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Dossier : 2012-4217(IT)G

ENTRE :

ROBERT FRANSEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[traduction française officielle]


Appel entendu le 8 février 2023, à Windsor (Ontario).

Devant : l’honorable juge K. Lyons


Comparutions :

Avocat de l’appelant :

Me Roland P. Schwalm

Avocat de l’intimé :

Me Steven D. Leckie

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2009 est rejeté.

Les dépens sont adjugés à l’intimé. Les parties disposent d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi les parties disposeront d’un délai de 30 jours pour déposer des observations écrites sur les dépens. Les observations ne devront pas dépasser 10 pages.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2023.

« K. Lyons »

La juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de décembre 2024.

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale


Référence : 2023 CCI 107

Date : 20230727

Dossier : 2012-4217(IT)G

ENTRE :

ROBERT FRANSEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[traduction française officielle]


MOTIFS DU JUGEMENT

La juge Lyons

[1] Robert Fransen, l’appelant, interjette appel de la cotisation établie contre lui par le ministre du Revenu national pour l’année d’imposition 2009 (« 2009 »). Le ministre a imposé une pénalité au titre du paragraphe 163(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu en raison d’une perte d’entreprise nette fictive de 333 418 $ déclarée par M. Fransen, avec l’aide de Fiscal Arbitrators et de DSC Lifestyles (« DSC ») (la « perte déclarée »), dans sa déclaration de revenus pour 2009 (la « déclaration en cause »). La perte déclarée permettait à l’appelant d’obtenir un remboursement complet de l’impôt retenu sur ses revenus d’emploi et sur d’autres sources de revenus en 2009. L’appelant a présenté une demande en vue de faire reporter de façon rétrospective le reste de la perte déclarée et de l’appliquer aux années d’imposition 2006, 2007 et 2008 (les « trois années précédentes »).

[2] Dans les présents motifs, j’utiliserai de façon interchangeable les noms Fiscal Arbitrators et DSC.

[3] Janilee Sawatzky, vérificatrice à l’Agence du revenu du Canada (« ARC »), a été appelée à témoigner pour l’intimé. M. Fransen a témoigné pour son propre compte.

[4] Les parties ne contestent pas que la perte déclarée est fictive et constituait un faux énoncé dans la déclaration en cause.

[5] Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions dans les présents motifs sont des renvois à la Loi de l’impôt sur le revenu.

I. QUESTION EN LITIGE

[6] La seule question en litige consiste à savoir si M. Fransen a, sciemment ou dans des circonstances équivalent à faute lourde, fait un faux énoncé dans la déclaration en cause.

II. DROIT APPLICABLE

[7] Suivant le paragraphe 163(3), pour imposer une pénalité au titre du paragraphe 163(2), le ministre doit établir que M. Fransen a fait un faux énoncé dans la déclaration en cause et qu’il l’a fait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[64] L’extrait pertinent du paragraphe 163(2) est ainsi libellé :

(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse (appelé « déclaration » au présent article) rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité [...]

[8] Le ministre doit donc établir deux éléments pour pouvoir imposer une pénalité au titre du paragraphe 163(2) :

  • 1)la personne a fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration;

  • 2)la personne a agi sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde lorsqu’elle a fait la fausse déclaration ou l’omission, y a participé, y a consenti ou y a acquiescé.

[9] Dans l’arrêt Wynter c. Canada, 2017 CAF 195 (« Wynter »), la Cour d’appel fédérale a souligné que le paragraphe 163(2) concerne une pénalité qui peut être imposée s’il est conclu qu’il y a eu connaissance ou faute lourde. Elle s’est penchée sur la distinction entre la connaissance et la faute lourde :

La distinction entre la faute lourde établie par une appréciation objective du comportement du contribuable et l’ignorance volontaire (également appelée « aveuglement volontaire ») établie par renvoi à l’état d’esprit subjectif du contribuable ne date pas d’hier. Il est vrai qu’il s’agit parfois d’une distinction ténue qui n’est pas toujours clairement établie. Néanmoins, le législateur est présumé avoir été au courant de cette distinction[1].

[10] La connaissance à l’égard d’un faux énoncé dans une déclaration peut être imputée au contribuable si celui-ci est jugé avoir fait preuve d’ignorance volontaire, établie par la décision du contribuable de ne pas se renseigner. Comme l’a signalé la Cour :

En somme, le droit imputera une connaissance au contribuable qui, dans des circonstances qui lui commandent de se renseigner sur sa situation fiscale, décide de ne pas le faire. L’élément de connaissance est établi par la décision du contribuable de ne pas se renseigner, et non par la conclusion d’une intention de tromper[2].

[11] En décrivant le critère applicable pour conclure à l’ignorance volontaire, la Cour a affirmé ce qui suit :

Un contribuable fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il prend conscience de la nécessité de se renseigner, mais refuse de le faire parce qu’il ne veut pas connaître la vérité ou qu’il évite soigneusement de la connaître. Il s’agit de la notion de l’ignorance délibérée : [...] Dans ces circonstances, la doctrine de l’ignorance volontaire impute une connaissance au contribuable : [...] L’ignorance volontaire est la doctrine ou le mécanisme par lequel l’élément de connaissance requis aux termes du paragraphe 163(2) est établi[3].

[12] L’ignorance volontaire repose donc sur la conclusion selon laquelle le contribuable a délibérément décidé de ne pas se renseigner afin d’éviter de vérifier ce qui pourrait être une vérité gênante, de sorte que le contribuable est resté délibérément dans l’ignorance.

[13] Le paragraphe 163(2) s’applique également lorsqu’un contribuable fait un faux énoncé dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[14] Comme l’a expliqué le juge Strayer au paragraphe 37 de la décision Venne c. La Reine, [1984] A.C.F. no 314 (QL), la faute lourde « doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi [...] » Dans l’arrêt Wynter, la Cour d’appel fédérale a confirmé ce principe et a précisé que la conduite en question du contribuable doit s’écarter de façon tellement marquée de la conduite à laquelle on est en droit de s’attendre qu’elle correspond à un haut degré de négligence[4].

[15] Dans l’analyse du concept de faute lourde qu’elle expose au paragraphe 60 de l’arrêt Guindon c. Canada, 2015 CSC 41 (CanLII), la Cour suprême du Canada a cité les observations suivantes formulées par notre Cour dans la décision Sidhu c. La Reine, 2004 CCI 174 (CanLII) :

Les actions « qui correspondent » à des actions réalisées intentionnellement sont celles pour lesquelles on peut présumer une intention, comme les actions qui démontrent « une indifférence au respect de la Loi ». [...] Le fardeau de la preuve ne consiste pas à prouver au-delà du doute raisonnable l’intention coupable de se soustraire au paiement de l’impôt, mais à prouver selon la prépondérance des probabilités une telle indifférence à l’égard de la diligence appropriée et raisonnable dans le contexte d’un système d’autocotisation qui contredit et insulte le sens commun [par. 23]

[16] La jurisprudence de notre Cour porte que, pour établir la distinction entre la négligence « ordinaire » et la faute « lourde », il faut examiner plusieurs facteurs :

  • (a)l’importance de l’assertion inexacte par rapport au revenu déclaré,

  • (b)la possibilité qu’avait le contribuable de découvrir l’erreur,

  • (c)le niveau d’instruction du contribuable et son intelligence apparente,

  • (d)la sincérité de l’effort d’observation de la loi.

[17] Il faut accorder à chacun des facteurs le poids qu’il convient dans le contexte de l’ensemble de la preuve[5].

[18] La norme objective qui s’applique à la conduite du contribuable est celle de la conduite attendue de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que le contribuable. La seule exception est le cas où le contribuable est incapable de comprendre l’obligation de ne pas faire de faux énoncé ou d’omission dans sa déclaration de revenus[6].

[19] La Cour a conclu que le paragraphe 163(2) n’est pas conjonctif, c’est-à-dire que l’intimé n’a qu’à prouver la connaissance des faits ou l’existence de circonstances équivalant à faute lourde pour imposer une pénalité.

III. FAITS

[20] M. Fransen est électricien en construction et œuvre dans l’industrie depuis 34 ans. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, il a suivi un cours d’électricien au St. Clair College et a obtenu son certificat au terme d’un processus de cinq ans comportant deux composantes : une formation pratique (90 %) et une formation théorique de 24 semaines (trois sessions de huit semaines par année en salle de classe). En contre-interrogatoire, il a été établi que M. Fransen avait aussi obtenu un diplôme de mécanicien de moteurs diésel au Fanshaw College. Il a suivi pendant quatre ans et demi un programme d’apprenti comportant une formation théorique similaire de 24 semaines en salle de classe. Après avoir obtenu son certificat, il a travaillé comme mécanicien de moteurs diésel pendant 18 mois avant de recommencer à travailler comme électricien en construction.

[21] De 1988 jusqu’à l’année d’imposition 2009, M. Fransen remettait ses documents fiscaux à son père, qui les remettait à une de ses connaissances qui travaillait à BDO Canada s.r.l. (« BDO »), en vue de la préparation et du dépôt de ses déclarations de revenus. M. Fransen signait ses déclarations de revenus sans les examiner.

DSC Lifestyles

[22] M. Fransen a déclaré dans son témoignage qu’il avait fait appel aux services de DSC Lifestyles, une franchise de Fiscal Arbitrators, pour la préparation de sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2009.

[23] À l’époque, M. Fransen habitait avec son meilleur ami, Lonny. C’est le beau-frère d’alors de Lonny, Colin Barnes, qui a présenté Bruce Blair, de DSC, à M. Fransen. M. Fransen a surtout échangé avec M. Barnes, qui lui a fourni tous les renseignements relatifs à DSC. M. Barnes a montré à M. Fransen les remboursements et le chèque qu’il avait reçus pour l’année précédente, ce dernier se disant rassuré par le fait qu’ils avaient l’air légitimes. M. Fransen s’est confié à son beau-frère, à Lonny et à M. Barnes (les « confidents »).

[24] M. Fransen a expliqué que les bureaux de DSC avaient l’air de bureaux ordinaires comme ceux d’une société offrant des services fiscaux légitimes. DSC avait organisé une conférence au cours de l’hiver, à laquelle M. Fransen avait participé. Lors de sa première visite dans les bureaux de DSC, le 18 mars 2010, M. Fransen a signé et paraphé un document intitulé [traduction] « Demande et entente » (le « document d’entente »). Il a laissé ses [traduction] « papiers d’impôt » relatifs à l’année d’imposition 2009 aux soins de Bruce Blair, le professionnel chargé de préparer la déclaration en cause. M. Fransen était convaincu que DSC était une société légitime et qu’elle préparait les déclarations de revenus correctement.

[25] Après l’obtention de son diplôme d’études secondaires, Janilee Sawatzky a obtenu un diplôme d’analyste informatique du Red River College, un diplôme en administration des affaires d’une école d’études par correspondance à l’étranger, puis un certificat en comptabilité du Red River College. Elle a commencé à travailler à l’ARC en 1992, où elle a occupé le poste de commis aux cotisations jusqu’en 2002. De 2002 à 2014, elle a occupé le poste de vérificatrice principale. Depuis 2014, Mme Sawatzky est chef d’équipe dans la section de l’examen des remboursements.

La déclaration en cause

[26] Mme Sawatzky a déclaré dans son témoignage que le numéro d’assurance sociale figurant dans la déclaration en cause avait été caviardé, et elle a expliqué qu’elle avait ajouté des annotations dans la déclaration en cause, qu’elle a justifiées, après avoir déterminé que celle-ci ne visait pas un travailleur indépendant[7]. Par exemple, elle a encerclé le montant inscrit à la ligne 119 et a inscrit le montant qui figurait dans le feuillet T4E[8]. Toutes les annotations ont été expliquées de façon satisfaisante, et elles ont été clairement distinguées des montants déclarés à l’origine par M. Fransen. L’avertissement suivant figure à la dernière page de la déclaration en cause : « Faire une fausse déclaration constitue une infraction grave ».

[27] M. Fransen a déclaré qu’il avait reçu une lettre de DSC indiquant qu’il devait signer la déclaration en cause. Lorsqu’il s’est présenté aux bureaux de DSC, le 4 mai 2010, on lui a remis un dossier contenant la déclaration en cause, sur laquelle des notes autocollantes avaient été apposées aux endroits où sa signature était requise. Il a pris cinq minutes pour signer le document, sans l’examiner.

État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale

[28] Mme Sawatzky a remarqué que des [traduction] « REVENUS À TITRE DE MANDATAIRE [...] revenus bruts d’entreprise » de 87 859,56 $ avaient été déclarés à la partie 3 du formulaire État des résultats des activités d’une entreprise ou d’une profession libérale (le « formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise ») associé à la déclaration en cause. M. Fransen, ou une personne agissant en son nom, a inscrit ce montant sur sept lignes distinctes[9]. La partie 5 fait état [traduction] d’« [a]utres dépenses [...] PAIEMENTS DU MANDATAIRE AU MANDANT » se chiffrant à 421 008 $, mais elle ne sait pas de quoi il s’agit. Ce montant a été inscrit sur trois lignes distinctes. La perte en résultant a été inscrite sur six lignes distinctes aux parties 3 et 5 du formulaire.

[29] M. Fransen a déclaré dans son témoignage qu’il ne se rappelait pas avoir vu le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise. Il soutient que s’il l’avait vu, ce formulaire n’aurait pas eu de sens à ses yeux. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il n’avait pas examiné le formulaire, la ligne des revenus bruts d’entreprise dans la déclaration en cause ni la page où le montant de la perte déclarée est indiqué, et il était d’accord que les données inscrites aux parties 3 et 5 étaient absurdes.

Demande de report rétrospectif d’une perte

[30] Mme Sawatzky a renvoyé à la Demande de report rétrospectif d’une perte signée par M. Fransen, également datée du 4 mai 2010, dans laquelle celui-ci a demandé qu’une partie de la perte déclarée soit considérée comme une perte d’entreprise nette pour 2009 et que la perte autre qu’une perte en capital de 259 190 $ en résultant soit reportée de façon rétrospective et appliquée aux trois années précédentes (la « demande de report »)[10]. La demande de report a été jointe à la déclaration en cause au moment du dépôt, et Mme Sawatzky les a reçues en même temps, bien que la demande de report consiste en un document distinct.

[31] En comparant la version originale et la copie de la déclaration en cause et la version originale et la copie de la demande de report, Mme Sawatsky a remarqué que les documents sont signés à l’encre noire, mais que les renseignements dans la section réservée à l’attestation sont inscrits à l’encre bleue. Selon elle, cela pourrait indiquer qu’ils ont été inscrits par quelqu’un d’autre, mais elle ne pouvait l’affirmer avec certitude. En contre-interrogatoire, elle a convenu qu’elle ne savait pas si les renseignements inscrits à l’encre bleue avaient été inscrits avant ou après que M. Fransen eut signé la déclaration en cause, ou au même moment. Elle a convenu que, pour ce qui est de la demande de report, les renseignements de couleur différente pouvaient avoir été inscrits à des moments différents.

[32] Même si la page 2 de la demande de report, une page vierge, porte la signature de M. Fransen, celui-ci ne se souvient pas de la demande de report et n’a pas le souvenir de l’avoir examinée lorsqu’il a signé la déclaration en cause. S’il l’a vue, il ne l’a pas lue. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il ne savait pas s’il avait vu ou lu la demande de report. S’il l’avait lue, il ne l’aurait pas comprise.

Remboursement

[33] Il n’est pas contesté qu’au moment de signer la déclaration en cause, M. Fransen a vu que le remboursement anticipé s’élevait à 20 947,91 $.

[34] Mme Sawatzky a expliqué que les imprimés des revenus et des déductions, aussi appelés imprimés de l’option C, contiennent des renseignements provenant de la base de données de l’ARC. En l’espèce, les imprimés montrent ce qui suit. Premièrement, M. Fransen a reçu des remboursements de 4 838,30 $, de 1 904,15 $ et de 1 597,26 $ pour les années d’imposition 2005, 2007 et 2008, respectivement. Pour l’année d’imposition 2006, le solde était nul[11]. En contre-interrogatoire, Mme Sawatzky a indiqué que, n’eût été la perte déclarée, M. Fransen aurait eu droit à un remboursement de 2 003,03 $ pour l’année d’imposition 2009. Deuxièmement, ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2005 à 2008 inclusivement ont toutes été transmises en ligne par BDO, à titre de représentant, alors que sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2009 a été produite sur papier, bien qu’elle porte toujours le nom de BDO à titre de représentant, et n’indique pas qui l’a produite[12].

Correspondance de l’ARC

[35] Mme Sawatzky a décrit la correspondance qu’elle a envoyée pour le compte de l’ARC à M. Fransen. La lettre de contact initial de l’ARC qui lui a été envoyée le 5 août 2010 comportait en pièce jointe un questionnaire concernant les activités d’entreprise qui auraient été réalisées en 2009, adapté de façon à inclure les montants qui avaient été déclarés, et invitait M. Fransen à fournir des documents pour justifier les revenus d’entreprise bruts de 87 589,56 $ et les autres dépenses de 421 008 $ déclarés dans le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise[13]. M. Fransen a indiqué qu’il n’avait pas compris la lettre de l’ARC, avait appelé M. Blair, lui avait remis le questionnaire à remplir et avait par la suite signé l’avis de réponse du 13 août 2010 envoyé à Mme Sawatzky[14].

[36] Dans la lettre de proposition du 3 décembre 2010 qu’elle a envoyée à M. Fransen, l’ARC a répété qu’elle avait besoin de documents pour procéder à l’examen des revenus d’entreprise bruts et de la perte déclarée. L’ARC a proposé de refuser les montants déclarés et a indiqué qu’elle envisageait aussi d’imposer des pénalités[15]. M. Fransen n’a pas lu cette lettre, car M. Blair lui avait dit de lui acheminer toutes les lettres qu’il recevrait. M. Blair a rassuré M. Fransen en lui disant que tout était en règle.

[37] Un autre avis, celui-là non signé et daté du 20 décembre 2010, a été envoyé à Mme Sawatzky. M. Fransen se souvenait de l’avoir vu. Mme Sawatzky a mentionné que les avis ne fournissaient ni les renseignements ni les documents demandés par l’ARC, et qu’elle les avait donc considérés comme inutiles[16]. En contre-interrogatoire, elle a affirmé qu’elle se souvenait du dernier avis, mais que M. Fransen n’avait jamais répondu à ses demandes.

[38] Après avoir tenu compte de la façon dont M. Fransen avait l’habitude de déposer ses déclarations, de la question de savoir si ses déclarations étaient produites à temps, des types de revenus et de déductions en cause, ainsi que de la question de savoir si M. Fransen avait eu des échanges avec l’ARC, Mme Sawatzky a déterminé que M. Fransen avait une certaine connaissance de la Loi de l’impôt sur le revenu et qu’il avait demandé qu’une nouvelle cotisation soit établie pour les trois années précédentes. Un avis de cotisation comportant une pénalité lui a donc été envoyé[17].

[39] En réinterrogatoire, M. Fransen a déclaré qu’il avait pris conscience qu’il y avait un problème lorsqu’il avait reçu l’avis de cotisation et une facture. M. Fransen a porté cette facture à l’attention de M. Blair, et son père en a parlé à sa connaissance qui travaillait à BDO. Un avis d’opposition signé par M. Fransen a été déposé auprès de l’ARC, mais ce n’est pas lui qui l’avait préparé, et M. Fransen a par la suite reçu un avis de ratification. M. Fransen n’a compris ni l’un ni l’autre des documents[18]. À plusieurs reprises, M. Blair a dû le rassurer et lui a dit qu’il s’occupait de tout.

[40] Le témoignage de Mme Sawatzky était clair, concis et corroboré par la preuve documentaire.

IV. THÈSE DES PARTIES

[41] La thèse de l’intimé est que les faux renseignements contenus dans la déclaration en cause démontrent, conjointement avec d’autres faits, que M. Fransen a choisi de ne pas tenir compte des signaux d’alarme et qu’il a donc fait preuve d’ignorance volontaire. M. Fransen aurait dû savoir qu’il devait se renseigner au sujet de la déclaration en cause, mais il a décidé de ne pas le faire. En signant la déclaration en cause et en déclarant une perte d’entreprise fictive, M. Fransen a fait preuve d’ignorance volontaire et a néanmoins commis une faute lourde, même s’il n’avait pas réellement connaissance du faux énoncé. Partant, il a fait preuve d’ignorance volontaire à l’égard du faux énoncé. S’il n’a pas fait preuve d’ignorance volontaire, il a commis une faute lourde dans la production de sa déclaration de revenus.

[42] La thèse de M. Fransen est qu’il n’avait pas connaissance des faux énoncés et que rien ne laissait supposer la nécessité de s’informer au moment où il a signé la déclaration en cause. Contrairement à d’autres affaires mettant en cause Fiscal Arbitrators, rien ne prouve en l’espèce que M. Fransen a participé aux activités reprochées. Sa situation est différente. Il a été aliéné de son père, qui s’était jusqu’alors occupé de faire produire ses déclarations de revenus par sa connaissance travaillant à BDO, de sorte qu’il s’est retrouvé aux portes de DSC lorsqu’est venu le temps de produire sa déclaration de revenus pour 2009. Il a suivi la même approche et s’est comporté de la même manière que lorsqu’il faisait affaire avec BDO. Il n’a donc pas fait preuve d’ignorance volontaire. S’il reconnaît avoir fait preuve de négligence, il soutient que sa conduite n’équivalait pas à une faute lourde.

V. ANALYSE

[43] C’est en tenant compte de tout ce qui précède que je me penche sur la question de savoir si l’intimé a établi que M. Fransen a, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé dans la déclaration en cause. La preuve établit que M. Fransen ne savait pas que la déclaration en cause, le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise et la demande de report contenaient de faux énoncés lorsqu’il a signé la déclaration en cause. Cela étant établi, il reste à déterminer si M. Fransen a fait preuve d’ignorance volontaire[19].

L’ignorance volontaire

[44] Le concept d’ignorance volontaire présuppose que M. Fransen soupçonnait fortement, sans savoir, que l’énoncé fait dans la déclaration en cause était faux, mais qu’il a délibérément décidé de ne pas se renseigner (restant ainsi délibérément dans l’ignorance), parce qu’il aurait alors découvert que l’énoncé était effectivement faux.

[45] Dans la décision Torres et autres c. La Reine, 2013 CCI 380 (« Torres »), le juge C. Miller a établi un cadre, décrit aux points (i) à (iv) ci-dessous, pour aider la Cour à déterminer si un contribuable a fait preuve d’ignorance volontaire, et il a résumé certains principes[20].

(i) Niveau d’instruction et expérience

[46] Le niveau d’instruction et l’expérience doivent être pris en compte pour déterminer s’il y a eu ignorance volontaire. Il est vrai que M. Fransen soutient que sa « formation pratique » n’est pas dans un domaine qui donne lieu à une expertise en fiscalité ou en pertes d’entreprise, sans compter qu’elle n’a rien à voir avec la comptabilité ou le droit. Toutefois, lorsque des pertes fictives sont alléguées, la barre n’est pas très haute pour ce qui est du niveau d’instruction et de l’expérience. Ce principe a été examiné dans la décision Manhue c. la Reine, 2018 CCI 71, où le juge Sommerfeldt a examiné une série d’affaires mettant en cause des contribuables (possédant des niveaux d’instruction et une expérience variables) et Fiscal Arbitrators[21]. Un grand nombre, voire la totalité, des contribuables visés par ces affaires et à qui une pénalité a été imposée n’étaient pas certifiés pour exercer deux métiers, comme c’est le cas de M. Fransen.

[47] Je n’accepte pas l’argument de M. Fransen selon lequel il aurait été trop difficile pour lui d’examiner la déclaration en cause, parce qu’il lit lentement. Dans le cadre de ses emplois, M. Fransen devait savoir lire et compter, et il a passé près d’un an à suivre une formation en salle de classe. J’estime que son niveau de compréhension de lecture était suffisant et que, s’il avait pris le temps d’examiner la déclaration en cause, il aurait pu constater que quelque chose clochait.

(ii) Nécessité de s’informer ou soupçon d’une telle nécessité

[48] M. Fransen soutient qu’il a été renvoyé à DSC, qu’il a remis ses documents fiscaux comme il le faisait avec son père et BDO, et que, comme il le faisait avec BDO, il était revenu signer la déclaration en cause une fois que celle-ci avait été préparée.

[49] La preuve documentaire produite par Mme Sawatzky donne à penser que l’approche suivie était, en fait, différente. Les documents en question sont les suivants : le document d’entente, un sommaire de la déclaration de revenus de M. Fransen (le « sommaire de la déclaration de revenus »), un document sur la divulgation, la non-responsabilité et l’indemnisation, ainsi qu’une liste de contrôle fiscal applicable à l’année d’imposition 2009 (contenant divers renseignements, dont les coordonnées de M. Fransen)[22].

[50] En contre-interrogatoire, M. Fransen a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu ces documents. Il a ensuite reconnu qu’il avait signé le document d’entente le 18 mars 2010, deux mois avant de signer la déclaration en cause. Son témoignage concernant le document d’entente est incohérent et confus. M. Fransen a affirmé qu’il ne se rappelait pas avoir vu la page 1 et ne se souvenait pas qu’on la lui ait présentée, puis il a affirmé qu’il ne l’avait pas [traduction] « vraiment » lue, ce qui donne à penser qu’il s’en souvenait quand même un peu. Pour ajouter à cette incohérence, il a affirmé à un moment donné qu’il avait lu ce qu’il avait paraphé, et il a paraphé ce qui suit, à la page 1 :

[TRADUCTION]

Le demandeur accepte de payer à Fiscal Arbitrators ou à son représentant une commission égale à 20 % du montant déterminé de l’avantage financier reçu ou tout autre montant conformément à l’annexe A ci-jointe.

[51] M. Fransen a reconnu qu’aux termes du document d’entente, il devait verser à DSC une commission de 20 %, calculée en fonction du montant de son remboursement d’impôt, dès réception de son chèque de remboursement. Je n’accepte pas son témoignage selon lequel il n’a pas lu le document d’entente, et j’estime que son témoignage n’est pas crédible à cet égard.

[52] Le sommaire de la déclaration de revenus concorde avec le document d’entente, en ce sens qu’il précise que la commission est [traduction] « [e]xigible dès la réception d’un remboursement ou d’une cotisation ET EN FONCTION DE CEUX-CI ». Le sommaire de la déclaration de revenus indique également le remboursement estimé pour l’année d’imposition 2009, soit 20 947,91 $, ainsi que le remboursement estimé pour chacune des trois années précédentes, soit entre 21 000 $ et 26 000 $. Compte tenu des remboursements estimés, la commission payable à DSC s’élèverait à plus de 18 000 $. En contre-interrogatoire, M. Fransen a convenu qu’il avait vu le montant du remboursement anticipé indiqué à la dernière page de la déclaration en cause (20 947,91 $), mais il a nié qu’il avait fait appel aux services de DSC dans le but d’obtenir un remboursement important et il a affirmé qu’il en avait parlé à ses confidents.

[53] M. Fransen a fait remarquer qu’il n’était pas inhabituel pour lui de recevoir des remboursements importants avant l’année d’imposition 2009. Je ne suis pas d’accord. Les éléments de preuve présentés, qui remontent au moins jusqu’en 2005, montrent qu’au cours des années antérieures M. Fransen avait reçu trois remboursements modestes et une année il n’avait reçu aucun remboursement. Lorsqu’il a signé la déclaration en cause et constaté le montant du remboursement anticipé, il a certainement dû soupçonner qu’il devait s’informer, mais il a décidé de ne pas le faire. La prudence dicte que, au moment où il a pris connaissance du montant du remboursement, M. Fransen aurait dû se demander si c’était trop beau pour être vrai.

[54] Au haut du document d’entente, il y a une mise en garde (celle-ci figure aussi dans le document sur la divulgation, la non-responsabilité et l’indemnisation) :

[TRADUCTION]

Tous les renseignements, documents, produits et services fournis par Fiscal Arbitrators [...] sont fournis uniquement à des fins éducatives et privées. Ils ne sont pas destinés à remplacer les conseils d’un avocat, d’un comptable, d’un fiscaliste ou d’un autre professionnel. Nous ne sommes pas des avocats, des parajuristes, des comptables agréés, des comptables, des conseillers fiscaux ou des conseillers juridiques.

[55] Le fait que DSC fournissait des renseignements à des fins éducatives et que ses employés ne sont pas des conseillers en comptabilité, en fiscalité ou dans un autre domaine connexe aurait dû éveiller les soupçons de M. Fransen. Ces éléments de preuve viennent contredire l’affirmation de M. Fransen selon laquelle il s’appuyait sur les services de professionnels. Je déduis que M. Fransen a probablement reçu le document sur la divulgation, la non-responsabilité et l’indemnisation et le sommaire de la déclaration de revenus au moment où il a signé le document d’entente, ou à peu près à ce moment.

[56] J’ai de la difficulté à accepter la réponse fournie par M. Fransen en contre-interrogatoire, selon laquelle il n’a pas vu ou ne se souvient pas d’avoir vu le mot [traduction] « par » à côté de la ligne de signature dans la déclaration en cause et la demande de report lorsqu’il a signé ces documents. Je doute également de son affirmation selon laquelle il n’a pas remarqué qu’il était décrit, à la première page de la déclaration en cause, comme un travailleur indépendant en Ontario. Ces anomalies auraient dû l’amener à se renseigner davantage.

(iii) Facteurs laissant supposer la nécessité de s’informer, ou feux rouges clairs

[57] M. Fransen soutient qu’il n’y avait pas de feux rouges clairs ni de signaux d’alarme au moment de la production de la déclaration en cause.

[58] Le moment pertinent est le moment de la production de la déclaration en cause.

(1) L’importance de l’avantage (ou de l’omission)

[59] L’importance de l’avantage est le premier des facteurs examinés dans la décision Torres. Dans la déclaration en cause, M. Fransen a déclaré une perte d’entreprise nette de 333 418 $ et des revenus d’emploi de 69 770,60 $, et il a calculé qu’il avait droit à un remboursement de 20 947,91 $. M. Fransen a demandé qu’une partie de la perte de 333 418 $, soit 259 190 $, soit reportée rétrospectivement aux trois années précédentes.

[60] La perte déclarée était importante par rapport aux revenus d’emploi déclarés et aurait permis à M. Fransen d’obtenir le remboursement de l’impôt retenu sur ses revenus d’emploi et sur toutes ses autres sources de revenus en 2009. De plus, M. Fransen aurait été en mesure d’appliquer le reste de la perte aux trois années précédentes, ce qui lui aurait permis d’obtenir le remboursement de l’impôt payé pour ces années-là.

[61] L’importance de la perte déclarée est à mon sens un facteur important. Même si la formation suivie par M. Fransen était une formation pratique et même s’il ne comprenait pas tous les détails liés à la préparation d’une déclaration de revenus ou la fiscalité de façon générale, il aurait pu remettre en question le remboursement anticipé pour l’année d’imposition 2009, ce qui lui aurait permis de découvrir la perte fictive.

(2) Le caractère flagrant du faux énoncé et la possibilité de le détecter

[62] M. Fransen a fait valoir entre autres que le fait qu’il ait eu plusieurs employeurs avait rendu l’exercice plus complexe et qu’il aurait eu plus de facilité à s’y retrouver s’il avait eu un seul employeur et un seul T4. Je fais remarquer qu’il n’y a que deux employeurs et donc deux T4.

[63] Dans la déclaration en cause, M. Fransen a déclaré des revenus d’emploi (69 770,60 $), d’autres revenus d’emploi (4 457,84 $), des revenus d’entreprise bruts (87 589,56 $) et une perte d’entreprise nette (333 418,44 $), et il a demandé à appliquer une perte autre qu’une perte en capital (259 190 $) aux trois années précédentes[23]. Les montants des revenus d’entreprise bruts, de la perte d’entreprise nette et de la perte autre qu’une perte en capital sont fictifs et sont apparents à la page 2 de la déclaration en cause.

[64] Les renvois à la notion d’« entreprise » dans la déclaration en cause sont manifestes : des revenus et une perte d’entreprise y ont été déclarés, M. Fransen y a été décrit comme un travailleur indépendant (page 1), et un formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise y était annexé. Comme M. Fransen savait qu’il n’avait pas exploité une entreprise en 2009, ces éléments auraient dû l’amener à se poser des questions.

[65] Les faux renseignements sont évidents dans diverses parties du formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise. On trouve à la partie 3, page 1, la somme de 87 589,56 $ au titre de [traduction] « SOMMES REÇUES À TITRE DE MANDATAIRE ». Cette somme apparaît dans sept cases sur deux pages. On trouve à la partie 5, page 2, la somme de 421 008 $ au titre de « PAIEMENTS DU MANDATAIRE AU MANDANT ». Cette somme apparaît également dans deux autres cases. La perte déclarée de 333 418,44 $ apparaît une fois à la partie 5 et cinq fois à la partie 6[24]. M. Fransen a convenu que le libellé des parties 3 et 5 est absurde. Ces entrées auraient été flagrantes et facilement détectables.

[66] Des faux renseignements peuvent être détectés dans la demande de report. M. Fransen a apposé sa signature à la page 2, qui est vide, et la page 1 indique la perte déclarée, dont une partie importante est reportée de façon rétrospective aux trois années précédentes.

[67] Encore une fois, M. Fransen a vu le remboursement important indiqué à la dernière page[25].

[68] Tout ce qui précède m’amène à conclure que les faux énoncés faits dans la déclaration en cause, le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise et la demande de report sont flagrants et facilement détectables.

(3) L’absence d’une attestation du spécialiste en déclarations de revenus

[69] M. Blair n’a pas indiqué son nom et ses coordonnées ou celles de DSC dans la case destinée aux professionnels de l’impôt (490) qui se trouve à la dernière page de la déclaration en cause. En contre-interrogatoire, M. Fransen a indiqué qu’il n’avait pas trouvé étrange que cette section n’ait pas été remplie. Comme M. Fransen payait des frais pour la préparation de sa déclaration de revenus, cette omission aurait dû sonner l’alarme. Comme la Cour l’a mentionné dans la décision Torres, combiné aux autres facteurs, le fait que le spécialiste en déclarations de revenus n’ait pas produit d’attestation aurait dû signaler au contribuable que le spécialiste ne voulait pas que l’ARC associe son nom à la déclaration en cause.

(4) Les demandes inusitées du spécialiste en déclarations de revenus

[70] Fiscal Arbitrators et M. Blair ont fait des demandes inusitées à M. Fransen. Le document d’entente exige que M. Fransen réponde aux demandes non écrites de l’ARC en lui demandant de communiquer avec lui exclusivement par écrit, qu’il transmette toutes les demandes écrites de l’ARC à Fiscal Arbitrators avant d’y répondre et qu’il s’abstienne de discuter avec des tiers des renseignements fiscaux fournis à Fiscal Arbitrators ou reçus de Fiscal Arbitrators, faute de quoi le document d’entente serait annulé. Le document d’entente prévoit également une commission égale à 20 % du remboursement. M. Fransen a déclaré dans son témoignage qu’il devait passer par M. Blair pour répondre aux demandes de l’ARC et que c’était M. Blair qui prenait les décisions quant aux réponses à donner. De façon cumulative, ces demandes sont inusitées et auraient dû sonner l’alarme.

(5) Le fait que le spécialiste en déclarations de revenus était inconnu du contribuable

[71] Pendant les 20 années qui ont précédé l’année d’imposition 2009, le père de M. Fransen s’est occupé de ses déclarations de revenus en retenant les services de sa connaissance à BDO. Pour l’année d’imposition 2009, M. Barnes a fourni des renseignements à M. Fransen et l’a mis en contact avec M. Blair. Rien n’indique que M. Fransen connaissait quoi que ce soit au sujet de M. Blair (ou de DSC), qu’il se soit informé de ses antécédents ou qu’il ait vérifié ses titres de compétence. M. Fransen savait seulement qu’il avait préparé les déclarations de revenus de ses confidents.

(6) Les explications inintelligibles du spécialiste en déclarations de revenus

[72] M. Fransen n’a pas témoigné sur ce point. Lorsqu’il est allé signer la déclaration en cause, celle-ci était déjà prête et des notes autocollantes y avaient été apposées. Ce facteur n’est pas pertinent.

(7) La conduite des autres, les mises en garde ou l’hésitation à se confier à d’autres

[73] Rien n’indique que M. Fransen ait été averti de ne pas retenir les services de DSC ou qu’il craignait d’en parler. En fait, M. Barnes lui avait parlé de ses remboursements antérieurs, et les confidents de M. Fransen avaient fait appel aux services de DSC. Ce facteur n’est pas pertinent.

(iv) Le défaut de s’enquérir auprès du spécialiste pour comprendre la déclaration de revenus

[74] Comme le remboursement anticipé était beaucoup plus important que les remboursements qu’il avait reçus au cours des dernières années, M. Fransen doit avoir senti le besoin de se renseigner davantage. Toutefois, rien n’indique qu’il ait demandé des explications. M. Fransen a plutôt fait valoir que, lorsqu’il avait reçu la déclaration en cause, il l’avait signée sans l’examiner, ce qui avait pris cinq minutes. M. Blair n’était pas présent, et M. Fransen a affirmé que, même s’il avait voulu poser des questions (ce qui laisse entendre qu’il n’avait pas de questions à poser), il n’y avait personne sur place à l’exception du personnel administratif. Bien entendu, s’il l’avait voulu, il aurait pu attendre de pouvoir poser des questions et d’être en mesure d’attester de l’exactitude des renseignements fournis dans la déclaration en cause avant de la signer. S’il avait jeté ne serait-ce qu’un coup d’œil à la déclaration en cause, il en aurait constaté l’absurdité étant donné qu’il ne possédait pas d’entreprise.

[75] L’incapacité de M. Fransen de se souvenir des événements a nui à son témoignage, qui était obscur et comportait des incohérences qui m’ont amenée à douter de sa fiabilité.

VI. RÉSUMÉ

[76] Deux des signaux d’alarme (mentionnés aux paragraphes 74 et 75 ci-dessus) manquaient en l’espèce. Cependant, bon nombre d’autres signaux d’alarme auraient dû lui mettre la puce à l’oreille. Quelques exemples suffiront. M. Fransen savait qu’il allait obtenir un remboursement s’étalant sur quatre ans. Cela aurait été un avantage financier d’une grande importance. Il a décidé de ne pas se renseigner au sujet du remboursement de 20 947,91 $, même si celui-ci était beaucoup plus élevé que les remboursements qu’il avait l’habitude de recevoir.

[77] Le caractère erroné des entrées à la page 2 de la déclaration en cause, qui ont servi à calculer le remboursement demandé pour l’année d’imposition 2009, était flagrant et facilement détectable, ne serait-ce qu’en jetant un coup d’œil à la déclaration en cause. Les pertes fictives étaient de quatre fois et demie supérieures aux revenus d’emploi que M. Fransen avait déclarés pour l’année d’imposition 2009.

[78] Le montant de 333 418,44 $ a été mentionné neuf fois dans la déclaration en cause, la demande de report et le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise, malgré le fait que M. Fransen ne possédait aucune entreprise. Le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise comportait un libellé inhabituel, de même que le document d’entente et le document sur la divulgation, la non-responsabilité et l’indemnisation, et le spécialiste en déclarations de revenus a fait des demandes inusitées.

[79] Il me semble que, en signant la déclaration en cause sans l’examiner, M. Fransen a décidé de fermer les yeux. Il ne voulait pas savoir ce que contenait la déclaration en cause et a fait preuve d’ignorance volontaire. Il a affirmé qu’il n’aurait pas compris la déclaration en cause s’il l’avait lue, mais il n’a fait aucun effort pour demander des explications, sans compter qu’il aurait pu décider de se renseigner auprès d’une autre personne que M. Blair.

[80] Je suis d’avis que M. Fransen a décidé de ne pas se renseigner parce qu’il soupçonnait fortement (même s’il a peut-être réprimé ses soupçons) qu’il découvrirait que la déclaration comportait de faux énoncés, ce qui aurait mis au jour une vérité gênante. Il s’agit d’ignorance volontaire, et la connaissance à l’égard du faux énoncé est imputée à M. Fransen. Je conclus que M. Fransen a fait preuve d’ignorance volontaire lorsqu’il a signé la déclaration en cause.

Faute lourde

[81] Compte tenu de la conclusion qui précède, il est strictement inutile de traiter la question de la faute lourde. Je vais néanmoins l’examiner brièvement.

[82] La preuve montre que M. Fransen a signé la déclaration en cause sans l’examiner et qu’il a simplement apposé sa signature aux endroits indiqués par des notes autocollantes. Cela étant, comment peut-il avoir attesté, à la dernière page de la déclaration de revenus, que les renseignements fournis étaient exacts et complets? La réponse, c’est qu’il ne pouvait pas l’attester. Il a adopté la même approche lorsqu’il a signé la demande de report sans l’examiner. Rien n’indique qu’il était incapable de comprendre l’obligation qui lui incombait de ne pas faire de faux énoncé dans la déclaration en cause.

[83] Le défaut d’examiner une déclaration de revenus est suffisant pour conclure que les faux énoncés qu’elle contient ont été faits dans des circonstances équivalant à faute lourde, ce qui justifie l’imposition d’une pénalité.

[84] La Cour a souvent conclu à la faute lourde et confirmé les pénalités imposées dans des cas où les contribuables s’étaient fiés aveuglément à un spécialiste en déclarations de revenus sans lire ou examiner leur déclaration et sans faire aucun effort pour en vérifier l’exactitude[26].

[85] Dans la décision Bhatti c. La Reine, 2013 CCI 143, le juge C. Miller a fait la remarque suivante :

30. [...] Il est tout simplement insuffisant d’affirmer ne pas avoir vérifié ses déclarations. Confier aveuglément ses obligations à quelqu’un d’autre sans même une vérification minimale de l’exactitude de la déclaration va au‐delà de l’imprudence. Donc, même si elle n’a pas sciemment omis de déclarer le revenu, elle a certainement adopté l’attitude cavalière du laisser‐aller.

[86] Cette remarque s’applique aussi à M. Fransen. J’estime que la conduite de M. Fransen s’écarte de façon marquée de la conduite attendue de la personne raisonnable (le contribuable raisonnable) placée dans les mêmes circonstances que lui. Si M. Fransen avait pris le temps d’examiner la déclaration en cause et le formulaire relatif aux résultats des activités d’une entreprise, il aurait facilement détecté que les énoncés selon lesquels il était un travailleur indépendant et avait subi une perte d’entreprise importante étaient faux. M. Fransen est un homme éduqué possédant au moins une intelligence moyenne, et il a eu l’occasion d’examiner la déclaration en cause mais a décidé de ne pas le faire. Il a abdiqué sa responsabilité et n’a fait aucun effort pour veiller à ce que les renseignements contenus dans la déclaration en cause soient exacts et complets, comme l’exige la Loi de l’impôt sur le revenu.

[87] Je suis convaincue que l’intimé a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que M. Fransen a, sciemment et dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans la déclaration en cause lorsqu’il a déclaré une perte d’entreprise importante et demandé qu’une partie de cette perte soit reportée de façon rétrospective et appliquée aux trois années d’imposition précédentes.

VII. CONCLUSION

[88] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, M. Fransen a fait preuve d’ignorance volontaire et a commis une faute lourde en signant la déclaration en cause sans l’examiner, en déclarant une perte d’entreprise fictive et en demandant le report rétrospectif d’une partie de cette perte aux trois années précédentes.

[89] Pour les motifs qui précèdent, l’appel est rejeté avec dépens en faveur de l’intimé.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 27e jour de juillet 2023.

« K. Lyons »

La juge Lyons

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de décembre 2024.

Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale


RÉFÉRENCE :

2003 CCI 107

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2012-4217(IT)G

INTITULÉ :

ROBERT FRANSEN ET SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Windsor (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 février 2023

DATE DE DÉPÔT DES OBSERVATIONS :

Le 8 février 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge K. Lyons

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 juillet 2023

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelant :

Me Roland P. Schwalm

Avocat de l’intimé :

Me Steven D. Leckie

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

Me Roland P. Schwalm

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Wynter, paragraphe 12.

[2] Wynter, paragraphe 16.

[3] Wynter, paragraphe 13.

[4] Wynter, paragraphe 21.

[5] DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545.

[6] Peck c. La Reine, 2018 CCI 52.

[7] Pièce R1, onglet 1.

[8] D’autres fonctionnaires de l’ARC ont ajouté des annotations lors du traitement de la déclaration.

[9] Pièce R1, onglet 2.

[10] Pièce R1, onglet 3. Le montant de la perte déclarée est inscrit à la section I.

[11] Pièce R1, onglets 12 à 16.

[12] Pièce R1, onglets 12 à 16.

[13] Pièce R1, onglet 4.

[14] Pièce R1, onglet 5.

[15] Pièce R1, onglet 6.

[16] Pièce R1, onglet 7.

[17] Pièce R1, onglet 8. Le 16 février 2011.

[18] Pièce R1, onglet 9, Avis d’opposition, 14 mars 2011, et onglet 10, Avis de ratification, 18 juillet 2012.

[19] Le mot « énoncé » employé au singulier comprend le pluriel.

[20] Le cadre établi dans la décision Torres a été confirmé dans l’arrêt Strachan c. La Reine, 2015 CAF 60. Dans l’affaire Torres, qui mettait en cause Fiscal Arbitrators, les contribuables avaient assisté à des présentations et reçu des dépliants et des trousses, et ils s’étaient livrés à des activités comme le rachat du numéro d’assurance sociale et l’utilisation du mot « par » dans le formulaire de demande de report rétrospectif d’une perte.

[21]La décision Torres est citée au paragraphe 32. M. Manhue avait terminé un semestre à l’université après l’obtention de son diplôme d’études secondaires et travaillait depuis 20 ans dans une usine de General Motors, et une pénalité lui a été imposée.

[22] Pièce R1, onglet 11. Mme Sawatzky a produit quatre documents que l’unité chargée des enquêtes spéciales de l’ARC avait saisis auprès de Fiscal Arbitrators. Le sommaire indique le remboursement d’impôt estimé pour 2009 et pour chacune des trois années précédentes.

[23] Lignes 101, 104, 162, 135 et 50, respectivement.

[24] Pièce R1, onglet 2.

[25] Ligne 484.

[26] Atutornu c. La Reine, 2014 CCI 174. Maynard c. La Reine, 2016 CCI 21.

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