentes de la Loi. Nous nous exécutons en toute neutralité, impassiblement et objectivement, comme le feraient des avocats ayant une charge judiciaire et non des politiciens ou des stratèges. Nous ne nous amusons pas à bricoler le sens véritable des mesures légales adoptées par nos représentants élus, par exemple en empreignant l’analyse des politiques qui nous conviennent ou de nos préférences personnelles de manière à en biaiser le résultat. Voir Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174, par. 41 à 50 et Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, mentionnant les arrêts applicables de la Cour suprême Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559 et Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601. Voir également la jurisprudence récente de la Cour suprême qui en dit autant TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, [2019] 2 R.C.S. 144, R. c. Rafilovich, 2019 CSC 51 et Michel c. Graydon, 2020 CSC 24[4].
[6] C’est dans ce contexte que l’appelante m’invite à appliquer à un CELI en fiducie une disposition de la loi qui dispose spécifiquement qu’un régime enregistré d’épargne-retraite (« REER »
) demeure exonéré d’impôt s’il exploite une entreprise d’opérations de placement admissibles.
[7] Pour les motifs exposés plus loin sous l’en-tête « Analyse textuelle, contextuelle et téléologique »
, je décline l’invitation de l’appelante à appliquer une disposition que le législateur a incluse au régime législatif régissant les REER, sans toutefois l’inclure au régime législatif régissant les CELI en fiducie.
[8] En raison de cette analyse, j’ai conclu que le revenu tiré de l’exploitation d’une entreprise par un CELI en fiducie, y compris une entreprise d’opérations de placements admissibles, est imposable en application du paragraphe 146.2(6) de la Loi. Étant donné que l’appelante a exploité une entreprise d’opérations de placements admissibles durant les années en cause, je dois rejeter les appels.
L’appelante
[9] L’appelante est la Canadian Western Trust Company en qualité de fiduciaire du CELI de Fareed Ahamed. M. Ahamed est investisseur professionnel, et conseiller en placements, à Vancouver Ouest, en Colombie-Britannique[5].
[10] Le 2 janvier 2009, M. Ahamed a ouvert un CELI en fiducie dont il était le bénéficiaire et le titulaire. La Canadian Western Trust Company était la fiduciaire et émettrice du CELI en fiducie[6]. Il s’agissait d’un CELI en fiducie autogéré, ce qui veut dire que M. Ahamed dirigeait tous les achats et ventes de titres[7].
[11] Tous les titres achetés et vendus par le CELI en fiducie étaient des « placements admissibles »
au sens du paragraphe 207.01(1) de la Loi. La plupart d’entre eux ne versaient pas de dividendes et étaient de nature spéculative. La majorité était des actions cotées en cents inscrites à la Bourse de croissance TSX dans le secteur des valeurs minières de second rang. Le CELI en fiducie ne détenait la plupart des actions que pour une courte période[8].
[12] M. Ahamed a financé le CELI en fiducie en versant la cotisation maximale admissible de 5 000 $ au début des mois de janvier 2009, 2010 et 2011[9]. Les cotisations de M. Ahamed au CELI en fiducie en 2009, 2010 et 2011, et la valeur du CELI en fiducie à la fin de ces années figurent dans le tableau ci-dessous :
Année d’imposition
|
Cotisation annuelle au CELI en fiducie au début de l’année
|
Cotisations cumulatives au CELI en fiducie
|
Valeur du CELI en fiducie à la fin de l’année
|
---|---|---|---|
2009
|
5 000 $
|
5 000 $
|
54 269,74 $[10] |
2010
|
5 000 $
|
10 000 $
|
420 965,14 $[11] |
2011
|
5 000 $
|
15 000 $
|
617 371,24 $[12] |
[13] À la fin de 2012, la valeur totale du CELI en fiducie s’élevait à 564 482,90 $[13]. En janvier 2013, le CELI en fiducie a vendu ses titres et transféré les produits de 547 788,83 $ à son titulaire, M. Ahamed[14].
Les nouvelles cotisations en litige et le paragraphe 146.2(6) de la Loi de l’impôt sur le revenu
[14] Le ministre a établi une nouvelle cotisation d’impôt à l’égard de l’appelante pour chacune de ses années d’imposition 2009, 2010, 2011 et 2012[15]. La thèse sous-jacente aux nouvelles cotisations était que l’appelante avait exploité une entreprise d’opérations de placements admissibles dans chacune de ces années, et que son revenu tiré de l’exploitation de cette entreprise était donc assujetti à l’impôt de la partie I en vertu du paragraphe 146.2(6) de la Loi pour chacune de ces années.
[15] Le ministre a établi une nouvelle cotisation d’impôt de la partie I à l’égard de l’appelante au motif que son revenu imposable était de 44 270 $ en 2009, 180 190 $ en 2010, 330 994 $[16] en 2011 et 14 027 $ en 2012[17]. Telles sont les nouvelles cotisations dont la Cour est saisie.
Argument de l’appelante
[16] L’appelante soutient que la Cour doit avoir recours à une analyse textuelle, contextuelle et téléologique[18] et qu’elle doit appliquer la « présomption résiduelle »
en faveur du contribuable si cette analyse ne produit aucun résultat[19].
A. Un REER peut exploiter une entreprise d’opérations de placements admissibles
[17] L’appelante s’appuie fortement sur les dispositions de la Loi qui visent le régime enregistré d’épargne-retraite (« REER »
) de la Loi, et, plus précisément, sur l’alinéa 146(4)b) qui, durant les années en cause, exonérait effectivement de l’impôt de la partie I tout revenu gagné par un REER provenant de l’exploitation d’une entreprise d’opérations de placements admissibles
:
146(4) [. . .] aucun impôt n’est payable en vertu de la présente partie par une fiducie sur son revenu imposable pour une année d’imposition si, tout au long de la période de l’année où la fiducie existait, elle était régie par un régime enregistré d’épargne-retraite; toutefois :
***
b) [. . .] si la fiducie a exploité une ou plusieurs entreprises au cours de l’année, un impôt est payable par elle en vertu de la présente partie sur l’excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :
(i) le montant qui constituerait le revenu imposable de la fiducie pour l’année si elle n’avait pas tiré de revenu, ni subi de pertes de sources autres que l’entreprise ou les entreprises en question,
(ii) la partie du montant déterminé selon le sous-alinéa (i) à l’égard de la fiducie pour l’année, qu’il
est raisonnable de considérer comme un revenu provenant soit de placements admissibles pour elle, soit de la disposition de tels placements; [. . .]
[Non souligné dans l’original.]
[18] Aux termes de l’alinéa 146(4)b) de la Loi, un REER demeure entièrement exonéré d’impôt, même s’il exploite une entreprise d’opérations de placements admissibles.
B. Le seul objectif du législateur en imposant le revenu provenant de l’exploitation d’une entreprise vise à empêcher la concurrence déloyale
[19] L’appelante affirme que le législateur a édicté des mesures de protection afin d’empêcher que des organismes de bienfaisance enregistrés, des organisations à but non lucratif et des corporations immobilières de pension fassent concurrence injustement avec des entités imposables. En ce qui concerne les organismes de bienfaisance, le législateur rend imposable le « revenu d’entreprise non lié aux activités »
. En ce qui concerne les organisations à but non lucratif, le législateur leur permet d’entreprendre d’importantes activités commerciales, mais seulement si l’« objet prépondérant »
de cette entreprise est lié aux activités à but non lucratif de l’organisation. En ce qui concerne les sociétés immobilières de pension, le législateur les oblige à détenir des biens immobiliers sous forme d’immobilisations et non d’inventaire.
[20] La seule question qui préoccupe le législateur dans ces circonstances est la concurrence déloyale entre les entités exonérées et les entités imposées.
[21] Il n’aurait pu y avoir aucun objet législatif pour rendre imposable le revenu d’un CELI en fiducie provenant de l’exploitation d’une entreprise d’opérations de placements admissibles lorsqu’un REER exploitant exactement la même entreprise n’est pas imposable. Pourquoi est-ce le cas? Premièrement, les REER et les CELI sont un « miroir »
les uns des autres et offrent des taux de rendement après impôts identiques.[20] Deuxièmement, l’exploitation d’une entreprise d’opérations de placements admissibles dans un REER ou un CELI en fiducie ne crée aucune concurrence avec des entités imposables qui exploite une même entreprise.
[22] L’appelante soutient donc qu’il n’y aurait eu aucun objet législatif rationnel pour que le législateur impose le revenu d’un CELI en fiducie exploitant une entreprise d’opérations de placements admissibles tout en exonérant un REER d’exploiter une même entreprise.
C. La Cour doit adopter un nouveau critère relatif à « l’exploitation d’une entreprise »
[23] L’appelante met l’accent sur le critère traditionnel utilisé par la jurisprudence pour faire la distinction entre les opérations sur titre au titre de revenu et celles au titre de capital (le « critère traditionnel »
)[21]. Les éléments du critère traditionnel incluent notamment :
a)répétitions de transactions;
b)période de détention;
c)connaissance des marchés des valeurs mobilières;
d)les transactions de valeurs mobilières font partie des activités habituelles du contribuable;
e)temps consacré – le contribuable consacre une partie importante de son temps à l’étude du marché des valeurs mobilières et à la recherche d’achats éventuels;
f)l’étendue du recours à du financement;
g)publicité;
h)dans le cas d’actions, leur nature; elles sont habituellement de nature spéculative ou ne produisent pas de dividendes.
[24] L’appelante affirme que le critère traditionnel n’a pas été créé par la jurisprudence dans le but de déterminer si une entité non imposable comme un CELI en fiducie exploitant une entreprise d’opérations de placements admissibles. La Cour doit donc consacrer un nouveau critère reconnaissant que les investisseurs dans un CELI sont tenus de suivre un ensemble de restrictions qui ne s’appliquent pas aux investisseurs imposables :
Les restrictions législatives imposées aux investisseurs d’un CELI incluent ceci; ils :
|
Les investisseurs imposables peuvent entreprendre les activités suivantes sans restriction législative; ils :
|
---|---|
Ne peuvent pas verser des cotisations au-delà du plafond CELI chaque année;
|
Peuvent verser autant de cotisations qu’ils ont les moyens de faire chaque année;
|
Ne peuvent pas déduire de cotisations annuelles dans le calcul du revenu;
|
Peuvent déduire du calcul du revenu les sommes empruntées pour acheter des placements;
|
Ne peuvent pas emprunter dans les limites du CELI en fiducie;
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Peuvent emprunter tout ce qu’un prêteur avancera pour l’achat de placements;
|
Ne peuvent pas déduire les intérêts sur les sommes empruntées utilisées pour cotiser à un CELI;
|
Peuvent déduire les intérêts sur l’argent emprunté;
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Ne peuvent pas appliquer les pertes engagées dans le CELI en fiducie contre le revenu réalisé à l’extérieur du CELI en fiducie;
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Peuvent appliquer les pertes de placement au revenu de placement;
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Ne peuvent pas investir dans des placements non admissibles;
|
Peuvent investir dans n’importe quoi;
|
Ne peuvent pas vendre à découvert;
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Peuvent détenir des positions longues ou vendre à découvert;
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Ne peuvent pas effectuer d’opérations de couverture.
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Peuvent couvrir leur exposition au risque.
|
[25] L’appelante affirme que le particulier qui investit dans un CELI en fiducie et le particulier qui investit à l’extérieur d’un CELI en fiducie utilisent des stratégies de placement différentes. Par exemple, l’investisseur imposable peut vendre à découvert dans un marché à la baisse, alors que l’investisseur dans un CELI n’a pas le droit de le faire. L’investisseur imposable peut entreprendre des placements risqués et couvrir leur risque de perte alors qu’il interdit à l’investisseur dans un CELI de le faire. Par conséquent, selon l’appelante, la stratégie de placement de l’investisseur rationnel dans un CELI est de tenir compte des considérations suivantes :
1. Puisque le revenu peut être retiré libre d’impôt d’un CELI en fiducie, l’investisseur dans un CELI sera porté à assumer plus de risques – avec la possibilité d’un plus grand retour – que l’investisseur imposable.
2. Parce que le revenu s’accumule libre d’impôt dans un CELI en fiducie, l’investisseur dans un CELI seraiplus enclin à vendre pour réaliser des gains plus tôt et plus souvent que l’investisseur imposable.
3. Parce que les pertes dans un CELI en fiducie ne sont pas déductibles d’un autre revenu, l’investisseur dans un CELI sera plus enclin à vendre pour réduire les pertes plus tôt et plus souvent que l’investisseur imposable.
[26] Pour ces raisons, l’appelante affirme que l’investisseur dans un CELI rationnel investit dans des titres plus risqués et plus spéculatifs ayant une plus grande possibilité de hausse et mènerait des opérations sur ces titres plus souvent que l’investisseur imposable[22]. À la lumière de ces réalités d’investissement, le critère traditionnel que la jurisprudence a utilisé pour faire la distinction entre les gains et les pertes au titre de revenu et au titre de capital pour les opérations sur titre ne devait pas servir à déterminer si un CELI en fiducie exploite une entreprise d’opérations sur titres admissibles.
[27] Le critère traditionnel ne peut être retenu, car deux de ses éléments les plus importants, soit le nombre et les répétitions d’opérations et la nature spéculative des placements, défavorisent le contribuable. De plus, plusieurs autres éléments du critère traditionnel ne s’appliquent pas. Par exemple, un CELI en fiducie ne peut pas emprunter; cet élément est donc inapplicable. Un CELI en fiducie ne fait pas de publicité, donc cet élément est aussi inapplicable.
[28] Les seuls éléments du critère traditionnel qui demeurent sont la connaissance des marchés de valeurs mobilières, si l’investissement s’inscrit dans les activités régulières du détenteur, et le temps consacré à rechercher des investissements. C’est-à-dire si l’investisseur du CELI possède de l’expérience, des connaissances et est bien informé. Puisque le critère traditionnel rend le revenu des investisseurs professionnels comme M. Ahamed imposable, ces investisseurs ne peuvent jamais tirer tous les avantages de l’investissement dans un CELI en fiducie. La discrimination contre les investisseurs professionnels ne peut avoir été l’un des objectifs du législateur.
[29] Pour combler les lacunes du critère traditionnel dans ce contexte, l’appelante propose un nouveau critère. Le critère qu’elle propose comporte trois questions[23] :
1. Les activités du CELI en fiducie exigent-elles un apport sous forme de temps, d’attention et de travail de la part du contribuable?
2. Le CELI en fiducie a-t-il contracté des obligations dans le cadre de ses activités?
3. L’objectif du CELI en fiducie est-il de permettre au contribuable de gagner sa vie?
[30] Pour que soit retenue la thèse du ministre, ces trois questions appellent une réponse affirmative. Certes, le CELI en fiducie exigeait l’apport de temps, d’attention et de travail de la part de M. Ahamed, mais le CELI en fiducie ne peut pas contracter d’obligations et l’objectif du CELI en fiducie n’était pas de permettre à M. Ahamed de gagner sa vie. Par conséquent, la Cour doit conclure que le CELI en fiducie n’exploitait pas une entreprise d’opérations de placements admissibles durant les années d’imposition en cause.
D. Observation incidente dans la décision Prochuk
[31] Dans la décision Prochuk, notre Cour a conclu que les pertes de l’appelant étaient des pertes en capital et, par conséquent, n’étaient pas déductibles dans le calcul du revenu. Dans cette affaire, l’appelant a perdu 186 250 $ d’un investissement dans un stratagème frauduleux.[24] Il demandait une déduction de la perte de son autre revenu au titre de perte d’entreprise[25]. Il soutenait que la perte était déductible dans le calcul de son revenu, car il faisait le commerce de valeurs mobilières. Il mentionne le niveau de son activité dans son propre REER comme preuve qu’il faisait un tel commerce à l’extérieur de son REER[26].
[32] Dans sa conclusion portant que la perte de l’appelant était une perte en capital, la Cour a conclu que le niveau d’activité dans un REER ne peut pas être considéré pour établir si le contribuable faisait le commerce de valeurs mobilières à l’extérieur de son REER. Notre Cour a observé :
[48] [...] la Loi traite visiblement un contribuable qui effectue des opérations sur valeurs avec les fonds détenus dans son REER différemment d’un contribuable qui fait le commerce des valeurs mobilières. Pour cette raison, les opérations sur valeurs effectuées dans un REER ne constituent pas un élément pertinent quand il s’agit de décider si une personne fait le commerce des valeurs mobilières[27].
[Non souligné dans l’original.]
[33] L’appelante soutient que, dans la décision Prochuk, notre Cour a fait état, en guise d’observation incidente, une « conclusion essentielle »
[28] : effectuer des opérations de placements admissibles n’équivaut pas à « faire le commerce de valeurs mobilières »
dans un REER. Dans le cadre de ses motifs, notre Cour a fait les observations suivantes :
[49] L’avocate de l’intimée a renvoyé à la décision Deep c. La Reine, 2006 CCI 315, 2006 DTC 3033, du juge C. Miller de la Cour, pour étayer son hypothèse selon laquelle le fait d’effectuer des opérations sur valeurs dans un REER ne revenait pas à réaliser un revenu d’entreprise.
[50] Dans l’affaire Deep, il y avait un certain nombre de questions en litige, y compris la question de savoir si M. Deep faisait le commerce des valeurs mobilières ou d’instruments financiers. En ce qui a trait au commerce des valeurs mobilières dans un REER, le juge Miller s’est ainsi exprimé, au paragraphe 51 :
[...] Le docteur Deep n’a fourni aucune preuve indiquant que de nombreuses opérations avaient été conclues au cours de ces années, et ses déclarations de revenus n’indiquent pas non plus un niveau d’activité montrant qu’il faisait le commerce de valeurs mobilières. Le docteur Deep a lui‐même témoigné s’être livré à ses activités boursières dans le cadre de son REER. Ce n’est pas là exploiter une entreprise.
[51] Par conséquent, je suis convaincue que le fait d’effectuer des opérations sur valeurs mobilières dans un REER n’équivaut pas à faire le commerce des valeurs mobilières[29].
[Non souligné dans l’original.]
[34] Même si l’observation au paragraphe [51] de la décision Prochuk a été faite dans le contexte d’un REER et de manière incidente, rien n’exclut son application dans le cadre du CELI.
Les arguments de la Couronne
[35] Pour interpréter une disposition législative, la Cour doit lire les termes de la Loi au regard de leur contexte global en en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. L’interprétation des lois révèle l’intention du législateur par l’examen du texte, du contexte et de l’objet d’une disposition législative[30].
A. L’objet primaire du législateur
[36] Le CELI a été instauré dans le budget de février 2008. Le cadre législatif du CELI est exposé à l’article 146.2 de la Loi et s’applique aux années d’imposition 2009 et suivantes. Le CELI est un compte d’épargne universel qui permet aux particuliers d’y cotiser chaque année et d’en retirer des fonds en tout temps pour toute raison que ce soit. En règle générale, le revenu (y compris les gains en capital) gagné dans un CELI n’est pas assujetti à l’impôt et les distributions à même un CELI sont reçues libres d’impôt.
[37] Les cotisations à un CELI ne sont pas déductibles dans le calcul du revenu d’un particulier pour une année d’imposition. Selon l’alinéa 149(1)u.2) de la Loi, le revenu imposable d’une fiducie régie par un CELI est exonéré de l’impôt de la partie I dans la mesure prévue par l’article 146.2. Les conditions de cette exonération d’impôt sont énoncées expressément au paragraphe 146.2(6) de la Loi.
B. L’objet secondaire du législateur
[38] Selon le paragraphe 146.2(6), le revenu imposable d’un CELI en fiducie pour une année d’imposition est exonéré d’impôt, sous réserve de deux exceptions. L’exemption ne joue pas si, à un moment donné au cours de l’année d’imposition, le fiduciaire a) détenait un ou plusieurs biens qui étaient des placements non admissibles ou b) exploitait une ou plusieurs entreprises.
[39] Si l’une ou l’autre des exceptions s’appliquent, le CELI en fiducie doit verser l’impôt sur le montant qui serait son revenu imposable pour l’année d’imposition s’il n’avait pas de revenu ou de perte de sources autres que ces valeurs mobilières (c.-à-d. les valeurs mobilières qui sont des placements non admissibles) ou ces entreprises, et aucun gain ou perte en capital sauf celles provenant de la disposition de ces valeurs mobilières.
(1) Limiter les placements dans un CELI en fiducie aux « placements admissibles »
[40] Puisqu’un CELI doit payer l’impôt sur tout revenu tiré de placements non admissibles, les règles font la distinction entre les placements admissibles et non admissibles. Pour demeurer exonérés d’impôt, les CELI doivent limiter leurs placements aux placements admissibles. La définition du « placement admissible »
pour une fiducie régie par un CELI figure au paragraphe 207.01(1) de la Loi, qui inclut un placement qui est qualifié par l’un des alinéas a) à d), f) et g) de la définition de « placement admissible »
à l’article 204. Les placements visés par l’article 4900 du Règlement de l’impôt sur le revenu sont inclus dans la définition de « placement admissible »
au paragraphe 207.01(1) de la Loi. Conformément aux alinéas pertinents de la définition du « placement admissible »
à l’article 204 de la Loi, voici les placements admissibles pour un CELI :
1. espèces – alinéa a)
2. Certains titres de créance – alinéas b), c) et c.1);
3. certains titres inscrits à la cote d’une bourse de valeurs désignée – alinéa d);
4. Certains certificats de placement garantis – alinéa f);
5. certains contrats de placement – alinéa g).
[41] Le paragraphe 146.2(6) de la Loi retient la définition des « placements non admissibles »
du paragraphe 207.01(1). Selon le paragraphe 207.01(1), le « placement non admissible »
dans le cas d’une fiducie régie par un CELI est tout bien qui n’est pas un placement admissible pour la fiducie.
(2) Restriction de l’activité d’investissement dans un CELI en fiducie au placement passif
[42] La Loi ne donne pas de définition générale de l’« entreprise »
, mais elle inclut cependant des activités particulières dans la définition élargie non exhaustive de l’« entreprise »
au paragraphe 248(1). Plus précisément, selon le paragraphe 248(1) de la Loi, le mot « entreprise »
inclut notamment les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial. En common law, la définition traditionnelle du mot « entreprise »
est [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit est une entreprise »
[31]. Aucun facteur n’est à lui seul déterminant. Les caractéristiques par excellence de l’entreprise sont l’activité, l’entreprise, l’entrepreneuriat, le risque commercial et la recherche du profit.
[43] Le verbe « exploite »
, dans l’expression « exploite une ou plusieurs entreprises »
au paragraphe 146.2(6), implique un certain niveau d’activité. Lorsque le législateur a adopté le paragraphe 146.2 de la législation sur les CELI en 2008, il était déjà bien établi que le contribuable pouvait exploiter une entreprise en faisant le commerce de valeurs mobilières, ce qui donnait lieu à un revenu tiré d’une entreprise. Les règles de droit établies pertinentes pour déterminer si le contribuable exploite une entreprise en faisant le commerce de valeurs mobilières donnant lieu à un revenu d’entreprise étaient bien consacrées par la jurisprudence en 2008. En effet, en 1981, la jurisprudence enseignait si clairement que les opérations sur titres du contribuable pouvaient constituer l’exploitation d’une entreprise que le ministère du Revenu national (le prédécesseur de l’ARC) avait publié le bulletin d’interprétation IT-479R. Ce bulletin affirme, correctement que, selon le cours normal de toutes les affaires du contribuable, les opérations sur titres peuvent constituer l’exploitation d’une entreprise, dont les produits sont imposables à titre de revenu. En 1993, dans l’arrêt Vancouver Art Metal Works Ltd., la Cour d’appel fédérale a noté qu’est une question de fait celle de savoir si les titres de commerce constituent l’exploitation d’une entreprise, et a consacré certains facteurs pertinents quant à une telle détermination[32]. Parmi ces facteurs, il y a la fréquence des opérations, la durée de la détention, l’intention d’acquérir pour revendre à profit, la nature et la quantité des titres détenus ou l’objet de la transaction, ainsi que le temps consacré à l’activité.
[44] Le législateur est réputé connaître le contexte juridique dans lequel il légifère[33]. Mais, même si l’on ignorait cette présomption, étant donné le caractère catégorique de la jurisprudence, il est inconcevable que le législateur n’eût pas su, lorsqu’il a adopté la législation sur le CELI en 2008, que le commerce de valeurs mobilières puisse relever de l’exploitation d’une entreprise.
C. Le texte du paragraphe 146.2(6) est clair et sans ambiguïté.
[45] Compte tenu du sens bien établi des mots figurant au paragraphe 146.2(6), le CELI qui exploite une entreprise, y compris l’entreprise d’opérations sur placements admissibles, n’est pas exonéré d’impôt. Mis à part l’exclusion stricte de l’article 253.1, l’exception ne comporte aucune autre condition, qualification ou exclusion (abstraction faite des règles de calcul figurant aux alinéas 146.2[6] a) à c) de la Loi).
[46] Vu l’interprétation avancée par l’appelante, la Cour devrait inférer du texte du paragraphe 146.2(6) d’autres conditions ou qualifications pour conclure que les mots « exploite une ou plusieurs entreprises »
excluent un CELI qui exploite une entreprise en faisant le commerce de placements admissibles. Cette conclusion insèrerait des exceptions qui ne figurent pas dans la disposition, contrairement à la doctrine professée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Trustco Canada[34].
[47] Autrement dit, retenir l’interprétation de l’appelante appellerait une reformulation judiciaire du paragraphe 146.2(6). Mais, conformément au principe de base de l’interprétation des lois, la Cour ne doit pas retenir une interprétation appelant l’ajout de mots alors que, comme en l’espèce, une autre interprétation acceptable n’appelle aucun libellé additionnel[35]. En outre, la modification judiciaire du texte du paragraphe 146.2(6) ou l’ajout de mots à la disposition équivaudrait à une usurpation de la mission du législateur et à en bafouer l’intention[36].
[48] Le texte du paragraphe 146.2(6) ne donne pas ouverture à plus d’une interprétation raisonnable. Le sens ordinaire des mots du paragraphe 146.2(6) doit jouer un rôle prédominant dans le processus d’interprétation, car les mots sont précis et sans équivoque[37]. Même si les mots d’une disposition sont précis et sans équivoque, il faut en examiner le contexte législatif et l’objet. Il ne s’agit toutefois pas d’une invitation à passer outre le texte ou à élargir le sens d’une disposition au-delà de ce que les mots permettent[38].
D. Le CELI N’est PAS un REER
[49] Les dispositions sur les REER et les FERR, comme les dispositions du CELI, se trouvent à la Section G de la partie de la Loi, intitulée « Régimes de participation différée et autres arrangements spéciaux relatifs aux revenus »
. En plus de l’article 146.2, la section G établit le cadre législatif pour :
a) les régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER) à l’article 146;
b) les fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR) à l’article 146.3;
c) les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE) à l’article 146.1;
d) les régimes enregistrés d’épargne-invalidité (REEI) à l’article 146.4;
e) les régimes de pension agréés collectifs (RPAC) à l’article 147.5 (en vigueur le 14 décembre 2012).
[50] Les règles régissant les REER et les FERR prévoient que si un REER ou un FERR a exploité une ou plusieurs entreprises au cours d’une année d’imposition, la partie de son revenu imposable qui peut être raisonnablement considéré comme un revenu provenant de placements admissibles ou de leur disposition est exonérée d’impôt. Ainsi, lorsqu’un REER ou un FERR exploite une entreprise au moyen d’opérations actives ou « quotidiennes » de divers titres, le revenu tiré de cette entreprise n’est pas imposable, pourvu que les opérations se limitent à l’achat et à la vente de placements admissibles.
[51] Le législateur aurait pu adopter la même approche pour les CELI que pour les REER et les FERR, mais il ne l’a pas fait. Cela démontre en outre que le législateur n’avait pas l’intention d’exonérer de l’impôt de la partie I de la Loi le revenu d’entreprise provenant de la disposition de placements admissibles détenus dans un CELI. Les règles qui s’appliquent aux REER diffèrent quelque peu de celles qui s’appliquent aux CELI. D’abord, les cotisations à un REER sont déductibles dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d’imposition, sous réserve d’un maximum annuel déductible au titre des REER. Une autre différence importante est que les montants retirés d’un REER sont inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans l’année où ils sont reçus.
[52] Conformément au paragraphe 146(4) de la Loi, et sous réserve des certaines exceptions, aucun impôt n’est exigible sur le revenu imposable d’une fiducie si, tout au long de la période de l’année durant laquelle la fiducie existait, elle était régie par un REER. Deux exceptions, qui portent sur la question de savoir si la fiducie a emprunté de l’argent ou si le rentier du REER est décédé, ne sont pas pertinentes en l’espèce. La troisième exception à l’alinéa 146(4)b) est déterminante. L’alinéa 146(4)b) dispose que si le REER en fiducie a exploité une ou plusieurs entreprises au cours de l’année, il doit payer l’impôt de la partie I sur la différence entre :
(i) le montant qui constituerait le revenu imposable de la fiducie pour l’année si elle n’avait pas tiré de revenu, ni subi de pertes de sources autres que l’entreprise ou les entreprises en question,
et (moins)
(ii) la partie du montant déterminé ci-dessus à l’égard de la fiducie pour l’année, qu’il est raisonnable de considérer comme un revenu provenant soit de placements admissibles pour elle, soit de la disposition de tels placements;
[53] Les sous-alinéas 146(4)b)i) et (ii) de la Loi ont pour effet que, selon les règles régissant les REER, un REER en fiducie doive payer l’impôt de la partie I sur le montant qui serait un revenu imposable tiré d’une entreprise pour l’année, mais excluant tout revenu d’entreprise qu’il est raisonnable de considérer comme un revenu provenant soit de placements admissibles pour elle, soit de la disposition de tels placements.
[54] L’appelante invite notre Cour à retenir une interprétation du paragraphe 146.2(6) qui s’applique aux CELI en fiducie et qui s’accorde au libellé du paragraphe 146(4). Mais le paragraphe 146(4) de la Loi ne vise pas les CELI en fiducie.
[55] Si le législateur avait voulu exonérer de l’impôt de la partie I le revenu d’entreprise d’un CELI qui effectue des opérations de placements admissibles, il aurait pu utiliser le cadre législatif qui se trouve au paragraphe 146(4) de la Loi. Or, il ne l’a pas fait. Ce choix délibéré confirme le sens différent du paragraphe 146.2(6) découlant du texte différent. Le recours à des expressions différentes aux paragraphes 146.2(6) et 146(4) veut nécessairement dire que le législateur n’avait pas l’intention que les deux expressions soient synonymes. Rien ne permet logiquement de donner le même sens aux mots différents des paragraphes 146.2(6) et 146(4).
[56] La raison du traitement plus permissif des REER par le législateur est évidente : les fonds retirés d’un REER sont imposables à titre de revenu ordinaire. Ainsi, le REER ne donne droit qu’à un report d’impôt. Par contre, les fonds retirés d’un CELI sont exonérés d’impôt en permanence, sauf si l’exception du paragraphe 146.2(6) s’applique. De plus, le fondement de la distinction contextuelle entre les règles qui régissent ces différents types de régimes enregistrés est mis davantage en lumière par les antécédents législatifs des REER. Les règles sur les REER n’ont pas toujours exonéré de l’impôt de la partie I le revenu d’entreprise d’un REER provenant soit de placements admissibles, soit de la disposition de tels placements. De 1972 à 1993, le cadre des REER incluait une exception qui était pratiquement identique à l’exception du CELI en litige.
[57] En février 1993, le ministre des Finances a publié un avant-projet de loi et des notes explicatives relativement aux changements proposés aux règles des REER. Les changements proposés incluaient une modification afin de remanier l’alinéa 146(4)b) à sa forme actuelle[39]. Voici ce que déclarait la note explicative :
Le paragraphe 146(4) de la Loi prévoit, de façon générale, qu’aucun impôt sur le revenu n’est payable par une fiducie régie par un régime enregistré d’épargne-retraite (REER), si ce n’est dans certaines circonstances. [traduction] Le paragraphe 146.3(3) est une disposition semblable pour les fiducies régies par un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR). Toutefois, cette exception ne s’applique pas au revenu tiré d’une entreprise.
Les alinéas 146(4)b) et 146.3(3)e) sont modifiés de manière que cette exonération s’applique aussi au revenu d’entreprise tiré soit d’un placement admissible d’un REER ou d’un FERR, soit de la disposition de ce placement. Les modifications tiennent compte du fait que le revenu d’entreprise peut être attribué à des participations dans une société en commandite détenues par un FERR ou un REER, et que, dans certains cas, la disposition d’un placement admissible par un FERR peut générer un revenu d’entreprise. ...[40]
[58] Après un changement de gouvernement, l’avant-projet de loi a été réintroduit et l’alinéa 146(4)b) a été modifié. Les notes explicatives publiées en mai 1994 indiquent le même objet pour la modification. Les antécédents législatifs de l’alinéa 146(4)b) indiquent que le législateur avait attentivement et délibérément choisi d’exonérer de l’impôt de la partie I le revenu provenant d’un REER en fiducie qui exploite une entreprise, dans la mesure où il est raisonnable de considérer que le revenu d’entreprise provient de placements admissibles ou de la disposition de ces placements.
[59] Si le législateur avait eu l’intention d’exonérer de l’impôt un revenu du CELI provenant de l’exploitation d’un type d’entreprise en particulier – des opérations de placements admissibles – il aurait légiféré en conséquence, tout comme il l’avait fait pour les REER. Les différences structurelles entre les règles des REER et des CELI indiquent que le revenu d’un REER en fiducie provenant de l’exploitation d’une entreprise d’opérations de placements admissibles sera éventuellement assujetti à l’impôt comme revenu ordinaire à son retrait du REER. Mais, puisque les retraits d’un CELI ne sont pas imposés, le revenu de même nature éluderait en permanence l’imposition si ce n’était de l’exception du paragraphe 146.2(6).
[60] Il ressort de l’analyse contextuelle du paragraphe 146(4) et des dispositions applicables aux REER que le législateur a délibérément choisi de ne pas exonérer de l’impôt le revenu d’un CELI si le CELI exploite une entreprise d’opérations de placements admissibles. Les CELI constituent un coût pour le fisc sous forme de renonciation à des revenus fiscaux. Le législateur devait promulguer des règles pour protéger l’intégrité du régime fiscal en limitant les exemptions d’impôt des CELI au moyen des limitations prévues au paragraphe 146.2(6) et d’autres règles anti-évitement.
[61] Le régime des CELI a été conçu de façon unique afin de permettre aux Canadiens d’accroître leurs économies en gagnant un revenu de placement libre d’impôt[41] comme des gains en capital, des intérêts et des dividendes, et non pour l’exploitation d’une entreprise libre d’impôt. Ainsi, ne vas pas dans le sens de l’argument de l’appelante l’interprétation téléologique du paragraphe 146.2(6). Le régime des CELI a été instauré dans le budget de février 2008 afin de « réduire l’imposition de l’épargne personnelle »
et encourager les Canadiens à épargner, et non pour inciter l’exploitation d’entreprises d’opérations de placements admissibles.
[62] Les Renseignements supplémentaires du budget de 2008 déclarent que les CELI étaient proposés comme compte enregistré d’épargne flexible qui aiderait les Canadiens avec leurs différents besoins d’épargne au cours de leur vie. L’aide fiscale offerte par un CELI était qualifiée, de bien des façons, de miroir (c.-à-d., l’inverse) de celle offerte par un REER :
a) Les cotisations au REER sont déductibles d’impôt, et les cotisations ainsi que les gains d’investissement sont imposables au moment de leur retrait;
b) Les cotisations au CELI sont versées au moyen d’un revenu après-impôt, et les cotisations ainsi que les gains d’investissement sont exonérés de l’impôt de la partie I au moment de leur retrait.
[63] Dans ses commentaires publiés sur le budget de 2008, le ministère des Finances a reconnu que le CELI permettrait aux particuliers résidents canadiens de gagner un revenu de placement, y compris les intérêts, dividendes et gains en capital, en franchise d’impôt. Ce n’est pas pour rien que le législateur a omis de reprendre les exceptions à l’exonération d’impôt du paragraphe 146.2(6). Examiné à la lumière de la structure globale des règles du CELI, l’objet de l’exception du paragraphe 146.2(6) – qui rend imposable le revenu provenant de l’exploitation d’une ou plusieurs entreprises par un CELI – vise à limiter l’exonération d’impôt à la détention passive de placements admissibles.
E. Observation incidente dans la décision Prochuk
[64] La jurisprudence Prochuk ne va pas dans le sens de l’interprétation du paragraphe 146.2(6) avancée par l’appelante. La question en litige dans cette affaire était de savoir si M. Prochuk avait le droit de déclarer une perte d’entreprise pour l’année d’imposition 2007 relativement à l’échec d’un investissement dans un fonds sur change. La Couronne faisait valoir que M. Prochuk n’avait pas le droit de déclarer une perte d’entreprise, car il n’exploitait pas une entreprise d’opérations, et l’investissement n’était pas une affaire de nature commerciale. M. Prochuk a témoigné que, depuis 2000, il gagnait sa vie par les gains de son REER. Il soutenait qu’il avait passé sa vie à effectuer des opérations et que, depuis 2000, il avait exploité une entreprise dans son REER, réalisant des gains importants, ce qui démontrait qu’il était un opérateur de marché actif, tout cela pour appuyer la position qu’il exploitait une entreprise d’opérations boursières et qu’il devrait être autorisé à déduire les pertes d’opérations engagées à l’extérieur de son REER.
[65] Notre Cour a reconnu qu’était une question de fait celle de savoir si M. Prochuk était un opérateur de marché, et après examen des facteurs de l’arrêt Vancouver Art Metal Works, elle a conclu par la négative. Notre Cour a également conclu que les opérations dans un REER ne sont pas pertinentes pour décider si un particulier (plutôt que le REER en fiducie) exploite une entreprise d’opérations boursières. En tirant cette conclusion, la Cour faisait une observation incidente portant qu’effectuer des opérations sur valeurs mobilières dans un REER n’équivaut pas à faire le commerce des valeurs mobilières. Dans la mesure où cette observation est interprétée comme justifiant la conclusion par la Cour portant que l’exécution d’opérations dans un REER en fiducie n’équivaut pas à faire le commerce de valeurs mobilières à l’extérieur du REER, la Couronne ne s’y oppose pas. Mais si, dans la décision Prochuk, la Cour voulait dire qu’effectuer des opérations dans un REER ne peut pas équivaloir à l’exploitation d’une entreprise dans le REER en fiducie, il est respectueusement soutenu qu’il y avait inadvertance. Rien n’indique que la Cour a tenu compte de l’alinéa 146(4)b) – qui examine expressément un REER en fiducie qui fait le commerce de placements admissibles – et la Couronne n’a pas porté cette disposition à l’attention de la Cour.
Résumé de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique
A. Le texte
[66] Nous commençons avec le texte pertinent du paragraphe 146.2(6) de la Loi :
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[67] Les mots « exploite une ou plusieurs entreprises »
sont assez généraux pour saisir toutes les entreprises, y compris une entreprise d’opérations de placements admissibles. Avant d’examiner le contexte et l’objet, il est important de réfléchir au rôle central du langage législatif dans l’interprétation du texte. Dans une récente dissertation, Pooja Mihailovich note que la Cour suprême du Canada met constamment l’accent sur la primauté du texte. Elle remarque que :
[traduction] . . . compte tenu du poids relatif à accorder au texte, au contexte et à l’objet dans le contexte fiscal, la cour a mis l’accent sur la primauté du texte. Par exemple, dans l’arrêt Alta Energy, une majorité de la Cour suprême a précisé que si les dispositions fiscales comportent un « caractère détaillé et précis », une interprétation largement textuelle est appropriée. De même, dans Loblaw Financial, la cour a conclu à l’unanimité que dans l’application de l’approche unifiée, le juge doit se concentrer attentivement sur le texte et le contexte pour cerner l’objet du régime législatif pertinent, surtout s’il est détaillé et que les dispositions en cause sont par ailleurs précises et non équivoques[42].
B. Le contexte
[68] Le contexte inclut le contexte interne aussi bien qu’externe. Le contexte interne comprend a) les mots dans le contexte de la disposition où ils se trouvent et b) la disposition dans le contexte de la loi où elle se trouve[43].
[69] Le paragraphe 146.2(6) fait partie de la section G de la partie I de la Loi. La section G, telle qu’elle était au début de 2009, comptait 13 articles :
– SECTION G Régimes de participation différée et autres arrangements spéciaux relatifs aux revenus
144 Régimes de participation des employés aux bénéfices
145 Régimes enregistrés de prestations supplémentaires de chômage
146 Régimes enregistrés d’épargne-retraite
146.01 Régime d’accession à la propriété
146.02 Régime d’éducation permanente
146.1 Régimes enregistrés d’épargne-études
146.2 Comptes d’épargne libre d’impôt
146.3 Fonds enregistrés de revenu de retraite
146.4 Régimes enregistrés d’épargne-invalidité
147 Régimes de participation différée aux bénéfices
147.1 Régimes de pension agréés
148 Polices d’assurance-vie
148.1 Arrangements de services funéraires
[70] Chacun de ces articles constitue un régime législatif distinct. Chacun compte son propre article d’interprétation et son propre ensemble de dispositions détaillées tenant compte de ses objets législatifs. En l’absence d’une directive législative au contraire, leurs éléments ne sont pas interchangeables.
[71] Le régime des REER figurant à l’article 146 est un régime législatif distinct du régime du CELI en fiducie énoncé à l’article 146.2. Cela ressort des différences entre les deux régimes :
1. Il n’y a pas d’âge minimum pour cotiser à un REER[44] alors qu’un particulier doit être âgé d’au moins 18 ans pour cotiser à un CELI[45].
2. La dernière possibilité pour un particulier de cotiser à son REER est la fin de l’année où il atteint 71 ans[46], alors qu’il n’y a pas d’âge maximum pour cotiser à un CELI[47].
3. Les cotisations à un REER sont établies conformément au « revenu gagné »
d’un particulier l’année précédente jusqu’à concurrence du plafond REER (18 % du revenu gagné l’année précédente jusqu’à un maximum de 30 780 $ pour 2023)[48] alors que les cotisations à un CELI sont établies au même montant en dollar constant pour tous (6 500 $ pour 2023)[49], peu importe s’ils avaient gagné un revenu l’année précédente[50].
4. La date limite pour cotiser à un REER relativement à l’année précédente est dans les 60 premiers jours de l’année suivante[51], alors qu’il n’y a pas de date limite des cotisations à un CELI. Les particuliers peuvent contribuer à leur CELI en tout temps, pourvu qu’ils aient des droits inutilisés de cotisation à un CELI. Les droits de cotisation supplémentaires pour un CELI s’ajoutent le 1er janvier de chaque année[52].
5. Les cotisations à un REER sont déductibles dans le calcul du revenu (sous réserve d’un maximum déductible annuel)[53] alors que ce n’est pas le cas pour les cotisations à un CELI[54].
6. Le titulaire d’un REER peut bénéficier de la cotisation au REER de son époux[55] alors qu’il n’y a pas de disposition qui permet au titulaire d’un CELI de contribuer au CELI de son époux[56].
7. Le revenu gagné dans un REER s’accumule à titre différé[57] alors que le revenu gagné dans un CELI s’accumule en franchise d’impôt[58].
8. Aucune disposition ne permet de verser de nouveau des montants retirés d’un REER[59] alors qu’il est possible de verser de nouveau, l’année suivante, les montants retirés d’un CELI[60].
9. Les retraits d’un REER sont imposables l’année du travail[61] alors que les retraits d’un CELI ne sont pas du tout imposables[62].
10. Les retraits d’un REER peuvent avoir une incidence sur le droit d’un titulaire aux prestations fédérales fondées sur le revenu et les crédits d’impôt[63] alors que tel n’est pas le cas pour le CELI[64].
[72] Quant au contexte externe, le paragraphe 146.2(6) intègre par renvoi le critère jurisprudentiel bien établi de l’« exploitation d’une entreprise »
. La nature de ce critère était tout à fait claire lorsque le législateur a adopté le paragraphe 146.2(6) de la Loi en 2008 et l’a inclus dans le cadre du régime du CELI[65].
C. Objet
[73] Nous commençons l’analyse téléologique en vérifiant l’objet principal de la législation sur le CELI. Dans l’arrêt Louie, notre Cour a noté que le CELI avait été conçu pour encourager les Canadiens à épargner et à investir :
[32] L’objectif général du compte d’épargne libre d’impôt est d’encourager les ménages à investir. Dans le budget de 2008 qui a introduit le compte d’épargne libre d’impôt, le ministère des Finances a expliqué les économies d’impôt qui pourraient être réalisées en supposant un taux de rendement de 5,5 % sur les placements générant des revenus diversifiés (40 % d’intérêts, 30 % de dividendes et 30 % de gains en capital). On prévoyait alors que les comptes d’épargne libre d’impôt inciteraient davantage les personnes à revenu faible ou modeste à épargner... [66]
[74] En rejetant l’appel du contribuable et en accueillant l’appel incident de la Couronne dans l’arrêt Louie, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé l’objet du CELI :
[1] Les comptes d’épargne libres d’impôt (CELI) ont été conçus pour permettre aux Canadiens d’accroître leur épargne en touchant un revenu de placement libre d’impôt. Bien que les cotisations à un CELI ne soient pas déductibles aux fins de l’impôt, les gains réalisés dans ce type de compte ne sont généralement pas imposables. Ce principe général comporte des exceptions[67].
[75] Enfin, dans la décision Hunt, notre Cour a réitéré que l’objet du régime des CELI est d’encourager l’épargne :
[traduction] [59] Le régime CELI est une structure conférant des avantages dont la mise en place vise à encourager l’épargne personnelle des contribuables en exonérant d’impôt les revenus autrement tirés de l’épargne. ...[68]
[76] Comment le législateur comptait-il s’y prendre pour réaliser cet objet principal? Pour répondre à cette question, nous devons examiner les limites que le législateur a choisies pour réaliser son objectif global d’une manière responsable sur le plan financier[69]. Comme le remarque la professeure Sullivan, la [traduction] « les objectifs que vise le législateur ne le sont presque jamais de façon résolue, absolue et sans qualification. Il y a toujours des facteurs supplémentaires ou concurrents à prendre en considération »
[70]. Comme l’a affirmé la juge Martin pour la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rafilovich :
[29] Je reconnais que le législateur avait plusieurs objectifs en tête au moment où il a instauré ce régime exhaustif des produits de la criminalité, ce que la professeure Sullivan qualifie de [traduction] « combinaison souhaitée d’objectifs » (Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), p. 409).
[30] Pour interpréter un régime complexe tel que celui qui nous intéresse en l’espèce, il est essentiel de ne pas s’attarder à un seul objectif au détriment des autres. Comme l’explique la professeure Sullivan, les objets secondaires doivent jouer un rôle actif dans une entreprise d’interprétation législative :
[traduction] Bien que la promulgation d’un texte législatif puisse viser une politique ou un principe premier, les objectifs premiers d’une loi que vise le législateur ne le sont presque jamais de façon absolue ou résolue; diverses politiques ou divers principes secondaires sont inévitablement inclus de telle sorte que la poursuite des objectifs premiers s’en voit nuancée ou modifiée. Par exemple, le respect des principes d’équité ou de justice naturelle pourrait empêcher l’adoption de la mesure la plus efficace et la moins coûteuse permettant de mettre en œuvre une politique générale comme la sécurité nationale . . .
Les objets secondaires sont rarement mentionnés dans le préambule de la loi ou dans l’énoncé de l’objet qu’elle renferme. C’est grâce à une analyse de l’économie de la loi, et plus particulièrement du rapport qu’entretiennent ses différentes dispositions, qu’il est possible de dégager ces objets secondaires. [Notes de bas de page omises dans l’original; p. 271[71].]
[77] Dans l’arrêt Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, le juge Cromwell fait cette mise en garde : le législateur n’entendait pas atteindre ses objectifs législatifs primaires, bien qu’importants, « à n’importe quel prix, son intention étant clairement de le mettre en balance avec d’autres intérêts importants dans le cadre d’un régime soigneusement conçu »
[72].
[78] Comme nous l’avons déjà vu, l’objectif principal du législateur en créant le CELI était d’encourager l’épargne. Ses objectifs secondaires étaient d’atteindre cet objectif dans certaines limites, notamment une limite sur le type de revenu pouvant être accumulé libre d’impôt dans un CELI. Peu importe ce que l’on peut penser du bien-fondé de la politique sous-jacente à une telle limitation, le législateur a défini celle-ci dans le libellé du paragraphe 146.2(6) de la Loi.
[79] Au paragraphe 146.2(6) de la Loi, il est prévu que le revenu provenant d’un CELI en fiducie qui exploite une ou plusieurs entreprises est assujetti à l’impôt de la partie I de la Loi. Pourvu que l’entreprise puisse être « exploitée »
(c.-à-d. pas une « entreprise comportant un risque de caractère commercial
»)[73], toutes les entreprises – sans exception législative – entrent dans la portée du paragraphe 146.2(6) de la Loi, y compris une entreprise d’opérations de placements admissibles.
[80] Si le législateur avait eu pour objectif, entre autres, d’élargir la portée de l’exonération d’impôt aux CELI en fiducie exploitant une entreprise d’opérations de placements admissibles, il l’aurait dit. Il l’avait déjà fait dans le contexte d’un régime législatif différent lorsqu’il a modifié la législation des REER en 1993 afin d’appliquer une telle exception pour les REER. Le législateur a simplement choisi de ne pas instaurer une telle exception pour les CELI[74].
D. Application du paragraphe 146.2(6) aux faits constants
[81] Si l’on applique le droit aux faits, le revenu de l’appelante provenant de l’exploitation d’une entreprise d’opérations de placements admissibles est assujetti à l’impôt en vertu du paragraphe 146.2(6) pour chacune des années d’imposition cotisées par le ministre. À la direction de M. Ahamed, l’appelante effectuait souvent des opérations, avait de longs antécédents d’achat et de vente d’actions qui étaient principalement de nature spéculative, et détenait les actions pour de courtes périodes. À la lumière des connaissances et de l’expérience de M. Ahamed dans le marché des valeurs mobilières en tant que conseiller de placement professionnel, et le temps considérable qu’il a consacré à mener des recherches sur les marchés de valeurs mobilières, il ne peut y avoir aucun doute que l’appelante exploitait une entreprise d’opérations de placements admissibles pour chacune des années d’imposition en cause.
Décision sur la « lettre Pook »
[82] Avant le début de l’audience, l’appelante a présenté une requête me demandant de tenir compte d’une lettre d’un ministère fédéral à un autre à titre d’« aide extrinsèque »
pour interpréter le paragraphe 146.2(6) de la Loi[75]. La Couronne s’est opposée à cette requête. J’ai entendu les observations des deux parties et j’ai décidé que je ne tiendrais pas compte de ce que l’appelante appelait la « lettre Pook » comme aide extrinsèque
. J’avais promis de donner mes motifs ultérieurement. Les voici.
[83] Pour situer le contexte, la lettre Pook est la copie d’une lettre envoyée en 1969 par David R. Pook, directeur de la Division des politiques et de la législation pour Revenu Canada (prédécesseur de l’Agence du revenu du Canada) à l’intention de J. R. Brown, conseiller fiscal principal au ministère des Finances, exprimant certaines préoccupations de Revenu Canada relativement au régime des REER de l’époque. Cette lettre avait été envoyée la veille de la réforme fiscale.
[84] Un des changements apportés au régime des REER en 1972 dans le cadre de la réforme fiscale était une limite sur les REER qui exploitaient une entreprise. S’ils le faisaient, le revenu provenant d’une telle entreprise serait imposable.
[85] L’avocat de l’appelante soutenait que je devais tenir compte de la lettre Pook à titre d’« aide extrinsèque »
pour interpréter le texte du paragraphe 146.2(6) de la Loi. Il affirmait que c’était la lettre Pook qui avait fait en sorte que le ministère des Finances propose, et que le législateur adopte, la législation au début des années 1970 pour rendre le revenu provenant d’un REER qui exploite une entreprise imposable. Plus précisément, l’avocat de l’appelante s’appuie sur des extraits de la lettre Pook exprimant la préoccupation de Revenu Canada que certains REER exploitaient une entreprise en concurrence avec des entités imposables. Son avocat soutenait que, selon la lettre Pook, le seul objectif du législateur en adoptant la législation assujettissant les REER qui exploitent une entreprise à l’impôt était de prévenir la concurrence déloyale.
[86] L’avocat de l’appelante soutenait que, selon la lettre Pook, puisque la prévention de la concurrence déloyale était le seul objectif au début des années 1970 pour imposer les REER qui exploitaient une entreprise, la prévention de la concurrence injuste avait dû être le seul objectif du législateur pour adopter la législation de 2008 sur les CELI assujettissant à l’impôt les CELI qui exploitaient une entreprise.
[87] Par conséquent, affirme l’appelante, puisqu’un CELI en fiducie qui exploite une entreprise d’opérations de placements admissibles ne fait concurrence à personne, la limite du paragraphe 146.2(6) de la Loi ne doit s’appliquer qu’aux entreprises qui font une concurrence déloyale à d’autres entreprises, notamment toute entreprise autre qu’une entreprise d’opérations de placements admissibles.
[88] J’ai rejeté la requête de l’appelante, car ses observations indiquaient un point de vue inutilement restrictif des objectifs parlementaires en adoptant un régime législatif attentivement équilibré comme celui des CELI. Au lieu de tenir compte d’un éventail d’objectifs, comme l’oblige la loi, l’appelante m’invitait à conclure que la lettre Pook nous exposait tout ce qu’il fallait savoir sur l’objectif du législateur dans l’adoption du paragraphe 146.2(6) de la Loi.
[89] Les observations de l’appelante à ce sujet sont erronées en droit parce qu’une politique non exprimée (c.-à-d. la prévention d’une concurrence injuste) ne peut pas remplacer un texte législatif clair[76]. Un soi-disant objectif législatif tiré d’une correspondance interministérielle dans le cadre d’un régime législatif ne peut remplacer les mots clairs d’une disposition adoptée par le législateur quelque 40 ans plus tard dans le contexte d’un autre régime législatif. Comme le fait remarquer Pooja Mihailovich, l’objectif législatif [TRADUCTION]
« ressort du texte et n’est pas une invitation ouverte à remplacer le texte »
.
[77] Elle observe correctement que :
. . . Dans le contexte de l’exercice de l’interprétation législative, l’objet d’une disposition est déterminé en confection de ce que la législature a conclu comme étant l’objet et par les mots que la législature a utilisés pour représenter cette conclusion, et non ce qu’une cour devine en être l’objet[78].
***
. . . Le texte d’une disposition est presque toujours la meilleure preuve de son objet. Il est certainement plus fiable que les intentions inexprimées ou les objectifs abstraits et sans rapports qu’il faut discerner au moyen d’une exploration en terrains inconnus des antécédents législatifs et d’autres aides extrinsèques, sans règles pour guide l’utilisation appropriée de cette documentation[79].
[90] Le libellé du paragraphe 146.2(6) de la Loi nous dit que toute entreprise exploitée par un CELI fait en sorte que le revenu du CELI provenant de cette source est assujetti à l’impôt. Rien dans le texte de cette disposition ou ailleurs dans la Loi ne constitue un fondement pour limiter la portée des mots « exploite une ou plusieurs entreprises »
au paragraphe 146.2(6) aux entreprises qui font concurrence de façon déloyale avec d’autres entreprises.
Conclusion
[91] En 2008, le législateur a choisi d’adopter un régime législatif pour les CELI en fiducie qui était moins permissif que celui qu’il avait choisi lorsqu’il avait modifié le régime des REER en 1993. L’appelante demande à la Cour d’interpréter les mots utilisés par le législateur dans les dispositions du CELI comme s’ils étaient identiques à ceux utilisés par le législateur pour modifier le régime des REER en 1993.
[92] Notre Cour n’a aucun pouvoir pour remanier la législation sur les CELI du législateur pour y intégrer a) des politiques ressortant d’une correspondance interministérielle se rapportant à un régime législatif différent, b) des politiques transplantées d’un régime législatif différent, ou c) une observation incidente relevée dans les motifs d’une jurisprudence portant sur un régime législatif différent (c.-à-d., la décision Prochuk).
[93] Les appels visant les années d’imposition 2009, 2010, 2011 et 2012 de l’appelante sont rejetés, avec dépens. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur les dépens, l’intimé peut, au plus tard le 11 avril 2023, présenter des observations écrites de 10 pages au plus, et l’appelante peut, au plus tard le 12 mai 2023, présenter des observations écrites de 10 pages au plus, et l’intimé peut, au plus tard le 31 mai 2023, présenter sa réponse par des observations écrites de cinq pages au plus.
Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de février 2023.
« David E. Spiro »
Le juge Spiro
Traduction certifiée conforme
Ce 6e jour de juin 2024.
François Brunet, réviseur
Avocat de l’appelante :
|
Me Timothy W. Clarke
|
Avocats de l’intimé :
|
Me Perry Derksen, Me Jamie Hansen et Me Heidi Lee
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nom :
|
|
Cabinet :
|
QED Tax Law Corporation Vancouver (Colombie-Britannique) |
Pour l’intimé :
|
François Daigle Sous-procureur général du Canada Ottawa, Canada |
[4] Canada (Commissaire de la Concurrence) c. Rogers Communications Inc., 2023 CAF 16 au par. 17 [Rogers Communications].
[15] Le ministre avait aussi cotisé l’année d’imposition 2013 dans laquelle le CELI en fiducie avait réalisé une perte de 67 718 $. Étant donné que le ministre a établi une nouvelle cotisation reportant cette perte à l’année d’imposition 2011 comme le lui avait demandé l’appelante, la nouvelle cotisation pour l’imposition 2013 était une nouvelle cotisation de zéro; notre Cour n’en est donc pas saisie.
[16] Le revenu imposable cotisé pour 2011 était de 398 712 $. Après l’application du report des pertes de 2013, le montant cotisé de nouveau comme revenu imposable s’élevait à 330 712 $.
[20] Voir à l’annexe 4 des documents du Budget de 2008 la citation de « miroir »
sur laquelle l’appelante s’appuie et un tableau indiquant les taux après impôts identiques dans un REER et un CELI en fiducie (Ministère des Finances Canada, Le Plan budgétaire de 2008 : Un leadership responsable [le budget fédéral de 2008 déposé à la Chambre des communes par l’honorable James M. Flaherty, c.p., député, ministre des Finances], le 26 février 2008, p. 298 [documents du budget de 2008]).
[21] La publication IT-479R illustre avec exactitude les éléments du critère traditionnel : Agence du revenu du Canada, Bulletin d’interprétation IT-479R, « ARCHIVÉE – Transactions de valeurs mobilières »
(29 février 1984).
[22] L’appelante n’a présenté aucun témoignage, qu’il s’agisse de faits ou d’opinion, pour appuyer ses observations concernant cette soi-disant « stratégie d’investissement rationnel »
.
[23] L’appelante tire le critère proposé de l’affaire Re PsZon, [1946] 2 DLR 507, 1946 CanLII 107(CA).
[26] Ibid., par. 23 à 29, 40.
[28] L’idée qu’une observation judiciaire incidente puisse également être une « conclusion essentielle »
est illogique, mais je ne fais que reprendre l’argument de l’appelante. Voir les observations écrites de l’appelante à la page 2.
[29] Prochuk, précitée, note 24 par. 49 à 51.
[32] Vancouver Art Metal Works Ltd. c. Canada, [1993] 2 CF 179 (CAF), par. 13 [Vancouver Art Metal Works].
[39] [traduction] Le législateur a modifié l’alinéa 146(4)b) en ajoutant les sous-alinéas 146(4)b)(i) et 146(4)b)(ii) à la Loi.
[40] Canada, Ministère des Finances, Modifications de la Loi de l’impôt sur le revenu et des lois connexes, (avant-projet de loi et notes explicatives), (août 1993). p. 128,137.
[42] Pooja Mihailovich, « Words Matter: The Limits of Purposive Interpretation »
dans Pooja Mihailovich & John Sorensen, éd., Tax Disputes in Canada : The Path Forward (Fondation canadienne de fiscalité, 2022) 3 à 6 [Mihailovich].
[43] Symes c. R, [1993] 4 RCS 695 par. 36 à 58, 98, 110 DLR (4th) 470; Canada c. Alta Energy Luxembourg SARL, 2021 CSC 49 par. 59, 139 à 150 [Alta Energy]; Maritime Electric Co. c. Prince Edward Island (Island Regulatory & Appeals Commission), 2011 PECA 13 par. 120 à 122. Le juge peut également tenir compte de mesures législatives extérieures à la loi en cause dans le cadre de l’analyse contextuelle.
[44] La définition du « régime d’épargne-retraite »
au paragraphe 146(1) de la Loi n’inclut pas de condition portant sur l’âge du titulaire du REER.
[47] Le paragraphe 146.2(5) définit le moment où un CELI cesse d’être un CELI, et l’âge du titulaire du CELI n’est pas mentionné; la définition de l’« arrangement admissible »
au paragraphe 146.2(1) ne donne également aucune limite supérieure relativement à l’âge du titulaire d’un CELI.
[50] Il peut y avoir d’autres complexités selon le montant de droits inutilisés de cotisation à un REER ou à un CELI et le montant des retraits effectués d’un CELI dans l’année précédente. Ces complexités ne sont pas pertinentes aux fins de la présente analyse.
[54] Les cotisations à un CELI proviennent d’un revenu après impôt et les retraits des cotisations et des revenus de placements sont exonérés de l’impôt de la partie I.
[59] La définition de « déductions inutilisées »
au paragraphe 146(1) n’inclut pas de montant retiré, versé de nouveau à un REER pour les retraits antérieurs d’un REER.
[60] La définition de « droits inutilisés de cotisation à un CELI »
au paragraphe 207.01(1) de la Loi inclut un montant retiré antérieurement et versé de nouveau à un CELI.
[62] Les cotisations à un CELI proviennent d’un revenu après impôt et les retraits des cotisations et des revenus de placements sont exonérés de l’impôt de la partie I.
[63] Par exemple, les retraits du REER d’un particulier peuvent avoir une incidence sur le crédit d’impôt pour la TPS/TVH ou l’Allocation canadienne pour les travailleurs (voir les paragraphes 142[8] et 122.5[1] « revenu rajusté »
et le paragraphe 122.5[3] de la Loi). Les retraits d’un REER peuvent aussi avoir des conséquences sur l’Allocation canadienne pour les travailleurs d’un particulier (voir les paragraphes 142[8] et 122.7[1] « revenu net rajusté »
et 122.7[2] de la Loi).
[64] Les retraits d’un CELI ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour l’année, et n’ont donc aucun effet sur les prestations fondées sur le revenu.
[65] Au moment où le législateur a adopté le régime du CELI, le critère pour « l’exploitation d’une entreprise »
était très bien établi dans le droit fiscal canadien, non seulement dans le contexte de la question du « capital ou du revenu »
, mais aussi dans les contextes des sociétés de personnes et des non-résidents. En droit fiscal canadien, une société de personnes est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice (se reporter aux arrêts Continental Bank of Canada c. R., [1998] 2 RCS 298, 163 DLR [4th] 385; Backman c. Canada, 2001 CSC 10; et Spire Freezers Ltd. c. Canada, 2001 CSC 11). Pour une ancienne discussion sur la façon d’appliquer le critère de l’exploitation d’une entreprise à des non-résidents du Canada, voir H H Stikeman, « Carrying on Business in Canada in Dominion Income Tax Law »
(1942) 20:2 Can Bar Rev 77. Le critère de l’exploitation d’une entreprise est pris en compte dans les conventions fiscales du Canada qui incluent toutes une disposition dans les lignes de l’article 7 du Modèle de convention fiscale de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cet article commence en énonçant que « [l]es bénéfices d’un résident d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que le résident n’exerce son activité dans l’autre État contractant par l’intermédiaire d’un établissement stable qui y est situé ». Voir OECD (2019), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune 2017 (Version complète), OECD Publishing, Paris. Contrairement à l’observation de l’appelante, la Cour ne peut pas – et ne doit pas – créer un tout nouveau critère pour « l’exploitation d’une entreprise »
strictement pour l’application du paragraphe 146.2(6) de la Loi.
[69] Voir Ruth Sullivan, Statutory Interpretation, 3e éd. (Toronto : Irwin Law, 2016) par. 186 et 187, où l’auteure observe que le législateur exprime ses « objets secondaires »
en employant des « mots de restriction, de qualification ou d’exception qui limitent la portée ou l’efficacité des objectifs principaux »
[Sullivan].
[71] R c Rafilovich, 2019 CSC 51, par. 29 et 30.
[73] Tara Exploration and Development Co. c. MRN, 70 DTC 6370 (Ex Ct) par. 22, [1970] CCI 557; conf. pour différents motifs par [1974] RCS 1057.
[74] Avant les modifications de 1994, l’alinéa 146(4)b) de la Loi était rédigé ainsi :
146(4) Sous réserve du paragraphe (10.1), aucun impôt n’est payable en vertu de la présente partie par une fiducie sur son revenu imposable pour une année d’imposition si, tout au long de la période de l’année où la fiducie existait, elle était régie par un régime enregistré d’épargne-retraite; toutefois :
***
b) dans tout cas non visé à l’alinéa a), si la fiducie a exploité une ou plusieurs entreprises pendant l’année, un impôt est payable par elle en vertu de la présente partie sur son revenu imposable pour l’année si la fiducie n’avait eu aucun revenu ou perte provenant de sources autres que l’entreprise ou les entreprises; ...
Après les modifications de 1993, la disposition était rédigée ainsi :
146(4) Sous réserve du paragraphe (10.1), aucun impôt n’est payable en vertu de la présente partie par une fiducie sur son revenu imposable pour une année d’imposition si, tout au long de la période de l’année où la fiducie existait, elle était régie par un régime enregistré d’épargne-retraite; toutefois :
***
B) dans tout cas non visé à l’alinéa a), si la fiducie a exploité une ou plusieurs entreprises pendant l’année, un impôt est payable par elle en vertu de la présente partie sur l’excédent éventuel du montant visé au sous-alinéa (i) sur le montant visé au sous-alinéa (ii) :
(i) le montant qui constituerait le revenu imposable de la fiducie pour l’année si elle n’avait pas tiré de revenu, ni subi de pertes de sources autres que l’entreprise ou les entreprises en question,
(ii) la partie du montant déterminé selon le sous-alinéa (i) à l’égard de la fiducie pour l’année, qu’il est raisonnable de considérer comme un revenu provenant soit de placements admissibles pour elle, soit de la disposition de tels placements; [...]
[75] Le dossier de requête de l’appelante est cotée M-1 aux fins d’identification. Puisque les faits étaient constants dans ces appels, la lettre était inadmissible en preuve, car le critère de pertinence n’aurait pas été rempli. Voir Sydney Lederman, Michelle Fuerst & Hamish C Stewart, The Law of Evidence in Canada, 6e éd. (LexisNexis Canada, 2022) ¶2.55, ¶2.61:
[traduction] ¶2.55 La première étape pour déterminer ce qui est pertinent est de cerner les faits en litige dans l’affaire. C’est le droit substantiel lié au chef ou au moyen en particulier qui constitue le fondement de cet exercice de détermination. ...
***
¶2.61 Bien qu’en pratique beaucoup de latitude est permise, surtout dans les affaires tranchées par des juges uniques, la preuve qui n’a absolument aucun rapport aux questions en litige dévoilées dans les arguments sera néanmoins rejetée. ...
[76] [traduction] À maintes reprises, la Cour suprême du Canada a déconseillé aux juges de se fier aux directives non exprimées dans l’interprétation des dispositions législatives. Se reporter, par exemple aux arrêts Alta Energy, précité note, par. 58, 96; Loblaw Financial Hodlings Inc. c. Canada, 2021 CSC 51, par. 57, 60; TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19, par. 78, 79.