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Dossier : 2019-3661(IT)I

ENTRE :

PATRICIA LÉVESQUE ST-CYR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu le 18 mars 2024, à Trois-Rivières (Québec)

Devant : L’honorable juge Patrick Boyle


Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Stéphane Roof

Avocate de l’intimé :

Me Samantha Jackmino

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre des avis de nouvelle détermination en application de l’article 122.6 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « Loi »), relativement aux années de référence 2015, 2016 et 2017 est accueilli, sans dépens, et les avis de nouvelle détermination sont renvoyés au ministre du Revenu national pour réexamen et nouvelle détermination.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’avril 2024.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 


Référence : 2024 CCI 46

Date : 20240418

Dossier : 2019-3661(IT)I

ENTRE :

PATRICIA LÉVESQUE ST-CYR,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Boyle

Précis

[1] L’appelante est la mère de deux enfants pour lesquels elle a reçu l’allocation canadienne pour enfants (l’« ACE ») pendant les années qui ont suivi sa séparation de leur père, Pascal Bellemarre, en 2012, y compris les années 2015 à 2018.

[2] Les parents avaient conclu une entente provisoire aux termes de laquelle la mère aurait la garde des enfants et le père se verrait accorder les droits d’accès prolongés. Cet arrangement a été entériné dans leur jugement de divorce, en 2013. Le père a par la suite allégué être un parent ayant la garde partagée, et l’Agence du revenu du Canada a déterminé en 2019 que les parents étaient des parents ayant la garde partagée pour les années de référence 2015 à 2017. Il en est résulté un paiement en trop qui fait l’objet d’un recouvrement auprès de la mère. Celle-ci interjette aujourd’hui appel de cette détermination.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus, en me fondant sur la preuve présentée à la Cour, que le père n’est pas un parent ayant la garde partagée et que la mère a droit au plein montant de l’ACE.

I. Le droit

[4] L’article 122.6 de la Loi définit l’expression « parent ayant la garde partagée » ainsi :

parent ayant la garde partagée S’entend, à l’égard d’une personne à charge admissible à un moment donné, dans le cas où la présomption énoncée à l’alinéa f) de la définition de particulier admissible ne s’applique pas à celle-ci, du particulier qui est l’un des deux parents de la personne à charge qui, à la fois :

a) ne sont pas, à ce moment, des époux ou conjoints de fait visés l’un par rapport à l’autre;

b) résident avec la personne à charge :

(i) soit au moins 40 % du temps au cours du mois qui comprend le moment donné,

(ii) soit sur une base d’égalité approximative;

c) lorsqu’ils résident avec la personne à charge, assument principalement la responsabilité pour le soin et l’éducation de celle-ci, ainsi qu’il est déterminé d’après des critères prévus par règlement. (shared-custody parent)

shared-custody parent in respect of a qualified dependant at a particular time means, where the presumption referred to in paragraph (f) of the definition eligible individual does not apply in respect of the qualified dependant, an individual who is one of the two parents of the qualified dependant who

(a) are not at that time cohabitating spouses or common-law partners of each other,

(b) reside with the qualified dependant either

(i) at least 40% of the time in the month in which the particular time occurs, or

(ii) on an approximately equal basis, and

(c) primarily fulfil the responsibility for the care and upbringing of the qualified dependant when residing with the qualified dependant, as determined in consideration of prescribed factors. (parent ayant la garde partagée)

 

[5] L’article 6302 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. ch. 945 (le « Règlement »), prévoit les critères applicables en ce qui concerne le soin et l’éducation :

Pour l’application de l’alinéa h) de la définition de particulier admissible à l’article 122.6 de la Loi, les critères suivants servent à déterminer en quoi consistent le soin et l’éducation d’une personne à charge admissible :

a) le fait de surveiller les activités quotidiennes de la personne à charge admissible et de voir à ses besoins quotidiens;

b) le maintien d’un milieu sécuritaire là où elle réside;

c) l’obtention de soins médicaux pour elle à intervalles réguliers et en cas de besoin, ainsi que son transport aux endroits où ces soins sont offerts;

d) l’organisation pour elle d’activités éducatives, récréatives, athlétiques ou semblables, sa participation à de telles activités et son transport à cette fin;

e) le fait de subvenir à ses besoins lorsqu’elle est malade ou a besoin de l’assistance d’une autre personne;

f) le fait de veiller à son hygiène corporelle de façon régulière;

g) de façon générale, le fait d’être présent auprès d’elle et de la guider;

h) l’existence d’une ordonnance rendue à son égard par un tribunal qui est valide dans la juridiction où elle réside.

For the purposes of paragraph (h) of the definition eligible individual in section 122.6 of the Act, the following factors are to be considered in determining what constitutes care and upbringing of a qualified dependant:

(a) the supervision of the daily activities and needs of the qualified dependant;

(b) the maintenance of a secure environment in which the qualified dependant resides;

(c) the arrangement of, and transportation to, medical care at regular intervals and as required for the qualified dependant;

(d) the arrangement of, participation in, and transportation to, educational, recreational, athletic or similar activities in respect of the qualified dependant;

(e) the attendance to the needs of the qualified dependant when the qualified dependant is ill or otherwise in need of the attendance of another person;

(f) the attendance to the hygienic needs of the qualified dependant on a regular basis;

(g) the provision, generally, of guidance and companionship to the qualified dependant; and

(h) the existence of a court order in respect of the qualified dependant that is valid in the jurisdiction in which the qualified dependant resides.

 

[6] Le père n’a pas allégué que la garde était partagée de façon plus ou moins égale; par ailleurs, la preuve n’appuierait pas une telle allégation. La question juridique qui se pose en l’espèce est donc de savoir si les enfants ont résidé au moins 40 % du temps avec leur père et si, durant ce temps, le père était principalement responsable de leur soin et de leur éducation de la manière prévue à l’article 6302 du Règlement.

[7] Il n’existe aucune méthode précise pour répartir le temps que les enfants passent à l’école dans le but d’établir le pourcentage de temps de garde minimal de 40 % ou de déterminer quel parent est principalement responsable du soin et de l’éducation des enfants pendant leurs journées à l’école. Ni la Cour d’appel fédérale ni la Cour canadienne de l’impôt n’a précisé la méthode précise de calcul applicable aux journées à l’école. Le calcul dépend des circonstances et des faits particuliers.

II. Les faits

1. Les enfants résidaient-ils avec leur père au moins 40 % du temps?

[8] Les deux parents ont témoigné. Les enfants ont passé une fin de semaine sur deux avec leur père et habitaient avec lui deux nuitées par semaine, les jours de semaine. Leur mère a clairement indiqué qu’aucun changement n’a été apporté à ces périodes auxquelles le père a accès aux enfants, depuis leur séparation jusqu’en 2018. En 2018, le père a présenté une demande auprès de la Cour supérieure du Québec en vue de faire modifier le jugement de divorce de 2013, et il a modifié cette demande en 2019. Aucune modification n’a été ordonnée à ce jour. Dans sa demande, le père a confirmé cet arrangement et le fait qu’il était en vigueur depuis le début et qu’il s’est poursuivi jusqu’en juillet 2018.

[9] Selon la mère, toutes les deux fins de semaine, les enfants étaient avec leur père de 9 h le samedi jusqu’à ce qu’il les dépose à l’école ou à son domicile le lundi matin avant 9 h. Le père a indiqué que, selon ses souvenirs, les enfants avaient passé un jour par fin de semaine avec lui et non une fin de semaine complète sur deux. Cependant, son témoignage était loin d’être clair et cohérent, et il était incapable de se rappeler plusieurs choses. Étant donné le manque de fiabilité du témoignage du père, lorsqu’il y a divergence entre les deux témoignages, j’accepte le témoignage de la mère (à moins qu’il aille à l’encontre d’autres éléments de preuve crédibles en faveur du père). Quoi qu’il en soit, le texto que le père a envoyé à la mère le 26 août 2018 a expressément confirmé que l’arrangement prévoyait une fin de semaine sur deux, de 9 h le samedi à 9 h le lundi. Dans ce même texto, le père a confirmé que les deux nuitées en semaine commençaient à 17 h 15 en soirée pour prendre fin à 9 h le matin suivant. Cela cadre également avec l’invitation et les entrées dans son calendrier Outlook quotidien de 2018 qui ont été produites en preuve, lesquelles montrent que les nuitées en semaine pendant lesquelles il avait les enfants commençaient à 17 h la veille pour prendre fin à 8 h 30 le jour suivant. D’autres éléments de preuve étayaient également ce fait.

[10] L’appelante a clairement mentionné dans son témoignage que les modalités d’’accès du père aux enfants sont demeurées les mêmes pendant les vacances estivales des enfants. En d’autres termes, les enfants ont continué de retourner chez leur mère à 9 h le lundi matin toutes les deux fins de semaine, et à 9 h le matin suivant les deux nuitées en semaine pendant lesquelles ils étaient avec leur père.

[11] D’après le calendrier des parents, toutes les deux semaines, l’une des nuitées en semaine commençait le lundi entre 17 h et 17 h 30 et prenait fin le mardi matin. Lorsque l’accès du lundi en soirée jusqu’au lendemain a commencé, le père n’allait pas chercher les enfants à l’école pendant l’année scolaire. Les enfants allaient d’abord chez leur mère après l’école.

[12] La fiabilité du père a été remise en question parce qu’il a maintes fois été incapable de se souvenir des faits, notamment si les enfants avaient passé une fin de semaine sur deux avec lui chaque année ou s’ils n’avaient passé qu’un seul jour par fin de semaine avec lui; s’il avait écrit la lettre à sa cousine dans laquelle il était indiqué le nombre apparemment erroné de jours par semaine qu’elle l’aurait eu vu avec les enfants; s’il était ou non l’auteur de la lettre de son employeur qui mentionnait qu’il était dans l’impossibilité de travailler deux jours par semaine, sans toutefois préciser s’il n’était pas disponible en soirée seulement ou pour la journée entière. D’ailleurs, il n’était pas en mesure de se rappeler s’il avait travaillé ces jours-là, et a affirmé qu’il n’arrivait pas à se souvenir du moment de la journée où il ramassait et déposait les enfants les jours de semaine, pendant l’été.

[13] Le père a fait une déclaration inexacte à l’Agence du revenu du Canada par le biais de sa demande visant à être reconnu en tant que parent ayant la garde partagée lorsqu’il lui a indiqué que ses enfants habitaient avec lui trois jours complets sur sept par semaine. Cela soulève des doutes quant à la crédibilité de ce qu’il dit à la Cour.

[14] Je ne vois aucune raison de considérer le temps que les enfants passent à l’école tous les deux lundis pendant l’année scolaire en tant que temps que les enfants ont passé avec leur père. Son droit d’accès a pris fin à 9 h. Sa nuitée du lundi n’a pas commencé avant 17 h ou même plus tard, au retour des enfants qui se rendaient chez leur mère pour un certain temps. Pendant les vacances estivales, les enfants ne passaient pas de temps avec leur père, durant la journée, le lundi. Je ne vois également aucune raison de considérer les nuitées en semaine que les enfants ont passées avec leur père comme des journées de 24 heures.

[15] Je juge que la prépondérance de la preuve ne suffit pas à établir que les enfants ont résidé au moins 40 % du temps avec leur père.

2. Soin et éducation

[16] Le père a pris soin de ses enfants lorsqu’ils étaient avec lui. Au cours des nuitées en semaine, il soupait avec eux et préparait leur repas du midi à l’école pour le lendemain. Il s’assurait qu’ils avaient fait leurs devoirs en soirée. Le père assistait à quelques-unes des activités des enfants, et il se rappelle avoir accompagné la mère à quelques rendez-vous médicaux.

[17] La mère coordonnait l’ensemble des activités des enfants ainsi que leurs rendez-vous avec le médecin de famille, l’optométriste et le dentiste. Elle était le parent principal avec qui l’école communiquait concernant les enfants. Lorsque l’un des enfants devait quitter l’école tôt en raison de problèmes de comportement, l’école communiquait principalement avec la mère, qui allait alors chercher l’enfant ou demandait à sa mère de le faire. Après l’école, les enfants retournaient chez leur mère, où leur père les ramassait entre 17 h et 17 h 30 pour sa nuitée, et ce, même les lundis. Lorsque les enfants étaient à la maison après l’école, la mère leur offrait des collations et s’assurait qu’ils faisaient leurs devoirs avant qu’ils partent chez leur père.

[18] À la lumière de ces faits, même s’il était avéré que tous les deuxièmes lundis, pendant l’école, comptent pour le temps passé avec le père, et que l’école a pu être autorisée à joindre l’un ou l’autre des parents pour lui faire part de préoccupations au sujet des enfants, je conclus que la mère était principalement responsable du soin et de l’éducation des enfants pendant chacun des jours d’école.

[19] Pour ces motifs, l’appel est accueilli avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour d’avril 2024.

« Patrick Boyle »

Le juge Boyle

 


RÉFÉRENCE :

2024 CCI 46

NO DU DOSSIER DE LA COUR :

2019-3661(IT)I

INTITULÉ :

PATRICIA LÉVESQUE ST-CYR c. SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Trois-Rivières (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 mars 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Patrick Boyle

DATE DU JUGEMENT :

Le 18 avril 2024

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me Stéphane Roof

Avocate de l’intimé :

Me Samantha Jackmino

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelante :

Nom :

Me Stéphane Roof

 

Cabinet :

 

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 

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