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Dossier : 2008‑2896(IT)G

ENTRE :

CONRAD BLACK,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

___________________________________________________________________

Demande de détermination entendue

les 15 et 16 mai 2013, à Toronto (Ontario).

 

Devant : L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

Comparutions :

 

Avocats du requérant :

Me David C. Nathanson (c.r.)

MAdrienne K. Woodyard

Avocats de l’intimée :

MArnold H. Bornstein

MDiana Aird

____________________________________________________________________

 

DÉTERMINATION

 

          Vu la requête présentée par l’avocat du requérant en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt, (procédure générale) pour que la Cour se prononce, avant l’audience, sur la question de droit suivante :

 

Eu égard à la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni (1978) et à la Loi de 1980 sur la Convention Canada‑Royaume-Uni en matière d’impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut‑il établir une cotisation à l’égard du requérant compte tenu du fait que celui‑ci était un résident du Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à l’un quelconque des éléments visés aux alinéas 5i) à vi) ainsi qu’à l’alinéa 5viii) de l’avis d’appel modifié à deux reprises?

 

          Et après avoir entendu les représentations des parties;

 

          La Cour conclut que le ministre peut établir une cotisation à l’égard du requérant compte tenu du fait que celui‑ci était un résident du Canada pour l’application de la Loi, relativement à l’un quelconque des éléments visés aux alinéas 5i) à vi) ainsi qu’à l’alinéa 5viii) de l’avis d’appel modifié à deux reprises.

 

          Les parties peuvent présenter des représentations à la Cour à l'égard des frais dans un délai de 60 jours.

 

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2014.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 

 


 

 

 

 

Référence : 2014 CCI 12

Date : 20140114

Dossier : 2008‑2896(IT)G

ENTRE :

CONRAD BLACK,

requérant,

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

 

 

MOTIFS DE DÉTERMINATION

 

Le juge en chef Rip

 

[1]             La Cour est appelée à se prononcer sur la question de droit suivante présentée en vertu de l’article 58 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale) (les « Règles ») :

 

Eu égard à la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni (1978) et à la Loi de 1980 sur la Convention Canada-Royaume-Uni en matière d’impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national (le « ministre ») peut‑il établir une cotisation à l’égard du requérant compte tenu du fait que celui‑ci était un résident du Canada pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement à l’un quelconque des éléments visés aux alinéas 5i) à vi) ainsi qu’à l’alinéa 5viii) de l’avis d’appel modifié à deux reprises?

 

[2]             Il n’est pas contesté que, abstraction faite de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni[1] (la « Convention »), le requérant était un résident du Canada en 2002 pour l’application de la Loi. En sa qualité de résident du Canada, il est imposable, au titre de la partie I de la Loi, sur son revenu de toutes provenances. En 2002, le requérant était aussi résident du Royaume‑Uni (le « R.‑U. ») en ce qui concerne l’impôt du R.‑U. L’article 4 de la Convention définit l’expression « résident d’un État contractant » pour l’application de la Convention et énonce des règles décisives pour les personnes ayant une double résidence. En vertu de l’alinéa a) du paragraphe 4(2) de la Convention, le requérant a été considéré comme un résident du R.‑U. et non un résident du Canada. Le ministre a établi une cotisation d’impôt sur le revenu à l’égard du requérant pour 2002 relativement aux montants visés par la cotisation mentionnés aux sous‑alinéas 1a) à g) de l’exposé conjoint des faits modifié, compte tenu du fait qu’il était un résident du Canada « pour l’application de la Loi » en 2002. Les montants en question comprennent le revenu tiré des fonctions de charges et d’emplois exercées à l’étranger.

 

[3]             Les points principaux dont il faut tenir compte pour examiner la question qui fait l’objet de la détermination sont les suivants :

 

a)       le paragraphe 4(2) de la Convention fiscale entre le Canada et le R.‑U. en vertu duquel le requérant est considéré (selon la règle décisive) comme un résident du R.‑U. pour l’application de la Convention l’emporte‑t‑il sur les dispositions de la Loi de manière à empêcher le ministre d’établir à l’égard du requérant, au titre de la partie I de la Loi, une cotisation relativement à certains revenus visés au paragraphe 1 de l’exposé conjoint des faits modifié (les « éléments visés par la cotisation ») en 2002 en sa qualité de résident du Canada pour l’application de la Loi?

 

b)      le paragraphe 27(2) de la Convention s’applique‑t‑il pour permettre au ministre d’établir une cotisation à l’égard du requérant, au titre de la partie I de la Loi, en sa qualité de résident du Canada relativement à l’un quelconque des éléments visés par la cotisation?

 

LES FAITS

 

[4]              L’affaire a été instruite en fonction de l’exposé conjoint des faits modifié suivant :

 

[traduction]

1.         Au moyen d’une série de nouvelles cotisations, dont la dernière (la « nouvelle cotisation ») fait l’objet du présent appel, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard du requérant au titre de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu (la « Loi ») relativement aux montants suivants [appelés dans les présents motifs « éléments visés par la cotisation »] :

 

a)         2 862 385 $ au titre de revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par le requérant à l’étranger[2];

 

b)         90 291 $ au titre de la valeur de l’avantage tenu pour acquis par le ministre comme ayant été reçu par le requérant de 10 Toronto Street Inc (la société « 10 Toronto ») pour la garantie payée relativement à la maison du requérant située au 26 Park Lane Circle, à Toronto;

 

c)         87 834 $ au titre de la valeur de l’avantage tenu pour acquis par le ministre comme ayant été reçu par le requérant de The Ravelston Corporation (la société « Ravelston ») pour un montant payé à John Hillier;

 

d)         326 177 $ au titre de dividendes imposables reçus par le requérant;

 

e)         28 035 $ au titre d’intérêts et autres revenus de placement reçus par le requérant;

 

f)         365 564 $ au titre d’avantages. Le ministre a tenu pour acquis que le requérant était réputé avoir reçu le montant en question au titre des paragraphes 15(1), 15(9) et 80.4(2) de la Loi relativement à des dettes que le requérant avait envers Conrad Black Capital Corporation (la société « CBCC »).

 

g)         1 367 055 $ au titre d’avantages que selon ce que le ministre a tenu pour acquis avaient été accordés au requérant par suite de l’utilisation par celui‑ci d’un avion auquel Hollinger International Inc. avait accès et que le requérant utilisait[3].

 

2.         La nouvelle cotisation a été établie compte tenu du fait que le requérant était un résident du Canada pour l’application de la Loi relativement à l’année d’imposition 2002.

 

3.         L’intimée soutient que les avantages visés aux alinéas 1b) et c), respectivement, ont été accordés au requérant au titre, dans le cadre ou en raison de la charge ou de l’emploi que le requérant exerçait auprès des sociétés 10 Toronto et Ravelston, respectivement, au titre de l’alinéa 6(1)a) de la Loi.

 

4.         L’intimée avance la thèse subsidiaire suivante concernant l’avantage au titre de l’intérêt mentionné à l’alinéa 1f) : l’avantage a été accordé au requérant en raison de l’emploi ou de la charge antérieur ou actuel du requérant auprès de CBCC au titre des paragraphes 80.4(1) et (9) de la Loi.

 

5.         L’intimée soutient que l’avantage concernant l’avion, visé à l’alinéa 1g), a été accordé au requérant au titre, dans le cadre ou en raison de la charge ou des charges de l’emploi ou des emplois que le requérant exerçait auprès d’au moins l’une des sociétés suivantes : Hollinger Inc., Hollinger International Inc. et Ravelston, au titre de l’alinéa 6(1)a) de la Loi. Subsidiairement, l’intimée avance que l’avantage a été reçu par le requérant en raison de sa participation directe ou indirecte dans au moins une des sociétés susmentionnées au titre des paragraphes 15(1), 56(2) ou de l’article 246 de la Loi.

 

6.         Le requérant est devenu résident du Royaume-Uni en vertu des lois du R.‑U. en 1992 et il en est demeuré résident pendant toute l’année 2002.

 

7.         Le requérant était, dans l’année d’imposition 2002, mises à part les dispositions de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume-Uni (1978) et la Loi de 1980 sur la Convention Canada-Royaume-Uni en matière d’impôt sur le revenu[4] (la « Loi sur la Convention »), un résident du Canada pour l’application de la Loi.

 

8.         Le requérant ne résidait pas dans un autre pays que le Canada ou le R.‑U. en 2002; pas plus qu’il n’est devenu résident d’un autre pays entre 1992 et 2002.

 

9.         Le requérant était considéré comme résident du R.‑U. en vertu du paragraphe 2 de l’article 4 de la Loi sur la Convention.

 

10.       Le requérant était résident du R.‑U., mais n’y était pas domicilié. Étant donné qu’il n’était pas domicilié au R.‑U., le requérant n’était assujetti à l’impôt au R.‑U. que sur la partie de son revenu provenant d’autres sources que le R.‑U. qui avait été transféré ou reçu au R.‑U.

 

11.       Aucun des montants mentionnés aux alinéas 1b) à g) n’a été transféré ou reçu au R.‑U. et, par conséquent, aucun de ces montants n’a été assujetti à l’impôt au R.‑U.

 

12.       Le ministre du Revenu national a supposé que le montant mentionné à l’alinéa 1a) concernait les fonctions de charges et d’emplois exercées aux États-Unis (les « É.‑U. »)

 

13.       Le requérant déclare que le montant mentionné à l’alinéa 1a) concernait les fonctions de charges et d’emplois exercées aux É.‑U. et au R.‑U.

 

14.       Dans la mesure où le montant mentionné à l’alinéa 1a) concerne les fonctions de charges et d’emplois exercées au R.‑U., il n’a pas été transféré ou reçu au R.‑U., mais il était assujetti à l’impôt au R.‑U.

 

15.       Dans la mesure où le montant mentionné à l’alinéa 1a) concerne les fonctions de charges et d’emplois exercées aux É.‑U., il n’a pas été transféré, ou reçu au R.‑U. et il n’y était pas assujetti à l’impôt.

 

16.       Le montant de 808 226 $ tiré des fonctions de charges et d’emplois exercées par le requérant au Canada a été inscrit par ce dernier dans sa déclaration de revenus pour 2002, et le ministre l’a inclus dans le revenu du requérant au moyen de la nouvelle cotisation.

 

17.       Si le requérant était un résident du Canada pour l’application de la Loi, alors le montant de 808 226 $ a été inclus à juste titre dans le calcul de son revenu en tant que résident.

 

18.       Si le requérant n’était pas un résident du Canada pour l’application de la Loi, alors le montant de 808 226 $ a été inclus à juste titre dans le calcul de son revenu en vertu du paragraphe 2(3) et du sous‑alinéa 115(1)a)(i) de la Loi.

 

19.       Si le requérant n’était pas un résident du Canada pour l’application de la Loi, alors le ministre n’était pas fondé à établir une cotisation à l’égard du requérant au titre de la partie I de la Loi relativement à l’un ou l’autre des éléments mentionnés au paragraphe 1.

 

20.       Si le requérant était un résident du Canada pour l’application de la Loi, alors le ministre :

 

a)         était fondé à établir une cotisation à l’égard du requérant au titre de la partie I de la Loi relativement aux montants mentionnés à l’alinéa 1a) qui se rapportent aux fonctions de charges et d’emplois exercées ailleurs qu’au R.‑U.;

 

b)         était fondé à établir une cotisation à l’égard du requérant au titre de la partie I de la Loi relativement à chacun des éléments mentionnés aux alinéas 1b) à 1g), sous réserve de la conclusion à l’audience à l’égard de la question de savoir si les montants visés aux alinéas 1b), c) et g) représentaient des avantages imposables reçus par le requérant et, le cas échéant, dans quelle mesure.

 

LES DISPOSITIONS DE LA CONVENTION

 

[5]             L’article 4 de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume-Uni dispose en partie :

 

1.    Au sens de la présente Convention, l’expression « résident d’un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue. Toutefois, cette expression ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet État contractant que pour les revenus de sources situées dans cet État.

 

1.    For the purposes of this Convention, the term "resident of a Contracting State" means any person who, under the law of that State, is liable to taxation therein by reason of his domicile, residence, place of management or any other criterion of a similar nature. But this term does not include any person who is liable to tax in that Contracting State in respect only of income from sources therein.

 

 

2.    Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

 

2.    Where by reason of the provisions of paragraph 1 an individual is a resident of both Contracting States, then his status shall be determined as follows:

 

a)   cette personne est considérée comme résident de l’État contractant où elle dispose d’un foyer d’habitation permanent. Lorsqu’elle dispose d’un foyer d’habitation permanent dans chacun des États contractants, elle est considérée comme résident de l’État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

(a)   he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has a permanent home available to him. If he has a permanent home available to him in both Contracting States, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State with which his personal and economic relations are closer (centre of vital interests);

[…]

 

[6]             En 2002, le paragraphe 2 de l’article 27 de la Convention était libellé ainsi :

 

Lorsque, en vertu d’une disposition de la présente Convention, une personne a droit dans un État contractant à un allégement d’impôt sur un certain revenu et, en vertu de la législation en vigueur dans l’autre État contractant, cette personne est soumise à l’impôt dans cet autre État à raison du montant de ce revenu qui y est transféré ou perçu, l’allégement qui doit être accordé dans le premier État en vertu de la présente Convention ne s’applique qu’au montant dudit revenu ainsi transféré ou perçu.

Where under any provision of this Convention any person is relieved from tax in a Contracting State on certain income and, under the law in force in the other Contracting State, that person is subject to tax in that other State in respect of that income by reference to the amount thereof which is remitted to or received in that other State, the relief from tax to be allowed under this Convention in the first-mentioned State shall apply only to the amounts so remitted or received.

 

[7]             La Convention a été intégrée aux lois du Canada par la Loi de 1980 sur la Convention Canada-Royaume-Uni en matière d’impôt sur le revenu (la « Loi sur la Convention »). Les paragraphes 30(1) et (2) de la Loi sur la Convention disposent :

 

30(1) La Convention est approuvée et a force de loi au Canada pendant la durée de validité prévue par son dispositif.

30(1)   The Convention is approved and declared to have the force of law in Canada during such period as, by its items, the Convention is in force.

 

(2)     Les dispositions de la présente partie et de la Convention l’emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou règle de droit.

 

(2)        In the event of any inconsistency between the provisions of this Part, or the Convention, and the provisions of any other law, the provisions of this Part and the Convention prevail to the extent of the inconsistency.

 

 

LES OBSERVATIONS DES PARTIES

 

[8]             Le requérant soutient qu’il n’est pas assujetti à l’impôt au Canada relativement aux éléments visés par la cotisation. L’intimée soutient le contraire. Les deux parties conviennent que, selon la Convention, le requérant n’est tenu au paiement de l’impôt au R.‑U. qu’au moment où le revenu relatif aux éléments visés par la cotisation est transféré ou reçu au R.‑U. Par conséquent, si le requérant a raison, il n’est assujetti à l’impôt à l’égard des éléments visés par la cotisation pour 2002 dans aucun des deux pays. Si le texte d’une convention fiscale — ou de la Loi — comporte une lacune qui ne reflète pas l'intention du rédacteur et que cette lacune permet à un contribuable de prendre légitimement des dispositions à l’égard de ses affaires de telle sorte qu’il ne soit assujetti à l’impôt nulle part par exemple, il n’appartient pas à la Cour de remédier à cette lacune. Néanmoins, tel n’est pas le cas en l’espèce.

 

a)       Le requérant

 

[9]             Le requérant soutient que, lorsqu’une personne est considérée comme un résident du Canada en vertu de la Loi sans qu’il soit tenu compte de la Convention, mais qu’elle est considérée comme un résident du R.‑U. en vertu de la Convention, il y a là une [traduction] « incompatibilité évidente ». Dans un tel cas, déclare‑t’il, la Convention l’emporte sur la Loi de telle sorte que la personne sera considérée comme un résident du R.‑U. et non du Canada, même pour l’application de la Loi[5].

 

[10]        En conséquence, le requérant conclut que, vu qu’il a été considéré comme étant un résident du R.‑U. en vertu du paragraphe 4(2) de la Convention, il n’était pas un résident du Canada pour l’application de la Loi et que, par conséquent, il n’était pas assujetti à l’impôt au Canada à l’égard des éléments visés par la cotisation. Le requérant estime qu’il ne pouvait pas être résident du R.‑U. seulement pour l’application de la Convention et, en même temps, résident du Canada pour l’application de la Loi. Une telle considération permettrait de faire abstraction des dispositions de la Convention et minerait son objet : éviter la double imposition.

 

[11]        L’avocat du requérant a devancé les observations de l’intimée concernant le paragraphe 27(2) de la Convention. Il a soutenu que la disposition visée ne s’appliquait pas en l’espèce. Le paragraphe 27(2) de la Convention ne confère pas au ministre le pouvoir d’établir une cotisation à l’égard du requérant au titre de la partie I de la Loi à l’égard de son revenu tiré d’une charge et d’un emploi (« C & E ») à l’étranger ou à l’égard de l’un quelconque des éléments visés par la cotisation. Il soutient que le paragraphe 27(2) de la Convention ne s’applique que pour limiter l’application des articles 10, 11 et 12 de la Convention, soit des dispositions qui se rapportent aux dividendes, aux intérêts et aux redevances.

 

[12]        L’avocat du requérant a expliqué qu’un non‑résident du Canada qui reçoit des dividendes d’une source canadienne est habituellement assujetti à une retenue d’impôt de 25 % au titre de la partie XIII de la Loi. La Convention accorde un allègement aux non‑résidents, étant donné que, par exemple, la Convention prévoit que la retenue d’impôt pour les particuliers est de 15 % sur les dividendes. Toutefois, si le dividende n’est pas transféré ou reçu au R.‑U., tout allègement est refusé : la retenue d’impôt de 25 % prévue par la Loi devrait s’appliquer.

 

[13]        L’avocat du requérant a soutenu que, vu les règles décisives en matière de résidence prévues au paragraphe 4(2) de la Convention, l’appelant n’était pas assujetti à l’impôt au titre de la partie I de la Loi. Il n’y avait, par conséquent, aucun « impôt [au Canada] » pour lequel le requérant avait droit à un « allègement » en vertu « d’une disposition de [la] Convention » à l’égard duquel le paragraphe (2) de l’article 27 aurait pu s’appliquer. En conséquence, l’avocat du requérant a soutenu que le paragraphe 27(2) de la Convention n’a pas ouvert la porte pour permettre au ministre d’assujettir à l’impôt les éléments visés par la cotisation au titre de la partie I de la Loi. Le paragraphe 27(2) de la Convention a seulement permis au ministre d’établir une cotisation au titre de la partie XIII de la Loi au taux de 25 % pour les dividendes et les intérêts reçus par le requérant qui n’avaient pas été transférés ou reçus au R.‑U., et relativement auxquels le requérant aurait par ailleurs eu « droit à un allègement d’impôt » aux taux de 15 % et de 10 % prévus par les articles 10 et 11 de la Convention, respectivement. En l’espèce, le paragraphe (2) de l’article 27 de la Convention n’aurait simplement pas pu entrer en jeu et il n’est pas entré en jeu.

 

[14]        Finalement, le requérant soutient qu’il importe peu que le revenu du requérant tiré d’une C&E à l’étranger puisse ne pas avoir été assujetti à l’impôt en 2002 au R.‑U. ou au Canada. Le fait mentionné n’a aucune incidence sur la manière dont la Convention doit être interprétée. En effet, conclure autrement serait interpréter la Convention comme si son objet principal visait à éviter la [traduction] « double non‑imposition ». Le Canada ne peut pas invoquer les dispositions de la Loi pour justifier son défaut de reconnaître l’application de la Convention en vertu de laquelle le requérant est un résident du R.‑U., et non du Canada, pour l’application de la Loi.

 

b)      L’intimée

 

[15]        L’intimée soutient que le requérant est considéré comme un résident du R.‑U. en vertu du paragraphe 4(2) de la Convention uniquement pour l’application de celle‑ci. L’article 4 [traduction] « ne dicte pas le contenu de la loi [nationale] sur la "résidence" ». Le rôle du paragraphe 4(2) est de fournir [traduction] « une définition de l’expression "résidence" d’un État contractant » pour l’application de la Convention. Le requérant était en fait un résident du Canada au sens de la Loi et doit déclarer au ministre le revenu gagné pour 2002 en tant que résident du Canada. Il peut déduire le revenu qui est exonéré d’impôt ou demander l’application d’un taux réduit d’impôt sur le revenu selon les dispositions de la Convention.

 

[16]        Contrairement à l’interprétation que le requérant fait du paragraphe 27(2) de la Convention, l’intimée estime que, selon cette disposition, lorsque le Canada accorde au requérant un allègement fiscal sur certains revenus en vertu d’une disposition de la Convention et que le revenu est assujetti à l’impôt au R.‑U. en fonction du montant qui est transféré ou reçu au R.‑U., le Canada peut imposer le revenu qui n’a pas été transféré ou reçu au R.‑U. Le Canada peut imposer le requérant en tant que résident du Canada, là encore en dehors des restrictions imposées par la Convention, à l’égard de son revenu d’emploi, y compris les avantages sociaux, ainsi qu’à l’égard des dividendes et des intérêts. Et c’est ainsi que le ministre a établi une cotisation à l’égard du requérant pour 2002.

 

[17]        L’intimée soutient que, si un revenu ou un gain particulier n’est pas visé par la Convention, le Canada a le loisir d’inclure ce revenu ou ce gain dans le calcul de l’impôt sur le revenu du requérant pour 2002 conformément à la Loi sans aucune restriction imposée par la Convention.

 

L’ANALYSE

 

Interprétation de la Convention

 

[18]        La Convention de Vienne prévoit ce qui suit, au paragraphe 31(1) :

 

[u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

 

[19]        Le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Crown Forest Industries Limited c. Canada (« Crown Forest »)[6] a fait observer que « [l]’interprétation d’un traité vise d’abord et avant tout à trouver le sens des termes en question. Il convient donc de considérer le langage utilisé ainsi que l’intention des parties ». La cour a renvoyé aux commentaires du juge Addy, en les approuvant, dans la décision J.N. Gladden Estate v. The Queen[7] :

 

Contrairement à une loi fiscale ordinaire un traité ou une Convention en matière d’impôt doit être interprété de façon libérale, de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l’objet fondamental du traité pourrait être rejeté ou contrecarré dans la mesure où le point particulier à l’étude est visé.

 

[20]        Dans l’arrêt Crown Forest, le juge Iacobucci a examiné les documents extrinsèques pour « illustrer et clarifier les intentions des parties[8] ». De tels documents comprennent d’autres conventions fiscales internationales, le Modèle de convention de l’OCDE et les commentaires s’y rapportant, les explications techniques qui accompagnent les traités ainsi que la doctrine. Même les commentaires adoptés ultérieurement peuvent être invoqués pour interpréter une convention fiscale[9]. Le juge Iacobucci a également mentionné les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne.

 

[21]           Dans l’arrêt Swantje v. R.[10], la Cour d’appel fédérale a fait une mise en garde selon laquelle la démarche suivie pour interpréter un traité et la Loi ne peut pas être purement mécanique, mais qu’elle doit être fonctionnelle, que le système doit être considéré dans son ensemble, et l'on doit tenir compte de l’intention du législateur ainsi que de l’objet et de l’esprit de la loi et de son effet réel. Ce point de vue est semblable à celui retenu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Stubart Investments Ltd. v. The Queen[11] où celle‑ci a approuvé la brève description de l’interprétation des lois faite par E.A. Driedger, dont voici la teneur :

 

[TRADUCTION] Aujourd'hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur[12].

 

[22]        Pour interpréter la Convention et ses interactions avec la Loi, je dois adopter une démarche libérale et téléologique, non une démarche mécanique. Je dois tenir compte des termes clairs du traité et de l’intention des parties.

 

Article 4

 

[23]        L’objet de la Convention est exposé sans ambiguïté dans son titre : éviter la double imposition[13]. Toutefois, comme David Ward l’explique, de nombreux pays, dont le Canada, ont au fil du temps adopté dans leurs lois internes des dispositions d’allègement fiscal visant à éliminer ou à diminuer sensiblement la double imposition soit par des dispositions accordant un crédit, soit par une exonération ou par une combinaison des deux. En conséquence, M. Ward estime qu’actuellement, l’objectif principal d’une convention fiscale, du moins du point de vue du Canada, consisterait à répartir le pouvoir d’imposer entre le pays de la source du revenu et celui de la résidence du contribuable[14].

 

[24]        L’article 4 définit l’expression « Résident d’un État contractant » pour l’application de la Convention. Les parties conviennent que, selon la règle « décisive » énoncée à l’alinéa 4(2)a) de la Convention, le requérant résidait au R.‑U. en 2002 « pour l’application de la Convention ». Parallèlement, l’intimée laisse entendre qu’en 2002, le requérant était un résident du Canada pour l’application de la partie I de la Loi. Le requérant soutient que, si l’intimée a raison, il y alors incompatibilité entre la qualité de résident du Canada du requérant pour l’application de la Loi et celle de résident du R.‑U. pour l’application de la Convention. Le requérant soutient qu’en vertu du paragraphe 30(2) de la Loi sur la Convention, la Convention l’emporte : le requérant était un non‑résident du Canada en 2002 pour l’application de la Loi.

 

[25]        Le sens du terme « purposes » (« sens ») à l’article 4 peut être utile pour comprendre s’il existe un conflit. Le mot « purpose » est défini, en partie, dans The Shorter Oxford English Dictionary[15] de la manière suivante :

 

[traduction]

1. L’objet que l’on vise […] 3. L’objet qui est à l’origine d’une action ou d’une chose ou l’objet pour lequel une chose existe; fin, but […]

 

Dans la langue française, le terme « sens » signifie :

 

2. Ce qu’un signe (notamment un signe de langage) signifie … 3. Donner, fixer le sens d’un mot[16].

 

[26]        Lorsque l’expression « résident d’un État contractant » est utilisée dans la Convention, c’est la personne qui est définie comme telle à l’article 4 qui est « un résident de l’État contractant » en ce qui concerne la Convention. Les définitions que donnent les dictionnaires des termes « purposes » et « sens » soulignent un objet particulier, l’objet de la définition étant, en l’espèce, la Convention elle‑même et rien d’autre. Rien ne signale l’existence d’une incompatibilité. Les mots « purposes » et « sens » à l’article 4 sont conformes au seul sens qu’auraient pu avoir à l’esprit les parties qui ont rédigé la Convention.

 

[27]        L’article 4 de la Convention établit si le contribuable qui est résident du Canada et du R.‑U. peut obtenir un allègement en vertu de la Convention en tant que résident du R.‑U. ou en tant que résident du Canada. Si je m’en tiens au sens ordinaire de l’article 4 de la Convention, je ne peux conclure à aucune incompatibilité entre le fait d’être résident du Canada pour l’application de la Loi et le fait d’être résident du R.‑U. pour l’application de la Convention.

 

[28]        À ma connaissance, aucune jurisprudence n’établit que, lorsqu’une personne est considérée par la Convention comme résident du R.‑U. pour l’application de la Convention, la personne cesse d’être résident du Canada pour l’application de la Loi. La question de savoir si une personne a la qualité de résident du Canada pour l’application de la Loi est une question de fait. Le raisonnement selon lequel une personne considérée par la Convention comme un résident du R.‑U. est « par le fait même » résident du R.‑U. et non‑résident du Canada pour l’application de la Loi, comme l’affirme le requérant, est non seulement dépourvu de logique, mais il est aussi erroné. Tirer une telle conclusion reflète une méthode mécanique d’interprétation de la Convention et va bien au-delà de l’intention visée par celle‑ci.

 

[29]        Je ne puis conclure à une incompatibilité entre la Convention et la Loi dans les mots employés, et l’intention des rédacteurs de la Convention, la Loi sur la Convention. Les dispositions de la Convention et de la Loi peuvent coexister sans qu’il y ait conflit ou contradiction. Par exemple, il est évident que, si un revenu ou un élément de patrimoine n’est pas visé par la Convention, le pouvoir du Canada d’assujettir cet élément à l’impôt n’est pas limité par la Convention.

 

[30]        Dans l’arrêt Friends of the Oldman River Society[17], la Cour suprême du Canada a conclu que, pour que deux lois soient considérées comme incompatibles, elles doivent être tellement contradictoires que le fait de se conformer à l’une exige que l’on enfreigne l’autre, ou alors elles ne peuvent pas être conciliées :

 

Normalement, la loi fédérale doit l’emporter sur le texte réglementaire incompatible. Toutefois, en matière d’interprétation, un tribunal préférera, dans la mesure du possible, une interprétation qui permet de concilier les deux textes. Dans ce contexte, l’« incompatibilité »renvoie à une situation où le texte législatif et le texte réglementaire ne peuvent être conciliés; voir l’arrêt Daniels c. White, [1968] R.C.S. 517. Dans cette affaire, la règle a été énoncée à l’égard de deux lois incompatibles dont l’une était réputée abroger l’autre en raison de l’incompatibilité. Toutefois, la justification fondamentale est la même que dans le cas où le texte réglementaire serait incompatible avec une autre loi fédérale – il existe une présomption que le législateur n’a pas eu l’intention d’adopter des textes contradictoires ou d’habiliter quiconque à le faire. Il existe également une ressemblance doctrinale avec le principe de la prépondérance dans les affaires de partage constitutionnel des compétences dans lesquelles l’incompatibilité a aussi été définie dans le sens de contradiction – c’est‑à‑dire lorsque le fait de [traduction] « se conformer à une loi signifie que l’on enfreint l’autre »; […]

 

Ainsi, pour qu’il y ait incompatibilité, il doit y avoir un conflit entre l’application de la Loi et l’application de la Convention. Il y aurait lieu de parler d’incompatibilité entre la Loi et la Convention, par exemple, si le Canada imposait le requérant en tant que résident du Canada en violation de l’objet de la Convention.

 

[31]        Selon les commentaires portant sur le Modèle de Convention fiscale de l’OCDE, les conventions fiscales ne se préoccupent pas des législations internes[18] :

 

Les conventions de double imposition ne se préoccupent pas en général des législations internes des États contractants ayant pour objet de définir les conditions dans lesquelles une personne est reconnue, au point de vue fiscal, comme « résident » d’un État et est par conséquent assujettie intégralement à l’impôt dans cet État. Ces conventions ne précisent pas les critères auxquels doivent répondre les dispositions des législations internes sur la « résidence » pour que les États contractants reconnaissent à l’un d’entre eux le droit d’assujettissement intégral. À cet égard, les États arrêtent leur position en se fondant uniquement sur leur législation interne.

 

[32]        Un exemple de l’application des règles décisives prévues au paragraphe 4(2) de la Convention est également fourni dans les commentaires[19] :

 

Un exemple permettra de mieux comprendre la situation. L’intéressé possède un foyer d’habitation permanent dans l’État A où vivent sa femme et ses enfants. Il a séjourné plus de six mois dans l’État B où, en vertu de droit interne dudit État, il est, en raison de la durée de son séjour, imposable, car considéré comme étant un résident de cet État. Deux États revendiquent alors le droit de l’assujettir intégralement à l’impôt. Ce conflit doit être tranché par la Convention.

 

Dans ce cas particulier, l’article (en vertu des dispositions du paragraphe 2) donne la préférence à l’État A. Il ne faut toutefois pas en déduire que l’article pose des règles spéciales sur la « résidence » et qu’on ne tient pas compte de la législation interne de l’État B du fait qu’elle est incompatible avec ces règles. En réalité, dans un conflit de ce genre, il importe évidemment de faire droit à l’une des deux revendications, et c’est à ce sujet que l’article propose des règles spéciales.

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]        Dans l’exemple donné au paragraphe précédent, la préférence ou la priorité est donnée à un État par rapport à un autre pour ce qui est de la revendication du droit d’assujettissement à l’impôt. Il n’est fait aucune mention d’une préséance de la législation interne. Le terme « préférence » revient dans les commentaires portant sur le paragraphe 4(2)[20] :

 

Le paragraphe vise le cas où, en vertu des dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux États contractants.

 

Pour résoudre ce conflit, il faut établir des règles spéciales qui donnent la prépondérance aux liens rattachant le contribuable à un État plutôt qu’à l’autre.

[Non souligné dans l’original.]

 

Le terme « préférence » est utilisé dans les commentaires concernant les divers sous‑critères des règles décisives. Dans le contexte qui nous occupe, la préférence doit signifier la priorité ou la préséance accordée à un État par rapport à un autre à l’égard de la revendication du droit d’assujettissement à l’impôt. Si les rédacteurs avaient eu l’intention d’éteindre le droit à la revendication d’un État, ils auraient utilisé un langage différent.

 

[34]        Le point de vue exprimé ci-dessus est étayé par la doctrine qui fait autorité en matière fiscale. Dans l’ouvrage Introduction to the Law of Double Taxation Conventions[21], le professeur Michael Lang a reconnu que :

 

[traduction]

[l]a détermination de l’État de la résidence concerne uniquement l’application de la convention. La résidence dans un seul des deux États ne signifie pas systématiquement que, dans l’autre État, les impôts sont prélevés en vertu des règles d’assujettissement limité à l’impôt. Les règles nationales d’assujettissement intégral à l’impôt de l’État de la source demeurent applicables. L’impôt est établi selon les règles d’assujettissement intégral et non selon les règles d’assujettissement limité.

 

[35]        Le professeur Vogel abonde dans le même sens que le professeur Lang[22] :

 

[traduction]

[é]tant donné que le contribuable est « considéré » comme un non‑résident seulement en ce qui concerne l’application des règles distributives de la convention, il continue d’être régi par les dispositions en matière fiscale et en matière de procédure de l’État de sa résidence secondaire, qui s’appliquent à tous les autres contribuables qui sont résidents de cet État […]

 

[36]        Et, juste avant, le professeur Vogel avait donné l’explication suivante[23] :

 

[traduction]

[p]our éviter la double imposition ou la double non-imposition qui en découle, le paragraphe 4(2) précise — en tant que « règle décisive » — que c’est pour l’application de la convention, c.‑à‑d. pour l’applicabilité adéquate des règles distributives des deux États contractants à l’égard desquels la personne concernée est considérée comme un résident. Dans ce contexte, le terme « considérée » n’est pas une fiction, mais plutôt une conséquence juridique de la convention, contrairement à la conséquence juridique découlant de la loi nationale; pour l’application de la convention, la personne concernée est effectivement un résident de l’État contractant en question.

 

[37]        L’avocat du requérant a renvoyé à un certain nombre de décisions canadiennes à l’appui de la thèse selon laquelle l’application des règles décisives prévues à l’article 4 de la Convention pour déterminer la résidence, pour l’application de la convention fiscale, est suffisante en soi pour donner lieu à une incompatibilité entre la Loi et la Convention[24]. Le fait de conclure ainsi à une incompatibilité entre la Convention et la Loi revient à suivre une démarche mécanique, incompatible avec la démarche libérale et téléologique d’interprétation des conventions fiscales. La démarche en question ne tient pas compte du rôle de l’article 4 dans l’esprit de la Convention : une définition du terme « résidence » pour les besoins des dispositions applicables de la Convention afin d’attribuer la compétence en matière fiscale et d’éviter la double imposition.

 

[38]        La thèse du requérant n’est pas non plus étayée par la jurisprudence qu’il a citée. Dans chacune des décisions citées, le contribuable pouvait désigner un article applicable ou un objet de la convention fiscale pertinente qui faisait l’objet d’une violation. Il y aurait eu dans les précédents en question une violation relativement aux objets de la convention fiscale pertinente en ce qui a trait à la double imposition ou à l’attribution de compétence en matière fiscale.

 

[39]        En l’espèce, la difficulté à laquelle le requérant est confronté est qu’il ne peut mentionner aucune disposition applicable de la Convention qui contreviendrait au fait d’être considéré comme un résident du Canada pour l’application de la Loi. La double imposition entre le Canada et le R.‑U n’est pas en question. Le requérant n’a pas transféré son revenu au R.‑U. et, s’il le faisait, il pourrait se prévaloir de l’article 21 de la Convention[25]. En réalité, compte tenu de l’existence du paragraphe 27(2) de la Convention, l’imposition du requérant serait conforme à l’objet de la Convention et à l’intention des rédacteurs.

 

[40]        La décision Hunter Douglas Ltd. c. La Reine (« Hunter Douglas ») portait sur la détermination de la résidence d’une société en vertu de la Loi et d’une convention fiscale entre le Canada et les Pays‑Bas. La Cour fédérale est manifestement allée au-delà de la comparaison entre la définition de la résidence figurant dans la Loi et celle mentionnée dans la convention fiscale en question. Au paragraphe 16 de la décision Hunter Douglas, la cour a formulé les observations suivantes :

 

La défenderesse, en se fondant sur cette dernière modification, incompatible avec la définition du terme « résident » qui figure à l’accord concerné, prétend que la demanderesse était un résident du Canada lorsqu’a eu lieu, en 1971, cette distribution de dividende-actions, étant donné qu’elle avait été constituée en corporation au Canada avant le 27 avril 1965, et qu’au cours d’années d’imposition antérieures de la corporation terminées après le 25 avril 1965, elle avait exercé une entreprise au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

[41]        Dans la décision Hunter Douglas, la Cour reconnaît que les deux définitions sont incompatibles, mais elle poursuit en examinant la question de savoir si l’incompatibilité entraîne une contravention de la convention fiscale. Selon la méthode proposée par le requérant pour conclure à l’existence d’une incompatibilité, l’analyse se serait simplement arrêtée au paragraphe 16. Or, la Cour fédérale a examiné l’article IV (qui porte sur les dividendes) de la Convention et a conclu que la définition du terme « résidence » figurant dans la Loi ne pouvait pas écarter la disposition en question[26]:

 

Les modifications précitées apportées par le Canada en 1962 et 1965 à sa Loi de l’impôt sur le revenu étant en contrariété avec les dispositions de l’accord entre le Canada et les Pays‑Bas en matière d’impôt sur le revenu, elles ne prévalent pas sur les dispositions du paragraphe 5 de l’article IV dudit accord. Le ministre du Revenu national canadien n’avait donc pas le droit d’imposer la société demanderesse au motif qu’elle n’avait pas retenu l’impôt de 15 p. 100 sur les dividendes qu’elle avait versés aux actionnaires résidant hors du Canada.

 

[42]        Dans la décision Allchin v. The Queen (« Allchin »), le juge Bell, de la Cour, a conclu qu’une contribuable ayant une double résidence était considérée, en raison des règles décisives, comme une résidente des États‑Unis, non du Canada. Après avoir examiné les faits et appliqué le droit, le juge Bell a tiré la conclusion suivante[27] :

La preuve explicitant la nature du mode de vie et des activités de l’appelante aux États‑Unis conjuguée aux renseignements donnés dans le tableau ci‑dessus révèlent sans équivoque que, pendant les années en cause, l’appelante séjournait de façon habituelle aux États‑Unis. Conformément à l’alinéa 2b) de l’article IV de la Convention, l’appelante

 

est considérée comme un résident de l’État contractant où elle séjourne de façon habituelle.

 

Par conséquent, l’appelante, en raison de sa double résidence et de l’application des règles décisives, était, au cours des années d’imposition en cause, une résidente des États‑Unis. Conformément aux dispositions de l’article 2 de la Loi, elle n’était donc pas assujettie à l’impôt au Canada pour ses années d’imposition 1993, 1994 et 1995.

 

[43]        Le requérant invoque la conclusion du juge Bell sans tenir compte du raisonnement au moyen duquel celui‑ci est arrivé à cette conclusion. L’incompatibilité entre la convention Canada‑États‑Unis et la Loi découlait du fait que le ministre avait voulu imposer Mme Allchin à l’égard d’un revenu d’emploi qui avait été déjà imposé par les États‑Unis. Cela aurait donné lieu à une double imposition, en violation de la convention. Dans l’analyse qu’il a faite de la convention Canada‑États‑Unis, le juge Bell a souligné avec insistance les commentaires de l’OCDE suivants :

 

I.          REMARQUES PRÉLIMINAIRES

 

1.         La notion de « résident d’un État contractant » a diverses fonctions et revêt de l’importance dans trois cas :

 

a)                  lorsqu’il s’agit de déterminer le champ d’application d’une convention quant aux personnes;

 

b)                  pour résoudre les cas où la double imposition résulte du fait qu’il y a double résidence; [Non souligné dans l’original.]

 

c)         pour résoudre les cas où la double imposition provient d’un conflit de l’imposition dans l’État de la résidence et dans l’État de la source.

 

[44]        Le juge Bell a également renvoyé à l’arrêt Crown Forest sur le même point de la manière suivante :

Un peu plus loin, le juge Iacobucci déclare que la Convention doit bénéficier aux Canadiens travaillant aux États‑Unis (ou l’inverse) parce qu’il est important de les soustraire à la double imposition […]

 

[45]        C’est là où réside l’incompatibilité entre la Loi et la convention Canada‑États‑Unis. Le ministre a cherché à imposer un revenu qui était imposable aux États‑Unis au titre de la convention, ce qui aurait donné lieu à une double imposition.

 

[46]        L’arrêt Wolf c. Canada concernait aussi une personne qui avait une double résidence et dont le statut de résidence avait été déterminé au moyen des règles décisives figurant dans la convention Canada‑États‑Unis. La question fondamentale dans l’arrêt Wolf était de savoir si le contribuable était résident des États‑Unis et, par conséquent, s’il pouvait se prévaloir des dispositions de la convention qui lui permettraient d’obtenir une exonération d’impôt sur le revenu au Canada. Il n’était pas question de savoir s’il y avait une incompatibilité entre la Loi et la convention. Cela ressort clairement des motifs suivants rendus par la Cour d’appel fédérale[28] :

 

En établissant ces cotisations à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition 1990 à 1995, le ministre a refusé la déduction de dépenses d’entreprise (soit plus particulièrement la déduction de frais de logement et de déplacement) parce qu’il considérait que l’appelant avait gagné un revenu d’emploi (et non un revenu d’entreprise) au cours de ces années‑là. Le ministre a estimé en outre que l’appelant était un résident du Canada durant toute cette période.

 

L’appelant a contesté ces cotisations en faisant valoir qu’il était citoyen et résident des États‑Unis d’Amérique et qu’en vertu de l’article IV de la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts (1980) (la Convention), modifiée, il n’était pas, aux fins de l’impôt, considéré comme étant un résident du Canada au cours des années en question. L’appelant a soutenu en outre qu’il travaillait au Canada comme entrepreneur indépendant durant ces années-là. Il a invoqué l’article XIV de la Convention à l’appui de son argument selon lequel son revenu était imposable aux États-Unis et non au Canada pour le motif qu’il ne disposait pas de façon habituelle d’une base fixe au Canada.

[Non souligné dans l’original.]

 

[47]        Le résultat de l’application des règles décisives a été formulé par le juge Décary de la manière suivante :

 

Le ministre n’a pas contesté la conclusion de la juge de la Cour de l’impôt selon laquelle M. Wolf était résident des États‑Unis d’Amérique aux fins de la Convention entre le Canada et les États‑Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (la Convention). Cette convention a été signée à Washington (D.C.) le 26 septembre 1980 et est devenue loi au Canada aux termes de la Loi de 1984 sur la Convention Canada‑États‑Unis en matière d’impôts, L.C. 1984, ch. 20.

[Non souligné dans l’original.]

 

[48]        L’arrêt Wolf n’enseigne pas que la simple application des règles décisives crée une incompatibilité avec la Loi.

 

[49]        L’avocat du requérant m’a également cité l’arrêt Lagerman v. Riksskatteverket[29] de la Cour administrative suprême de la Suède qui va dans le sens de sa thèse. La cour suédoise a considéré les attributs fiscaux en Suède d’une personne qui est considérée comme résident du Kenya en vertu de la convention fiscale entre la Suède et le Kenya. Le contribuable, P.L., avait reçu des dividendes et peut‑être des intérêts en 1986 d’un fonds de dividendes suédois, lesquels dividendes il n’a pas inscrit dans sa déclaration de revenus de la Suède pour 1980. En 1986, il était résident de la Suède en vertu des lois fiscales de la Suède, mais sa famille et lui vivaient au Kenya et ils étaient résidents du Kenya. Selon la Convention, P.L. était considéré comme un résident du Kenya. Aux termes de la Convention, les intérêts provenant de la Suède et payés à une personne physique au Kenya peuvent, en vertu des lois de la Suède alors en vigueur, ne pas être assujettis à l’impôt en Suède. La cour a considéré P.L. comme non‑résident de la Suède pour l’application des lois fiscales nationales de la Suède, et le contribuable a donc été exonéré de l’impôt sur les intérêts. Voici la conclusion tirée par la majorité :

 

[traduction]

Les règles de la convention sont importantes pour déterminer la résidence dans le cas de ce que l’on appelle la double résidence lorsqu’il faut établir l’État qui doit être considéré comme l’état de la résidence et celui qui doit être désigné comme l’État de la source. Par exemple, ce qui importe pour les présentes règles en l’espèce, où il est question du droit d’assujettissement des dividendes et des intérêts à l’impôt, c’est que le Kenya, incontestablement, est considéré comme l’État de la résidence et la Suède est considérée comme l’État de la source. Pour ce qui est de l’application de la Convention, il est bien établi que P.L. est considéré comme résidant au Kenya. Le droit de la Suède d’assujettir le revenu à l’impôt doit donc être considéré en fonction des dispositions de la Convention qui concernent le droit de la Suède en tant qu’État de la source d’assujettir à l’impôt les dividendes et les intérêts.

 

[50]        Les deux juges minoritaires étaient d’avis que P.L. était demeuré résident de la Suède en vertu de la législation nationale suédoise et qu’il était imposable en Suède en tant que résident de la Suède. Selon les juges minoritaires, [traduction] « la législation nationale n’est pas censée être influencée par le fait que la convention prévoit que d’autres règles [doivent] être observées pour son application […] ». J’abonde dans le même sens.

 

[51]        Le paragraphe 4(2) de la Convention prévoit un critère de préférence dans les cas où le contribuable est résident des deux Étatx contractants. Selon ces règles décisives, la personne ayant une double résidence est considérée comme résident soit du Canada, soit du R.‑U. pour l’application de la Convention. Une fois qu’il est déterminé que le contribuable est résident soit du R.‑U., soit du Canada pour l’application de la Convention, les autres dispositions de la Convention s’appliquent pour permettre un allègement de l’imposition et une attribution du droit d’assujettissement à l’impôt. Tel est le rôle de la Convention : elle attribue à chaque État le droit d’assujettissement à l’impôt. Le fait que l’intéressé soit résident du R.‑U. pour l’application de la Convention n’a pas d’incidence sur le statut qu’il a par ailleurs en vertu de la législation canadienne[30].

 

[52]        Comme l’avocat de l’intimée l’a déclaré, le Canada est tenu par le droit international de mettre en application le contenu des dispositions de la Convention[31]. Pour respecter son obligation, le Canada n’a pas à considérer le requérant comme un non‑résident du Canada pour l’application de la Loi. La responsabilité du Canada est de veiller à ce que le requérant puisse obtenir l’allègement de l’impôt canadien auquel il a droit en vertu de la Convention[32].

 

[53]        En résumé, l’interprétation des conventions fiscales doit se faire selon une démarche libérale et téléologique, non une démarche mécanique. Je dois tenir compte du libellé clair de la convention et de l’intention des parties. Pour savoir s’il existe une incompatibilité entre la Loi et la convention fiscale, il faut examiner les résultats. Il n’y a incompatibilité que si l'application de la Loi donne lieu à une contradiction ou à une violation de l’objet de la Convention, et je ne tire pas cette conclusion.

 

LE PARAGRAPHE 250(5) DE LA LOI

 

[54]        Les deux parties ont également cité le paragraphe 250(5) de la Loi, et ont toutes les deux déclaré que cette disposition ne s’applique pas en l’espèce, mais pour des raisons différentes[33]. Je suis aussi d'avis que le paragraphe 250(5) de la Loi ne s’applique pas. Je n’ai tiré aucune inférence ni conclusion relativement à l’édiction du paragraphe 250(2) de la Loi qui ait eu une incidence sur l’analyse que j’ai faite du paragraphe 4(2) de la Convention.

 

LE PARAGRAPHE 27(2)

 

[55]        Si j’ai correctement conclu que le requérant est demeuré résident du Canada en 2002 pour l’application de la Loi, malgré le fait qu’il soit considéré comme un résident du R.‑U. pour l’application de la Convention, il se peut que l’intimée n’ait pas besoin de recourir au paragraphe 27(2) de la Convention afin d’établir une cotisation à l’égard du requérant. Néanmoins, j’examinerai les thèses des parties.

 

[56]        Le paragraphe 27(2) de la Convention porte sur le traitement fiscal du R.‑U. à l’égard de résidents du R.‑U. qui n’y sont pas domiciliés et qui sont tenus de payer l’impôt sur le revenu étranger seulement lorsque ce revenu entre au R.‑U.

 

[57]        Le requérant soutient que le paragraphe 27(2) de la Convention ne permet pas au ministre d’assujettir le requérant à l’impôt au titre de la partie I de la Loi à l’égard du revenu tiré d’une C & E provenant de source étrangère ou de l’un ou l’autre des éléments visés par la cotisation en fonction du fait qu’aucun montant de ce revenu n’a été transféré ou reçu au R.‑U. Le requérant n’a pas eu « droit […] à un allègement d’impôt [au Canada] » « en vertu d’une disposition de la […] Convention » sur les éléments visés par la cotisation. Autrement dit, selon ce que j’ai compris de l’argument du requérant, cela se justifie par le fait que le requérant n’était pas résident du Canada pour l’application aussi bien de la Convention que de la Loi.

 

[58]        En conséquence, le requérant soutient qu’il n’y avait aucun impôt à l’égard duquel il aurait eu droit à un allègement au Canada « en vertu d’une disposition de la Convention » et auquel le paragraphe 27(2) de la Convention aurait pu s’appliquer. Le requérant soutient que le paragraphe 27(2) aurait seulement permis au ministre d’établir une cotisation au titre de la partie XIII de la Loi. Un résident du R.‑U. qui est non‑résident du Canada et qui a reçu un revenu de dividendes ou un revenu d’intérêts provenant de sources canadiennes, qui n’ont pas été transférés ou reçus au R.‑U., peut seulement être imposé par le Canada au taux de 25 %. Si les dividendes et les intérêts sont transférés ou reçus au R.‑U., l’impôt est de 15 % pour les revenus de dividendes et de 10 % pour les revenus d’intérêts, comme cela est prévu aux articles 10 et 11 de la Convention, respectivement.

 

[59]        L’exposé conjoint des faits modifié ne précise pas la source des dividendes et des intérêts qui figurent dans les éléments visés par la cotisation. Toutefois, l’intimée déclare dans son mémoire que la source est mentionnée dans les actes de procédure, et les parties sont d’accord pour dire que le Canada est la source des dividendes et des intérêts.

 

[60]        Selon l’intimée, le requérant a reçu certains avantages en sa qualité d’actionnaire direct ou indirect de diverses sociétés, et de tels avantages ne relèvent pas de la Convention. En tant que résident du Canada pour l’application de la Loi, le requérant est assujetti à l’impôt au titre de la partie I de la Loi.

 

[61]           L’intimée soutient que la Convention attribue le droit d’assujettissement à l’impôt au Canada et au R.‑U. élément par élément. Les articles 10, 11 et 15 par exemple, attribuent le droit d’assujettissement à l’impôt des revenues de dividendes, des revenus d’intérêts et des revenus d’emploi en fonction essentiellement de la source du revenu au Canada et au R.‑U. Si un élément n’est pas mentionné dans la Convention, l’intimée insiste pour soutenir que le Canada conserve son droit d’assujettir le requérant à l’impôt en fonction de sa résidence au Canada. L’intimée renvoie à l’explication de David Ward, dans la monographie intitulée « The Other Income Article of Income Tax Treaties »[34] :

 

[traduction]

Lorsqu’une convention ne comprend aucune disposition sur les autres revenus d’une manière ou d’une autre, il peut y avoir des conséquences fâcheuses pour les contribuables qui, au titre de la législation interne, sont des résidents des deux États aux fins de l’imposition. Bien que la disposition sur la double résidence prévoie une série de règles au moyen desquelles le contribuable est considéré comme un résident d’un seul des deux États pour l’application de la convention, l’absence de disposition sur les autres revenus signifie que la convention ne vise pas ces autres revenus du contribuable. Par conséquent, en ce qui concerne les autres revenus, le contribuable, sur le plan fiscal, demeure un résident des deux États et peut être assujetti à une double imposition intégrale sur tous les revenus, y compris sur ceux provenant de chaque État ainsi que sur ceux provenant d’États tiers.

 

[62]        L’avocat de l’intimée a renvoyé à l’article 20A de la version actuelle de la Convention, une disposition portant sur les « Autres revenus »[35]. Cette nouvelle disposition accorde généralement au pays de résidence du contribuable, pour l’application de la Convention, le droit d’assujettir à l’impôt des éléments de revenu qui ne sont pas particulièrement visés dans les dispositions antérieures de la Convention. L’article 20A ne s’applique pas pour l’année d’imposition 2002.

 

[63]        Selon le paragraphe 27(2), qui s’appliquait pour 2002, lorsque l’intéressé obtient un allègement fiscal au Canada sur certains revenus et que, au titre de la loi du R.‑U. il est assujettie à l’impôt au R.‑U. relativement à la partie de ce revenu qui est transférée ou reçue au R.‑U., le Canada ne lui accorde d’allègement fiscal que sur la partie du revenu qui est transférée ou reçue au R.‑U. Le professeur Krishna admet que, dans ces circonstances, les avantages prévus par la Convention doivent s’appliquer uniquement aux montants qui sont réellement assujettis à l’impôt au R.‑U. en raison de leur transfert ou de leur réception[36].

 

[64]        La thèse du requérant concernant le paragraphe 27(2) de la Convention est entièrement fondée sur l’hypothèse selon laquelle il n’était pas assujetti à l’impôt au Canada en ce qui concerne les éléments visés par la cotisation, étant donné qu’il était non‑résident du Canada en 2002. Et voilà le problème du requérant. J’ai conclu qu’il était un résident du Canada en 2002 pour l’application de la Loi et, à ce titre, il est assujetti à l’impôt quant à son revenu de toutes provenances, sous réserve de toute attribution du droit d’assujettissement, par la Convention, au Canada et au R.‑U. Le paragraphe 27(2) de la Convention s’applique bel et bien au requérant et l’administration fiscale canadienne peut établir une cotisation à l’égard du requérant, étant donné qu’il était un résident du Canada en 2002.

 

[65]        Le revenu d’une C & E du requérant en 2002 provenait des États‑Unis, lesquels ne sont pas partie à la Convention. Des auteurs, comme le Professor Vogel, sont d’avis que l’objet du paragraphe 27(2) de la Convention est de permettre à l’État de la source d’assujettir à l’impôt le revenu qui n’a pas été transféré au pays de résidence de la personne. Selon l’avocat de l’intimée, si je devais accepter cette interprétation, le Canada ne conserverait pas le droit qu’il a d’assujettir le revenu d’une C & E tiré par le requérant de son emploi aux États-Unis conformément à la partie I de la Loi. Pour que cette interprétation, c’est‑à‑dire, que le droit d’assujettissement à l’impôt du Canada est limité soit correcte, on doit, selon l’avocat de l’intimée, interpréter les termes de la disposition, étant donné qu’il n’y a aucune mention au paragraphe 27(2) de la Convention de la source du revenu ou de l’État d’où il provient. (Le paragraphe 27(2) parle de l’allègement fiscal dans un État contractant et de la personne qui est assujettie à l’impôt à raison des montants qui sont transférés ou reçus dans l’autre État contractant.)

 

[66]        L’avocat de l’intimée a fait mention de plusieurs conventions fiscales auxquelles le Canada est partie, qui comportent une disposition lui permettant d’assujettir à l’impôt le revenu qui n’a pas été transféré au pays de résidence de la personne. Dans certains cas, la disposition prévoit que le Canada, par exemple, peut assujettir le revenu à l’impôt seulement lorsqu’il est la source du revenu[37], alors que des dispositions semblables au paragraphe 27(2) de la Convention figurant dans d’autres conventions fiscales ne font aucune mention de la source[38]. Le R.‑U. a aussi conclu diverses ententes fiscales dans lesquelles la source est parfois mentionnée et parfois elle ne l’est pas[39].

 

[67]        Je retiens la thèse de l’intimée selon laquelle l’interprétation des mots comme « provenant du Canada » au paragraphe 27(2) serait de nature à altérer le sens voulu de la disposition de la Convention. Je ne peux pas concevoir que les négociateurs canadiens et britanniques accepteraient d’attribuer un pouvoir d’imposition à un pays tiers; dans le cas du requérant, accorder aux États‑Unis le pouvoir d’imposer le revenu d’emploi qu’il a gagné dans ce pays. Le requérant était résident du Canada pour l’application de la Loi en 2002. En sa qualité de résident du Canada, il est assujetti à l’impôt sur son revenu de toutes provenances, y compris le revenu d’emploi provenant d’un État tiers, à moins d’une disposition contraire de la Convention, ce qui n’est pas le cas.

 

[68]        Par conséquent, je conclus que le ministre peut établir une cotisation à l’égard du requérant compte tenu du fait que celui‑ci était résident du Canada pour l’application de la Loi relativement à l’un quelconque des éléments visés aux alinéas 5i) à vi) ainsi qu’à l’alinéa 5viii) de l’avis d’appel modifié à deux reprises.

 

[69]        Les parties peuvent présenter des soumissions à la Cour à l'égard des frais dans un délai de 60 jours.

 

Signé à Ottawa, Canada, ce 14e jour de janvier 2014.

 

 

« Gerald J. Rip »

Juge en chef Rip

 


 

 

RÉFÉRENCE :                                 2014 CCI 12

 

No DU DOSSIER DE LA COUR :    2008-2896(IT)G

                                                         

INTITULÉ :                                      CONRAD BLACK c.

                                                          LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 15 et 16 mai 2013

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   L’honorable juge en chef Gerald J. Rip

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 14.janvier 2014

 

COMPARUTIONS :

 

Avocats de l’appelant :

Me David C. Nathanson (c.r.)

Me Adrienne K. Woodyard

Avocats de l’intimée :

Me Arnold H. Bornstein

Me Diana Aird

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

       Pour l’appelant :

      

            Nom :                                    Me David C. Nathanson (c.r.)

                                                          Me Adrienne K. Woodyard

           Cabinet :                                Davis LLP

                                                          Toronto (Ontario)

 

       Pour l’intimée :                          William F. Pentney

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1]           Convention entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du nord tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et les gains en capital (la « Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni » ou la « Convention »). La Convention fiscale entre le Canada et le Royaume‑Uni a été signée en 1978 et est entrée en vigueur le 17 décembre 1980. Le premier, le deuxième et le troisième protocole ont été signés le 15 avril 1980, le 6 octobre 1985 et le 7 mai 2003, respectivement, et sont entrés en vigueur le 18 décembre 1980, le 23 décembre 1985 et le 4 mai 2004, respectivement.

[2]           Les parties conviennent que tout revenu tiré des fonctions de charges et d’emplois exercées au Royaume‑Uni (R.­‑U.) n’est imposable qu’au R.‑U.

[3]           Les éléments visés aux alinéas 1a) à g) de l’exposé conjoint des faits modifié sont essentiellement identiques aux éléments visés aux alinéas 5i) à vi) et à l’alinéa 5viii) de l’avis d’appel modifié à deux reprises. Les éléments mentionnés à ces alinéas sont appelés dans les présents motifs « éléments visés par la cotisation ».

[4]           L.C. 1980‑81‑82‑83, ch. 44, partie X.

[5]           Wolf c. La Reine, [2000] A.C.I. no 686 (QL), aux paragraphes 16 à 20, infirmée pour d’autres motifs, 2002 CAF 96, au paragraphe 32; et Alchin c. La Reine, 2005 CCI 711, aux paragraphes 1 et 54, 2004 CAF 206, infirmant 2003 CCI 476. Voir aussi Gladden Estate v. Her Majesty The Queen, (1985) 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.), aux pages 166 et 167, 85 DTC 5191.

[6]           [1995] 2 R.C.S 802, au paragraphe 22; 95 DTC 5389, à la page 5393.

[7]           [1985] 1C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.), aux pages 166 à 167, 85 DTC 5188, à la page 5191.

[8]           (1995) 2 R.C.S., à la page 827, aux paragraphes 54 et 95, DTC 5389, de la page 5396 à 5398.

[9]           Prevost Car Inc. c. Canada, 2009 CAF 57, aux paragraphes 10 et 11. (À condition que les nouveaux commentaires ne soient pas contraires aux commentaires précédents qui existaient au moment où un traité précis avait été conclu et que les parties ne fassent pas de réserves)

[10]          1994 CarswellNat 1020 (CAF), confirmant [1961, 1 R.C.S. 73]

[11]          [1984] 1 R.C.S. 536, à la page 578.

[12]          Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto, Butterworth, 1985), à la page 87.

[13]          La question de l’évasion fiscale ne se pose pas en l’espèce.

[14]          David A. Ward, Accès aux bénéfices découlant des conventions fiscales, Rapport de recherche préparé pour le Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale (septembre 2008), à la page 3.

[15]          3éd.

[16]          Le Grand Robert de la langue française, 2éd.

[17]          Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3.

[18]          OCDE, Comité des affaires fiscales, Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune (mis à jour en 2010) (OCDE, 2012), Commentaires sur les articles du Modèle de convention fiscale, C(4)‑1, au paragraphe 4 [Commentaires].

[19]             Commentaires, C(4)‑2, aux paragraphes 6 et 7.

[20]          Commentaires, C(4)‑5, aux paragraphes 9 et 10.

[21]          Amsterdam : IBFD. 2010, à la page 66. Voir aussi à la page 77.

[22]          KlausVogel, Klaus Vogel on Double Taxation Conventions: A Commentary, 3e éd. (London, Kluwer Law, 1997) (« Vogel »), à la page 225, au paragraphe 13.

[23]          Vogel, précité, note 24, à la page 224, à l’alinéa 9a. Voir aussi Michael Lang, Introduction to the Law of Double Taxation Conventions (Amsterdam, IBFD, 2010), à la page 66, aux paragraphes 162, 177, 206 et 207 (« Lang »); Vern Krishna et Pamela Cross, The Canada‑U.K. Tax Treaty: Text and Commentary (Markham, Ontario, LexisNexis, 2005), à la page 80.

[24]          Hunter Douglas Ltd. c. La Reine, [1980] 1 C.F. 493 (C.F. 1re inst.); Allchin c. La Reine, 2005 CCI 71; Wolf c. Canada, [2005] A.C.I. n686, infirmée pour d’autres motifs, 2002 CAF 96, parmi d’autres décisions : Hausmann Estate c. La Reine, [1998] A.C.I. no 401; Sommerer c. La Reine, 2011 CCI 12, aux paragraphes 111 à 113, confirmée par 2012 CAF 207, au paragraphe 68; Gladden Estate, précitée, la note 7.

[25]          L’alinéa 2a), le paragraphe 3 et l’article 21 de la Convention.

[26]          Hunter Douglas, au paragraphe 37.

[27]          Allchin, au paragraphe 54.

[28]          Wolf, CAF, aux paragraphes 30 et 31.

[29]          RA 1995 réf. 69 (Cour administrative suprême). L’avocat du requérant a fait traduire les motifs vers l’anglais.

[30]          Krishna, à la page 80.

[31]          Lang, précité, note 25, à la page 32, au paragraphe 50.

[32]          Vogel, précité, note 25, à la page 26, paragraphe 45a, aux pages 224 à 285, au paragraphe 12.

[33]          Le paragraphe 250(5) de la Loi modifié était applicable après le 27 juin 1999. Les parties conviennent que le requérant n’était pas un résident — voir le paragraphe 4. Le paragraphe 250(5) de la Loi modifié était applicable après le 27 juin 1999 : L.C. 1999, ch. 22, art. 82(4) applicable après le 24 février 1998, L.C. 2001, ch. 17, art. 190(1) applicable après le 27 juin 1999. Les parties conviennent que le requérant n’était résident d’aucun autre pays que le R.‑U. en 2002 et qu’il n’est devenu résident d’aucun autre pays entre 1992 et 2002. Le requérant soutient que l’édiction du paragraphe 250(5) de la Loi ne constitue ni n’implique une déclaration portant que la règle de droit était différente avant l’édiction. L’avocat du requérant affirme que le fait que le paragraphe 250(5) de la Loi ne s’applique pas au requérant ne signifie pas que celui‑ci était un résident du Canada (et n’était pas un résident du R.‑U.) pour l’application de la Loi. L’intimée soutient que le paragraphe 250(5) de la Loi ne s’applique pas, parce que les règles transitoires empêchent l’application de cette disposition à un particulier résident du Canada qui, au titre d’une convention, était un résident d’un autre pays au moment où le paragraphe 250(5) est entré en vigueur. Le paragraphe 250(5) est une modification de fond à loi. Il remplace une disposition qui n’était initialement appliquée qu’aux sociétés.

 

Voir le paragraphe 45(2) et l’alinéa 44f) de la Loi d’interprétation, qui prévoient que l’abrogation et la nouvelle édiction d’une disposition ne sont pas présumées modifier la loi. Toutefois, une modification, une abrogation et une nouvelle édiction de la loi représentent habituellement une modification de la loi en raison de la nature, de l’objet et du contexte de la Loi : voir Century Services Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 3 R.C.S. 379; 2010 CSC 60; la juge Deschamps, au paragraphe 54 et la juge Abella, au paragraphe 129, expriment des opinions divergentes quant à la question de savoir s’il y avait eu une modification importante à l’égard de la disposition abrogée. Voir aussi l’arrêt Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, au paragraphe 43. On peut soutenir que la modification apportée au paragraphe 250(2) de la Loi pour qu’il s’applique aux personnes physiques, et pas seulement aux sociétés, constitue une modification importante. Voir aussi les règles transitoires.

[34]          L’article 20A est entré en vigueur en 2004 et est ainsi libellé :

 

1.   Les éléments de revenu dont un résident d’un État contractant est le bénéficiaire effectif, d’où qu’ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet État.

 

1.   Items of income beneficially owned by a resident of a Contracting State, wherever arising, not dealt with in the foregoing Articles of this Convention shall be taxable only in that State.

[…]

3.         Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2 du présent article, les éléments de revenu d’un résident d’un État contractant qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention et qui proviennent de l’autre État contractant sont aussi imposables dans cet autre État.

3.         Items Notwithstanding the provisions of paragraphs 1 and 2 of this Article, items of income of a resident of a Contracting State not dealt with in the foregoing Articles of this Convention and arising in the other Contracting State may also be taxed in that other State.

 

[35]          David A. Ward, et al, « The Other Income Article of Income Tax Treaties » (1990), 38 CTJ 233, à la page 268. Voir aussi, Lang, précité, à la page 116, au paragraphe 282.

[36]          Krishna, à la page 222.

[37]          Singapour, article XXI; Malaisie, article XXIV; Maltes, article 28(2).

[38]          Par exemple, Arménie, article 28(5); Bulgarie, article 28(3); Mexique, article 26(4); Vénézuéla, article 28(6); Hong Kong, article 26(4).

[39]          Comparer, par exemple, la Barbade, article 22(1) et les États‑Unis, article 1(7).

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