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Dossier : 2022-2696(IT)G

ENTRE :

MOUSSA SINON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 

Appel entendu le 27 juin 2025, à Moncton (Nouveau-Brunswick).

Devant : l’honorable juge Ryan P. Rabinovitch


Comparutions :

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Andrew Stuart

 

JUGEMENT

L’appel interjeté à l’encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2019 est rejeté.

Les parties disposeront d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’intimé disposera alors d'un délai de 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’appelant disposera d’un délai de 30 jours pour déposer sa réponse par écrit. Ces observations ne doivent pas dépasser cinq pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu'elles sont parvenues à un accord et qu’il n'y a pas de dépôt d'observations, aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé ce 27e jour d’octobre 2025.

« Ryan Rabinovitch »

Le juge Rabinovitch

 


Référence : 2025 CCI 149

Date : 27 octobre 2025

Dossier : 2022-2696(IT)G

ENTRE :

MOUSSA SINON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LE ROI,

intimé.

 


MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Rabinovitch

I. INTRODUCTION :

[1] Entre 2001 et 2004, l’appelant a travaillé pour l’Organisation internationale de la Francophonie (l’« OIF ») au Togo. En 2004, il a immigré au Canada, après quoi il a travaillé pendant plusieurs années pour le gouvernement du Nouveau‑Brunswick dans un poste lié à l’OIF (la province du Nouveau‑Brunswick étant membre de cette organisation). En 2011, l’appelant a de nouveau rejoint l’OIF, mais a continué de travailler au Canada. Il a acquis la citoyenneté canadienne en 2012. Plus tard, en juillet 2018, l’appelant est allé travailler en Haïti pour le compte de l’OIF, où il est resté pendant toute l’année d’imposition 2019. À cette époque, l’appelant occupait le poste de directeur régional adjoint de l’OIF pour les Caraïbes et l’Amérique latine. Pendant le séjour de l’appelant en Haïti, l’OIF a prélevé un impôt sur sa rémunération conformément au régime d’imposition interne de l’OIF. Les sommes ainsi prélevées se sont élevées à 17 270,52 en 2019.

[2] L’épouse de l’appelant et leurs trois enfants sont restés à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, dans une maison appartenant à l’appelant, pendant le mandat de ce dernier en Haïti. L’appelant a donc conclu qu’il demeurait un résident du Canada et il a continué à produire des déclarations de revenus au Canada.

[3] L’appelant a déduit, dans le calcul de son revenu imposable pour l’année d’imposition 2019, une somme égale au salaire que lui a versé l’OIF (148 531 $, selon sa déclaration de revenus). Le 29 mars 2021, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2019 au motif que cette déduction devait être refusée. Par la suite, le 7 juin 2021, le ministre a établi une deuxième nouvelle cotisation à l’égard de l’appelant pour l’année d’imposition 2019, cette fois-ci lui accordant un crédit pour impôt étranger de 25 657,08 $, soit l’équivalent en dollars canadiens (selon le taux de change de la Banque du Canada pour 2019 de 1,4856) de la somme de 17 270,52 que l’OIF avait prélevée de son salaire en 2019.

[4] L’appelant conteste la position adoptée par le ministre dans ces nouvelles cotisations. Il soutient que :

  1. le revenu qu’il a tiré de son emploi auprès de l’OIF a déjà été imposé par cette dernière et ne devrait donc pas être imposé une deuxième fois par le Canada;

  2. l’article IV(1)(b) de l’Accord entre le Gouvernement du Canada et l’agence de coopération culturelle et technique relatif au siège de l’Institut de l’Énergie des pays ayant en commun l’usage du français (le « Traité de l’OIF ») prévoit que le revenu des fonctionnaires de l’OIF ne peut pas être assujetti à l’impôt canadien;

  3. l’article 6 du Décret sur les privilèges et immunités de l’Organisation internationale de la Francophonie et de l’Institut de l’énergie et de l’environnement de la Francophonie (le « Décret de l’OIF ») prévoit que les fonctionnaires de l’OIF bénéficient des privilèges et des immunités prévus à l’article V de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, qui lui-même prévoit que les fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies (l’« ONU » ou les « Nations Unies ») sont exonérés de tout impôt sur les traitements;

  4. l’OIF est une « organisation internationale visée par règlement » puisqu’elle est une « organisation internationale » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, L.C. 1991, ch. 41 (la « Loi sur les missions étrangères »). Par conséquent, elle est une « organisation internationale visée par règlement » aux fins de l’application du sous-alinéa 110(1)f)(iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1985, ch. 1 (5e supplément) (la « LIR »), et le revenu en question est déductible dans le calcul de son revenu imposable;

  5. subsidiairement, l’appelant a commis une erreur dans le calcul de son revenu d’emploi : ce revenu était de 95 089 $ plutôt que de 148 531 $.

[5] J’examine chacun de ces arguments ci-dessous. Les deuxième et troisième arguments sont regroupés sous la rubrique « Arguments relatifs à l’application de l’article 81 de la LIR ».

II. ANALYSE :

1. Double imposition :

[6] L’appelant rappelle que l’OIF a déjà imposé le revenu qu’il a tiré de son emploi auprès d’elle. Or, le paragraphe 126(3) de la LIR lui accorde un crédit d’impôt en reconnaissance de ce fait. Il est rédigé ainsi :

Est déductible de l’impôt payable par ailleurs en vertu de la présente partie pour une année d’imposition par un particulier qui réside au Canada à un moment donné de l’année le produit de la multiplication de l’impôt payable par ailleurs pour l’année en vertu de la présente partie par ce particulier par le rapport entre :

a) d’une part, son revenu tiré d’un emploi auprès d’une organisation internationale, sauf une organisation internationale visée par règlement, au sens de l’article 2 de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales :

(i) pour l’année, s’il réside au Canada tout au long de l’année,

(ii) pour la partie de l’année tout au long de laquelle il a résidé au Canada, s’il est un non-résident à un moment de l’année;

b) d’autre part, l’excédent éventuel :

(i) soit de son revenu pour l’année, calculé compte non tenu de l’alinéa 20(1)ww), s’il réside au Canada tout au long de l’année,


 

(ii) soit du montant déterminé selon l’alinéa 114a) à son égard pour l’année, s’il est un non-résident à un moment de l’année,

sur :

(iii) le total des montants représentant chacun une somme déduite en application de l’article 110.6 ou de l’alinéa 111(1)b), ou déductible en application de l’un des alinéas 110(1)d) à d.3), f) et g), dans le calcul de son revenu imposable pour l’année.

Toutefois, le montant déductible en application du présent paragraphe dans le calcul de l’impôt payable par le particulier en vertu de la présente partie pour l’année ne peut dépasser le produit de la multiplication du total des montants versés par le particulier à l’organisation à titre de contribution — dont le produit sert à couvrir les dépenses de l’organisation — et calculés de la même façon que l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire en fonction du traitement que le particulier reçoit de l’organisation au cours de l’année, par le rapport entre :

c) d’une part, son revenu d’emploi dans l’organisation pour l’année;

d) d’autre part, le montant qui serait son revenu d’emploi dans l’organisation compte non tenu de l’alinéa 81(1)a).

[7] La deuxième nouvelle cotisation établie par l’intimé tient compte de ce crédit. Par conséquent, le revenu que l’appelant a tiré à l’étranger n’aura effectivement été imposé qu’une seule fois (au taux canadien applicable) si son appel est rejeté.

2. Arguments relatifs à l’application de l’article 81 de la LIR :

a. Article IV(1)(b) du Traité de l’OIF :

[8] L’appelant prétend que l’article IV(1)(b) du Traité de l’OIF interdit au Canada d’imposer le revenu des fonctionnaires de l’OIF. Cet article stipule ce qui suit :

Les fonctionnaires de l’Agence [l’Agence de coopération culturelle et technique, l’ancien nom de l’OIF] et ceux de l’Institut [l’Institut de l’Énergie des pays ayant en commun l’usage du français, dont le siège est à Québec] :

[…]

b) sont exonérés de tout impôt sur les traitements et émoluments versés par l’Agence ou par l’Institut […]

[Non souligné dans l’original.]

[9] Je tiens à préciser d’emblée que cette disposition n’est pas directement applicable de la manière proposée par l’appelant. Comme l’a confirmé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran[1], les traités ne sont applicables au Canada que dans la mesure où ils ont été incorporés dans le droit canadien par ou en vertu d’une loi. Quand un traité qui accorde une exemption à un particulier et qui n’est pas une convention fiscale a été ainsi incorporé, le particulier concerné peut invoquer l’alinéa 81(1)a) de la LIR. Il se lit comme suit :

81(1) Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

a) une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada[2] […]

[10] Je reviens ci-dessous à la législation pertinente, mais plus important encore, je constate que l’article IV(4) du Traité de l’OIF prévoit précisément que l’article IV(1)(b) ne s’applique pas aux citoyens canadiens résidant ou ayant leur résidence ordinaire au Canada :

Les dispositions de la section 1, alinéas b) et e), ne s’appliquent pas à un citoyen canadien résidant ou ayant sa résidence ordinaire au Canada. Les dispositions de la section 2 ne s’appliquent pas à un citoyen canadien ni à un résident permanent du Canada.

[11] L’appelant était un citoyen canadien et résidait au Canada en 2019. Ce faisant, l’article IV(1)(b) ne s’appliquait pas à sa situation.

b. Article 6 du Décret de l’OIF :

[12] Tel qu’il est exposé ci-dessus, les traités ne deviennent exécutoires en droit canadien que dans la mesure où ils sont incorporés au droit canadien par ou en vertu d’une loi. En l’espèce, la législation par laquelle l’article IV(1)(b) du Traité de l’OIF a été incorporé au droit canadien est le Décret de l’OIF. L’article 6 de ce décret énonce que :

Les fonctionnaires de l’Agence [définie comme étant l’OIF] et de l’Institut possèdent au Canada les privilèges et immunités énoncés à l’article V de la Convention [définie comme étant la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies] et, sans qu’il en résulte une restriction d’autres privilèges ou immunités accordés aux termes de cette clause, le secrétaire général de l’Agence et le directeur général de l’Institut possèdent, pour eux‑mêmes, pour leurs conjoints et pour leurs enfants mineurs, les mêmes privilèges et immunités, exemptions et facilités accordés, conformément au droit international, aux envoyés diplomatiques.

[13] L’article V(18) de la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies, pour sa part, indique que :

Les fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies :

[…]

b) seront exonérés de tout impôt sur les traitements et émoluments versés par l’Organisation des Nations Unies […]

[14] En revanche, le Canada a formulé la réserve suivante au moment de la signature de la Convention sur les privilèges et les immunités des Nations Unies :

Le Canada donne son adhésion à la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies (approuvée le 13 février 1946 par l’Assemblée générale des Nations Unies) sous réserve que les citoyens canadiens domiciliés ou résidant habituellement au Canada ne bénéficieront pas de l’exonération des impôts sur les traitements et émoluments applicables au Canada conformément à la loi[3].

[15] Par ailleurs, le Décret de l’OIF a été pris en 1988 en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales, S.R., ch. 22, art. 1 (la « Loi sur les privilèges et immunités »), qui était en vigueur à l’époque. Ce paragraphe était ainsi libellé :

4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le gouverneur en conseil peut, par décret disposer :

[…]

d) que tels des fonctionnaires d’une organisation qu’il peut désigner possèdent, dans la mesure spécifiée, les privilèges et immunités énoncés à l’article V de la Convention en ce qui concerne les fonctionnaires de l’Organisation des Nations Unies […]

[16] Or, le paragraphe 4(1) de la Loi sur les privilèges et immunités indique clairement que son application est « sous réserve » du paragraphe 4(2). Ce paragraphe énonce que :

Les décrets pris au titre du paragraphe (1) ne peuvent avoir pour effet d’exonérer les citoyens canadiens résidant ou ayant leur résidence ordinaire au Canada des impôts ou droits légalement institués au Canada.

[17] Ces principes sont résumés par l’Agence du revenu du Canada (l’ « ARC ») dans son bulletin d’interprétation no IT-397R[4]. L’appelant renvoie au paragraphe 3 de ce bulletin dans son avis d’appel. Il soutient que ce paragraphe indique que la Loi sur les privilèges et immunités « accorde [une exemption] à un fonctionnaire […] d’une organisation internationale dont fait partie le Canada et qui a pour objet essentiel le maintien de la paix internationale ou le bien-être économique ou social de la communauté des nations […] ». Cependant, l’appelant omet la dernière phrase de ce paragraphe qui énonce clairement que l’exemption s’applique uniquement si le fonctionnaire est une personne « qui réside au Canada, mais qui n’est pas citoyen[ne] canadien[ne] » et que « les citoyens canadiens qui résident au Canada et qui sont employés par de tels organismes sont assujettis au Canada à un impôt sur le revenu qu’ils ont tiré de ces organismes ».

[18] Il est vrai que la Loi sur les privilèges et immunités a été remplacée par la Loi sur les missions étrangères en 1991. Toutefois, l’article 16 de la Loi sur les missions étrangères indique que tout décret pris en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités est réputé avoir été pris en vertu de la Loi sur les missions étrangères :

Les règlements, décrets et arrêtés d’application de la Loi sur les privilèges et immunités diplomatiques et consulaires ou de la Loi sur les privilèges et immunités des organisations internationales qui sont en vigueur à l’entrée en vigueur de la présente loi sont réputés avoir été pris en vertu de la présente loi et demeurent en vigueur jusqu’à leur abrogation ou remplacement en conformité avec la présente loi.

[19] À l’instar de l’alinéa 4(1)d) de la Loi sur les privilèges et immunités, l’alinéa 5(1)g) de la Loi sur les missions étrangères permet la prise de décrets conférant des privilèges et immunités aux fonctionnaires d’une organisation internationale. D’ailleurs, tout comme le paragraphe 4(2) de la Loi sur les privilèges et immunités, le paragraphe 5(3) de la Loi sur les missions étrangères précise que les décrets pris en vertu du paragraphe 5(1) ne peuvent avoir pour effet d’exonérer les citoyens canadiens résidant au Canada des impôts ou droits légalement institués au Canada. Les paragraphes 5(1) et (3) sont ainsi rédigés :

5 (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, disposer :

a) qu’une organisation internationale possède la capacité juridique d’une personne morale;

b) qu’une organisation internationale bénéficie, dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités énoncés aux articles II et III de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies reproduite à l’annexe III;

b.1) que, sous réserve du paragraphe (1.2), des missions accréditées bénéficient, dans la mesure spécifiée, de privilèges et immunités comparables à ceux dont bénéficient les missions diplomatiques d’États étrangers au Canada en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

c) que les représentants d’un État étranger membre d’une organisation internationale ou y participant bénéficient, dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités énoncés à l’article IV de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies;

d) que les représentants d’un État étranger membre d’une organisation internationale ayant son siège au Canada, ainsi que les membres de leur famille faisant partie de leur ménage, bénéficient, dans la mesure spécifiée, de privilèges et immunités comparables à ceux dont bénéficient respectivement les agents diplomatiques et les membres de leur famille faisant partie de leur ménage en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

e) que les membres du personnel administratif et technique — ainsi que les membres de leur famille faisant partie de leur ménage —, les membres du personnel de service et les domestiques de la mission d’un État étranger membre d’une organisation internationale ayant son siège au Canada bénéficient, dans la mesure spécifiée, sauf s’ils sont citoyens canadiens ou résidents permanents au Canada, de privilèges et immunités comparables à ceux dont bénéficient respectivement les membres du personnel administratif et technique — ainsi que les membres de leur famille faisant partie de leur ménage —, les membres du personnel de service et les domestiques des missions diplomatiques en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

f) que les hauts fonctionnaires d’une organisation internationale désignés par lui — ainsi que, dans le cas d’une organisation internationale ayant son siège au Canada, les membres de leur famille faisant partie de leur ménage — bénéficient, dans la mesure spécifiée, de privilèges et immunités comparables à ceux dont bénéficient respectivement les agents diplomatiques et, le cas échéant, les membres de leur famille faisant partie de leur ménage, en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

g) que les autres fonctionnaires d’une organisation internationale désignés par lui bénéficient, dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités prévus à la section 18 de l’article V de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies;

h) que les experts en mission pour une organisation internationale désignés par lui, bénéficient dans la mesure spécifiée, des privilèges et immunités prévus à l’article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies;

h.1) que les personnes faisant partie des catégories désignées par lui et bénéficiant, en vertu d’un traité, d’une convention ou d’un accord figurant à l’annexe IV, de privilèges et d’immunités — ainsi que les membres de leur famille faisant partie de leur ménage — bénéficient aussi, dans la mesure spécifiée, de privilèges et immunités comparables à ceux dont bénéficient respectivement les agents diplomatiques et les membres de leur famille faisant partie de leur ménage en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques;

i) que les juges, les fonctionnaires et le personnel de la Cour pénale internationale, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ainsi que les avocats, experts, témoins et autres personnes dont la présence est requise au siège de la cour, bénéficient des privilèges et immunités prévus à l’article 48 du Statut de Rome, au sens de ce paragraphe, et dans l’éventuel accord sur les privilèges et immunités mentionné à cet article.

[…]

(3) Les décrets pris au titre du paragraphe (1) ne peuvent avoir pour effet d’exonérer les citoyens canadiens résidant ou ayant leur résidence ordinaire au Canada des impôts ou droits légalement institués au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Une question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si le libellé de l’article 16 de la Loi sur les missions étrangères suffit pour que la restriction prévue au paragraphe 5(3) de cette loi s’applique au Décret de l’OIF. En effet, l’article 16 prévoit que les décrets tels que le Décret de l’OIF sont réputés avoir été pris en vertu de la Loi sur les missions étrangères, et non pas en vertu du paragraphe 5(1) de cette loi, qui est évoqué au paragraphe 5(3). Je suis convaincu que l’on peut répondre à cette question par l’affirmative.

[21] Comme toute disposition législative, l’article 16 de la Loi sur les missions étrangères doit recevoir une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique[5].

[22] En commençant par le texte, je note que le Décret de l’OIF n’a que six articles, regroupés sous cinq sous-titres : 1) Définitions (article 2), 2) Privilèges et immunités accordés à l’agence et à l’institut (articles 3 et 4), 3) Privilèges et immunités accordés aux représentants (article 5), 4) Privilèges et immunités accordés aux fonctionnaires (article 6) et 5) Privilèges et immunités accordés aux experts (article 7). Tous ces articles portent sur des sujets mentionnés au paragraphe 5(1) de la Loi sur les missions étrangères. Par ailleurs, seulement deux autres dispositions de la Loi sur les missions étrangères permettent la prise de décrets : le paragraphe 4(2), qui vise la prise de décrets afin d’assurer l’équivalence de traitement entre la mission diplomatique canadienne ou un poste consulaire canadien dans un pays donné et la mission ou le poste correspondants de ce pays au Canada et le paragraphe 6(2), qui vise la prise de décrets relatifs aux privilèges et aux immunités accordés par le Canada aux subdivisions politiques de pays étrangers (à savoir, les États et provinces). Autrement dit, le Décret de l’OIF n’aurait pu être pris qu’en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur les missions étrangères.

[23] Le contexte législatif soutient également ma position. Ce contexte comprend l’article IV(4) du Traité de l’OIF, le paragraphe 4(2) de la Loi sur les privilèges et immunités et le paragraphe 5(3) de la Loi sur les missions étrangères. Ces dispositions démontrent que le régime fiscal canadien, tant avant qu’après le remplacement de la Loi sur les privilèges et immunités par la Loi sur les missions étrangères, vise à ne pas permettre aux employés des organisations internationales qui sont des citoyens canadiens résidant au Canada de bénéficier d’une exonération fiscale. Par ailleurs, à mon avis, il serait surprenant que le législateur ait eu l’intention, en adoptant la Loi sur les missions étrangères, d’empêcher les citoyens canadiens résidant au Canada de bénéficier des exonérations prévues dans les décrets pris après son entrée en vigueur, et de permettre soudainement aux citoyens canadiens résidant au Canada qui avaient été explicitement exclus de la portée des exonérations prévues dans les décrets pris avant son entrée en vigueur d’en bénéficier.

[24] Enfin, une analyse téléologique met en évidence que le législateur voulait que le Décret de l’OIF soit assujetti au paragraphe 5(3). Le libellé de l’article 16 de la Loi sur les missions étrangères est précédé de la note marginale suivante « Disposition transitoire – Maintien en vigueur des règlements, décrets et arrêtés ». Cette note indique que l’intention du législateur, en adoptant cette nouvelle législation, était de maintenir le statu quo (du moins, en ce qui concerne les décrets pris en vertu de la Loi sur les privilèges et immunités) et non pas de changer de position.

c. Question de nature procédurale :

[25] J’ai remarqué lors de l’audience que la réponse produite par l’intimé en l’espèce ne contient pratiquement aucune observation sur les arguments mentionnés dans les deux dernières sections des présents motifs. En effet, malgré le fait que l’appelant ait inclus trois pages d’arguments bien réfléchis au soutien de sa position générale dans le présent appel, l’intimé s’est contenté de mentionner l’article 81 de la LIR une fois dans sa liste de dispositions législatives invoquées et n’a inclus que deux phrases concernant l’alinéa 110(1)f) de la LIR dans la section portant sur les « moyens invoqués ». Cette section se lit comme suit :

C) DISPOSITIONS LÉGISLATIVES, MOYENS INVOQUÉS ET CONCLUSIONS RECHERCHÉES

11. Le PGC [procureur général du Canada] s’appuie sur les paragraphes 126(3) et 248(1) et l’alinéa 81(1)(a) et 110(1)(f) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), telle que modifiée (ci-après, la « Loi »), l’article 8900 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (ci‑après, le « Règlement ») et les articles 57 et 63 de la Charte des Nations Unies.

12. Le PGC soutient, que le ministre était justifié de refuser la déduction de 148 531 $ réclamée par l’appelant pour l’emploi auprès d’une organisation internationale pour l’année d’imposition 2019 parce que l’OIF n’est pas une organisation visée par règlement :

a. selon le sous-alinéa 110(1)(f)(iii) de la Loi et le paragraphe 8900(1) du Règlement ; et

b. selon le sous-alinéa 110(1)f)(iv) de la Loi et le paragraphe 8900(2) du Règlement.

POUR CES MOTIFS, le PGC demande le rejet de l’appel, le tout avec dépens.

[26] J’ai demandé à l’avocat de l’intimé si la référence à l’article 81 dans l’extrait reproduit ci-dessus était, à elle seule, suffisante pour lui permettre de présenter des arguments pendant le procès en réponse aux points soulevés dans les sections II(2)a) et b) des présents motifs. Cette question découle d’un commentaire de l’appelant selon lequel il entendait pour la première fois les arguments de l’intimé sur les points soulevés dans son avis d’appel et qu’il n’aurait peut-être pas jugé nécessaire de faire appel de sa cotisation si la position de l’intimé avait été mieux expliquée plus tôt.

[27] Je suis d’accord avec l’appelant à cet égard. Bien que la réponse ne soit pas censée être un mémoire, l’intimé aurait dû, à mon avis, inclure davantage d’éléments en réponse aux arguments de l’appelant, d’autant plus que ce dernier n’était pas représenté par un avocat. L’intimé est tenu d’indiquer dans sa réponse, conformément à l’alinéa 49(1)g) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), D.O.R.S./90-688a (les « Règles »), « les dispositions législatives invoquées » et, conformément à l’alinéa 49(1)h) des Règles, « les moyens sur lesquels l’intim[é] entend se fonder ». Il ne suffit donc pas d’invoquer une disposition législative. De plus, il est bien établi que, si une partie souhaite invoquer une disposition particulière dans le cadre de l’appel, elle doit inclure des allégations ou des hypothèses de fait qui justifient l’application de cette disposition[6]. L’intimé ne l’a pas fait en l’espèce. Par exemple, dans sa réponse, l’intimé ne mentionne jamais, à titre d’hypothèse de fait ou autrement, que l’appelant est un citoyen canadien, un fait qui, d’ailleurs, a finalement été établi grâce au témoignage de l’appelant.

[28] L’avocat de l’intimé a soutenu qu’il était en droit de soulever de nouveaux arguments en vertu du paragraphe 152(9) de la LIR. Selon cette disposition, « [a]près l’expiration de la période normale de nouvelle cotisation, le ministre peut avancer un nouveau fondement ou un nouvel argument » à l’appui d’une cotisation, sauf s’il existe des éléments de preuve démontrant que le contribuable n’est plus en mesure de produire sans l’autorisation du tribunal ou s’il ne convient pas que le tribunal ordonne la production des éléments de preuve dans les circonstances. Néanmoins, notre Cour a déjà statué que cette disposition ne remet pas en cause l’obligation de l’intimé d’exposer ces arguments dans sa réponse d’une manière conforme aux règles applicables[7].

[29] Cela étant dit, je suis d’avis que les défaillances mentionnées ci‑dessus ne suffisent pas pour empêcher l’intimé de répondre aux points soulevés par l’appelant à l’égard du Traité de l’OIF et du Décret de l’OIF. Nous sommes non pas en présence d’une situation où l’intimé soulève tout simplement de nouveaux arguments à l’appui d’une cotisation du ministre, mais plutôt d’une situation où l’intimé tente de répondre à des positions exprimées dans l’avis d’appel de l’appelant. Les arguments doivent être exposés dans les actes de procédure, principalement pour éviter que l’autre partie ne soit prise au dépourvu et pour lui permettre de préparer sa défense en pleine connaissance de cause[8]. Cette justification n’entre toutefois pas en ligne de compte lorsque, comme dans le cas présent, la partie a elle-même introduit la question et présenté un argument auquel la partie adverse ne fait que répondre. En l’occurrence, c’est l’appelant qui a soulevé des arguments concernant l’article 81 de la LIR. Il ne peut donc pas avoir été surpris ou pris au dépourvu lorsque l’intimé y a fait référence à l’audience.

[30] Cette opinion est étayée par l’affaire Aeronautic Development Corp. c. R[9], dans laquelle l’appelant en question a affirmé qu’il n’était pas sous le contrôle de fait d’un non‑résident, car il relevait de l’exception prévue au paragraphe 256(5.1) de la LIR visant les contrats d’approvisionnement conclus entre des personnes sans lien de dépendance. Le juge Hogan de notre Cour a rejeté cet argument au motif qu’il existait un lien de dépendance entre l’appelant et le non‑résident en question. En appel devant la Cour d’appel fédérale, l’appelant a allégué qu’il n’était pas loisible au juge Hogan de tirer une telle conclusion, puisque l’intimé n’avait pas indiqué dans sa réponse qu’il allait faire valoir que le contribuable et le non-résident avaient un lien de dépendance. La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument. Elle s’est exprimée ainsi :

La question devient donc celle de savoir si l’exception énoncée au paragraphe s’applique. Contrairement à ce qu’a affirmé ADC, je suis d’avis qu’il était loisible à la Cour canadienne de l’impôt d’examiner la question de savoir si ADC avait un lien de dépendance avec Seawind Corp. et M. Silva à l’époque pertinente. En effet, le fait qu’ADC a invoqué l’exception énoncée au paragraphe 256(5.1) de la LIR a mis en jeu la question du lien de dépendance[10].

3. Organisation internationale visée par règlement :

[31] Le sous-alinéa 110(1)f)(iii) de la LIR prévoit que :

[T]oute prestation d’assistance sociale payée après examen des ressources, des besoins ou du revenu et incluse en application de la division 56(1)a)(i)(A) ou de l’alinéa 56(1)u) dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année ou toute somme dans la mesure où elle a été incluse dans le calcul du revenu du contribuable pour l’année, représentant, selon le cas :

[…]

(iii) un revenu tiré d’un emploi auprès d’une organisation internationale visée par règlement […]

[Non souligné dans l’original.]

[32] Tel que mentionné ci-dessus, l’appelant prétend que l’OIF est une « organisation internationale » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les missions étrangères. Par ailleurs, selon l’appelant, cette loi constitue un « règlement ». Conséquemment, toujours selon ce dernier, l’OIF serait une organisation internationale visée par règlement et, dans la mesure où les sommes qu’il a reçues de l’OIF seraient incluses dans le calcul de son revenu (ce qui est le cas, à la lumière des conclusions mentionnées dans les paragraphes précédents des présents motifs concernant le Traité de l’OIF, le Décret de l’OIF et l’article 81 de la LIR), ces sommes seraient déductibles dans le calcul de son revenu imposable.

[33] Je ne souscris pas à cet argument. L’OIF est effectivement une organisation internationale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les missions étrangères. En revanche, cette disposition indique clairement que les définitions qu’elle contient ne s’appliquent qu’à la Loi sur les missions étrangères :

Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

organisation internationaleOrganisation intergouvernementale formée de plusieurs États, constituée ou non par traité; y est assimilée une conférence intergouvernementale à laquelle plusieurs États participent.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Il est bien établi que, lorsque le terme « règlement » est utilisé dans la LIR, l’intention est de faire référence à un règlement pris par le gouverneur en conseil, et non pas à une loi. Cette position découle de la définition des termes « réglementaire » et « prescrit » à l’article 248 de la LIR.

Le terme « réglementaire » est ainsi défini :

réglementaireet expressions comportant le mot « règlement » ont le même sens que « prescrit ».

Le terme « prescrit » est ainsi défini :

prescrit

a) Dans le cas d’un formulaire, de renseignements à fournir sur un formulaire ou de modalités de production ou de présentation d’un formulaire, autorisés par le ministre;

a.1) dans le cas de modalités de présentation ou de production d’un choix, autorisées par le ministre;

b) dans les autres cas, visé par règlement du gouverneur en conseil, y compris déterminé conformément à des règles prévues par règlement.

[Non souligné dans l’original.]

[35] Le règlement pertinent en l’espèce est le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C. ch. 945 (le « RIR »), et plus particulièrement son article 8900, qui est ainsi rédigé :

8900 (1) Pour l’application du sous-alinéa 110(1)f)(iii) et de l’alinéa 126(3)a) de la Loi, les organisations internationales ci-après sont visées :

a) les Nations Unies;

b) toute organisation internationale qui est une institution spécialisée reliée aux Nations Unies conformément à l’article 63 de la Charte des Nations Unies.

[36] L’OIF ne fait manifestement pas partie de l’ONU. En ce qui concerne l’alinéa 8900(1)b), les articles 63 et 57 de la Charte des Nations Unies décrivent la procédure à suivre pour la création d’une institution spécialisée reliée à l’ONU.

L’article 63 est rédigé ainsi :

Article 63

1. Le Conseil économique et social peut conclure, avec toute institution visée à l’Article 57, des accords fixant les conditions dans lesquelles cette institution sera reliée à l’Organisation. Ces accords sont soumis à l’approbation de l’Assemblée générale.

2. Il peut coordonner l’activité des institutions spécialisées en se concertant avec elles, en leur adressant des recommandations, ainsi qu’en adressant des recommandations à l’Assemblée générale et aux Membres des Nations Unies.

Et l’article 57 est ainsi rédigé :

Article 57

1. Les diverses institutions spécialisées créées par accords intergouvernementaux et pourvues, aux termes de leurs statuts, d’attributions internationales étendues dans les domaines économique, social, de la culture intellectuelle et de l’éducation, de la santé publique et autres domaines connexes sont reliées à l’Organisation conformément aux dispositions de l’Article 63.

2. Les institutions ainsi reliées à l’Organisation sont désignées ci-après par l’expression « institutions spécialisées ».

[37] Dans un premier temps, l’avocat de l’intimé a tenté de faire admettre en preuve deux captures d’écran de pages du site Web de l’ONU concernant ces articles, notamment une liste de toutes les institutions spécialisées de l’ONU qui figurait à l’onglet 1 de son recueil de documents (la « Liste des institutions spécialisées »). Il a fait valoir que ces documents étaient admissibles en vertu de l’article 25 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, qui permet l’admission en preuve de copies ou d’extraits de certains documents publics dans certaines circonstances. J’ai répondu que je n’étais pas certain que ce soit le cas, car cette disposition requiert que les extraits ou les copies en question soient « certifié[s] conforme[s] par le fonctionnaire à la garde de qui l’original a été confié ». Je lui ai permis de poser des questions à l’appelant au sujet des documents dans l’attente de ma décision sur cette question. Plus tard, l’avocat de l’intimé a indiqué qu’il était d’accord avec moi quant à l’application de la disposition et a ajouté qu’il ne souhaitait plus s’appuyer sur ces documents. Il n’a pas tenté de défendre l’admissibilité de ces derniers en invoquant un autre fondement, ce qui m’a surpris. J’aurais pensé que, même s’ils constituaient du ouï-dire, ces documents pouvaient être admis en vertu de l’exception à la règle contre le ouï‑dire pour les déclarations contenues dans des documents publics, ou encore parce qu’ils étaient nécessaires et fiables. En effet, je note que la juge Lamarre a fait mention de documents similaires dans la décision Lapierre c. La Reine[11]. Je présume que l’avocat de l’intimé a choisi de retirer les documents parce qu’il estimait que le fardeau de la preuve incombait à l’appelant et que celui-ci ne serait pas en mesure de s’en acquitter.

[38] L’avocat de l’intimé avait-il raison à cet égard? Je note qu’au paragraphe 9(c) de sa réponse à l’avis d’appel, l’intimé émet l’hypothèse de fait suivante : « L’OIF n’est pas une institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies ». Par ailleurs, il est généralement admis que les hypothèses de fait formulées par le ministre bénéficient de la présomption de véracité. Or, je ne considère pas que l’hypothèse formulée au paragraphe 9c) constitue une hypothèse de fait. En réalité, il s’agit d’une hypothèse mixte de fait et de droit.

[39] L’intimé met de l’avant les idées suivantes au paragraphe 9(c) de sa réponse à l’avis d’appel :

  1. une institution spécialisée reliée à l’ONU est une institution qui remplit les conditions suivantes :

    1. elle est créée par un accord intergouvernemental;

    2. elle assume de larges responsabilités internationales dans les domaines économique, social, culturel, éducatif et sanitaire et dans les domaines connexes;

    3. elle a été reliée à l’ONU conformément à l’article 63 de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire :

  1. elle a conclu un accord avec l’ONU définissant les conditions dans lesquelles elle sera reliée à l’ONU en tant qu’institution spécialisée;

  2. l’accord a été approuvé par l’Assemblée générale;

  1. l’OIF n’a pas conclu d’accord avec l’ONU définissant les conditions dans lesquelles elle serait reliée à l’ONU en tant qu’institution spécialisée ou cet accord n’a pas été approuvé par l’Assemblée générale;

  2. l’OIF n’est pas une institution spécialisée reliée à l’ONU, car, sur la base des faits exposés au paragraphe b, elle ne remplit pas les critères juridiques requis pour être considérée comme telle au sens du paragraphe a.

[40] L’hypothèse formulée au paragraphe a ci-dessus est une hypothèse de droit; celle formulée au paragraphe b en est une de fait, tandis que celle formulée au paragraphe c en est une mixte de fait et de droit[12]. Dans l’arrêt Anchor Pointe Energy Ltd. c. R.[13], le juge Rothstein a indiqué que les hypothèses du ministre ne devaient pas porter sur des questions mixtes de fait et de droit et il a accueilli la requête en radiation d’une hypothèse qui ne respectait pas ce principe.

[41] Il est vrai que, dernièrement, la Cour d’appel fédérale s’est révélée moins favorable à accueillir les requêtes en radiation fondées sur l’arrêt Anchor Pointe. Dans l’arrêt Canada c. Preston[14], par exemple, la juge Monaghan a déclaré qu’« un énoncé mixte de fait et de droit peut être considéré [« may stand » en anglais] comme une hypothèse s’il n’y a pas de préjudice, s’il n’existe aucune controverse sur les principes juridiques, ou si les faits sont simples — aussi, ajouterais-je, s’il permet de mieux servir le processus judiciaire[15] ». Cela dit, il ressort clairement des motifs de la juge Monaghan qu’elle ne considérait pas qu’une hypothèse maintenue sur cette base aurait pour effet d’imposer le fardeau de la preuve à l’appelant selon les modalités habituelles[16]. Les hypothèses ne devraient tout simplement pas être radiées à la suite d’une requête présentée à la Cour en vertu du paragraphe 53(1) des Règles.

[42] Où cela nous mène-t-il? L’avocat de l’intimé soutient que cette conclusion ne change rien au fait que l’appelant a le fardeau de prouver que l’OIF remplit les conditions requises pour être considérée comme une institution spécialisée[17]. Il renvoie à l’arrêt Eisbrenner c. Canada[18] de la Cour d’appel fédérale à l’appui de son point de vue. Dans cette décision unanime, le juge Webb a indiqué que le principe général en matière civile veut que celui qui allègue prouve[19]. Les contribuables dans l’affaire Eisbrenner avaient demandé des crédits d'impôt pour dons de bienfaisance à l'égard de produits pharmaceutiques qu'ils affirmaient avoir donnés à un organisme de bienfaisance enregistré. La question en litige était de savoir s'ils avaient acquis la propriété légale des produits afin d'être en mesure de faire les dons en question. Le juge Webb a constaté que même si le ministre ne s’était appuyé sur aucune hypothèse de fait à ce sujet pour établir sa cotisation à l’égard de l’un des deux contribuables, et indépendamment de la possibilité que l’hypothèse de fait formulée concernant l’autre contribuable puisse être invalidée ou réfutée par la présentation d’une preuve prima facie, les deux contribuables avaient allégué dans leur avis d’appel respectif avoir acquis la propriété des produits pharmaceutiques. Il leur incombait donc de le prouver selon la prépondérance des probabilités.

[43] En appliquant le principe ci-dessus, l’intimé affirme que si l’appelant souhaite que la Cour conclue que l’OIF est une institution spécialisée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que tel est le cas. L’intimé affirme qu’il en est ainsi, bien que le ministre n’ait formulé aucune hypothèse de fait valable à cet égard, comme je le fais remarquer plus haut.

[44] Cela dit, il convient de noter que l’appelant n’a pas allégué en l’espèce que l’OIF était une institution spécialisée. Tel que je le mentionne ci-dessus, l’appelant, dans son avis d’appel et pendant l’audience, a plutôt fait valoir que la Loi sur les missions étrangères est un « règlement » aux fins de l’application du sous‑alinéa 110(1)f)(iii) et que, à ce titre, l’OIF est une organisation internationale visée par règlement. C’est l’intimé qui a prétendu, dans sa réponse à l’avis d’appel, que l’OIF n’est pas une institution spécialisée. Par conséquent, et suivant le principe selon lequel celui que allègue doit prouver, c’est à l’intimé qu’incombe le fardeau de la preuve à cet égard.

[45] Il est important de préciser ce que cela implique. Tout d’abord, cette constatation ne signifie pas que l’OIF est présumée être une institution spécialisée et qu’il revient à l’intimé de démontrer le contraire[20]. Seule une hypothèse de fait valable du ministre peut bénéficier de la présomption de véracité. Je comprends qu’en déclarant que celui qui allègue prouve, la Cour d’appel fédérale cherchait à exprimer que, si une partie souhaite obtenir gain de cause sur la base d’un fait particulier, elle doit s’assurer que la preuve devant la Cour est suffisante pour étayer la conclusion que ces faits ont été établis selon la prépondérance des probabilités. C’est précisément le fardeau qui incombe à l’intimé.

[46] Ce fardeau n’est pas considérable en l’espèce. Si l’intimé s’assure que la preuve dont notre Cour dispose est suffisante pour étayer la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, l’OIF n’est pas une institution spécialisée, il obtiendra gain de cause en ce qui concerne le sous-alinéa 110(1)f)(iii) sur la base de ce fait. Par ailleurs, s’il ne parvient pas à s’assurer que la preuve devant notre Cour est suffisante pour étayer une telle conclusion, il obtiendra tout de même gain de cause en ce qui concerne le sous-alinéa 110(1)f)(iii), mais autrement que sur la base du fait que l’OIF n’est pas une institution spécialisée. En effet, il obtiendra gain de cause au motif que l’appelant n’a présenté aucun argument valable pour démontrer que le sous‑alinéa en question s’applique en l’espèce (la Cour ayant rejeté son argument fondé sur la Loi sur les missions étrangères). À vrai dire, l’intimé n’a donc à s’acquitter d’aucun fardeau d’un point de vue pratique.

[47] Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’intimé a présenté à la Cour une preuve suffisante pour étayer la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, l’OIF n’est pas une institution spécialisée.

[48] À la page 61 de la transcription, par exemple, l’on peut lire que l’avocat de l’intimé a demandé à l’appelant de confirmer que l’OIF ne figure pas sur la liste des institutions spécialisées présentée à l’onglet 1 de son recueil de documents :

Q Et vous êtes d’accord avec moi que l’OIF ne se retrouve pas sur cette liste?

R C’est impossible que l’OIF se retrouve sur cette liste.

Q Pourquoi vous dites « impossible »?

R Parce que l’OIF a une... est une organisation internationale indépendante, autonome, qui n’a que des liens avec l’Organisation des Nations Unies. Elle ne peut pas être... elle ne fait pas partie du système des Nations Unies. C’est pas pensable.

[Non souligné dans l’original.]

[49] Plus loin, aux pages 65 à 66 de la transcription, l’on retrouve l’échange suivant :

R Nous avons sauté ça. Maitre a omis... a sauté ça et nous sommes en train de lire les notes de bas de page. Mais quand on dit « Le système des Nations Unies », la question c’est de savoir : qui fait partie du système des Nations Unies. L’Organisation internationale de la Francophonie n’en fait pas partie. Ça, y’ pas... y’a pas de débat. De même que l’OTAN, l’Organisation du traité de l’Atlantique-Nord est une organisation internationale, mais elle ne fait pas partie du système des Nations Unies. L’Organisation... l’Union européenne n’en fait pas partie, l’Union africaine n’en fait pas partie, la Commission de l’océan indien, bon, on ne sait pas s’ils sont représentés au Canada, mais ils ne font pas partie. Vous comprenez? Donc, ça, c’est le système.

Vous avez présenté à la Cour le tableau récapitulatif des organisations et institutions membres du système des Nations Unies. Et tout ce que vous dites là, j’approuve, c’est la réalité, y’a pas la moindre discussion par rapport à ça parce que, à aucun moment, on a prétendu... j’ai prétendu que l’OIF était membre du système des Nations Unies. C’est... tel n’est pas le cas.

Q Me STUART: Elle n’est pas une institution spécialisée.

R Des Nations Unies, non.

[Non souligné dans l’original.]

[50] Et aux pages 67 à 68 :

LE JUGE: Maintenant, vous avez la chance de vous poser vous-même... de me dire tout ce que vous voulez faire pour compléter votre témoignage à la lumière des questions qui vous ont été posées. Je vous ai dit tantôt que vous n’avez pas le droit de poser des questions à l’intimé, mais là, vous avez la chance de dire ce que vous voulez dans la mesure où est-ce que ça répond aux questions qui vous ont été posées.

M. SINON: D’accord. Donc, je réitère que le document de l’onglet 1 que l’Agence de... Me Stuart de l’Agence du revenu du Canada a présentée présente le système des Nations Unies à la date du... où ce document a été édité. Je ne sais pas ça date de quand. OK, mars 2025, apparemment. Donc, l’OIF n’en fait pas partie. Et telle n’a jamais été la prétention. L’OIF est une organisation intergouvernementale qui a son existence propre.

Donc, tout ce qui concerne, ça n’a pas... ça confirme... ça n’a pas le... y’a pas de... y’a pas de lien avec l’OIF. C’est le système des Nations Unies et autonome, et comme Maitre l’a montré également dans son document de l’onglet 2 intitulé « Organisations intergouvernementales invitées, de façon permanente, à participer en qualité d’observateurs aux sessions et aux travaux de l’Assemblée générale de l’ONU ». L’OIF fait partie de cette liste. L’OIF fait partie... c’est son lien... c’est son seul lien formel avec l’Organisation des Nations Unies.

[Non souligné dans l’original.]

[51] L’appelant a déclaré avoir travaillé pour l’OIF ou auprès de cette dernière pendant environ 20 ans. Sans surprise, il a bien saisi les enjeux liés à cette organisation et à d’autres organismes internationaux comme les Nations Unies, ainsi qu’à leur bureaucratie. De plus, bien qu’il se soit représenté lui-même, il a fait preuve d’une maîtrise impressionnante des divers concepts juridiques entourant son appel. À mon avis, il était bien placé pour savoir si l’OIF faisait partie ou non du système des Nations Unies en tant qu’institution spécialisée. Il ressort de son témoignage que ce n’était manifestement pas le cas[21].

4. Erreur de calcul :

[52] L’appelant prétend qu’il a mal calculé le montant de son salaire en préparant sa déclaration de revenus. La somme indiquée dans sa déclaration de revenus est de 148 531 $. L’appelant soutient que la somme réelle était de 95 089 $ et que celle indiquée dans sa déclaration de revenus résulte d’une double conversion d’euros en dollars canadiens de la somme que l’OIF lui avait versée.

[53] Je ne suis pas d’accord avec l’appelant. Je note à titre préliminaire que l’appelant n’a pas pu m’expliquer comment il en est arrivé à la somme de 95 089 $. Il a expliqué que le taux de change utilisé aux fins de ses calculs était le taux de change moyen annuel de la Banque du Canada pour 2019, soit 1,4856. Or, si la somme de 95 089 $ est convertie deux fois en dollars canadiens en utilisant ce taux, le résultat est un revenu d’emploi total de 43 085,03 . Selon l’attestation de l’OIF que l’appelant a soumise en preuve[22], le total versé à l’appelant par l’OIF en 2019 était de 91 579,20 , soit une somme plus de deux fois supérieure à ce total :

Traitement de base :

63 435,00

Ajustement de poste :

14 064,00

Allocation pour enfant à charge :

3 504,00

Indemnité d’expatriation :

1 776,00

Indemnité de risque et de privation de la vie de famille :

7 872,00

Indemnité de transport :

838,32

Total :

91 579,20

[54] Par ailleurs, lors de son témoignage, l’appelant a expliqué que le « traitement de base » mentionné ci-dessus est une somme nette de l’impôt interne prélevé par l’OIF. Cet impôt était de 17 270,52 [23]. Ainsi, le revenu total de l’appelant était de 108 849,84 [24].

[55] À l’exception, potentiellement, de l’indemnité d’expatriation et de l’indemnité de transport, je ne vois pas sur quelle base les sommes que l’OIF a versées à l’appelant seraient déductibles. Si l’on soustrait ces indemnités du total de 108 849,84 , l’on obtient une somme nette de 106 235,52 , ou 157 823,49 $ après conversion en dollars canadiens. Cette somme est plus élevée que celle à partir de laquelle le ministre a établi sa cotisation (148 531 $).

III. CONCLUSION :

[56] L’appel est rejeté.

[57] Les parties disposeront d’un délai de 30 jours suivant la date du présent jugement pour parvenir à un accord sur les dépens, faute de quoi l’intimé disposera alors d'un délai de 30 jours pour déposer ses observations écrites sur les dépens, après quoi l’appelant disposera d’un délai de 30 jours pour déposer sa réponse par écrit. Ces observations ne doivent pas dépasser cinq pages. Si les parties n’informent pas la Cour qu'elles sont parvenues à un accord et qu’il n'y a pas de dépôt d'observations, aucuns dépens ne seront adjugés.

Signé ce 27e jour d’octobre 2025.

« Ryan Rabinovitch »

Le juge Rabinovitch

 


RÉFÉRENCE :

2025 CCI 149

No DU DOSSIER DE LA COUR :

2022-2696(IT)G

INTITULÉ :

MOUSSA SINON c.

SA MAJESTÉ LE ROI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Moncton (Nouveau‑Brunswick)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 27 juin 2025

MOTIFS DU JUGEMENT :

L’honorable juge Ryan P. Rabinovitch

DATE DU JUGEMENT :

Le 27 octobre 2025

COMPARUTIONS :

 

Pour l’appelant :

L’appelant lui-même

Avocat de l’intimé :

Me Andrew Stuart

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pour l’appelant : S.O.

Nom :

S.O.

Cabinet :

S.O.

Pour l’intimé :

Shalene Curtis-Micallef

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa, Canada

 



[1] 2014 CSC 62, par. 149.

[2] Les montants reçus ou à recevoir par un particulier qui sont exonérés en vertu d’une convention ou d’un accord fiscal ne sont pas exclus du revenu d’un contribuable. Ils sont plutôt déduits de son revenu imposable en vertu de l’alinéa 110(1)f)(i).

[3] 12 R.T.N.U. 416.

[4] « Montants exclus du calcul du revenu - Exemptions statutaires et certaines pensions militaires ou de la GRC, allocations et indemnités » (23 février 1990).

[5] Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, par. 10.

[6] R. v. Littler, [1978] CTC 235, par. 14, Consumers’ Gas Co. c. R., 1983 CarswellNat 465, par. 30 et Fortino v. R., [1997] 2 C.T.C. 2184, par. 79.

[7] Aeronautic Development Corp. c. R., 2017 CCI 39, par. 27 à 32.

[8] Ruffo c. R., [1998] 2 C.T.C. 2203, par. 11.

[9] 2018 FCA 67.

[10] Ibid., par. 53.

[11] 2019 CCI 18, par. 15. Il aurait également été possible, il me semble, de fournir la preuve que le Recueil des Traités des Nations Unies avait été consulté et qu’aucun accord entre les Nations Unies et l’OIF n’y avait été trouvé.

[12] Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.S.C. 748, par. 35.

[13] 2003 CAF 294 (« Anchor Pointe »).

[14] 2023 CAF 178.

[15] Ibid., par. 36.

[16] Ibid., par. 19 et 20. La juge Monaghan s’exprime ainsi :

[…] en l’espèce, la Cour de l’impôt n’a pas radié les hypothèses dans son ordonnance; elle a simplement ordonné qu’elles soient transférées dans une autre partie des réponses. La seule conclusion que l’on peut tirer est que la Cour de l’impôt a conclu que le fait de les garder comme hypothèses imposait aux intimés un fardeau qu’ils ne supporteraient pas autrement. Mais ce n’est pas le cas.

Une hypothèse qui est un énoncé mixte de fait et de droit n’impose pas de fardeau supplémentaire au contribuable […]

[17] Par souci de simplicité, je désigne la satisfaction de ces conditions dans le reste des présents motifs par l’expression « être une institution spécialisée ».

[18] 2020 CAF 93 (« Eisbrenner »).

[19] Ibid., par. 46 à 48.

[20] Il en découlerait la possibilité – très étrange à mon avis – qu’un contribuable puisse obtenir gain de cause dans le cadre d’un litige fiscal sans qu’il y ait la moindre preuve à l’appui de sa position.

[21] Il va de soi qu’aucune des deux parties n’a produit en preuve devant notre Cour un quelconque accord entre l’OIF et l’ONU fixant les conditions dans lesquelles l’OIF deviendrait une institution spécialisée, ni une quelconque résolution de l’Assemblée générale de l’ONU approuvant un tel accord. Par ailleurs, je note que les documents portant les numéros 9334031, 9614035, 9715555 ainsi que 2002-0143015, 2010-0371291I7 de l’ARC semblent contenir une liste des différentes institutions spécialisées de l’ONU et que l’OIF n’y figure pas.

[22] Pièce A-1.

[23] Ibid.

[24] 91 579,20 plus 17 270,52 .

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