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Dossier : 2017-2245(IT)G

ENTRE :

BOBBIE MANN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Appel entendu les 27, 28 et 29 juin 2022, à Toronto (Ontario), et le 21 septembre 2022, à Ottawa (Ontario)

Devant : l’honorable juge Bruce Russell


Comparutions :

Avocat de l’appelante :

Me Osborne G. Barnwell

Avocat de l’intimé :

Me Chris Eccles

 

JUGEMENT

Les appels respectifs visant les quatre nouvelles cotisations établies le 22 mars 2017, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (la « Loi »), à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition 2008, 2011, 2012 et 2013 sont accueillis pour les motifs suivants, conformément aux motifs du jugement ci-joints :

Nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008

(i) La nouvelle cotisation a été établie de façon valable en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i) de la Loi.

(ii) Le dépôt de 502 788 $, pris en compte comme revenu non déclaré dans la nouvelle cotisation, est réduit à 99 607 $, qui sera imposé à titre de capital.

(iii) Le dépôt de 48 000 $, pris en compte comme revenu non déclaré dans la nouvelle cotisation, est accepté comme don familial et n’est donc pas imposable.

(iv) Le montant de 1 733 $, qui est le montant total de plusieurs dépôts non identifiés qui a été pris en compte comme revenu non déclaré dans la nouvelle cotisation, est accepté comme n’étant pas un revenu non déclaré et n’est donc pas imposable.

(v) Les pénalités pour faute lourde devront être rajustées, au besoin.

Nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2011

(i) Les dépôts de 9 000 $ et de 5 000 $, chacun pris en compte comme revenu non déclaré dans la nouvelle cotisation, sont acceptés comme dons familiaux et ne sont donc pas imposables.

(ii) Les pénalités pour faute lourde devront être rajustées, au besoin.

Nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2012

(i) Les montants de disposition de 121 855 $ (chemin Stillmeadow) et de 124 886 $ (avenue Ogden) doivent être imposés à titre de capital.

(ii) Les montants de 11 600 $ et 4 143 $ sont acceptés comme revenus déclarés et ne sont donc pas imposables.

(iii) Les pénalités pour faute lourde devront être rajustées, au besoin.

Nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2013

(i) La part des paiements à titre de règlement de 22 083 $ doit être imposée à titre de capital, conformément à la nouvelle cotisation.

(ii) Le montant de 6 240 $ en dépôts non identifiés, imposé comme revenu non déclaré, doit être réduit à 5 500 $.

(iii) Toutes les pénalités pour faute lourde doivent être retirées, sauf celle imposée à l’égard du dépôt de 500 $ qui aurait été un loyer.

Dépens : en raison du fait qu’elles ont toutes deux eu partiellement gain de cause, les parties disposent de 45 jours à partir de la date du présent jugement pour déposer des observations concernant les dépens (lesquelles doivent être d’un maximum de sept pages, à double interligne) si elles ne s’entendent pas entre-temps sur les dépens.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 24e jour d’octobre 2023.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mai 2025.

Guillaume Chénard, jurilinguiste principal


Référence : 2023 CCI 151

Date : 24102023

Dossier : 2017-2245(IT)G

ENTRE :

BOBBIE MANN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Russell

I. Introduction

[1] L’appelante, Mme Kanwaljit « Bobbie » Mann, a interjeté appel des nouvelles cotisations établies à son égard le 22 mars 2017, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale (la « Loi »), pour les années d’imposition 2008 à 2013, inclusivement. Il s’agit de nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette et établies en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi, qui autorise l’établissement de cotisations ou de nouvelles cotisations indépendamment de la déclaration ou des renseignements fournis par le contribuable.

[2] Au début de l’audience, l’intimé a reconnu le bien-fondé des appels interjetés par l’appelante concernant les années d’imposition 2009 et 2010. Les appels relatifs aux années d’imposition 2008, 2011, 2012 et 2013 demeurent en litige. La nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008 a été établie au-delà de sa période normale de nouvelle cotisation applicable, et il est donc possible qu’elle soit « frappée de prescription ».

[3] L’appelante détient un diplôme d’études postsecondaires et est comptable professionnelle agréée. Elle a été une employée de l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») pendant environ 30 ans. Elle a récemment occupé à l’ARC un poste d’examinatrice financière (c’est-à-dire de vérificatrice) des demandes de crédits d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental (« RS&DE »). Elle a préparé ses propres déclarations de revenus pour les années en cause.

II. Nouvelles cotisations

[4] Dans son avis d’appel, l’appelante fait valoir que [traduction] « l’utilisation d’une méthode fondée sur la valeur nette en l’espèce était inappropriée »[1].

[5] Le 5 juin 2015, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi de nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette en fonction des obligations fiscales de l’appelante, ce qui a donné lieu à un montant total de 5 540 547 $ en revenus non déclarés pour les années d’imposition 2008 à 2013, inclusivement. Des avis d’opposition ont été signifiés. En réponse, le 22 mars 2017, une nouvelle cotisation fondée sur la valeur nette a été établie à l’égard de l’appelante, ce qui a donné lieu à un montant total sensiblement réduit de 473 179 $ en revenus non déclarés.

[6] Les nouvelles cotisations établies le 22 mars 2017 pour les autres années d’imposition en cause faisant l’objet du présent appel prévoient les pénalités pour faute lourde suivantes :

Année d’imposition

Revenu total révisé

Pénalités pour faute lourde

2008

212 894 $

20 718 $

2011

106 866 $

2 773 $

2012

341 283 $

36 875 $

2013

79 585 $

3 135 $

[7] Dans la réponse de l’intimé, les hypothèses du ministre sont formulées dans la section [traduction] « Valeur nette », qui comprend en particulier :

– le paragraphe 16(n) : [traduction] « l’appelante n’a tenu aucun livre ou registre personnel approprié pour les années d’imposition 2008, 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013 »;

– le paragraphe 16(o) : [traduction] « l’appelante n’a pas inclus tous les revenus qu’elle a gagnés au moment de déclarer son revenu pour chaque année […] ».

III. Questions en litige

[8] Les deux parties ont plaidé les trois mêmes questions : (i) les montants des revenus non déclarés que l’appelante a contestés constituent-ils un revenu en vertu de la Loi; (ii) l’année d’imposition 2008 est-elle frappée de prescription; et (iii) les pénalités imposées prévues au paragraphe 163(2) sont-elles valides?

[9] Dans ses observations écrites postérieures à l’audience, l’appelante a soulevé deux [traduction] « arguments subsidiaires » : (i) l’hypothèse du ministre qui soutient l’utilisation d’une approche fondée sur la valeur nette a-t-elle été démolie par l’appelante; et (ii) la Cour a-t-elle compétence pour invalider ou annuler les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette qui, selon l’appelante, ont été [traduction] « contaminée[s] par un processus illégitime »[2]?

IV. Contexte factuel

[10] L’appelante et son époux, M. Jagit Basi, ont acheté et vendu plusieurs propriétés résidentielles à Mississauga au cours des années d’imposition en cause, y compris les résidences suivantes : 45, rue Bay; 1225, Mineola Gardens; 16, promenade Ben Machree; 2615, chemin Stillmeadow; et 1608, avenue Ogden. Les deux dernières propriétés étaient détenues au nom de leur enfant adulte, Anita Basi.

V. Analyse

[11] J’examine d’abord les deux questions soulevées dans les observations postérieures à l’audience de l’appelante.

Première question postérieure à l’audience : la Cour a-t-elle compétence pour annuler les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette qui sont [traduction] « contaminée[s] par un processus illégitime »?

[12] L’appelante estime que le ministre a procédé de façon inappropriée en établissant de nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette [traduction] « et que la Cour de l’impôt a compétence pour invalider ou annuler la nouvelle cotisation contaminée par un processus illégitime »[3].

[13] Un vérificateur de l’ARC a examiné la vérification initiale de la valeur nette en tenant compte du fait que de nouveaux éléments de preuve avaient été reçus. L’appelante conteste le fait qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve. L’agent des appels a examiné les recommandations du deuxième vérificateur et les a acceptées, comme en témoignent les nouvelles cotisations établies le 22 mars 2017.

[14] Les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette établies le 22 mars 2017 ont réduit les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette établies le 15 juin 2015 en faveur de l’appelante de 5 540 547 $ à 473 179 $.

[15] De plus, l’appelante cite un [traduction] « “harcèlement” inutile » du contribuable dans le cadre de l’enquête de l’ARC [traduction] « dans les affaires financières de sa famille », [traduction] « des visites à la banque de l’appelante », du fait que tout cela [traduction] « dress[e] un portrait négatif de l’appelante vis‑à‑vis des autres, comme si elle était une fraudeuse fiscale ou une tricheuse »[4].

[16] L’appelante soutient que la Cour a compétence pour annuler les nouvelles cotisations en raison de ce [traduction] « processus illégitime ». De plus, elle fait valoir que les faits en l’espèce peuvent se distinguer de ceux d’autres affaires parce que la conduite en cause n’a aucun lien direct avec les montants des nouvelles cotisations établies[5]. L’appelante soutient qu’en l’espèce, la mauvaise application présumée de la politique interne de l’ARC était [traduction] « directement liée à la validité du montant des cotisations »[6].

[17] De plus, l’appelante a soutenu que la méthode fondée sur la valeur nette a été utilisée de manière abusive, citant des montants mineurs qualifiés de revenus parce qu’ils n’étaient pas identifiés et que le ministre ne les a pas reconnus comme étant manifestement non imposables. L’appelante a soutenu que, [traduction] « [b]ien sûr, la Cour ne peut pas et ne doit pas ignorer le genre d’“abus” dont elle est saisie »[7].

[18] L’appelante qualifie ce processus de [traduction] « manquement à l’équité » et de [traduction] « procédure non autorisée », et qualifie les cotisations de [traduction] « viciées »[8].

[19] L’intimé estime que la conduite et le processus suivis pour établir les nouvelles cotisations ne sont pas pertinents. La compétence de la Cour lui permet de déterminer si les nouvelles cotisations faisant l’objet d’un appel sont valides en fonction des faits et du droit applicable[9].

[20] Dans l’arrêt Main Rehabilitation Co. c. Canada[10], la Cour d’appel fédérale a déclaré que :

[…] l’appel interjeté sur le fondement de l’article 169 met en cause la validité de la cotisation et non du processus ayant conduit à l’établir […]. Autrement dit, il ne s’agit pas de déterminer si les fonctionnaires de l’[ARC] ont correctement exercé leurs pouvoirs, mais plutôt de déterminer si les montants pouvaient valablement être cotisés sous le régime de la Loi […]. [Non souligné dans l’original.]

[21] De même, dans l’arrêt Ereiser c. Canada[11], la Cour d’appel fédérale a déclaré que :

[…] la mission de la Cour canadienne de l’impôt lors d’un appel dirigé contre une cotisation d’impôt sur le revenu consistait à déterminer la validité et le bien‑fondé de la cotisation en fonction des dispositions applicables de la [Loi] et des faits donnant lieu à l’obligation du contribuable prévue par la loi. En toute logique, la conduite du fonctionnaire du fisc qui autorise l’établissement d’une cotisation n’est pas pertinente pour déterminer cette obligation prévue par la loi. Il est évident que la conduite fautive d’un fonctionnaire du fisc n’est pas pertinente quant à la détermination de la validité ou du bien‑fondé de la cotisation. [Non souligné dans l’original.]

[22] L’appelante a soutenu que son cas se distingue en raison du lien direct entre la conduite des fonctionnaires de l’ARC et les montants des nouvelles cotisations. Toutefois, l’allégation de faute en cause dans l’arrêt Ereiser était en fait directement liée au montant d’une nouvelle cotisation, c’est-à-dire que les fonctionnaires de l’ARC ont déclaré qu’ils établiraient une nouvelle cotisation d’un montant inférieur de 80 000 $ « tout compris » si l’appelant plaidait coupable à des accusations d’évasion fiscale connexes. Néanmoins, la Cour d’appel fédérale a déterminé que « l’allégation […] relative à la contrainte exercée par des fonctionnaires du fisc »[12] n’était pas un fondement qui permettait à la Cour d’annuler les nouvelles cotisations.

[23] De plus, la juge Monaghan, alors juge à la Cour canadienne de l’impôt, a déclaré ce qui suit dans la décision Auto Maculate Inc. c. La Reine, 2020 CCI 105, par. 47, citant l’arrêt Hawkes c. Canada, 1996 CanLII 3936 (C.A.F.) :

On ne peut invoquer les cotisations provisoires, les propositions ou les opinions formulées par les auditeurs ou la division des appels de l’Agence pour démontrer l’invalidité de la nouvelle cotisation définitive.

[24] L’appelante a comparé cette situation à celle de l’arrêt Canada c. O’Neill Motors Limited[13]. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a approuvé le recours au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés pour annuler une nouvelle cotisation, lorsqu’il y avait violation de l’article 8 de la Charte (protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives)[14].

[25] Une violation de la Charte peut avoir une incidence sur l’admissibilité d’éléments de preuve obtenus par le ministre. En soutenant que les fonctionnaires de l’ARC avaient mal agi, l’avocat de l’appelante a fait allusion à une possible violation du droit de l’appelante à l’égalité en vertu de l’article 15 de la Charte. Cette allégation n’a pas été élaborée, et aucune disposition de la Charte n’a été invoquée dans l’avis d’appel[15].

[26] En conclusion, la jurisprudence établit clairement, sous réserve d’arguments fondés sur la Charte, en particulier des éléments de preuve obtenus de façon inappropriée, que la Cour n’a pas compétence pour annuler les nouvelles cotisations lorsque les fonctionnaires de l’ARC n’ont pas exercé leurs pouvoirs de façon appropriée.

Deuxième question postérieure à l’audience : les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette devraient-elles être annulées parce que rien ne justifie l’utilisation de la méthode de la valeur nette pour établir les nouvelles cotisations?

[27] La deuxième question non plaidée soulevée après l’audience par l’appelante est de savoir si les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette qui font l’objet du présent appel devraient être annulées parce que rien ne justifie l’utilisation de ces nouvelles cotisations. L’appelante soutient que les faits de l’espèce ne soutiennent pas l’utilisation de nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette. Le ministre a formulé l’hypothèse susmentionnée selon laquelle l’appelante n’avait pas tenu les livres et les registres appropriés.

[28] Les éléments de preuve indiquent qu’au début de la vérification, en 2014, l’agent de l’ARC affecté à la vérification avait communiqué avec l’appelante pour lui demander de le rencontrer et obtenir des livres et des registres. L’appelante a d’abord refusé de rencontrer l’agent de l’ARC et a retenu les services d’un avocat qui a lui-même rencontré le vérificateur de l’ARC.

[29] Apparemment, une grande partie des documents de l’appelante concernant ses activités immobilières et ses opérations bancaires étaient conservés dans une armoire dans le sous-sol de la résidence de l’appelante et de son époux, située au 45, rue Bay. L’appelante a déclaré que ces documents avaient été perdus en juillet 2013, lorsque le sous-sol a été inondé[16]. Rien ne corrobore cet événement, comme une réclamation d’assurance ou une photo du sous-sol inondé.

[30] L’avocat de l’appelante a refusé de fournir à l’ARC tout document demandé par le vérificateur de l’ARC concernant les années frappées de prescription (c’est‑à‑dire les années 2008, 2009 et 2010), à moins que l’ARC n’avise l’avocat de la raison pour laquelle elle cherche à vérifier l’une de ces années frappées de prescription.

[31] Étant donné que l’appelante n’a pas fourni les documents demandés, le vérificateur de l’ARC a demandé des renseignements à diverses institutions financières et effectué des recherches sur les propriétés[17]. Le vérificateur s’est interrogé sur la façon dont l’appelante et son époux, avec leurs revenus déclarés, pouvaient acheter plusieurs propriétés immobilières et obtenir des prêts hypothécaires importants[18]. Une note de service de l’ARC avisait d’un risque lié à des revenus non déclarés[19]. Il semble que l’appelante détenait plusieurs propriétés en plus de sa résidence principale, lesquelles représentaient une valeur de plus de 3 millions de dollars[20].

[32] L’appelante soutient que, peu importe l’ampleur de la collaboration, le vérificateur de l’ARC avait tout ce dont il avait besoin pour effectuer une vérification sans avoir à utiliser la méthode de la valeur nette. L’appelante affirme également qu’aucune confiance ne devrait être accordée aux nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette établies le 22 mars 2017 qui, collectivement, ont réduit de plus de 5 millions de dollars les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette établies le 15 juin 2015.

[33] La position de l’intimé est que l’utilisation de la méthode de la valeur nette pour établir de nouvelles cotisations est appropriée lorsqu’un contribuable détient des registres peu fiables ou qu’il n’en détient aucun, et qu’il ne collabore pas suffisamment avec le ministre pour fournir les registres concernés.

[34] L’intimé soutient que l’appelante n’a pas tenu ou, à tout le moins, n’a pas produit beaucoup de livres et de registres, et que l’appelante n’a pas collaboré avec le vérificateur et l’ARC tout au long des processus de vérification et d’appel. L’intimé prétend qu’il était approprié pour le vérificateur d’établir de nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette[21].

[35] Dans la décision Truong c. La Reine[22], le juge Bocock a noté qu’un contribuable peut contester une cotisation subsidiaire, comme une cotisation fondée sur la valeur nette établie en vertu du paragraphe 152(7) de la Loi, de trois façons : (i) contester sa nécessité ou la méthode choisie au départ; (ii) contester des aspects précis du montant fixé, la méthode suivie ou des éléments inclus; et (iii) produire des éléments de preuve au sujet des sources non imposables de revenus que le contribuable a reçus.

[36] Dans l’arrêt Guibord c. Canada[23], la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel où le contribuable a soutenu que les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette auraient dû être annulées, puisqu’elles n’étaient pas fondées sur des principes et qu’elles avaient été établies de manière arbitraire et non de manière rationnelle, dans la mesure où le ministre aurait pu utiliser une autre méthode.

[37] En rejetant cet appel, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer que, dans la décision faisant l’objet de l’appel, la juge V.A. Miller de la Cour avait remis en question l’intégrité des éléments de preuve du contribuable à plusieurs égards, y compris le fait que les systèmes utilisés par l’appelant pour les ventes et les rapprochements quotidiens de l’encaisse étaient désordonnés et douteux, que les montants importants attribuables aux ventes n’étaient pas versés dans la caisse et que l’un des appelants traitait ses fonctions de comptable de manière désinvolte et futile. Cela a amené la juge de première instance à ne pas accepter les explications des appelants concernant les écarts entre les revenus déclarés et les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette[24].

[38] Dans l’affaire Mensah c. La Reine[25], l’utilisation de la méthode de la valeur nette pour établir de nouvelles cotisations a été jugée inappropriée, puisqu’il a été conclu que la contribuable avait tenu des registres « de façon minutieuse », et le juge en chef Bowman a conclu qu’elle était un témoin très crédible et honnête.

[39] En l’espèce, je refuse d’annuler les nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette en litige. En ce qui concerne les détails contestés de ces nouvelles cotisations fondées sur la valeur nette, les éléments de preuve de l’appelante sont parfois remis en question et les registres de l’appelante n’ont pas été tenus de façon minutieuse. De plus, les vérificateurs de l’ARC n’ont pas eu la pleine collaboration de l’appelante.

[40] J’examine maintenant les questions soulevées, selon les années d’imposition.

Année d’imposition 2008

A. Dépôt de 502 788 $ et gain en capital de 99 607 $

[41] Le 9 mai 2008, le ministre a établi de nouvelles cotisations en raison d’un dépôt de 502 788 $ dans le compte bancaire de l’appelante, dépôt qui n’avait aucunement été déclaré dans la déclaration de l’appelante pour l’année d’imposition 2008. En fin de compte, le montant a été identifié comme étant un paiement de l’avocat de l’appelante pour le produit de la disposition de la propriété résidentielle au 1225, Mineola Gardens (la propriété de Mineola Gardens).

[42] Le 17 avril 2007, l’appelante et son époux ont acheté conjointement la propriété de Mineola Gardens pour 670 000 $. Ils ont vendu la propriété de Mineola Gardens le 9 mai 2008 pour 830 000 $, dont 502 788 $ ont été déposés dans le compte de l’appelante à la clôture. Après les déductions nécessaires, y compris le prix de base rajusté, il a été déterminé que le gain réalisé par l’appelante grâce à la disposition de la propriété de Mineola Gardens était de 99 607 $[26].

[43] L’appelante affirme que la propriété de Mineola Gardens était sa résidence principale au moment de sa vente en 2008. Néanmoins, dans son rapport de 2008, l’appelante n’a rien déclaré au sujet de la disposition de la propriété de Mineola Gardens, ou de la désignation de la propriété de Mineola Gardens comme étant sa résidence principale.

[44] L’appelante a déclaré qu’au début de 2007, elle, son époux et leurs trois enfants âgés de 14, 20 et 22 ans habitaient dans leur propriété résidentielle de la rue Bay. Toutefois, elle et son époux ne s’entendaient pas. En avril 2007 ou vers cette date, elle a quitté sa résidence de la rue Bay avec les enfants. Ils ont emménagé dans la propriété de Mineola Gardens, nouvellement acquise. Son époux, qui est resté à la propriété de la rue Bay, a témoigné en disant que son nom figurait sur le titre de la propriété de Mineola Gardens en tant que copropriétaire, avec son épouse, pour faciliter l’obtention d’un prêt hypothécaire pour cette propriété.

[45] L’appelante et son époux sont restés mariés et ne sont pas séparés aux termes d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation, comme il est prévu dans la définition de « résidence principale » à l’article 54 de la Loi, citée ci-dessous.

[46] La propriété de Mineola Gardens n’était pas une maison finie au moment de l’achat. Une cuisine a finalement été installée, mais entre-temps, l’appelante et les enfants utilisaient un poêle de camping pour préparer leurs repas. Il n’y avait que peu de portes intérieures, voire aucune, dans cette maison de trois chambres à coucher.

[47] L’appelante a déclaré qu’en décembre 2007, elle et son époux ont commencé à envisager de se réconcilier. Ils étaient disposés à se réconcilier pour des raisons culturelles liées aux fiançailles potentielles de leur fille aînée. Ils ont donc décidé de vendre la propriété de Mineola Gardens. Le moment de la mise en vente de la propriété de Mineola Gardens n’est pas clair, mais il est probable qu’elle a eu lieu à la fin de 2007. L’appelante a déclaré qu’au début de janvier, à l’aide d’une voiture et d’une remorque, elle avait ramené des meubles et des effets personnels à la propriété de la rue Bay. Les enfants étaient alors retournés à la propriété de la rue Bay, ou y étaient déjà.

[48] Les éléments de preuve de l’appelante montrent qu’elle passait la nuit à la propriété de Mineola Gardens. Par ailleurs, il semble qu’elle vivait essentiellement à la propriété de la rue Bay avec le reste de sa famille. Elle a affirmé que, chaque matin, avant d’aller travailler, elle se rendait à la propriété de la rue Bay pour prendre une douche, faire la lessive, entre autres.

[49] Les factures d’eau de la propriété de Mineola Gardens montrent une consommation d’eau négligeable en décembre 2007 et inexistante en janvier et en février 2008. De plus, l’intimé a produit un certificat d’assurance pour l’inoccupation de la propriété de Mineola Gardens daté du 17 décembre 2007. Ce certificat indiquait que la propriété de Mineola Gardens était inoccupée aux fins d’assurance. L’appelante a affirmé qu’elle n’avait pas pu communiquer avec son agent d’assurance pour obtenir des explications concernant les raisons pour lesquelles sa compagnie d’assurance aurait délivré ce certificat. Pendant cette période, l’agent immobilier de l’appelante a également insisté pour que la propriété de Mineola Gardens soit entretenue de manière [traduction] « impeccable » afin de montrer la propriété aux acheteurs potentiels.

[50] De plus, le courrier de l’appelante a continué d’être envoyé à l’adresse de la rue Bay. L’appelante n’a jamais pris les dispositions nécessaires pour que son courrier soit acheminé à l’adresse de Mineola Gardens. Elle a affirmé que cela découlait du fait qu’elle avait eu des affaires plus importantes à régler.

[51] Une offre d’achat pour la propriété Mineola Gardens a été acceptée en avril 2008 ou vers cette date. La vente a été conclue en mai 2008.

[52] En établissant la nouvelle cotisation pour 2008, le ministre a présumé que l’appelante avait vécu dans la propriété de la rue Bay du 31 août 1999 au 30 mai 2008, date à laquelle cette propriété a été vendue. Cette hypothèse ne tient toutefois pas compte du fait qu’elle a vécu pendant un certain temps, au moins en 2007, dans la propriété de Mineola Gardens. Le certificat d’inoccupation délivré par la société d’assurance le 17 décembre 2007 laisse entendre qu’ils étaient tous retournés vivre dans la propriété de la rue Bay à cette date. Le fait qu’il n’y a eu presque qu’aucune consommation d’eau à la fin de 2007 et au cours des deux premiers mois de 2008 soutient cette conclusion.

[53] Il semble douteux que l’appelante ait continué d’avoir accès à la propriété de Mineola Gardens uniquement pour y passer la nuit, tout en évitant toute consommation d’eau, comme l’indique la facture d’eau de zéro pour les deux premiers mois de 2008.

[54] Le terme « résidence principale » est défini à l’article 54 de la Loi comme suit :

résidence principale S’agissant de la résidence principale d’un contribuable pour une année d’imposition, bien – logement, ou droit de tenure à bail y afférent, ou part du capital social d’une société coopérative d’habitation acquise dans l’unique but d’acquérir le droit d’habiter un logement dont la coopérative est propriétaire – dont le contribuable est propriétaire au cours de l’année conjointement avec une autre personne ou autrement, à condition que :

a) le contribuable étant un particulier autre qu’une fiducie personnelle, le logement soit normalement habité au cours de l’année par le contribuable, par son époux ou conjoint de fait ou ex-époux ou ancien conjoint de fait ou par un enfant du contribuable;

[…]

Toutefois sous réserve de l’article 54.1, le bien ne peut en aucun cas être considéré comme la résidence principale d’un contribuable pour une année d’imposition :

c) à moins que le contribuable, étant un particulier autre qu’une fiducie personnelle, ne l’ait désigné comme étant sa résidence principale pour l’année en la forme et selon les modalités réglementaires et qu’aucun autre bien n’ait été désigné pour l’année, pour l’application de la présente définition, par l’une des personnes suivantes :

[…]

(A) soit le contribuable,

(B) soit une personne qui a été son époux ou conjoint de fait tout au long de l’année (sauf une personne qui, tout au long de l’année, a vécu séparée du contribuable en vertu d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation), [Non souligné dans l’original.]

[55] Cette définition prévoit qu’une personne ne peut désigner qu’une seule résidence principale au cours d’une année donnée. Par conséquent, la propriété résidentielle de la rue Bay détenue conjointement par l’appelante et son époux a également été vendue en mai 2008 (ils l’ont détenue pendant neuf ans, comparativement à un an pour la propriété de Mineola Gardens), et l’appelante et son conjoint ont eu la possibilité de la désigner comme leur résidence principale en 2008.

[56] Au paragraphe 16(ii) de l’avis d’appel, l’intimé invoque l’hypothèse du ministre selon laquelle [traduction] « l’appelante n’a déclaré aucun gain en capital à l’égard de la propriété de la rue Bay ». Quelle est la pertinence de cette hypothèse dans le présent appel qui ne porte pas sur la propriété de la rue Bay? Rien ne laisse entendre que, comme pour la propriété de Mineola Gardens, le gain en capital découlant de la vente de la propriété de la rue Bay était imposable.

[57] Il est sans doute utile de préciser que la propriété de la rue Bay était la propriété résidentielle que l’appelante et son époux ont désignée comme étant leur résidence principale en 2008. Cela est compatible avec cette hypothèse du ministre selon laquelle il n’était pas nécessaire de déclarer le gain en capital lié à la vente de la propriété de la rue Bay. Étant donné qu’une seule de ces propriétés peut être désignée au cours d’une année, toute autre vente, comme la vente de la propriété de Mineola Gardens, ne pourrait pas non plus bénéficier de l’exemption sur les gains en capital liés à la résidence principale.

[58] L’appelante a déclaré que, pour l’année d’imposition 2008, la propriété du 45, rue Bay était la résidence principale de son époux et que la propriété de Mineola Gardens était la sienne. Toutefois, la définition de « résidence principale » n’autorise pas chaque époux à désigner sa propre résidence principale, à moins que les époux qui vivent séparément ne soient « sépar[és] […] en vertu d’une séparation judiciaire ou d’un accord écrit de séparation ». De plus, comme il a été mentionné ci-dessus, tel n’était pas le cas en l’espèce, que la propriété de Mineola Gardens ait été désignée ou non comme étant la résidence principale de l’appelante.

[59] Néanmoins, j’examine maintenant si la propriété de Mineola Gardens aurait pu par ailleurs être la résidence principale de l’appelante.

[60] Selon la définition de « résidence principale », le contribuable ou la personne à laquelle il est lié doit avoir « normalement habité » dans la propriété au cours de l’année (2008 en l’espèce). Dans la décision Wall c. La Reine[27], le juge Visser a discuté de la signification de l’expression « normalement habité ». Il a conclu, à la suite de l’arrêt Thomson[28] de la Cour suprême du Canada, qu’il s’agissait de la « résidence selon le mode habituel de vie de l’intéressé » ou « selon le cours normal ou habituel des événements ». De plus, la décision Rebus c. La Reine[29] était citée; dans cette décision, le juge de la Cour a interprété l’expression « normalement habité » comme signifiant « normalement occupé en tant que “chez-soi” », comme l’indiquait le fait que le contribuable dans cette affaire passait la nuit dans un abri de jardin, tout en ayant un appartement qui, selon lui, était normalement occupé.

[61] Cela donne à penser qu’en l’espèce, où, pour des raisons familiales ou culturelles, l’appelante a largement recommencé à vivre avec le reste de sa famille dans la propriété de la rue Bay, qu’elle ait ou non passé la nuit dans une quelque mesure à la propriété de Mineola Gardens, sans consommer de l’eau dans cette propriété, avant de retourner à la propriété de la rue Bay au petit matin, tous les jours.

[62] J’ai du mal à accepter le fait qu’au début de 2008, l’appelante passait régulièrement la nuit à la propriété de Mineola Gardens, particulièrement en raison de la faible consommation d’eau ou de l’absence de consommation d’eau (elle a déclaré qu’elle se rendait chaque matin à la résidence la rue Bay pour s’y doucher), et je mentionne également le certificat d’assurance pour inoccupation délivré le 17 décembre 2007. Quoi qu’il en soit, je conclus, conformément aux décisions Wall et Rebus, que cette occupation marginale serait insuffisante pour satisfaire à l’exigence du « normalement habité » prévue dans la définition de « résidence principale ».

[63] Pour les motifs susmentionnés, je conclus que, pour l’année d’imposition 2008, la propriété de Mineola Gardens n’était pas la résidence principale de l’appelante. Par conséquent, l’exemption relative à la résidence principale ne s’appliquait pas à l’appelante au moment de la disposition de cette propriété en 2008, si je tiens pour acquis qu’elle n’avait pas désigné la propriété de la rue Bay comme étant sa résidence principale pour l’année d’imposition 2008.

[64] Par conséquent, je conclus que c’est à tort que l’appelante n’a pas déclaré de gain en capital lié à la disposition de la propriété de Mineola Gardens dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 2008.

B. Année d’imposition 2008 frappée de prescription

[65] Comme il a été mentionné ci-dessus, l’année d’imposition 2008 était frappée de prescription. Le sous-alinéa 152(4)a)(i) de la Loi permet l’établissement d’une nouvelle cotisation à l’égard d’une personne après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable, soit trois ans en l’occurrence[30]. Le montant de la nouvelle cotisation établie le 22 mars 2017 à l’égard de l’appelante pour l’année d’imposition 2008 était plus élevé après l’expiration de la période de trois ans suivant la date de l’établissement de la cotisation initiale le 6 mai 2013.

[66] Le sous-alinéa 152(4)a)(i) prévoit ce qui suit :

152(4) Cotisation et nouvelle cotisation [période de prescription] – Le ministre peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie ou donner avis par écrit qu’aucun impôt n’est payable pour l’année à toute personne qui a produit une déclaration de revenu pour une année d’imposition. Pareille cotisation ne peut être établie après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l’année que dans les cas suivants :

a) le contribuable ou la personne produisant la déclaration :

(i) soit a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la présente loi, [Non souligné dans l’original.]

[67] La question est de savoir si l’appelante « a fait une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant la déclaration ou en fournissant quelque renseignement sous le régime de la [Loi] ».

[68] Dans Hansen c. La Reine[31], la juge D’Auray a fait remarquer qu’il n’y a aucune présentation erronée des faits si le contribuable a déclaré son revenu de façon raisonnable. De plus, ma collègue a cité la décision Regina Shoppers Mall Ltd. v. Canada, qui affirme qu’il n’y a aucune présentation erronée des faits lorsque « […] le contribuable, après un examen réfléchi et attentif de la situation, évalue celle‑ci et produit une déclaration selon la méthode qu’en bonne foi il croit appropriée »[32].

[69] De plus, la décision Hansen précise « […] que les contribuables ont le droit d’être en désaccord avec le ministre quant à l’interprétation de la Loi sans que cela […] constitue nécessairement une présentation erronée des faits »[33].

[70] Comme il a été conclu ci-dessus, la propriété de Mineola Gardens n’était pas la résidence personnelle de l’appelante, dans la mesure où elle ne faisait qu’y dormir, au regard de la consommation d’eau pratiquement inexistante à la propriété de Mineola Gardens. Elle était par ailleurs avec sa famille, qui résidait à la propriété de la rue Bay, dont elle et son époux étaient propriétaires. Des éléments de preuve montrent qu’elle n’avait pas informé d’autres personnes qu’elle avait changé d’adresse et qu’elle ne résidait plus à la propriété de la rue Bay. Étant donné qu’elle passait seulement la nuit à la propriété de Mineola Gardens, elle n’habitait pas normalement à la propriété de Mineola Gardens, c’est-à-dire qu’elle n’y habitait pas normalement en tant que « chez-soi ». De plus, elle ne l’avait pas désignée comme sa résidence principale dans sa déclaration pour 2008. Elle n’a pas été non plus en mesure d’expliquer le certificat d’assurance indiquant que la propriété de Mineola Gardens était inoccupée.

[71] Ces faits démontrent que l’appelante n’a pas procédé à un examen réfléchi, délibéré et attentif de la situation avant de décider de ne pas déclarer le gain lié à la propriété de Mineola Gardens. Il serait évident pour une personne ayant travaillé pendant 30 ans à l’ARC que le simple fait de dormir dans une propriété ne permet pas de la désigner comme étant sa résidence principale. Conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, il ne s’agit pas d’une résidence normalement habitée ou occupée.

[72] De plus, il serait évident pour elle, en tant qu’employée à long terme de l’ARC, que, pour demander l’exemption, elle aurait dû désigner la propriété comme étant sa résidence principale.

[73] Cela suffit à trancher la question de la prescription. Par conséquent, conformément au sous-alinéa 152(4)a)(i), je conclus que le fait de ne pas déclarer le gain constitue « une présentation erronée des faits, par négligence, inattention ou omission volontaire, ou quelque fraude [découlant de la production de] la déclaration ou [de la fourniture de] quelque renseignement sous le régime de la [Loi] ». Par conséquent, le ministre a eu raison d’établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition 2008 par ailleurs frappée de prescription en vertu du sous‑alinéa 152(4)a)(i).

C. 48 000 $ – dépôt de Roma Taxi

[74] Les éléments de preuve de l’appelante montraient que ce dépôt de 48 000 $ était un cadeau de ses parents pour aider leurs petits-enfants, soulignant que ses parents n’avaient pas été en mesure de l’aider beaucoup lorsqu’elle était à l’université. Les éléments de preuve documentaires comprenaient un bordereau de dépôt sur son compte bancaire de Roma Taxi, une entreprise de taxi appartenant à son père, à la succursale d’Etobicoke. La somme a été portée au compte de l’appelante au moment de l’achat de la propriété de la promenade Ben Machree. Elle a déclaré qu’elle n’avait jamais travaillé pour Roma Taxi.

[75] Il n’y a eu aucun témoignage du contraire. J’accepte la preuve de l’appelante selon laquelle ce paiement de 48 000 $ était un cadeau de ses parents. Celui-ci devrait être donc supprimé du revenu imposable non déclaré.

D. 1 733 $ – dépôts non identifiés

[76] Les autres dépôts non identifiés contestés pour 2008 représentaient des montants de 200 $, de 1 000 $, de 47,66 $ et de 492,46 $, pour un total de 1 733 $.

[77] L’appelante a témoigné au sujet de ces petits montants. Le dépôt de 200 $ était un avis de crédit de la Banque TD. L’appelante avait déboursé ce montant pour l’évaluation d’une propriété, que la Banque a remboursée lorsque l’appelante a choisi d’obtenir un prêt hypothécaire auprès de la Banque TD. Lors de son témoignage, Mme Mann a déclaré que le montant de 1 000 $ provenait du compte bancaire de sa fille Tanya et ne constituait pas un revenu. En outre, elle a précisé que le dépôt de 492,46 $ provenait d’une marge de crédit et ne constituait pas un revenu.

[78] J’accepte les explications de l’appelante concernant ces petits montants, en l’absence d’éléments de preuve contraires. Le montant total de 1 733 $ doit être exclu du revenu imposable non déclaré.

E. Le ministre a-t-il eu raison d’imposer des pénalités pour faute lourde de 20 718 $?

[79] Le paragraphe 163(2) de la Loi prévoit ce qui suit :

163(2) Toute personne qui, sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait un faux énoncé ou une omission dans une déclaration, un formulaire, un certificat, un état ou une réponse […] rempli, produit ou présenté, selon le cas, pour une année d’imposition pour l’application de la présente loi, ou y participe, y consent ou y acquiesce est passible d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, à 50 % du total des montants suivants […]

[80] Selon cette disposition, l’appelante doit avoir fait une présentation erronée ou une omission, et la présentation ou l’omission doit avoir été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

[81] Dans la décision Peck c. La Reine[34], le juge Owen a ainsi commenté l’établissement d’une connaissance réelle et d’une ignorance volontaire :

La connaissance subjective réelle et l’ignorance volontaire peuvent être établies par une preuve directe ou circonstancielle ou par une combinaison des deux. Pour déterminer s’il y a connaissance subjective réelle ou ignorance volontaire, il faut tenir compte de toutes les circonstances.

[82] Au lieu de prouver que le contribuable était au courant, le ministre peut établir que le contribuable a commis une faute grave. Dans la vénérable décision Venne c. Canada (Ministre du Revenu national)[35], rendue en 1984, le juge Strayer, alors juge de la division de première instance de la Cour fédérale, a ainsi expliqué la faute lourde :

La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu’un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la Loi.

[83] En 2015, dans l’arrêt Guindon c. Canada[36], la Cour suprême du Canada a approuvé la description de la faute lourde qu’avait faite le juge Strayer, et elle a récemment été appliquée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Khanna c. Canada[37].

[84] De plus, des facteurs importants ont été déterminés pour établir la distinction entre la faute ordinaire et la faute lourde, y compris : l’importance de l’omission relative au revenu déclaré, la faculté du contribuable de détecter l’erreur, le niveau d’instruction et l’intelligence apparente du contribuable[38]. En outre, la Cour peut considérer un « effort réel pour se conformer à la loi »[39].

[85] En ce qui concerne l’année d’imposition 2008, pour les mêmes motifs que ceux présentés au début de l’année frappée de prescription concernant l’omission de déclarer le produit de la disposition de la propriété de Mineola Gardens, je considère que la pénalité pour faute lourde imposée est appropriée. Une employée à long terme de l’ARC qui connaît la Loi ne pouvait pas croire que le simple fait de dormir dans une propriété suffisait pour que celle-ci constitue la résidence principale d’un contribuable, tout en ne la désignant pas comme résidence principale dans la déclaration appropriée. La faute lourde est donc établie conformément à la jurisprudence susmentionnée. Le comportement était nettement inférieur à ce qu’on attendait d’un contribuable raisonnable.

[86] La pénalité pour faute lourde ne devrait s’appliquer qu’au gain en capital non déclaré de 99 607 $.

Année d’imposition 2011

A. 9 000 $ – dépôt non identifié

[87] L’appelante a fourni un dossier provenant du compte bancaire de ses parents à la Banque TD, lequel indique un transfert de 9 000 $ dans son compte bancaire. Elle a déclaré que c’était un cadeau de ses parents. Il n’y a aucun élément de preuve du contraire. Je reconnais que le dépôt de 9 000 $ était un cadeau de la famille et ne constituait pas un revenu imposable non déclaré.

B. 5 000 $ – dépôt non identifié

[88] L’appelante a produit un dossier provenant du compte bancaire de ses parents, lequel indique un transfert de 5 000 $ dans son compte bancaire. Aucun élément de preuve n’a été produit pour contester la conclusion selon laquelle il s’agissait d’un cadeau de la famille. Je conclus que le montant de 5 000 $ ne constituait pas un revenu imposable non déclaré.

C. 8 887 $ – dépôts non identifiés (4 900 $, 316 $, 1 000 $, 771 $ et 1 900 $)

[89] L’appelante a déclaré que les dépôts, dont le montant total est de 4 900 $, étaient une rémunération en temps de grève reçue par son époux. Aucun document à l’appui de cette allégation n’a été fourni. L’appelante n’a pas non plus expliqué pourquoi les dépôts ne sont pas des montants uniformes ni pourquoi ils n’ont pas été déposés selon un certain calendrier.

[90] L’époux de l’appelante, M. Basi, a confirmé qu’il avait reçu une rémunération en temps de grève. Il a affirmé avoir reçu plusieurs paiements de 250 $, qui ont été versés dans un compte conjoint qu’il détenait avec l’appelante. Je crois que cela aurait pu être corroboré. De plus, 4 900 n’est bien sûr pas un multiple de 250. Par conséquent, je ne suis pas suffisamment convaincu que le montant de 4 900 $ était une rémunération en temps de grève, par opposition à un revenu imposable non déclaré.

[91] L’appelante a déclaré que le dépôt de 316 $ provenait d’une police d’assurance résiliée et ne constituait pas un revenu. Elle a affirmé que le montant de 1 000 $ provenait peut-être de sa fille Anita, mais elle n’était pas certaine. Elle a également déclaré que le montant de 1 900 $ était un revenu de location qu’elle avait déjà déclaré.

[92] Je reconnais que les montants de 316 $, de 1 000 $, de 771 $ et de 1 900 $, au moins, ne sont pas des revenus non déclarés.

D. Pénalités pour faute lourde de 2 773 $

[93] Les pénalités pour faute lourde imposées pour l’année d’imposition 2011 doivent être rajustées conformément aux conclusions ci-dessus.

Année d’imposition 2012

A. 121 844 $ et 124 886 $ – ventes respectives de la propriété du 2615, chemin Stillmeadow et de la propriété du 1608, avenue Ogden

[94] Comme il a été mentionné ci-dessus, la propriété résidentielle située au 2615, chemin Stillmeadow (la propriété du chemin Stillmeadow) a été achetée le 10 novembre 2011 pour 448 274 $. L’achat a été effectué à l’aide de fonds fournis par l’appelante. La fille de l’appelante, Anita Basi, était inscrite comme acheteur. La propriété du chemin Stillmeadow a été vendue quelques mois plus tard, le 7 mars 2012, pour 570 118 $. Le produit net de la vente, c’est-à-dire 121 844 $, a été versé dans le compte bancaire de l’appelante. Le gain en capital n’a été déclaré ni par Anita ni par l’appelante.

[95] Peu de temps après, le 27 avril 2012, la propriété résidentielle située au 1608, avenue Ogden (la propriété de l’avenue Ogden) a été achetée pour 492 828 $; cet achat a une fois de plus été financé par l’appelante. La fille Anita a de nouveau été inscrite comme acheteur. La propriété de l’avenue Ogden a été vendue plusieurs mois plus tard, le 31 août 2012, pour 617 714 $. Le produit net de la vente, c’est-à-dire 124 866 $, a été versé dans le compte bancaire de l’appelante.

[96] L’appelante estime qu’aucun des produits nets de la vente des propriétés ne n’était imposable, puisqu’elle n’était propriétaire d’aucune des propriétés. C’est plutôt Anita qui en était propriétaire. L’appelante affirme que l’achat de la propriété du chemin Stillmeadow était un cadeau de sa part à Anita parce que cette dernière avait des besoins spéciaux et que l’appelante, en tant que mère, tentait de l’aider à devenir indépendante, l’encourageant ainsi à quitter la résidence familiale et à s’installer dans sa propre résidence.

[97] Le témoignage de l’appelante, ainsi que les témoignages d’Anita et de la sœur d’Anita, Tanya, indiquaient qu’Anita a vécu dans la propriété du chemin Stillmeadow pendant environ trois mois, mais qu’Anita était malheureuse, puisque la maison n’était pas aussi privée qu’elle le souhaitait. La propriété était située sur un coin et était donc relativement exposée. Elle ne se sentait pas en sécurité à cet endroit. La propriété a donc été vendue, et la propriété de l’avenue Ogden a été achetée au nom d’Anita et Anita y a habité. L’emplacement de cette propriété permettait à Anita de se rendre à son travail à pied; elle était également située dans un quartier où plusieurs de ses amis vivaient ou avaient vécu. Elle connaissait bien ce quartier, où se trouvait également son école secondaire.

[98] Le témoignage d’Anita indiquait qu’elle avait découvert, après avoir habité à la propriété de l’avenue Ogden, que certains de ses amis avaient déménagé, et qu’Anita souhaitait retourner vivre chez ses parents. Par conséquent, après quelques mois, la propriété de l’avenue Ogden a été vendue et Anita est retournée vivre chez ses parents.

[99] Anita a déclaré que d’importantes rénovations avaient été réalisées à la propriété de l’avenue Ogden pendant qu’elle y habitait ([traduction] « cuisine, salles de bain, sous-sol »), et qu’elle voulait retourner vivre chez ses parents[40]. Elle a également déclaré que des rénovations avaient été réalisées pendant qu’elle vivait dans la propriété du chemin Stillmeadow ([traduction] « quelques réparations de certaines choses »)[41].

[100] L’intimé estime qu’Anita Basi, en tant que propriétaire de ces deux propriétés, agissait comme simple fiduciaire de ces propriétés au nom de sa mère, qui, en réalité, était la véritable propriétaire des propriétés.

[101] Ni l’appelante ni sa fille Anita n’ont déclaré de gain concernant la disposition de la propriété de l’avenue Ogden. L’appelante s’oppose à l’argument de simple fiduciaire soulevé par l’intimé pour expliquer la raison pour laquelle le produit net de la vente de ces deux résidences, qui appartenaient manifestement à Anita, devrait être imposé à l’appelante. L’appelante affirme que le ministre n’a pas soulevé les fondements factuels de l’argument de simple fiduciaire dans la réponse.

[102] De plus, l’intimé a appelé Mme Kulwinder Banwait, l’agente immobilière de l’appelante, à témoigner. Mme Banwait a agi à titre de mandataire de l’appelante dans le cadre de l’achat et de la vente des propriétés du chemin Stillmeadow et de l’avenue Ogden. Elle a déclaré que l’appelante avait affirmé qu’elle cherchait des maisons qu’elle pouvait rénover et vendre. Elle ne se souvenait pas si l’appelante lui avait mentionné qu’elle cherchait des propriétés convenant à sa fille Anita. Ces deux propriétés étaient des propriétés [traduction] « à rénover ».

[103] En ce qui concerne les hypothèses du ministre, l’intimé n’a pas besoin d’indiquer quelles hypothèses soutiennent spécifiquement une position particulière. Conformément à la décision Bemco Confectionery[42], l’intimé « est seulement ten[u] d’énoncer les faits sur lesquels [il] s’est fond[é] pour établir les cotisations et [il] peut ensuite demander au juge de première instance de se fonder sur ces faits pour tirer des conclusions en faveur de la position qu’[il] défend ».

[104] De plus, la Cour d’appel fédérale a récemment déclaré dans l’arrêt Jefferson c. Canada[43] que, « [m]ême lorsque le contribuable réussit à démolir les hypothèses du ministre ou que le ministre ne se fonde pas sur des hypothèses, le ministre peut néanmoins établir l’exactitude d’une cotisation en se fondant sur tous les éléments de preuve déposés ».

[105] En ce qui concerne les simples fiducies, la juge Lamarre, alors juge de la Cour, a déclaré dans la décision De Mond c. Canada[44] que « le simple fiduciaire détient des biens en fiducie au profit absolu des bénéficiaires qui peuvent en disposer sans condition ». En outre, les simples fiduciaires ont été comparés à des mandataires et « [i]l ne sera pas tenu compte de l’existence d’une simple fiducie à des fins fiscales dans les cas où le simple fiduciaire détient des biens en tant que simple mandataire ou pour la personne en ayant la propriété effective »[45].

[106] Citant la décision De Mond, la Cour suprême du Canada a déclaré quet :

[…] même lorsque des parties privées entendent créer une fiducie, il faut examiner soigneusement les relations en question afin d’en déterminer la véritable nature aux fins fiscales. Par exemple, la « simple fiducie » — dans le cadre de laquelle la seule obligation du fiduciaire consiste à transférer sur demande le bien au bénéficiaire — est généralement écartée aux fins fiscales […].[46]

[107] La décision Fourney c. La Reine[47] enseigne les simples fiducies et leur interaction avec les fiducies résultoires. Le juge Hogan y a cité la description suivante de la propriété effective, telle qu’énoncée dans l’arrêt Pecore c. Pecore[48] de la Cour suprême : « […] l’equity fait une distinction entre la propriété en common law et la propriété bénéficiaire. Le propriétaire bénéficiaire d’un bien est [traduction] “le véritable propriétaire du bien même si ce dernier n’est pas à son nom” ».

[108] Le juge Hogan fait remarquer qu’un transfert de biens sans contrepartie donne généralement lieu à une présomption réfutable de confiance selon laquelle il existe une fiducie résultoire, et il a examiné de l’arrêt Pecore, où la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

La présomption de fiducie résultoire est une présomption de droit réfutable et la règle générale applicable aux transferts à titre gratuit. Lorsqu’un transfert est contesté, la présomption détermine à quelle partie incombe le fardeau de la preuve. Ainsi, dans le cas d’un transfert sans contrepartie, la preuve de l’intention de faire un don incombe à son destinataire […]

La présomption de fiducie résultoire modifie donc la pratique habituelle selon laquelle le fardeau de la preuve en matière civile appartient à la partie demanderesse (soit, en pareil cas, celle qui conteste le transfert), et oblige plutôt le destinataire du transfert à réfuter la présomption de fiducie résultoire.

[109] La présomption d’avancement (c’est-à-dire un cadeau) ne s’applique pas aux transferts de parents à des enfants adultes, même si l’enfant adulte dépend du parent. Dans cette situation, une fiducie résultoire prend naissance. Toutefois :

Bien sûr, dans certaines situations, il arrivera qu’un père ou une mère transfère un bien en faveur de son enfant adulte avec l’intention de lui faire un don. Il appartiendra à la partie qui prétend qu’il s’agit d’un don de réfuter la présomption de fiducie résultoire en présentant une preuve à l’appui de ses prétentions. De plus, même si le statut de personne à charge n’enclenche pas en soi l’application de la présomption d’avancement, la mesure dans laquelle un enfant adulte vit aux dépens de son père ou de sa mère qui lui a transféré un bien peut constituer une preuve solide tendant à réfuter la présomption de fiducie résultoire.[49]

[110] La preuve requise pour réfuter la présomption est « la preuve de l’intention contraire de l’auteur du transfert, établie selon la prépondérance des probabilités »[50].

[111] Comme il est indiqué dans les observations écrites de l’intimé et, dans une certaine mesure, plaidé dans la réponse[51], le produit de la disposition de la propriété de Stillwater a été déposé le 7 mars 2012 dans un compte bancaire détenu conjointement par l’appelante et ses deux filles adultes. Le lendemain, 260 000 $ ont été transférés de ce compte conjoint à un compte bancaire détenu uniquement par l’appelante. Le 11 mars 2012, 300 000 $ ont été transférés de ce compte conjoint à un compte bancaire détenu uniquement par l’appelante[52].

[112] L’intimé fait également remarquer que le produit de la vente de la propriété de l’avenue Ogden (124 866 $) a été utilisé pour couvrir le montant de 587 000 $ déboursé par l’appelante le 9 novembre 2012 pour acheter une propriété située au 1528, rue Greenridge (la propriété de la rue Greenridge). Cette propriété a été acquise au nom de Mimar Holdings Corporation, dont l’appelante était présidente, dirigeante et administratrice.

[113] Le 18 septembre 2013, un prêt hypothécaire de 600 000 $ a été accordé, avec la propriété de la rue Greenridge comme garantie. Le lendemain, le titre de la propriété de la rue Greenridge a été transféré de Mimar Holdings Corporation à l’appelante, sans contrepartie.

[114] Le lendemain, 176 875 $ du produit du prêt hypothécaire ont été déposés dans le compte de l’appelante[53].

[115] Me fondant sur tous les éléments de preuve, y compris le fait que les décisions concernant l’achat et la vente ont été prises par l’appelante plutôt que par Anita, mais plus particulièrement le fait que les gains liés à la vente des propriétés du chemin Stillmeadow et de l’avenue Ogden ont en fin de compte été attribués à l’appelante, et non à Anita, je conclus qu’Anita détenait le titre des propriétés en tant que simple fiduciaire de sa mère, l’appelante. Les gains sont donc des gains en capital imposables à l’appelante – et non à Anita – puisque dans les deux cas, l’appelante était la véritable propriétaire.

B. 11 600 $ – cotisations à un CELI

[116] L’intimé a accepté le fait que le montant de 11 600 $ à titre de cotisations à un CELI ne constituait pas un revenu non déclaré. Par conséquent, telle est ma conclusion.

C. 4 143 $ – dépôts non identifiés (1 000 $, 300 $, 260 $, 1 900 $, 1 622 $ et - 939 $)

[117] Le montant total des dépôts non identifiés de 4 143 $ comprend plusieurs dépôts : 1 000 $, 300 $, 260 $, 1 900 $, 1 622 $ et un écart de la valeur nette non rapproché de -939 $.

[118] L’appelante a renvoyé à un dossier de transaction et a déclaré que le dépôt de 1 000 $ ne constituait pas un revenu, mais qu’elle n’était pas certaine de sa source. Elle a affirmé qu’il pouvait provenir d’une marge de crédit. Elle avait une marge de crédit auprès de la Banque Nationale et il y avait une note manuscrite de l’appelante indiquant [traduction] « Banque Nationale de Montréal ». Selon l’appelante, les montants de 300 $ et de 260 $ étaient des avis de crédit de la Banque TD. Il y avait une note qui indiquait [traduction] « May Wong, Banque TD », et l’appelante a affirmé qu’il s’agissait de la gestionnaire de sa succursale. L’appelante a allégué que le dépôt de 1 900 $ est un loyer, tout comme le dépôt de 1 622 $. Dans le relevé de ce dernier dépôt comprenaient des notes manuscrites de l’appelante indiquant [traduction] « loyer » et [traduction] « Burgess ». L’appelante a déclaré que Burgess vivait à la propriété de Lakeshore[54].

[119] L’intimé estimait essentiellement que les montants n’étaient pas suffisamment étayés ou expliqués.

[120] J’accepte les éléments de preuve de l’appelante concernant ces petits montants. Je reconnais qu’avec le temps, il est difficile de se rappeler de petits montants et qu’il y a généralement moins de documents à l’appui qui sont conservés. Cela s’applique au montant total de 4 143 $, y compris le rajustement de -939 $.

D. Pénalités pour faute lourde de 36 875 $

[121] Je ne crois pas que, dans le contexte des gains liés à la disposition des propriétés du chemin Stillmeadow et de l’avenue Ogden, il était évident que la fille Anita était une simple fiduciaire et que sa mère était la véritable propriétaire. Le concept de « simple fiduciaire » est particulièrement associé au domaine juridique, et il est peu connu des personnes n’ayant aucune formation en droit. Je conclus donc que l’appelante n’a commis aucune faute lourde en ne déclarant pas les gains liés à la disposition de ces deux propriétés, par opposition à la fille adulte Anita, qui détenait le titre de ces propriétés. En raison du fait qu’Anita ne l’ait pas fait, je ne suis pas en mesure de l’imputer à l’appelante.

Année d’imposition 2013

A. 22 083 $ – Fonds de règlement attribué en tant que gains sur la vente de la propriété située au 16, promenade Ben Machree

[122] Le 19 septembre 2008, la propriété située au 16, promenade Ben Machree (la propriété de la promenade Ben Machree) a été achetée pour 915 878 $ au nom de l’appelante et de ses filles adultes Tanya et Anita Basi. Elle a été vendue le 30 juin 2010 pour 820 000 $, ce qui a donné lieu à une perte en capital de 73 551 $. Les trois propriétaires ont poursuivi leur agent immobilier pour cet achat. Le 31 janvier 2013, elles ont reçu un paiement à titre de règlement de 132 500 $, dont la part de l’appelante (c’est-à-dire le tiers du montant total du paiement) était de 44 167 $.

[123] L’appelante a reçu 22 083 $ comme part d’un paiement à titre de règlement à la suite d’une action qu’elle avait intentée contre un agent immobilier pour négligence ou fraude. Sa part n’a pas été déclarée.

[124] Après la clôture de l’achat de la propriété de la promenade Ben Machree, l’appelante a été informée que l’appartement au-dessus du garage était illégal. Il y avait donc moins d’unités résidentielles disponibles à la location dans la propriété de la promenade Ben Machree (et le potentiel de revenu était moins élevé) et la valeur totale de la propriété était inférieure à ce que l’agent immobilier avait indiqué à l’appelante avant l’achat.

[125] L’appelante affirme que ces fonds de règlement ne sont pas imposables, puisque le règlement visait à l’indemniser pour ses frustrations et la négligence dont l’agent immobilier avait fait preuve à son égard. L’appelante soutient également que le ministre n’a produit aucun élément de preuve indiquant qu’un prix de vente inférieur a été obtenu à la suite de fausses déclarations faites dans le cadre de la vente ou que le produit de la vente était lié à la dépréciation naturelle de la valeur de la propriété causée par des forces du marché défavorables[55].

[126] L’intimé soutient que les fonds de règlement sont imposables. L’appelante avait un tiers de l’intérêt dans la propriété de la promenade Ben Machree. Les propriétaires de cette propriété ont subi une perte en capital lors de sa vente subséquente. Les propriétaires ont reçu un paiement de 132 500 $ pour la vente de la propriété à titre de règlement de droits légaux relatifs à des vices de la propriété qui n’avaient pas été divulgués au moment de l’achat. La part attribuée à l’appelante (c’est-à-dire le tiers du montant total du paiement) était de 44 167 $.

[127] L’intimé affirme qu’en vertu du principe de la substitution, les conséquences fiscales d’un paiement à titre de règlement ont eu pour effet de modifier le traitement fiscal de l’article que le paiement devait remplacer. Étant donné que le paiement à titre de règlement se rapporte aux vices de la propriété de la promenade Ben Machree, le paiement à titre de règlement est imposable.

[128] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le principe de la substitution dans l’arrêt Tsiaprailis c. Canada[56]. La juge Charron, qui s’est exprimée pour la majorité, a discuté du traitement fiscal d’un paiement à titre de règlement découlant de la cessation par l’assureur des prestations d’invalidité de longue durée d’une contribuable. Elle a écrit ce qui suit :

[…] une somme accordée à titre d’indemnité ou en règlement d’un litige [est] intrinsèquement neutre sur le plan fiscal. […] pour déterminer si une somme est imposable, il faut considérer sa nature et son objet et se demander ce qu’elle est censée remplacer. L’examen est factuel. Les conséquences fiscales du versement d’une somme à titre d’indemnité ou en règlement d’un litige sont ensuite établies en fonction de cette qualification. Autrement dit, le traitement fiscal dépend de ce que la somme vise à remplacer. Il s’agit du principe de la substitution. […]

[…]

Les questions décisives sont les suivantes : (1) que visait à remplacer le paiement et, si la réponse est suffisamment claire, (2) l’élément remplacé aurait‑il été imposable pour la personne qui en a bénéficié?[57]

[129] Dans l’arrêt Transocean Offshore Limited c. Canada[58], la Cour d’appel fédérale a appliqué le principe de la substitution pour déterminer si un paiement à titre de dommages‑intérêts ou de règlement pour la résiliation d’un bail constitue un revenu ou une rentrée de capital. La Cour a déclaré que, si le montant est versé à titre d’indemnité pour la perte d’un loyer futur, il s’agit d’un revenu. Si le montant est une indemnité pour une diminution du capital, c’est du capital[59].

[130] En l’espèce, selon la déclaration modifiée contre l’agent immobilier, l’appelante et les autres demanderesses demandaient des dommages-intérêts pour perte de loyer ou pour perte de valeur en raison de l’état légal réel de la propriété.

[131] Si le litige avait principalement porté sur la perte de loyer potentielle plutôt que sur la surestimation du prix de la propriété, le paiement à titre de règlement aurait été traité comme un revenu de location. Le montant total de 44 167 $ serait donc inclus dans le revenu de l’appelante au lieu du gain en capital imposable de 22 083 $ qui a été pris en compte en établissant la nouvelle cotisation. Toutefois, l’inclusion du montant total de 44 167 $ violerait la règle selon laquelle l’appel d’un contribuable ne saurait donner lieu à une nouvelle cotisation plus élevée[60].

[132] Par conséquent, je conclus que le gain de 22 083 $ lié au paiement à titre de règlement ne modifie pas la nouvelle cotisation établie.

B. 6 240 $ – dépôts non identifiés (5 000 $, 640 $, 500 $ et 100 $)

[133] L’intimé a renoncé à un dépôt de 42 $, ce qui signifie qu’un montant total de 6 240 $ demeure en litige.

[134] L’appelante a déclaré que le dépôt de 5 000 $ était un avis de crédit, mais aucun document n’a été fourni à l’appui. Le montant de 640 $ était un avis de crédit de la Banque TD. Il a été affirmé que le dépôt de 500 $ était un loyer. Le montant de 100 $ représentait un remplacement par la banque du montant de 100 $ qui manquait dans un retrait de l’appelante.

[135] Je conclus que l’explication du dépôt de 5 000 $ est insuffisante pour établir que ce dépôt n’était pas un revenu non déclaré. Le montant de 500 $ était un loyer et, donc, imposable. J’accepte le fait que les dépôts de 640 $ et de 100 $ n’étaient pas des revenus non déclarés. Par conséquent, du montant total de 6 240 $, le dépôt de 5 500 $ demeure un revenu non déclaré, et le montant de 740 $ est accepté comme n’étant pas un revenu non déclaré.

C. Pénalités pour faute lourde de 3 135 $

[136] J’ai conclu que le paiement à titre de règlement reçu par l’appelante devrait être inclus dans son revenu à titre d’avantage en capital en vertu du principe de la substitution. Je considère que le fait que l’appelante n’a déclaré aucun gain lié à sa part du paiement à titre de règlement qu’elle avait reçu constitue une faute lourde. Ses propres actes de procédure indiquaient clairement que sa demande était fondée sur la perte de revenus locatifs ou la valeur réduite de la propriété, plutôt que sur des aspects personnels comme une frustration, entre autres.

[137] En présumant qu’une pénalité pour faute lourde a été imposée dans le cadre de la nouvelle cotisation, compte tenu du dépôt de 5 000 $ susmentionné, pour lequel l’appelante n’a fourni aucun document justifiant qu’il soit exclu du revenu non déclaré, je dispose de trop peu d’information pour être en accord. Il s’agit là d’un montant qui se situe à la limite inférieure des montants importants, et ce n’est pas une faute lourde de ne pas être en mesure de fournir des documents corroborants des années plus tard pour justifier qu’il ne s’agit pas d’un revenu non déclaré. La pénalité pour faute lourde ne devrait être imposée qu’à l’égard du dépôt de 500 $ identifié comme étant un loyer.

VI. Conclusion

[138] Conformément aux motifs du jugement susmentionnés, le jugement qui sera rendu fera droit à l’appel pour chaque année d’imposition en cause, mais reflétera essentiellement le fait que les parties ont eu partiellement gain de cause. Les parties disposeront d’un délai de 45 jours à partir de la date de signature du jugement pour déposer leurs observations respectives sur les dépens (lesquelles doivent être d’un maximum de sept pages, à double interligne), si elles n’arrivent pas à s’entendre entre-temps sur cette question.

Signé à Halifax (Nouvelle-Écosse), ce 24e jour d’octobre 2023.

« B. Russell »

Le juge Russell

Traduction certifiée conforme

ce 12e jour de mai 2025.

Guillaume Chénard, jurilinguiste principal


RÉFÉRENCE :

2023 CCI 151

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2017-2245(IT)G

INTITULÉ :

BOBBIE MANN c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 septembre 2022

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Bruce Russell

DATE DU JUGEMENT :

Le 24 octobre 2023

COMPARUTIONS :

Avocat de l’appelante :

Me Osborne G. Barnwell

Avocat de l’intimé :

Me Chris Eccles

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Osborne G. Barnwell

 

Cabinet :

OGB Law

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] Avis d’appel, par. 20.

[2] Observations écrites de l’appelante, par. 13 et 14.

[3] Ibid.

[4] Ibid., par. 102.

[5] Ibid., par. 14 et 15.

[6] Ibid., par. 124.

[7] Ibid., par. 111.

[8] Ibid., par. 120, 129 et 130.

[9] Observations écrites de l’intimé, par. 81 à 86.

[10] Main Rehabilitation Co. Ltd. c. Canada, 2004 CAF 403, par. 8.

[11] Ereiser c. Canada, 2013 CAF 20, par. 31.

[12] Ibid., par. 40

[13] Canada c. O’Neill Motors Ltd., [1998] 4 C.F. 180 (C.A.F.).

[14] Observations écrites de l’appelante, par. 128 et 129.

[15] Avis d’appel, par. 19 ([traduction] « Dispositions législatives applicables »).

[16] Transcription, p. 120 et 121.

[17] Pièce A-4, p. 1.

[18] Pièce A-6, p. 5.

[19] Ibid., p. 1.

[20] Ibid.

[21] Observations écrites de l’intimé, par. 94.

[22] Truong c. La Reine, 2017 CCI 22, par. 36, conf. par 2018 CAF 6, autorisation de pourvoi rejetée.

[23] Guibord c. Canada, 2011 CAF 344.

[24] Ibid., par. 10 à 12.

[25] Mensah c. La Reine, 2008 CCI 378, par. 4 et 23.

[26] Voir le calcul inclus dans les observations écrites de l’intimé, par. 33.

[27] Wall c. La Reine, 2019 CCI 168, conf. par 2021 CAF 132 pour d’autres motifs.

[28] Thomson v. Minister of National Revenue, [1946] S.C.R. 209.

[29] Rebus c. La Reine, 2002 CanLII 842 (C.C.I.), par. 23.

[30] Loi, al. 152(3.1)b).

[31] Hansen c. La Reine, 2020 CCI 102.

[32] Ibid., par. 76, citant Regina Shoppers Mall Ltd. v. R., [1990] 2 C.T.C. 183, 90 D.T.C. 5427.

[33] Ibid., par. 80, citant Savard c. La Reine, 2008 CCI 62, par. 78.

[34] Peck c. La Reine, 2018 CCI 52, par. 47.

[35] Venne c. Canada (Ministre du Revenu national), [1984] A.C.F. no 314 (QL) (C.F. 1re inst.).

[36] Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, par. 60.

[37] Khanna c. Canada, 2022 CAF 84, par. 7.

[38] Manhue c. La Reine, 2018 CCI 71, par. 63, citant DeCosta c. La Reine, 2005 CCI 545.

[39] Gray c. La Reine, 2016 CCI 54, par. 34.

[40] Transcription, p. 251.

[41] Transcription, p. 249.

[42] Bemco Confectionary and Sales Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 48, par. 23, conf. par 2016 CAF 21.

[43] Jefferson c. Canada, 2022 CAF 81, par. 28, citant Pollock c. Canada (Ministre du Revenu national), [1993] A.C.F. no 1055 (QL) (C.A.F.), Lacroix c. Canada, 2008 CAF 241, et Deyab c. Canada, 2020 CAF 222.

[44] De Mond c. Canada, 1999 CanLII 466 (C.C.I.).

[45] Ibid., par. 36 et 37.

[46] Canada (Procureur général) c. British Columbia Investment Management Corp., 2019 CSC 63, par. 61.

[47] Fourney c. La Reine, 2011 CCI 520.

[48] Pecore c. Pecore, 2007 CSC 17.

[49] Ibid., par. 41.

[50] Ibid., par. 43.

[51] Réponse, par. 16(jj) à 16(bbb).

[52] Observations écrites de l’intimé, par. 53.

[53] Ibid., par. 61, 62 et 63.

[54] Transcription, p. 94 et 95.

[55] Observations écrites de l’appelante, par. 93 à 95.

[56] Tsiaprailis c. Canada, 2005 CSC 8.

[57] Ibid., par. 7 et 15.

[58] Transocean Offshore Limited c. Canada, 2005 CAF 104.

[59] Ibid., par. 50

[60] Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, par. 95, citant L.J. Harris v. M.N.R., [1964] C.T.C. 562, 64 D.T.C. 5332.

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