Devant : l’honorable juge suppléant G. Jorré
Observations :
ORDONNANCE
Après avoir examiné les documents déposés par les parties et conformément aux motifs de l’ordonnance ci-joints;
LA COUR ORDONNE :
L’intimé peut déposer les réponses modifiées aux avis d’appel qui accompagnent ses dossiers de requête dans les appels 2021‑742(IT)G et 2021‑1678(IT)G.
Les dépens relatifs aux requêtes suivront l’issue de l’appel.
Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de décembre 2023.
ce 16e jour de décembre 2024.
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
2021-1678(IT)G
ENTRE :
WINDSOR CLINICAL RESEARCH INC.,
appelante,
et
SA MAJESTÉ LE ROI,
intimé.
[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
I. Introduction
[1] L’intimé a déposé des requêtes en vue d’obtenir une ordonnance de la Cour l’autorisant à modifier sa réponse à l’avis d’appel dans chacun des présents dossiers, conformément à l’article 54 des Règles.
[2] L’appelante s’oppose à la modification.
[3] Au cours des deux années d’imposition visées par les appels, l’appelante a produit ses déclarations de revenus en tenant pour acquis qu’un certain nombre de projets qu’elle avait réalisés étaient des activités de recherche scientifique et de développement expérimental aux fins de l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu.
[4] L’Agence du revenu du Canada était d’avis que certains des projets ou certaines parties des projets n’étaient pas des « activités de recherche scientifique et de développement expérimental » parce qu’ils ne répondaient pas à la définition de ce terme prévue au paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et elle a établi une cotisation en conséquence à l’égard de l’appelante.
[5] Les modifications proposées à l’égard de l’appel relatif à l’année d’imposition 2017 ajoutent quelques allégations factuelles au paragraphe 28 proposé : i) que, en ce qui concerne la deuxième partie du projet 1 et en ce qui concerne le projet 5, le travail effectué était dans le domaine de la psychologie plutôt que de la dermatologie et ii) que le travail n’a pas été effectué à l’appui de la recherche en dermatologie.
[6] Dans les motifs invoqués à la section (partie C) de la réponse modifiée proposée, il y a des modifications correspondantes qui ajoutent des observations relatives aux nouvelles allégations factuelles et à la définition du terme « activités de recherche scientifique et du développement expérimental » prévue au paragraphe 248(1) de la Loi.
[7] Les modifications proposées à l’égard de l’appel relatif à l’année d’imposition 2019 ne sont pas sensiblement différentes à tout égard pertinent aux fins de la requête. L’analyse ci-dessous s’applique également aux deux appels.
II. Analyse
a) Considérations générales en matière de contentieux civil
[8] Les requêtes comportent deux volets.
[9] Le premier concerne la question suivante : quand est-il approprié de permettre une modification dans le cadre d’un contentieux civil? L’appelante n’a pas soulevé cette question dans son opposition aux requêtes. Je l’examinerai donc très brièvement.
[10] La Cour d’appel fédérale a résumé ainsi le principe dans l’arrêt Canada c. Pomeroy Acquireco Ltd.[1] :
[…] La règle générale est que la modification devrait être autorisée à tout stade de l’action si elle aide le tribunal à trancher les véritables questions en litige entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas à l’autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu’elle serve les intérêts de la justice. Le tribunal doit considérer soigneusement les modifications qui l’aideront à trancher les questions en litige […] (Renvois omis.)
[11] Les parties doivent également se conformer aux Règles de la Cour.
[12] L’appelante s’est opposée à la modification, mais n’a demandé aucune réparation subsidiaire, comme la tenue d’un nouvel interrogatoire préalable, s’il est fait droit aux requêtes[2].
[13] En ce qui concerne cette première question, l’appelante ne subit aucune injustice ni aucun préjudice. Les modifications permettent un examen plus approfondi de la controverse.
b) Considérations en matière de litiges fiscaux
[14] Le deuxième volet est le suivant : y a-t-il des considérations particulières en matière de litiges fiscaux qui limitent la façon dont l’intimé peut se défendre contre un appel? Il est question ici de considérations qui peuvent limiter les modifications qui sont par ailleurs autorisées par les règles générales en matière de contentieux civil.
[15] Essentiellement, l’appelante s’oppose aux modifications, parce que celles-ci la priveraient de son droit d’invoquer l’approche particulière adoptée par les vérificateurs et les agents d’appel[3].
[16] Entre autres, dans ses observations, l’intimé a invoqué le paragraphe 152(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Je reviendrai sur ce paragraphe. Il y a d’autres questions qui doivent être examinées en premier.
[17] Je ne suis pas du même avis que l’appelante.
[18] Il est bien établi que, lors de l’appel d’une cotisation, les questions sont instruites suivant la procédure normale. L’audience devant la Cour ne constitue pas une forme de contrôle judiciaire.
[19] Il est également clair que la question ultime à trancher dans un appel est celle de savoir si le montant de l’impôt est trop élevé. Elle ne porte pas sur le processus ou le raisonnement par lequel l’impôt a été calculé[4]. Il est également bien établi que la Cour ne peut pas augmenter le montant de l’impôt établi par cotisation.
[20] Logiquement, il en découle qu’aucune des parties n’est liée par l’approche qu’elle a adoptée avant que l’appel soit interjeté devant la Cour[5].
[21] Il y a quelques décennies, les choses étaient peut-être aussi simples.
[22] À une exception près (j’y reviens ci-dessous), ce principe s’applique aux appelants. Sous réserve des considérations générales en matière de contentieux civil, ils peuvent soulever de nouveaux arguments et de nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées auparavant.
[23] L’exception concerne les « grandes sociétés », au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu[6].
[
24
]
En ce qui concerne l’intimé, un certain nombre de décisions ont établi des limites quant aux arguments et aux questions qu’il peut soulever. Notamment, la Cour suprême du Canada a indiqué ce qui suit dans l’arrêt Banque continentale du Canada : «
[
…
]
La Couronne n’est pas autorisée à invoquer un nouveau fondement pour justifier une nouvelle cotisation après l’expiration du délai prévu à cette fin.
[
…
]
»
[7].
[25] Le Larousse en ligne définit le mot « fondement » ainsi :
Base, élément essentiel sur lequel s’appuie tout le reste; principes sur lesquels se fonde un système.
Raison solide qui appuie la réalité de quelque chose, le justifie.
[26] De même, dans l’arrêt Okanagan College Faculty Association v. Okanagan College (2013 BCCA 561 (CanLII), au par. 43), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a précisé ce qui suit dans le contexte de son analyse du sens de l’expression « fondement de la décision » relativement à la décision rendue par un conseil d’arbitrage en vertu du Labour Relations Code :
[traduction]
« […] En d’autres termes, “le fondement” de la décision doit s’entendre de “l’élément essentiel” de la décision, et non nécessairement de “chacun de ses éléments” (à la p. 298). […] »
[27] À ma connaissance, il n’existe pas de définition particulière du terme « fondement » dans le contexte de l’impôt sur le revenu. Toutefois, même si le contexte de l’espèce est quelque peu différent, compte tenu du fait que dans l’arrêt Banque continentale le refus de la Cour suprême d’autoriser la Couronne à invoquer un nouveau fondement pour justifier une cotisation découlait du délai prévu pour établir une nouvelle cotisation, les commentaires suivants formulés par la juge Rivoalen dans l’arrêt Viterra Inc. c. Canada (2019 CAF 55, au par. 21) sont pertinents :
En ce qui concerne la seconde question, celle de savoir si le juge a commis une erreur de droit dans son interprétation des pouvoirs de nouvelle cotisation du ministre lorsqu’il examine une opposition sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise, le juge n’a rendu aucune ordonnance en ce sens. Il a plutôt entrepris d’analyser le paragraphe 298(3) de la Loi sur la taxe d’accise et a conclu que, si le libellé de cette disposition diffère de celui du paragraphe 165(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), l’intention du législateur est la même dans les deux cas. Ainsi, le ministre ne peut, après l’expiration de la période de cotisation, accroître la taxe nette de l’inscrit, ni tenir compte d’opérations différentes de celles à la base de la cotisation qui a été établie au cours de la période de nouvelle cotisation prévue par la loi.
[28] En l’espèce, selon les actes de procédure, le fondement ou l’élément essentiel de la cotisation est que certaines activités ne constituent pas des activités de recherche scientifique et de développement expérimental au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. Les modifications proposées visent à ajouter des allégations de fait à l’appui de cette thèse. Elles ne visent pas à invoquer un nouveau fondement à l’appui de la cotisation.
[29] Il n’est donc pas nécessaire d’examiner le paragraphe 152(9) de la Loi de l’impôt sur le revenu[8].
III. Conclusion
[30] Par conséquent, les modifications seront autorisées[9].
Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de décembre 2023.
« G. Jorré »
Le juge suppléant Jorré
Traduction certifiée conforme
ce 16e jour de décembre 2024.
Julie Blain McIntosh, jurilinguiste principale
RÉFÉRENCE :
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NOS DES DOSSIERS DE LA COUR :
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2021-1678(IT)G
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INTITULÉ :
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE :
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DATE DE RÉCEPTION DES DOCUMENTS DE REQUÊTE :
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Le 26 juin 2023
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DATE DE L’ORDONNANCE :
OBSERVATIONS :
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Me Christopher R. Mostovac
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Avocat de l’intimé :
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Me Julien Dubé-Senécal
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nom :
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Cabinet :
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Starnino Mostovac
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Pour l’intimé :
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Shalene Curtis-Micallef
Sous-procureure générale du Canada
Ottawa, Canada
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[1] 2021 CAF 187, voir en particulier les paragraphes 2, 4, 13 et 14. Voir également la décision Chad c. La Reine, 2022 CCI 18, aux paragraphes 6 à 13.
[2] Le procès est prévu pour octobre 2024.
[3] Voir les paragraphes 16 à 20 des observations écrites de l’appelante dans le dossier 2021-1678(IT)G, qui sont ainsi rédigés :
[traduction]
16. Les modifications sont proposées par l’intimé à titre d’argument subsidiaire.
17. Le fait d’autoriser les modifications à ce stade-ci serait contraire à l’intérêt de la justice, car les modifications permettraient à l’intimé de contourner le processus normal de vérification fiscale et d’agir en contradiction avec les décisions antérieures rendues par l’ARC elle-même.
18. La nouvelle thèse de l’intimé empêche un contribuable de présenter un argument à ce sujet au cours du processus de vérification et d’opposition.
19. Le fait d’autoriser l’intimé à présenter de nouveaux arguments, juste avant que la date du procès soit fixée, sur la base de renseignements connus de l’ARC depuis la vérification empêcherait le contribuable de se fier à la cohérence des arguments contenus dans les décisions des vérificateurs.
20. Le rôle de l’intimé ne devrait pas être de modifier ou de renforcer son dossier afin d’obtenir gain de cause à tout prix; il devrait plutôt être de refléter la décision prise antérieurement par les autorités fiscales en fonction des renseignements disponibles. Sinon, les contribuables ne peuvent plus se fier au système.
Les observations écrites de l’appelante dans le dossier 2021-742(IT)G sont sensiblement les mêmes.
[4] Voir, par exemple, les commentaires du juge en chef adjoint Christie dans la décision Hagedorn (E.) c. Canada, [1993] A.C.I. no 727 (QL), aux paragraphes 6 et 7 :
Lorsque l’appelant a interjeté appel devant cette Cour de la nouvelle cotisation du 16 octobre 1989 concernant son année d’imposition 1988, ce qui faisait l’objet de l’appel a été décrit par les tribunaux en différents termes, mais, à mon avis, l’essentiel du langage employé est le même. À l’occasion d’un appel devant cette Cour, ce qui est évident est le résultat d’une cotisation, et non le processus ni le raisonnement permettant d’y parvenir. Dans l’affaire Vineland Quarries and Crushed Stone Limited v. M.N.R., 70 D.T.C. 6043, le juge Cattanach a fait cette remarque à la page 6045 :
[traduction] « Si je comprends bien le fondement de l’appel d’une cotisation du Ministre, c’est qu’il s’agit d’un appel du montant cotisé.
Dans l’affaire Harris c. M.R.N., [1965] 2 R.C.É. 653 [64 D.T.C. 5332], mon collègue le juge Thurlow s’est prononcé en ces termes à la page 662 :
[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] “[…] Lors de l’appel que forme le contribuable, la Cour doit d’abord et avant tout juger si la cotisation est trop élevée. Cela peut être fonction des déductions que l’on peut ou non [sic] faire lors du calcul du revenu mais à mes yeux on ne décide de ces questions que dans le but de répondre à la question première […]” »
Dans l’affaire Midwest Oil Production Ltd. v. The Queen, 82 D.T.C. 6092 (C.F. 1re inst.), le juge Mahoney a tenu les propos suivants aux pages 6094 et 6095 : [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] « Il faut souligner que c’est la cotisation du ministre, et non les motifs de celle-ci, qui fait l’objet de l’appel. » Lors de l’appel devant la Cour d’appel fédérale, le juge Ryan a déclaré au nom de la Cour : [TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE] « Je souscris aux motifs du jugement du savant juge de première instance et, en conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens. » L’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 24 novembre 1983 : [1983] 2 R.C.S. x.
Dans The Queen v. Consumers’ Gas Co., 87 D.T.C. 5008 (C.A.F.), le juge Hugessen, au nom de la Cour, a fait cette déclaration à la page 5012 :
[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] « C’est la cotisation du ministre qui fait l’objet d’un appel devant les tribunaux aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu. Bien que le terme “cotisation” puisse être interprété de deux manières différentes, soit comme la procédure au moyen de laquelle l’impôt est évalué, soit comme le produit de cette évaluation, il me semble évident, à la lecture des articles 152 à 177 de la Loi de l’impôt sur le revenu, que le terme y est employé seulement dans son second sens. Cette conclusion découle en particulier du paragraphe 165(1) et du principe bien établi selon lequel un contribuable ne peut ni s’opposer à une cotisation égale à zéro ni interjeter appel contre celle-ci. »
[5] TransCanada Pipelines Ltd. c. Canada, 2001 CAF 314 (CanLII).
[6] Voir, entre autres, les paragraphes 165(1.11), 169(2.1) et 225.1(8).
[7] Voir les motifs du juge Bastarache dans l’arrêt Banque continentale du Canada c. Canada, 1998 CanLII 795 (CSC), [1998] 2 RCS 358, au paragraphe 10. La version anglaise est « The Crown is not permitted to advance a new basis for reassessment after the limitation period has expired. » Voir aussi les motifs de la juge McLachlin, plus tard juge en chef, à la fin du paragraphe 18. Il est clair que l’inclusion d’une nouvelle opération non visée par la cotisation en litige après le délai prévu pour établir la cotisation constituerait également un nouveau fondement.
[8] Le paragraphe 152(9) de la Loi a été adopté en réponse à l’arrêt Banque continentale et modifié par la suite. En l’espèce, il n’y a pas lieu d’examiner sa portée, même si dans sa version actuelle la disposition semble avoir une portée assez large. Le paragraphe 152(9) est ainsi libellé :
Après l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre peut avancer un nouveau fondement ou un nouvel argument — y compris un fondement ou un argument selon lequel tout ou partie du revenu auquel une somme se rapporte provenait d’une autre source — à l’appui de tout ou partie de la somme totale qui est déterminée lors de l’établissement d’une cotisation comme étant à payer ou à verser par un contribuable en vertu de la présente loi, sauf si, sur appel interjeté en vertu de la présente loi :
a) d’une part, il existe des éléments de preuve que le contribuable n’est plus en mesure de produire sans l’autorisation du tribunal;
b) d’autre part, il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances.
[9] Dans ses arguments, l’appelante a également fait valoir que le paragraphe 26bb) proposé contient des déclarations ou des conclusions juridiques et qu’il devrait être radié. L’appelante cite le paragraphe 13 de l’arrêt Canada c. Anchor Pointe Energy Ltd., 2003 CAF 294, à l’appui de cet argument. La seule réparation demandée est la radiation de la requête de l’intimé. Aucune réparation subsidiaire n’est demandée. Toutefois, le paragraphe 26bb) proposé est présenté sous forme d’allégation et non d’hypothèse; le paragraphe 26 commence ainsi : [traduction] « En plus des hypothèses de fait énoncées ci-dessus, le PGC déclare ce qui suit : » (non souligné dans l’original). Une telle allégation n’impose pas le fardeau initial à l’appelante. Il n’y a aucune raison de radier le paragraphe.