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Dossier : 2021-186(IT)G

ENTRE :

GEORGES BOISSELLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

9287-4775 Québec Inc., 2021-187(IT)G

les 29 et 30 mai 2023, à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me François F.D. Daigle

Avocate de l’intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

JUGEMENT

Selon les motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017 est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 2023.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


Dossier : 2021-187(IT)G

ENTRE :

9287-4775 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu sur preuve commune avec l’appel de

Georges Boisselle, 2021-186(IT)G

les 29 et 30 mai 2023, à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me François F.D. Daigle

Avocate de l’intimé :

Me Marie-Claude Landry

 

JUGEMENT

Selon les motifs du jugement ci-joints, l’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2015, 2016 et 2017 est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 2023.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


Référence : 2023 CCI 97

Date : 20230710

Dossier : 2021-186(IT)G

ENTRE :

GEORGES BOISSELLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

Dossier : 2021-187(IT)G

ENTRE :

9287-4775 QUÉBEC INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge St-Hilaire

I. Introduction

[1] M. Georges Boisselle est un homme d’affaires qui a travaillé comme courtier immobilier pendant une vingtaine d’années. En 1997, fort de cette expérience et voulant changer de carrière, il est devenu courtier en assurance et œuvre dans ce domaine depuis environ 25 ans. Au fil des ans, il a acheté, rénové et vendu plusieurs immeubles. Il en a gardé quelques-uns, ceux-ci étant destinés à la location.

[2] M. Boisselle exploite son entreprise de courtage en assurance par l’entremise de la société AssurExperts Boisselle & Associés Inc. (AssurExperts) dont lui et ses enfants, Laurent Boisselle et Marie-Ève Boisselle, sont actionnaires.

[3] En 2011, M. Boisselle a acheté un immeuble à Varennes, lequel fut converti en copropriété divise destinée à des fins commerciales et résidentielles. Il a vendu des unités de cette copropriété à ses enfants Laurent et Marie-Ève ainsi qu’à la société 9287-4775 Québec Inc. (9287). M. Boisselle, Laurent et Marie-Ève sont les actionnaires de 9287, laquelle fut constituée en 2013. AssurExperts exploite ses activités à partir d’un local loué de la société 9287.

[4] M. Boisselle a fait l’objet de nouvelles cotisations établies par la ministre du Revenu national (Ministre) en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e supp) (Loi) pour les années d’imposition 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017. La Ministre a refusé la déduction d’un montant de 321 088 $ à titre de perte finale pour l’année d’imposition 2013, ajustement qui eut des répercussions sur les autres années en litige. Pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015, la Ministre a inclus les montants de 10 136 $, 5 292 $ et 7 742 $ dans le calcul du revenu de M. Boisselle à titre d’avantages à l’actionnaire.

[5] 9287 a acquis une des unités de l’immeuble ainsi que le garage pour un montant de 511 000 $. Dans sa déclaration de revenu pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2015, 2016 et 2017 (les années d’imposition 2015, 2016 et 2017), 9287 a déduit un montant à titre d’allocation du coût en capital, lequel fut calculé à partir de la fraction non amortie du coût en capital (FNACC) fondée sur un coût en capital de 511 000 $ pour l’immeuble. Ayant conclu que le montant de 511 000 $ ne représente pas la juste valeur marchande (JVM) de l’unité et du garage achetés par 9287, la Ministre a fait des ajustements à la FNACC. Par conséquent, la Ministre a établi de nouvelles cotisations en vertu de la Loi pour les années d’imposition 2015, 2016 et 2017 afin de réduire le montant déductible à titre d’allocation du coût en capital.

II. Contexte

[6] AssurExperts est une entreprise familiale dans laquelle travaillent M. Boisselle, Marie-Ève, Laurent et sa conjointe (Mélanie), et 3 autres employés. En 2011, AssurExperts était à la recherche de nouveaux locaux puisqu’elle était en croissance et les locaux qu’elle louait de M. Boisselle pour mener ses activités étaient devenus trop petits.

[7] En 2011, M. Boisselle a reçu par la poste une annonce publicisant la vente d’un immeuble situé au 68, rue Ste-Anne à Varennes (l’immeuble). C’est un immeuble qu’il connaissait et il considérait que le prix était raisonnable; il y voyait la possibilité d’installer les bureaux d’AssurExperts dans une partie de l’immeuble.

[8] En août 2011, M. Boisselle, Laurent, Mélanie et Marie-Ève visitent l’immeuble. Laurent a affirmé que ce fut « le coup de foudre » et que tout de suite après la visite alors qu’ils fussent dans la voiture, il a dit à son père qu’il souhaitait y vivre avec sa famille. M. Boisselle a affirmé que, comme lui, son fils était tombé en amour avec l’immeuble et c’est à ce moment-là qu’il a commencé à changer les plans dans sa tête pour en faire un syndicat de copropriété pour qu’ils puissent tous y demeurer, soit M. Boisselle, Laurent, Marie-Ève et leurs familles respectives (Transcription, volume 1 aux pp 151-152).

[9] Par acte notarié le 31 août 2011, M. Boisselle a acheté l’immeuble pour un montant de 500 000 $. La déclaration de copropriété divise fut notariée le 6 août 2013. Par actes notariés le 23 octobre 2013, M. Boisselle a vendu trois des quatre unités de l’immeuble ainsi que le garage.

[10] Dans sa déclaration de revenu pour l’année d’imposition 2013, l’appelant a déclaré une perte finale totale de 412 813 $ se répartissant comme suit :

  • Perte finale de 91 725 $ sur l’unité 101 et le garage vendus à 9287;

  • Perte finale de 113 467 $ sur l’unité 201 vendue à Marie-Ève;

  • Perte finale de 207 621 $ sur l’unité 301 vendue à Laurent et Mélanie.

[11] La Ministre a refusé la déduction d’un montant de 321 088 $ à titre de perte finale relativement aux unités 201 et 301 vendues aux enfants de l’appelant.

[12] De plus, pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015, la Ministre a inclus des avantages à l’actionnaire dans le revenu de M. Boisselle pour des montants que la société AssurExperts a payés pour son bénéfice et au bénéfice des membres de sa famille. Les montants inclus sont constitués essentiellement de frais de subsistance, de frais de voyage et de dépenses pour des activités sportives.

III. Questions en litige

[13] Les deux appels, soient l’appel de M. Boisselle et celui de 9287, ont été entendus ensemble sur preuve commune. Cela dit, bien que la vente de l’immeuble soit au cœur des deux dossiers, étant donné leurs différences, il convient d’identifier les questions en litige dans chacun des dossiers de façon distincte. Aussi, je ferai l’analyse et je tirerai des conclusions sur chacun des appels séparément.

Questions en litige dans l’appel de 9287

[14] Dans l’appel de 9287, la Cour est saisie des questions suivantes :

  1. En ce qui concerne l’achat de l’unité 101 et du garage, la question primordiale est celle de savoir si la Ministre était justifiée de diminuer le montant que 9287 pouvait déduire à titre d’allocation du coût en capital (ACC) pour les années d’imposition 2015, 2016 et 2017. Dans les circonstances de cet appel, pour répondre à cette question, la Cour devra déterminer la JVM de l’unité 101 et du garage; et

  2. Étant donné la position prise par l’appelante, soit que les années 2015, 2016 et 2017 sont frappées de prescription même si les nouvelles cotisations ont été établies conformément au paragraphe 152(3.1) de la Loi, la Cour doit déterminer si la Ministre a établi les cotisations contestées dans les délais autorisés par la Loi.

Questions en litige dans l’appel de M. Boisselle

[15] Au début de l’audience, l’avocat de l’appelant a affirmé que les montants inclus dans le revenu de M. Boisselle à titre d’avantages à l’actionnaire en vertu de l’article 15 de la Loi pour les années d’imposition 2013, 2014 et 2015 ne faisaient pas l’objet de contestation sauf dans la mesure où l’année 2013 pourrait être frappée de prescription (Transcription, volume 1 à la p 25).

[16] Dans ces circonstances, la Cour est saisie des questions suivantes dans l’appel de M. Boisselle :

  1. Est-ce que la Ministre était justifiée d’établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable à l’appelant pour l’année d’imposition 2013? et

  2. Est-ce que l’appelant est autorisé à déduire une perte finale pour l’année d’imposition 2013 à l’égard des unités 201 et 301 vendues à ses enfants?

IV. Droit et analyse

A. Appel de 9287

[17] Afin de déterminer si la Ministre était justifiée de réduire le montant déductible à titre d’ACC, la Cour doit déterminer la JVM de l’unité 101 et du garage achetés par 9287. Il convient de rappeler que le calcul de l’ACC dépend de la FNACC et qu’en revanche celle-ci dépend en partie du coût en capital du bien amortissable. Conformément à l’article 69, étant donné le lien de dépendance entre 9287 et M. Boisselle, le coût en capital est réputé être égal à la JVM du bien.

[18] Comme affirmé dans son avis d’appel et comme discuté au début du procès, l’appelante a obtenu un rapport d’évaluation de l’immeuble. Pour des raisons qui lui sont propres, l’appelante a choisi de ne pas faire témoigner l’auteur de ce rapport. Par conséquent, il n’y a qu’un seul rapport d’expert devant la Cour, celui obtenu par l’intimé dans le cadre de ce litige (I-2, onglet 9).

[19] L’intimé a confié le mandat d’évaluer l’immeuble à Éric Gaudreau, évaluateur agréé par l’Institut canadien des évaluateurs (Institut) et chef d’équipe des évaluateurs à l’Agence du revenu du Canada. La Cour a qualifié M. Gaudreau comme témoin expert indépendant quant aux évaluations de biens immobiliers. Je note que l’avocat de l’appelante a affirmé reconnaître l’admissibilité du témoignage de M. Gaudreau en tant qu’expert.

[20] J’estime que M. Gaudreau est un témoin professionnel, honnête et crédible; son témoignage était franc, direct et cohérent. Il a expliqué que parmi les trois méthodes d’évaluation reconnues, soit la méthode du coût, la méthode du revenu et la méthode de comparaison, cette dernière était la mieux adaptée à l’évaluation d’un logement individuel en copropriété. M. Gaudreau a expliqué en détail son approche à l’évaluation de l’immeuble, identifiant les documents consultés, et décrivant les photos prises, les pistes cyclables environnantes et la vue de l’immeuble. En appliquant la méthode de comparaison, il a choisi des comparables résidentiels. En réponse à la question de savoir pourquoi il avait comparé l’unité 101, utilisée à des fins commerciales, à des unités utilisées à des fins résidentielles, M. Gaudreau a affirmé que les règles applicables l’obligeaient à évaluer l’immeuble en choisissant l’utilisation optimale de l’immeuble, soit l’usage « qui confère au bien immobilier la meilleure valeur marchande » selon la définition de l’Institut. En l’espèce, l’utilisation résidentielle était celle à privilégier. À la valeur établie en fonction de l’utilisation optimale, il a fait les ajustements nécessaires, en tenant compte des coûts de conversion de l’unité commerciale à une unité de type résidentielle. En contre-interrogatoire, il a ajouté que d’en faire l’évaluation en fonction de son usage commercial équivaudrait à une faute professionnelle (Transcription, volume 2 à la p 63).

[21] En appliquant la méthode de la comparaison à des comparables résidentiels et en tenant compte des caractéristiques de l’immeuble (pas d’ouverture sur les côtés, un bureau à aire ouverte, hauteur de 8 pieds, une cuisinette et non une cuisine complète, l’absence de salle de bain complète, etc.), M. Gaudreau a déterminé que la valeur de l’unité 101 s’établissait à 140 000 $, et à 170 000 $ avec le garage, taxes non comprises.

[22] L’avocat de l’appelante a soulevé des questions concernant la différence entre l’évaluation établie par M. Gaudreau et l’évaluation municipale. M. Gaudreau a expliqué que l’évaluation municipale contenait des erreurs, y compris quant au nombre de pieds carrés ainsi qu’à une référence à deux étages alors que l’unité 101 et le garage se trouvent sur un seul étage.

[23] Étant donné le témoignage professionnel et crédible de M. Gaudreau et étant donné que l’appelante n’a pas présenté d’expertise à la Cour établissant une différente JVM, je conclus que la JVM de l’immeuble pour les fins du calcul de la FNACC et de l’ACC est de 170 000 $ pour l’unité 101 et le garage. En l’espèce, cette JVM équivaut au CC de l’immeuble et il s’agit du montant utilisé par la Ministre pour calculer l’ACC déductible par l’appelante pour les années d’imposition 2015, 2016 et 2017 en tenant compte de l’ACC réclamée en 2014 et de la valeur du terrain (voir le para 19m) de la Réponse). Outre son désaccord quant à la JVM et au CC, l’appelante n’a pas contesté ces calculs.

[24] En plus de contester la JVM de l’immeuble, l’appelante soutient que la Ministre n’était pas justifiée à modifier l’ACC pour les années 2015, 2016 et 2017. Si j’ai bien compris la position de l’appelante, la Ministre ne peut établir une nouvelle cotisation pour ces années pour recalculer l’ACC déductible, car cette valeur dépend du CC de l’immeuble (et donc de sa JVM), valeur fixée en 2013 au moment de l’acquisition de l’immeuble. Et, puisque l’année 2013 est prescrite, le sont aussi les années subséquentes. Je n’accepte pas cet argument.

[25] Le paragraphe 152(3.1) de la Loi autorise la Ministre à établir une nouvelle cotisation trois ans suivant la date d’envoi d’un avis de première cotisation. Contrairement au paragraphe 152(4), le paragraphe 152(3.1) ne contient pas de conditions à rencontrer, sans quoi la Ministre ne serait pas autorisée à établir une nouvelle cotisation à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation. La Ministre a l’obligation d’établir une cotisation conformément à la Loi et je ne vois rien dans la Loi qui l’empêche de corriger une erreur contenue dans une cotisation pour une année antérieure qui est frappée de prescription lorsque l’année subséquente, faisant l’objet d’une nouvelle cotisation, n’est pas frappée de prescription.

[26] Cette position est étayée par la décision de cette Cour dans l’affaire Atlantic Thermal Star Limited, 2016 CCI 135, et je fais miens les propos de la Juge Lafleur qui s’exprimait comme suit aux paragraphes 38-39 :

[38] À mon avis, rien ne permet d’empêcher soit le ministre, soit une autre partie, de faire des allégations factuelles sur l’état des choses remontant à une année d’imposition antérieure lorsque ces allégations, si elles s’avèrent, ont des répercussions sur l’exactitude de la cotisation (ou, en l’espèce, l’avis de détermination des pertes) en litige devant la Cour.

[39] Je mentionne ici le principe, que certaines décisions ont appelé « le principe du jugement New St. James » (voir, par exemple, le jugement Sherway Centre Limited c. La Reine, 2001 DTC 1021, [2001] ACI no 751 (QL) (CCI)) : rien n’empêche le ministre de contester certains montants établis durant une année antérieure pour en arriver à une conclusion sur la position du contribuable lors d’une année d’imposition donnée. Comme le soutenait le juge en chef Bowman (tel était alors son titre), dans sa discussion sur le principe du jugement New St. James (Coastal Construction & Excavating Ltd. v R, 1996 CanLII 21537 (TCC), [1996] 3 CTC 2845, au paragraphe 23, 97 DTC 26 (TCC), qui cite le jugement New St. James Limited v M.N.R., 1966 CanLII 947 (CA EXC), [1966] CTC 305, 66 DTC 5241 (C. de l’É.) :

[TRADUCTION]

Enfin, l’appelant soutient que comme le ministre avait considéré, dans les années antérieures, l’exploitation comme étant un « établissement » au sens de la Loi sur les subventions au développement régional (LSDR), il n’avait pas le droit de modifier le report en avant du crédit d’impôt à l’investissement à partir des années frappées de prescription pour modifier le revenu imposable d’une année non frappée de prescription afin d’établir que son bien était admissible et non certifié. Cette interprétation impliquerait que l’établissement du solde du report pour les crédits d’impôt à l’investissement lors d’une année frappée de prescription équivaudrait à une évaluation. Je ne considère pas que l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu puisse admettre une telle conclusion. Le ministre a l’obligation d’établir une cotisation en conformité avec les règles de droit en vigueur. Si la cotisation établie lors d’une année antérieure est inexacte et que cette année-­là est devenue frappée de prescription, il sera impossible de modifier la cotisation de cette année-­là, mais ce fait n’empêche pas de corriger l’erreur dans une autre année d’imposition qui, elle, n’est pas frappée de prescription, même s’il faut apporter une correction aux reports des années précédentes, pouvant être une perte ou un solde en crédits d’impôt à l’investissement. New St. James Limited. v. M.N.R., 1966 CanLII 947 (CA EXC), 66 D.T.C. 5241; Allcann Wood Suppliers Inc. v. The Queen, 94 D.T.C. 1475. Aucune question d’irrecevabilité n’a été soulevée : Goldstein c. La Reine, 96 D.T.C. 1029.

[Non souligné dans l’original.]

Le juge Létourneau a cité ces commentaires qu’il a faits siens dans son jugement Canada c. Papiers Cascades Cabano inc., 2006 CAF 419, au paragraphe 23, 2008 DTC 6264.

[27] Suite à une discussion avec les parties, la Cour a conclu que les nouvelles cotisations pour les années 2015, 2016 et 2017 ont été établies à l’intérieur de la période normale de nouvelle cotisation (Transcription, volume 2 aux pp 5-16). Dans ces circonstances, et étant donné ma conclusion concernant la JVM de l’unité 101 et du garage, je conclus que la Ministre était justifiée d’établir de nouvelles cotisations en modifiant le montant de l’ACC déductible pour les années en litige. L’appel des cotisations de 9287 établies pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2015, 2016 et 2017 est rejeté.

B. Appel de Georges Boisselle

Nouvelle cotisation établie au-delà de la période normale pour l’année 2013

[28] En traitant de la première question en litige dans l’appel de M. Boisselle, la Cour doit déterminer si la Ministre était justifiée d’établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable à l’appelant pour l’année d’imposition 2013.

[29] Le paragraphe 152(4) de la Loi autorise la Ministre, dans certaines circonstances, à établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Les parties pertinentes se lisent comme suit :

152 (4) Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi,

(ii) soit a présenté au ministre une renonciation, selon le formulaire prescrit, au cours de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année;

152 (4) The Minister may at any time make an assessment, reassessment or additional assessment of tax for a taxation year, interest or penalties, if any, payable under this Part by a taxpayer or notify in writing any person by whom a return of income for a taxation year has been filed that no tax is payable for the year, except that an assessment, reassessment or additional assessment may be made after the taxpayer’s normal reassessment period in respect of the year only if

(a) the taxpayer or person filing the return

(i) has made any misrepresentation that is attributable to neglect, carelessness or wilful default or has committed any fraud in filing the return or in supplying any information under this Act, or

(ii) has filed with the Minister a waiver in prescribed form within the normal reassessment period for the taxpayer in respect of the year;

[30] L’appelant soutient que la Ministre n’est pas autorisée à établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2013 puisqu’elle a été établie à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation. En revanche, l’intimé soutient que la Ministre était autorisée à établir cette nouvelle cotisation en vertu de l’alinéa 152(4)a) de la Loi pour deux motifs : i) premièrement, parce que l’appelant a signé une renonciation conformément au sous-alinéa 152(4)a)(ii) et deuxièmement, parce que l’appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i). En réponse, l’appelant affirme que la renonciation n’est pas valide et qu’il n’a pas fait de faux énoncés.

[31] Il n’est pas contesté que la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2013 fut établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation. Le 28 mars 2017, l’appelant a signé le formulaire T2029 intitulé « Renonciation à l’application de la période normale de nouvelle cotisation ou de la période prolongée de nouvelle cotisation » pour l’année d’imposition 2013 (Pièce I-1, onglet 7). Le formulaire prescrit prévoit que « pour qu’une renonciation soit valide, le ou les points qui font l’objet de la renonciation doivent être mentionnés dans l’espace prévu ». Dans l’espace réservé à cet effet, l’appelant a indiqué qu’il renonçait à la période normale de nouvelle cotisation à l’égard de :

L’impôt résultant des changements aux :

- Revenus locatifs

- Gains en capital

- Dividendes réputés

[32] L’appelant soutient que puisque la perte finale n’y est pas mentionnée, la renonciation, bien qu’autrement valide, ne peut pas s’appliquer pour autoriser la Ministre à établir une nouvelle cotisation relativement à la perte finale réclamée en 2013. L’intimé soutient que la renonciation fut signée en mars 2017, car la date de prescription approchait, et sans la renonciation, la Ministre aurait établi une cotisation avant la date d’échéance. Lors de son témoignage, le vérificateur, M. Minoungou, a affirmé que lorsque la renonciation fut signée, il était au début de la vérification et il avait fait de son mieux pour établir la liste des éléments visés par la renonciation. L’avocate de l’intimé soutient que même si la renonciation ne mentionnait que les dividendes, elle serait tout de même valide et rien n’empêche que d’autres éléments fassent l’objet de la nouvelle cotisation. Je ne suis pas d’accord. Avec égard, je ne vois pas la pertinence de demander au contribuable de préciser les points qui font l’objet de la renonciation pour ensuite en faire fie.

[33] Dans l’affaire R c Honeywell Limited, 2007 CAF 22, aux paragraphes 32 et 35, la Cour d’appel fédérale a affirmé que la Ministre peut s’appuyer sur une renonciation pour établir une nouvelle cotisation à l’extérieur de la période normale de nouvelle cotisation mais exclusivement à l’égard des éléments précisés dans la renonciation. La Cour s’est exprimée comme suit :

[32] La renonciation présentée par le contribuable et acceptée par le ministre donne lieu à un compromis. Le contribuable renonce à l’avantage de la période normale de cotisation pour l’année particulière visée par la question précisée dans la renonciation et le ministre, en s’appuyant sur la renonciation, acquiert le droit d’établir une nouvelle cotisation après l'expiration de la période normale de cotisation, mais exclusivement à l’égard de la question précisée dans la renonciation. Tout comme le contribuable ne peut modifier la renonciation qu’il a présentée, le ministre ne peut établir de nouvelle cotisation qui ne soit pas raisonnablement reliée à la question précisée dans la renonciation. Comme l’a souligné le juge en chef Bowman, la formulation du sous‑alinéa 152(4.01)a)(ii) établit clairement que lorsqu’il s’appuie sur une renonciation, le ministre ne peut établir de nouvelle cotisation « que dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu[e la nouvelle cotisation] se rapporte à […] une question précisée dans une renonciation présentée au ministre pour l’année […] ». Par conséquent, dans le cas où est établie une nouvelle cotisation appuyée sur une renonciation, la mention « nouvelle cotisation » du paragraphe 152(4) ne peut s’interpréter que comme une nouvelle cotisation permise par la renonciation.

[…]

[35] En fin de compte, le juge en chef Bowman a conclu, faisant référence aux termes du paragraphe 152(4.01), que l’inclusion proposée du REATB dans le revenu d’Honeywell n’est pas un élément dont il est raisonnable de considérer qu’il se rapporte à la question précisée dans la renonciation. Il était loisible au juge en chef Bowman de tirer cette conclusion à la lumière du dossier dont il était saisi et j’estime pour ma part que la conclusion est correcte.

[Je souligne]

[34] Voir aussi les propos du juge Miller dans l’affaire Loblaws Financial Holdings Inc c R, 2018 CCI 182, aux paras 280-285, inf 2020 CAF 79, conf 2021 CSC 51.

[35] Or, la Ministre peut établir une nouvelle cotisation après la période normale de nouvelle cotisation s’il est raisonnable de conclure qu’elle se rapporte à une question précisée dans la renonciation. À mon avis, la question plus difficile est celle de savoir si un certain élément qui n’est pas explicitement mentionné peut être considéré comme visé par un élément qui, lui, est explicitement inclus dans la renonciation. Dans l’affaire Mitchell c R, 2002 CAF 407, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’approche adoptée dans l’affaire Solberg c R, 92 DTC 6448 (CF, 1re inst), une décision de la Cour fédérale maintes fois citée. Dans l’arrêt Mitchell, au paragraphe 37, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée comme suit :

L’approche qu’il convient d’adopter à l’égard de l’interprétation de la renonciation consiste à chercher à déterminer l’intention des parties telle qu’elle est exprimée dans ce document ainsi que par les circonstances pertinentes pour lesquelles il existe des éléments de preuve.

[36] Aussi, dans l’affaire Solberg, supra, la juge Reed a affirmé qu’il incombe à l’intimé de faire la preuve de la portée de la renonciation et en outre, que toute ambiguïté doit être résolue en faveur du contribuable (à cet effet, voir aussi l’affaire Québec (Sous-ministre du Revenu) c Strulovich, 2007 QCCA 195, citée par l’appelant).

[37] Selon l’appelant, les trois points mentionnés dans la renonciation ne visent pas la perte finale. Je suis d’accord. L’intimé n’a pas présenté de preuve pouvant permettre de conclure que le perte finale est visée par les questions précisées dans le formulaire de renonciation. Dans ces circonstances, la Ministre ne peut s’appuyer sur la renonciation pour établir la nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2013 à l’égard de la perte finale réclamée par l’appelant.

[38] Cela dit, la Cour doit maintenant considérer l’application de l’alinéa 152(4)a)(i) de la Loi. L’intimé soutient qu’en faisant abstraction de la renonciation, le vérificateur a considéré la question de savoir si la Ministre pouvait être justifiée d’établir une nouvelle cotisation pour le motif que l’appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire.

[39] Le fardeau de preuve incombe à la Ministre d’établir d’une part, que le contribuable ou la personne produisant la déclaration a fait une présentation erronée des faits, et d’autre part, que cela a été fait par négligence, inattention ou omission volontaire ou en commettant la fraude (voir Vine c R, 2015 CAF 125 aux paras 23-34). Le libellé du texte de l’alinéa 152(4)a)(i) de la Loi est tel qu’il est suffisant pour la Ministre d’établir la négligence ou l’inattention sans devoir examiner la question de savoir si le contribuable a commis une fraude (voir Deyab c Canada, 2020 CAF 222 aux paras 58-61).

[40] Il est de jurisprudence constante que le seuil pour établir qu’il y eut une présentation erronée des faits est bas. Cette position est étayée par les propos du juge Bocock dans l’affaire Francis & Associates c R, 2014 CCI 137 au paragraphe 20 :

Une présentation erronée de faits s’entend de n’importe quelle déclaration « inexacte » : MNR v. Foot, 1964 CanLII 1088 (CA EXC), [1964] C.T.C. 317 (CSC). Par ailleurs, il a été indiqué dans plusieurs décisions que « toute » erreur commise dans une déclaration produite est assimilable à une présentation erronée des faits : MNR v. Taylor, 1961 CanLII 719 (CA EXC), [1961] C.T.C. 211 (C. de l’É.), Nesbitt c. la Reine, 1996 (CAF) et Ridge Run Developments Inc. v. R, 2007 CCI 68 (CanLII), [2007] 3 C.T.C. 2605 (CCI). C’est donc dire que le critère qui permet d’établir l’existence d’une présentation erronée des faits n’est pas strict.

[Je souligne]

[41] Dans son rapport de vérification ainsi que dans son rapport intitulé « recommandation d’ouvrir une année prescrite », M. Minoungou a fait référence à des faits erronés relativement à la perte finale indument réclamée, aux avantages à l’actionnaire pour les dépenses personnelles payées par AssurExperts ainsi qu’a la déclaration du revenu locatif (Pièce I-1, onglets 5 et 6). En réponse à des questions posées au moment de la vérification relativement à la déclaration de revenu locatif, l’appelant a affirmé qu’il n’avait jamais reçu de loyer (Transcription, volume 1 aux pp 240-242 et 280). Lors de son témoignage, Laurent a confirmé qu’il ne payait pas de loyer pour l’unité 301 pendant la période entre l’emménagement en mai 2012 et l’achat notarié en octobre 2013 bien qu’il payait les dépenses reliées à l’utilisation de l’unité (Transcription, volume 1 aux pp 110-111). Je vais m’abstenir de spéculer sur la raison pouvant avoir motivé l’appelant à déclarer du revenu de location reçu à l’égard de l’immeuble alors que personne n’en payait. Je note que l’appelant a reproché à l’intimé de ne pas avoir produit en preuve le formulaire T776 lequel fait état des loyers. Toutefois, l’appelant n’a pas présenté de preuve pour contredire le témoignage crédible du vérificateur relativement au revenu locatif.

[42] Comme mentionné plus haut, l’avocat de l’appelant a affirmé que M. Boisselle ne conteste pas l’inclusion des avantages à l’actionnaire dans le calcul de son revenu en vertu de l’article 15 de la Loi. Selon le rapport de vérification ainsi que le témoignage de M. Minoungou, les montants inclus dans le calcul du revenu de M. Boisselle à titre d’avantages à l’actionnaire sont constitués de dépenses personnelles payées par AssurExperts telles les suivantes : frais de subsistance, billets d’activités sportives tels les tournois de tennis et des parties de hockey, frais de voyages, par exemple à Cuba et au Mexique, et des sorties au cinéma et au spa (Pièce I-1, onglet 5). Étant donné les représentations de l’appelant, le vérificateur a tenu compte du fait que certaines dépenses avaient été engagées pour des activités offertes à l’ensemble des employés. Toutefois, en ce qui concerne les dépenses personnelles pour les avantages conférés seulement aux personnes liées à M. Boisselle, les montants furent inclus dans son revenu à titre d’avantages à l’actionnaire.

[43] Sans même toucher à la question de la perte finale, il ne fait nul doute que M. Boisselle a fait une présentation erronée des faits en produisant sa déclaration ou en fournissant des renseignements sous le régime de la Loi lorsqu’il a déclaré des revenus locatifs non payés par 9287 et ses enfants relativement à l’immeuble ainsi qu’en fournissant des renseignements permettant à AssurExperts de déduire des dépenses personnelles non autorisées par la Loi.

[44] La Ministre doit aussi établir que l’appelant a fait cette présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Dans les circonstances, il suffit que la Ministre rencontre le critère minimal de manque de diligence raisonnable (voir Venne c R, [1984] FCJ No 314 (CF, 1re inst)). Dans l’affaire Regina Shoppers Mall Ltd c R, [1991] 1 CTC 29, au para 7, la Cour d’appel fédérale a reconnu qu’il est établi que le degré de soin exigé est celui de la personne sage et prudente. Pour reprendre les mots du Juge Muldoon dans l’affaire Reilly c R, [1984] CTC 21 (CF, 1re inst) au para 51, la sagesse n’est pas infaillible et la prudence n’est pas la perfection. Toutefois, en l’espèce, l’appelant n’a fourni aucune explication à la Cour pour sa présentation erronée des faits. Son comportement ne reflète pas celui d’une personne faisant preuve de diligence raisonnable. À titre d’homme d’affaires ayant acquis des décennies d’expérience dans le secteur de l’immobilier et de l’assurance, il n’a pas agi de façon sage et prudente. Il n’y a aucune preuve permettant à la Cour de conclure qu’il s’est posé des questions, qu’il a posé des questions à son comptable ou à son fiscaliste concernant les éléments qui constituent une présentation erronée des faits. Son comptable, M. Alain Girard, a témoigné qu’il complétait les déclarations de revenu de M. Boisselle ainsi que celle de 9287 et d’AssurExperts à partir de l’information que lui transmettait M. Boisselle. À titre d’exemple seulement, l’appelant devait savoir que, dans les circonstances, la société AssurExperts ne pouvait pas déduire les montants payés pour un voyage à Cuba fait par les personnes qui lui sont liées. Je conclus que l’appelant a fait une présentation erronée des faits et que ce fut par négligence, inattention ou omission volontaire. La Ministre s’est acquittée du fardeau qui lui incombe et elle peut établir une nouvelle cotisation après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour l’année 2013.

La perte finale déduite en 2013

[45] La deuxième question en litige dans l’appel de M. Boisselle se rapporte à la perte finale déduite en 2013. Comme mentionné plus haut, la Ministre a refusé la déduction d’un montant de 321 088 $ réclamé à titre de perte finale relativement aux unités 201 et 301 vendues aux enfants de l’appelant.

[46] L’intimé soutient que les unités 201 et 301 sont des biens à usage personnel tels que définis à l’article 54 de la Loi. Par conséquent, la perte encourue suite à leur disposition est réputée nulle conformément au sous-alinéa 40(2)g)(iii) de la Loi. Dans ces circonstances, la disposition de ces deux unités ne donne pas lieu à une déduction à titre de perte finale autorisée par le paragraphe 20(16).

[47] L’appelant soutient que les unités 201 et 301 ne sont pas des biens à usage personnel. Selon l’appelant, il a disposé de l’immeuble en mai 2012 lorsque Marie-Ève ainsi que Laurent et Mélanie ont déménagé dans leurs unités respectives et non en octobre 2013, date des actes de ventes notariées (Avis d’appel au para 56). Je m’empresse d’ajouter que, lors de ses observations devant la Cour, l’avocat de l’appelant a parfois suggéré que la disposition de l’immeuble pourrait même être considérée avoir eu lieu en 2011 (Transcription, volume 2 aux pp 133-145). Il a affirmé que M. Boisselle a pris la décision de vendre aux enfants en août 2011, après quoi ils ont procédé avec les travaux de rénovation. Cela dit, j’ajouterais que l’appelant a plutôt insisté sur le fait que l’appelant a disposé de l’immeuble en 2012. Si j’ai bien compris les paragraphes pertinents de son avis d’appel, l’appelant aurait vendu les unités en mai 2012 quand l’immeuble était inoccupé et inutilisé empêchant ainsi qu’il puisse être qualifié de bien à usage personnel (Avis d’appel aux paras 56-58). À l’audience, l’avocat de l’appelant a fait valoir le fait que M. Boisselle a acheté l’immeuble pour en faire un projet de nature commerciale et que l’état de l’immeuble a fait en sorte que « l’aventure commerciale … a manifestement mal tourné » et la disposition a mené à une perte plutôt qu’un bénéfice (Transcription, volume 2 à la p 121).

[48] La preuve de l’appelant présentée par l’entremise de son témoin principal, soit son fils Laurent, fut largement consacrée à expliquer pourquoi les coûts de rénovation de l’immeuble ont explosé, pour reprendre son expression. Il a décrit l’ensemble des difficultés rencontrées lors des rénovations, soit des problèmes avec les murs, le toit, la découverte d’un réservoir d’essence, pour n’en nommer que quelques-uns, bref tout ce qui évoque les histoires de rénovations cauchemardesques. Cela explique en partie le fait que les rénovations ont coûté plus de 2 millions alors que l’appelant les avait estimés à moins d’un million, sans oublier que les unités 201, 202 et 301 ont été rénovées pour les fins d’occupation par M. Boisselle et les membres de sa famille. Même si je ne doute pas de l’existence de tous ces défis liés à la rénovation, je considère que cela ne nous informe pas sur la question de savoir s’il s’agissait d’un projet de nature commerciale.

[49] L’avocat de l’appelant a fait référence de façon générale à la jurisprudence pour soutenir sa position selon laquelle il n’y a pas lieu de questionner la nature commerciale du projet, rétrospectivement, après que les coûts de rénovation ont dépassé ce qui pouvait être attendu avant la découverte de nombreux problèmes reliés à l’état de l’immeuble, ni ne devrait-on évaluer le sens des affaires du contribuable plutôt que la nature commerciale de son activité (voir par exemple les affaires Tonn c Canada, [1996] CF 73 (CAF) et Stewart c Canada, 2002 CSC 46, respectivement).

[50] Je suis d’accord qu’il faut examiner la nature du projet de l’appelant afin de déterminer s’il s’agit d’un projet de nature commerciale ouvrant droit à la déduction d’une perte finale au moment de la disposition, ou d’un projet de nature mixte, commerciale et résidentielle, faisant en sorte qu’une partie seulement de l’immeuble puisse avoir comme résultat une perte finale déductible dans le calcul du revenu gagné par l’exploitation de l’activité commerciale. Pour répondre à cette question, l’appelant soutient qu’il faille déterminer la date de la disposition de l’immeuble.

[51] Le fait que le projet soit devenu un projet de nature résidentielle en partie ne fait pas l’objet de débat entre les parties. Selon les parties, le débat est plutôt centré sur la question de savoir à quelle date l’appelant a disposé des unités dans l’immeuble. Selon l’intimé, la vente a eu lieu en octobre 2013, date à laquelle les unités 101 et 201 étaient clairement des unités résidentielles, occupées par les enfants de l’appelant, ce qui justifie le refus de la déduction de la perte finale par la Ministre.

[52] L’appelant quant à lui, soutient qu’il a disposé de l’immeuble en mai 2012, date à laquelle 9287, Marie-Ève ainsi que Laurent et Mélanie ont emménagé dans l’immeuble, les rénovations étant terminées (Transcription, volume 1 à la p 115). Pour des raisons liées à la rénovation et aux besoins de transiger avec la ville, il a fallu attendre jusqu’en octobre 2013 pour signer les actes de vente notariés. Toutefois, il affirme que le droit civil québécois n’exige pas l’existence d’un acte notarié pour conclure à l’existence d’un contrat de vente.

[53] L’article 1385 du Code civil du Québec (RLRQ c CCQ-1991 [Code civil]) prévoit comme suit :

1385. Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition nécessaire à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.

Il est aussi de son essence qu’il ait une cause et un objet.

[54] Or, le droit civil québécois n’exige pas de forme particulière pour le contrat de vente, tant pour un bien meuble qu’un bien immeuble, de sorte que le contrat existe entre les parties au moment de l’échange de leur consentement bien qu’aux yeux des tiers, le contrat existe au moment de la publicité au registre approprié. En l’espèce, les parties ont clairement exprimé leur intention de conclure un contrat d’achat et de vente de l’immeuble.

[55] Je suis prête à accepter qu’il y eut une entente entre l’appelant et ses enfants concernant l’achat et la vente des unités 201 et 301 de l’immeuble bien longtemps avant le 23 octobre 2013. Et selon le témoignage de Laurent, les parties ont convenu que le transfert se ferait à la JVM (Transcription, volume 1 à la p 65). L’appelant soutient que l’acte notarié ne fait que confirmer ce qui était déjà entendu en 2012. À partir de ce point-ci, et je le dis avec respect, j’ai de la difficulté à comprendre la position de l’appelant et les observations de son avocat à l’audience. Il semblerait qu’il tentait de justifier le retard relativement aux rénovations, lequel serait responsable de la date tardive de l’acte notarié, pour expliquer sa position selon laquelle le contrat de vente de l’immeuble fut conclu en 2012.

[56] Si la vente des unités 201 et 301 par l’appelant à ses enfants a eu lieu en mai 2012 plutôt qu’en octobre 2013, comme le prétend l’appelant, que vendait-il? À mon avis, M. Boisselle vendait des unités résidentielles, lesquelles avaient été rénovées pour être vendues à ses enfants et occupées par eux. Le fait que les unités étaient inoccupées avant ce moment-là ne change en rien leur caractère personnel. Je ne vois pas comment il est possible, en mai 2012, de caractériser les unités 201 et 301 comme des unités destinées à une fin commerciale. En fait, selon le témoignage de Laurent, dès la visite de l’immeuble en août 2011, les enfants ont manifesté leur désir d’habiter dans l’immeuble. Lors de son témoignage, accompagné d’un aide-mémoire, M. Boisselle a présenté les chiffres relativement aux coûts prévus pour les rénovations et comment, en négociant des prix favorables avec des sous-traitants qui sont aussi des clients d’AssurExperts, il pourrait faire un profit. Je note que selon ce document préparé en novembre 2011 et le témoignage de M. Boisselle, les unités 201 et 301 étaient destinées à Marie-Ève et Laurent, le 202 étant réservé à l’appelant lui-même.

[57] À ces circonstances entourant la disposition de l’immeuble, j’ajouterais les faits suivants. L’appelant n’a fait aucune démarche pour louer les unités avant l’emménagement par les enfants en mai 2012. En contre-interrogatoire, M. Boisselle a affirmé ce qui suit : « Et puis y’aurait pas besoin de – de louer parce qu’on – on s’est entendu que ils (sic) bâtissaient pour eux autres. Ils s’en venaient rester là » (Transcription, volume 1 à la p 188). En contre-interrogatoire, Laurent a confirmé que de telles démarches n’avaient pas été prises, car « tout était utilisé » (Transcription, volume 1 aux pp 117-118). L’appelant n’a pas demandé de loyer à ses enfants pour la période à partir de mai 2012 quand ils ont emménagé et octobre 2013 quand ils ont effectivement acheté les unités avec le financement nécessaire. Ainsi, l’appelant ne s’est pas comporté en homme d’affaires exploitant un projet de nature commerciale. J’ajouterais que lors de son témoignage, Laurent a indiqué qu’il visitait le chantier en moyenne deux fois par jour, justifiant cela en précisant qu’il allait y vivre et qu’il avait un intérêt dans l’unité qu’il allait occuper ainsi qu’à titre d’actionnaire de 9287 (Transcription, volume 1 aux pp 72 et 120). Aussi, selon le témoignage du vérificateur, lors de l’entrevue initiale le 28 mars 2017, l’appelant lui a dit que son but était à la fois de regrouper sa famille et son travail au même endroit (Transcription, volume 1 à la p 240 et Pièce I-1, onglet 5). Le témoignage de M. Boisselle abonde dans le même sens (voir la Transcription, volume 1 aux pp 151-153).

[58] Quand les enfants ont emménagé en mai 2012, le projet d’achat et de rénovation de l’immeuble était clairement devenu un projet en partie de nature commerciale et en partie de nature résidentielle. En fait, selon la preuve, je dirais que la nature du projet avait déjà changé en août 2011 quand les enfants ont manifesté leur désir de vivre dans l’immeuble. Or, au moment de l’acte notarié d’achat en août 2011, l’intention de l’appelant était déjà d’en faire un projet de nature personnelle en partie. Aussi, en novembre 2011, M. Boisselle a examiné les chiffres de son projet de rénovation selon lesquels les unités 201 et 301 étaient destinées à ses enfants. Je note qu’à aucun moment l’appelant n’a-t-il indiqué un changement d’usage d’une partie de l’immeuble. Dans les circonstances, il m’est impossible de conclure que les unités 201 et 301 de l’immeuble constituaient des biens amortissables utilisés pour gagner du revenu et pouvant faire l’objet d’une perte finale déductible par l’appelant au moment de leur disposition.

V. Conclusion

[59] Pour les motifs qui précèdent, l’appel des nouvelles cotisations de l’appelante 9287-4775 Québec inc. établies pour les années d’imposition se terminant le 30 avril 2015, 2016 et 2017 est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé. Pour l’appelante, 9287-4775 Québec inc., les montants réclamés à titre d’allocation du coût en capital pour les années en litige sont réduits en tenant compte d’une juste valeur marchande de 170 000 $ pour l’unité 101 et le garage.

[60] Pour les motifs qui précèdent, l’appel des nouvelles cotisations de l’appelant Georges Boisselle, établies pour les années d’imposition 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017, est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé. L’appelant, Georges Boisselle, n’a pas le droit de déduire une perte finale pour l’année d’imposition 2013 ce qui entraîne aussi des conséquences fiscales pour les années d’imposition 2014, 2015, 2016 et 2017.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de juillet 2023.

« Gabrielle St-Hilaire »

Juge St-Hilaire

 


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 97

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :

2021-186(IT)G

2021-187(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :

GEORGES BOISSELLE ET SA MAJESTÉ LE ROI ET 9287-4775 QUÉBEC INC. ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

les 29 et 30 mai 2023

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :

L’honorable juge Gabrielle St-Hilaire

DATE DU JUGEMENT :

Le 10 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :

Me François F.D. Daigle

Avocate de l’intimé :

Me Marie-Claude Landry

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelants :

Nom :

Me François F.D. Daigle

Cabinet :

Daigle & Matte, Avocats fiscalistes Inc.

466A Rue Bonaventure,

Trois-Rivières, QC G9A 2B4

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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