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Dossier : 2014-4399(IT)G

ENTRE :

RICHARD JOHN NIXON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 8, 9, 10 et 11 mai 2023 à Toronto (Ontario).

Devant : l’honorable juge Ronald MacPhee.


Comparutions :

Avocats de l’appelant :

MDavid Davies

MVivian Esper

Avocats de l’intimé :

MAaron Tallon

MJasmeen Mann

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2002 et 2003 de l’appelant est rejeté. L’appelant versera les dépens à l’intimé.

Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, l’intimé devra déposer des observations écrites sur les dépens au plus tard le 29 septembre 2023. L’appelant aura jusqu’au 31 octobre 2023 pour déposer les observations écrites en réponse qu’il souhaite présenter à la Cour. Les observations de l’une ou l’autre des parties ne peuvent excéder 10 pages.

Signé à Sydney (Nouvelle-Écosse), ce 22e jour d’août 2023.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2025.

Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste principale


Référence : 2023 CCI 124

Date : 22 août 2023

Dossier : 2014-4399(IT)G

ENTRE :

RICHARD JOHN NIXON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge MacPhee

I. CONTEXTE

[1] Richard John Nixon (l’« appelant ») interjette appel des nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2002 et 2003. Au cours de ces années, l’appelant a participé au programme de Berkshire Funding Initiatives Limited et Talisker Funding Limited (le « programme Berkshire »). À titre de participant, l’appelant a obtenu d’Ideas Canada Foundation (« Ideas ») un reçu fiscal pour chacun des deux dons de bienfaisance de 300 000 $ en espèces qu’il a respectivement faits en 2002 et en 2003. Pour plusieurs motifs, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a refusé en totalité les crédits d’impôt demandés. Plus précisément, il a déterminé que l’appelant avait reçu des avantages sous forme de prêts ne portant pas intérêt du fait de sa participation au programme Berkshire. Le ministre a conclu qu’en raison de ces avantages, l’appelant n’avait fait aucun don.

[2] Notre Cour a déjà examiné le programme Berkshire dans la décision Kossow c. La Reine[1], où elle a conclu que Mme Kossow n’avait pas fait de don compte tenu de l’avantage important qu’elle avait reçu du fait de sa participation à ce programme. Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale[2].

[3] Au début du procès, l’avocat de l’appelant a affirmé que ce dernier [traduction] « n’avait pas suivi le cadre » décrit dans la décision Kossow. L’appelant soutient que sa situation factuelle diffère de celle exposée dans la décision Kossow, de sorte que l’appel devrait être accueilli.

[4] Dans ses hypothèses, la Couronne énonce une bonne partie des nombreux faits concernant le programme Berkshire. Elle y décrit les divers participants au programme Berkshire, le mouvement des fonds et d’autres questions connexes concernant les nombreux volets de ce programme. Je n’ai pas l’intention d’exposer ces faits, car ils n’ont pas été contestés au procès. Je me concentre sur les faits propres à la participation de l’appelant au programme Berkshire.

[5] L’appelant était le seul témoin. Il est avocat depuis plus de 40 ans. Pendant de nombreuses années, il a été associé d’un grand cabinet de Toronto. Au procès, l’appelant s’exprimait clairement et était bien préparé. J’estime toutefois que son témoignage n’était pas fiable et qu’il a tenté d’induire la Cour en erreur sur certains faits.

[6] Compte tenu de l’expérience de l’appelant en tant qu’officier de cour[3], je trouve décevant de conclure que l’appelant a tenté d’induire la Cour en erreur. Le témoignage de l’appelant était parfois contraire au bon sens et, surtout en ce qui concerne les prêts consentis par Talisker (décrits en détail plus loin), frisait le ridicule.

[7] Talisker Funding Limited (« Talisker ») et Berkshire Funding Initiatives Limited (« Berkshire ») faisaient conjointement la promotion et la gestion d’Ideas, que l’intimé décrit comme un programme de dons de bienfaisance financés par emprunt. Comme l’indiquent les documents présentés à la Cour, Talisker accordait des prêts de 25 ans ne portant pas intérêt aux participants du programme uniquement pour que ces prêts servent à faire des dons à Ideas. Chacun de ces prêts correspondait à 80 % du prétendu don fait à Ideas par le participant. Il fallait généralement satisfaire aux conditions suivantes afin d’obtenir un tel prêt et de participer à Ideas :

  • (i)signer un engagement envers Ideascorrespondant au montant que le participant prévoit donner;

  • (ii)présenter une demande de prêt et une procuration;

  • (iii)signer un billet à ordre correspondant au montant du prêt demandé;

  • (iv)faire un chèque payable à Talisker [traduction] « à titre de mandataire » d’un montant équivalant à 20 % de la contribution du participant au don fait à Ideas;

  • (v)faire des chèques payables à Talisker (en son nom propre) pour les frais d’administration du prêt, qui varient entre 1 % et 5 % du montant du don, et pour le dépôt de garantie, qui correspond à 10 % du montant du don.

[8] En 2002, Warren Fergus, le conseiller en placements de l’appelant, a communiqué avec ce dernier au sujet d’une possible participation au programme Berkshire. Comme il est décrit dans les documents promotionnels de ce programme, dans le cadre du programme, l’appelant ferait des dons à plusieurs organismes de bienfaisance canadiens enregistrés. Au procès, l’appelant est devenu émotif lorsqu’il a témoigné de l’importance pour lui de faire un don à l’un de ces organismes de bienfaisance, à savoir le MacLaren Art Centre (le « Centre MacLaren »). Il a déclaré que ce centre avait une grande importance pour lui parce qu’il avait des liens avec son fondateur, que la galerie était située dans sa ville natale et qu’il était un grand amateur d’art depuis toujours.

[9] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément important pour trancher l’affaire, je doute de l’intérêt, très probablement inventé au moment du procès, que prétendait avoir l’appelant à aider le Centre MacLaren. J’en viens à cette conclusion notamment parce qu’à l’étape de l’opposition, lorsqu’on lui a demandé à quels organismes avaient été données les sommes qu’il prétendait avoir versées au programme Berkshire, l’appelant a écrit que c’était mélangé et qu’il ne pouvait pas le savoir. En contre-interrogatoire, il a admis qu’il n’avait jamais vérifié s’il aurait pu faire un don directement au Centre MacLaren. Il semble également que l’appelant, malgré sa grande richesse et son désir de faire des dons (selon ses propres dires), n’a jamais fait de don au Centre MacLaren sous quelque forme que ce soit.

[10] Avant de participer au programme Berkshire, l’appelant a reçu des documents promotionnels, qui présentaient des calculs détaillant les avantages qu’il pourrait tirer d’un don de 300 000 $ en 2002. Selon ces calculs, initialement, l’appelant n’aurait qu’à débourser 96 000 $ en 2002, mais recevrait tout de même un crédit d’impôt pour un don de 300 000 $. De plus, grâce à ce crédit d’impôt, il aurait droit en 2002 à un [traduction] « avantage annuel au titre du flux de trésorerie » de 73 200 $. En 2003, ce montant diminuerait pour s’établir à 43 200 $ en raison d’un paiement exigible de 30 000 $. Dans d’autres documents promotionnels, les montants de 73 200 $ et de 43 200 $ étaient présentés comme un [traduction] « avantage total cumulé au titre du flux de trésorerie pour le donateur ». Il ressortait clairement de l’ensemble des documents promotionnels que l’appelant s’enrichirait financièrement en participant au programme Berkshire.

A. Participation de 2002

[11] Le premier don de 300 000 $ qu’a déclaré l’appelant a été fait le 18 septembre 2002. À la même date, il a reçu un montant de 300 000 $ de la part de Talisker. Les détails concernant ce don sont les suivants.

[12] Le 13 août 2002, M. Fergus a rencontré M. Nixon dans le bureau de ce dernier. M. Fergus lui a présenté l’engagement à signer envers Ideas et le cadre habituellement suivi par Talisker (c’est-à-dire une demande de prêt et un billet à ordre connexe, ce qui est semblable au cadre général d’Ideas) (la « demande de prêt initiale »). M. Nixon a signé un engagement de 300 000 $ envers Ideas ainsi qu’une demande de prêt de 240 000 $. Les montants exigés dans la demande de prêt initiale sont les suivants :

  • (a)Engagement : 300 000 $;

  • (b)Dépôt : 3 000 $;

  • (c)Prêt initial : 300 000 $;

  • (d)Dépôt de garantie initial : 30 000 $;

  • (e)Frais d’administration : 6 000 $.

[13] L’appelant devait payer 12 000 $ à la signature des documents le 13 août 2002 et remettre deux chèques postdatés, un de 54 000 $ daté du 16 décembre 2002 et un de 30 000 $ daté du 14 mars 2003. M. Nixon a fait ces trois chèques, libellés à l’ordre d’Ideas, et les a donnés à M. Fergus, en plus de la demande de prêt initiale et de l’engagement envers Ideas.

B. Demande de prêt modifiée – 2002

[14] Le 13 août 2002, M. Fergus a informé M. Nixon que Talisker n’acceptait pas les chèques libellés à l’ordre d’Ideas. Le 16 août 2002, M. Fergus a rappelé à M. Nixon que les chèques devaient être libellés au nom de « Talisker Funding Limited, à titre de mandataire ». À la même date, M. Nixon a écrit une lettre qu’il a envoyée à M. Fergus par messagerie, à laquelle il a joint des copies des documents qu’il avait signés plus tôt dans la semaine ainsi que trois nouveaux chèques libellés à l’ordre de « Talisker Funding Limited, à titre de mandataire ». Les montants inscrits étaient les mêmes que précédemment : 12 000 $, 54 000 $ et 30 000 $. Les chèques se détaillent ainsi :

  • (a)Chèque no 331 de 300 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 12 septembre 2002 et libellé à l’ordre de « Ideas CanadaFoundation » (ce chèque a ensuite été remplacé par un chèque certifié de l’appelant, du même montant et daté du 18 septembre 2002);

  • (b)Chèque no 332 de 12 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 12 septembre 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited »;

  • (c)Chèque no 334 de 30 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 14 mars 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited »;

  • (d)Chèque no 333 de 54 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 16 décembre 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited ».

[15] Dans un courriel du 16 août 2002 adressé à M. Fergus, l’appelant s’est dit inquiet que l’ADRC (ancienne désignation de l’Agence du revenu du Canada) remette en question son don étant donné que son chèque de 300 000 $ n’avait pas été libellé directement à l’ordre d’Ideas. Le 13 septembre 2002, en réponse à cette inquiétude, M. Fergus a remis à M. Nixon une demande de prêt modifiée, une procuration et un billet à ordre (la « demande de prêt modifiée »), que M. Nixon a signés le jour même. La demande de prêt modifiée contenait des modalités révisées tirées de la demande de prêt initiale, qui visaient notamment à supprimer le lien entre le prêt et le don à Ideas. Selon M. Nixon, il s’agit d’un facteur important qui le distingue des autres participants au programme Berkshire[4].

[16] Conformément à l’article 2.1 de la demande de prêt modifiée, Talisker devait accepter la demande de prêt modifiée dans les 60 jours suivant le 13 septembre 2002. Le 22 novembre 2002, soit 70 jours après le 13 septembre 2002, Talisker a accepté la demande de prêt modifiée. Au procès, M. Nixon a soutenu que ce retard entraînait la nullité de la demande de prêt modifiée. Il a aussi clairement indiqué qu’il n’avait pris connaissance de ce manquement au contrat qu’au cours de sa préparation en vue du procès.

[17] Le 18 septembre 2002, deux opérations clés ont eu lieu. L’appelant a fourni un chèque certifié de 300 000 $ libellé à l’ordre d’Ideas. À la même date, M. Fergus a remis à M. Nixon un chèque de 300 000 $ de la part de Talisker. Il s’agit du prêt de 2002 consenti par Talisker. M. Nixon a déposé le chèque de Talisker à 16 h 03 le 18 septembre 2002 dans son compte de la Banque TD.

[18] La position de M. Nixon concernant son obligation de s’acquitter de toute obligation impayée envers Talisker (dont le montant était indéterminé au moment du procès) était quelque peu floue et changeante.

[19] M. Nixon a déclaré que le dépôt de garantie de 30 000 $ qu’il avait versé à Talisker était censé être investi pendant la durée du prêt et ainsi fructifier suffisamment pour lui permettre de s’acquitter de ses obligations de remboursement de prêt envers Talisker[5]. Cela concorde avec les documents promotionnels du programme Berkshire. Bien qu’il ne l’ait pas affirmé clairement, j’ai compris qu’il s’agissait de sa position en 2002 et en 2003.

[20] Au cours du procès, l’appelant a modifié sa position au point où il croyait peut-être encore devoir de l’argent à Talisker. Il n’avait aucune information quant aux sommes impayées et ne savait même pas si Talisker existait toujours.

[21] M. Nixon a reçu par la poste un reçu officiel d’Ideas daté du 4 décembre 2002 pour le don en espèces de 300 000 $ qu’il a déclaré. Pour l’année d’imposition 2002, M. Nixon a demandé un crédit d’impôt fédéral pour don de bienfaisance de 87 000 $ et un crédit d’impôt provincial de 33 408 $. Le reçu pour don est daté du 4 décembre 2002 et indique que le don a été fait le 18 septembre 2002.

C. Don de 2003

[22] Le don de 2003 qu’a déclaré l’appelant a été fait le 17 février 2003. Les détails concernant ce deuxième don sont les suivants :

  1. M. Nixon n’a pas signé d’engagement pour le don de 2003 fait à Ideas;

  2. Par chèque certifié daté du 17 février 2003, M. Nixon a versé 300 000 $ à Ideas;

  3. Le 17 février 2003, M. Nixon a reçu une avance de 297 000 $ par chèque certifié de Talisker, même s’il n’avait pas rempli de demande de prêt auprès de cette organisation, qu’il prétendait ne pas connaître avant de recevoir les renseignements à propos du programme Berkshire et avec laquelle il ne semblait pas avoir d’historique, hormis par l’intermédiaire du programme Berkshire. La différence entre la somme versée à Ideas et l’avance consentie à M. Nixon par Talisker, soit un montant de 3 000 $, correspondait aux frais d’administration du prêt;

  4. M. Nixon a ensuite versé à Talisker 60 000 $ (20 % de l’avance) et 30 000 $ (10 % du prétendu don) à titre de dépôt de garantie.

  5. M. Nixon a envoyé à Talisker une demande de prêt modifiée et signée le 11 mars 2003, soit 22 jours après avoir reçu, de la part de Talisker, le prêt de 2003 de 297 000 $.

  6. Le 24 juin 2003, Ideas a remis un reçu fiscal pour don de bienfaisance de 300 000 $ daté du 17 février 2003.

  7. Pour l’année d’imposition 2003, M. Nixon a demandé un crédit d’impôt fédéral pour don de bienfaisance de 87 000 $ et un crédit provincial de vraisemblablement 33 408 $ (le montant du crédit provincial n’a pas été clairement indiqué au procès).

[23] Si, pour les prêts de 2002 et de 2003 qu’il a reçus de Talisker, M. Nixon est lié par les modalités des demandes (conventions) de prêt qu’il a signées, il doit alors rembourser les soldes impayés des prêts avant le 31 décembre 2027 et le 31 décembre 2028, respectivement. Selon les demandes de prêt, les prêts ne portent aucun intérêt jusqu’à leur échéance.

[24] Comme l’indiquaient clairement les documents promotionnels, le dépôt de garantie de 10 % versé par M. Nixon à Talisker devait être investi et permettre, d’ici à la date d’échéance du prêt, de couvrir son solde.

[25] Depuis 2009, M. Nixon n’a reçu aucune correspondance de Talisker concernant la question de savoir s’il reste un solde à payer sur ses prêts. Il n’a effectué aucun paiement sur le prêt de 2002 ni sur celui de 2003, à l’exception des paiements faits au moyen de ses chèques initiaux. L’appelant ne sait pas si Talisker existe encore. Il est possible qu’une autre organisation ait acheté les prêts de Talisker. J’émets cette hypothèse sur la base d’un commentaire formulé par la Couronne en contre-interrogatoire.

[26] Comme je l’indique plus haut, l’appelant soutient que les changements apportés aux documents relatifs au prêt ainsi que le fait qu’il ait libellé son chèque de 300 000 $ directement à l’ordre d’Ideas et qu’il ait utilisé ses propres fonds le distinguent des autres participants au programme Berkshire.

[27] J’estime que l’entente conclue entre l’appelant et Talisker (ou quiconque a négocié au nom des promoteurs du programme Berkshire) témoigne du cynisme absolu des promoteurs et de l’appelant. Les opérations effectuées par l’appelant ne visaient apparemment qu’à donner l’impression que ce dernier s’était appauvri du fait de son versement à Ideas, sans toutefois que ce soit le cas. Les modifications apportées aux documents à l’appui visaient également à donner l’impression que l’opération de prêt entre l’appelant et Talisker n’était pas liée au don que l’appelant avait fait à Ideas et qu’il avait déclaré. Après avoir examiné la preuve objective présentée au procès, je conclus que ce n’était pas le cas[6].

[28] L’avocat de l’appelant soutient que [traduction] « la forme est importante » et que je ne devrais faire abstraction ni des modifications apportées par l’appelant et Talisker à la demande de prêt ni du fait que le chèque de l’appelant a été libellé directement à l’ordre d’Ideas. Cet argument n’a que très peu de poids. Selon la preuve au procès, Talisker et l’appelant ne se souciaient pas des liens juridiques créés par les documents relatifs au prêt. En 2002, Talisker a remis 300 000 $ à l’appelant sans accepter sa demande de prêt. En 2003, Talisker a versé 297 000 $ à l’appelant sans que ce dernier lui fournisse de document propre au prêt. Talisker a transféré ces deux montants à l’appelant aux mêmes dates où ce dernier lui remettait ses chèques de 300 000 $. Quelques semaines plus tard, l’appelant a rempli une demande de prêt pour des fonds qu’il avait déjà reçus.

II. QUESTION EN LITIGE

[29] La question en litige est de savoir si les dons de 300 000 $ que l’appelant aurait faits en 2002 et en 2003 constituent des dons au sens du paragraphe 118.1(1) de la Loi.

A. Position de l’appelant

[30] L’avocat de l’appelant soutient que ce qui distingue le présent appel de l’affaire Kossow[7] est le fait qu’en l’espèce, l’appelant n’a pas suivi le cadre que les autres participants au programme Berkshire avaient été tenus de suivre. L’appelant avait les moyens de faire des dons de bienfaisance directement à Ideas, ce qu’il a bel et bien fait à partir de son compte bancaire. L’appelant affirme que les fonds provenant de Talisker n’étaient pas liés à ses dons à Ideas. Par conséquent, la Cour devrait considérer les retraits de 300 000 $ de son compte bancaire effectués le 18 septembre 2002 et le 17 février 2003 comme un appauvrissement. L’appelant fait valoir que les (prétendus) prêts consentis par Talisker à ces mêmes dates constituent des opérations distinctes n’ayant aucun lien avec ses dons. Par conséquent, l’appelant n’a reçu aucun avantage du fait de sa participation au programme Berkshire, et les dons de 300 000 $ déclarés en 2002 et en 2003 devraient être acceptés.

B. Position de l’intimé

[31] L’intimé soutient que M. Nixon n’a pas fait de dons de bienfaisance parce qu’il a reçu des avantages importants du fait de sa participation au programme Berkshire. Ces avantages prennent la forme de prêts de 300 000 $ ne portant pas intérêt consentis en 2002 et en 2003. Il s’agit des mêmes avantages que celui dont il est question dans l’arrêt Kossow, où la Cour d’appel fédérale n’a pas reconnu les prétendus dons comme étant tels. La participation de l’appelant à ce programme était essentiellement la même que celle de tous les autres participants. À titre d’exemple, il a, comme tous les autres participants :

  • (a)remboursé 20 % à Talisker;

  • (b)payé des frais d’administration;

  • (c)versé des dépôts de garantie correspondant à 10 % du montant de ses prêts;

  • (d)obtenu des prêts à long terme ne portant pas intérêt de la part de Talisker équivalant à 80 % de ses dons.

[32] De plus, l’intimé soutient que la demande de prêt avait été modifiée afin de dissocier le prêt de l’appelant de sa participation au programme Berkshire. L’objectif pour lequel l’appelant (et les autres participants) avait obtenu les prêts de Talisker demeurait le même : garantir son « avantage cumulé au titre du flux de trésorerie » obtenu grâce à sa participation au programme Berkshire.

III. ANALYSE

[33] Dans l’arrêt Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur un programme de dons de bienfaisance financés par emprunt. Elle a souscrit à la définition de don adoptée par la juge de première instance et tirée de l’arrêt Friedberg c. Canada, [1991] A.C.F. no 1255 (C.A.F.), qui énonce que, pour l’application de l’article 118.1[8] :

un don est le transfert volontaire du bien d’un donateur à un donataire, en échange duquel le donateur ne reçoit pas d’avantage ni de contrepartie.

[34] Dans l’arrêt Kossow, la Cour d’appel fédérale a cité et appliqué l’arrêt Maréchaux[9]. Elle a ainsi formulé deux conclusions de droit applicables aux faits de l’espèce. Ces conclusions sont les suivantes :

  1. un prêt à long terme sans intérêt constitue un avantage financier important pour le bénéficiaire;

  2. un avantage obtenu en échange d’une donation la vicie, que l’avantage provienne du donataire ou encore d’un tiers[10].

[35] Je dois donc déterminer si l’appelant a reçu un avantage du fait de sa participation à ce programme. D’entrée de jeu, je peux affirmer que la réponse à cette question est un oui sans équivoque.

[36] Je me penche d’abord sur les opérations intervenues entre Talisker et l’appelant le 18 septembre 2002 et le 17 février 2003.

[37] Il m’est difficile de déterminer la véritable nature des opérations de 2002 et de 2003 intervenues entre l’appelant et Talisker. Je conclus que, fort probablement, ces opérations découlaient simplement d’une entente visant à rembourser à l’appelant les deux sommes de 300 000 $ qu’il avait respectivement versées en 2002 et en 2003. En échange, l’appelant devait recevoir un reçu pour don de bienfaisance de l’ordre de 300 000 $ pour chaque année. L’appelant devait ensuite effectuer une série de paiements à Talisker.

[38] En 2002 et en 2003, les sommes versées par Talisker et les dons de 300 000 $ déclarés par l’appelant faisaient partie d’un ensemble d’opérations prédéterminées. Je parviens à cette conclusion en raison des éléments suivants :

  • (i)Les documents initiaux relatifs au prêt décrivant le stratagème de dons indiquaient clairement que le prêt et le don étaient liés et faisaient partie d’une série d’opérations[11];

  • (ii)L’appelant a d’abord accepté d’effectuer la série d’opérations exigées par les promoteurs du programme Berkshire selon ces documents initiaux;

  • (iii)Les documents initiaux du programme Berkshire ont été modifiés uniquement après que l’appelant en a fait la demande (courriel de l’appelant daté du 16 août 2002). Il ressort clairement du courriel que l’appelant n’a fait cette demande que parce qu’il craignait que l’ADRC ne conteste le don qu’il avait déclaré. Surtout pour 2002, ces modifications n’ont pas permis de supprimer toutes les références aux liens entre Ideas et le prêt de Talisker;

  • (iv)La participation de l’appelant était différente de celle des autres donateurs en ce que : i) les modifications mentionnées plus haut ont été apportées au libellé de la demande de prêt de Talisker; ii) l’appelant a libellé son chèque de 300 000 $ à l’ordre d’Ideas, en utilisant temporairement ses propres fonds; et iii) l’appelant a reçu 300 000 $ de la part de Talisker le même jour qu’il a fait son chèque à Ideas. Le reste des opérations s’est déroulé exactement comme prévu pour tous les donateurs d’Ideas;

  • (v)Le plus révélateur est l’échange simultané de fonds entre l’appelant et le programme Berkshire en 2002 et en 2003. Dans les deux cas, l’appelant a fourni un chèque certifié. Bien qu’il ne se rappelle plus avec certitude si le chèque reçu de Talisker en 2002 était certifié, il se souvient qu’il l’était en 2003.

  • (vi)Tant en 2002 qu’en 2003, l’appelant et le prêteur n’ont pas pris le temps de préparer convenablement les documents relatifs au prêt. En 2002, l’appelant a rempli une demande de prêt et a reçu un chèque de 300 000 $ 70 jours avant de recevoir une réponse à sa demande de prêt. En 2003, l’appelant n’a pas rempli de demande de prêt, mais a tout de même reçu un chèque certifié de 297 000 $. L’absence d’acceptation de la demande de prêt par Talisker en 2002 et l’absence de toute demande de prêt ou de tout document à l’appui de l’opération de prêt en 2003 mettent en lumière ce qui constituait très probablement l’opération ultime, à savoir un échange de chèques convenu entre l’appelant et Talisker pour donner la fausse impression que l’appelant avait fait un don de 300 000 $. Cette opération s’est produite en 2002 et en 2003;

  • (vii)Par la suite, l’appelant n’a jamais fait de paiement supplémentaire (autre que les sommes indiquées au paragraphe 14 des présents motifs) pour rembourser les prétendus prêts de Talisker. Depuis 2009, l’appelant n’a reçu aucun rapport détaillant le solde impayé des prêts. Il ne sait pas si le prêteur existe encore.

[39] La conclusion à laquelle l’appelant souhaite que la Cour parvienne, à savoir que les prêts de Talisker étaient des opérations sans lien de dépendance et distinctes de ses dons à Ideas, ne repose sur aucune réalité commerciale. De plus, non que ma décision ultime en dépende, les faits objectifs contredisent la position de l’appelant selon laquelle il a l’intention de rembourser un certain montant du solde impayé des prêts de Talisker.

[40] La preuve objective présentée au procès permet de conclure que l’appelant et les promoteurs du programme Berkshire ont conclu une entente selon laquelle l’appelant serait immédiatement remboursé pour les dons de 300 000 $ déclarés en 2002 et en 2003. L’appelant a ensuite effectué les paiements suivants en 2002 (des paiements semblables ont été effectués en 2003) :

  • (a)chèque de 12 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 12 septembre 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited »;

  • (b)chèque no 334 de 30 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 14 mars 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited »;

  • (c)chèque no 333 de 54 000 $ tiré sur le compte chèques de M. Nixon à la Banque TD, daté du 16 décembre 2002 et libellé à l’ordre de « TaliskerFundingLimited ».

[41] Les paiements versés à Talisker présentés ci-dessus ne constituent pas un don de bienfaisance. Il s’agit de paiements versés à Talisker dans le cadre de ce qui semble être un placement de l’appelant. Ils s’apparentent à des frais de participation.

[42] Le remboursement prédéterminé de fonds ayant servi à faire un don en espèces est certainement un avantage. Par conséquent, je conclus que l’appelant n’a fait aucun don à Ideas, ni en 2002 ni en 2003.

[43] À titre subsidiaire, si je devais accepter que des prêts valables avaient été consentis par Talisker à l’appelant en 2002 et en 2003, je conclurais tout de même que ces prêts ne portant pas intérêt constituaient un avantage pour l’appelant. Dans l’arrêt Kossow, la Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion. Sur cette base, je conclus à nouveau que l’appelant n’a fait aucun don à Ideas, ni en 2002 ni en 2003.

[44] Je suis également lié par les conclusions de droit tirées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Markou[12]. L’appauvrissement est un élément essentiel du don. Selon les documents promotionnels du programme Berkshire, la participation de l’appelant à ce programme devait se traduire par un placement à rendement élevé et un petit don de bienfaisance connexe.

Comme il ressort clairement de l’arrêt Friedberg, le fait qu’un avantage fiscal est obtenu par suite d’un don ne peut pas en soi invalider le don. Le législateur aurait parlé pour ne rien dire en prévoyant des avantages fiscaux découlant de certains dons s’il en était autrement. Toutefois, la personne qui prévoit recevoir des avantages fiscaux supérieurs au montant ou à la valeur d’un prétendu don n’a forcément pas d’intention libérale. L’appauvrissement étant un élément essentiel du don en droit civil et en common law, le prétendu don constitué par la contribution en espèces ne saurait être reconnu en tant que don à cet égard également (Martin, par. 28 à 31; Canada c. Burns, [1988] A.C.F. no 31, p 6, conf. par Burns v. R, 90 D.T.C. 6335; Berg, par. 29; Canada c. Castro, 2015 CAF 225, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2016] 1 R.C.S. viii, par. 42 et Canada, ministère des Finances, « Notes explicatives relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, à la Loi sur la taxe d’accise et à des lois et règlements connexes » (octobre 2012)), recueil de jurisprudence conjoint, onglet 11, p. 476 et 477).

[45] Conformément à l’analyse exposée plus haut, je conclus que l’appelant, tant en 2002 qu’en 2003, n’a fait aucun don lui donnant droit à des crédits d’impôt en application de l’article 118.1 de la Loi.

[46] L’appel est rejeté avec dépens payables par l’appelant.

Signé à Sydney (Nouvelle-Écosse), ce 22e jour d’août 2023.

« R. MacPhee »

Le juge MacPhee

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2025.

Sophie Reid-Triantafyllos, jurilinguiste principale


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 124

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2014-4399(IT)G

INTITULÉ :

RICHARD JOHN NIXON ET

SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 8, 9, 10 et 11 mai 2023

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Ronald MacPhee

DATE DU JUGEMENT :

Le 22 août 2023

COMPARUTIONS :

Pour l’appelant :

MDavid Davies

MVivian Esper

Avocats de l’intimé :

MAaron Tallon

MJasmeen Mann

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant :

Nom :

MDavid Davies

MVivian Esper

Cabinet :

Thorsteinssons LLP

Pour l’intimé :

Me Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Kossow c. La Reine, 2012 CCI 325.

[2] Kossow c. Canada, 2013 CAF 283.

[3] Aux termes de l’article 29 de la Loi sur le Barreau de l’Ontario, les personnes qui sont pourvues d’un permis les autorisant à pratiquer le droit en Ontario en qualité d’avocat sont officiers de toutes les cours d’archives de l’Ontario. Le Dictionnaire de droit québécois et canadien définit le terme « officier de justice » comme étant une « [p]ersonne qui exerce une fonction publique se rattachant à l’administration de la justice ».

[4] L’avocat de l’appelant, dans ses observations finales, a fourni un tableau détaillé de toutes les modifications apportées à la documentation du programme Berkshire. J’en ai tenu compte lors de la préparation de ma décision.

[5] Transcription, interrogatoire par M. Davies, 8 mai 2023, p. 102.

[6] Voir Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, par. 74, qui énonce ce qui suit :

Comme dans d’autres domaines du droit, lorsqu’il faut établir l’objet ou l’intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l’objet subjectif d’une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l’objet se manifeste objectivement, et l’objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.

[7] Kossow c. Canada, 2013 CAF 283 [Kossow].

[8] Selon la même définition qu’au paragraphe 67 de la décision Kossow c. La Reine, 2012 CCI 325.

[9] Maréchaux c. Canada, 2010 CAF 287 [Maréchaux].

Remarque : Dans l’arrêt Kossow, les juges ont fait preuve de courtoisie judiciaire en reprenant le traitement juridique appliqué dans l’arrêt Maréchaux parce que les deux arrêts ont été rendus par la même cour, à savoir la Cour d’appel fédérale.

[10] Kossow, précité à la note 7, par. 25.

[11] Tant la Cour canadienne de l’impôt que la Cour d’appel fédérale en sont venues à cette conclusion dans l’affaire Kossow.

[12] Markou c. Canada, 2019 CAF 299, par. 60.

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