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Dossier : 2012-2809(IT)I

ENTRE :

CHRISTIANE LEMIEUX,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

____________________________________________________________________

par L'honorable Rommel G. Masse, Juge suppléant

 

Comparutions :

Avocat de l'appelante :

Me Marc-André Paquin

Avocate de l'intimée :

Me Marie-France Camiré

____________________________________________________________________

MODIFICATION DES MOTIFS DE JUGEMENT

 

          Attendu que cette Cour a rendu un jugement en date du 3 octobre 2013;

 

          Et attendu qu'une erreur ne portant pas sur la substance du jugement s'était glissée au paragraphe [39] de celui‑ci;

 

          Cette Cour modifie ce paragraphe de la manière suivante:

 

- Les assurances (39,45 $ par mois);

 

          Ces motifs de jugement modifiés sont émis en remplacement des motifs de jugement datés du 3 octobre 2013.

 

Signé à Montréal, Québec, ce 20e jour de novembre 2013.

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


 

 

 

Référence : 2013 CCI 304

Date : 20131121

Dossier : 2012-2809(IT)I

ENTRE :

CHRISTIANE LEMIEUX,

appelante,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

Le juge suppléant Masse

 

[1]             En l’espèce, l’appelante se pourvoit en appel d’un avis d'une nouvelle cotisation émise le 16 juin 2010 par l’Agence du Revenu du Canada (l’« ARC ») à l’égard de l’année d’imposition 2010, par lequel l’ARC a réclamé l’inclusion dans le revenu de l’appelante d'un montant de 21 000 $ reçu à titre de pension alimentaire. Le 6 septembre 2011, l’appelante a signifié à l’ARC un avis d’opposition à l’encontre de la nouvelle cotisation. Le 13 avril 2012, l’ARC a ratifié la nouvelle cotisation, d’où le présent appel.

 

Contexte factuel

 

[2]             L’appelante et le Dr. Étienne Cardinal (ci-après le « mari ») étaient époux à l’époque. Ils ont passé 23 ans ensemble en vie commune et ils sont les parents de quatre enfants. Au cours de leur vie conjugale, le mari s’occupait de la gestion familiale et de toutes les finances; l’appelante s’occupait d'élever les enfants et à veiller à leur bien-être.

 

[3]             À l’époque, le domicile conjugal était situé au 52, avenue Maplewood, Outremont (Québec). L’appelante avait hérité cette maison de ses parents en 1991. Elle a aussi hérité une somme d’argent avec laquelle elle a effectué des rénovations importantes à la résidence. Bien que la maison appartenait à l’appelante, son mari demandait qu’elle lui cède l’indivis 50 % du domicile conjugal. Le 1er novembre 2005, l’appelante a cédé à son mari l’indivis 40 % de la résidence familiale pour la valeur d’un dollar.

 

[4]             Malheureusement, le mariage a échoué et les époux se sont séparés le 8 août 2008. Le 19 octobre 2009, l’appelante a signifié à son mari une Requête introductive d’instance en divorce et mesures accessoires. Le 17 décembre 2009, il y a eu un consentement à jugement intérimaire entre l’appelante et son mari (voir la pièce A‑1), lequel consentement fut entériné par un jugement de la Cour supérieure (chambre de la famille). Par ce consentement à jugement, le mari doit verser une pension alimentaire au bénéfice des enfants ainsi qu’au bénéfice de l’appelante. Aux fins du présent litige, les clauses pertinentes de ce consentement à jugement sont les suivantes :

 

ATTENDU QUE la demanderesse [appelante] a l’usage exclusif de la résidence familiale sise au 52, Avenue Maplewood, Outremont, Province de Québec depuis la séparation des parties;

PENSION ALIMENTAIRE POUR LE BÉNÉFICE DE LA DEMANDERESSE

 

[18]      Le défendeur [mari] versera à la demanderesse [l’appelante] une pension alimentaire brute de l’ordre de 6 450 $ par mois pour son propre bénéfice personnel;

 

 

[20]      La demanderesse [appelante] paiera à même la pension alimentaire versée par le défendeur [le mari] les frais afférents à la résidence sise au 52, avenue Maplewood, Outremont, représentant des frais mensuels approximatifs de 1 750 $, incluant;

 

a)         Taxes municipales et scolaires;

b)         L’assurance habitation;

c)         Chauffage électrique et à l’huile;

d)         Câblodistribution et téléphone;

e)         Entretien, ménage et paysagement;

f)         Eau embouteillée;

 

[21]      La demanderesse [appelante] paiera également à même la pension alimentaire versée par le défendeur [le mari] ses frais de téléphone cellulaire ainsi que les frais d’essence pour l’utilisation de son véhicule de marque Honda CRV 1999;

 

 

USAGE DE LA RÉSIDENCE SISE AU 52, AVENUE MAPLEWOOD, OUTREMONT

 

[34]      La demanderesse [appelante] maintiendra l’usage exclusif de la résidence familiale sise au 52, avenue Maplewood, Outremont;

 

 

[5]             Aujourd’hui, l’appelante est l’unique propriétaire de la résidence à la suite du règlement du divorce.

 

[6]             Au cours de l’année d’imposition, l’appelante a reçu de son mari la somme de 77 400 $ à titre de pension alimentaire conformément au consentement à jugement intérimaire. Par contre, elle n’a déclaré que le montant de 56 400 $ dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition. L’appelante n’a pas inclus dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition les montants totalisant 1 750 $ par mois, soit 21 000 $ par année, prévu au paragraphe 20 du consentement à jugement relativement aux taxes municipales et scolaires; à l’assurance habitation; au chauffage électrique et à l’huile; à la câblodistribution et au téléphone; à l’entretien; au ménage et au paysagement ainsi que pour l’eau embouteillée. 

 

[7]             Le 24 mai 2011, le ministre du Revenu national (ci-après le « ministre ») a émis à l’appelante un avis de cotisation initiale à l’égard de l’année d’imposition 2010. Le 16 juin 2011, le ministre a émis à l’appelante un avis de nouvelle cotisation à l’égard de l’année d’imposition selon lequel il a révisé le revenu de l’appelante en apportant la modification suivante :

 

Pension alimentaire déclarée

                           56 400 $

Pension alimentaire révisée

                           77 400 $

Changement

                           21 000 $

 

[8]             Le 6 septembre 2011, l’appelante a signifié au ministre un avis d’opposition à l’encontre de cette nouvelle cotisation. Le 13 avril 2012, le ministre a ratifié la nouvelle cotisation.

 

[9]             L’appelante a témoigné lors du procès. Elle est d’accord que les taxes municipales et scolaires varient chaque année; elles ne restent pas les mêmes, elles augmentent chaque année. L’assurance d’habitation reste plus ou moins stable, mais peut varier. Le chauffage, soit électrique ou à l’huile, varie beaucoup d'un mois à l’autre. Les frais d’entretien comprennent les gages d’une femme de ménage une fois par semaine. Parfois, il est nécessaire d’engager les services d’un plombier, électricien ou autre ouvrier afin d’effectuer des réparations à la maison. Ces frais ne sont pas récurrents tous les mois et ils sont encourus lorsque nécessaire. C’est le mari qui a déterminé le montant approximatif de toutes les dépenses. Si le montant total des dépenses augmente, l’appelante ne reçoit pas de montant supplémentaire à titre de pension alimentaire. De même, si jamais ces dépenses diminuent, l’appelante n’est pas tenue à rembourser à son mari la différence entre les dépenses et la pension alimentaire qu’elle a reçue. Il est évident que ces dépenses, bien que nécessaires, étaient sous le contrôle de l’appelante.

 

[10]        La question en litige consiste à déterminer si le ministre était justifié d’ajouter au revenu de l’appelante le montant de 21 000 $ que l’appelante a reçu à titre de pension alimentaire.

 

La thèse de l’appelante

 

[11]        L’appelante soutient que la somme de 21 000 $ n’a pas à être incluse dans le calcul de son revenu puisqu’il ne s’agit pas d’une pension alimentaire imposable selon les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) tel que modifiée (la « Loi »). L’appelante affirme que les montants versés n’ont pas le caractère d’une allocation payable périodiquement conformément aux dispositions du paragraphe 56.1(4) de la Loi puisque ces montants ne peuvent être utilisés à sa discrétion. L’appelante doit, en effet, utiliser ces montants conformément au consentement à jugement intérimaire. Elle soutient qu’elle n’a aucun choix et elle doit payer les dépenses qui sont énumérées dans le consentement à jugement. Si elle n’utilise pas les montants en question de la façon prévue au jugement il y aura inexécution de l’obligation contenue au jugement et donc elle ne peut utiliser les montants à sa discrétion.

 

[12]        Donc, l’appelante soutient qu’elle était en plein droit de ne pas inclure ces sommes dans le calcul de son revenu et elle demande que la Cour fasse droit à son appel.

 

La thèse de l’intimée

 

[13]        L’intimée s’appuie sur l’alinéa 56(1)b) et les paragraphes 56.1(4) et 248(1) de la Loi. L’intimée soutient que le ministre était justifié, conformément au paragraphe 56.1(4) de la Loi, d’ajouter au revenu de l’appelante le montant de 21 000 $ que l’appelante a reçu à titre de pension alimentaire puisqu’elle pouvait utiliser le montant à sa discrétion.

 

[14]        Donc, l’intimée demande le rejet de l’appel.

 

Les dispositions législatives

 

[15]        Les dispositions pertinentes de la Loi modifiée sont les suivantes :

 

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l’article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition :

 

b)    le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A – (B + C)

ou :

 

A    représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l’année d’une personne donnée dont il vivait séparé au montant de la réception de la pension,

 

B    le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d’un accord ou d’une ordonnance à la date d’exécution ou postérieurement et avant la fin de l’année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

 

C    le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu’il a incluse dans son revenu pour une année d’imposition antérieure;

 

56.1(4) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et à l’article 56.

 

« Pension alimentaire » montant payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d’enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

 

a)         le bénéficiaire est l’époux ou le conjoint de fait ou l’ex-époux ou l’ancien conjoint de fait du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d’échec de leur mariage ou union de fait et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent ou d’un accord écrit;

 

b)         le payeur est légalement le père ou la mère d’un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l’ordonnance d’un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d’une province.

 

248(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

« accord de séparation » Est comprise parmi les accords de séparation la convention en vertu de laquelle une personne s’engage à effectuer des versements périodiques après la dissolution de son mariage ou de son union de fait, en vue de subvenir aux besoins de son ex-époux ou ancien conjoint de fait, d’enfants issus du mariage ou de l’union de fait, ou, à la fois, de son ex-époux ou ancien conjoint de fait, que la convention ait été conclue avant ou après la dissolution de ce mariage ou de cette union de fait.

 

 

Analyse

 

[16]        Il est convenu entre les parties qu’un montant ne peut se qualifier à titre de pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi que si le bénéficiaire peut l’utiliser à sa discrétion. La notion de discrétion fait partie de la définition de l’expression « pension alimentaire » et demeure une des conditions essentielles pour qu’un montant soit imposable/déductible à titre de pension alimentaire. Donc, la question à trancher est à savoir si l’appelante a discrétion quant à l’usage de la somme périodique qui lui est versée. Si oui, les montants sont imposables. Sinon, les montants ne sont pas imposables.

 

[17]        L’expression « utiliser à sa discrétion » a généré beaucoup de jurisprudence dans le droit fiscal canadien. Il semble y avoir deux courants jurisprudentiels opposés. Un courant, axé sur la décision dans l’affaire Assaf c. Canada, [1992] A.C.I. no 46 (QL), semble attribuer à cette expression un sens restrictif voulant que la portée de la discrétion qu’aurait la bénéficiaire de la pension alimentaire soit limitée. L’autre courant jurisprudentiel est axé sur la décision dans l’affaire Canada c. Pascoe, [1975] A.C.F. no 139 (QL). Ce courant semble donner une signification plus large à l’expression « utiliser à sa discrétion ».

 

[18]        L’appelante se fie aux décisions axées sur l’affaire Assaf c. Canada, précité. Dans Assaf, le juge en chef Garon a eu à décider de la déductibilité du revenu de l’appelant des sommes versées à une ex‑épouse, lesquelles sommes étaient destinées à payer une partie des frais universitaires de leurs enfants. Le juge Garon a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une allocation dans le sens du paragraphe 56(12) de l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenu, car l’ex‑épouse ne pouvait utiliser les versements à sa discrétion. Le juge Garon a statué ainsi :

 

En interprétant le paragraphe 56(12), il y a lieu de faire remarquer que, pour que des sommes reçues, par exemple, par un conjoint ou un ex-conjoint constituent une allocation au sens de ce paragraphe, il n’importe pas que celui qui verse la pension ne contrôle pas ni ne tente de contrôler l’utilisation des fonds en question. Il faut cependant que le jugement ou l’accord, suivant le cas, ne précise pas l’utilisation qui doit être faite de ces sommes. Si une telle précision existe, il s’ensuit que si le conjoint ou l’ex-conjoint qui reçoit les sommes en question ne les utilise pas de la façon prévue au jugement ou à l’accord, il y a, de sa part, inexécution de l’obligation qui est contenue dans le jugement ou dans l’accord. C’est dans ce sens que le bénéficiaire des sommes en question ne peut pas légalement utiliser les fonds ainsi reçus à la discrétion, suivant le paragraphe 56(12).

 

 

[19]        Dans l’affaire Hamer c. R. (1997), [1998] 3 C.T.C. 2030 (T.C.C.), confirmée par la Cour d’appel fédérale, les appelantes contestaient l’inclusion dans leur revenu des sommes reçues à titre de pension alimentaire versées exclusivement pour le bénéfice ou l’entretien de leurs enfants. Le juge Dussault de la Cour canadienne de l’impôt s’est prononcé comme suit :

 

16        L’alinéa 56(1)b) vise spécifiquement une somme reçue par un conjoint ou ex-conjoint « à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire ou des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage » dans la mesure où les autres conditions énoncées à cet alinéa sont satisfaites. Les alinéas c) et c.1) couvrent des paiements semblables en des circonstances différentes. Rien dans ces dispositions n’exige que le conjoint ou ex-conjoint qui reçoit des sommes pour le bénéfice ou l’entretien des enfants confiés à sa garde en soit le propriétaire ou soit lui-même le créancier de l’obligation alimentaire. Le Code civil du Québec prévoit que le recours alimentaire de l’enfant mineur peut être exercé par le titulaire de l’autorité parentale et que la pension ou allocation peut être déclarée payable à la personne qui a la garde de l’enfant. La Loi sur le divorce prévoit également que le conjoint ou ex-conjoint peut demander au tribunal de rendre une ordonnance alimentaire pour les enfants à charge. Une pension ou une allocation versée en vertu d’un jugement ou d’une ordonnance pour subvenir aux besoins des enfants seulement confère assurément à un conjoint ou ex-conjoint qui la reçoit l’autorité de l’utiliser à sa discrétion tout en respectant cette finalité à moins que le jugement ou l’ordonnance en dispose autrement en prescrivant ou en précisant à quoi elle doit être affectée ou comment elle doit être utilisée au bénéfice des enfants. L’interprétation normale et cohérente du paragraphe 56(12) dans son contexte conduit à la conclusion qu’on a voulu par son adoption simplement exclure du terme « allocation » aux fins de l’application des alinéas 56(1)b), c) et c.1) et des alinéas correspondants de l’article 60 une somme dont l’utilisation est ainsi précisée avec l’effet évident de substituer la volonté du payeur à la liberté du bénéficiaire quant à la manière dont la somme doit être utilisée. Je ne crois pas que l’on puisse donner au paragraphe 56(12) une portée plus grande et dont l’effet serait de neutraliser l’application des alinéas 56(1)b), c) et c.1) ainsi que des alinéas correspondants de l’article 60 du seul fait qu’une pension ou une allocation n’est versée que pour subvenir aux besoins des enfants.

 

 

[20]        Dans l’affaire Badeau c. La Reine, [2002] 1 C.T.C. 2627, 2000 D.T.C. 2300, le juge en chef Garon avait à considérer une pension alimentaire pour enfants. Le 30 octobre 1992, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement obligeant l’ancien conjoint de l’appelante à verser à l’appelante certains montants à titre de pension alimentaire pour enfants. Le texte du dispositif de ce jugement se lit :

 

CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse, pour ses enfants, une pension alimentaire mensuelle de DEUX MILLE SEPT CENT CINQUANTE DOLLARS (2 750 $), la demanderesse devant se charger des frais de la maison, y compris les versements d’hypothèques, chauffage, taxes, électricité, etc.; cette somme devra être déposée le 1er de chaque mois dans le compte de banque de la demanderesse à la Caisse d’Économie des Cantons, numéro 208104.

 

 

[21]        Le juge Garon, se fiant à la décision du juge Dussault rendu dans l’affaire Hamer, supra, était d’avis que la bénéficiaire d’une pension alimentaire pour enfants ne pouvait utiliser ces paiements à sa discrétion s’il y avait un lien entre l’obligation imposée à l’ancien conjoint de payer la pension alimentaire et l’obligation de l’appelante d’acquitter les frais relatifs à la maison familiale. Il a statué ainsi au paragraphe 18 :

 

[18]      Si on examine maintenant le paragraphe précité -- reproduit au paragraphe 14 de ces motifs -- du jugement du 30 octobre 1992 en tenant compte des observations qui précèdent, on constate qu’un lien est établi dans ce paragraphe entre l’obligation imposée à l’ancien conjoint de payer à l’appelante une pension alimentaire mensuelle de 2 750 $ pour ses enfants et l’obligation de l’appelante d’acquitter les frais relatifs à la maison familiale décrits dans ce paragraphe. Vu cette obligation imposée à l’appelante d’acquitter les frais relatifs à la maison familiale, je suis d’avis que l’appelante ne peut pas utiliser à sa discrétion la partie des versements mensuels de 2 750 $ effectués en vertu du jugement du 30 octobre 1992 qui a été utilisée pour acquitter ces frais. Le paiement de ces frais relatifs à la maison familiale constitue la seule obligation purement financière imposée à l’appelante par ce jugement. La formulation de ce paragraphe du jugement suggère que l’obligation de l’appelante d’acquitter les frais dont il est question est dans une certaine mesure la contrepartie de l’obligation de l’ancien conjoint de faire les versements mensuels de 2 750 $. Est particulièrement significatif le fait que les frais reliés à la résidence familiale payés par l’appelante en 1993 étaient prélevés directement du compte de l’appelante dans lequel étaient versés les montants par son ancien conjoint, comme cela appert des paragraphes 5 et 6 de l’« Entente partielle sur les faits ».

 

 

[22]        Dans Riendeau c. Canada, [2002] A.C.I no 130 (QL), [2002] T.C.J. No. 130 (QL), [2004] 1 C.T.C. 2170, le juge Tardif de cette Cour avait à considérer les clauses suivantes d’une convention intervenue entre les parties, laquelle a été entérinée par la Cour supérieure dans un jugement en date du 11 décembre 1996 :

 

a)         La défenderesse devra elle-même effectuer directement le paiement hypothécaire (incluant les taxes municipales et scolaires) de la résidence du 755, Croissant De La Bolduc, à Ville Ste-Catherine, en faisant un dépôt direct au compte bancaire du demandeur, à la Caisse Populaire de Kateri, à Ville Ste-Catherine, ledit dépôt devra s’effectuer le 13e jour de chaque mois et s’élèvera à la somme mensuelle approximative de 800 $;

 

b)         La défenderesse devra également effectuer les paiements des comptes tels Hydro-Québec, Bell Canada, Câblevision ainsi que le paiement de l’assurance-habitation inhérent à la résidence du 755, Croissant De La Bolduc, à Ville Ste-Catherine;

 

c)         La défenderesse assumera les frais d’entretien courants de la résidence sise au 755, Croissant De La Bolduc, à Ville Ste-Catherine;

 

[23]        L’appelante dans Riendeau prétendait qu’une partie du montant reçu de son ex‑conjoint ne devrait pas être qualifiée de pension alimentaire imposable. Elle a soutenu que tous les montants relatifs aux engagements qu’elle devait respecter en vertu de la convention, et cela à même le montant global obtenu de son ex-conjoint, devaient être exclus de la pension alimentaire imposable entre ses mains. Il s’agissait selon elle, de montants sur lesquels elle n’avait aucune discrétion, étant tenue de les payer à des tiers selon des instructions très claires et bien définies.

 

[24]        Le juge Tardif s’est prononcé sans équivoque – l’appelante n’avait aucune discrétion quant aux montants dont elle devait assumer la responsabilité en vertu de la convention et donc le juge Tardif a accordé l’appel. Il a statué aux paragraphes 19 et suivant :

[19]      Pour l’instant, je dois déterminer si la convention rencontre les exigences pour être totalement imposable pour l’appelante.

 

[20]      Le libellé de la convention est clair et non équivoque; l’appelante devait amputer de la somme globale obtenue de son ex-conjoint des montants spécifiques ou bien définis pour assumer le paiement d’obligations à l’endroit de tiers pièces [sic].

 

[21]      En termes clairs, l’appelante agissait comme intermédiaire ou mandataire pour le débiteur alimentaire. La partie du montant que recevait l’appelante et qu’elle devait utiliser d’une manière spécifique afin d’acquitter des obligations expressément définies faisait qu’elle n’avait aucune discrétion ou latitude quant à la jouissance de ces montants.

 

[22]      Malgré cette clarté, il semble que le Ministre aurait voulu que l’appelante agisse comme porteuse ou messagère d’un chèque préparé par son ex-conjoint à l’ordre des tiers créanciers pour admettre que cette dernière n’avait aucune discrétion sur les montants en question.

 

[23]      Ma compréhension du vocabulaire utilisé est à l’effet que l’appelante n’avait aucune discrétion quant aux montants dont elle devait assumer la responsabilité en vertu de la convention.

 

[25]        Donc, selon ce courant jurisprudentiel, il semble que si selon les termes d’un accord ou d’une ordonnance, le ou la bénéficiaire d’une pension alimentaire reçoit des versements à condition qu’il ou elle s’acquitte de certaines dépenses au bénéfice du ou de la bénéficiaire ou de ses enfants, et que ces dépenses sont expressément spécifiques et bien définies selon l’accord ou l’ordonnance, le ou la bénéficiaire ne peut utiliser ces paiements à sa discrétion et les versements de pension alimentaire ne sont pas imposables entre ses mains. 

 

[26]        Par contre, l’intimée invoque à l’appui de ses arguments le deuxième courant jurisprudentiel qui est axé sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Pascoe, précité. Dans Pascoe, la seule question était à savoir si, dans le calcul de son revenu, l’intimé avait droit de déduire certaines sommes qu’il avait payées à son ex-épouse à titre de frais médicaux, frais dentaires et tous les frais d’hospitalisation pour l’ex-épouse et des enfants ainsi que les frais d’éducation pour les enfants aux termes d’un acte de séparation et d’un jugement conditionnel de divorce. Il s’agissait de l’interprétation du libellé du paragraphe 11(1)l) de l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenu lequel est reproduit comme suit :

 

… les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d’un contribuable pour l’année d’imposition … un montant payé par le contribuable … à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour l’entretien de la personne qui la reçoit ou des enfants issus du mariage …

 

[27]        Le juge Pratte de la Cour d’appel fédérale était d’avis que ni les sommes versées par l’intimé pour l’éducation de ses enfants ni celles versées à titre de frais médicaux n’étaient déductibles du revenu du payeur. Il a statué ainsi au paragraphe 7 :

 

7          Tout d’abord, nous sommes d’avis que le versement de ces sommes ne constitue pas le versement d’une allocation au sens de l’article 11(1)1). Selon nous, une allocation est une somme d’argent limitée et déterminée à l’avance, versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à l’avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à rendre à personne. Un versement effectué pour satisfaire à une obligation d’indemniser ou de rembourser quelqu’un ou de le défrayer de dépenses réellement engagées n’est pas une allocation; il ne s’agit pas en effet d’une somme susceptible d’être affectée par celui qui la touche, à sa discrétion, à certains types de dépenses.

 

[28]        Dans l’affaire Byers v. M.N.R. (1985), 85 DTC 129, le mari était obligé par les termes d’une ordonnance de la Cour supérieure de la Colombie-Britannique de verser la somme de 700 $ par mois à sa femme à titre de pension alimentaire. L’ordonnance obligeait la femme à payer les versements mensuels d’hypothèque. Le juge Bonner a décidé que ces montants étaient déductibles du revenu du mari et imposables comme revenu entre les mains de son épouse. Le juge Bonner explique :

 

            In my view the word ‘allowance’ in its ordinary meaning comprehends payments intended to cover defined classes of expense. For example a payment or series of payments made by a parent to a child can properly be called an allowance, even though the parent specifies the use to which the money is to be applied.

 

            I construe the Court Order in question here as doing nothing more than specifying one of the classes of expense intended to be covered by the $700.00 monthly payment. It is evident that the parties so construed the Order because, as previously noted, when the mortgage payments increased the monthly payments made by the Appellant to Mrs. Byers did not. It was, I assume, thought necessary in drafting the Order to identify Mrs. Byers as the person liable to make the mortgage payments because the house was owned jointly and both she and the Appellant were, without doubt, jointly liable on the usual covenant in the mortgage to repay the borrowed money.

 

            There is, in my view, a marked distinction between the allowance in question here which was intended to cover a myriad of purposes, only one of which was the mortgage component of Mrs. Byers shelter costs, and obligations to pay creditors directly or to indemnify a spouse against named classes of expense of the sort in question in the PascoeWeaver … and Gagnon … cases relied on by counsel for the Minister. I note too that the Appellant’s obligation to pay $700.00 per month is not expressly made conditional on payments by Mrs. Byers of the mortgage instalments.

 

[29]        Dans l’affaire Fry v. Canada, [1995] T.C.J. no 223 (QL), l’appelante recevait la somme de 3 000 $ chaque mois comme pension alimentaire en conformité aux termes d’une ordonnance intérimaire émanant de la Cour de l’Ontario (Division générale). Par contre, l’appelante était obligée par les termes de cette ordonnance de payer les frais d’hypothèque, les taxes foncières, l’assurance habitation et les services. On voit donc que Fry est un cas qui est très similaire au cas en l’espèce. L’appelante affirmait que ces montants étaient déductibles du revenu en vertu du paragraphe 56(1) de l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenu par raison du fait que les obligations de l’appelante en vertu de l’ordonnance ne lui permettaient aucune discrétion en ce qui concernait ces dépenses. Le juge Sarchuk de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas retenu cet argument et a donc rejeté l’appel. Il a conclu que l’appelante avait l’usage exclusif de la résidence et était responsable des paiements d’hypothèque, taxes, assurance et services. Elle n’était pas obligée de rendre compte à son mari et donc, elle pouvait utiliser les versements de la pension alimentaire à sa discrétion.

 

[30]        Dans l’affaire Arsenault c. Canada, [1995] A.C.I. no 241 (QL), l’appelante avait déduit la somme de 8 560 $ dans le calcul de son revenu comme pension alimentaire ou allocation d’entretien des enfants. Conformément à un accord de séparation, l’appelant devait verser à sa conjointe une pension alimentaire. L’appelant payait le loyer pour sa conjointe par moyen de chèques mensuels de loyer qui étaient libellés à l’ordre du propriétaire, mais donnés à la conjointe et celle-ci les remettait au propriétaire. L’appelant prétendait que ces paiements de loyer étaient à titre de pension alimentaire conformément aux termes de l’accord écrit de séparation. Le ministre du Revenu avait refusé ces déductions. Le juge Brulé de la Cour canadienne de l’impôt, en accordant l’appel, a décidé que les paiements étaient déductibles du revenu du payeur et donc imposables entre les mains de la bénéficiaire. Il a statué comme suit :

 

18        On ne conteste certainement pas que les sommes devant être payées doivent être limités et déterminés à l’avance et qu’elles doivent être versées afin de permettre au bénéficiaire de faire face à certains types de dépenses. La seule question est de savoir si la bénéficiaire avait la libre disposition des sommes en cause dans l’affaire en instance, sans qu’elle ait des comptes à rendre à qui que ce soit à leur sujet.

 

19        La Cour est d’avis qu’il existait en l’espèce un accord complet entre l’appelant et sa conjointe. Cette dernière recevait les chèques destinés au propriétaire (pour la raison exposée précédemment), puis les lui remettait. Elle aurait pu insister pour que les paiements lui soient faits directement, mais il était plus commode et plus avantageux de suivre la méthode qui avait effectivement été adoptée.

 

20        L’ex-conjointe de l’appelant recevait « implicitement » les sommes en question. Elle avait consenti à ce qu’elles soient versées au propriétaire, faisant ainsi de ce dernier son mandataire pour la réception et l’affectation appropriée de ces sommes. …

 

21        En l’espèce, la conjointe était légalement en droit d’exiger que le paiement soit fait à elle plutôt qu’au propriétaire. C’est là où joue l’élément de discrétion.

 

[31]        En appel de cette décision ([1996] A.C.F. no 202 (QL)), le juge Strayer de la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Brulé. Il était d’accord que, selon les faits en l’espèce, l’ex-conjointe du contribuable conservait le pouvoir discrétionnaire de décider comment la somme d’argent était versée en application de l’accord de séparation.

 

[32]         Dans Hak c. Canada, [1998] A.C.I. no 921 (QL), le ministre avait refusé la déduction par l’appelant de la somme de 12 000 $ à titre de pension alimentaire ou d’allocation d’entretien payée à sa conjointe, dont il était séparé. Selon les termes d’un accord de séparation, le mari (l’appelant) s’engageait comme suit :

 

5.         Anwar Hak [l’appelant] versera une pension alimentaire de 1 000 $ par mois ou paiera;

 

le loyer de l’appartement 455 $ par mois

les services publics, soit environ 200 $ par mois

la prime de régime de soins de santé, soit environ 100 $ par mois Total 750 $ [sic] par mois

et 245 $ par mois au titre de dépenses diverses, soit en tout 1 000 $ par mois.

 

[…]

 

7.         Toutes dépenses supplémentaires seront payées par Anwar Hak comme bon lui semblera.

 

[33]        Donc, au lieu de payer ces sommes à sa conjointe, l’appelant les payait directement aux personnes ayant le droit de recevoir ces paiements au nom et au profit de la conjointe de l’appelant. Le juge Bowman de la Cour canadienne de l’impôt avait à décider si la conjointe de l’appelant pouvait utiliser ces paiements à sa discrétion. Si oui, les dépenses étaient déductibles du revenu de l’appelant et elles seront imposables entre les mains de sa conjointe.

 

[34]        Au paragraphe 17 de ses motifs du jugement, le juge Bowman s’est prononcé comme suit :

 

Il semble bien évident que Fazima Hak [la conjointe] avait un pouvoir discrétionnaire à l’égard de la totalité de la somme de 1 000 $ et qu’elle a exercé ce pouvoir en faisant de son mari son mandataire pour qu’il paie pour elle certaines dépenses comme les frais de services publics et le loyer. Ce que Fazima Hak disait en fait à son mari c’est qu’il devait lui verser 1 000 $ par mois et qu’il pouvait satisfaire à une partie de cette obligation en payant pour elle certaines de ses factures. 

 

[35]        Le juge Bowman observa au paragraphe 31 :

 

31        … Le paiement du loyer et des frais de services publics était simplement une autre façon, dont les conjoints avaient convenu, de satisfaire à une partie de l’obligation de l’appelant de verser à sa conjointe l’allocation de 1 000 $ par mois. L’omission de mentionner dans l’accord qu’une disposition n’ayant de toute façon aucune application doit s’appliquer aux paiements ne peut être fatale pour la déductibilité en vertu de l’alinéa 60 b).

 

[36]        Le juge Bowman discute ensuite de deux décisions de la Cour d’appel fédérale : Arsenault c. Canada, précité, et Armstrong v. Canada, [1996] F.C.J. No. 599 (QL). Armstrong fut décidé seulement trois mois après Arsenault. Ces deux décisions émanant de la même cour semblent se contredire. La formation collégiale dans Arsenault était constituée des juges Stone, Strayer et MacGuigan. La formation collégiale dans Armstrong se constituait des juges Stone, Linden et le juge en chef Isaac. Le jugement dans Armstrong a été rendu par le juge Stone qui était le juge dissident dans Arsenault. Dans Armstrong, la cour de première instance avait ordonné au contribuable d’effectuer les paiements hypothécaires mensuels relatifs à la maison conjugale où habitait son épouse. La Cour d’appel fédérale a décidé que ces paiements n’étaient pas une « allocation » au sens du paragraphe 56(12), car la conjointe ne pouvait utiliser les paiements hypothécaires à sa discrétion. Le juge Bowman a souligné le résultat contradictoire de ces deux décisions dans des circonstances similaires. Il a statué comme suit.

 

37        … Dans la présente espèce, les paiements sont à mon avis visés par l’alinéa 60b) et l’accord entre les conjoints ne fait que permettre à l’appelant de s’acquitter en partie de son obligation de verser le montant périodique de 1 000 $ en payant certaines factures que l’épouse aurait autrement à payer sur l’allocation de 1 000 $ par mois. Selon moi, la présente espèce ressemble beaucoup plus à l’affaire Arsenault. En l’absence d’une indication claire au contraire, je ne peux présumer que, dans l’arrêt Armstrong, la Cour d’appel fédérale entendait casser la décision qu’elle avait elle-même rendue trois mois plus tôt dans l’affaire Arsenault. En fait, la présente cause est plus forte que la cause Arsenault. Dans l’affaire Arsenault, l’époux avait unilatéralement présenté à son épouse des chèques à l’ordre d’une tierce personne alors qu’en l’espèce, les paiements ont été faits avec le consentement exprès de l’épouse.

 

38        L’appel est admis …

 

[37]        Le juge Bowman a déterminé que la bénéficiaire pouvait utiliser les paiements de la pension alimentaire à sa discrétion; donc, les dépenses étaient déductibles du revenu de l’appelant et elles étaient imposables entre les mains de sa conjointe

 

[38]        L’affaire Andrée Larivière c. La Reine, 2011-1480(IT)I, appel entendu le 30 janvier 2013, jugement rendu le 27 mars 2013, est un cas très semblable au cas en l’espèce. Le ministre avait ajouté aux revenus de l’appelante un montant de 21 871 $ que l’appelante avait reçu au cours de l’année d’imposition 2009 à titre de pension alimentaire de la part de son ancien conjoint. Les deux époux avaient conclu un projet d’accord en date du 15 décembre 2008 (entériné par la Cour Supérieure du Québec le 28 janvier 2009), par lequel le mari s’engageait à payer à l’appelante une pension alimentaire pour épouse de 420 $ par semaine (soit 1 806 $ par mois) à compter du 10 novembre 2008.

 

[39]        Selon le projet d’accord, l’appelante avait l’usage exclusif de la résidence à charge, mais elle devait payer seule tous les frais inhérents à la résidence totalisant 1 701,45 $ par mois, et comprenant :

 

- Les taxes municipales et scolaires (166 $ par mois);

- Les paiements hypothécaires (1 200 $ par mois);

- Les assurances (39,45 $ par mois);

- Le câble et le téléphone de Vidéotron (130 $ par mois)

- Les factures d’électricité d’Hydro-Québec (166 $ par mois)

 

[40]        Le juge Favreau a eu à considérer l’alinéa 56(1)b), le paragraphe 56.1(1) et le paragraphe 56.1(4) de la Loi. Il a ensuite constaté que ces dispositions législatives ont pour objet de définir le montant de pension alimentaire reçu par un contribuable au cours d’une année, qui doit être inclus dans le calcul de son revenu pour l’année. Le juge Favreau nous explique qu’avant 1997, tout montant reçu à titre de pension alimentaire devait être inclus dans le revenu du contribuable. Depuis 1997, les pensions alimentaires pour enfants ne sont pas imposables. Donc, seulement les montants reçus qui ne sont pas attribuables à une pension alimentaire pour enfants doivent être inclus dans le revenu du bénéficiaire. Il est à noter qu’une pension alimentaire est, en vertu du paragraphe 56.1(4) de la Loi, considérée comme une pension alimentaire pour enfants si elle n’est pas uniquement destinée à subvenir aux besoins de l’ex-conjoint. 

 

[41]        Le juge Favreau explique que pour qu’un montant à recevoir puisse être considéré comme une pension alimentaire, il faut, selon la définition du paragraphe 56.1(4) de la Loi, qu’il soit payable ou à recevoir à titre d’allocation périodique aux besoins du bénéficiaire si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et si, selon le cas, les conditions de l’alinéa a) ou de l’alinéa b) de la définition sont rencontrées. La seule question en litige que le juge Favreau avait à décider était à déterminer si l’appelante pouvait utiliser à sa discrétion le montant de la pension alimentaire qu’elle a reçu de son ex-conjoint. Le juge Favreau a décidé que oui, elle pouvait utiliser la pension alimentaire à sa discrétion et donc le ministre était justifié d’inclure le montant en litige au revenu de l’appelante et le juge Favreau a rejeté l’appel

 

[42]        Le juge Favreau a bien considéré et analysé la jurisprudence portant sur la question du pouvoir discrétionnaire d’utiliser le montant d’une pension alimentaire. Le juge Favreau nous explique que le terme « allocation », tel que discuté dans Pascoe, précité, et tel que défini dans l’ancienne Loi de l’impôt sur le revenu, a cessé d’être utilisée dans la Loi à la suite de l’abrogation du paragraphe 56(12) par le paragraphe 8(3) du chapitre 25 des Lois du Canada de 1997, mais l’exigence pour le bénéficiaire de pouvoir exercer sa discrétion quant à l’utilisation du montant de la pension alimentaire a été insérée dans la définition même de l’expression « pension alimentaire » au paragraphe 56.1(4) de la Loi. Ceci signifie donc que les décisions jurisprudentielles rendues sous l’ancien régime de l’arrêt Pascoe et pendant l’existence du paragraphe 56(12) de la Loi continuent d’être applicables pour déterminer si un paiement reçu par un bénéficiaire se qualifie à titre de « pension alimentaire » au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi. Le juge Favreau discute ensuite de l’affaire Fontaine c. Canada [1993] A.C.I. no 587 (QL). Dans Fontaine l’appelante prétendait comme dans Larivière et comme dans le cas en l’espèce que les dépenses inhérentes à l’habitation du domicile conjugal, qu’elle était obligée de payer selon les termes d’un jugement entérinant les clauses d’un projet d’accord conclu entre les époux, n’étaient pas, selon elle, à son entière disposition et ne devait pas être considérées comme une allocation imposable. Cet argument n’a pas été retenu par le juge de la Cour canadienne de l’impôt et l’appel a donc été rejeté. Le juge Favreau a noté que dans l’affaire Arsenault, précité, la Cour d’appel fédérale a considéré que l’ex-conjointe de monsieur Arsenault pouvait utiliser à sa discrétion la somme d’argent qui lui était versée en application de l’accord de séparation et du jugement intervenu et ce, même si ladite somme était sous forme de chèques payables à un tiers lesquels ne pouvaient être affectés à aucune autre fin. Dans Larivière, le juge Favreau a conclu que l’appelante pouvait utiliser les paiements de pension alimentaire à sa discrétion et a donc rejeté l’appel. L’essentiel de son jugement se trouve au paragraphe 25 et suivants :

 

[25]      Une lecture attentive des clauses 2, 3 et 9 du projet d’accord du 15 décembre 2008 révèle que la pension alimentaire pour épouse de 420 $ par semaine a été déterminée en tenant compte des frais inhérents à la résidence principale, mais que l’obligation de verser la pension alimentaire pour épouse n’était assujettie à aucune condition. Par conséquent, l’appelante pouvait l’utiliser à sa discrétion.

 

[26]      L’obligation d’acquitter les frais inhérents à la résidence familiale était exclusivement rattachée à l’usage de la résidence jusqu’à sa vente. Il est bien sûr entendu que si l’appelante n’avait pas payé les frais inhérents à la résidence, l’intervenant aurait eu le droit d’exercer des recours contre l’appelante pour se faire indemniser pour les dommages et les pertes qu’il aurait pu subir.

 

[27]      Le fait pour l’appelante de ne pouvoir apporter de modifications au droit de propriété de la résidence familiale et à l’hypothèque l’affectant, ni au compte clients auprès d’Hydro-Québec et de Vidéotron Ltée, n’a pas pour effet d’empêcher l’appelante d’utiliser à sa discrétion le montant de la pension alimentaire qu’elle a reçu de la part de l’intervenant.

 

[43]        À mon avis, le raisonnement du juge Bowman dans Hak, précité, et du juge Favreau dans Larivière, précité, ne peut être assailli. De plus, les circonstances dans les cas de Byers, Hak et Larivière, précités, sont semblables aux circonstances en l’espèce.

 

Conclusion

 

[44]        Ayant considéré l’ensemble de la preuve ainsi que les représentations qui m’ont été présentées, j’arrive aux conclusions suivantes :

 

a.                 En l’espèce, la pension alimentaire reçue par l’appelante lui a été versée « pour son propre bénéfice personnel ». Ce libellé suggère que l’appelante pouvait utiliser les paiements de la pension alimentaire comme elle voulait.

 

b.                 L’appelante avait l’usage exclusif de la résidence familiale. L’obligation d’acquitter les frais inhérents à la résidence familiale était exclusivement rattachée à l’usage de la résidence.

 

c.                  Les frais afférents à la résidence n’étaient pas fixés, limités ou déterminés à l’avance. Le montant total de ces frais était seulement estimé à 1 760 $ par mois et ce montant pouvait varier d'un mois à l’autre.

 

d.                 L’obligation du mari de verser les paiements de pension alimentaire n’était assujettie à aucune condition. Si l’appelante acquitte les dépenses en cause ou qu’elle ne les acquitte pas, rien dans le consentement à jugement ne permet au mari de réduire le montant de la pension alimentaire ou de ne pas verser à l’appelante le montant de la pension alimentaire parce que les paiements des dépenses n’ont pas été effectués. 

 

e.                  En ce qui a trait à l’assurance habitation, la câblodistribution, le téléphone, le chauffage, l’entretien, le paysagement, le ménage et l’eau embouteillée, l’appelante avait le plein pouvoir de décider d’augmenter, de diminuer ou d’éliminer ces services. Elle retenait le pouvoir de changer les fournisseurs et la nature et la qualité de ces services. Quel que soit le montant qu’elle paie à titre de frais de résidence, le montant de la pension alimentaire, selon la convention, resterait inchangé.

 

f.                    Le fait que l’appelante était obligée de payer les versements mensuels de l’hypothèque n’avait pas pour effet d’empêcher l’appelante d’utiliser à sa discrétion le montant de la pension alimentaire.

 

g.                 L’appelante n’était pas obligée de fournir des pièces justificatives comme preuve qu’elle avait payé les dépenses. Elle n’était pas obligée de rendre compte à son mari. De plus, elle n’agissait pas à titre de mandataire ou intermédiaire pour son mari.

 

[45]        Pour ces raisons, j’arrive à la conclusion que l’appelante avait la libre disposition des sommes en cause et elle pouvait utiliser les paiements de pension alimentaire à sa propre discrétion.

 

[46]        L’appel est rejeté.

 

 

Signé à Montréal, Québec, ce 20e jour de novembre 2013.

 

 

« Rommel G. Masse »

Juge suppléant Masse

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                 2013 CCI 304

 

Nº DU DOSSIER DE LA COUR :    2012-2809(IT)I

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            CHRISTIANE LEMIEUX c.

                                                          SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

MODIFIÉS PAR :                             L'hon. Rommel G. Masse, Juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS DE

JUGEMENT MODIFIÉS:                 le 21 novembre 2013

 

COMPARUTIONS :

 

Avocat de l'appelante :

Me Marc-André Paquin

Avocate de l'intimée :

Me Marie-France Camiré

 

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

 

       Pour l'appelante:

 

                     Nom :                           Me Marc-André Paquin

 

                 Cabinet :                          Jurifisc avocats et fiscalistes inc.

                                                          Laval, Québec

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada

 

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