ENTRE :
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Appel entendu du 14 au 17 et du 21 au 24 septembre, du 5 au 8 et du 13 au 15 octobre 2020, à Toronto (Ontario), et du 13 au 15 juillet 2021 (séance virtuelle).
Me Jonathan Ip Me Brittany Rossler |
|
Me Tony C. Cheung |
JUGEMENT
Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies le 23 juin 2005, en application de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) pour les périodes de déclaration mensuelle de TPS de l’appelante, allant du 1er janvier 1999 au 29 février 2000, sont accueillis, conformément aux motifs du jugement ci-joints, et les nouvelles cotisations sont annulées.
Les dépens sont adjugés en faveur de l’appelante. Les parties disposent d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’appelante disposera alors d’un délai de 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’intimé disposera d’un délai de 30 jours pour déposer sa réponse par écrit. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et qu’il n’y a pas de dépôt d’observations, les dépens seront adjugés à l’appelante selon ce que prévoit le tarif.
Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d’août 2023.
Traduction certifiée conforme
ce 30e jour d’avril 2025.
Guillaume Chénard, jurilinguiste principal
ENTRE :
LBL HOLDINGS LIMITED,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS MODIFIÉS DU JUGEMENT
APERÇU
[1] Pendant toute la période pertinente, LBL Holdings Limited (« LBL »
) était une filiale de Sobeys Group Inc. (« Sobeys »
) et exploitait une entreprise de grossiste qui vendait notamment des produits du tabac. LBL était auparavant appelée Lumsden Brothers Limited (« Lumsden »
) et a changé son nom en janvier 2000 pour celui de LBL Holdings Limited[1]. Durant la période entre le 1er janvier 1999 et le 29 février 2000, LBL a vendu 97 715 258 $ de produits du tabac (les « produits du tabac »
) qui étaient livrés dans le territoire de la bande des Six Nations of the Grand River (la « réserve des Six Nations »
ou la « réserve »
) qui est une réserve au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
[2] Selon sa thèse, LBL a vendu des produits du tabac à Roberta MacNaughton et à d’autres membres de sa famille (collectivement les « MacNaughton »
) qui exploitaient plusieurs entreprises grossistes et commerces de détail dans la réserve des Six Nations. Les MacNaughton étant des Indiens inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens et les produits du tabac ayant été livrés dans la réserve des Six Nations, LBL et les MacNaughton font valoir que la vente des produits du tabac par LBL aux MacNaughton était exonérée de la TPS en application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
[3] Bien que le ministre du Revenu national (le « ministre »
) soit d’accord sur le fait que la livraison de produits du tabac ait eu lieu dans la réserve des Six Nations, il est d’avis que LBL vendait les produits du tabac non pas aux MacNaughton, mais plutôt à des tiers non identifiés qui n’étaient pas des Indiens inscrits (les « clients »
), en échange de paiements versés par les clients à LBL (les « opérations »
). Le ministre allègue aussi que les MacNaughton étaient rémunérés pour leur participation au stratagème au moyen de remises sur volume que LBL leur accordait sur leurs achats. La thèse du ministre est donc que la vente des produits du tabac par LBL aux clients était soumise à la TPS que LBL a omis de percevoir et de verser.
[4] Par conséquent, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de LBL et a délivré des avis de nouvelle cotisation (les « nouvelles cotisations »
) datés du 23 juin 2005 en application de la Loi sur la taxe d’accise (la « LTA »
)[2] selon lesquels le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de LBL concernant ses 14 périodes de déclaration mensuelle de TPS (les « périodes »
) entre le 1er janvier 1999 et le 29 février 2000. Pour établir une nouvelle cotisation de la taxe nette de LBL, le ministre a rajusté à la hausse la taxe nette relativement à la TPS non perçue totalisant 6 840 068,03 $. Le ministre a également imposé une pénalité de 3 220 980,03 $ et des intérêts de 1 819 147,94 $, conformément au paragraphe 280(1) de la LTA (tel qu’il était rédigé au moment pertinent) et des pénalités totalisant 1 710 017,01 $, conformément à l’article 285 de la LTA. La somme totale ayant fait l’objet d’une nouvelle cotisation équivaut à 13 590 213,01 $. Toutes les nouvelles cotisations ont été établies plus de quatre ans après que les déclarations de la TPS applicable ont été produites.
[5] Pour les motifs qui suivent, je souscris à la thèse de LBL et je suis donc d’avis que le présent appel devrait être accueilli.
QUESTIONS EN LITIGE
[6] Les questions en litige soulevées par les parties dans le présent appel sont les suivantes :
-
a)Les nouvelles cotisations étaient-elles frappées de prescription aux termes de l’article 298 de la LTA ou le ministre était-il autorisé à établir une nouvelle cotisation aux termes de l’alinéa 298(4)a) de la LTA au motif que LBL avait fait une présentation erronée par négligence, inattention ou omission volontaire de sa part au moment de faire et de produire ses déclarations de TPS pour les périodes visées?
-
b)LBL était-elle tenue de facturer et de prélever la TPS sur sa vente des produits du tabac? À cet égard, la question en litige est de savoir si les MacNaughton étaient les acquéreurs, au sens du paragraphe 123(1) de la LTA, des produits du tabac fournis par LBL pendant les périodes visées.
-
c)La pénalité imposée aux termes de l’alinéa 280(1)a) de la LTA s’applique-t-elle et, le cas échéant, a-t-elle été calculée correctement et LBL a-t-elle fait preuve de diligence raisonnable en ne versant pas la TPS à l’égard des opérations, de sorte qu’elle n’est pas passible de la pénalité prévue à l’alinéa 280(1)a) de la LTA?
-
d)La Cour a-t-elle compétence pour juger de l’application du Mémorandum sur la TPS/TVH 16.3.1 de l’ARC, qui fournit au ministre des directives administratives pour annuler une partie de la pénalité visée à l’article 280 ou y renoncer?
-
e)La pénalité visée à l’article 285 de la LTA s’applique-t-elle? À cet égard, la question en litige est de savoir si LBL a sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, omis de déclarer la TPS/TVH à l’égard des opérations dans ses déclarations de TPS pour les périodes visées, ou y a participé, consenti ou acquiescé.
[7] Je remarque que la deuxième question formulée ci-dessus est la principale question en litige dans le présent appel. À cet égard, je fais remarquer que si je conclus que les MacNaughton étaient les acquéreurs des fournitures des produits du tabac en cause dans le présent appel, LBL n’aurait pas été tenue de percevoir la TPS sur les fournitures des produits du tabac, car la vente des produits du tabac aurait été exonérée de la TPS en application de l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
[8] Ayant examiné tous les éléments de preuve, je suis d’avis que la preuve établit, selon la prépondérance des probabilités, que les MacNaughton étaient les acquéreurs des fournitures des produits du tabac vendues par LBL au cours des périodes visées et que, par conséquent, la vente des produits du tabac était exonérée de la TPS applicable, conformément à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Je suis d’avis que cela est déterminant pour toutes les questions soulevées dans le présent appel et que, plus précisément, les autres questions soulevées sont par conséquent devenues théoriques.
QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
[9] Il y avait plusieurs requêtes interlocutoires en l’espèce. J’en décrirai deux d’entre elles qui sont pertinentes en l’espèce. Le 25 septembre 2014, le juge Graham de notre Cour a rendu une ordonnance radiant la réponse de l’intimé dans son intégralité, avec autorisation de modification, au motif qu’elle ne révélait aucun moyen raisonnable de contestation de l’appel. L’intimé n’avait invoqué aucun fait dans la réponse, mais s’était appuyé uniquement sur des hypothèses de fait. Comme l’a fait remarquer le juge Graham dans une ordonnance ultérieure dans le présent appel, qui traitait d’une autre requête visant la radiation de passages de la nouvelle réponse, « [le] ministre ne peut pas se fonder sur de telles présomptions quand il établit une nouvelle cotisation qui s’applique à une période frappée de prescription »
[3].
Il n’y avait donc aucune hypothèse de fait dans la nouvelle réponse modifiée à deux reprises en vue de répondre à l’avis d’appel modifié dans la présente affaire.
[10] Le 14 septembre 2020, j’ai rendu une ordonnance au titre du paragraphe 135(2) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) exigeant que le déroulement de l’audition du présent appel soit modifié, à savoir que l’intimé présente sa preuve en premier. Cette ordonnance a été rendue en réponse à une requête présentée par l’appelante, au motif notamment qu’il incombe à l’intimé d’établir les faits qui justifiaient qu’il avait le droit d’établir une cotisation au-delà du délai imparti de quatre ans énoncé à l’alinéa 298(4)a) de la LTA, car toutes les périodes visées ayant fait l’objet d’une nouvelle cotisation par le ministre dans le présent appel étaient autrement frappées de prescription. Je note que le ministre doit aussi s’acquitter de son fardeau à l’égard des pénalités pour faute lourde qui ont été imposées en l’espèce. Je remarque par ailleurs que les circonstances dans le présent appel, qui ont conduit au prononcé de cette ordonnance, sont quelque peu particulières.
LA PREUVE
[11] Les parties ont convoqué collectivement les 15 témoins suivants lors de l’audition du présent appel :
Les témoins pour l’intimé :
-
a)Kim Horoky (Madellana), une ancienne employée de LBL;
-
b)Kim Krick, une ancienne employée de LBL;
-
c)David McDowell, un ancien employé de LBL;
-
d)Gino Vecia, un ancien employé de LBL;
-
e)John Gardner, un ancien président de LBL;
-
f)Otis Henry, un ancien employé de LBL;
-
g)Roberta MacNaughton, une femme d’affaires;
-
h)Max Seymour, un ancien employé de LBL;
-
i)Brian Blenkarn, un ancien employé de LBL;
-
j)Peter Sgarbossa, un ancien employé de LBL;
-
k)Kim McCulloch (Sadler), une ancienne employée de LBL;
-
l)John Sura, un ancien employé de la Brink’s Canada;
Les témoins pour l’appelante :
-
m)Peter Kerr, un employé de Sobeys;
-
n)William Brown, un employé de l’ARC;
-
o)James Gilbert, un ancien employé de l’ARC.
[12] Les parties n’ont pas déposé un exposé conjoint partiel des faits. Elles n’ont pas non plus présenté un recueil conjoint de documents. Les parties ont toutefois chacune produit des éléments de preuve documentaire qui sont résumés dans une liste conjointe de pièces qu’elles ont soumise[4].
[13] Les parties ont aussi consigné en preuve des extraits importants de l’interrogatoire préalable[5].
[14] Voici un résumé de la preuve présentée par les parties dans le présent appel.
(i) Faits invoqués par le ministre, selon la nouvelle réponse modifiée à deux reprises en vue de répondre à l’avis d’appel modifié
[15] Pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de LBL, le ministre a invoqué les faits suivants indiqués au paragraphe 12 de la nouvelle réponse modifiée à deux reprises en vue de répondre à l’avis d’appel modifié (la « réponse »
) :
[TRADUCTION]
-
a)l’appelante est une filiale en propriété exclusive de Sobeys Group Inc. (« Sobeys »);
-
b)l’appelante est une grossiste de produits alimentaires et de produits du tabac;
-
c)l’appelante est inscrite au registre de la TPS depuis le 1er janvier 1991 à titre de déclarante mensuelle;
-
d)au cours des périodes visées, l’appelante vendait des produits du tabac (les « produits du tabac ») à des personnes qui n’étaient pas des Indiens inscrits (les « clients »), en échange de paiements versés par les clients à l’appelante (les « opérations »);
-
e)l’appelante a enregistré un produit de 97 715 258 $ découlant des ventes des produits du tabac;
-
f)l’appelante n’a pas prélevé ou déclaré de TPS à percevoir à l’égard des opérations;
-
g)l’appelante a déclaré que des Indiens inscrits, à savoir Roberta MacNaughton et des membres de sa famille immédiate (les « MacNaughton »), achetaient les produits du tabac auprès de l’appelante qui les vendait aux clients (le « stratagème »);
-
h)Roberta MacNaughton est une Indienne inscrite aux termes de la Loi sur les Indiens;
-
i)Roberta MacNaughton réside dans le territoire de la bande des Six Nations of the Grand River (la « réserve »), qui est une réserve au sens de l’article 87 de la Loi sur les Indiens, et elle exploite dans cette réserve le magasin Grandview Variety (un commerce de détail);
[...]
-
m)les MacNaughton étaient rémunérés pour leur participation au stratagème au moyen de remises sur volume accordées à Roberta MacNaughton sur ses propres achats de produits auprès de l’appelante;
-
n)un code alphanumérique permettant l’identification de chaque client était utilisé;
-
o)les clients transmettaient par télécopieur à Roberta MacNaughton leurs commandes de produits du tabac en se servant du bon de commande ordinaire de l’appelante qu’elle retransmettait par télécopieur à l’appelante, sans y apporter de changements;
-
p)à quelques occasions uniquement, les clients passaient leurs commandes directement auprès de l’appelante;
-
q)pour chaque livraison, l’appelante emballait les produits du tabac dans le nombre de paquets correspondant aux commandes reçues, chaque paquet permettant d’identifier le client qui commandait les produits;
-
r)l’appelante établissait le même nombre de factures que le nombre de clients en cause pour une livraison;
-
s)les produits du tabac étaient transférés directement du véhicule de livraison de l’appelante aux véhicules des clients;
-
t)les transferts se déroulaient dans la réserve;
-
u)les transferts n’étaient effectués qu’une fois que l’appelante était convaincue qu’elle avait reçu un paiement en espèces des clients;
-
v)les clients faisaient directement affaire avec l’appelante s’il manquait des produits quelconques;
-
w)l’appelante recevait les produits à retourner directement des clients et leur remettait des notes de crédit;
-
x)le stratagème permettait à l’appelante d’augmenter son volume de ventes de produits du tabac et de recevoir de meilleures remises sur volume de la part de ses fournisseurs des produits du tabac (c.-à-d. les fabricants). Il permettait aussi à l’appelante de disposer de liquidités importantes pour financer ses opérations;
-
y)l’appelante participait sciemment au stratagème, dont le but était de donner faussement l’impression qu’un Indien inscrit participait aux opérations en tant que grossiste de produits du tabac, afin d’éviter de percevoir et de verser la TPS;
-
z)la TPS à percevoir par l’appelante à l’égard des opérations, si un Indien inscrit n’était pas l’acquéreur des produits du tabac, s’élève à 6 840 068,03 $ (c.-à-d. 97 715 258 $ x 7 %).
[16] Comme je le mentionne plus haut, ces faits ont été invoqués par le ministre pour établir une nouvelle cotisation à l’égard de LBL, mais ils ne constituent pas des hypothèses de fait et ils ne pouvaient pas être invoqués par le ministre lors de l’audition du présent appel de la même manière que des hypothèses de fait. Ils permettent en revanche de mieux comprendre le fondement sur lequel le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de LBL.
(ii) Témoignage de Kim Horoky
[17] L’intimé a appelé Kim Horoky comme témoin. Elle était auparavant connue sous le nom de Kim Madellana. Elle était une employée de Lumsden qui exerçait différentes tâches, dont la gestion des comptes débiteurs, et elle s’occupait du compte Grandview de Lumsden. Elle travaille actuellement en tant que comptable à temps partiel. Elle a un diplôme d’études secondaires et n’a pas fait d’études postsecondaires.
[18] Mme Horoky a répondu de manière franche et directe, et elle m’a semblé être un témoin crédible.
[19] Mme Horoky a commencé à travailler au service de la comptabilité chez Lumsden vers 1995. Elle s’est au départ occupée des comptes créditeurs à temps partiel, puis elle est devenue une employée à temps plein responsable des comptes débiteurs chez Lumsden vers 1996. Elle a plus tard été chargée de gérer les stocks dans l’entrepôt de Lumsden. Mme Horoky a quitté Lumsden le 15 avril 2011, date à laquelle l’entreprise a cessé ses activités. Elle a travaillé au 79, chemin Easton, sur le site de Lumsden à Brampton.
[20] Mme Horoky comptait l’argent pour Lumsden, d’abord dans ses bureaux, puis à Grandview, dans la réserve, en 1999. On lui a demandé de compter les espèces dans la réserve et Gino Vecia l’a informée que si elle n’effectuait pas cette tâche, Lumsden perdrait le compte Grandview et 28 employés seraient sans emploi. Elle pense que Gino Vecia était directeur des ventes à l’époque.
[21] Lorsqu’elle travaillait pour Lumsden à Grandview, elle se levait à 3 h 45 et se rendait au bureau de Lumsden pour récupérer des documents, puis elle voyageait jusqu’à Grandview, dans la réserve, et s’arrêtait souvent chez Tim Horton’s à chacune de ces étapes du parcours pour prendre un café. Elle arrivait à la réserve à 5 h et pénétrait dans l’établissement de Grandview où elle était accueillie par Roberta MacNaughton ou Terri Squire. Elle travaillait dans l’une des deux grandes salles à aire ouverte. Elle apportait ses propres fournitures et les documents de Lumsden qui contenaient une analyse des clients de Grandview qui venaient au magasin. L’argent tombait dans quelque chose semblable à un coffre bancaire de nuit qui se trouvait dans la salle. L’argent était emballé sous vide dans des sacs. Elle récupérait et comptait les espèces à l’aide d’un compteur de billets, remplissait un bordereau de dépôt et mettait l’argent dans des sacs de la Brink’s, qu’elle plaçait dans le coffre-fort de Grandview et elle effectuait les rapprochements avec les documents de Lumsden. Elle était seule lorsqu’elle mettait l’argent dans les sacs de la Brink’s. La salle était équipée d’un écran de télévision en circuit fermé. Le plus souvent, elle savait qu’un client arrivait lorsque l’argent qui tombait dans la salle produisait un bruit sourd, mais l’écran de télévision en circuit fermé pouvait aussi l’alerter.
[22] Le plus souvent, elle quittait Grandview au plus tard à 9 h pour retourner au bureau de Lumsden où elle travaillait jusqu’à environ midi ou 13 h. Elle ne discutait pas avec les clients qui déposaient l’argent chez Grandview. Elle faisait correspondre le sac d’argent à la commande en se fondant sur les lettres d’identification du client inscrites sur le sac d’argent et sur le document.
[23] Une fois l’argent reçu et les rapprochements avec les documents de Lumsden correspondants effectués, elle communiquait par téléphone avec le chauffeur de camion pour lui demander de débloquer les produits du tabac et de les livrer au client correspondant de Grandview.
[24] Mme Horoky a aussi indiqué dans son témoignage direct ce qui suit :
-
a)elle a commencé à compter les espèces dans la réserve chez Grandview en juillet ou en août 1999, et a continué jusqu’en février ou mars 2000;
-
b)Lumsden employait un agent de sécurité chez Grandview;
-
c)les factures adressées à Nickel and Dime no 3 sur lesquelles était inscrit le numéro de client 2662 ou 12662 correspondaient à Grandview et aux cigares;
-
d)le numéro de compte 12528 de Lumsden correspondait à Grandview aussi et à des produits de la cigarette;
-
e)vers juillet 1999, Lumsden a changé de systèmes comptables;
-
f)le numéro à caractères alphanumériques inscrit sur les factures de Lumsden faisait référence aux clients de produits du tabac de Grandview et était attribué en fonction des instructions reçues de Grandview;
-
g)Gino Vecia était le vendeur responsable du compte Grandview;
-
h)elle ne débloquait pas les produits du tabac pour les livrer aux clients de Grandview sans recevoir l’argent et effectuer le rapprochement de l’argent reçu avec un bon de commande ou une facture d’achat;
-
i)la raison pour laquelle elle a commencé à compter les espèces chez Grandview était que cela avait cessé d’être effectué dans le bâtiment de Lumsden, que la mère de Roberta MacNaughton était malade et que Roberta MacNaughton avait besoin d’aide pour servir les clients de Grandview;
-
j)si Roberta MacNaughton avait un problème, elle appelait Mme Horoky ou Gino Vecia;
-
k)Zelda MacNaughton était la sœur de Roberta MacNaughton et était aussi une cliente de Lumsden;
-
l)Anne MacNaughton était la mère de Roberta MacNaughton;
-
m)à l’époque, Grandview était le plus gros compte de Lumsden en matière de vente de tabac;
-
n)elle ne se rappelle plus pourquoi Lumsden a cessé de vendre à Grandview et elle n’a aucun souvenir d’incidents de sécurité;
-
o)les demandes de crédit pouvaient signifier qu’une facture était annulée ou que des erreurs, comme la livraison incomplète de tabac (en raison d’une pénurie), étaient corrigées. Elles étaient effectuées à la demande de Grandview et communiquées par Roberta MacNaughton ou rédigées par Kim Horoky lorsqu’elle était chez Grandview. Elle ramenait souvent les formulaires au bureau de Lumsden pour les traiter.
[25] Au cours de son contre-interrogatoire, Kim Horoky a déclaré ce qui suit :
-
a)elle ne traitait pas les commandes pour Grandview lorsqu’elle travaillait chez Lumsden;
-
b)Grandview était le client de Lumsden et possédait trois comptes chez Lumsden. Le numéro de compte 12528 correspondait aux cigarettes à bande jaune, le numéro de compte 12662 était attribué aux cigares et au tabac en vrac et le numéro de compte 12539 était pour le dépanneur Grandview;
-
c)elle a travaillé dans le domaine bancaire pendant 25 ans avant de commencer à travailler chez Lumsden. Elle a commencé comme caissière en 1976 et elle était aussi chargée du contrôle quotidien des dépôts. Elle a cessé de travailler à temps plein pour la banque lorsque son poste a été muté à Toronto. Elle a ensuite continué à travailler à temps partiel pendant cinq années supplémentaires à la banque où elle assurait l’entretien des guichets automatiques bancaires en les approvisionnant en argent ou en papier, selon le besoin;
-
d)Lumsden était une société de taille moyenne qui vendait des produits à un grand nombre de clients, parmi lesquels Petro-Canada, les stations d’essence Pioneer, les magasins Foodland, Sobeys, Cash and Carry, Quickway, Cottage Country et un grand nombre de dépanneurs;
-
e)Lumsden acceptait les paiements en espèces ou par chèque, mais pas par carte de crédit. Elle travaillait au 79, chemin Easton, à Brantford. En général, ce n’était pas l’endroit où les clients payaient leurs factures. Habituellement, ils envoyaient leurs chèques par la poste ou ils les confiaient aux chauffeurs de camion;
-
f)Lumsden était ouverte 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Les commandes étaient généralement passées le matin, car les clients voulaient recevoir la livraison tôt le jour suivant, avant l’ouverture des magasins. Les camions de livraison étaient chargés la nuit et la livraison avait lieu tôt le matin suivant, avant l’ouverture des magasins. Une fois que les camions quittaient l’entrepôt tôt le matin pour livrer, des livraisons de produits arrivaient;
-
g)le local sous douane de Lumsden était une installation sécurisée à l’intérieur de l’entrepôt de Lumsden où étaient stockés les articles de valeur, comme le tabac, les médicaments et les confiseries. Kim Horoky a plus tard travaillé dans l’entrepôt. Lorsqu’une commande de marchandises entreposées dans le local sous douane était reçue, elle prenait une liste de sélection et un chariot et plaçait les articles demandés dans le chariot. Souvent, une deuxième personne vérifiait la commande avant de l’envoyer aux fins d’emballage et de conditionnement sous pellicule rétractable. Lumsden ramassait et emballait les commandes de Roberta MacNaughton de la même manière qu’elle le faisait avec tous ses autres clients;
-
h)elle a rencontré Roberta (Bobbi) MacNaughton et Terri Squire après avoir lancé son entreprise appelée Grandview Variety dans la réserve. Elles venaient chez Lumsden tous les jours pour effectuer des paiements en espèces. À l’époque, elles devaient payer dans les 24 heures suivant la livraison. La somme payée en espèces excédait souvent 100 000 $ par jour. Elle comptait les espèces à l’aide d’un compteur de billets électrique. Bobbi et Terri attendaient dans la salle pendant qu’elle comptait. Elle n’était pas certaine, mais elles recevaient probablement une sorte de reçu ou une inscription sur leurs factures précisait qu’elles avaient payé. Les paiements étaient portés aux comptes Grandview le même jour;
-
i)les employés chez Lumsden s’inquiétaient du fait qu’autant d’espèces arrivaient chaque jour dans le bureau, car cela posait un risque en matière de sécurité. Finalement, Bobbi et Terri ont arrêté d’apporter des espèces au bureau de Lumsden et d’autres dispositions ont été prises. Au départ, Roberta MacNaughton remettait à la Brink’s un versement en espèces. Grandview recevait de ses clients les espèces qui étaient placées dans des sacs d’argent de la Brink’s, des bordereaux de dépôt étaient remplis et également mis dans ces sacs qui étaient ensuite placés dans un coffre-fort de dépôt provisoire chez Grandview. Lorsque le camion de la Brink’s arrivait, Bobbi, puis le chauffeur, signaient un formulaire, et Bobbi l’envoyait ensuite par télécopieur à Lumsden pour montrer la somme qui avait été remise par l’intermédiaire de la Brink’s. Roberta MacNaughton remettait à Lumsden des paiements nets de toutes les remises et de toutes les notes de crédit qui lui étaient dues par Lumsden. Elle ignorait si Roberta MacNaughton donnait des crédits à ses clients;
-
j)plus tard, on lui a demandé de travailler à Grandview pour que Roberta MacNaughton bénéficie de l’aide de Lumsden. Avant d’aller à Grandview chaque matin, elle rendait au bureau chez Lumsden pour ramasser un document dans une enveloppe qui ressemblait à une feuille de calcul sur laquelle était indiqué le total des sommes qu’elle devait recueillir de Grandview. Lorsqu’elle arrivait chez Grandview, elle sonnait à la porte et Roberta MacNaughton, TerriSquire ou Eleanor Johnson la laissait entrer. La porte de Grandview était verrouillée et elle entrait dans un bureau situé à l’arrière du magasin. Le bureau était fermé à clé. Un coffre de nuit encastré sur le côté du magasin, dans lequel les clients déposaient leurs espèces en les introduisant dans la fente, s’y trouvait. Il y avait aussi un coffre-fort de dépôt provisoire dans la salle qui ressemblait à une boîte aux lettres. Les sacs d’argent étaient déposés dans le compartiment supérieur et tombaient dans le compartiment inférieur, qui était inaccessible;
-
k)une fois l’argent déposé dans le coffre de nuit, elle ouvrait les sacs d’argent, comptait l’argent et prenait la quantité d’argent dû à Lumsden et la plaçait dans un sac de la Brink’s. L’argent supplémentaire n’était pas compté et était laissé dans un tiroir pour Roberta MacNaughton. En cas de pénurie, elle avisait Roberta MacNaughton ou Terri Squire et Grandview remédiait au problème;
-
l)Roberta MacNaughton et Terri Squire étaient des personnes sympathiques qui géraient les affaires de Grandview de façon concertée. Roberta MacNaughton était aussi exigeante et voulait que Lumsden offre un service hors pair. En cas de problèmes liés aux commandes de tabac, elle avisait immédiatement Kim Horoky;
-
m)chez Grandview, elle préparait des bordereaux de dépôt, déposait l’argent dans les sacs de la Brink’s et plaçait deux copies des bordereaux de dépôt dans chaque sac. Elle consignait également le numéro de série du sac dans le registre de la Brink’s qui restait dans le bureau de Grandview. Elle n’était pas présente lorsque la Brink’s venait récupérer l’argent. Parfois, Roberta MacNaughton effectuait d’autres dépôts en espèces dans le coffre-fort de dépôt provisoire. Si des fonds en espèces supplémentaires étaient reçus, ils étaient crédités à Grandview;
-
n)elle n’avait pas accès à l’argent déposé dans le coffre-fort de dépôt provisoire;
-
o)son travail consistait à récupérer l’argent versé provenant de Grandview. Elle n’avait aucune interaction avec les clients de Grandview, sauf lorsqu’ils déposaient les sacs d’argent dans l’arrière-boutique de Grandview. Une fois le versement reçu, elle demandait au chauffeur du camion de livraison de débloquer les produits du tabac et de les livrer à Grandview.
[26] Dans l’ensemble, je suis d’avis que Kim Horoky expliquait toujours que Grandview achetait auprès de Lumsden et que les clients étaient ceux de Grandview. Elle a aussi déclaré que Lumsden envoyait ses factures à Roberta MacNaughton (qui exploitait un magasin sous le nom de Grandview ou de Nickel and Dime) et qu’elle était chargée de payer les factures de Lumsden pour les produits du tabac.
(iii) Témoignage de Kim Krick
[27] L’intimé a appelé Kim Krick à témoigner lors de l’audition du présent appel. Cette dernière est actuellement agente financière. Elle était responsable des comptes débiteurs chez Lumsden au 79, chemin Easton, notamment au cours des années 1999 et 2000. Elle avait auparavant travaillé à la Banque TD pendant près de onze ans et chez BJ Game, qui était une société exploitant des casinos. Mme Krick a répondu de manière franche et directe, et elle m’a semblé être un témoin crédible.
[28] Lorsque Mme Krick était responsable des comptes débiteurs chez Lumsden, ses tâches consistaient notamment à s’occuper des comptes du grand livre, ainsi que du recouvrement des sommes dues. Elle gérait près de 400 comptes. D’autres commis aux comptes débiteurs géraient aussi d’autres comptes. Mme Krick est plus tard devenue directrice adjointe du crédit et à l’occasion directrice intérimaire du crédit, en 1999 et 2000. Ses responsabilités comprenaient l’ouverture de nouveaux comptes et la négociation des questions avec les clients de Lumsden. Son poste n’a pas été renouvelé lorsque Lumsden a fermé l’emplacement où elle travaillait et que son poste a été muté à Toronto. Elle est restée cinq mois supplémentaires à un poste de marchandisage. Elle a quitté Lumsden après y avoir travaillé pendant près de onze ans.
[29] Mme Krick a un diplôme d’études secondaires et a suivi des cours postsecondaires en fréquentant une université, mais elle n’a aucun diplôme d’études postsecondaires.
[30] Mme Krick a déclaré que Grandview avait trois comptes principaux chez Lumsden qui étaient le 12528, le 12662 et le 12364. Le compte 12528 était consacré aux cigarettes, le compte 12662 se rapportait aux cigares et à d’autres produits spécialisés du tabac et le compte 12364 était le compte des produits d’épicerie de Grandview. Elle ignorait quels comptes concernaient les autres membres de la famille MacNaughton.
[31] Mme Krick a déclaré qu’elle se rendait au bureau de Lumsden vers 7 h ou 8 h chaque jour. Elle ouvrait le courrier et elle allouait les chèques ou d’autres versements reçus aux comptes, puis elle les envoyait à un commis qui saisissait leur montant dans les comptes correspondants. Elle générait aussi un rapport à partir d’un système pour déterminer les comptes qui étaient en souffrance et depuis combien de jours ils l’étaient. Elle gérait des centaines de comptes. Elle effectuait des appels de recouvrement et rapprochait les comptes avec les paiements reçus. Elle négociait aussi avec les clients concernant les écarts ou les modalités de paiement. En général, les comptes avaient des modalités de paiement établies, un délai de 7, de 14 ou de 21 jours étant courant. Ce délai était fixé par la directrice du crédit.
[32] Mme Krick a en outre déclaré que Lumsden vendait aux clients des produits d’épicerie et des cigarettes. Les clients passaient leurs commandes par téléphone ou télécopieur auprès du service à la clientèle. Le service à la clientèle était composé d’environ huit à dix employés. Les commandes étaient saisies dans le système, ce qui générait une liste de sélection et une facture qui servait aussi de bordereau d’expédition. Un employé récupérait ensuite les commandes dans l’entrepôt et les emballait sous pellicule rétractable sur une palette, avec la facture et le bordereau d’expédition. La facture était visible par les clients lors de la livraison.
[33] Mme Krick a déclaré ce qui suit :
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a)certains clients de Lumsden avaient des comptes contre remboursement (CR) ou certains payaient par chèque à la livraison, après vérification de la solvabilité. Les nouveaux clients remplissaient une demande de crédit et, une fois cette demande traitée, on les informait des modalités de paiement;
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b)les comptes Grandview comprenaient les produits d’épicerie, les cigarettes et les produits spécialisés du tabac. De 1999 à 2000, les comptes Grandview étaient généralement CR – paiement en espèces avant livraison. Elle n’est pas sûre de savoir pourquoi ces modalités s’appliquaient à ces comptes, car elles existaient avant qu’elle commence à gérer les comptes se rapportant à Grandview chez Lumsden;
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c)il y avait différentes procédures pour percevoir l’argent chez Grandview à différentes périodes. À un moment donné, une personne chez Lumsden visitait Grandview pour aider à compter et traiter les paiements en espèces. Elle n’était toutefois pas certaine de connaître la procédure;
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d)elle a participé à la procédure lorsque le bâtiment de Lumsden avait une boîte de dépôt et elle a participé au comptage des espèces à cette époque. Bobbi ou Terri déposait un sac d’argent dans une boîte ou un coffre-fort de dépôt provisoire chez Lumsden et elle vérifiait la somme reçue en espèces, puis elle communiquait avec la Brink’s pour qu’un camion vienne récupérer l’argent. Cette procédure était propre au compte Grandview. Elle remplissait aussi des bordereaux de dépôt et un formulaire de la Brink’s pour chaque bordereau de dépôt en espèces. Une fois les fonds déposés, elle vérifiait le dépôt et donnait l’instruction à un agent aux comptes débiteurs de mettre à jour le compte Grandview. Pendant un certain temps, cet agent a été Kim Madellana;
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e)d’autres petits clients effectuaient aussi parfois des paiements en espèces que les chauffeurs récupéraient et ramenaient au bureau de Lumsden;
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f)en raison des préoccupations en matière de sécurité du fait des dépôts de sommes en espèces importantes chez Lumsden par Grandview, ce processus n’a pas duré longtemps. Grandview déposait souvent chez Lumsden de très grandes sommes en espèces, mais elle ignorait si cela se produisait quotidiennement. Les sommes en espèces pouvaient aller jusqu’à 400 000 $ ou 500 000 $. Kim Madellana aidait aussi à compter les espèces chez Lumsden;
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g)si les sommes en espèces que Grandview versait n’étaient pas suffisantes, elle communiquait avec le magasin pour combler l’insuffisance de fonds. Parfois, les remises permettaient de rapprocher l’écart;
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h)Lumsden vendait du tabac à d’autres comptes dans la réserve, mais elle ne s’en chargeait pas;
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i)plus tard, les espèces étaient récupérées chez Grandview, car il n’était pas sécuritaire que Lumsden ait en sa possession ces grandes sommes en espèces. Par conséquent, la procédure a été modifiée afin que la Brink’s récupère les espèces chez Grandview. Grandview enliassait l’argent en espèces et la Brink’s venait le ramasser, vérifiait la somme et apposait sa signature. Elle pensait qu’une employée de Lumsden (Kim) a participé à la procédure chez Grandview pendant un certain temps, mais elle n’était pas certaine de savoir ce que Kim faisait chez Grandview;
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j)Lumsden saisissait dans son système les commandes de Grandview et les emballait en suivant les instructions reçues de Grandview. C’est ce qu’elle faisait pour d’autres clients également;
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k)elle s’est souvenue d’un camion de livraison de Lumsden qui a été attaqué et dont les chauffeurs avaient été ligotés à l’arrière du camion, mais elle ignorait les autres détails;
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l)il n’était pas inhabituel pour Lumsden de recevoir de Grandview des chèques ou des traites bancaires;
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m)le paiement CR s’appliquait aux comptes Grandview importants que gérait Lumsden (2528 et 2662). Le paiement net dans sept jours s’appliquait au compte moins important correspondant aux produits d’épicerie, mais elle n’en était pas certaine. Elle ne savait pas avec certitude où Grandview vendait ses produits du tabac;
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n)le magasin Grandview était exploité sous les noms de
« Grandview Variety »
et aussi de« Nickel and Dime »
; -
o)avant d’accepter une société ou une personne en tant que cliente, Lumsden recueillait des renseignements sur la société ou la personne et effectuait une vérification bancaire ou de solvabilité à son sujet. Lumsden ne traitait qu’avec les personnes autorisées par le client à gérer chaque compte précis, et ne recevait les commandes que de ces personnes;
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p)en cas de problèmes avec le compte Grandview, elle traitait principalement avec Bobbi (Roberta MacNaughton), mais parfois, elle traitait aussi avec Terri Squire. Dans le profil client de Grandview, dans le système comptable de Lumsden, Bobbi (Roberta MacNaughton) était la personne-ressource pour tous les comptes Grandview. En raison du traitement différé des demandes de crédit et des remises que Roberta MacNaughton présentait parfois en amont, le solde du compte Grandview n’était pas toujours nul, de sorte qu’il pouvait rester de temps à autre un solde dû;
-
q)les comptes plus petits se rattachant à Grandview étaient aussi souvent payés en espèces;
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r)seules Bobbi (Roberta MacNaughton) ou Terri Squire chez Grandview pouvaient passer les commandes à l’aide des comptes se rapportant à Grandview chez Lumsden.
[34] Dans l’ensemble, je suis d’avis que Mme Krick a qualifié de manière constante Grandview de cliente de Lumsden et que lorsqu’il s’agissait de questions liées aux comptes Grandview, elle ne traitait qu’avec Roberta MacNaughton et Terri Squire.
(iv) Témoignage de David McDowell
[35] L’intimé a appelé David McDowell à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. McDowell a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé et des aléas de l’âge, le souvenir qu’il avait de certains faits et événements, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement lointain ou il avait des trous de mémoire.
[36] M. McDowell a déclaré qu’il était chauffeur de camion maintenant à la retraite. Il a travaillé chez Lumsden au 79, chemin Easton en tant que chauffeur de camion pendant près de 20 ans, de septembre 1986 jusqu’en 2005, environ. Il a ensuite continué à travailler pour Lumsden dans son entrepôt jusque vers 2011. Il a livré des marchandises chez Grandview Variety pour Lumsden en tant que chauffeur de camion en 1999 et jusqu’en 2000.
[37] M. McDowell a déclaré que lorsqu’il faisait la livraison dans la réserve, il commençait vers 2 h 30 ou 3 h. Il faisait la livraison aussi chez d’autres clients dans toute la province de l’Ontario pour Lumsden. Une fois arrivé à l’entrepôt, il signalait sa présence, vérifiait le camion, vérifiait la cargaison pour s’assurer qu’elle était exacte, puis il la chargeait dans le camion. Pour Grandview, les cargaisons étaient emballées par les clients de Grandview et placées sur des palettes distinctes (correspondant à chacun des clients de Roberta MacNaughton). Il ne se souvenait pas d’un grand nombre de détails au sujet des documents nécessaires lors des ventes.
[38] M. McDowell a ensuite déclaré ce qui suit :
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a)il n’était pas certain de savoir ce que Kim Madellana faisait chez Grandview;
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b)chez Grandview, il empruntait un chemin ou une voie proche de la maison de Roberta MacNaughton, près du magasin. Il ouvrait le camion et livrait des caisses aux chauffeurs des fourgonnettes qui venaient ramasser le produit une fois qu’on lui avait indiqué de débloquer les produits du tabac. Il ne savait pas qui étaient les chauffeurs des fourgonnettes. Ils conduisaient des fourgonnettes commerciales, comme une de la marque Ford. Son assistant recevait un appel d’une personne lui indiquant de débloquer le produit et de le livrer aux chauffeurs de fourgonnettes. Il ne savait pas si la personne qui effectuait l’appel était Roberta MacNaughton ou Kim Madellana et il ignorait ce qui était dit à l’assistant;
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c)il s’agissait habituellement des mêmes cinq ou six chauffeurs de fourgonnettes. Parfois, Roberta MacNaughton et Terri Squire étaient présentes, mais elles étaient toujours à proximité. Les chauffeurs utilisaient parfois les toilettes situées à l’arrière du magasin Grandview;
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d)parmi les chauffeurs de fourgonnettes, l’un était Coréen, un autre était Chinois; il y avait une femme et un Arabe. M. McDowell, son assistant et les chauffeurs de fourgonnettes comptaient les produits au moment de leur chargement dans les fourgonnettes. Parfois, le chauffeur d’une fourgonnette notait si la quantité de produits livrés était insuffisante. Tous les problèmes étaient traités par Roberta MacNaughton et l’entrepôt. M. McDowell a déclaré qu’en cas de quantité insuffisante de produits livrés, il ne faisait que signer un document;
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e)après que Grandview avait reçu la livraison, M. McDowell et l’assistant entraient dans le magasin et Roberta MacNaughton signait un document;
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f)par la suite, une grange a été construite à l’endroit où les livraisons de tabac étaient effectuées chez Grandview;
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g)un camion chez Lumsden a été attaqué. Il était absent à l’époque. Jim, un autre chauffeur, maintenant décédé, lui a raconté les détails;
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h)lorsqu’il effectuait des livraisons pour d’autres clients, il ne traitait pas avec les propriétaires de ces entreprises. Il faisait affaire avec les personnes à la porte de réception et il ignorait qui elles étaient. Chez Grandview, Roberta MacNaughton ou Terri Squire signait pour la réception de chaque caisse. Il ne pouvait pas se rappeler si les chauffeurs de fourgonnettes signaient;
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i)il livrait aussi aux centres commerciaux de Middleport et de Sour Springs lorsqu’il effectuait des livraisons pour Grandview Variety dans la réserve;
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j)il ne participait pas aux négociations du contrat d’achat et de vente du tabac livré à Grandview;
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k)il laissait les produits du tabac dans la grange de Grandview si un chauffeur de fourgonnette ne venait pas les ramasser.
(v) Témoignage de Gino Vecia
[39] L’intimé a appelé Gino Vecia à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Vecia a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains faits et événements, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement lointain ou il avait des trous de mémoire.
[40] M. Vecia a déclaré qu’il était maintenant vice-président des ventes chez Hasty Market Corp. M. Vecia a indiqué avoir commencé à travailler pour Lumsden vers avril 1980 et l’avoir quittée lors d’une restructuration de la société en décembre 2017. M. Vecia a témoigné qu’il a commencé à travailler dans la région de Hamilton à titre de représentant commercial pour Lumsden et qu’il servait près de 80 clients. En 1986, il a été promu au poste de gestionnaire des comptes clés et il gérait 300 comptes environ. En 1990, il a été promu au poste de directeur des ventes chez Lumsden. À ce poste, huit représentants commerciaux relevaient de lui. Il était responsable de toutes les ventes indépendantes, ce qui excluait celles de Foodland.
[41] En 1996, M. Vecia a été promu au poste de directeur commercial chez Lumsden. Il était responsable de l’aspect financier de toutes les ventes indépendantes, ce qui comprenait près de 700 clients. Il a été directeur commercial jusqu’en 2017, lorsqu’il est devenu directeur de l’expansion des affaires. Cependant, en décembre 2017, il a reçu une offre d’indemnité de départ pour quitter Lumsden dans le contexte d’une restructuration de la société.
[42] M. Vecia a déclaré que Lumsden offrait une aide financière à un client si ce dernier s’engageait à acheter ses produits chez Lumsden pendant une période prolongée.
[43] M. Vecia a indiqué que le compte Grandview avec Roberta MacNaughton a été créé vers 1995. Il n’a examiné aucun des documents à cette époque. Il a déclaré que Max Seymour étudiait tous les détails concernant les ventes hors taxes effectuées dans une réserve. Il a précisé que Grandview n’avait pas conclu un contrat à long terme et qu’elle pouvait en tout temps quitter Lumsden. Le compte Grandview était CR du fait de son importance. M. Vecia a déclaré que Roberta MacNaughton avait auparavant fait affaire avec quelques autres grossistes, dont Murphy’s, un grossiste concurrent. Cependant, elle a accepté de traiter avec Lumsden, car celle-ci lui promettait un meilleur service. Elle a commencé par de petits volumes, qui ont augmenté au fil du temps. Au début, M. Vecia récupérait les espèces pour les ventes chez Grandview avant la livraison. M. Vecia a indiqué qu’il y avait eu un vol dans le magasin de Grandview, entraînant ainsi un problème de dette. Le magasin a accepté de rembourser Lumsden au fil du temps, par l’intermédiaire de ventes de produits. M. Vecia a précisé que le recouvrement des fonds a changé une première fois, lorsque la mère de Roberta MacNaughton est tombée malade, puis une nouvelle fois, à sa mort. M. Vecia a déclaré qu’il y avait aussi une période où Roberta MacNaughton amenait les paiements en espèces au bureau de Lumsden.
[44] M. Vecia a déclaré qu’il s’est renseigné et qu’on l’a informé que toutes les règles pertinentes concernant les ventes de produits livrés dans la réserve étaient respectées. Il a en outre mentionné que le compte Grandview est finalement devenu un compte Quickway et qu’on lui a accordé un délai de sept jours comme modalité de paiement.
[45] M. Vecia a déclaré que Lumsden utilisait aussi des codes numériques pour d’autres clients, comme Avondale qui avait plus de 100 comptes séparés. Lumsden séparait les commandes d’Avondale en fonction du magasin, mais toutes les commandes étaient expédiées à un emplacement et Avondale distribuait les produits à chacun de ses emplacements. M. Vecia a indiqué que Lumsden avait d’autres clients qui avaient plusieurs comptes, surtout depuis que Lumsden avait fait l’acquisition de deux autres grossistes.
[46] M. Vecia a déclaré que Roberta MacNaughton envoyait des bons de commande, sur lesquels figuraient des codes alphanumériques, et que Lumsden ramassait et emballait les produits et envoyait les factures en conséquence. Lumsden procédait de cette façon, car c’est ce que Roberta MacNaughton exigeait. M. Vecia a précisé qu’il ne passait pas en revue les formulaires de commande de Grandview, étant donné que le service à la clientèle s’en occupait. M. Vecia a mentionné que Roberta MacNaughton établissait le prix auquel elle vendait les produits du tabac à ses clients. Il a aussi déclaré qu’il ne connaissait aucun de ses clients. Il a déclaré qu’il faisait affaire avec Roberta MacNaughton, comme avec tout autre client, et que celle-ci était chargée de payer tous ses comptes.
[47] M. Vecia a aussi déclaré ce qui suit :
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a)Lumsden a acheté Allind vers février 1999. Allind exploitait Harper’s Wholesale, une entreprise en gros. Lumsden a aussi acheté d’autres grossistes qui ont tous été fermés, puis regroupés au sein de Lumsden;
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b)les stations d’essence Pioneer achetaient des produits qui étaient livrés à chaque magasin, mais toutes les remises sur volume étaient accordées au siège social;
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c)Lumsden offrait fréquemment de l’aide, souvent sous la forme d’un financement, aux bons clients, afin de les aider à améliorer leurs affaires;
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d)Roberta MacNaughton a quitté certains des autres grossistes pour se tourner vers Lumsden, en raison du service de qualité supérieure que celle-ci offrait;
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e)ayant conclu un accord avec Roberta MacNaughton, Lumsden a refusé d’accepter certains autres comptes autochtones dans la réserve;
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f)il savait qu’aucune TPS/TVH ne s’appliquait aux ventes de Lumsden à Roberta MacNaughton (Grandview) et aux autres membres de sa famille, étant donné qu’elle vendait à une personne autochtone dans la réserve. Il s’était fié à de plus hauts responsables et aux avocats de Lumsden pour confirmer cela;
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g)il n’avait pas accès au coffre-fort de dépôt provisoire chez Grandview. Seule Roberta MacNaughton y avait accès;
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h)en cas de problème de paiement des comptes chez Lumsden par les membres de la famille de Roberta MacNaughton, il en parlait avec cette dernière, qui payait pour eux;
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i)Sobeys a acheté le groupe Oshawa (IGA) en 1998. À l’époque, le groupe Oshawa était le 3e ou le 4e plus gros épicier au Canada, Sobeys occupant la 8e ou la 9e place. Ce fut une opération de grande envergure;
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j)un vol à main armée s’est produit dans le magasin Grandview en 1996. En conséquence, Roberta MacNaughton devait à Lumsden 320 000 $. Après avoir négocié avec Roberta MacNaughton et ses avocats, qui menaçaient de poursuivre Lumsden en justice si elle refusait de continuer à vendre à RobertaMacNaughton, celle-ci a accepté de rembourser Lumsden sur une certaine période en effectuant des achats. Max Seymour et d’autres plus hauts placés par rapport à M. Vecia ont participé aux négociations;
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k)en cas de problème avec l’un des MacNaughton, il communiquait avec Roberta MacNaughton, qui le réglait. M. Vecia a déclaré que Lumsden n’exerçait aucun contrôle sur le choix des acheteurs de tabac de Grandview, sur le prix auquel le magasin vendait son tabac ou sur ce qu’il advenait des remises sur volume qu’il obtenait;
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l)les MacNaughton n’ont jamais indiqué qu’ils achetaient des produits du tabac pour le compte d’autres personnes et ils n’avaient pas le pouvoir de négocier des contrats concernant la vente de produits du tabac pour le compte de Lumsden.
[48] Dans l’ensemble, je suis d’avis que Gino Vecia a qualifié de manière constante Grandview de cliente de Lumsden et que lorsqu’il s’agissait de questions liées aux comptes Grandview, il ne traitait qu’avec Roberta MacNaughton et Terri Squire.
(vi) Témoignage de John Gardner
[49] L’intimé a appelé John Gardner à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Gardner a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains faits, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement lointain ou il avait des trous de mémoire.
[50] M. Gardner a précisé qu’il est actuellement dirigeant d’une société. M. Gardner a indiqué qu’il a commencé chez Sobeys en 1986 en tant que vice-président de TRA Newfoundland. Il a ensuite été président de TRA Newfoundland, de 1989 à 1999, lorsqu’il est devenu président de Sobeys, qui appartenait à Lumsden. M. Gardner a déclaré avoir participé à l’achat du groupe Oshawa par Sobeys, ainsi qu’à l’intégration en Ontario, chez Lumsden, des activités d’Allind, avant même qu’il ne soit muté chez Lumsden. Dans le cadre des activités de grossiste de Sobeys, il participait aussi régulièrement à des réunions portant sur différentes filiales exerçant le commerce de gros de Sobeys, notamment TRA Newfoundland, TRA Maritimes et Lumsden.
[51] M. Gardner a aussi déclaré ce qui suit :
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a)il a été employé de Lumsden, de février 1999 à février 2001, et président de Lumsden pendant cette période. Il a indiqué qu’à titre de président de Lumsden, il ne participait pas aux opérations quotidiennes relatives au compte Grandview;
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b)souvent, les clients exigeaient que les commandes soient séparées et qu’elles puissent, par exemple, être ventilées par service. Même les petits magasins pouvaient exiger que les commandes soient ventilées et facturées séparément, afin d’exercer des contrôles rigoureux des stocks sur des produits ayant une valeur plus élevée comme le tabac;
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c)il a rencontré Roberta MacNaughton trois ou quatre fois. Les deux premières fois, il s’agissait de rencontres sociales visant à développer les affaires. La troisième rencontre survenue le 20 janvier 2000 avait pour but de l’informer que Lumsden avait décidé d’arrêter de vendre d’importantes quantités de tabac à Grandview pour des raisons de sécurité. Lumsden a cessé de vendre d’importantes quantités de tabac à Grandview le 4 février 2000;
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d)la Brink’s travaillait à titre contractuel auprès de Lumsden et de Sobeys pour ramasser les dépôts en espèces, notamment chez Grandview. Elle ramassait aussi les espèces à d’autres emplacements pour Lumsden;
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e)Lumsden ne percevait pas la TPS sur les ventes à Grandview, car elle vendait à une Autochtone dans une réserve. Il a déclaré que chaque année, Lumsden préparait par écrit des demandes de renseignements auprès de l’ARC et de ses propres avocats pour confirmer qu’aucune TPS ne devait être perçue;
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f)les trois grossistes de Sobeys relevaient de Darrel Rushton et se rencontraient régulièrement, souvent chaque semaine. Il était présent à titre d’invité aux réunions du conseil d’administration des trois sociétés qui se tenaient à un emplacement;
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g)Lumsden a refusé de maintenir certains des comptes
« autochtones »
d’Allind qui voulaient éviter de percevoir la TPS, mais qui ne se faisaient pas livrer des produits du tabac dans la réserve; -
h)en janvier 2000, un deuxième camion chez Lumsden a été attaqué;
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i)la GRC a rencontré Paul Godsoe, directeur général de la Banque de Nouvelle-Écosse, qui siégeait au conseil d’administration de Sobeys, afin de discuter des ventes de Lumsden à Grandview. La Banque Scotia était aussi la banque principale de Sobeys à l’époque et Peter Godsoe avait organisé la vente du groupe Oshawa par la famille Wolfe à la famille Sobey. Paul Godsoe a appelé David Sobey, qui a communiqué avec John Gardner et conseillé à Lumsden de cesser sur le champ de vendre dans la réserve des produits du tabac à Grandview.
(vii) Témoignage d’Otis Henry
[52] L’intimé a appelé Otis Henry à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Henry a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de la plupart des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement assez lointain ou il avait des trous de mémoire.
[53] M. Henry a précisé qu’il n’est pas employé à l’heure actuelle. M. Henry a témoigné qu’il a travaillé pour Lumsden vers juillet 1999 et jusqu’au 27 janvier 2000, date de son congédiement en raison de la fermeture par Lumsden du compte Grandview. M. Henry a précisé qu’il travaillait comme emballeur dans le local sous douane chez Lumsden où il emballait des confiseries et des produits du tabac. Quelque temps après, alors qu’il travaillait chez Lumsden, on lui a demandé de devenir assistant de l’un des chauffeurs de camion de Lumsden pour le compte Grandview. Le chauffeur avec lequel il travaillait s’appelait Dave. Il ne connaissait pas son nom de famille. Ses tâches consistaient notamment à s’assurer que les livraisons étaient correctement comptabilisées et chargées dans le camion de Lumsden, puis acheminées à la grange de Grandview. Il a déclaré qu’il déchargeait le camion de Lumsden, plaçait le tabac dans la grange de Grandview et que les chauffeurs de fourgonnettes chargeaient le tabac dans leur fourgonnette, une fois qu’il recevait l’instruction de débloquer et de livrer le produit. Il a en outre ajouté qu’il recevait cette instruction sur un téléavertisseur. Il ignorait qui lui donnait cette instruction. Il a également précisé que les chauffeurs de fourgonnettes étaient de toutes nationalités ou ethnies, mais qu’il ne connaissait aucun d’entre eux. Il s’agissait principalement d’hommes.
[54] M. Henry a indiqué que deux agents de la GRC se sont rendus à son domicile et ont recueilli sa déclaration le 25 février 2000. Parce qu’il avait un niveau de scolarité équivalant seulement à une cinquième année, M. Henry a affirmé que la GRC a rédigé sa déclaration et qu’il l’a signée. Il a en outre ajouté qu’après avoir reçu la déclaration de l’intimé, près de deux à trois semaines avant le procès, son colocataire la lui a lue, étant donné qu’il ne pouvait pas la lire. Il a de plus mentionné qu’il n’avait aucun souvenir distinct des faits énoncés dans la déclaration, hormis lorsque son colocataire et la Cour les lui ont rappelés au moment de lui lire la déclaration. Il ne pouvait même plus se rappeler avoir travaillé chez Lumsden vingt ans auparavant. Parce qu’il ne peut pas lire, il s’est fié à la GRC pour rédiger correctement la déclaration.
[55] Dans sa déclaration à la GRC, M. Henry a affirmé avoir pensé qu’il s’agissait d’une activité illégale. Il ne se souvient pas si c’était quelque chose que la GRC lui avait suggéré ou non. Il a ensuite ajouté qu’il ignorait qui payait les produits du tabac livrés à Grandview. M. Henry a indiqué que la GRC ne lui a pas dit pourquoi elle enquêtait sur les ventes de Lumsden à Grandview ou quelle était la nature du crime allégué. Elle ne l’a pas informé de l’existence d’un crime allégué.
[56] M. Henry a mentionné qu’il ne négociait aucune des ventes de produits et qu’il ne sait pas qui payait ou recevait les produits du tabac livrés à Grandview.
[57] D’une façon générale, j’accorde très peu de poids au témoignage de M. Henry. Il n’a pas pu lire la déclaration qu’il a donnée à la police lorsqu’il l’a signée et il n’a pas pu la lire lorsqu’elle lui a été présentée avant le procès. Divers documents lui ont été présentés lors de l’audience, mais on ne lui a pas demandé s’il pouvait lire ou comprendre ces documents sans aide. Il avait aussi peu ou pas de souvenirs distincts des événements au sujet desquels il témoignait. Ce sont plutôt les déclarations des témoins ou les questions des avocats qui lui ont évoqué des souvenirs. Par conséquent, il est difficile de savoir dans quelle mesure sa déclaration ou son témoignage étaient exacts et j’estime donc que son témoignage n’est pas fiable.
(viii) Témoignage de Roberta MacNaughton
[58] L’intimé a appelé Roberta MacNaughton à témoigner lors de l’audition du présent appel. Mme MacNaughton a répondu de manière franche et directe, et elle m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’elle avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou elle avait des trous de mémoire.
[59] Mme MacNaughton a affirmé être une détaillante. Elle a précisé qu’elle pensait avoir commencé les achats chez Lumsden vers 1995. Elle a rencontré Vince Gallant qui l’a présentée à Gino Vecia et elle lui a dit qu’elle ouvrait un nouveau magasin (Grandview Variety) et qu’elle souhaitait acheter auprès de Lumsden des produits d’épicerie. Elle a au départ acheté des produits d’épicerie et elle devait payer net dans sept jours. Terri Squire était son employée. Elle a précisé qu’aucun contrat n’avait été conclu par écrit avec Lumsden.
[60] Mme MacNaughton a déclaré qu’il y avait eu un vol dans son magasin en 1996. Il s’agissait d’un vol à main armée et on lui a volé une quantité importante d’argent. Terri Squire, deux clients qui venaient acheter du tabac et elle-même se trouvaient dans le magasin à ce moment-là. Le vol s’est produit le 20 novembre 1996. Elle a appelé la police et Gino Vecia au cours de la même période. Gino Vecia et Max Seymour se sont tous les deux rendus chez Grandview. Les produits de Lumsden qui n’avaient pas encore été livrés ont été renvoyés à Lumsden et un crédit lui a été accordé pour ces produits. Elle a déclaré que les espèces qui ont été volées étaient en train d’être comptées et déposées dans le coffre-fort de dépôt provisoire dans son bureau.
[61] Mme MacNaughton a indiqué que les modalités de paiement pour Lumsden ont ensuite changé : il lui fallait alors payer avant de ramasser. Les produits n’étaient pas débloqués tant que l’argent n’était pas reçu, compté et déposé dans le coffre-fort de dépôt provisoire.
[62] Le coffre-fort de dépôt provisoire dans son bureau était un coffre-fort à double verrouillage de la Brink’s. Le coffre-fort n’a pas été installé par la Brink’s. Elle connaissait la combinaison pour la porte extérieure et un employé de la Brink’s avait une clé pour déverrouiller la porte intérieure. Elle a eu ce coffre-fort de 1996 à 2000. Le coffre-fort n’était utilisé que pour les paiements faits à Lumsden. Lumsden l’a aidée à acheter le coffre-fort en lui accordant un prêt payé en appliquant une remise sur chaque cartouche, elle pensait, mais il est possible que Lumsden ait payé le coffre-fort. Elle ne se rappelle pas avoir payé la Brink’s pour ramasser l’argent et elle ne se souvient pas avec qui la Brink’s travaillait à titre contractuel.
[63] Les clients lui envoyaient une liste de ce qu’ils souhaitaient commander par télécopieur ou la communiquaient par téléphone. Ils pouvaient l’envoyer en utilisant le formulaire de Lumsden ou du papier ordinaire. Elle remplissait les formulaires de commande de Lumsden et les envoyait à Lumsden par télécopieur. Chaque client était représenté par un caractère, p. ex. « W »
pour William. Ses clients pouvaient passer plusieurs commandes, car ils pouvaient eux-mêmes avoir différents clients finaux.
[64] Mme MacNaughton a témoigné qu’elle a au départ traité avec Max Seymour pour créer ses comptes et établir ses modalités de paiement. Il était à l’époque vice-président de Lumsden.
[65] Mme MacNaughton a déclaré qu’avant d’ouvrir son propre magasin (Grandview), elle s’occupait de tous les commerces de sa mère, notamment ses magasins aux centres commerciaux de Middleport et de Sour Springs. Sa mère est décédée le 7 avril 2000. Sa mère, Anne MacNaughton, tout comme son frère Alan et sa sœur Zelda avaient tous des comptes auprès de Lumsden et exploitaient leurs propres entreprises. Terri Squire travaillait uniquement pour Roberta MacNaughton.
[66] Mme MacNaughton a indiqué que Lumsden avait un coffre-fort de dépôt provisoire. Pendant une brève période en 1999 (qui a commencé vers le 7 juin 1999), ses clients conduisaient jusqu’à Lumsden, selon ses instructions, pour y déposer leur paiement, puis ils se rendaient jusque chez Grandview pour ramasser leurs commandes. Elle pensait que cela a été ainsi décidé, car c’était plus rapide. La procédure a ensuite été modifiée, de sorte que Kim Madellana allait chez Grandview pour compter les espèces. Terri Squire la laissait entrer dans le magasin et elles entraient dans son bureau pour y compter ensemble les espèces, remplir les bordereaux de dépôt, placer les espèces et les bordereaux de dépôt dans les sacs de la Brink’s et mettre les sacs dans le coffre-fort de dépôt provisoire. Il y avait deux compteurs de billets. L’un lui appartenait et l’autre était celui de Lumsden. Elle n’est pas certaine de savoir qui communiquait avec le chauffeur de Lumsden pour débloquer les produits et les livrer à ses clients. Elle pensait qu’il s’agissait d’un employé de Lumsden. Ses clients ramassaient leurs produits dans la grange, derrière le magasin.
[67] Mme MacNaughton a déclaré que la grange derrière son magasin a été construite vers 1996, mais elle n’en était pas totalement sûre. La grange mesurait environ six mètres sur douze mètres. Le tabac était généralement ramassé dans ce bâtiment. Cette grange s’y trouvait déjà lorsqu’elle faisait affaire avec Lumsden, qui ne l’a ni payée ni financée.
[68] Mme MacNaughton a déclaré qu’elle pensait que Kim Madellana se rendait chez Grandview parce que sa mère était malade et qu’elle voulait aider sa mère et rester proche d’elle. La deuxième raison concernait des préoccupations en matière de sécurité.
[69] Mme MacNaughton a mentionné que ses commandes étaient emballées selon son code client alphanumérique. Par exemple, toutes les commandes « W »
étaient regroupées. La facture pour cela lui était envoyée et elle informait son client de la somme qu’il devait lui payer. Kim Madellana recueillait la somme de la facture de Lumsden. Roberta MacNaughton avait une marge bénéficiaire également sur les cigares et les produits du tabac en vrac. Par exemple, elle pouvait imposer une majoration de 500 $ sur les commandes de cigarettes que ses clients lui payaient dans une enveloppe distincte. Elle a déterminé cette somme en se fondant sur le marché concurrentiel à l’époque.
[70] Mme MacNaughton a aussi déclaré ce qui suit :
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a)Terri Squire était toujours dans la salle avec Kim Madellana pour compter les espèces et traiter la livraison des commandes. Terri possédait les clés du magasin et devait laisser entrer Kim Madellana dans le bâtiment et dans le bureau de Roberta MacNaughton et cette dernière exerçait un tel contrôle qu’il était impossible pour elle de ne pas laisser Terri dans la salle au moment où Kim comptait les espèces et traitait les commandes et les livraisons. Ses clients déposaient les espèces dans le coffre-fort de dépôt provisoire, puis ils se rendaient dans la grange pour récupérer leurs commandes. Un employé de Lumsden demandait au chauffeur de débloquer les produits;
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b)la décision d’arrêter les ventes de tabac au début de l’année 2000 a été prise d’un commun accord par Lumsden et elle-même, car sa mère était très malade et mourante et Lumsden avait des préoccupations liées à la sécurité. Elle a déclaré avoir rencontré John Gardner et une autre personne pour discuter de la fermeture. Ils se sont rendus à la maison de sa mère;
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c)un camion chez Lumsden a été détourné, ce qui a causé des inquiétudes sur le plan de la sécurité;
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d)la grange existait pendant tout le temps où Lumsden vendait à Mme MacNaughton;
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e)son magasin (Grandview Variety) ouvrait vers 8 h;
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f)elle exploitait l’entreprise sous les noms de Grandview Variety et de Nickel and Dime. Elle a intégré l’entreprise par l’intermédiaire de sa mère, Anne MacNaughton, qui était une femme célibataire, mère de six enfants. Cette dernière a lancé son premier magasin en 1960 et elle ne doit sa réussite en tant que femme d’affaires qu’à son travail. Elle possédait deux magasins et a fait construire deux centres commerciaux et des maisons pour chacun de ses six enfants. Elle a eu à un moment donné une station d’essence, mais Gulf Oil a saisi les pompes lorsqu’elle a refusé de se soumettre à l’accord de perception fiscale fédéral concernant les ventes de carburant dans la réserve;
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g)Anne MacNaughton a ensuite ouvert un magasin appelé Sour Springs;
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h)une personne d’origine asiatique a rendu visite à Anne MacNaughton et lui a demandé si elle voulait bien lui vendre du tabac en lui précisant qu’un concurrent (Wags) vendait du tabac hors taxes. Anne MacNaughton a décidé de demander à l’administrateur du magasin Cash and Carry auprès duquel elle effectuait des achats s’il voulait bien lui vendre des cigarettes. Il a accepté l’offre et elle a commencé à vendre des cigarettes vers 1975. Ce premier client a ramené un grand nombre d’autres clients. Roberta MacNaughton a travaillé pour sa mère dès l’âge de 7 ans et elle a continué à le faire (lorsqu’elle n’était pas à l’école) jusqu’à ce qu’elle ouvre son propre magasin vers 1995;
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i)Anne MacNaughton achetait aussi des cigarettes auprès de différents grossistes, notamment Murphy’s Wholesale qui livrait dans la réserve. Les produits étaient livrés à un entrepôt dans sa propriété familiale qui était l’endroit où se trouvait son premier magasin jusqu’à la construction du centre commercial de Sour Springs;
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j)elle a lancé Grandview Variety vers 1995 et elle a fait construire sa maison et son magasin près de l’autoroute 54, de l’autre côté de la réserve. Pendant que sa maison était en cours de construction, elle vivait à Brantford. C’est à cette époque qu’elle a rencontré Gino Vecia par l’intermédiaire de Vince Gallant du groupe Sobeys. Gino Vecia l’a présentée à Max Seymour de Lumsden. Elle a affirmé qu’elle souhaitait éloigner certains de ses commerces de Murphy’s, car il y avait trop de commerces dans la réserve et des problèmes liés aux services existaient;
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k)elle n’avait pas de contrat écrit avec Lumsden. Il s’agissait d’un accord verbal. Elle a expliqué à Lumsden comment Murphy’s procédait et elle lui a demandé de procéder de la même manière. Elle a demandé que Lumsden ne vende pas à d’autres Autochtones, à moins qu’elle n’en parle d’abord avec elle. Cela permettait de veiller à ce qu’aucun problème lié aux services, comme ceux rencontrés par Murphy’s, ne survienne;
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l)elle a demandé que Lumsden lui accorde une remise sur volume de 5 %, sans l’indiquer sur la facture, mais en la remboursant. De cette façon, elle pouvait revendre au prix indiqué sur la facture;
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m)au départ, elle faisait affaire avec Lumsden et Murphy’s à parts égales. Elle payait Murphy’s et Lumsden en espèces. Elle ne payait pas nécessairement intégralement Murphy’s tous les jours et elle utilisait l’échéance de paiement net dans sept jours pour rembourser le solde dans un délai de sept jours. Lumsden avait au départ les mêmes modalités. À l’origine, elle déposait les espèces chez Lumsden tous les jours. Finalement, ce processus a changé en raison de préoccupations en matière de sécurité de la part de Lumsden;
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n)elle possède toujours le coffre-fort de dépôt provisoire chez Grandview Variety. Elle connaît la combinaison du coffre-fort et personne chez Lumsden ne la connaissait;
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o)il y a eu une introduction par effraction dans son magasin vers 1995, lorsque près de 30 000 $ de cigarettes ont été volés. Puis il y a eu un vol à main armée à la fin de l’année 1996 (le 20 novembre 1996). Parce que le gouvernement avait annoncé ce jour-là une augmentation importante de la taxe sur le tabac, il y a eu un grand nombre de ventes supplémentaires, les clients tentant d’échapper aux hausses de taxes;
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p)elle achetait des produits auprès de trois grossistes : Lumsden, Murphy’s et Links;
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q)elle a cru être ruinée à cause du vol, car on lui a volé beaucoup d’argent. Elle a fini par devoir près de 320 000 $ à Lumsden, en plus des sommes dues aux deux autres grossistes et aux deux clients qui avaient été volés. Le total a peut-être même atteint 450 000 $. La GRC lui a reproché le vol. Son avocat et les avocats de Lumsden ont correspondu et chacune des parties a déposé des réclamations pour dommages l’une contre l’autre. Elle a finalement rencontré Max Seymour, Ihor et l’avocat de Lumsden et ils ont négocié un moyen pour elle de rembourser sa dette envers Lumsden. Ils lui ont offert deux possibilités. Ils ont convenu qu’elle continuerait à acheter des produits auprès de Lumsden avec une augmentation jusqu’à 10 cents par cartouche de sa remise appliquée à sa dette. La dette de 320 000 $ environ serait remboursée en près de 14 mois de cette façon. Elle a accepté des accords similaires avec les deux autres grossistes. Elle a aussi conclu un accord avec deux clients, et elle les a remboursés en renonçant à sa marge bénéficiaire habituelle jusqu’à ce que ses dettes envers eux soient payées;
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r)elle appliquait sa remise aux dépôts placés dans les sacs de la Brink’s et elle l’inscrivait sur les bordereaux de dépôt. Elle appliquait aussi des notes de crédit et soustrayait ces sommes de celles versées à Lumsden. En cas de problème d’exactitude avec Lumsden, elle appelait le service à la clientèle pour l’informer des erreurs et Lumsden émettait une note de crédit. Elle l’informait aussi des erreurs de ramassage lorsque ses clients lui ramenaient des produits. Elle donnait le produit au chauffeur de Lumsden et obtenait de Lumsden une note de crédit;
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s)elle commandait des produits auprès de Lumsden, Murphy’s et Loeb. Lumsden recevait généralement des commandes plus importantes. Elle recevait des commandes de ses clients qu’elle envoyait par télécopieur à Lumsden. Elle ne fournissait jamais les coordonnées de ses clients à Lumsden. Seule Roberta MacNaughton ou Terri Squire pouvait envoyer des commandes à Lumsden pour son commerce à Grandview. Elle n’a jamais accordé à Lumsden une marge bénéficiaire de 500 $ et elle n’a jamais accordé de remises sur volume à ses clients;
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t)le nom de son commerce Nickel and Dime faisait référence aux diverses remises qu’elle recevait sur les cigarettes;
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u)sa mère étant très malade durant l’été 1999, elle est restée à la maison pour l’aider. Elle a également aidé à gérer le commerce de sa mère. Elle a demandé à Lumsden de l’aider à traiter les paiements pendant que sa mère était malade. Pendant près de sept à huit semaines, les paiements étaient effectués chez Lumsden. Puis les paiements ont de nouveau été effectués chez Grandview et Kim Madellana se rendait au magasin pour aider. Kim Madellana n’avait pas accès au coffre-fort de dépôt provisoire dans le magasin Grandview Variety;
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v)elle ne payait pas la TPS sur ses achats effectués auprès de Lumsden, en raison de son statut d’Autochtone aux termes de la Loi sur les Indiens;
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w)Harper’s Wholesale vendait à des non-Autochtones hors réserve et utilisait de manière frauduleuse des cartes d’Indiens inscrits. Elle a fait part de cette information à William Brown de l’ARC. Il a menacé d’exiger d’elle ou de Lumsden le versement de la TPS non perçue. Elle lui a répondu qu’il devait l’exiger de National Grocers, dont la famille Weston était la propriétaire, qui vendait des cigarettes hors taxes, mais sans les livrer dans la réserve. Un membre de la famille Weston était lieutenant-gouverneur de l’Ontario à l’époque. Elle estimait que cette façon de procéder constituait une concurrence déloyale à l’époque, étant donné qu’elle privait les personnes autochtones dans la réserve des fournitures;
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x)lorsqu’elle a rencontré les vérificateurs de l’ARC, ils l’ont informée des conséquences si elle était mandataire ou si elle achetait pour son propre compte. L’hypothèse est qu’elle ne serait pas tenue de payer la TPS si elle acceptait d’acheter auprès de Lumsden en tant que mandataire de cette société ou de ses clients;
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y)elle n’a pas eu de communications subséquentes avec l’ARC, le ministère de la Justice ou la GRC depuis cette rencontre du 9 janvier 2004 avec les vérificateurs de l’ARC, chez Tim Horton’s.
[71] Dans l’ensemble, je suis d’avis que Roberta MacNaughton a qualifié de manière constante Grandview de cliente de Lumsden et que, lorsqu’il s’agissait de questions liées à ses comptes Grandview, elle (et Terri Squire) ne traitait qu’avec Lumsden.
(ix) Témoignage de Max Seymour
[72] L’intimé a appelé Max Seymour à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Seymour a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou il avait des trous de mémoire.
[73] M. Seymour a déclaré qu’il est comptable général agréé et qu’il est maintenant à la retraite. Il a été directeur des finances chez Lumsden à partir de 1988. Il était notamment responsable des rapports financiers, des comptes débiteurs, des comptes créditeurs, de la paie et de la vérification. Avant 1988, il a travaillé pour Distribution aux consommateurs pendant 17 ans. Il était vice-président des finances pour cette société lorsqu’il l’a quittée. M. Seymour a indiqué qu’il a été directeur des finances pendant deux ans environ chez Lumsden et qu’il a été nommé vice-président des finances vers 1990. Ses tâches étaient semblables à celles se rattachant à son poste précédent. Il relevait d’Allen Rowe, directeur financier chez Sobeys, et du président de Lumsden.
[74] M. Seymour a déclaré avoir rencontré Roberta MacNaughton vers le milieu de l’année 1995, dans le bureau de Lumsden, au 79, chemin Easton. Étaient également présents lors de la rencontre Gino Vecia, la vice-présidente des ventes, Liz Mana, et peut-être le président de Lumsden, Bill Gilmore. L’objectif de la rencontre était de discuter d’une occasion d’affaires liée à ses fournitures de cigarettes et également de connaître ses conditions qui comprenaient la tarification, les modalités de paiement et les services (notamment la livraison). En ce qui concerne la tarification, Mme MacNaughton voulait que le prix soit supérieur de 15 à 20 cents environ par cartouche au prix que le fabricant demandait à Lumsden de payer. En ce qui a trait aux conditions de livraison, elle voulait que les livraisons soient rassemblées sur des palettes et acheminées à son magasin, dans la réserve. Un code alphanumérique devait permettre de distinguer les commandes entre elles. Il devait aussi permettre d’établir une distinction entre les factures. Les paiements devaient tous être en espèces. Lumsden a accepté ces conditions, car cela était courant dans ses affaires avec d’autres clients. La question du coffre-fort de dépôt provisoire de la Brink’s n’a pas été abordée lors de la première rencontre. Elle a été traitée près de six mois après l’ouverture du compte Grandview.
[75] Au départ, Lumsden recevait des paiements de Roberta MacNaughton au bureau de Lumsden. Roberta MacNaughton acheminait les paiements en espèces au bureau de Lumsden. Des préoccupations liées à la sécurité ont été soulevées chez Lumsden. La collecte des fonds a donc changé, de sorte que le ramassage était effectué à son magasin. Lumsden a fourni un coffre-fort de dépôt provisoire à cette fin. Ce changement a été effectué à la demande de Lumsden, en raison de préoccupations en matière de sécurité.
[76] M. Seymour a affirmé avoir écrit à l’ARC au sujet de la vente de tabac dans une réserve pour confirmer qu’elle était exonérée de la TPS. Il a également recueilli des renseignements commerciaux pour confirmer que d’autres grossistes effectuaient le même type de ventes. Il a aussi communiqué avec son siège social, qui a obtenu des avis juridiques auprès de son cabinet d’avocats basé à Halifax. Le président du groupe de grossistes a communiqué avec le cabinet d’avocats de Halifax au sujet des avis juridiques. Il n’arrivait pas à se souvenir à quelle section de l’ARC il a envoyé sa lettre, mais il fait remarquer qu’il a obtenu une réponse. Il a reconnu qu’il pourrait avoir écrit au ministère des Finances de l’Ontario.
[77] M. Seymour a aussi déclaré ce qui suit :
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a)le 16 août 1996, il a rédigé une note de service dans laquelle la politique de Grandview sur le crédit était indiquée. Les paiements en espèces devaient être effectués peu après la livraison;
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b)il a rédigé une note de service concernant le vol à main armée du 20 novembre 1996 dans le magasin Grandview;
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c)les produits étaient livrés à l’arrière du magasin Grandview en 1996. Plus tard, une petite grange a été construite dans laquelle les produits étaient livrés. Lumsden a contribué au financement de la construction de la grange après que Roberta MacNaughton le lui a demandé. La grange mesurait peut-être 230 à 280 mètres carrés. Elle pourrait avoir coûté 40 000 $ et Lumsden a aidé à payer la moitié du coût. Il ne se souvenait pas quand la grange a été construite. Elle a été probablement construite après le vol et avant 1999. Elle a donc vraisemblablement été construite en 1997 ou 1998;
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d)Grandview n’a pas conclu de contrat écrit avec Lumsden. Il s’agissait d’un accord verbal. Lumsden pouvait en tout temps cesser la livraison;
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e)il a quitté Lumsden vers novembre 1998. Cependant, il a occupé un poste contractuel à court terme chez Lumsden en mai 1999 pendant près de deux mois. À l’époque, il était en transition entre deux emplois et John Gardner lui a demandé s’il acceptait de le rencontrer ainsi que Roberta MacNaughton et d’aider cette dernière avec la logistique des paiements. Roberta MacNaughton était face à un problème, car sa mère était malade et elle n’avait donc pas suffisamment de temps pour accomplir son travail. Lumsden a ainsi accepté de l’aider en demandant à Max Seymour de trouver une solution pour alléger sa charge de travail. Ils ont décidé de ramener les paiements en espèces au bureau de Lumsden. En conséquence, ils ont créé un système de paiement en espèces au bureau de Lumsden, en installant notamment un coffre-fort de dépôt provisoire sur le côté du bâtiment de Lumsden. M. Seymour a témoigné que son contrat avec Lumsden a pris fin vers la fin de juin 1999. Pendant sa présence en 1999, il supervisait quotidiennement les paiements en espèces au bureau de Lumsden. Un produit était livré une fois son paiement intégral effectué. Les espèces étaient déposées chez Lumsden entre 3 h et 5 h. Un code alphanumérique était attribué à chaque paiement en espèces. Il avait deux commis et deux compteurs de billets pour l’aider à traiter les espèces. Il ne se souvient pas du nom des commis. Une fois que l’argent était compté et que les totaux étaient vérifiés, l’argent était déposé dans un coffre-fort de dépôt provisoire à double verrouillage. Il ignore qui a fourni le coffre-fort. La Brink’s ramassait les espèces et possédait la deuxième clé;
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f)il ne savait pas qui déposait les espèces sur le côté du bâtiment de Lumsden. Il ignorait aussi qui, parmi les employés de Lumsden, se rendait chez Grandview pour compter les espèces alors qu’il travaillait pour Lumsden;
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g)plusieurs lettres juridiques ont été rédigées et échangées entre Roberta MacNaughton et Lumsden concernant la somme due après le vol. Il a préparé une note de service dans laquelle étaient mentionnées deux possibilités pour payer à Lumsden la somme de 320 000 $ environ. Finalement, la deuxième solution a été choisie. Elle devait payer en espèces au moment de la livraison, le prix du tabac a augmenté et sa remise sur volume a augmenté jusqu’à 10 cents la cartouche. La remise était retenue et appliquée à son solde de prêt qui a été remboursé au bout de 14 mois environ. Un calendrier d’amortissement du prêt figurait à la pièce A‑2, onglet 45;
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h)il ignorait combien Roberta MacNaughton facturait à ses clients;
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i)M. Seymour a indiqué qu’il était courant que les clients de Lumsden utilisent un code alphanumérique ou d’autres types de codes de manière à séparer leurs bons de commande pour diverses raisons. Certains de ses autres clients (surtout les plus gros clients) avaient des systèmes semblables pour les produits d’épicerie ou d’autres commandes passées auprès de Lumsden;
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j)Lumsden vendait à Roberta MacNaughton des cigarettes à un prix proche de celui payé aux fabricants (coût sur la facture) (peut-être 15 à 20 cents de marge bénéficiaire par cartouche). Lumsden recevait des fabricants jusqu’à 2 % de remises sur volume. Elle pouvait aussi obtenir une remise de 2 % si elle payait plus tôt. C’est dans ce cas que Lumsden faisait des bénéfices sur les ventes de cigarettes;
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k)Roberta MacNaughton exigeait que Lumsden gère ses comptes Grandview en offrant un service précis de grande qualité;
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l)même après le vol, Roberta MacNaughton ne payait pas toujours à l’avance. Parfois, le paiement était effectué plus tard, si nécessaire, et dans certaines circonstances, Lumsden pouvait être à découvert pendant au plus 24 heures, environ. M. Seymour a précisé que Lumsden ne se fiait pas aux clients de Roberta MacNaughton pour obtenir le paiement. Seule Roberta MacNaughton était la cliente de Lumsden. Roberta MacNaughton réalisait des bénéfices à partir des remises sur volume que Lumsden lui transférait. Son bénéfice était de 10 cents environ par cartouche. Elle était pleinement responsable des paiements effectués à Lumsden;
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m)le ministère des Finances de l’Ontario revendait le tabac saisi à des grossistes comme Lumsden;
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n)en raison du vol à main armée chez Grandview, Roberta MacNaughton devait à Lumsden près de 320 000 $;
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o)il pensait que le coffre-fort de dépôt provisoire a été installé chez Grandview après le vol à main armée;
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p)Lumsden a fait preuve de diligence raisonnable concernant ses ventes de produits du tabac à Grandview dans la réserve;
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q)Roberta MacNaughton et les membres de sa famille n’étaient pas tenus d’acheter auprès de Lumsden et celle-ci n’exerçait aucun contrôle sur leurs commerces, sur les personnes qui achetaient leurs produits ou sur le prix auquel les produits étaient vendus. Roberta MacNaughton fixait le prix auquel elle vendait ses produits à ses clients. Roberta MacNaughton n’avait pas à transférer les remises sur volume qu’elle recevait;
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r)Lumsden payait des remises sur volume à d’autres clients, comme les magasins Foodland;
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s)Lumsden a aidé à payer des caméras de télévision en circuit fermé chez Grandview, ainsi qu’une partie du coût de la grange et le coffre-fort. Lumsden payait aussi le ramassage des espèces par la Brink’s.
[78] Dans l’ensemble, je suis d’avis que Max Seymour a qualifié de manière constante Grandview de cliente de Lumsden et que, lorsqu’il s’agissait de questions liées aux comptes Grandview, il ne traitait qu’avec Roberta MacNaughton et Terri Squire.
(x) Témoignage de Brian Blenkarn
[79] L’intimé a appelé Brian Blenkarn à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Blenkarn a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou il avait des trous de mémoire.
[80] M. Blenkarn a déclaré être comptable agréé et directeur des finances. Il a commencé à travailler chez Lumsden vers 1995 et il y est resté pendant près de cinq ans. Il a quitté la société vers mars ou avril 2001. Il était contrôleur chez Lumsden et il était notamment responsable de la gestion quotidienne des activités de comptabilité. Près de 21 employés au total faisaient partie de son personnel. Il relevait de Max Seymour qui l’avait embauché. Après le départ de Max Seymour, il a relevé de Pat DeGrace. Il n’a jamais eu un accès direct au compte Grandview, n’a jamais rencontré Roberta MacNaughton et ne s’est jamais rendu chez Grandview.
[81] M. Blenkarn a témoigné que le compte Grandview ne représentait pas beaucoup de travail pour lui. Même si Grandview était un gros compte pour ce qui était de la vente du tabac, il était beaucoup plus petit que certains des comptes de grands magasins que Lumsden avait.
[82] M. Blenkarn a précisé qu’il ne s’occupait pas de l’aspect opérationnel du commerce. Il pensait que Grandview devait, selon les modalités de paiement, payer en espèces, mais il n’était pas concerné par ces questions. Il ne se souvenait pas si Grandview utilisait des identifiants alphanumériques sur ses bons de commande. Le compte Grandview existait déjà chez Lumsden à son arrivée dans la société.
[83] M. Blenkarn a indiqué avoir des doutes quant au statut fiscal des ventes à Grandview, mais il était convaincu que Lumsden avait fait preuve de diligence raisonnable au moment de juger qu’il était correct.
[84] M. Blenkarn a mentionné que Grandview était très semblable aux autres clients, notamment Avondale et Fiera Foods. Il a aussi déclaré que Lumsden n’a jamais eu de problèmes avec les vérifications fiscales qui visaient le tabac et qu’elle obtient des certificats d’exonération de la TVH qui figuraient au dossier. Personne n’a soulevé de questions pendant les cinq années où il travaillait chez Lumsden.
[85] M. Blenkarn a témoigné ne pas se rappeler avoir parlé à la GRC au sujet de cette question. Il n’a discuté de cette question avec personne, entre 2004 et août 2020, lorsque les deux avocats ont communiqué avec lui.
(xi) Témoignage de Peter Sgarbossa
[86] L’intimé a appelé Peter Sgarbossa à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Sgarbossa a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou il avait des trous de mémoire.
[87] M. Sgarbossa a déclaré être actuellement vice-président de Rena Group. M. Sgarbossa a précisé avoir commencé à travailler chez Lumsden vers 1993 ou 1994. De 2001 à 2003 environ, M. Sgarbossa a été muté à un poste dans l’un des emplacements achetés par Sobeys dans le contexte de son acquisition du groupe Oshawa.
[88] M. Sgarbossa a indiqué que son premier poste chez Lumsden était celui de directeur des opérations de Foodland, qui est une enseigne franchisée. Il est plus tard devenu vice-président des ventes et des opérations de Foodland. Une fois que le compte Foodland a été transféré à l’emplacement situé au chemin Viscount, à Toronto, il est devenu vice-président des ventes chez Lumsden. Il y a travaillé avec John Gardner pendant 12 à 18 mois environ.
[89] M. Sgarbossa a témoigné que la division payer-emporter vendait des produits à de petits détaillants ainsi qu’à des consommateurs, mais qu’il s’agissait principalement de relations interentreprises.
[90] M. Sgarbossa a déclaré que Roberta MacNaughton était la propriétaire de Grandview Variety et qu’elle était une cliente dans la réserve des Six Nations. M. Sgarbossa a affirmé que Roberta MacNaughton était la cliente de Lumsden. Les produits du tabac étaient livrés dans la réserve. Gino Vecia et Max Seymour géraient ce compte. M. Sgarbossa a estimé que les ventes de produits du tabac à Grandview pouvaient avoir atteint un million de dollars par semaine. M. Sgarbossa a témoigné que Roberta MacNaughton payait en espèces, qu’elle déposait les espèces dans le bureau de l’entrepôt de Lumsden tous les jours et que, pour ce faire, elle rencontrait Max Seymour et Gino Vecia. Plus tard, en raison de préoccupations liées à la sécurité, du fait qu’autant d’espèces arrivaient dans son bureau, Lumsden a conclu un accord avec Grandview, selon lequel un coffre-fort serait installé dans le magasin Grandview et la Brink’s ou Wells Fargo ramasserait les espèces au magasin. M. Sgarbossa a indiqué que personne d’autre ne déposait les espèces pour le compte de Roberta MacNaughton chez Lumsden.
[91] M. Sgarbossa a déclaré ne pas se souvenir d’entrevues avec la police immédiatement après le détournement d’un camion chez Lumsden survenue en juillet 1999.
[92] M. Sgarbossa a affirmé ne pas connaître les commandes que Roberta MacNaughton passait pour le compte de personnes d’origine coréenne ou indo-orientale et ne pas connaître les personnes de Toronto qui payaient des produits du tabac ainsi achetés.
[93] M. Sgarbossa a témoigné que lorsqu’un paiement en espèces était effectué dans la réserve, une personne appelait l’entrepôt de Lumsden à partir duquel le camion partait pour livrer les produits du tabac chez Grandview, dans la réserve. M. Sgarbossa a indiqué se souvenir de la présence de Kim Madellana chez Grandview, dans la réserve, pour vérifier les paiements. L’entrepôt était ensuite joint et laissait partir le camion.
[94] M. Sgarbossa a mentionné ne pas être responsable du compte Roberta MacNaughton/Grandview. M. Sgarbossa a affirmé se souvenir de plusieurs discussions avec Stewart McKelvey, qui était un avocat de Sobeys, pour veiller à ce que les ventes à Grandview soient faites légalement. Stewart McKelvey a conseillé d’effectuer les ventes en espèces, de faire les livraisons dans la réserve et de demander à quelqu’un de la réserve (qui n’est pas un employé de Lumsden) de décharger le camion.
[95] M. Sgarbossa a déclaré ne jamais avoir rencontré de vérificateurs de l’ARC, pendant ou après la vérification menée par l’ARC auprès de Lumsden, et avoir été joint une première fois au sujet du présent appel au cours de l’été 2020, lorsque les avocats de chacune des parties ont pris contact avec lui.
(xii) Témoignage de Kim McCulloch
[96] L’intimé a appelé Kim McCulloch à témoigner lors de l’audition du présent appel. Mme McCulloch a répondu de manière franche et directe, et elle m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’elle avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou elle avait des trous de mémoire.
[97] Mme McCulloch a déclaré qu’elle était actuellement femme au foyer. Elle a travaillé pour Lumsden de mars 1999 à octobre 2003, environ. Son premier poste chez Lumsden était celui de représentante du service à la clientèle qu’elle a occupé pendant près d’un an et plusieurs mois. Elle a plus tard travaillé dans le service promotion des ventes de Lumsden.
[98] Mme McCulloch a indiqué qu’à titre de représentante du service à la clientèle, elle recevait des commandes par téléphone ou télécopieur qu’elle saisissait dans le système informatique de Lumsden. Elle gérait aussi les demandes de renseignements des clients concernant des problèmes comme des pénuries. Mme McCulloch a témoigné que les commandes de cigarettes étaient reçues par téléphone ou télécopieur et qu’elle les saisissait dans le système informatique de Lumsden.
[99] Mme McCulloch a mentionné que le compte Grandview était source de stress et qu’elle consacrait beaucoup de temps à saisir toutes les commandes, car elle tentait de veiller à leur exactitude. Mme McCulloch a précisé qu’elle ne parlait pas très souvent à Roberta MacNaughton ou à Terri Squire, sauf lorsqu’elle travaillait seule, le dimanche.
[100] Mme McCulloch a affirmé que Roberta MacNaughton ou Terri Squire envoyaient généralement leurs commandes par télécopieur. Si Mme McCulloch n’arrivait pas à saisir les numéros de commande ou si un problème survenait, elle appelait Roberta MacNaughton ou Terri Squire pour obtenir des éclaircissements si cela se produisait un dimanche. Pendant tous les autres jours de la semaine, l’un de ses superviseurs appelait Roberta MacNaughton ou Terri Squire afin d’obtenir des précisions.
[101] Mme McCulloch a déclaré qu’elle ne s’occupait pas du nom ou des codes alphanumériques des clients que Roberta MacNaughton inscrivait dans ses bons de commande. Elle vérifiait le numéro de compte du client et le saisissait ainsi que le code alphanumérique figurant sur le bon de commande. Elle n’avait pas besoin d’examiner le nom du client inscrit sur le bon de commande. Les instructions d’expédition, si elles étaient mentionnées dans le bon de commande, n’étaient pas non plus importantes. Elle a témoigné que seule Roberta MacNaughton était considérée comme la cliente de Lumsden, et non les clients de Roberta MacNaughton (ou leurs clients). Les codes alphanumériques étaient saisis dans le système de Lumsden uniquement aux fins de ramassage et d’emballage.
[102] Mme McCulloch a précisé que Lumsden avait un télécopieur distinct pour les commandes reçues de Grandview/Roberta MacNaughton. Mme McCulloch a indiqué qu’elle ne produisait pas de factures de Lumsden, car cela ne faisait pas partie de ses fonctions. Elle se contentait de saisir les commandes dans le système informatique de Lumsden.
[103] Mme McCulloch a affirmé avoir obtenu un diplôme d’études secondaires en 1994 et détenir un diplôme de l’Université de Guelph reçu en 1998. Elle a aussi suivi des cours au collège pendant qu’elle travaillait chez Lumsden. Son poste chez Lumsden était son premier vrai travail et il consistait essentiellement à saisir des données. Elle entrait les commandes de tous les produits que Lumsden vendait, notamment les produits d’épicerie et les produits de confiserie. Les commandes arrivaient par télécopieur ou téléphone. Certaines commandes envoyées par télécopieur arrivaient sur des bons de commande de Lumsden et d’autres étaient simplement écrites à la main sur du papier.
[104] Mme McCulloch a mentionné ne jamais avoir discuté ou traité avec les clients de Roberta MacNaughton. Elle ne participait pas aux négociations de l’accord entre Roberta MacNaughton et Lumsden. Sa première prise de contact au sujet du présent procès a eu lieu vers juillet 2020.
(xiii) Témoignage de John Sura
[105] L’intimé a appelé John Sura à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Sura a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou il avait des trous de mémoire.
[106] M. Sura a déclaré être maintenant à la retraite, mais avoir été auparavant au service de la Brink’s Canada Limited pendant 39 ans. De 1996 à 2000, il était représentant chez Brink’s Canada et vendait des services de la Brink’s à un grand nombre de clients. Ces services comprenaient le déplacement sécuritaire de bijoux, de métaux spéciaux, d’espèces ou d’autres marchandises de grande valeur. Lumsden était l’un de ses comptes. M. Sura a indiqué que Lumsden était une cliente de longue date de la Brink’s, bien avant 1996.
[107] M. Sura a affirmé que Jane Weir a communiqué avec lui pour lui demander si la Brink’s accepterait de ramasser les espèces chez Grandview cinq jours par semaine, puis de les regrouper et de les livrer à la Banque Scotia, à Toronto. Il a précisé que Grandview était une cliente de Lumsden. L’accord visait une somme maximale de 500 000 $ en espèces par ramassage. Lumsden payait le ramassage de ces espèces chez Grandview. Après le vol chez Grandview, Lumsden a cessé le ramassage chez Grandview et après un certain temps, le ramassage des espèces a repris aux bureaux de Lumsden situés au 79, chemin Easton. M. Sura a mentionné que la Brink’s a ramassé les espèces au bureau de Lumsden pendant plusieurs années, un jour par semaine. Pendant une brève période en 1999, le ramassage a été effectué cinq jours par semaine pour y inclure les espèces autrefois ramassées chez Grandview. Il a cessé chez Grandview le 4 juin 1999 et a commencé au bureau de Lumsden le 7 juin 1999. Après une courte période, le ramassage a repris chez Grandview. Le ramassage des espèces chez Grandview a cessé à la fin de janvier 2000. Vers mars 2000, le ramassage des espèces chez Grandview a repris un jour par semaine et la somme maximale a été fixée à 40 000 $.
[108] M. Sura a indiqué qu’il y avait un coffre-fort de dépôt provisoire chez Grandview, mais qu’il ne s’agissait pas d’un coffre-fort de la Brink’s. Grandview a confié la clé de commande à la Brink’s et Grandview connaissait la combinaison ou possédait la clé pour la porte extérieure. Grandview a peut-être aussi eu une clé pour la porte intérieure qui permettait de prévenir les vols à l’interne. La Brink’s n’assure pas le contenu du coffre-fort, seulement les espèces une fois qu’elles ont été ramassées et qu’elles sont sous son contrôle. M. Sura a affirmé que Lumsden n’avait pas une clé pour le coffre-fort de dépôt provisoire chez Grandview.
[109] Le coffre-fort de dépôt provisoire aux bureaux de Lumsden au 79, chemin Easton était un coffre-fort de dépôt provisoire de la Brink’s et cette dernière l’a retiré une fois que le service de ramassage au bureau a cessé. Ce coffre-fort a été installé vers juin 1999 et retiré plusieurs semaines après que le ramassage a cessé à la fin de janvier 2000.
[110] M. Sura a précisé que la somme facturée par la Brink’s à Lumsden variait en fonction du lieu de ramassage et de l’itinéraire. Il y avait un supplément pour le ramassage chez Grandview, car le lieu n’était pas sur l’itinéraire normal, tandis que le bureau de Lumsden l’était et le trajet coûtait donc moins cher.
[111] Après le ramassage par la Brink’s des espèces à partir de Grandview ou de Lumsden, les espèces étaient comptées, regroupées et déposées à la Banque Scotia (ou utilisées pour les guichets automatiques), selon les instructions de la banque.
(xiv) Témoignage de Peter Kerr
[112] L’appelante a appelé Peter Kerr à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Kerr a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible. En raison du temps écoulé, le souvenir qu’il avait de certains des faits pertinents, durant les périodes visées par l’appel, était naturellement quelque peu lointain ou il avait des trous de mémoire.
[113] M. Kerr a déclaré qu’il est actuellement vice-président des comptes principaux chez Sobeys Ventes en gros. M. Kerr a précisé qu’il a commencé à travailler chez Murphy’s Tobacco (appelée plus tard Murphy’s Distribution) à l’adolescence et qu’il a commencé à y travailler à temps plein vers 1976. Il a occupé divers postes, notamment dans l’entrepôt et pour effectuer des livraisons. Il est finalement devenu directeur de succursale à Windsor où il était responsable des ventes, puis il a été muté à London, en Ontario, où il est devenu vice-président des ventes pour Murphy’s. Celle-ci avait de nombreux clients, parmi lesquels des stations-service, des magasins populaires, des épiceries et des restaurants. Elle vendait du tabac, des produits d’épicerie, des produits de confiserie et des aliments surgelés. Le tabac était son produit le plus important. Elle vendait principalement aux points de vente au détail et aux consommateurs par l’intermédiaire des points de vente payer-emporter. Au fil du temps, ses activités ont évolué, le nombre de ses clients a augmenté et elle avait plusieurs emplacements.
[114] M. Kerr a affirmé que Murphy’s vendait à des Indiens inscrits dans la réserve. Le tabac était son principal produit pour ces ventes, mais elle vendait aussi des produits d’épicerie et de confiserie. L’attribution de tabac était établie par chaque Première Nation et le ministère des Finances de l’Ontario. Les clients appelaient Murphy’s ou donnaient leurs commandes à leur représentant commercial. La réserve des Six Nations était leur zone de chalandise autochtone la plus importante.
[115] M. Kerr a indiqué que les clients de Murphy’s étaient notamment Anne MacNaughton, qui était une ancienne chef de bande, ainsi que ses enfants (Roberta MacNaughton, Allen et Zelda). M. Kerr a mentionné avoir rencontré pour la première fois Anne MacNaughton au début des années 1980, lorsqu’il a pris le relais des ventes. Celle-ci avait plusieurs emplacements, notamment le centre commercial à Sour Springs et à Middleport. Plus tard, Roberta MacNaughton a eu Grandview. Chacun de ses enfants exploitait l’un des magasins. Sa première rencontre avait pour objectif de récupérer des sommes un peu en souffrance. Le tabac était vendu suivant les modalités imposées à l’époque, tandis que plus tard, toutes les ventes se faisaient contre remboursement.
[116] M. Kerr a mentionné que Murphy’s entretenait des liens étroits avec Anne MacNaughton et que celle-ci connaissait ses droits en tant qu’Indienne inscrite. Il avait de bonnes relations avec elle et il lui rendait visite dans l’un de ses commerces ou ils se rencontraient au bureau de Murphy’s. M. Kerr a précisé que Roberta MacNaughton était la plus proche de sa mère et qu’elle était une très bonne femme d’affaires. Roberta MacNaughton s’occupait de la plupart des affaires pour sa famille et elle s’assurait notamment que les paiements étaient effectués. Elle prenait aussi soin de sa mère.
[117] M. Kerr a déclaré qu’au début, les modalités applicables au tabac étaient les paiements dans un délai de 7 à 30 jours, selon le fabricant. Les modalités des détaillants étaient souvent les paiements dans un délai de 7 à 14 jours. Plus tard, les modalités standard sont devenues les paiements dans un délai de zéro jour (CR). Ces modalités subsistent depuis un certain temps. Au début, les modalités imposées par Murphy’s à Anne MacNaughton étaient les paiements dans un délai de 14 à 30 jours. Elle tardait parfois à effectuer un paiement, mais elle l’effectuait toujours.
[118] M. Kerr a indiqué que Murphy’s pouvait recevoir des commandes de tabac par l’intermédiaire d’un représentant commercial, par téléphone ou par télécopieur ou que, parfois, les chauffeurs les rapportaient d’une livraison. Elles sont toutes désormais sous format électronique. Murphy’s avait des bons de commande pour chaque type de produit, notamment le tabac, les cigares et le tabac à coupe fine, les produits de confiserie. Une fois reçues, les commandes étaient saisies dans le système de Murphy’s. M. Kerr a déclaré que d’autres clients de Murphy’s utilisaient aussi des codes alphanumériques pour le ramassage et l’emballage des produits. En fait, la plupart des clients qui avaient plusieurs emplacements utilisaient un code alphanumérique pour le ramassage, l’emballage et la livraison.
[119] Anne MacNaughton et Roberta MacNaughton rapportaient les paiements au bureau de Murphy’s, à Brantford. Les paiements étaient principalement en espèces, mais parfois ils étaient réglés par chèque. Murphy’s leur faisait la livraison une ou deux fois par jour.
[120] M. Kerr a précisé que Lumsden était une concurrente de Murphy’s. Au départ, Lumsden ne vendait pas aux Indiens inscrits. Elle l’a fait plus tard. Tous les clients de Murphy’s, dans la réserve des Six Nations, payaient pratiquement toujours en espèces. Roberta MacNaughton était la cliente la plus importante de Murphy’s dans la réserve des Six Nations. Le volume des ventes a commencé modestement et a augmenté considérablement au fil du temps.
[121] M. Kerr a précisé que Roberta MacNaughton a lancé Grandview Variety au milieu des années 1990. À l’époque, il était sur le point de passer au service d’un autre grossiste, Carries Wholesale.
[122] M. Kerr a déclaré que Murphy’s vendait à Grandview lorsque Roberta MacNaughton a ouvert son magasin. C’était un magasin ultramoderne et Murphy’s l’a aidée à l’installer. M. Kerr a affirmé que Murphy’s aidait souvent les clients, dont Roberta MacNaughton, à mettre sur pied leur magasin, y compris en matière de planification.
[123] M. Kerr a mentionné que Murphy’s saisissait les commandes données par ses clients, y compris les codes de bons de commande, quels qu’ils soient, qu’ils demandaient.
[124] M. Kerr a déclaré qu’il travaille maintenant chez Sobeys.
[125] Lumsden était un grossiste en produits d’épicerie plus important que Murphy’s et avait un éventail de produits plus large. Elle a déplacé l’un de ses emplacements à Brantford, à environ trois pâtés de maisons de l’emplacement de Murphy’s.
[126] M. Kerr a précisé que Lumsden a aussi aidé Roberta MacNaughton à mettre sur pied le magasin Grandview. Roberta MacNaughton a finalement informé Murphy’s qu’elle confiait certains de ses contrats à Lumsden, parce que c’était mieux. Elle a toutefois continué à acheter des produits de Murphy’s. Murphy’s n’a gardé qu’une petite partie de ses activités. Une fois, Murphy’s lui a offert, comme signe de bienveillance envers sa cliente, un barbecue. Offrir à un client un barbecue ou une télévision était une pratique courante chez Murphy’s.
[127] M. Kerr a déclaré que lorsque Murphy’s a perdu la plupart des contrats avec Roberta MacNaughton, il a quitté Murphy’s peu de temps après, car les ventes de Murphy’s diminuaient et elle avait commencé à fermer certaines de ses succursales. Il s’est ensuite joint à Carries Wholesale. Murphy’s a fermé vers 1997 ou 1998 et il l’a quittée près d’un an avant.
[128] M. Kerr a affirmé qu’il y a eu un vol chez Grandview, mais qu’il n’a pas eu à gérer les conséquences de ce vol. Roberta MacNaughton devait peut-être de l’argent à Murphy’s à l’époque, car le paiement des achats était assorti de modalités, mais Murphy’s a été payée intégralement. Le remboursement a peut-être été effectué grâce à des remises sur volume.
[129] M. Kerr a précisé ne pas avoir beaucoup vendu aux MacNaughton pendant qu’il travaillait chez Carries. Il était chez Carries depuis près de 13 ou 14 ans.
[130] M. Kerr a affirmé que, pendant plusieurs années, Murphy’s a été le premier à obtenir un contrat avec les MacNaughton. Ils étaient déjà un client lorsqu’il a commencé chez Murphy’s. Plus tard, Murphy’s a continué à vendre des produits à Roberta MacNaughton, notamment certains produits du tabac. M. Kerr a indiqué que Roberta MacNaughton achetait des produits auprès de plusieurs grossistes, notamment Lumsden et Murphy’s, ainsi que directement auprès de certains fabricants comme Coca-Cola ou une boulangerie. M. Kerr a mentionné qu’il était habituel dans l’industrie que les magasins obtiennent leurs produits auprès de plusieurs sources et qu’ils ne confient jamais tous leurs contrats à un seul fournisseur.
(xv) Témoignage de William Brown
[131] L’appelante a appelé William Brown à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Brown a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible.
[132] M. Brown a déclaré être actuellement agent principal de programmes de l’ARC. Il a été auparavant vérificateur de la TPS et il a effectué la vérification de la TPS auprès de Lumsden qui est en cause dans le présent appel. Il a aussi été candidat à l’interrogatoire préalable du ministre. M. Brown a indiqué avoir commencé à travailler pour l’ARC en 1990 à titre de vérificateur de la taxe d’accise au bureau des services fiscaux de l’ARC, à Hamilton, puis il est passé au poste de vérificateur de la TPS, une fois que cette taxe a été instaurée. En 2001, il a été promu comme vérificateur de dossiers importants au bureau des services fiscaux de l’ARC, à Hamilton. En 2011, il est devenu chef d’équipe de vérifications d’envergure au bureau des services fiscaux de l’ARC, à Hamilton. En 2014, il a été promu au poste d’agent principal de programmes, AU-4, au sein du bureau de l’Administration centrale de l’ARC, bien qu’il ait continué à travailler à Hamilton (depuis son domicile). Au moment de la vérification menée auprès de Lumsden, M. Brown était vérificateur de dossiers importants, AU-3. M. Robert Ferrier était son superviseur ou responsable des cas. Phil Wilson, du bureau des services fiscaux de l’ARC, à Halifax, effectuait une vérification semblable auprès de Sobeys. Bob McGillivray était son chef d’équipe.
[133] M. Brown a précisé que le bulletin d’interprétation technique BIT B-039R concerne les ventes à des Indiens inscrits et que seuls deux critères s’appliquent : les ventes doivent être faites à un Indien inscrit et les biens doivent être livrés dans une réserve. Il n’est pas nécessaire de livrer à un Indien inscrit dans la réserve.
[134] M. Brown a affirmé que la vérification menée auprès de Lumsden faisait suite à une vérification menée auprès d’Allind, dont les actifs ont été achetés par Lumsden. La vérification d’Allind a commencé après son acquisition par Lumsden et une partie de la vérification a été effectuée dans les bureaux de Lumsden, car cette dernière avait certains des livres et registres d’Allind et certains des membres du personnel d’Allind ont été embauchés par Lumsden. La vérification d’Allind était ciblée et se concentrait sur les ventes de tabac à des Indiens inscrits dans la réserve des Six Nations. Il s’agissait d’une recommandation de vérification du service des enquêtes spéciales de l’ARC fondée sur des renseignements obtenus d’une enquête menée par la GRC et le ministère des Finances de l’Ontario. La vérification d’Allind et celle de Lumsden portaient uniquement sur les ventes exemptes de taxe aux Autochtones dans la réserve.
[135] M. Brown a précisé qu’en ce qui concerne la vérification de Lumsden, il a conclu que toutes les livraisons de produits du tabac en question ont été effectuées dans la réserve des Six Nations. Il s’agit là d’un fait admis.
[136] M. Brown a affirmé avoir rencontré Roberta MacNaughton, mais qu’elle n’a pas dit grand-chose. Leur rencontre a eu lieu chez Tim Horton’s. Elle voulait enregistrer la rencontre, mais il a refusé, car cela allait à l’encontre de la politique de l’ARC. M. Brown a précisé lui avoir expliqué les conséquences de différentes situations, notamment celle où elle achetait des produits du tabac auprès de Lumsden, puis les revendait par opposition à la situation où elle agissait à titre de mandataire. Il a expliqué qu’elle serait responsable de la TPS/TVH si elle achetait et revendait, mais que Lumsden serait responsable si elle agissait à titre de mandataire. Elle a répondu qu’elle n’était ni employée de Lumsden ni perceptrice d’impôts. Cependant, M. Brown a indiqué ne pas avoir adressé de menaces à Roberta MacNaughton.
[137] M. Brown a déclaré qu’Allind ne livrait pas toujours dans la réserve et créait aussi de faux documents pour faire croire que les ventes faites à des Indiens non inscrits étaient effectuées par l’intermédiaire d’Herman Styres (un Indien inscrit) qui serait simplement un prête-nom. M. Brown a mentionné qu’aucun document n’a été falsifié intentionnellement par Lumsden et qu’aucun employé de Lumsden n’a menti ou tenté de tromper l’ARC (tous étaient honnêtes).
(xvi) Témoignage de James Gilbert
[138] L’appelante a appelé James Gilbert à témoigner lors de l’audition du présent appel. M. Gilbert a répondu de manière franche et directe, et il m’a semblé être un témoin crédible.
[139] M. Gilbert est retraité. Il a auparavant travaillé pour l’ARC en exerçant diverses fonctions.
DROIT ET DISCUSSION
[140] Comme cela a été mentionné précédemment, la principale question dans le présent appel est celle de savoir si les MacNaughton (y compris Roberta MacNaughton) étaient les acquéreurs, au sens du paragraphe 123(1) de la LTA, des produits du tabac fournis par LBL pendant les périodes visées. Si les MacNaughton étaient les acquéreurs des produits du tabac fournis par LBL pendant les périodes visées, les fournitures étaient alors exonérées de la TPS, conformément à l’article 87 de la Loi sur les Indiens, car elles étaient livrées dans la réserve des Six Nations à des Indiens inscrits aux termes de la Loi sur les Indiens.
[141] Le paragraphe 123(1) de la LTA définit ainsi le terme « acquéreur »
:
acquéreur
a) Personne qui est tenue, aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;
b) personne qui est tenue, autrement qu’aux termes d’une convention portant sur une fourniture, de payer la contrepartie de la fourniture;
c) si nulle contrepartie n’est payable pour une fourniture :
(i) personne à qui un bien, fourni par vente, est livré ou à la disposition de qui le bien est mis,
(ii) personne à qui la possession ou l’utilisation d’un bien, fourni autrement que par vente, est transférée ou à la disposition de qui le bien est mis,
(iii) personne à qui un service est rendu.
Par ailleurs, la mention d’une personne au profit de laquelle une fourniture est effectuée vaut mention de l’acquéreur de la fourniture.
[142] En l’espèce, après avoir examiné l’ensemble des nombreux éléments de preuve verbale et documentaire présentés par les parties, je suis d’avis que ces éléments de preuve établissent, selon la prépondérance des probabilités, que les MacNaughton étaient les acquéreurs des fournitures des produits du tabac pendant les périodes visées. À cet égard, je suis d’avis que les MacNaughton, et plus précisément Roberta MacNaughton, ont conclu un accord verbal avec Lumsden pour acheter les produits du tabac auprès de Lumsden et que Roberta MacNaughton était tenue, aux termes de cet accord, de payer à Lumsden les produits du tabac. Par conséquent, je suis d’avis que Roberta MacNaughton était une acquéreuse conformément à la définition d’« acquéreur »
figurant à l’alinéa 123(1)a) de la LTA. Si cet alinéa ne s’appliquait pas, je suis d’avis que l’alinéa 123(1)b) de la définition d’« acquéreur »
s’appliquerait à titre subsidiaire, car j’estime que la preuve établit que les MacNaughton étaient tenus de payer la contrepartie pour l’achat des produits du tabac.
[143] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la preuve établit clairement ce qui suit :
-
a)les MacNaughton, à commencer par Anne MacNaughton, exploitaient un commerce de détail et une entreprise commerciale dans la réserve depuis un grand nombre d’années, à partir des années 1960;
-
b)Roberta MacNaughton, qui exploitait des commerces sous le nom de Nickel and Dime et Grandview Variety, exploitait un commerce de détail et une entreprise commerciale depuis environ 1995 dans la réserve;
-
c)le commerce de détail et l’entreprise commerciale des MacNaughton, dont Roberta MacNaughton, comprenaient l’achat et la vente de produits du tabac, notamment des cigarettes, du tabac en vrac et des cigares;
-
d)l’ARC savait qu’il y avait une opinion largement répandue, durant les périodes visées, parmi les Indiens du Canada, selon laquelle leurs activités commerciales étaient exonérées de la TPS;
-
e)les MacNaughton, dont Roberta MacNaughton, avaient l’intention et ont convenu verbalement d’acheter des produits du tabac auprès de Lumsden pour les revendre dans la réserve;
-
f)Lumsden avait l’intention et a convenu verbalement de vendre des produits du tabac aux MacNaughton dans la réserve;
-
g)Lumsden et les MacNaughton ont conclu des accords verbaux juridiquement contraignants pour l’achat et la vente de produits du tabac dans la réserve;
-
h)les produits du tabac ont été vendus et livrés par Lumsden aux MacNaughton dans la réserve;
-
i)Lumsden s’attendait des MacNaughton qu’ils paient la contrepartie pour les produits du tabac;
-
j)Lumsden n’avait aucun rapport juridique avec les clients des MacNaughton, dont ceux de Roberta MacNaughton, et ces clients n’avaient aucune obligation légale de payer Lumsden pour les produits du tabac.
[144] Je remarque que pratiquement tous les témoins de l’intimé, parmi lesquels Roberta MacNaughton et les anciens employés de Lumsden, considéraient Roberta MacNaughton, et non ses clients, comme la cliente de Lumsden et la personne tenue de payer les produits du tabac. À mon avis, la preuve documentaire présentée au procès étaye aussi largement cette thèse.
[145] Bien que l’intimé ait tenté de soutenir le contraire, d’après sa perception des activités ordinaires de Lumsden, je remarque que Lumsden était une grande organisation à l’intérieur du groupe Sobeys qui était encore plus grand, et qu’elle disposait d’une clientèle très importante qui couvrait un grand nombre de types d’activités commerciales différents.
[146] En l’espèce, la preuve établit que les ventes de Lumsden aux MacNaughton, et à Roberta MacNaughton plus précisément, étaient en quelque sorte intégrées. Cela n’était toutefois pas inhabituel pour Lumsden ou les industries du commerce de gros et de détail. Ainsi, un exemple donné lors des témoignages concernait la vente par Lumsden à un dépanneur Quickway, où des produits, comme le lait et les boissons gazeuses, étaient livrés dans les rayons du magasin par les fournisseurs de produits de Lumsden. Par conséquent, un fournisseur peut livrer un produit directement à un dépanneur qui le vendra ensuite à un consommateur. Cependant, la chaîne d’approvisionnement légale était la vente du produit par le fournisseur à Lumsden, qui vendait ensuite le produit au dépanneur qui lui-même le vendait au consommateur.
[147] Je remarque aussi que la vente des produits du tabac par Lumsden à Roberta MacNaughton donnait souvent lieu à une revente à ses clients presque simultanément. Il s’agissait essentiellement de ventes éclairs qui sont des types de ventes courants. Je remarque aussi que la LTA comporte des règles de la TPS pour d’autres types d’opérations faisant intervenir plusieurs parties, comme les règles de la livraison directe. À mon avis, le fait que la relation d’affaires entre Lumsden et les MacNaughton ait été plus complexe que celle entre Lumsden et ses autres clients n’est ni un problème ni une exception.
[148] Même si la vente des produits du tabac par Lumsden à Roberta MacNaughton n’était pas « normale »
ou raisonnable ou même si elle était considérée comme illégale (ce qui n’est pas allégué en l’espèce), cela n’aurait aucune pertinence. La question en litige dans le présent appel est de savoir qui était l’acquéreur de la fourniture des produits du tabac. En général, cela n’aurait aucune importance si les fournitures étaient « anormales »,
voire illégales.
[149] Je constate aussi que certains des aspects uniques du rapport juridique entre Lumsden et les MacNaughton découlaient peut-être des restrictions imposées par la Loi sur les Indiens. Par exemple, la difficulté à assurer la sécurité des biens des MacNaughton dans la réserve ou à prendre des mesures de recouvrement contre les MacNaughton, à l’égard de leurs biens dans la réserve, favorisait des opérations en espèces lorsqu’il était question de volumes de ventes élevés. Cette question a été examinée par Lumsden dans le contexte des étapes qu’elle envisageait pour recouvrer la somme de près de 320 000 $ que Roberta MacNaughton lui devait après le vol à main armée survenu dans son magasin.
[150] En l’espèce, le ministre allègue qu’il y a eu une fuite de la TPS dans la chaîne d’approvisionnement en ce qui concerne la vente des produits du tabac. Ce n’est toutefois pas la question en litige en l’espèce. La seule question en litige est de savoir si Lumsden était tenue de facturer et de percevoir la TPS sur la vente des produits du tabac. Ayant établi que Lumsden fournissait des produits du tabac aux MacNaughton, dans la réserve, je suis d’avis que Lumsden n’était pas tenue de facturer ni de percevoir la TPS sur la vente des produits du tabac, car les ventes étaient exonérées de la TPS, conformément à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Toute fuite de la TPS à un moment donné dans la chaîne d’approvisionnement n’est pas en cause dans le présent appel.
[151] Ayant conclu que la TPS ne s’appliquait pas à la vente des produits du tabac par Lumsden aux MacNaughton, je suis d’avis que toutes les autres questions soulevées dans le présent appel, notamment en ce qui concerne la nouvelle cotisation pour les périodes de déclaration frappées de prescription et les pénalités, sont théoriques.
CONCLUSION
[152] Compte tenu de tout ce qui précède, l’appel interjeté par LBL à l’encontre des nouvelles cotisations datées du 23 juin 2005 et établies en application de la Loi sur la taxe d’accise (Canada) pour les périodes de déclaration mensuelle concernant la TPS de l’appelante, du 1er janvier 1999 au 29 février 2000, est accueilli, et les nouvelles cotisations sont annulées.
DÉPENS
[153] Les dépens sont adjugés à l’appelante. Les parties disposent d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’appelante disposera alors d’un délai de 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’intimé disposera d’un délai de 30 jours pour déposer sa réponse par écrit. Ces observations ne doivent pas dépasser dix pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu’elles sont parvenues à un accord et qu’il n’y a pas de dépôt d’observations, les dépens seront adjugés à l’appelante selon ce que prévoit le tarif.
Les présents motifs modifiés du jugement remplacent les motifs du jugement datés du 29 août 2023.
Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de septembre 2023.
« Henry A. Visser »
Le juge Visser
Traduction certifiée conforme
ce 30e jour d’avril 2025.
Guillaume Chénard, jurilinguiste principal
COMPARUTIONS :
Me David Douglas Robertson Me Jonathan Ip Me Brittany Rossler |
|
Avocats de l’intimé : |
Me Craig Maw Me Tony C. Cheung |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nom : |
Me Jonathan Ip Me Brittany Rossler |
Cabinet : |
EY Cabinet d’avocats s.r.l./S.E.N.C.R.L. |
Pour l’intimé : |
Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada Ottawa, Canada |
[1] Les noms « LBL »
et « Lumsden »
sont utilisés de manière interchangeable pour désigner l’appelante aux présentes.
[2] L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa forme modifiée. Sauf indication contraire, tous les renvois législatifs aux présentes sont des renvois aux dispositions de la LTA. Les références à la TPS dans les présentes englobent toute TVH admissible en application de la LTA.
[3] LBL Holdings Limited c. La Reine, 2015 CCI 115, par. 4.
[4] Voir la liste conjointe de pièces datée du 30 octobre 2020.
[5] Voir les pièces A-11 et R-9.