ENTRE :
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Appel entendu les 13 et 14 juin 2023, à Fredericton (Nouveau-Brunswick)
Avocats de l’appelante : |
Me Romain Viel Me Benjamin Roizes |
Me Sam Perlmutter |
JUGEMENT
APRÈS avoir entendu la preuve et les arguments des avocats de l’appelante et de l’intimé;
CONFORMÉMENT aux motifs du jugement ci-joints, la Cour rejette l’appel interjeté contre les nouvelles cotisations établies par avis en date du 27 juin 2017 sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2014 et 2015, avec dépens en faveur de l’intimé.
Les parties ont 60 jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, l’intimé aura 30 jours de plus pour déposer des observations d’au plus dix pages sur les dépens, et l’appelante aura 30 jours supplémentaires à compter de la date de dépôt des observations de l’intimé pour déposer en réponse ses propres observations d’au plus dix pages.
Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2023.
Traduction certifiée conforme
ce 27e jour de mai 2025.
Guillaume Chénard, jurilinguiste principal
ENTRE :
DIANNE L. STACKHOUSE,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DU JUGEMENT
[1] La docteure Dianne Stackhouse (l’« appelante ») interjette appel des nouvelles cotisations établies sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « LIR »[1]) concernant les années d’imposition 2014 et 2015 (individuellement, « 2014 » ou « 2015 » et collectivement, les « années d’imposition ») par avis datés du 27 juin 2017 (les « nouvelles cotisations »).
[2] Les nouvelles cotisations limitent à 17 500 $ les pertes agricoles d’un montant de 530 363 $ et de 595 904 $ subies par l’appelante respectivement en 2014 et 2015. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») s’est fondé sur le paragraphe 31(1) pour établir les nouvelles cotisations.
I. Les hypothèses du ministre
[3] Pour établir les nouvelles cotisations à l’égard de l’appelante pour les années d’imposition, le ministre s’est fondé sur les hypothèses de fait contenues au paragraphe 9 de la réponse, lequel énonce ce qui suit :
[TRADUCTION]
a) les faits énoncés et admis ci-dessus;
b) en tout temps pertinent, la principale source de revenu de l’appelante était l’exercice de la médecine;
c) en 2014 et 2015, l’appelante a déclaré respectivement un revenu de profession libérale net de 648 605 $ et de 697 050 $;
d) en 2014 et 2015, l’appelante a déclaré respectivement un revenu agricole net de 176 433 $ et de 31 128 $;
e) dans les déclarations pour ces mêmes années, l’appelante a déclaré respectivement des dépenses agricoles d’un montant de 706 796 $ et de 627 032 $, consistant principalement en salaires, déduction pour amortissement et coût de l’équipement;
f) les dépenses agricoles déclarées par l’appelante dépassaient largement les revenus agricoles déclarés;
g) l’appelante a déclaré des pertes agricoles tous les ans depuis 1987, exception faite des années d’imposition 1993 et 1994;
h) l’appelante a également déclaré des pertes agricoles réduites en 1980, 1981, 1982, 1984, 1985 et 1986;
i) l’appelante n’a été en mesure de fournir ni budget, ni prévision, ni plan d’activités établi en vue de redresser son exploitation agricole et de la rendre durablement rentable dans quelque mesure que ce soit;
j) l’appelante n’avait pas d’attente raisonnable d’un profit provenant de ses activités agricoles en 2014 et 2015.
[4] L’alinéa 9b) de la réponse affirme qu’en tout temps pertinent, la principale source de revenu de l’appelante provenait de l’exercice de la médecine. L’alinéa 9j) de la réponse soutient qu’elle n’avait pas d’attente raisonnable de profit pendant les années d’imposition.
[5] Comme l’a déclaré la Cour suprême dans Johnston c. Minister of National Revenue, [1948] R.C.S. 486 [« Johnston »]
, le ministre a le droit de formuler des hypothèses de fait à l’appui de la cotisation ou de la nouvelle cotisation qu’il établit à l’égard du contribuable. Dans l’arrêt Johnston, le juge Rand a énoncé la règle générale suivante concernant les hypothèses du ministre, à la p. 489 :
[TRADUCTION]
Bien qu’il soit question, au paragraphe 63(2), d’une action prête pour instruction ou audition, l’instance est un appel à l’encontre de la cotisation, et comme l’impôt est fondé sur certains faits et certaines dispositions légales, ce sont soit les faits en question soit l’application de la loi que l’on conteste. Tout fait que détermine ou que suppose l’évaluateur ou le ministre doit donc être accepté de la façon dont ces personnes en ont traité, à moins que l’appelant ne le mette en doute.
[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]
[6] Dans La Reine c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, le juge Rothstein, plus tard juge à la Cour suprême du Canada, a expliqué au paragraphe 2 la pratique actuelle en ce qui concerne les hypothèses de fait dans les actes de procédure :
Les faits en cause dans un appel en matière fiscale, le contribuable en a une connaissance particulière. La Couronne a pour pratique de divulguer dans ses actes de procédure les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir le montant de la dette fiscale.
[7] L’article 48 et le paragraphe 49(1) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») énoncent ce que les actes de procédure de l’appelant et de l’intimé, respectivement, doivent indiquer lors d’un appel devant la Cour canadienne de l’impôt.
[8] L’article 48 procède par renvoi à une formule prescrite (la formule 21(1)a) dans la plupart des cas) à laquelle l’avis d’appel doit se conformer, tandis que le paragraphe 49(1) énumère expressément les éléments que doit contenir la réponse, à savoir :
49 (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), la réponse indique :
a) les faits admis;
b) les faits niés;
c) les faits que l’intimée ne connaît pas et qu’elle n’admet pas;
d) les conclusions ou les hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé en établissant sa cotisation;
e) tout autre fait pertinent;
f) les points en litige;
g) les dispositions législatives invoquées;
h) les moyens sur lesquels l’intimée entend se fonder;
i) les conclusions recherchées.
[Non souligné dans l’original.]
[9] L’alinéa 49(1)d) des Règles oblige l’intimé à indiquer les conclusions ou hypothèses de fait sur lesquelles le ministre s’est fondé pour établir la cotisation contestée. Il ne permet pas de répondre à des questions mixtes de fait et de droit, arguments à l’appui.
[10] Les exigences concernant les actes de procédure énoncés à l’article 48 et au paragraphe 49(1) des Règles concordent avec deux grands principes en matière d’actes de procédure.
[11] Le premier principe général est que les actes de procédure doivent contenir des énoncés de fait plutôt que des arguments ou des énoncés de droit[2]. L’article 48 et le paragraphe 49(1) des Règles prévoient des exceptions limitées à ce principe général par l’obligation d’inclure un exposé des points en litige, les dispositions législatives invoquées, les moyens sur lesquels la partie entend se fonder et les conclusions recherchées. Ces éléments additionnels figurent à des rubriques distinctes des actes de procédures, à la suite des énoncés de fait.
[12] Le deuxième principe général est qu’une conclusion sur une question mixte de fait et de droit est une conclusion de droit[3] parce qu’il s’agit d’une déduction juridique[4] que l’on fait en appliquant une norme juridique à un ensemble de faits[5].
[13] Le premier principe général veut qu’une partie ne puisse pas présenter d’arguments en faveur d’une conclusion sur une question mixte de fait et de droit, puisqu’il s’agirait d’une conclusion de droit et non d’une conclusion de fait. Le contenu factuel des actes de procédure prescrit par l’article 48[6] et les alinéas 49(1)a) à e) des Règles, ainsi que la mention par le juge Rand dans l’arrêt Johnston de « tout fait que détermine ou que suppose l’évaluateur ou le ministre »,
signalent également une restriction dans ce sens.
[14] Une partie peut énoncer une conclusion ou un point de droit aux rubriques des actes de procédure qui suivent l’exposé des faits, comme dans la rubrique consacrée aux moyens sur lesquels elle entend se fonder. Toutefois, une conclusion sur une question mixte de fait et de droit devant s’appuyer sur des faits, un tel énoncé est vain et, partant, potentiellement préjudiciable, s’il n’est pas étayé par des faits énoncés dans les actes de procédure[7].
[15] La Cour d’appel fédérale a abondé en ce sens dans l’arrêt AgraCity Ltd c. Canada, 2015 CAF 288, écrivant ce qui suit à propos des hypothèses mixtes de fait et de droit :
[38] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a supprimé l’alinéa 14c) ainsi que la première phrase de l’alinéa 14h) de la réponse au motif que cet alinéa et cette phrase énonçaient des conclusions de droit.
[39] L’alinéa 14c) et la première phrase de l’alinéa 14h) de la réponse étaient ainsi libellés :
[TRADUCTION]
14. Le sous‑procureur général du Canada allègue également les faits suivants à l’appui des nouvelles cotisations faisant l’objet du présent appel :
[…]
c) la série d’opérations en question n’aurait pas été conclue entre des personnes sans lien de dépendance étant donné qu’aucune personne sans lien de dépendance n’aurait accepté les risques que comportait cette série d’opérations tout en renonçant aux avantages que comportait cette même série d’opérations, compte tenu des fonctions limitées exercées par NewAgco‑Barbados, de son manque d’éléments d’actif et du fait qu’elle ne comptait aucun employé;
[…]
h) la série d’opérations conclues par AgraCity équivaut à un trompe‑l’œil ou à un artifice conçu pour faire croire au ministre que c’était NewAgco‑Barbados, et non AgraCity, qui exploitait une entreprise et qui s’exposait à des risques véritables […]
[40] Il me semble que ces deux alinéas soulèvent des questions mixtes de fait et de droit. L’alinéa c) obligerait le juge à décider ce que des personnes sans lien de dépendance feraient en pareil cas, ce qui l’amènerait à se prononcer sur la norme à utiliser et à appliquer ensuite cette norme aux faits. De plus, la question de savoir si les faits permettraient de conclure que cette série d’opérations constitue un trompe‑l’œil est également une question mixte de fait et de droit. Ces énoncés ne peuvent être qualifiés de faits.
[41] Dans les arrêts R. c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, et Banque Canadienne Impériale de Commerce c. La Reine, 2013 CAF 122, notre Cour a insisté sur l’exigence que les hypothèses de fait soient limitées aux faits et qu’elles ne comportent pas des énoncés mixtes de fait et de droit. Les faits doivent être dégagés des énoncés en question. En l’espèce, le paragraphe 14 de la réponse n’indique pas sur quelles hypothèses de fait repose la nouvelle cotisation établie par le ministre, mais il indique qu’il expose des faits. Qualifier un énoncé d’énoncé de fait ou d’énoncé mixte de fait et de droit ne change rien à sa nature simplement parce qu’on précise que les faits en question sont des faits complémentaires et qu’on ne déclare pas qu’il s’agit d’hypothèses de fait. La Cour ne devrait pas fermer les yeux sur le fait que Sa Majesté a erronément qualifié d’énoncés de fait des énoncés mixtes de fait et de droit parce que Sa Majesté les a assimilés à des faits complémentaires.
[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]
[16] L’arrêt AgraCity confirme que les hypothèses de fait doivent s’en tenir aux faits et ne pas comporter d’énoncés mixtes de fait et de droit. Il confirme également que le simple fait de déplacer des énoncés mixtes de fait et de droit de manière qu’ils figurent à une rubrique différente de l’acte de procédure n’excuse pas le fait de les avoir qualifiés d’énoncés de fait[8].
[17] Dans Canada c. Adboss, Ltd., 2023 CAF 201 [« Adboss »]
, la Cour d’appel fédérale réaffirme les principes énoncés dans AgraCity :
[TRADUCTION]
Les énoncés ou conclusions de droit n’ont pas leur place parmi les hypothèses de fait du ministre. Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, par. 25. De même, les éléments factuels d’un énoncé mixte de fait et de droit devraient être séparés du reste, de manière à ce que le contribuable sache exactement quelles hypothèses de fait il doit démolir pour obtenir gain de cause : Preston, par. 8, 25 et 31. Cela dit, toute conclusion mixte de fait et de droit présentée comme une hypothèse ne doit pas nécessairement être radiée : Preston, par. 31[9].
[18] Repérer les questions mixtes de fait et de droit n’est pas toujours simple. Il arrive par exemple qu’une norme juridique adoptée par voie de disposition légale ne requière rien de plus qu’une conclusion de fait. Dans Graat c. La Reine, [1982] 2 R.C.S. 819, p. 839, la Cour suprême a analysé le sens du terme « affaiblie » utilisé à l’article 234 du Code criminel, L.R.C. (1970), ch. C-34 :
Un témoin ordinaire ne peut évidemment pas rendre un témoignage d’opinion sur une question de droit, par exemple, déterminer si une personne a été négligente ou non. Il en est ainsi parce qu’une telle opinion n’équivaut pas à une expression abrégée des observations des témoins. L’opinion qu’une personne a été négligente repose en partie sur des faits, mais elle comprend aussi l’application de critères juridiques. D’autre part déterminer si la capacité de conduire d’une personne est affaiblie par l’alcool est une question de fait et non une question de droit. Elle ne comporte l’application d’aucun critère juridique. Elle est semblable à l’opinion selon laquelle quelqu’un est trop ivre pour grimper à une échelle ou pour se baigner et le fait que l’opinion du témoin soit exprimée, comme en l’espèce, selon les termes mêmes du Code criminel, ne transforme pas une question de fait en une question de droit. Cela signifie simplement que les rédacteurs du Code ont utilisé une expression courante : « sa capacité de conduire… est affaiblie par l’effet de l’alcool » (art. 234).
[Non souligné dans l’original.]
[19] Les lords avaient précédemment procédé de même dans Brutus v. Cozens, [1973] A.C. 854. Lord Reid a ainsi décrit cette démarche :
[TRADUCTION]
Le sens d’un mot courant de la langue anglaise n’est pas une question de droit. L’interprétation correcte d’une loi est une question de droit. S’il ressort du contexte qu’un mot est employé dans un sens inhabituel, la cour définit ce sens inhabituel et le reformule. Mais à mon avis il ne fait aucun doute en l’espèce que le mot « insulting » (« offensant ») n’est pas employé dans un sens inhabituel. Il me semble, pour des raisons que j’expose plus loin, qu’il est entendu en son sens ordinaire. Il appartient au tribunal qui statue sur l’affaire d’examiner si, non pas en droit, mais dans les faits, compte tenu de l’ensemble des circonstances, le libellé de la loi, en son sens ordinaire en langue anglaise, correspond ou s’applique ou non aux faits qui ont été établis. S’il est allégué que le tribunal en est arrivé à la mauvaise conclusion, cela peut soulever une question de droit, mais d’une portée limitée. Il s’agirait normalement de savoir si sa décision était déraisonnable, en ce sens que nul tribunal familier avec l’usage en langue courante ne pourrait tirer une telle conclusion[10].
[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]
[20] Il n’est pas toujours simple de déterminer si une norme juridique nécessite plus qu’une conclusion de fait. Cette question se pose souvent dans les questions de juste valeur marchande (la « JVM »). La JVM n’est pas une question mixte de fait et de droit, bien que la jurisprudence en ait donné une définition souvent citée, car cette définition décrit une conclusion de fait[11].
[21] La pratique en matière de preuve dans les affaires soulevant des questions de JVM le confirme. Si la JVM d’une chose est en question, c’est généralement par expertise qu’on l’établit. Il est bien établi en jurisprudence que l’opinion d’un témoin expert consiste en une ou plusieurs conclusions factuelles tirées des faits[12]. Ainsi, un expert ne peut pas témoigner sur une conclusion de droit :
[TRADUCTION]
Avec égard, la Cour n’est pas d’avis que le témoin Claerhout aurait dû être autorisé à donner son opinion sur la date de l’appropriation. Le juge était saisi d’une question de droit, à savoir ce que constitue une appropriation. Il appartenait donc au juge de déterminer, conformément à la définition légale, s’il y avait eu appropriation et quand cette appropriation avait eu lieu. Il ne s’agissait pas d’une question sur laquelle un témoin expert pouvait témoigner[13].
[Non souligné dans l’original.]
[22] Revenons aux alinéas 9b) et j) de la réponse. Une « principale source de revenu » et une « attente raisonnable d’un profit » sont des notions juridiques propres au droit fiscal[14], plutôt que des mots d’usage courant ayant un sens bien compris. Par conséquent, savoir ce qui constitue la « principale source de revenus »
d’un contribuable, et si un contribuable a une attente raisonnable de profit, sont des questions mixtes de fait et de droit. Les énoncés aux alinéas 9b) et j) de la réponse ne font donc peser aucune charge de la preuve sur l’appelante, puisqu’il s’agit de conclusions de droit (c.-à-d. des conclusions tirées au moyen d’un raisonnement juridique découlant de l’application de la norme juridique aux faits) plutôt que d’hypothèses de fait, et que les alinéas ne contiennent aucun élément de fait isolable.
[23] Je relève également, s’agissant de l’alinéa 9j), que l’application par le ministre du paragraphe 31(1) aux pertes agricoles de l’appelante suppose l’existence d’une entreprise agricole (plutôt que d’une ferme récréative ou d’un effort personnel) et que, par conséquent, si une attente raisonnable de profit était déterminante de l’existence d’une source de revenu, l’énoncé à l’alinéa 9j) contredirait la position prise par le ministre relativement à l’établissement de la cotisation.
II. Les faits convenus
A. L’exposé conjoint partiel des faits et le recueil conjoint de documents
[24] Au début de l’audience, les parties ont présenté un exposé conjoint partiel des faits (l’« exposé conjoint »), énonçant ce qui suit :
1. L’appelante réside au 205, chemin Austin, Cambridge-Narrows (Nouveau-Brunswick).
2. Les nouvelles cotisations visées par le présent appel (les « nouvelles cotisations ») portent sur des pertes restreintes déclarées par l’appelante pour 2014 et 2015 s’élevant respectivement au total à 530 363 $ et à 595 904 $, au titre du paragraphe 31(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
3. L’appelante a contesté les nouvelles cotisations par des avis d’opposition en date du 22 septembre 2017.
4. Par avis de confirmation du 4 février 2019, le ministre du Revenu national (le « ministre ») a confirmé les nouvelles cotisations.
5. En tout temps pertinent, l’appelante possédait et exploitait une entreprise de production de bœuf certifié biologique, parfois désigné par le terme « Angus East Organics », située à Cambridge-Narrows (Nouveau-Brunswick) (la « ferme »).
6. En tout temps pertinent, l’appelante pratiquait également la médecine.
7. Pendant les années d’imposition visées, la ferme avait à son service plusieurs employés à temps plein et divers employés saisonniers à temps partiel.
8. En 2014 et 2015, l’appelante a déclaré un revenu de profession libérale net s’élevant respectivement à 648 605 $ et à 697 050 $.
9. En 2014 et 2015, l’appelante a déclaré un revenu agricole total net s’élevant respectivement à 174 433 $ et à 31 128 $.
10. En 2014 et en 2015, l’appelante a déclaré des dépenses agricoles s’élevant respectivement à 706 796 $ et à 627 032 $, consistant principalement en salaires, déductions pour amortissement et coût d’équipement.
11. L’appelante a déclaré des pertes agricoles tous les ans depuis l’année d’imposition 1987, sauf pour les années d’imposition 1993 et 1994.
12. L’appelante a déclaré des pertes agricoles restreintes pour les années d’imposition 1980, 1981, 1982, 1984, 1985 et 1986.
[25] Les parties ont également soumis un recueil conjoint de pièces. Elles ont convenu que chacune des pièces était authentique et pertinente. Elles ont également convenu que les pièces faisaient foi de la véracité de leur contenu. Le recueil conjoint est produit en preuve sous la cote AR-1 et je renvoie à chaque pièce en la désignant par le numéro de l’onglet auquel elle figure.
III. La preuve
[26] L’appelante a témoigné pour son compte. J’estime que l’appelante est un témoin crédible.
[27] M. Caleb Siu, actuellement agent des décisions à l’Agence du revenu du Canada (l’« ARC ») travaillant depuis Toronto, a brièvement témoigné pour l’intimé. M. Siu était l’agent d’appels qui a étudié l’avis d’opposition de l’appelante et aussi établi la feuille de calcul sur les revenus et pertes de celle-ci provenant de son cabinet médical et de son exploitation agricole. Le contenu de la feuille de calcul n’est pas contesté.
A. Le contexte
[28] L’appelante a grandi dans une « exploitation agricole mixte[15] » située à Long Creek, comté de Queens (Nouveau-Brunswick), à environ 15 milles de la ferme de l’appelante. Elle est l’ainée de six enfants.
[29] Dans son enfance, l’appelante accomplissait diverses tâches à caractère agricole, notamment, à l’âge d’environ dix ans, vendre le surplus d’œufs aux clients, ce qu’elle a décrit comme sa petite entreprise.
[30] À l’âge de 17 ans, l’appelante a quitté la ferme familiale pour étudier à l’Université Dalhousie, où elle a obtenu son diplôme en médecine en 1974. Durant ses études, elle retournait chez elle pendant les congés scolaires et travaillait pour la ferme familiale, ainsi que pour une maison locale de soins infirmiers où elle occupait un poste autre que professionnel de la santé. Après avoir obtenu son diplôme, l’appelante a fait un internat d’un an en médecine à Halifax (Nouvelle-Écosse) et à St. John (Nouveau-Brunswick), qu’elle a terminé en juin 1975.
[31] L’appelante a ensuite commencé à exercer la médecine dans le village de Cambridge-Narrows, comté de Queens (Nouveau-Brunswick).
B. La ferme
[32] Peu après avoir ouvert son cabinet de médecine, l’appelante a acheté une ferme abandonnée d’environ 350 acres située près du village de Cambridge-Narrows. À l’époque, environ 150 acres de terres étaient défrichées, et la maison de ferme et les autres bâtiments étaient délabrés. L’appelante a loué une petite maison dans le village de Cambridge-Narrows, le temps de voir si la maison de ferme était habitable.
[33] L’appelante a ainsi décrit les raisons pour lesquelles elle avait acquis les terres agricoles :
[TRADUCTION]
Transformer cette ferme en la possibilité d’une entreprise viable, en conjonction avec mon activité de médecin en milieu rural[16].
[34] Pour s’informer de la meilleure manière de mettre la ferme en état de produire, l’appelante a consulté le ministère de l’Agriculture du Nouveau-Brunswick, qui l’a aidée à établir un plan de gestion. Dans un premier temps, l’appelante a concentré ses efforts sur la fertilité du sol.
[35] L’appelante a commencé par des sapins de Noël et des pommiers, ce qui a nécessité son inscription en qualité de productrice agricole professionnelle. Son intention était de voir si la production d’arbres serait suffisante pour assurer la viabilité d’une entreprise agricole. Elle a également pris diverses mesures pour préparer le sol en vue d’y faire pousser du foin pour nourrir les trois chevaux d’élevage qu’elle possédait à l’époque.
[36] La ferme contenait une installation équine et, dans les années 1980, l’appelante avait acquis un étalon pur-sang arabe pour le croiser avec ses chevaux d’élevage. L’appelante a mis fin à son élevage de chevaux il y a 20 ans.
[37] Dans les années 1990, l’appelante a reporté son attention sur la culture de soja, d’avoines, de sarrasin, de seigle d’hiver et de blé d’hiver. À cette fin, elle a commencé à acheter et à louer d’autres terres agricoles.
[38] Entre 1990 et 1995, l’appelante a acquis un petit troupeau de bovins de race Highlands pour lancer le volet bovin de son entreprise agricole. Elle a choisi la Highland pour ses modestes besoins nutritionnels, par rapport aux races plus commercialement viables, et pour sa capacité à paître l’herbe et les petits buissons.
[39] En 1996, l’Organic Crop Improvement Agency, une organisation ayant son siège au Nebraska, a certifié la ferme de l’appelante pour la culture de grain biologique.
[40] Le programme des producteurs agricoles professionnels inscrits[17] (le programme « PAPI ») a délivré à l’appelante des certificats et autorisations. Le numéro de producteur et l’autorisation délivrés par le programme PAPI lui donnaient accès à des programmes provinciaux dans le domaine agricole et à des avantages pour agriculteurs, notamment des réductions de la taxe pour l’achat du carburant et des droits réduits pour l’immatriculation des véhicules agricoles.
[41] Dans les années 1990, l’objectif de l’appelante était d’élargir la ferme et d’en diversifier les activités, afin de cultiver diverses espèces récoltées à différents moments de l’année et d’élever du bétail. L’appelante estimait qu’en accroissant la superficie plantée et en diversifiant la production, elle mettrait la ferme à l’abri du risque de perte associé à une monoculture ou un mono-élevage.
[42] La Highland étant une race maigre, après que la demande des consommateurs s’est portée sur du bœuf à plus forte teneur en gras, l’appelante a vendu ses Highlands aux alentours de l’an 2000 et acquis 103 têtes de bétail de race Aberdeen Angus en 2002.
[43] L’objectif de l’appelante était de créer un troupeau de bovins certifiés biologiques, ce qui a pris plusieurs années du fait de la rigueur des exigences à satisfaire pour obtenir cette certification. Au Nouveau-Brunswick, l’Atlantic Certified Organic Co-operative Limited (l’« ACOC »), une division de la Canadian Organic Certification Agency, est l’organisme qui veille au respect des normes de certification du bœuf biologique.
[44] En 2006, la ferme de l’appelante possédait des veaux qu’elle était autorisée à commercialiser à titre de bœuf certifié biologique. Toutefois, ce n’est qu’en 2008 que l’abattoir le plus proche – situé à Sussex (Nouveau-Brunswick) – a accepté de se mettre aux normes d’abattage du bœuf biologique. L’entente conclue par l’appelante avec l’abattoir lui permettait de faire abattre 6 à 12 bœufs certifiés biologiques par an.
[45] En 2009, pour améliorer la viabilité de l’exploitation agricole, l’ami de l’appelante à l’époque (« GC ») s’est procuré un Plan de ferme environnemental[18] autorisant l’expansion de la ferme. L’appelante a expliqué que GC œuvrait dans le secteur de la construction et réaliserait tous les travaux nécessaires à l’expansion, ce qui obligerait GC à se conformer aux normes environnementales applicables.
[46] Vers 2011, l’appelante a commencé à envisager de construire une installation de transformation sur la ferme, afin de remédier à l’insuffisance des services de transformation du bœuf biologique et au gaspillage des sous-produits résultant de cette transformation. L’installation de transformation proposée produirait de la viande de bœuf biologique destinée aux boucheries et aux animaux de compagnie.
[47] L’appelante a fait réaliser, à ses frais, une étude[19] de viabilité d’une installation de transformation, laquelle a conclu qu’une installation de transformation sur place offrirait un avantage économique. GC (par l’intermédiaire de son entreprise de construction) a commencé les travaux peu de temps après. L’appelante a payé la construction et devait être la propriétaire unique de la nouvelle installation de transformation à l’issue des travaux.
[48] En tout temps, l’appelante a été propriétaire de tous les éléments d’actif de sa ferme et a assumé l’intégralité des dépenses de la ferme.
[49] En 2014, l’appelante possédait 829 bœufs certifiés biologiques, élevés à partir du premier troupeau acquis en 2002. En 2015, le troupeau s’est réduit à 801 têtes après la vente de bovins trop âgés.
[50] Dans les demandes de certification déposées auprès de l’ACOC pour 2014 et 2015, la ferme est désignée par les initiales DSGC[20]. Lors de son interrogatoire principal, l’appelante a expliqué que GC avait préparé de nombreux numéros d’identification d’installation et en avait fait le suivi. Il s’était également occupé du volet construction de l’expansion de la ferme, par exemple, l’obtention des permis.
[51] Lors du contre-interrogatoire, l’appelante a expliqué que GC avait essayé de « super-participer », mais que c’est l’une (« MJ ») des employés qui avait préparé le dossier de demande à l’intention de l’ACOC et qui en assumait l’exactitude.
[52] L’avocat de l’intimé a demandé à l’appelante si GC participait davantage à la gestion de la ferme que ne le révélait son témoignage principal, ce à quoi elle a répondu ainsi :
[TRADUCTION]
Je ne peux pas vous dire ce qui se passait quand j’étais à mon cabinet de médecine, mais ce que je sais, c’est qu’il y avait beaucoup de conflits. Il se peut que [GC] ait tenté de superviser le personnel la plupart du temps. Le conflit était en partie dû au fait que cela suscitait de la rancune chez le personnel, lequel m’obéissait à moi[21].
[53] Quand ces questions lui ont été reposées avec insistance, l’appelante a répété que GC avait [traduction] « tenté » d’assumer des fonctions de gestion et [traduction] « tenté » de superviser le personnel.
[54] En 2014 et 2015 :
-
la ferme s’étendait sur 5 314 acres[22] au total, comprenant la maison de ferme où vivait l’appelante, un garage détaché et trois grands abris pour animaux et entrepôts (une structure de 100 pieds sur 100 pieds, une structure de 60 pieds sur 120 pieds avec structure attenante de 45 pieds sur 140 pieds, et une structure de 108 pieds sur 160 pieds). De plus, l’appelante avait entamé la construction de deux autres entrepôts, ainsi que du bâtiment qui servirait à la transformation du bœuf biologique;
-
l’équipement agricole de l’appelante consistait en des tracteurs, du matériel aratoire, du matériel de fenaison, des wagons, des véhicules de transport, des remorques et des camions agricoles;
-
l’appelante employait quatre employés à temps plein et trois employés saisonniers à temps partiel pour le travail agricole. D’après l’état des résultats de la ferme pour 2014 et 2015, les salaires, traitements et avantages sociaux s’élevaient respectivement à 280 483,66 $ et à 240 669,44[23].
[55] L’appelante a décrit ainsi sa journée de semaine typique : lever aux environs de 5 heures, travail agricole jusqu’à son départ entre 7 heures et 9 heures pour son cabinet (à 10 km de la ferme), retour entre 14 heures et 17 heures, puis travail agricole jusqu’entre 22 heures et minuit. Selon son estimation prudente, l’appelante travaillait sur sa ferme environ cinq heures par jour pendant la semaine et de huit à 16 heures par jour les fins de semaine, selon l’époque de l’année[24].
C. Le cabinet de médecine
[56] En 2014 et 2015, l’appelante a exercé la médecine dans un bâtiment sis au 2112, chemin Lakeview, Cambridge-Narrows. Le bâtiment appartenait au village de Cambridge-Narrows, auquel l’appelante versait un loyer de 250 $ par an pour l’utilisation des lieux.
[57] L’appelante employait trois employés à temps partiel à son cabinet. Elle décrit ainsi une journée de semaine typique à son cabinet : début de la journée entre 7 heures et 9 heures et fin entre 14 heures et 17 heures. Se fondant sur son agenda manuscrit pour 2015, elle estimait avoir travaillé environ 1 549 heures en 2015, auxquelles s’ajoutaient de 24 à 32 heures par mois pour des consultations autres que sur rendez-vous, comme les visites d’urgence. Le total se situait dans une fourchette de 1 837 à 1 933 heures par an.
[58] L’appelante n’a pu retrouver son agenda pour 2014, mais elle croit avoir travaillé un nombre d’heures comparable cette année-là.
[59] L’appelante était également tenue de suivre 45 heures de formation continue par tranche de deux ans, ce qu’elle faisait le plus souvent en suivant un cours d’une semaine tous les deux ans.
[60] Lors du contre-interrogatoire, l’avocat de l’intimé a posé des questions sur plusieurs sujets liés au cabinet de médecine de l’appelante. Les éléments qui suivent sont tirés de ce contre-interrogatoire.
[61] L’appelante facturait les consultations à la province par voie électronique au taux fixé par la province. Elle a déclaré que seule une partie de ses dossiers de facturation pour 2015 étaient disponibles et qu’ils indiquaient un taux par visite de 43,50 $.
[62] Les trois employés à temps partiel du cabinet étaient du personnel de bureau ayant quelques connaissances médicales sur les soins à domicile et les contacts entre patients. L’un des employés faisait la majeure partie du ménage et tenait les fiches des patients. Les deux autres se partageaient le travail de réception, tenaient les dossiers des patients et classaient les rapports des patients. Le bâtiment comptait deux zones sécurisées pour le stockage des dossiers des patients.
[63] L’appelante accomplissait toutes les tâches médicales associées à son cabinet. Elle faisait l’objet d’un examen périodique mené par le programme d’Évaluation collégiale des Médecins des provinces de l’Atlantique.
[64] Le cabinet de médecine de l’appelante ne nécessitait pas de dépenses en immobilisation importantes, les frais d’exploitation se bornant aux salaires et avantages sociaux du personnel, aux primes d’assurance, aux frais d’automobiles et aux frais de bureau habituels, comme ceux de la ligne téléphonique et des fournitures de bureau.
[65] Selon l’état des résultats de l’exercice de la profession de l’appelante pour 2014 et 2015, ses revenus bruts s’élevaient respectivement à 805 321,17 $ et à 851 621,05 $, et ses revenus de profession libérale nets à 648 605 $ et à 697 050 $[25]. L’appelante était économe et consacrait la plupart de ses revenus nets au financement de sa ferme.
[66] M. Siu a témoigné sur l’historique des déclarations de revenus de l’appelante. Il a préparé une feuille de calcul fondée sur les déclarations de revenus de l’appelante pour les années d’imposition 2007 à 2015[26]. L’objectif de la feuille de calcul était d’établir les tendances observables au cours de cette période.
[67] Selon la feuille de calcul, de 2007 à 2015, l’appelante a tiré des revenus totaux bruts de 5 599 554 $ et des revenus totaux nets de 4 145 580 $ de son cabinet de médecine, et tiré des revenus totaux bruts de 290 244 $ et subi des pertes totales de 4 006 097 de son entreprise agricole. Pour la même période, l’appelante a perçu des dividendes de 432 925 $ et des intérêts de 1 488 $, et tiré d’autres revenus s’élevant à 144 542 $.
[68] En outre, il ressort de la feuille de calcul que le revenu annuel net de l’appelante provenant de son cabinet de médecine est passé de 251 746 $ en 2007 à 697 050 $ en 2015.
D. Les observations de l’appelante et de l’intimé
(1) L’appelante
[69] L’appelante soutient que la question est de savoir si une combinaison de l’agriculture et d’une source autre ou secondaire de revenu constitue sa principale source de revenu.
[70] Le 20 mars 2003, le législateur a modifié le paragraphe 31(1) de manière à annuler l’interprétation de ce paragraphe retenue par la Cour suprême dans l’arrêt Canada c. Craig, 2012 CSC 43 [« Craig
»], par l’ajout au préambule des termes employés par la Cour suprême dans l’arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 [« Moldowan »
].
[71] Le nouveau libellé du paragraphe 31(1) emploie les termes « source »,
« principalement »
et « source secondaire »
. La LIR ne définit pas ces termes.
[72] La notion de « source de revenu »
est fondamentale dans le régime établi par la LIR. Dans l’arrêt Stewart c. Canada, 2002 CSC 46 [« Stewart »
], la Cour suprême a expliqué ce qu’est une source de revenu tiré d’une entreprise en ces termes :
51 Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit […] »
[Soulignement ajouté par l’appelante.]
[73] Dans l’arrêt Stewart, la Cour suprême a rejeté la proposition que, pour avoir une source de revenu constituée d’une entreprise, le contribuable devait avoir une expectative raisonnable de profit.
[74] L’interprétation du paragraphe 31(1) doit être compatible avec la conclusion dans l’arrêt Stewart, à savoir qu’une source de revenu constituée d’une entreprise est « [
traduction]
tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme »
, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si l’expectative d’un profit par le contribuable est raisonnable.
[75] Les caractéristiques essentielles d’une « source » principale
sont les suivantes : (i) elle occupe la majeure partie du temps, de l’attention, des efforts et des ressources du contribuable, ou constitue le cœur de ses tâches quotidiennes au travail; et (ii) elle produit la majeure partie des revenus dont le contribuable dépend pour sa subsistance.
[76] Si l’une des sources de revenu du contribuable réunit les deux caractéristiques essentielles d’une source principale de revenu, elle seule constitue la principale source de revenu du contribuable. Si le contribuable n’a pas de principale source de revenu unique, mais a deux sources de revenu qui satisfont chacune à l’une des caractéristiques essentielles, la principale source de revenu du contribuable est la combinaison de ces deux sources. Dans ce cas, la « source secondaire »
du contribuable est la source qui occupe la plus petite partie de son temps, de son attention et de ses efforts, ou qui ne constitue pas le cœur de ses tâches professionnelles quotidiennes.
[77] Il ressort de l’historique du paragraphe 31(1) que le législateur établissait une distinction entre les agriculteurs et les personnes dont l’agriculture n’est pas la principale occupation. Il ne faisait pas de différence entre les agriculteurs selon leur succès ou leur échec. Si le législateur avait voulu que la qualification de « source secondaire » soit retenue uniquement en fonction de la rentabilité raisonnable, réelle ou attendue, il aurait pu promulguer une disposition ayant un libellé clair à cet effet. On trouve un exemple d’un tel libellé clair au sous-alinéa 110.6(1.3)a)(ii).
[78] L’appelante avait deux sources de revenu – sa ferme et son cabinet –, dont chacune présentait au moins l’une des deux caractéristiques essentielles d’une source principale de revenu. Cependant, seule la ferme constituait la principale préoccupation de l’appelante et le cœur de ses tâches professionnelles quotidiennes, comme en témoignent le temps, le capital, l’énergie et le dévouement qu’elle y consacrait.
(2) L’intimé
[79] L’intimé soutient que la question est de savoir si l’agriculture est la principale source de revenu de l’appelante, combinée à une autre source secondaire. Pour répondre à cette question, la Cour devrait appliquer le paragraphe 31(1) modifié de manière à respecter l’intention du législateur de rétablir le critère juridique adopté dans l’arrêt Moldowan.
[80] Le législateur a sensiblement modifié la question de la combinaison soulevée au paragraphe 31(1) en imposant l’exigence que l’agriculture soit la source prédominante de revenu, combinée à une autre source secondaire. En ajoutant l’exigence explicite que la deuxième source de revenu soit secondaire à l’agriculture, le législateur a directement répondu à la critique formulée au paragraphe 39 de l’arrêt Craig à l’égard de l’exigence, énoncée dans l’arrêt Moldowan, que l’agriculture doit prédominer dans toute combinaison avec une autre source de revenu.
[81] Les modifications apportées par le législateur au paragraphe 31(1) correspondent aux trois catégories d’agriculteurs décrites dans l’arrêt Moldowan. Le critère retenu dans l’arrêt Moldowan pour déterminer si une source est la « principale source de revenu »
est à la fois relatif et objectif; il ne repose pas sur une simple question de proportions, mais suppose que la Cour examine, à l’égard de chaque source de revenu, le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et éventuelle. Ce qui distingue la « principale source » de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance soit d’une unique source de revenu soit d’une combinaison de diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler.
[82] La Cour canadienne de l’impôt s’est déjà prononcée sur les années d’imposition 1997 et 1998 de l’appelante, statuant que sa source principale de revenu était une combinaison de l’agriculture et de son cabinet de médecine. Depuis lors, le revenu net tiré par l’appelante de son cabinet a augmenté, passant de 73 984 $ et 88 991 $ en 1997 et 1998 à 648 480 $ et 697 050 $ en 2014 et 2015.
[83] La preuve établit qu’en tout temps pertinent, l’agriculture à elle seule n’était pas la principale source de revenu de l’appelante et que, conformément au sens ordinaire du mot « secondaire », l’agriculture était une source de revenu secondaire par rapport au cabinet de médecine de l’appelante. Par conséquent, la principale source de revenu de l’appelante était son cabinet de médecine, qui prédominait dans la combinaison avec la source secondaire de revenu, soit l’agriculture.
[84] L’agriculture n’étant ni la source de revenu principale de l’appelante ni une source prédominante dans la combinaison avec une source secondaire, l’appelante peut uniquement déduire 17 500 $ à titre de pertes provenant de l’agriculture pour chacune des années d’imposition.
IV. L’analyse
A. L’interprétation du paragraphe 31(1)
[85] Pour les années d’imposition se terminant avant le 21 mars 2013, le libellé introductif du paragraphe 31(1) était le suivant :
31 (1) Lorsque le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des montants suivants :
[86] Je désigne cette version du paragraphe 31(1) la « version initiale »
.
[87] Pour les années d’imposition se terminant après le 20 mars 2013, le législateur a modifié le libellé introductif du paragraphe 31(1) ainsi :
31 (1) Si le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu pour lui, pour l’application des articles 3 et 111, ses pertes pour l’année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées correspondre au total des montants suivants :
[88] Je désigne cette version du paragraphe 31(1) la « version modifiée »
.
[89] Comme dans tout appel portant sur le sens d’une disposition législative, je dois appliquer la méthode d’interprétation législative prescrite par la Cour suprême, laquelle a récemment réaffirmé l’approche à suivre, dans R. c. Breault, 2023 CSC 9, par. 25 :
Tout exercice d’interprétation statutaire [sic] consiste à lire les termes d’une disposition [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » […]
[90] La Cour suprême a également réitéré récemment que « le caractère singulier et précis de nombreuses dispositions fiscales […] commande [à la Cour] de se concentrer attentivement sur le texte et le contexte de la loi »
(Canada c. Loblaw Financial Holdings Inc., 2021 CSC 51, par. 41).
[91] Le libellé du paragraphe 31(1) est d’une trompeuse simplicité. La restriction de la déductibilité des pertes agricoles prévue au paragraphe 31(1) s’applique à une année d’imposition de l’appelante si le revenu de celle-ci, pour cette année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture seule, ni d’une combinaison d’agriculture et d’une autre source qui serait une source secondaire de revenu.
[92] La difficulté est de savoir ce que le législateur entend par « principale source de revenu »
et « source secondaire de revenu »,
et sur quel fondement un tribunal doit décider si le revenu de l’appelante provient principalement de l’agriculture ou d’une combinaison d’agriculture et d’une autre source qui était une source secondaire de revenu pour elle. Mais avant d’entamer l’analyse de ces points, il est utile d’examiner les raisons qui ont amené le législateur à modifier le paragraphe 31(1).
[93] Dans l’arrêt Craig, la Cour suprême a conclu que la version initiale n’exigeait pas que l’autre source de revenu soit secondaire à la source de revenu agricole pour être prise en compte dans la combinaison de l’agriculture et d’une autre source. La Cour suprême a de la sorte expressément infirmé sa décision dans Moldowan sur ce point précis.
[94] Le législateur a réagi à l’arrêt Craig sans attendre en modifiant le paragraphe 31(1). Les notes explicatives qui accompagnent la modification de 2013 précisent ce qui suit :
Le paragraphe 31(1) de la Loi a pour effet de limiter les pertes agricoles qu’un contribuable peut déduire de son revenu d’autres sources au cours d’une année d’imposition, à moins que sa principale source de revenu pour l’année soit l’agriculture ou une combinaison de l’agriculture et d’une autre source. Cette restriction fait en sorte que les contribuables dont l’agriculture n’est pas la principale occupation soient limités dans leur capacité de déduire des pertes agricoles de leur revenu non agricole. […]
La modification apportée au paragraphe 31(1) a pour but de codifier l’interprétation que la Cour suprême du Canada a donnée à ce paragraphe dans l’arrêt Moldowan c. la Reine, [1978] 1 RCS 480. Plus précisément, la modification précise que la déduction d’un contribuable au titre des pertes agricoles est limitée à la somme prévue au paragraphe 31(1) si le revenu du contribuable ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une source secondaire de revenu. Cette modification remplace l’interprétation que la Cour suprême du Canada avait donnée à l’article 31 dans l’arrêt La Reine c. Craig, 2012 CSC 43. Elle s’applique aux années d’imposition se terminant après le 20 mars 2013.
[Non souligné dans l’original.]
[95] La raison invoquée pour modifier le paragraphe 31(1) étant de codifier l’interprétation donnée dans l’arrêt Moldowan dans la version initiale[27], je commence mon analyse de la version modifiée en rappelant les enseignements de la Cour suprême dans cet arrêt. Je précise cependant que, puisque l’arrêt Moldowan n’a pas à proprement parler interprété la version modifiée, cet arrêt ne constitue pas un précédent pour l’interprétation de la version modifiée.
[96] Dans l’arrêt Moldowan, la Cour examinait une déduction pour pertes agricoles demandée par un particulier éleveur de chevaux de course, l’une des activités énumérées dans la définition du terme « agriculture » donnée au paragraphe 248(1). En l’absence de cette définition légale, on peut raisonnablement se demander si l’élevage de chevaux de courses relève de l’« agriculture »
au sens ordinaire du mot.
[97] Exposant les motifs unanimes de la Cour suprême, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a cerné au début de ses motifs la nature problématique du texte de la version initiale :
Il faut noter également que le par. 13(1) entre seulement en jeu lorsque le contribuable a subi une perte provenant de son exploitation agricole pour l’année. Dans ces conditions, il peut sembler étrange que l’article parle d’agriculture comme principale source de revenu du contribuable au cours de l’année d’imposition; si le contribuable subit une perte dans son exploitation agricole au cours de l’année d’imposition, il est évident que l’agriculture ne contribue pas à son revenu cette année-là. Si l’on prend l’article au pied de la lettre, jamais un contribuable ne pourrait réclamer plus que la déduction maximale de 5 000 $ prévue audit article; celui-ci n’a de sens que si l’on met l’accent sur les mots « source » de revenu[28].
[98] Le juge Dickson poursuit en observant que, dans le cas de l’agriculture, l’expression « source de revenus »
suppose l’existence d’une entreprise[29]. Dans l’arrêt Stewart, la Cour suprême a déclaré :
50 Il est manifeste que, pour que l’art. 9 s’applique, le contribuable doit d’abord déterminer s’il a une source de revenu constituée soit d’une entreprise, soit d’un bien. […] [I]l est clair que certaines démarches de contribuables ne sont ni des entreprises, ni des sources de revenu constituées d’un bien, mais sont uniquement des activités personnelles. On peut recourir à la méthode à deux volets suivante pour trancher la question de l’existence d’une source :
(i) L’activité du contribuable est-elle exercée en vue de réaliser un profit, ou s’agit-il d’une démarche personnelle?
(ii) S’il ne s’agit pas d’une démarche personnelle, la source du revenu est-elle une entreprise ou un bien?
Le premier volet du critère vise la question générale de savoir s’il y a ou non une source de revenu; dans le deuxième volet, on qualifie la source d’entreprise ou de bien.
51 Assimiler la « source de revenu » à une activité exercée « en vue de réaliser un profit » concorde avec la définition traditionnelle du mot « entreprise » qui est donnée en common law, à savoir [traduction] « tout ce qui occupe le temps, l’attention et les efforts d’un homme et qui a pour objet la réalisation d’un profit » : Smith, précité, p. 258; Terminal Dock, précité. […]
52 Ce premier volet du critère vise simplement à établir une distinction entre les activités commerciales et les activités personnelles […]
53 […] Lorsqu’une activité est clairement de nature commerciale, il n’est pas nécessaire d’analyser les décisions commerciales du contribuable. De telles démarches comportent nécessairement la recherche d’un profit. Il existe donc par définition une source de revenu et il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin.
[…]
60 En résumé, la question de savoir si le contribuable a ou non une source de revenu doit être tranchée en fonction de la commercialité de l’activité en cause. Lorsque l’activité ne comporte aucun aspect personnel et qu’elle est manifestement commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin. Lorsque l’activité peut être qualifiée de personnelle, il faut alors déterminer si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu. Toutefois, refuser la déduction de pertes pour le seul motif que les pertes indiquent l’inexistence d’une entreprise (ou d’un bien) comme source de revenu va à l’encontre du texte et de l’économie de la Loi. La question de savoir s’il existe une entreprise est distincte de celle de la déductibilité des dépenses. […][30]
[99] Dans l’arrêt Brown c. Canada, 2022 CAF 200, la Cour d’appel fédérale a reformulé ainsi le critère adopté par la Cour suprême :
La démarche à utiliser pour déterminer si une personne a une source de revenu peut donc être reformulée comme suit :
L’activité en cause comporte-t-elle un aspect personnel ou récréatif?
· Si l’activité en cause comporte un aspect personnel ou récréatif, il s’agit ensuite de déterminer « si cette activité est ou non exercée d’une manière suffisamment commerciale pour constituer une source de revenu » (arrêt Stewart, par. 60).
· Si l’activité en cause ne comporte aucun aspect personnel ou récréatif, il s’agit ensuite de déterminer si cette activité est exercée dans le but de réaliser un profit[31].
[100] Avec égards, cette reformulation n’est ni fidèle au critère énoncé dans l’arrêt Stewart, ni justifiée par la méthode retenue par le juge en chef Noël dans l’arrêt Canada c. Paletta (Succession), 2022 CAF 86 [« Paletta
»].
[101] Dans l’arrêt Paletta, le juge en chef Noël a remis en question la proposition que « dès lors qu’une activité semble avoir une nature intrinsèquement commerciale, elle constitue une source de revenus, même si elle n’a pas d’objet commercial ou de recherche de profits »
[32].
[102] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt avait conclu que les opérations du contribuable en question n’avaient pas pour objet la réalisation de profits. Le juge en chef Noël poursuit en commentant ainsi cette conclusion :
Suivant l’arrêt Stewart, dans les cas où l’activité ne comporte pas d’aspect personnel ou récréatif, qu’il semble s’agir d’une activité manifestement commerciale et que la preuve étaye la thèse selon laquelle l’activité en question a pour objet la réalisation de profits, il n’est pas nécessaire pour le tribunal de poursuivre l’analyse pour conclure à l’existence d’une source de revenus tirés d’une entreprise ou d’un bien pour les fins de la Loi. Or, dans les cas où la preuve révèle, comme en l’espèce, que, malgré des airs d’activité commerciale, l’activité en question n’a pas pour objet cette réalisation de profits, l’on ne saurait conclure à l’existence d’une source de revenus tirés d’une entreprise ou d’un bien.
[Non souligné dans l’original.]
[103] La prémisse du critère énoncé dans l’arrêt Stewart est qu’une activité commerciale est exercée en vue de réaliser un profit[33]. Par conséquent, à moins que cette hypothèse soit remise en question dans des circonstances propres à une espèce, une activité qui, à première vue, est clairement une activité commerciale plutôt que personnelle est considérée comme une source de revenu.
[104] Dans l’arrêt Paletta, la preuve ayant révélé que, malgré une apparence d’activité commerciale, l’activité n’avait pas pour objet la réalisation de profits, le juge en chef Noël a établi qu’on ne saurait conclure à l’existence d’une source de revenus.
[105] Le juge en chef Noël ne proposait pas d’ajouter un palier supplémentaire pour déterminer si une activité commerciale était exercée en vue d’un profit. Il a plutôt constaté que les circonstances propres à l’affaire Paletta faisaient douter de la validité de la prémisse du critère énoncé dans l’arrêt Stewart. Le juge en chef Noël a simplement conclu que les opérations en litige dans l’affaire Paletta avaient « l’apparence » de commercialité, mais n’étaient pas, en réalité, « manifestement commerciale[s] » au vu de l’ensemble des circonstances.
[106] La deuxième étape proposée dans l’arrêt Brown ajoute au critère énoncé dans l’arrêt Stewart une analyse distincte pour déterminer si un contribuable exerce une activité commerciale à des fins lucratives. Cette méthode ramènerait le critère à ce qu’il était avant l’arrêt Stewart, lorsque la « recherche de profits »
d’une entreprise était au centre de l’analyse, même pour des activités manifestement commerciales. Comme l’exprime la Cour suprême dans l’arrêt Stewart :
[…] Lorsque l’activité ne comporte aucun aspect personnel et qu’elle est manifestement commerciale, il n’est pas nécessaire de pousser l’examen plus loin[34].
[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]
[107] Durant les années d’imposition, la ferme de l’appelante était manifestement une activité commerciale exercée par l’appelante[35]. Pendant des années avant les années d’imposition et au cours de celles-ci, l’appelante a lourdement investi dans ses activités agricoles en vue de constituer un troupeau de bétail certifié biologique, à des fins de vente, et pour ériger l’infrastructure nécessaire au maintien et à la croissance du troupeau. Dans l’exercice de ses activités agricoles, l’appelante employait quatre travailleurs à plein temps toute l’année, ainsi que des travailleurs saisonniers à temps partiel. Lorsque des obstacles ont surgi, comme l’insuffisance des capacités de transformation, l’appelante a pris des mesures commercialement raisonnables pour les surmonter.
[108] La nature de l’entreprise de l’appelante (l’élevage de bovins certifiés biologiques en vue de leur vente) et la manière dont elle s’est livrée à ces activités concordaient toutes deux avec une activité de nature manifestement commerciale. Rien dans la preuve ne fait douter de la prémisse du critère énoncé dans l’arrêt Stewart, à savoir que l’appelante exerçait une activité agricole manifestement commerciale en vue de réaliser un profit.
[109] Bien au contraire, l’intention de l’appelante, étayée par la preuve objective, était de créer une [traduction] « entreprise agricole viable[36] » et elle y a consacré tous son temps, ses efforts et ses fonds avec diligence. Malheureusement, l’appelante n’a pas encore atteint son objectif. Néanmoins, la ferme de l’appelante est manifestement une activité commerciale et donc, selon le critère énoncé dans l’arrêt Stewart, une source de revenu constituée d’une entreprise.
[110] La question suivante est de savoir si le revenu de l’appelante provenait « principalement » de son entreprise agricole, soit seule, soit en combinaison avec une autre source de revenu secondaire à son entreprise agricole. L’adjectif « chief » est employé dans la version anglaise du paragraphe 31(1) dans le sens de [traduction] « le plus important », « principal » ou « le plus grand »[37]. L’adjectif «
subordinate
»
est employé dans la version anglaise au paragraphe 31(1) dans le sens de [
traduction] « secondaire par rapport à un autre élément (qui est l’élément principal) »
[38].
[111] La version française du paragraphe 31(1) ne renvoie pas à une « principale source de revenu ». La version initiale et la version modifiée sont respectivement rédigées ainsi :
Lorsque le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et de quelque autre source.
et
Si le revenu d’un, pour une année d’imposition, ne provient principalement ni de l’agriculture ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu pour lui.
[112] Comme le texte anglais, le texte français est formulé sous forme négative (c.‑à-d. le revenu du contribuable ne provient ni de l’agriculture ni, etc.). Le libellé français de la version initiale et de la version modifiée met d’abord l’accent sur le revenu du contribuable pour une année d’imposition. Le libellé français de la version modifiée se concentre sur la question de savoir si ce revenu ne provient principalement (ou surtout) ni de l’agriculture, ni d’une combinaison de l’agriculture et d’une autre source qui est une source secondaire de revenu pour lui.
[113] Le libellé français de la version initiale n’est traité ni dans l’arrêt Moldowan ni dans l’arrêt Craig. Il est toutefois évident que le libellé français soulève le même problème fondamental qu’a relevé le juge Dickson dans l’arrêt Moldowan, à savoir que le paragraphe 31(1) n’entre en jeu que lorsque le contribuable a subi une perte agricole au cours de l’année. Par conséquent, une interprétation littérale du libellé français signifierait que jamais un contribuable ne pourrait demander plus que la déduction maximale prévue par ce paragraphe. Le bon sens permet de comprendre que telle n’est pas l’intention du législateur, car un tel résultat est absurde et dénué de sens.
[114] Pour résoudre le problème, le juge Dickson procède en ne tenant pas uniquement compte du montant du revenu provenant de chaque source pertinente. Le juge Dickson déclare :
Déterminer si une source de revenu est la principale « source » de revenu d’un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n’est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d’en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu’il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale « source » de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à l’égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d’un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modification de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.
[…]
Le paragraphe 13(1) suppose l’existence d’un contribuable qui tire son revenu de l’agriculture et de quelque autre source […]. Il vise une personne dont l’agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d’un investissement, d’un emploi ou d’une entreprise secondaire. L’article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la 2e catégorie : le montant déductible pour perte n’est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l’agriculture soit pertinente, elle n’est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale « source » de revenu pour discerner s’il s’agit ou non d’un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d’appartenir à la 1re catégorie uniquement parce qu’elle reçoit un héritage. D’autre part, une personne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l’agriculture avec l’espoir d’en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d’établissement.[39]
[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]
[115] Pour le juge Dickson, ce qui distingue la « principale source » de revenu du contribuable, c’est l’expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces deux caractéristiques par une analyse, entre autres, du temps consacré, des capitaux engagés et de la rentabilité présente et éventuelle. La liste des facteurs énumérés par le juge Dickson n’est pas exhaustive, car tous les faits et toutes les circonstances doivent être pris en compte.
[116] Il ressort de la démarche générale du juge Dickson, ainsi que des facteurs et des exemples qu’il cite, que la source principale de revenu correspond à toute source première vers laquelle le contribuable se tourne pour sa subsistance. Il peut s’agir d’une source bien établie et présente depuis un certain temps, ou d’une nouvelle source principale qui, par suite d’un changement d’occupation, s’est substituée à une source antérieure. Dans tous les cas, les faits et circonstances objectifs dictent la qualification à donner à chaque source de revenu du contribuable.
[117] Il n’est pas nécessaire que la source de revenu agricole soit la seule source; elle peut être à côté d’autres sources de revenu, et le gagne-pain d’un particulier peut provenir d’une combinaison de ces sources. Toutefois, contrairement aux enseignements de l’arrêt Craig, dans tous les cas, la source de revenu agricole doit être la principale source de revenu du particulier. Le particulier peut compléter la source de revenu agricole par d’autres sources, comme des investissements, un deuxième emploi ou une deuxième entreprise, mais ces sources additionnelles sont subordonnées ou secondaires par rapport à la source de revenu agricole. Ici encore, les faits et circonstances objectifs dictent la qualification à donner à chaque source de revenu du particulier.
[118] Les références du juge Dickson à l’expectative raisonnable de revenu et au potentiel de rentabilité soulignent la nécessité d’une évaluation objective de l’historique des revenus produits par les sources de revenu du contribuable, et de leur potentiel. La question est de savoir si les revenus passés et les revenus attendus provenant des sources de revenu du contribuable étayent la conclusion que la source de revenu agricole, ou une combinaison de la source de revenu agricole et d’autres sources secondaires, est la principale source que le contribuable considère comme son gagne-pain.
[119] Le paragraphe 31(1) n’impose pas l’exigence d’une attente raisonnable de profit et n’exige pas qu’un tribunal remette en question l’appréciation commerciale du contribuable du fait que la source de revenu agricole de ce dernier a enregistré des pertes. L’analyse des revenus passés et futurs est une analyse objective de ce qui s’est produit et de ce à quoi on peut s’attendre. Cette évaluation étant objective, toute attente de revenus futurs doit concorder avec l’ensemble des faits et des circonstances.
[120] Contrairement à ce qu’avancent habilement les avocats de l’appelante, il faut tenir compte de l’historique des revenus générés par l’entreprise agricole et de son potentiel dans l’évaluation de la source de revenu agricole dans le contexte des autres sources de revenu. C’est ce qu’illustre la méthode retenue par le juge Dickson dans l’arrêt Moldowan :
[…] Il consacrait beaucoup d’effort au lancement de nouvelles entreprises. Les courses de chevaux ne l’accaparaient que quelques heures par jour et une partie de l’année uniquement. Il engageait ses capitaux avec circonspection. Il s’agit d’une entreprise de nature aléatoire. Il est difficile de raisonnablement concevoir d’y consacrer ses forces dans l’espoir d’en tirer un gagne-pain régulier. Il a subi des pertes constantes et croissantes, à l’exception de deux années où il a réalisé de faibles profits. Même si chacun des faits signalés précédemment n’est pas déterminant en lui-même, ensemble, ils évoquent une seule entreprise parmi plusieurs, sans rien qui la caractérise comme principale « source » de revenu[40].
[Non souligné dans l’original.]
[121] La démarche générale énoncée dans l’arrêt Moldowan, interprétée de la manière susmentionnée, est conforme au texte, au contexte et à l’objectif de la version modifiée. Par conséquent, j’analyse ci-dessous la situation de l’appelante à la lumière des considérations qui précèdent.
B. L’application du droit aux faits
[122] L’appelante a ouvert son cabinet de médecine en 1975 dans le village de Cambridge-Narrows et peu après a acheté une ferme avoisinante. La ferme n’était pas productrice lors de son achat. L’appelante a continué à exercer la médecine à temps plein tout en s’engageant sur le long et sinueux chemin vers son objectif, à savoir : créer une entreprise agricole autosuffisante. À la fin de l’année 2015, cet objectif n’avait pas été atteint[41].
[123] L’appelante a continué à exercer la médecine à temps plein jusqu’en 2014 et 2015 et, pendant ces années, a consacré, selon ses propres estimations, entre 1 837 et 1 933 heures par an à sa profession[42]. Elle employait trois salariés à temps partiel dans son cabinet de médecine, lequel nécessitait peu de capital et a produit la quasi-totalité du revenu net de l’appelante en 2014 et 2015[43].
[124] L’appelante a déclaré à l’audience qu’elle consacrait environ 2 500 heures par an à sa ferme. De plus, elle y employait quatre travailleurs à temps plein et trois travailleurs à temps partiel. L’appelante vivait modestement et consacrait la plupart des revenus à sa ferme. Il ne fait aucun doute que l’appelante a travaillé d’arrache-pied pour assurer la réussite financière de sa ferme, et qu’elle y a consacré toutes les ressources financières dont elle disposait.
[125] En 2014 et en 2015, l’appelante a tiré de son cabinet de médecine des revenus bruts s’élevant respectivement à 805 321,17 $ et à 851 621,05 $, et de ses activités agricoles des revenus bruts s’élevant respectivement à 176 433,23 $ et à 31 128,50 $. L’appelante a tiré de son cabinet de médecine des revenus nets de 648 605,35 $ et de 697 050,77 $, et subi des pertes nettes de 530 363,12 $ et de 595 904,29 $ dans ses activités agricoles.
[126] L’appelante a déclaré que la seule source des revenus qu’elle tirait de son cabinet était les sommes que lui versait la province du Nouveau-Brunswick. En fonction du taux de facturation par visite de 43,50 $, tiré du témoignage de l’appelante, on peut calculer qu’elle a donné environ 18 500 consultations en 2014 et 19 500 en 2015[44].
[127] Pour arriver au total de 1 549 heures par an que l’appelante a estimé consacrer à ses consultations sur rendez-vous, il faudrait qu’elle ait vu un patient toutes les cinq minutes environ pour chaque heure travaillée. Il n’est donc pas certain que l’estimation par l’appelante des heures passées à voir des patients soit tout à fait exacte, bien qu’elle ait fait de son mieux pour retracer ses heures à partir de son agenda manuscrit pour 2015.
[128] Je ne doute pas qu’en 2014 et 2015, l’appelante s’attendait à une augmentation de son revenu agricole dans les années à venir, mais les faits objectifs révèlent qu’il restait d’importantes dépenses à consentir pour concrétiser ces attentes. De plus, l’appelante n’a fourni aucune prévision de son revenu agricole pour les années suivant 2015; en outre, l’analyse de rentabilité menée en 2012[45], qui tenait pour acquis que l’usine de transformation serait en activité en 2013, ne correspondait pas à la réalité de la situation en 2014 et 2015. Bref, malgré les efforts déployés par l’appelante, il n’existe aucune preuve objective, en date de 2015, que la ferme deviendrait une entreprise autosuffisante dans un avenir prévisible.
[129] Il ne fait aucun doute que l’appelante était dévouée à la fois à son rôle de médecin en milieu rural et à son entreprise agricole. Cependant, l’appelante exerçait ses activités agricoles avant et après ses heures normales de travail, et accomplissait en priorité ses activités médicales lorsque survenait une situation médicale nécessitant son attention. Cela n’est guère surprenant compte tenu des obligations professionnelles associées à l’exercice de la médecine à temps plein. Il est évident que l’appelante prenait très au sérieux ses obligations professionnelles et son rôle de médecin au sein de la collectivité rurale de Cambridge-Narrows.
[130] L’appelante a déclaré qu’elle effectuait des consultations à domicile au besoin. Toutefois, pour ce qui est du fonctionnement de sa ferme en son absence, l’appelante a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION]
Je ne peux pas vous dire ce qui se passait quand j’étais à mon cabinet de médecine, mais ce que je sais, c’est qu’il y avait beaucoup de conflits. Il se peut que [GC] ait tenté de superviser le personnel la plupart du temps. Le conflit était en partie dû au fait que cela suscitait de la rancune chez le personnel, lequel m’obéissait à moi.
[131] À la lumière de ce qui précède, je conclus que, dans les faits, le cœur des tâches professionnelles quotidiennes de l’appelante était l’exercice de la médecine, à laquelle elle vaquait non seulement pendant ses heures normales de travail, mais aussi en dehors des heures prévues à l’horaire au besoin, par exemple en cas d’urgence. Le volume de consultations planifiées en 2014 et en 2015 étaye davantage encore cette conclusion.
[132] Je prends acte que l’appelante a investi des millions de dollars dans la ferme. Cependant, l’appelante ne l’a acquise qu’après avoir commencé à exercer la médecine, la ferme n’était pas une entreprise en activité au moment de l’achat, toutes les sommes investies par l’appelante dans la ferme provenaient du revenu net qu’elle tirait de son cabinet de médecine et, malgré tous ses efforts, la ferme nécessitait pour survivre le soutien financier offert par ce revenu.
[133] La preuve objective est qu’en 2014 et 2015, et toutes les années précédentes sauf deux, seul son cabinet de médecine a produit un revenu net et, si je me fonde sur les tendances observées dans la feuille de calcul à l’onglet 18 du recueil conjoint, en 2015, c’est uniquement du cabinet de médecine qu’on pouvait raisonnablement attendre un revenu net significatif dans un avenir prévisible.
[134] En résumé, pour les années d’imposition, et pour toutes les années d’imposition antérieures où l’appelante a exploité l’entreprise agricole, le travail quotidien de l’appelante était axé sur l’exercice de la médecine. L’appelante comptait sur son cabinet de médecine pour subvenir à ses besoins et utilisait le revenu net de son cabinet pour financer son entreprise agricole, qui ne pouvait pas survivre sans ce financement. L’activité agricole a toujours été une source de revenu secondaire à l’exercice de la médecine pour l’appelante, et rien ne prouve que cela est appelé à changer dans un avenir prévisible.
[135] Je conclus donc que la principale source de revenu de l’appelante en 2014 et 2015 était son cabinet de médecine, et que l’entreprise agricole de l’appelante était une source secondaire de revenu. Par conséquent, par application du paragraphe 31(1), la perte agricole de l’appelante en 2014 et en 2015 est restreinte à 17 500 $ par an.
[136] L’issue du présent appel est fâcheuse. La version modifiée de la règle a pour effet, en l’espèce, d’interdire à l’exploitante d’une véritable entreprise agricole de déduire les pertes que pourrait déclarer l’exploitant de tout autre type d’entreprise[46]. Les faits démontrent amplement combien il est difficile de créer une entreprise agricole viable de toute pièce, même si l’on y consacre un temps et un capital démesurés et que l’on bénéficie de l’aide des programmes gouvernementaux. Pourtant, la version modifiée de la règle punit ces efforts, au détriment de ceux qui sont prêts à consacrer ce temps et ces fonds – un résultat que la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême ont sans aucun doute tenté d’éviter dans Craig. Par malheur, la Cour canadienne de l’impôt n’est pas un tribunal d’equity[47] et je dois appliquer la loi telle qu’elle est écrite, sans tenir compte de l’équité du résultat[48].
[137] Pour les motifs qui précèdent, l’appel visant les nouvelles cotisations est rejeté, avec dépens adjugés à l’intimé. Les parties ont 60 jours à compter de la date du présent jugement pour s’entendre sur les dépens. À défaut d’entente entre les parties sur les dépens, l’intimé aura 30 jours de plus pour déposer des observations, d’au plus dix pages, sur les dépens, tandis que l’appelante aura 30 jours à compter de la date de dépôt des observations de l’intimé pour déposer ses propres observations d’au plus dix pages en réponse. J’observe, sans trancher la question, qu’il semble y avoir lieu en l’espèce de fixer les dépens conformément au tarif B de l’annexe II des Règles.
Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de novembre 2023.
« J. R. Owen »
Le juge Owen
Traduction certifiée conforme
ce 27e jour de mai 2025.
Guillaume Chénard, jurilinguiste principal
RÉFÉRENCE : |
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NO DU DOSSIER DE LA COUR : |
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INTITULÉ : |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
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DATES DES AUDIENCES : |
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MOTIFS DU JUGEMENT : |
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DATE DU JUGEMENT : |
COMPARUTIONS :
Me Karen D. Stilwell Me Romain Viel Me Benjamin Roizes |
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Avocats de l’intimé : |
Me Stan McDonald Me Sam Perlmutter |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nom : |
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Cabinet : |
Connors Stilwell Fredericton (Nouveau-Brunswick) |
Pour l’intimé : |
Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada Ottawa, Canada |
[1] Tous les renvois à une disposition sont des renvois à la LIR.
[2] Abrams et McGuinness, Canadian Civil Procedure Law, 2e éd., 2010, (« CCPL »
), par. 10 :16 et 10 :19 à 10 :25. Cette proposition trouve sa source dans les lois sur l’organisation judiciaire du XIXe siècle. Dans Odgers, The Principles of Pleading, Practice and Procedure in Civil Actions in the High Court of Justice, 3e éd., 1897, l’auteur écrit, p. 63 : [
traduction] « Les conclusions de droit ou mixtes de droit et de fait n’ont plus à être plaidées. Il appartient désormais à la Cour de dire le droit applicable aux faits dont la preuve lui a été apportée. »
[3] CCPL, par. 10 :31. La conclusion de droit, ou inférence juridique, est la réponse à la question mixte de fait et de droit, que l’on obtient en appliquant le droit applicable aux faits : par exemple, voir ABB Inc. c. Domtar Inc., 2007 CSC 50, par. 37 et 86.
[4] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [« Housen
»], par. 26 et Andrews and Gauthier v. Chaput, [1959] R.C.S. 7, p. 10. Comparer avec la description des conclusions factuelles faite aux par. 19 à 25 de l’arrêt Housen.
[5] Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 [« Southam
»], par. 35 et Housen, par. 27 et 37.
[6] Voir le point c) de la formule 21(1)a).
[7] Voir Canada c. Preston, 2023 CAF 178 [« Preston »
], par. 26, 27 et 34, et Famous Players Canadian Corp. v. J.J. Turner and Sons Ltd., [1948] O.J. No. 69, par. 3.
[8] Dans Preston, la Cour d’appel fédérale a jugé que, dans les circonstances propres à l’espèce, il n’était pas nécessaire de séparer les faits des hypothèses mixtes de fait et de droit, car les faits n’étaient pas contestés : par. 21. La conclusion de la Cour sur ce point freine les requêtes en radiation qui ne changeraient rien sur le fond. Pour autant la Cour, dans Preston, ne donne pas son aval à la présentation de questions mixtes de fait et de droit à titre d’hypothèses de fait.
[9] Adboss, par. 17.
[10] P. 861. Les autres lords sont, pour l’essentiel, parvenus à la même conclusion sur ce point.
[11] Preston, par. 41, 46 et 47.
[12] Voir, par exemple, R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24, p. 42.
[13] R. c. Century 21 Ramos Realty Inc., 1987 CanLII 171 (ON CA), 58 O.R. (2d) 737 (C.A. Ont.), par. 37.
[14] La LIR et la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise emploient toutes deux la notion d’attente raisonnable de profit.
[15] L’appelante a expliqué qu’une exploitation agricole mixte est une exploitation agricole produisant plus d’un type de produit agricole.
[16] Transcription de l’audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 13 juin 2023 (la « transcription »
), lignes 18 à 20 de la p. 14.
[17] Les onglets 14 et 15 du recueil conjoint sont des copies des certificats du programme PAPI pour 2014 et 2015.
[18] Onglet 13 du recueil conjoint.
[19] Subventionnée en partie par le programme PAPI.
[20] Onglets 3 et 8 du recueil conjoint.
[21] Lignes 1 à 6 de la p. 135 de la transcription.
[22] L’appelante est propriétaire d’environ la moitié de cette superficie et loue le reste.
[23] Onglets 2 et 5 du recueil conjoint.
[24] L’appelante décrit ses activités agricoles en détail aux p. 74 à 82 de la transcription.
[25] Onglets 1 et 5 du recueil conjoint.
[26] Onglet 18 du recueil conjoint.
[27] Voir également Stavropoulos, Canada : Tax Policy Bewilderment - Moldowan Is Reincarnated In Budget 2013.
[28] P. 485.
[29] Ibid.
[30] Stewart, par. 50 à 53 et 60.
[31] Brown, par. 25.
[32] Paletta, par. 33.
[33] Voir, par exemple, Stewart, par. 51.
[34] Stewart, par. 60. Voir également par. 52.
[35] Craig, par. 39.
[36] L’appelante définit une entreprise agricole viable comme une entreprise qui réalise un profit.
[37] La troisième entrée de l’Oxford English Dictionary (en ligne) donne la définition suivante de l’adjectif « chief » : [
traduction]
« De la plus grande ou haute importance; le plus important, influant ou actif; principal, premier, plus grand […] ».
[38] La première entrée de l’Oxford English Dictionary (en ligne) donne la définition suivante de l’adjectif « subordinate » [
traduction]
: « Dépendant, subordonné ou secondaire par rapport à un autre élément (qui est l’élément premier ou principal). »
[39] Moldowan, p. 486 et 488.
[40] Moldowan, p. 488 et 489.
[41] La ferme a réalisé un petit profit net au cours de deux années dans les années 1990.
[42] L’appelante a fourni une estimation du nombre d’heures qu’elle travaillait, dont 24 à 32 heures non planifiées par mois. La fourchette résulte de l’estimation du nombre d’heures non planifiées.
[43] Selon la feuille de calcul figurant à l’onglet 18 du recueil conjoint, dont le contenu n’est pas contesté, en 2014 et 2015, outre le revenu net tiré de son cabinet de médecine, l’appelante a également perçu des dividendes de 9 800 $ et 26 933 $ en dividendes et, en 2015, l’appelante a également perçu des intérêts de 289 $ et 1 $ d’autres revenus.
[44] Le nombre de visites est calculé en divisant les revenus du cabinet de médecine de l’appelante en 2014 et 2015 par 43,50 $.
[45] Pièce A-2.
[46] Les pertes résultant d’un même montant de dépenses peuvent être différentes pour un contribuable qui applique la méthode de la comptabilité d’exercice.
[47] La Cour canadienne de l’impôt est une cour créée par la loi, dont la compétence est régie par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt.
[48] Singh c. La Reine, 2020 CAF 146, par. 9, et Atlantic Owl (PAS) Limited Partnership c. Canada (Agence des services frontaliers), 2022 CAF 214, par. 7.