ENTRE :
CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CÉLI DE FAREED AHAMED,
et
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
Ordonnance d’adjudication des dépens basée sur des arguments écrits
Devant : l’honorable juge David E. Spiro
Comparutions :
ORDONNANCE
La requête de l’intimé visant la majoration des dépens est accueillie. L’intimé a droit à des dépens d’un montant de 95 980,38 $, payables au plus tard 30 jours après la date de la présente ordonnance.
Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2023.
ce 21e jour d’octobre 2025.
Nathalie Ayotte, jurilinguiste
ENTRE :
CANADIAN WESTERN TRUST COMPANY EN QUALITÉ DE FIDUCIAIRE DU CÉLI DE FAREED AHAMED,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[traduction française officielle]
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
[1] La question soulevée en l’espèce était une question d’interprétation législative relativement simple. Lors de l’audition de l’appel, l’appelante a fait valoir que les contribuables n’étaient pas assujettis à l’impôt en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »
) lorsqu’ils exploitent une entreprise de négociation de titres admissibles dans leur compte d’épargne libre d’impôt (le « CÉLI »
). L’intimé a affirmé que, au contraire, les contribuables sont assujettis à l’impôt en vertu de la Loi lorsqu’ils exploitent une entreprise de négociation de titres admissibles dans leur CÉLI.
[2] Après avoir entendu tous les arguments et examiné le libellé, le contexte et l’objet des dispositions dont il est question, j’ai conclu que la position de l’intimé était correcte en droit[1]. Après avoir rendu ma décision, j’ai donné aux parties la possibilité de présenter des observations écrites concernant les dépens.
La position de l’appelante
[3] L’appelante fait valoir que des dépens peuvent être accordés à l’intimé, mais seulement en fonction des montants relativement modestes prévus au tarif B de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »
).
La position de l’intimé
[4] L’intimé demande des dépens dépassant les montants prévus par le tarif (les « dépens majorés »
), pour un montant forfaitaire totalisant 118 340 $. Ce montant inclut 115 087,76 $ en honoraires d’avocats et de parajuristes et 3 251,96 $ en débours. Au total, cela représente une moyenne de 43 % des dépens totaux.[2]
Analyse
[5] Mon analyse se divise en deux étapes. Je passerai d’abord en revue les facteurs énumérés à l’article 147 des Règles. Si l’examen de ces facteurs m’amène à conclure qu’il y a lieu d’accorder une majoration des dépens, je déterminerai alors le pourcentage approprié.
Première étape : les facteurs énumérés à l’article 147
[6] Le paragraphe 147(3) des Règles prévoit une liste non exhaustive de facteurs que la Cour doit prendre en compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder des dépens au-delà des montants prévus au tarif :
147(1) La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les supporter.
147(2) Des dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.
147(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :
a) du résultat de l’instance;
b) des sommes en cause;
c) de l’importance des questions en litige;
d) de toute offre de règlement présentée par écrit;
e) de la charge de travail;
f) de la complexité des questions en litige;
g) de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;
h) de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;
i) de la question de savoir si une étape de l’instance,
(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile;
(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;
(i.1) de la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :
(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,
(ii) le nombre, la complexité ou la nature des questions en litige,
(iii) la somme en litige;
j) de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.
Le résultat de l’instance
[7] L’appelante a perdu et l’intimé a gagné. Il s’agit d’un facteur neutre dans ce type de recours où une partie doit gagner et l’autre doit perdre.
Les sommes en cause
[8] Le ministre du Revenu national (le « ministre »
) a établi une nouvelle cotisation afin d’ajouter 569 481 $ au revenu de l’appelante pour toutes les années d’imposition en cause. Ce montant n’est pas négligeable, mais il n’est pas exceptionnellement élevé. Il s’agit d’un facteur neutre.
L’importance des questions en litige
[9] Quelle est l’importance d’établir si les contribuables sont assujettis à l’impôt lorsqu’ils exploitent une entreprise de négociation de titres admissibles dans leur CÉLI? Cette question suscite la controverse au sein de la communauté financière depuis la création du CÉLI. Il est particulièrement important de prendre une décision vis-à-vis d’au moins deux groupes de la communauté financière :
-
les négociants qui ont utilisé leur CÉLI de la même façon qu’ils ont utilisé leur REÉR, c’est-à-dire pour exercer une activité de négociation de titres admissibles;
-
les fiduciaires de CÉLI qui, potentiellement, sont solidairement responsables de l’impôt à payer.
[10] Le nombre de publications portant sur la question suggère qu’elle revêt une certaine importance pour le grand public et la communauté fiscale.[3]
[11] Ce facteur est favorable à l’octroi de dépens supérieurs aux montants recommandés dans le tarif.
La charge de travail
[12] La préparation et la conduite de cet appel ont nécessité beaucoup de travail aux deux parties. L’audience a duré une semaine entière. La charge de travail qui a été exigée de l’avocat de l’intimé s’est avérée onéreuse compte tenu du comportement de l’appelante, que j’évoquerai plus loin.
[13] Comme je ne souhaite pas calculer deux fois ce qui est calculé plus loin, j’estime que ce facteur est un facteur neutre.
La complexité des questions en litige
[14] La question soulevée en l’espèce était une question de droit et non une question de fait. Bien qu’elle ait nécessité un examen du libellé, du contexte et de l’objet de plusieurs dispositions législatives, elle a été relativement facile à trancher. Il s’agit d’un facteur neutre.
La conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance
[15] Presque à chaque étape, l’appelante a pris position de manière à prolonger inutilement la durée de l’instance. Par exemple, l’appelante a déposé une requête interlocutoire longue et mal conçue que la Cour a rejetée[4]. En appel, la Cour d’appel fédérale est arrivée à la même conclusion[5]. Au terme de ces procédures interlocutoires, le procès avait été considérablement retardé.
[16] La Cour a dû tenir un certain nombre de conférences de gestion de l’instance pour répondre au désir de l’appelante de présenter des documents et de faire comparaître des témoins malgré l’absence de question factuelle à trancher entre les parties. La Cour a dû convoquer la dernière de cette série de conférences de gestion de l’instance quelques jours seulement avant le procès.
[17] Enfin, au cours du procès, l’appelante a présenté une requête inutile visant le dépôt de nouveaux éléments de preuve et l’a retirée par la suite, non sans avoir fait perdre un temps considérable à la Cour.
[18] Ce facteur est favorable à l’octroi de dépens supérieurs aux montants recommandés dans le tarif.
La dénégation d’un fait par une partie ou sa négligence ou son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis
[19] L’appelante a brouillé les pistes en refusant d’admettre, et ce, jusqu’au dernier moment, qu’il n’y avait pas lieu de mettre les faits en cause. Plus précisément, l’appelante a refusé d’admettre, jusqu’à la veille du procès, que l’activité commerciale exercée dans le CÉLI en question constituait l’« exploitation d’une entreprise »
.
[20] Ce facteur est favorable à l’octroi de dépens supérieurs aux montants recommandés dans le tarif.
La question de savoir si une étape de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile ou a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection
[21] Je suis d’avis que ce facteur est neutre et j’en ai déjà tenu compte précédemment.
Deuxième étape : Le pourcentage des dépens
[22] J’ai pris en compte le pourcentage des dépens accordés par la Cour, notamment les éléments suivants :
|
Octroi de dépens majorés |
Affaire |
|---|---|
|
20 % |
General Electric Capital Canada Inc. c. La Reine, 2010 CCI 490 |
|
20 % (et 60 %) |
Grenon c. La Reine, 2021 CCI 89 |
|
30 % |
Klemen c. la Reine, 2014 CCI 369 |
|
35 % |
Cameco Corporation c. La Reine, 2019 CCI 92 |
|
35 % |
Damis Properties Inc. c. La Reine, 2021 CCI 44 |
|
36 % |
CIT Group Securities (Canada) Inc. c. La Reine, 2017 CCI 86 |
|
39 % |
Chad c. Le Roi, 2023 CCI 76 |
|
40 % |
Invesco Canada Ltd. c. La Reine, 2015 CCI 92 |
|
45 % |
Palleta (Succession) c. La Reine, 2021 CCI 41 |
|
50 % |
Univar Holdco Canada ULC c. La Reine, 2020 CCI 15 |
Conclusion
[23] À la lumière de mon examen des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et de mon examen des décisions de la Cour en matière de dépens, je suis d’avis que l’octroi à l’intimé de 35 % du montant total des dépens justifié.
[24] Cela représente des dépens à hauteur de 92 728,42 $. L’intimé a également le droit de recouvrer un montant de 3 251,96 $ au titre des débours, pour un total de 95 980,38 $.
Signé à Ottawa, Canada, ce 21e jour de décembre 2023.
« David E. Spiro »
Le juge Spiro
Traduction certifiée conforme
ce 21e jour d’octobre 2025.
Nathalie Ayotte, jurilinguiste
COMPARUTIONS :
|
Me Timothy W. Clarke |
|
|
Avocats de l’intimé : |
Me Perry Derksen, Me Jamie Hansen et Me Heidi Lee |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
Nom : |
|
|
Cabinet : |
QED Tax Law Corporation Vancouver (ColombieBritannique) |
|
Pour l’intimé : |
Me Shalene Curtis-Micallef Sous-procureure générale du Canada Ottawa, Canada |
[1] La décision dont il est question a été rendue par la Cour dans le dossier 2023 CCI 17, intitulée Canadian Western Trust Company c Le Roi. Elle fait l’objet d’un appel devant la Cour d’appel fédérale (dossier A-69-23).
[2] L’intimé cherchait à obtenir 35 % des dépens encourus tout au long du litige, à l’exception de 50 % des dépens encourus entre le 23 septembre 2022 et le 12 décembre 2022, période pour laquelle l’intimé a demandé des dépens supplémentaires en raison de la conduite de l’appelante.
[3] Voir Jamie Golombek, « CRA actively looking for people who day trade investments in their TFSAs », Financial Post (13 février 2023); Clare O’Hara « Investors who day trade inside TFSAs to face tax bills after ruling », The Globe and Mail (12 avril 2023); Josh Rubin, « Day trader ordered to pay taxes on TFSA investments after holdings grow to more than $600,000 », Toronto Star (12 avril 2023); Brian J. Arnold, « Carrying on Business in a Tax-Free Savings Account is a No-No », The Arnold Report No 263 (27 juillet 2023), Canadian Tax Foundation.
[4]2019 CCI 121.
[5] Ahamed c Canada, 2020 CAF 213.