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Dossier : 2007-4121(IT)G

ENTRE :

 

DAISHOWA-MARUBENI INTERNATIONAL LTD.,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

___________________________________________________________________

 

Demande entendue le 17 juillet 2013 à Vancouver (Colombie‑Britannique).

 

Par : L’honorable juge Campbell J. Miller

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

MJohn H. Saunders

Avocat de l’intimée :

Me Matthew Turnell

 

____________________________________________________________________

ORDONNANCE

 

          Vu la demande présentée par l’appelante en vertu de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) en vue d’obtenir une adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif,

 

          LA COUR ORDONNE qu’une somme forfaitaire de 74 190 $ soit adjugée à l’appelante à titre de dépens.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de septembre 2013.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24jour de février 2014.

 

 

François Brunet, réviseur


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 275

Date : 20130905

Dossier : 2007-4121(IT)G

ENTRE :

 

DAISHOWA-MARUBENI INTERNATIONAL LTD.,

requérante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

Le juge C. Miller

 

[1]                      La Cour est saisie d’une demande présentée par l’appelante, Daishowa‑Marubeni International Ltd. (« Daishowa ») en adjudication de dépens accrus de 148 380 $, en vertu de l’article 147 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »). À l’audience, on m’a aussi demandé de statuer sur la question de savoir si la demande que la requérante avait présentée en vertu du paragraphe 147(7) des Règles avait été présentée hors délai. Dans l’affirmative, existe‑t‑il des circonstances atténuantes justifiant la prorogation du délai de présentation d’une telle demande d’adjudication de dépens? Après avoir reçu des observations écrites ultérieures, j’ai demandé aux parties d’examiner les conséquences de l’article 51 de la Loi sur la Cour suprême. J’ai par la suite été avisé que l’intimée retirait sa thèse portant que l’appelante avait présenté la demande hors délai. Selon l’article 51 de la Loi sur la Cour suprême et l’interprétation dont cette disposition a fait l’objet à l’occasion de l’affaire Eli Lilly & Co. v. Novopharm[1], le délai de 30 jours prévu au paragraphe 147(7) des Règles commence à courir à partir de la date du jugement de la Cour suprême du Canada. En l’espèce, Daishowa a présenté sa demande dans les 30 jours suivant le jugement en question.

 

[2]                      Je me penche donc directement sur la question de fond soulevée par la présente demande, à savoir la demande d’adjudication de dépens de 148 380 $, des dépens qui constituent un tiers du total des frais et des taxes supportés par Daishowa devant la Cour.

 

[3]                      Les paragraphes 147(1) et (3) des Règles disposent :

 

(1)        La Cour peut fixer les frais et dépens, les répartir

et désigner les personnes qui doivent les supporter.

 

[…]

 

(3)        En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

 

a)         du résultat de l’instance ;

b)         des sommes en cause;

c)         de l’importance des questions en litige;

d)         de toute offre de règlement présentée par écrit;

e)         de la charge de travail;

f)          de la complexité des questions en litige;

g)         de la conduite d’une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l’instance;

h)         de la dénégation d’un fait par une partie ou de sa négligence ou de son refus de l’admettre, lorsque ce fait aurait dû être admis;

i)          de la question de savoir si une étape de l’instance,

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

j)          de toute autre question pouvant influer sur la détermination des dépens.

 

Le paragraphe 147(3) des Règles énumère les facteurs dont la Cour tient compte en matière d’adjudication des dépens. L’appelante soutient qu’il existe une nouvelle démarche en ce qui concerne l’adjudication des dépens à la Cour. Me Saunders, avocat de l’appelante, a expliqué cette nouvelle démarche de la manière suivante dans ses conclusions écrites :

 

[traduction]

 

14.       Une évolution importante a été constatée dans la jurisprudence récente en ce qui concerne l’interprétation de l’article 147 des Règles. Bien que l’on ait cru auparavant que l’inconduite était une exigence pour l’adjudication de dépens supplémentaires, les récentes décisions General Electric Capital Canada, Velcro et Blackburn Radio enseignent clairement que l’inconduite n’est exigée que pour l’adjudication de dépens sur une base procureur‑client, que l’adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif n’exige pas l’existence de circonstances spéciales (loin de là), que le point de départ est l’article 147 des Règles (non le tarif) et que le tarif a peu d’importance dans les considérations ayant trait aux dépens. Par exemple, le juge en chef adjoint Rossiter a fait les observations suivantes dans la décision Velcro :

 

2.         […] L’intimée soutient pour sa part que l’officier taxateur doit taxer les dépens de l’appelante conformément au tarif B de l’annexe II des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles »). Elle estime que la question a déjà été tranchée dans la décision Prévost Car Incc. Canada, 2008 CCI 231, décision confirmée par la Cour d’appel fédérale (2009 CAF 57) (« Prévost Car Inc. »), et que l’appelante n’a pas présenté d’éléments de preuve établissant le travail et les efforts consacrés à l’appel. L’intimée soutient qu’il n’existe pas de circonstances exceptionnelles qui justifieraient que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, adjuge des dépens dépassant ce qui est prévu au tarif, et elle invoque à cet égard une décision rendue par l’ancien juge en chef Bowman : Banque continentale du Canada c. La Reine, [1994] A.C.I. no 863 (QL) (« Banque continentale ») .

[…]

4.         Il semble régner une certaine confusion en ce qui a trait au pouvoir dont jouit la Cour canadienne de l’impôt aux termes des Règles en matière d’adjudication des dépens. L’intimée semble avancer que, par la décision Banque continentale, l’ancien juge en chef Bowman a voulu dire que la Cour ne peut adjuger de dépens dépassant ce qui est prévu au tarif, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme une inconduite ou un retard excessif.

[…]

6.         […] À mon sens, il n’est pas nécessaire d’établir des circonstances exceptionnelles pour s’écarter du tarif, loin de là. Le pouvoir de la Cour canadienne de l’impôt est tout à fait clair.

[…]

8.         Le tarif annexé aux Règles est uniquement un point de repère que la Cour peut utiliser si elle le désire. […]

 

9.         En dépit des observations de l’ancien juge en chef Bowman au paragraphe 9 de la décision Banque continentale, je suis d’avis que :

 

1.         Le tarif n’est nullement censé compenser entièrement les frais juridiques assumés par une partie lors d’un appel;

 

2.         Le tarif n’est pas censé non plus être dérisoire au point d’être négligeable et de jouer un rôle minime dans la façon dont les parties dirigent les procédures. La Cour peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire pour fixer des montants appropriés;

 

3.         La Cour doit adjuger les dépens à son entière discrétion, après avoir examiné les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles;

 

4.         La Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire de manière cohérente;

 

5.         Les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles constituent les éléments clés dont la Cour doit tenir compte pour adjuger les dépens, en fixer le montant et décider si elle doit s’écarter ou non du tarif;

 

6.         Habituellement, la Cour doit appliquer les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles de manière cohérente et selon les observations des parties au sujet des dépens et invoquer le tarif uniquement s’il lui semble souhaitable de le faire;

 

7.         La façon dont le tarif est mentionné à l’article 147 des Règles montre le peu d’importance qu’il a dans les considérations ayant trait aux dépens.

 

10.       L’examen attentif de la structure et du texte de l’article 147 des Règles permet de comprendre pourquoi le tarif est un élément que la Cour canadienne de l’impôt ne prend en compte que si elle choisit de le faire. Il semblerait que le comité des règles savait exactement ce qu’il faisait lorsqu’il a structuré les Règles de la façon dont il l’a fait.

[…]

16.       Selon les Règles, la Cour canadienne de l’impôt n’est même pas tenue de mentionner l’annexe II, tarif B, lorsqu’elle adjuge les dépens. Elle peut fixer la totalité ou partie des dépens en tenant compte ou non du tarif B de l’annexe II et elle peut adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés. Les Règles ne donnent même pas à penser que la Cour doit suivre le tarif ou y faire référence. […]

 

17.       J’estime que, dans tous les cas, le juge doit examiner la question des dépens à la lumière des facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et appliquer ces facteurs en se fondant sur des principes avant même de décider s’il doit se tourner vers le tarif B de l’annexe II […]

 

15.              Au mois d’avril de cette année, la juge Woods a ainsi confirmé ce qui précède par la décision Blackburn Radio :

 

14.       Dans les contentieux de nature fiscale, le travail effectué entre de plus en plus en ligne de compte lors de l’adjudication des dépens. Il a aussi une incidence en ce qui concerne le contentieux en matière de propriété intellectuelle : Consorzio Del Prosciutto Di Parma .c Maple Leaf Meats Inc., 2002 CAF 417 (Maple Leaf Meats);

 

15.       Le ministère public soutient que la complexité de l’affaire ne doit pas entrer en ligne de compte, et il prend appui sur la démarche traditionnellement admise qu’a énoncée le juge Bowman (tel était alors son titre) par la décision Banque Continentale du Canada c. La Reine, [1994] ACI no 863. Le problème est que la jurisprudence a évolué depuis que la décision Banque Continentale a été rendue, et l’arrêt Maple Leaf Meats de la Cour d’appel fédérale en est un exemple.

 

16.              Et dans l’arrêt Maple Leaf Meats (cité avec approbation dans la décision Velcro), le juge Rothstein et le juge Nadon, s’exprimant au nom de la majorité, ont fait les observations suivantes :

 

« 9. […] La colonne III du tarif B représente une disposition applicable par défaut. Ce n’est que lorsque la Cour ne rend pas une ordonnance précise que les dépens seront taxés conformément à la colonne III du tarif B ».

 

[4]                      Une année avant que le juge en chef adjoint ne fasse ses observations à l’occasion de l’affaire Velcro, j’ai adjugé les dépens à l’occasion de l’affaire Peter Sommerer c Canada[2] et j’ai précisé qu’à mon avis, la Cour s’était écartée de la démarche consistant à limiter les dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif à des situations d’inconduite. Comme je l’ai signalé à ce moment-là, la démarche appropriée pour la fixation de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif est la prise au compte des facteurs pertinents énoncés au paragraphe 147(3) des Règles en vue d’une solution raisonnée, équilibrée et juste.

 

[5]                      L’intimée admet l’existence de cette jurisprudence récente, mais soutient que les règles de droit en matière de dépens sont exposées de manière plus précise dans un arrêt récent rendu par la Cour d’appel fédérale, à savoir The Queen v Canadian Imperial Bank of Commerce[3], qui confirme, selon l’intimée, le principe fondamental selon lequel il doit exister des circonstances exceptionnelles qui justifient l’adjudication de dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif, et que des frais réels largement supérieurs à ceux prévus par le tarif ne constituent pas une circonstance exceptionnelle. L’intimée a également soulevé la mise en garde lancée par la Cour d’appel fédérale, à savoir qu’une fluctuation de l’adjudication des dépens compromettrait le degré d’uniformité et de prévisibilité auquel les justiciables sont en droit d’attendre.

 

[6]                      En toute déférence, les justiciables ne doivent pas être en droit de s’attendre à ce que le montant des dépens soit uniformément faible à la Cour, ce qui n’est pas approprié lorsqu’on adopte un point de vue équilibré et fondé sur des principes en ce qui concerne les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles. Il est manifeste que la Cour a de sérieuses réserves en ce qui concerne le caractère inadéquat du tarif qu’elle applique, comme en témoignent les récentes modifications apportées aux règles ainsi que la jurisprudence récente. La cohérence découlera d’une démarche cohérente en ce qui concerne les facteurs énoncés, sur lesquels je me penche à présent.

 

L’issue de l’instance

 

[7]                      La société Daishowa a eu gain de cause en partie devant la Cour, mais elle a eu entièrement gain de cause à la Cour suprême du Canada. L’intimée soutient que l’arrêt de la Cour suprême du Canada n’est pas un facteur pertinent dont il fallait tenir compte dans le cadre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’adjudication de dépens supplémentaires, étant donné qu’il empiéterait en quelque sorte sur le pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême du Canada. J’ai adjugé les dépens dans l’instance compte tenu du fait que Daishowa avait obtenu gain de cause en partie. Je dispose à présent d’une directive de la Cour suprême du Canada, directive selon laquelle la société Daishowa a droit aux dépens devant la Cour, parce qu’elle a eu entièrement gain de cause. Il s’agit d’un facteur important qui m’amène à voir l’adjudication des dépens que j’avais faite antérieurement, mais j’estime qu’il s’agit plutôt d’un facteur de contrôle que d’une raison importante en soi justifiant une adjudication de dépens supplémentaires. En effet, si le justiciable obtient entièrement gain de cause, au lieu d’obtenir seulement gain de cause en partie, cela laisse la porte grande ouverte à un examen minutieux des facteurs pour rechercher si l’adjudication de dépens élevés est appropriée.

 

Les sommes en cause

 

[8]                      La somme en cause d’environ 14 000 000 $ du produit semble considérable, mais elle doit être mise en contexte. La somme constituait environ six pour cent du produit de l’opération importante en cause; elle a donné lieu, en raison de l’utilisation de pertes, à un impôt peu élevé dans les années en question; Daishowa est une entreprise de plusieurs millions de dollars. Dès lors, qu’est‑ce qu’une somme importante à cet égard – une petite entreprise condamnée à payer des dépens de 100 000 $ qui pourrait être acculée à la faillite ou une grande organisation multinationale qui porte devant le tribunal une cause mettant en jeu certains principes, peu importe le montant? Je conclus qu’en l’espèce, les sommes en cause ne constituent pas un facteur dont l’importance justifie l’adjudication de dépens supplémentaires.

 

L’importance de la question en litige

 

[9]                      L’intimée soutient qu’il ne s’agissait pas d’une question d’intérêt public, mais simplement de la manière dont le contribuable [traduction] « envisageait sa propre cause[4] ». L’intimée avance que la cause a gagné en importance au fur et à mesure qu’elle a gravi les échelons du processus d’appel, et que devant la Cour suprême du Canada, elle se limitait à deux questions litigieuses :

 

a)         Les obligations relatives au reboisement doivent‑elles être incluses dans le produit de disposition parce que la venderesse est libérée d’une obligation ou est‑ce qu’elles font partie intégrante des tenures forestières et y sont rattachées?

 

b)        Le fait que les parties se sont entendues sur une valeur précise attribuée à l’obligation future de reboisement change‑t‑il quoi que ce soit?

 

[10]                 Il faut comparer les questions en litige ci‑dessus à celles dont la Cour était saisie et qui étaient ainsi libellées :

 

a)         Au cours des années d’imposition 1999 et 2000, le ministre a‑t‑il à juste titre inclus dans le produit de disposition de Daishowa les montants des obligations relatives à la sylviculture prises en charge par les acquéreurs?

 

b)        Ces produits de disposition additionnels visés par la cotisation ont‑ils été à juste titre imputés aux avoirs forestiers?

 

c)         L’appelante a‑t‑elle droit à des déductions à l’égard des obligations prises en charge en matière de sylviculture?

 

[11]                 La Cour suprême du Canada a conclu que les obligations relatives au reboisement ne constituaient pas une dette existante distincte, mais qu’elles étaient « inhérentes » au bien, c’est‑à‑dire, à la tenure forestière. L’intimée a soutenu qu’il s’agissait d’une conclusion propre à la cause Daishowa et non d’une cause type.

 

[12]                 Daishowa avance que le fait que la Cour suprême du Canada ait autorisé le pourvoi, après avoir reçu des observations de la part de toutes les associations importantes en matière de ressources naturelles au Canada, confirme l’intérêt public que revêt la question. En outre, la cour a autorisé le pourvoi à l’égard de quatre sociétés forestières de la Colombie‑Britannique, de l’Association canadienne des producteurs pétroliers (« ACPP ») et du gouvernement de l’Alberta. L’ACPP a fait les observations suivantes dans sa réponse au mémoire que l’intimée avait déposé pour contester sa demande d’intervention :

 

[traduction]

 

Par suite de jugements rendus par les juridictions inférieures dans cette cause, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») a commencé à établir de nouvelles cotisations à l’égard de contribuables dans l’industrie pétrolière et gazière relativement aux obligations de remise en état liées à des biens relatifs au pétrole et au gaz dans des opérations d’achat et de vente. Les sommes en cause concernant de telles obligations de remise en état susceptibles de faire l’objet d’une nouvelle cotisation totalisent facilement plusieurs milliards de dollars.

 

[13]                 L’intimée soutient que l’intervention de l’ACPP est le résultat d’un changement de position quant à l’établissement des cotisations par suite des jugements rendus par les juridictions inférieures; en d’autres termes, selon l’intimée, l’affaire a connu une plus grande importance après les jugements des juridictions inférieures. Inversement, cela me montre à quel point les décisions des juridictions inférieures étaient importantes.

 

[14]                 L’intimée souligne également, en ce qui concerne les intervenants, que les interventions ont eu lieu parce que les intervenants n’ont pas suivi la manière dont Daishowa avait qualifié les effets des lois de l’Alberta et de la Colombie‑Britannique. De toute façon, cela me montre encore qu’il existe un intérêt à l’échelle de l’industrie quant à l’obtention d’une solution favorable.

 

[15]                 Je retiens la thèse de l’intimée sur le fait que cette affaire semble avoir pris de l’importance depuis la décision rendue par la Cour, mais la cause reste la même et la question fondamentale est restée la même. Manifestement, non seulement l’industrie forestière, mais le secteur des ressources naturelles en général étaient nettement partie prenante en ce qui concerne l’issue de cette affaire. La Cour suprême du Canada a consacré un nouveau concept d’« inhérence » et a également fait des observations importantes quant au traitement fiscal asymétrique des contribuables dans l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi »). Ces conclusions auront des ramifications bien au‑delà de la cause précise de Daishowa.

 

[16]                 L’intimée semble confondre l’importance de la cause et l’importance des questions précises débattues à différents niveaux de la hiérarchie judiciaire. La Cour suprême du Canada n’a pas accordé de l’importance à une cause qui n’en avait pas : elle a confirmé l’importance des questions en litige, la question principale étant celle de savoir si les obligations relatives au reboisement doivent être incluses dans le produit de disposition. Il s’agit d’un sujet d’importance aussi bien pour le vendeur que pour l’acheteur. Le fait que des arguments différents aient été soulevés devant la Cour suprême du Canada par des parties différentes –­ les intervenants – ne change pas l’importance de la question pour les contribuables et pour la jurisprudence fiscale en général.

 

[17]                 Je conclus que la question en litige était d’une importance telle qu’il était justifié d’accorder des dépens supplémentaires. Pourquoi n’en ai‑je pas tenu compte au moment où j’ai rendu mon jugement en première instance? La simple réponse est qu’on ne me l’a pas demandé, étant donné qu’il y avait eu gain de cause partiel. On ne peut pas présumer que, parce que je n’ai pas unilatéralement adjugé des dépens supérieurs à ceux prévus par le tarif, j’ai examiné tous les facteurs énoncés au paragraphe 147(3) des Règles et conclu que des dépens supplémentaires n’étaient pas justifiés.

 

L’offre de règlement

 

[18]                 Il n’y a pas eu d’offre de règlement. Il ressort clairement des récentes modifications apportées aux règles que la Cour considère les offres de règlement comme un facteur très important, sinon le facteur le plus important, dans l’adjudication des dépens.

 

La charge de travail

 

[19]                 L’avocat de l’appelante a déclaré qu’une jurisprudence [traduction] « abondante », y compris des jugements des États‑Unis, était nécessaire pour [traduction] « délimiter les principes fondamentaux régissant les éléments devant être inclus dans le produit de disposition, la déductibilité des dépenses et la distinction entre les paiements faits au titre du revenu et les paiements faits au titre du capital; tout cela pour tenter d’en arriver à une jurisprudence pertinente par analogie[5] ».

 

[20]                 En toute déférence, si j’ai bonne mémoire, l’appelante s’était concentrée sur quelques décisions. Toute recherche faite relativement au concept dit « inhérent » aurait été subséquente à l’audience de la Cour.

 

[21]                 Il n’y avait que deux témoins, et le témoignage a duré moins de deux heures, étant donné que l’essentiel du témoignage avait été présenté au moyen d’un exposé conjoint des faits. J’accepte la qualification de l’appelante selon laquelle beaucoup de temps a été consacré à la négociation de l’exposé conjoint des faits, et que la négociation avait été difficile et contentieuse, mais qu’en fin de compte, elle avait permis d’écourter les audiences.

 

[22]                 L’appelante a signalé que des observations ont été demandées à des avocats spécialistes en matière de droit forestier et qu’il a été nécessaire de tenir de multiples conférences avec les avocats du gouvernement de l’Alberta pour déterminer la justification de la politique administrative de l’Alberta en ce qui concerne les obligations relatives au reboisement. J’estime que la ligne de démarcation entre un travail nécessaire pour défendre une cause, un travail supplémentaire dû à des circonstances particulières de la cause (qui pourraient justifier des dépens supplémentaires) et un travail découlant de l’enthousiasme, pour lequel on ne ménage aucun effort, est mince et difficile à tracer. Comme je l’ai souligné à l’occasion de l’affaire Sommerer, il est toujours difficile d’apprécier les efforts d’une société par rapport à ceux d’une autre ou en fonction de tout critère normatif, s’il en existe. Dans quelle mesure une partie qui a perdu sa cause devrait‑elle compenser la diligence de la partie qui a eu gain de cause? Il arrive sûrement un moment où une partie ne peut pas s’attendre à ce que l’autre partie assume tous les frais juridiques supportés pour effectuer des recherches et une préparation en profondeur. En l’espèce, pour ce qui est de l’ampleur de la charge de travail, j’admets que des travaux supplémentaires étaient nécessaires, et que ceux‑ci justifient des dépens supplémentaires.

 

[23]                 Je suis disposé à accorder un certain poids à ce facteur, quoique non considérable, étant donné que, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Sommerer par exemple, il n’était pas nécessaire de traduire des documents, d’avoir des experts étrangers, de tenir compte de lois étrangères ni d’effectuer un vaste examen de documents.

 

La complexité des questions en litige

 

[24]                 La question fondamentale déférée à la Cour n’était pas formulée d’une manière complexe, mais la résolution de celle-ci exigeait des prouesses acrobatiques dignes du Cirque du Soleil. Je ne disposais d’aucun argument concernant une obligation « inhérente » qui aurait pu simplifier l’analyse.

 

[25]                 La complexité découlait aussi de la nature de la deuxième question en litige, question que j’ai décrite comme étant quelque peu tortueuse. Cela était lié au problème de l’asymétrie; là encore, il ne s’agissait pas d’un concept particulièrement difficile à comprendre, mais c’était certainement un concept préoccupant et présentant des éléments difficiles à résoudre.

 

[26]                 Tout bien pesé, je suis disposé à accorder un certain poids à ce facteur, mais, tout comme le facteur concernant la charge de travail, je ne lui accorde pas un poids considérable. Là encore, je conclus que l’espèce n’appartient pas à la même catégorie que les affaires General Electric et Sommerer, où les questions en litige étaient nombreuses, ou interreliées et, en effet, complexes.

 

La conduite de l’intimée et le refus d’admettre

 

[27]                 L’appelante exprime des préoccupations importantes quant au fait que l’intimée a qualifié d’évaluation l’estimation attribuée à l’obligation relative au reboisement, et qu’elle n’admettait pas qu’elle n’était pas actualisée. Il a fallu que l’appelante appelle M. Lucknow, de l’Alberta, pour témoigner à cet égard. Je n’ai pas des préoccupations aussi profondes que celles de l’appelante, bien que j’estime que le témoignage de M. Lucknow n’était probablement pas nécessaire.

 

[28]                 La première question sur laquelle je me suis penché à l’audience était celle de savoir si les obligations relatives au reboisement faisaient partie de la contrepartie – une question à laquelle la Cour suprême du Canada a finalement répondu par la négative. Après avoir conclu que l’obligation faisait partie de la contrepartie, j’ai dû ensuite rechercher sa valeur. L’intimée a soutenu que les parties avaient convenu que la valeur était celle de l’estimation. Je n’ai pas retenu  cet argument, mais je n’ai rien trouvé d’inconvenant à la démarche adoptée par l’intimée ni, à part la conclusion de l’appelante selon laquelle il était nécessaire d’appeler M. Lucknow, quoi que ce soit qui ait prolongé effectivement la durée de l’instance.

 

[29]                 L’appelante soutient que la position de l’intimée m’a placé dans une situation intenable, à savoir que je devais établir la juste valeur marchande des obligations relatives au reboisement sans aucun élément de preuve concernant la valeur. Le fait de rendre encore plus difficile la tâche déjà ardue du juge n’est pas inhabituel. Même si j’admettais que tel avait été l’effet de la position de l’intimée, je ne pense pas qu’il s’agit d’un facteur important, sûrement pas un facteur énuméré au paragraphe 147(7) des Règles, qui, en l’espèce, justifie l’adjudication de dépens supplémentaires.

 

[30]                 L’appelante avance également que des travaux importants non nécessaires ont été entrepris pour examiner, avec l’intimée, la nature des obligations relatives au reboisement. L’appelante signale qu’il s’agissait moins d’une affaire fondée sur les faits que d’une affaire qui consacrait des principes juridiques importants. Bien que je souscrive à cette qualification, j’estime aussi que le fait d’avoir une bonne compréhension des obligations au cœur du problème serait considéré par l’intimée comme important.

 

[31]                 En résumé, pour ce qui est de ce facteur, l’intimée aurait pu être plus prévenante et peut‑être plus conciliante sur la manière dont elle devait discuter la question de la juste valeur marchande, mais il s’agissait d’une stratégie que l’intimée avait manifestement adoptée, une stratégie qui avait finalement joué contre elle dans le jugement que j’ai rendu. Je ne crois pas que le facteur en question se rapporte aux dépens.

 

Le montant

 

[32]                 L’appelante soutient que l’adjudication raisonnable des dépens serait d’un tiers des frais réellement supportés. Elle invoque la décision Blackburn Radio Inc. v Her Majesty the Queen[6] et l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma c Maple Leaf Meats Inc.[7] ; dans ces affaires, les dépens accordés étaient de l’ordre de 30 %. Pourtant, chaque cas est différent; les facteurs sont soupesés d’une manière différente. La cohérence dans l’adjudication des dépens doit résider dans la cohérence de la démarche, non dans la fixation de dépens au moyen d’un pourcentage établi selon une formule.

 

[33]                 Je conclus qu’en l’espèce, l’application du tarif ne convient pas, mais dans une moindre mesure que celle que l’appelante pourrait proposer. L’examen des facteurs que j’ai fait ne me laisse pas une impression dominante selon laquelle des dépens importants étaient justifiés. Je n’accorde pas plus de poids à l’absence d’offre de règlement ou de conduite inconvenante qu’à une certaine complexité, à une certaine charge de travail et à l’importance de la question, et je conclus que la moitié des dépens que l’appelante cherche à obtenir est l’adjudication adéquate. Par conséquent, des dépens de 74 190 $ sont adjugés à l’appelante.

 

Signé à Toronto (Ontario), ce 5e jour de septembre 2013.

 

« Campbell J. Miller »

Juge C. Miller

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 24jour de février 2014.

 

 

Francois Brunet, réviseur


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 275

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2007-4121(IT)G

                                                         

INTITULÉ :                                      DAISHOWA-MARUBENI INTERNATIONAL LTD c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 juillet 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge Campbell J. Miller

 

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 5 septembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l’appelante :

Me John H. Saunders

Avocat de l’intimée :

Me Matthew Turnell

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelante :

      

            Nom :                                    John H. Saunders         

 

            Cabinet :                               Wilson & Partners LLP

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

 

 

 



[1]           [1999] 2 C.F. 175 (CAF).

 

[2]           2011 CCI 212.

 

[3]           2013 CAF 179.

 

[4]           Au paragraphe 39 des observations de l’intimée.

 

[5]           Le paragraphe 31 des observations de l’appelante.

 

[6]           2013 CCI 98.

 

[7]           2002 CAF 417.

 

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