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Dossier : 2007-1898(IT)I

ENTRE :

JULIE OZAWAGOSH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Norma Petahtegoose (2007-2395(IT)I)

le 8 avril 2013, à Sudbury (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Aaron Detlor

Avocate de l’intimée :

Me Tamara Watters

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1999, 2000, 2001, 2002, 2004, 2005 et 2006 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci‑joints.

 

 

Signé ce 2e jour d’octobre 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2013.

 

C. Laroche

 


 

 

 

 

Dossier : 2007-2395(IT)I

ENTRE :

NORMA PETAHTEGOOSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

____________________________________________________________________

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Julie Ozawagosh (2007-1898(IT)I

le 8 avril 2013, à Sudbury (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge François Angers

 

Comparutions :

 

Avocat de l’appelante :

Me Aaron Detlor

Avocate de l’intimée :

Me Tamara Watters

____________________________________________________________________

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l’encontre des nouvelles cotisations établies au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1999, 2000 et 2001 sont rejetés, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

 

 

Signé ce 2e jour d’octobre 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2013.

 

C. Laroche


 

 

 

 

Référence : 2013 CCI 311

Date : 20131002

Dossier : 2007-1898(IT)I

ENTRE :

JULIE OZAWAGOSH,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

et

 

Dossier : 2007-2395(IT)I

ENTRE :

NORMA PETAHTEGOOSE,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

Le juge Angers

 

[1]             Les présents appels ont été entendus sur preuve commune. Le ministre du Revenu national (le « ministre ») a établi à l’égard de l’appelante Julie Ozawagosh de nouvelles cotisations basées sur l’inclusion, dans son revenu déclaré des années d’imposition indiquées ci‑dessous, des montants suivants, tirés de son emploi auprès de Native Leasing Services (NLS).

 

Année d’imposition

Revenus non inclus

1999

22 310 $

2000

38 521 $

2001

38 244 $

2002

20 593 $

2004

27 948 $

2005

16 621 $

 

[2]             En plus de faire appel des nouvelles cotisations établies pour les années indiquées ci‑dessus, l’appelante Julie Ozawagosh conteste la cotisation relative à l’année d’imposition 2006, et ce, même si le ministre l’a établie en se fondant sur la déclaration de revenus qu’elle avait produite. Au procès, cette appelante a dit ignorer qu’elle faisait appel de l’année d’imposition 2006. Elle a reconnu ne pas avoir travaillé pour NLS en 2006 et n’arrivait pas à se rappeler la provenance du revenu déclaré. Il m’est donc impossible de décider si le revenu gagné en 2006 est exonéré d’impôt. Par conséquent, l’appel de Julie Ozawagosh concernant son année d’imposition 2006 est rejeté.

 

[3]             L’appelante Norma Petahtegoose fait appel de ses cotisations relatives aux années d’imposition 1999, 2000 et 2001. Le ministre a établi à son égard de nouvelles cotisations après avoir inclus dans son revenu, pour ces années, des montants de 14 863 $, 27 929 $ et 15 402 $, respectivement. Ces revenus proviennent également d’un emploi occupé à NLS.

 

[4]             Les deux appelantes sont des Indiennes inscrites. Elles sont membres de la Première nation Atikameksheng Anishnawbek et ont leur résidence dans la réserve, et l’une et l’autre ont travaillé pour NLS au cours des années d’imposition en cause. NLS est une entreprise de louage de services en matière d’emploi. Elle a loué les services des appelantes au Centre de soins de santé Shkagamik‑Kwe (le CSSSK), chacune ayant été affectée à des postes différents. En raison de leur qualité d’Indiennes inscrites, les appelantes ne payaient pas d’impôt sur le revenu qu’elles tiraient de leur emploi auprès de NLS.

 

[5]             La question qui se pose dans le cadre des présents appels est de savoir si les revenus que les appelantes ont tirés de leur emploi à NLS au cours des années d’imposition en cause étaient des biens meubles d’un Indien situés sur une réserve au sens de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens et étaient, de ce fait, exemptés de taxation.

 

[6]             Au cours des années en cause, le CSSSK faisait partie d’un réseau de dix centres autochtones d’accès aux soins de santé répartis sur le territoire de la province de l’Ontario. C’est l’un des deux seuls centres qui ne soient pas situés dans une réserve. Il se trouve à une vingtaine de kilomètres de la réserve Atikamekshen Anishnawbek. Chacun de ces centres suit le modèle des centres de soins communautaires et est affilié à une réserve. Le réseau a connu une expansion et compte maintenant plus de 30 centres. Les lettres patentes et les règlements administratifs du CSSSK en énoncent les objectifs, qui sont de fournir des services médicaux, de santé et de soutien aux traditions aux collectivités des Premières nations. Dans les lettres patentes datées du 25 mai 1998, ses objets sont ainsi formulés :

 

[traduction]

 

a)                  Établir et exploiter au moins un centre de soins de santé holistiques tenant compte des aspects culturels et œuvrant à la promotion de modes de vie sains et équilibrés dans le Nord-Est de la province de l’Ontario.

 

b)                  Fournir des services médicaux, de santé et de soutien à la collectivité en portant une attention particulière aux besoins des autochtones qui en font partie.

 

c)                  Favoriser la guérison et le bien-être des autochtones de la collectivité en leur offrant des services adaptés à leur réalité culturelle, des programmes de guérison traditionnels, des programmes de santé et d’éducation communautaires et des programmes de sensibilisation et de développement communautaires.

 

L’article 5 du règlement administratif no 1, qui traite des buts et objectifs, énonce le premier objectif du CSSSK : [traduction] « [é]tablir et exploiter au moins un centre de soins de santé holistiques adapté à la culture autochtone et œuvrant à la promotion de modes de vie sains et équilibrés […] »

 

L’article 7, qui concerne le conseil d’administration, exige qu’au moins 75 p. 100 des administrateurs soient d’origine autochtone. Le sous‑alinéa 5(b)(i) précise que le CSSSK a également pour but et objectif de [traduction] « fournir des soins médicaux, de santé et de soutien à la collectivité en portant une attention particulière aux besoins des autochtones qui en font partie ».

 

[7]             On retrouve ces mêmes objectifs sur le site web du CSSSK. On peut y lire que le Centre a pour mission d’offrir un accès égal à des soins de santé de qualité à l’ensemble des membres des Premières nations, des Métis et des Inuits du Grand Sudbury, ainsi qu’aux particuliers et aux familles des Premières nations partenaires, à savoir : Wahnapitae, Henvey Inlet et Magnetawan. Le personnel du CSSSK est composé à environ 50 p. 100 d’autochtones. Dans le cadre du programme de soins de santé traditionnels, des aînés rendent visite aux clients ayant besoin d’être guidés pour les conseiller; le recours à des pratiques comme la purification par la sauge qui, en brûlant, chasse les énergies négatives, fait également partie des activités quotidiennes du CSSSK. Bien que les clients du CSSSK soient tenus de remplir un questionnaire lorsqu’ils reçoivent ces services, ils n’ont pas à présenter de pièce d’identité prouvant leur appartenance à une Première nation. Une simple déclaration suffit. Il n’est pas non plus nécessaire d’avoir sa résidence dans la réserve pour bénéficier des services du CSSSK. On peut dire sans se tromper que les services sont offerts aux clients qui ont leur résidence dans une réserve comme aux autres.

 

Norma Petahtegoose

 

[8]             De mai 1999 jusqu’en 2001, l’appelante Norma Petahtegoose a travaillé à plein temps au CSSSK comme adjointe administrative du personnel médical. Selon la description qu’elle donne de son rôle, elle était la première personne à qui les clients s’adressaient à leur arrivée au centre. Ses fonctions consistaient notamment à donner des rendez-vous, assurer la gestion des dossiers et dresser les fiches médicales des patients. Elle ne possède aucune formation en médecine ou en soins infirmiers et n’est pas guérisseuse traditionnelle. Elle accomplissait la majeure partie de ses tâches dans les locaux du CSSSK. En fait, il était rare qu’elle doive travailler ailleurs que dans ces locaux.

 

[9]             Lors de son témoignage, Mme Petahtegoose a décrit son enfance difficile. Née en 1967, elle a été adoptée à trois mois. Ses parents adoptifs se sont séparés lorsqu’elle avait trois ans. À six ans, elle s’est installée chez sa sœur aînée adoptive et à treize ans, elle est retournée vivre avec sa mère adoptive. Elle a terminé ses études secondaires et obtenu un diplôme en floriculture commerciale au Cambrian College.

 

[10]        Elle s’est mariée en 1989. La famille de son mari est très attachée à leur culture et la mette en pratique au quotidien. Elle a beaucoup appris au sujet de leurs traditions et de leur culture. Dans son témoignage, elle a déclaré que ses antécédents et son expérience de la vie l’aidaient à mieux comprendre les problèmes des clients du CSSSK et à les orienter dans une direction adaptée à leurs besoins. Elle en a aussi beaucoup appris sur sa culture en travaillant au CSSSK.

 

Julie Ozawagosh

 

[11]        De 1998 à 2000, l’appelante Julie Ozawagosh a travaillé comme intervenante et conseillère au sein du programme VIH/sida. Elle effectuait ce travail aux bureaux du CSSSK. Le programme relevait de la stratégie autochtone de l’Ontario sur le VIH/sida. Son rôle consistait à accroître la [traduction] « sensibilisation aux différences culturelles » par rapport au VIH, c’est‑à‑dire, selon elle, à mieux faire comprendre le rapport qu’ont les membres de la nation anishnawbek à la terre et la façon dont ils voient les problèmes de leur communauté, par exemple la toxicomanie, l’alcoolisme et la violence physique. Elle enseignait également la réduction des méfaits et offrait du soutien aux personnes atteintes du VIH et aux familles. Ses clients étaient exclusivement des autochtones vivant dans une réserve, mais ce n’est qu’environ trois fois par année qu’elle se rendait dans une réserve pour s’acquitter de ses fonctions.

 

[12]        Autour de 2000, elle est devenue coordinatrice des programmes traditionnels du CSSSK, poste qu’elle a conservé jusqu’à sa retraite, en mai 2005. Au cours des années d’imposition en cause ici, elle était employée par NLS et ses services étaient loués au CSSSK.

 

[13]        Le CSSSK fournissait à l’appelante un bureau. Elle y coordonnait les activités et y rencontrait les clients. Elle prenait également les dispositions nécessaires pour la prestation des services des guérisseurs traditionnels et des soins thérapeutiques non conventionnels et coordonnait un ensemble de manifestations culturelles, de cérémonies et d’ateliers, tels que des cours de récolte de plantes médicinales, d’artisanat et de langue, ainsi que l’accès à divers groupes de soutien.

 

[14]        L’appelante Julie Ozawagosh accompagnait les guérisseurs traditionnels et se portait volontaire pour la récolte des plantes traditionnelles, que l’on trouvait dans la réserve et à l’extérieur de ses limites, environ cinq heures par semaine d’avril à octobre. Elle a déclaré qu’elle y consacrait quelque 25 p. 100 de son temps. En 2005, elle n’a passé qu’environ 5 p. 100 de son temps dans une réserve, puisqu’elle a pris sa retraite au mois de mai de la même année.

 

[15]        L’appelante a acquis les connaissances nécessaires à l’accomplissement des fonctions susmentionnées grâce aux aînés ainsi qu’aux conférences et aux rassemblements spirituels auxquels elle a participé. Elle a également suivi un cours sur la planification des activités d’une bande et le développement économique offert dans la réserve par un aîné du nom de Bernard Petahtegoose. Ses antécédents et son expérience de la vie se sont aussi révélés être de précieux outils.

 

La législation

 

[16]        Suivant les articles 3 et 5 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le contribuable doit tenir compte, dans le calcul de son revenu, de ses revenus de toutes provenances, y compris les traitements, salaires et toute autre rémunération reçus au cours de l’année. Certains montants peuvent être exclus du calcul du revenu s’ils satisfont aux critères énoncés à l’article 81 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui prévoit notamment ce qui suit :

 

81. (1) Somme à exclure du revenu -- Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition,

 

a) Exemptions prévues par une autre loi [notamment pour les Indiens] -- une somme exonérée de l’impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu’un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d’une disposition d’une convention ou d’un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada;

 

L’exonération en cause dans le cadre des présents appels est prévue à l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, ainsi libellé :

 

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l’article 83 et de l’article 5 de la Loi sur la gestion financière et statistique des premières nations, les biens suivants sont exemptés de taxation :

 

[…]

 

b) les biens meubles d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve.

 

[17]        Suivant l’alinéa qui précède, je dois donc décider si les revenus d’emploi des appelantes constituent des « biens meubles […] situés sur une réserve ».

 

Analyse

 

[18]        La Cour suprême du Canada a statué, dans les arrêts Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, et Succession Bastien c. Canada, 2011 CSC 38, [2011] 2 R.C.S. 710, que le revenu d’emploi constituait un bien meuble pour l’application de l’article 87. En particulier, elle a précisé qu’il s’agissait d’un bien immatériel. Ne reste, en l’espèce, qu’à déterminer si ce bien est « situé sur une réserve ».

 

[19]        La difficulté inhérente à l’exercice consistant à attribuer un emplacement précis à des biens immatériels – un exercice obligé pour déterminer si ce bien est situé dans une réserve – a été reconnue dans plusieurs décisions. Pour orienter les tribunaux dans leur analyse, la Cour suprême du Canada avait établi une liste de facteurs de rattachement dans l’arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877. Dans Bastien, précité, la Cour suprême a déclaré que les juges, lorsqu’ils appliquent la méthode des « facteurs de rattachement », doivent tenir compte de l’objet de l’exemption fiscale, du genre de bien et de la nature de l’imposition du bien (voir les paragraphes 18, 20, 42 et 43), tout en ayant à l’esprit que la question à trancher est de savoir si le bien est situé dans une réserve.

 

[20]        Dans Bastien, précité, la Cour suprême du Canada a précisé que l’objet de l’article 87 n’était pas « de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur [permettant] d’acquérir, de posséder et d’aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens » ni de « conférer un avantage économique général aux Indiens » (voir les paragraphes 21 et 23). Son but, comme le précise le juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, (propos repris dans Bastien, précité) est plutôt « de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits ».

 

[21]        Dans Bastien, précité, le juge Cromwell, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a formulé deux commentaires au sujet de l’analyse téléologique. D’abord, au paragraphe 25, il observe ceci : « Une analyse téléologique doit guide l’évaluation des facteurs de rattachement par le tribunal. Il faut cependant reconnaître qu’il n’existe pas toujours une correspondance parfaite entre la signification du texte et son objectif général sous‑jacent. »

 

[22]        La deuxième remarque a trait à l’expression « Indien à titre d’Indien ». Aux paragraphes 26, 27 et 28, le juge Cromwell déclare que l’accent doit être mis sur la question de savoir s’il y a entre le bien et la réserve un lien permettant d’affirmer que le bien est situé dans la réserve pour l’application de la Loi sur les Indiens, et non sur la question de savoir si « le bien fait partie intégrante de la vie sur la réserve ou de la préservation du mode de vie traditionnel des Indiens ». Il fait l’observation suivante :

 

[…] Bien que la relation entre le bien et la vie sur la réserve puisse, dans certains cas, être un facteur qui tend à renforcer ou à affaiblir le lien entre le bien et la réserve, l’application de l’exemption ne dépend pas de la question de savoir si le bien fait partie intégrante de la vie sur la réserve ou de la préservation du mode de vie traditionnel des Indiens.

 

[23]        Dans Googoo c. La Reine, 2008 CCI 589, le juge en chef adjoint Rossiter, s’appuyant sur La Reine c. Monias, 2001 CAF 239, a déclaré ce qui suit, au paragraphe 91 de ses motifs, concernant un cas particulier de revenu d’emploi :

 

L’alinéa 87(1)b) a pour objet de protéger la propriété que les Indiens peuvent acquérir, conserver et utiliser dans une réserve, de toute atteinte au moyen de l’impôt frappant des biens comme le revenu tiré d’un emploi. Il vise à protéger les biens détenus par des Indiens à titre d’Indiens dans des réserves pour éviter de compromettre leur mode de vie traditionnel. C’est le situs de l’acquisition qui revêt une importance particulière.

 

[24]        En l’espèce, les biens dont on affirme qu’ils sont exemptés d’impôt au titre de l’article 87 de la Loi sur les Indiens correspondent au revenu d’emploi des appelantes; l’imposition est de la nature d’un impôt sur le revenu. La Cour d’appel fédérale a précisé, dans les arrêts Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269, Shilling c. M.R.N., 2001 CAF 178, et Bell c. Canada, [2000] 3 C.N.L.R. 32; (2000), 256 N.R. 147, que les facteurs suivants peuvent être pertinents lorsqu’il s’agit de déterminer si le revenu d’emploi d’un Indien est situé dans une réserve :

 

       l’emplacement de l’employeur ou son lieu de résidence;

       le lieu de travail, la nature du travail et les circonstances dans lesquelles il est accompli par l’employé;

       la nature de tout avantage que tire la réserve de ce travail;

       le lieu de résidence de l’employé.

 

[25]        L’importance à accorder à ces facteurs dépend des faits propres à chaque affaire.

 

Le mode de vie traditionnel

 

[26]        S’appuyant sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Robertson, 2012 CAF 94, les appelantes prétendent qu’il y a lieu d’accorder une importance considérable au mode de vie traditionnel dans le cadre des présents appels. Dans Robertson, la Cour d’appel fédérale, reprenant les propos du juge Cromwell, selon lesquels la protection offerte par l’article 87 ne se limite pas au revenu généré dans le cadre d’activités pouvant être considérées comme faisant « partie intégrante de la vie sur la réserve ou de la préservation du mode de vie traditionnel des Indiens », a jugé que ce dernier avait voulu dire que l’article 87 ne devait pas être interprété de manière à limiter les activités dont les Indiens peuvent tirer un revenu exempté d’impôt à celles du passé (voir les paragraphes 60 à 62). Puis, la Cour d’appel a ajouté que le fait que l’activité produit un revenu et revêt de l’importance pour les tissus économique, social et culturel de la réserve « est pertinent pour décider s’il existe un lien suffisamment étroit entre la réserve et la source du revenu des appelants ».

 

[27]        Dans Robertson, la Cour d’appel fédérale a conclu à l’existence d’un lien suffisamment étroit entre la réserve et la pêche, dont les contribuables tiraient un revenu d’entreprise, en raison de l’importance qu’il fallait, selon elle, accorder au fait que la pêche commerciale est exercée depuis longtemps dans les lacs situés près de la réserve par les membres de la Première Nation et leurs ancêtres et qu’elle continue de revêtir de l’importance pour les tissus économique, social et culturel de la réserve.

 

[28]        J’estime qu’une distinction peut être établie entre les faits de l’affaire Robertson et ceux des présents appels. En plus d’accorder une grande importance au fait que la pêche commerciale est exercée depuis longtemps par les membres de la Première Nation et leurs ancêtres, la Cour d’appel fédérale a tenu compte, entre autres choses, du fait que plusieurs des activités entourant la prise du poisson avaient lieu dans la réserve et que les activités exercées hors réserve s’exerçaient néanmoins près de la réserve. De plus, toutes les opérations commerciales des contribuables se faisaient avec une coopérative de la réserve, une institution qui était d’une importance capitale pour la vie économique de la réserve. C’est ce dernier facteur qui fixait solidement le revenu d’entreprise des contribuables à la réserve (voir le paragraphe 86).

 

[29]        Contrairement à la coopérative dont il est question dans Robertson, le CSSSK, dans l’affaire qui nous occupe, n’est pas situé dans la réserve et la majorité du travail exercé par les appelantes ne l’est pas non plus dans une réserve. Je ne crois pas que le témoignage d’un aîné exposant son point de vue, à savoir que sa [traduction] « demeure » ne serait délimitée par aucune frontière, permette à lui seul de conclure que le travail était exercé dans une réserve. Cela dit, en ce qui concerne la nature de leur emploi, je ne doute pas que les appelantes aient été en mesure, dans certains cas, de tirer parti de leur passé difficile et de leur expérience de la vie afin de mieux comprendre les clients du centre et aider à résoudre leurs problèmes. Toutefois, j’estime que cela ne constitue pas un fondement suffisant pour conclure que l’emploi des appelantes était situé dans la réserve.

 

La nature de l’emploi des appelantes

 

[30]        L’appelante Norma Petahtegoose travaillait au CSSSK en tant qu’adjointe administrative du personnel médical. Elle exerçait, essentiellement, les fonctions d’une réceptionniste. Elle a expliqué qu’en raison de ses antécédents et de son expérience de la vie, elle était mieux à même de comprendre les problèmes des clients du CSSSK et de les orienter dans la voie correspondant à leurs besoins. Toutefois, la preuve révèle qu’elle n’a pas de formation en médecine ou en soins infirmiers et qu’elle n’est pas non plus guérisseuse traditionnelle. En outre, la majeure partie de son travail s’effectuait dans les locaux du CSSSK et elle était rarement appelée à travailler ailleurs.

 

[31]        L’appelante Julie Ozawagosh, en revanche, a été nommée coordonnatrice des programmes traditionnels du CSSSK en 2000 et a exercé ces fonctions jusqu’à sa retraite. À ce titre, elle prenait les dispositions nécessaires pour la prestation des services des guérisseurs traditionnels et des soins thérapeutiques non conventionnels et coordonnait un ensemble de manifestations culturelles, de cérémonies et d’ateliers. De plus, elle accompagnait les guérisseurs traditionnels et se portait volontaire pour la récolte des plantes traditionnelles dans différentes réserves et hors réserve, à raison d’environ cinq heures par semaine, d’avril à octobre, ce qui correspondait à environ 25 p. 100 de son temps, sauf pour l’année 2005. Elle a acquis les connaissances utiles à son travail auprès d’aînés et en participant à des conférences et des rassemblements spirituels.

 

[32]        Dans Shilling, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé que le fait que l’emploi en question se rapportait à la prestation de services sociaux aux autochtones hors réserve, sous forme de programmes d’aide consistant en bonne partie à rétablir les liens qu’ils avaient avec leur culture et leurs traditions, ne conférait pas pour autant un traitement fiscal privilégié en vertu de l’article 87 (voir les paragraphes 49 à 52). Selon la Cour d’appel fédérale, la situation dont elle était saisie était radicalement différente de celle prévalant dans Folster, précité : dans cette affaire, l’appelante offrait des services à des patients d’hôpital qui vivaient pour la plupart dans la réserve. Au paragraphe 52 de Shilling, la Cour d’appel fédérale écrit :

 

[52] En concluant que la nature des tâches de l’intimée ne constitue pas un facteur de rattachement avec une réserve, nous n’omettons pas de tenir compte du fait que les services fournis sont des services sociaux à l’intention des autochtones, par opposition à un emploi exercé dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise à but lucratif. Toutefois, il existe dans les villes canadiennes un grand nombre d’organisations à but non lucratif offrant des services sociaux. Les employés de pareilles organisations ne sont pas exemptés de l’impôt sur le revenu. Compte tenu du but restreint de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, le fait que l’emploi en question se rapporte à la prestation de services sociaux à des autochtones en dehors d’une réserve ne confère pas pour autant un traitement fiscal privilégié en vertu de cette disposition.

 

[33]        Je souscris à l’argument de l’avocate de l’intimée, qui affirme que, si louable qu’ait pu être le travail des appelantes, la prestation de services sociaux aux Indiens par un organisme sans but lucratif n’a pas pour effet de rattacher leur revenu d’emploi à une réserve en tant que lieu physique. Cet argument est particulièrement valable en ce qui concerne l’appelante Norma Petahtegoose.

 

[34]        Pour ce qui est de l’appelante Julie Ozawagosh, il est possible d’établir un lien entre la nature du travail qu’elle effectuait et les traditions et la culture autochtones. Les services qu’elle rendait au CSSSK à des clients vivant tant dans les réserves que hors réserve visaient à trouver des solutions à des problèmes en faisant appel à ces traditions et cette culture. Dans un arrêt récent, Kelly c. Canada, 2013 CAF 171, la Cour d’appel fédérale a jugé que M. Kelly possédait « "la compétence, l’habilité et l’expérience […] particulières", en matière de "planification stratégique traditionnelle et [de] gouvernance traditionnelle" ». Il offrait des services portant, « selon une perspective globale, sur les aspects sociaux, culturels et économiques et politiques de la vie traditionnelle dans les réserves ». Bien que la Cour d’appel fédérale ait omis de préciser quelle importance il convenait d’attribuer à ces facteurs, il me semble qu’il y a lieu de leur accorder un poids considérable. En ce qui concerne l’appelante Julie Ozawagosh, la preuve n’indique pas clairement si les clients du CSSSK étaient des Indiens vivant dans une réserve. Elle effectuait son travail hors réserve, à l’exception de la récolte de plantes médicinales, qui avait aussi lieu en partie dans les réserves. Il m’est donc plus difficile de rattacher son revenu d’emploi à une réserve.

 

L’emplacement de l’employeur

 

[35]        Pratiquement aucune preuve n’a été produite quant à l’identité, aux fonctions et aux activités de NLS, à l’exception d’un exemplaire du contrat de travail conclu avec l’appelante Julie Ozawagosh, qui ne révèle rien de particulièrement utile à cet égard. Compte tenu de ce qui a été dit dans les arrêts Shilling, précité, et Horn c. Canada, 2008 CAF 352, il n’y a pas lieu d’accorder une grande importance à l’emplacement de NLS. En outre, lors de son témoignage, l’appelante Norma Petahtegoose a déclaré que, dès le départ, elle a cru qu’elle postulait pour un emploi auprès du CSSSK, ajoutant qu’elle n’avait pas cherché à obtenir le poste en s’adressant à NLS. À mon sens, l’emplacement de NLS n’est d’aucune aide sur le plan des facteurs de rattachement.

 

Le lieu où s’accomplit le travail de l’employé

 

[36]        Le CSSSK est situé à Sudbury, en Ontario, et ne se trouve pas dans une réserve. Lors de son témoignage, l’appelante Norma Petahtegoose a déclaré qu’elle effectuait la majorité de son travail dans les locaux du CSSSK. Quant à l’appelante Julie Ozawagosh, son témoignage a révélé qu’elle consacrait environ cinq heures par semaine, d’avril à octobre – ce qui, selon ses dires, correspondait à environ 25 p. 100 de son temps – à la récolte de plantes médicinales dans différentes réserves et hors réserve. La preuve ne permet pas d’établir quelle proportion de la récolte se tenait dans les réserves.

 

[37]        En novembre 2008, la Première nation Atikameksheng Anishnawbek a présenté une revendication territoriale. Elle demandait un jugement déclaratoire et des dommages‑intérêts pour un manquement allégué à l’obligation d’attribuer des terres de réserve dans la région du Grand Sudbury conformément à un traité. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande.

 

[38]        Il découle des arrêts Folster, précité, Shilling, précité, et Bell, précité, que le fait qu’un emploi soit situé hors réserve n’est pas en soit déterminant. Dans Shilling, la Cour d’appel fédérale a en effet déclaré, aux paragraphes 49 et 50 :

 

[49] En l’espèce, l’intimée travaille à Toronto. Ce facteur tendrait à montrer que le revenu d’emploi est situé en dehors d’une réserve. Toutefois, selon l’analyse se rapportant aux facteurs de rattachement, le lieu du travail à lui seul n’est pas concluant. Normalement, il faut tenir compte de la nature de l’emploi dans son ensemble et des circonstances y afférentes en vue de déterminer quel lien existe, le cas échéant, entre l’emploi exercé en dehors d’une réserve et une réserve.

 

[50] C’est ce qui a été fait dans l’arrêt Folster, précité, où, même si l’emploi était exercé en dehors de la réserve, son emplacement près de la réserve, sur une terre qui devait être annexée à la réserve, et pour un hôpital dont la clientèle était principalement constituée d’Indiens de la réserve, était suffisant pour que le revenu d’emploi soit situé dans une réserve. De fait, dans l’arrêt Bell, précité, Monsieur le juge Létourneau a subséquemment dit, au paragraphe 36, que la nature de l’emploi et les circonstances y afférentes sont les considérations qui indiquent le mieux si les biens personnels en question font partie du marché.

 

[39]        Je ne crois pas que les circonstances de la présente affaire me permettent de conclure que les appelantes s’acquittaient de leurs fonctions dans une réserve. Même si je décidais d’attribuer une partie du revenu d’emploi de l’appelante Julie Ozawagosh à la récolte de plantes médicinales dans des réserves, je ne dispose pas de suffisamment d’éléments de preuve pour en déterminer correctement la proportion, puisqu’une partie de la récolte s’effectuait également hors réserve.

 

L’avantage tiré par la réserve

 

[40]        Le CSSSK fournissait des services à des clients vivant dans diverses réserves et à d’autres vivant hors réserve. La preuve ne révèle pas à quel endroit NLS exerçait ses activités par rapport à une quelconque réserve, ni ne donne quelque indice quant au lien que les appelantes pouvaient avoir avec NLS sur le plan de l’avantage tiré par une réserve.

 

[41]        La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué, aux paragraphes 10 et 11 de l’arrêt Canada c. Akiwenzie, 2003 CAF 469, que, même si des réserves bénéficient des fonctions exercées dans le cadre d’un emploi, cela n’a rien à voir avec la préservation des biens meubles d’un Indien à titre d’Indien dans ces réserves.

 

[42]        Dans les jugements Dugan c. La Reine, 2011 CCI 269, et Desnomie c. La Reine, 1998 CanLII 255, confirmé par la Cour d’appel fédérale, 2000 DTC 6250, mes collègues, les juges Hershfield et Archambault, ont expliqué que, bien que le travail d’un employé puisse aider à maintenir ou à améliorer la qualité de vie dans la réserve pour les Indiens qui y vivent, ce fait ne vient pas nécessairement rattacher le droit de l’employé à son revenu ou l’utilisation qu’il en fait à la réalité physique de cette réserve. L’atteinte aux droits de l’Indien à titre d’Indien dans une réserve doit être déterminée par rapport à la personne dont le revenu est en cause, et non par rapport aux différentes réserves qui bénéficient directement ou indirectement des services de cette personne. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’attacher beaucoup d’importance à ce facteur.

 

Le lieu de résidence

 

[43]        Dans les affaires susmentionnées, le lieu de résidence a été ajouté au nombre des facteurs susceptibles d’être pertinents pour déterminer l’emplacement du revenu d’emploi pour l’application de l’article 87, quoiqu’il s’agisse d’un facteur auquel il ne sera généralement pas accordé beaucoup de poids (voir Folster, précité et Bell, précité). Dans Kelly c. Canada, précité, la Cour d’appel fédérale précise, au paragraphe 52, que le libellé de l’article 87 exige non pas de se demander si le propriétaire du bien est situé dans une réserve, mais si le bien l’est.

 

[44]        En l’espèce, les deux appelantes vivaient dans une réserve, mais la preuve produite n’indique pas que les activités reliées à leurs remplois se déroulaient dans une réserve, sauf en ce qui a trait à la récolte des plantes médicinales effectuée par l’appelante Julie Ozawagosh, activité qu’elle ne se limitait pas à exercer, au demeurant, dans sa propre réserve. Les revenus d’emploi des appelantes ne provenaient pas des activités qu’elles exerçaient dans la réserve; il est donc difficile d’affirmer que ces revenus étaient situés dans une réserve.

 

Conclusion

 

[45]        Bien que certains facteurs jouent en faveur de la thèse des appelantes, je ne suis pas convaincu qu’il existe entre les revenus d’emploi des appelantes et une réserve, un lien suffisamment étroit pour me permettre de conclure qu’ils étaient bien situés dans une réserve. Leurs revenus d’emploi ne sont donc pas exonérés d’impôt. Les appels sont rejetés sans frais.

 

 

Signé ce 2e jour d’octobre 2013.

 

 

 

« François Angers »

Juge Angers

 

 

 

Traduction certifiée conforme

ce 13e jour de novembre 2013.

 

C. Laroche


RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 311

 

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR :         2007-1898(IT)I; 2007-2395(IT)I

 

INTITULÉS :                                    Julie Ozawagosh c. Sa Majesté la Reine

                                                          Norma Petahtegoose c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Sudbury (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 avril 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :             L’honorable juge François Angers

 

DATE DU JUGEMENT :                 le 2 octobre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat des appelantes :

 

Me Aaron Detlor

Avocate de l’intimée :

MTamara Watters

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour les appelantes :

 

                          Nom :                     Aaron Detlor

                            Cabinet :               Avocat

                                                          Ohsweken (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous‑procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

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